Observations écrites de la Lettonie sur l’objet de son intervention

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182-20230705-WRI-03-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE (UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DE LETTONIE
5 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. Introduction ..................................................................................................................................... 1
II. Interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes pour la compétence ratione materiae ......................................................................... 2
A. L’article IX de la convention sur le génocide est formulé en termes généraux et couvre les revendications de non-violation ......................................................................................... 2
B. L’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux « différends » relatifs à l’interdiction des allégations abusives de génocide ................................................................. 4
C. L’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux « différends » relatifs à l’emploi par ailleurs illicite de la force comme moyen de prévention et de répression du génocide .............................................................................................................................. 8
III. Conclusion .................................................................................................................................. 11
I. INTRODUCTION
1. Dans l’ordonnance rendue le 5 juin 2023 en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) (ci-après l’« ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention »), la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») a décidé que les déclarations d’intervention déposées au titre de l’article 63 du Statut de la Cour (ci-après le « Statut »), dont celle de la Lettonie, étaient recevables1. La Cour a fixé au 5 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt des observations écrites prévues au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement de la Cour2.
2. L’intervention de la Lettonie au titre de l’article 63 du Statut concerne l’exercice d’un droit par un État partie à une convention dont l’interprétation est en cause devant la Cour3. Comme celle-ci l’a déterminé dans son ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention, l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »)4 concernant la compétence ratione materiae de la Cour est en cause au stade actuel de la procédure5. Conformément à cette ordonnance, les observations écrites de la Lettonie porteront uniquement sur l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes aux fins de la détermination de la compétence ratione materiae de la Cour dans la présente procédure6. Les références à d’autres règles et principes de droit international, en dehors de la convention sur le génocide, dans les observations écrites ne concerneront que l’interprétation des dispositions de la convention, conformément à la règle coutumière d’interprétation qui trouve son expression à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la « convention de Vienne »)7. La Lettonie ne traitera pas d’autres questions, telles que le différend entre les Parties, les éléments de preuve, les faits ou l’application de la convention en l’espèce8.
3. La Lettonie a tenu compte, dans l’élaboration de ses observations, de ce que la Cour avait invité les États à présenter, dans la mesure du possible, des observations conjointes9.
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20230605-ORD-01-00-FR.pdf, par. 99 et 102 1).
2 Ibid., par. 102 3).
3 Ibid., par. 26.
4 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, signée à Paris le 9 décembre 1948, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 78, p. 277 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951).
5 Ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention (note 1), par. [69].
6 Ibid., par. 99.
7 Ibid., par. 84.
8 Ibid.
9 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 États intervenants), lettre du greffier de la Cour à l’agent de la Lettonie, en date du 23 juin 2023.
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II. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX ET D’AUTRES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE PERTINENTES POUR LA COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
4. Ainsi qu’elle l’a évoqué dans la déclaration d’intervention qu’elle a déposée auprès du Greffe de la Cour le 21 juillet 202210, la Lettonie fait valoir trois arguments concernant l’interprétation de la convention sur le génocide au stade actuel de la procédure. Ce faisant, elle applique les règles d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne, qui reflètent des règles de droit international coutumier11. Premièrement, l’article IX de la convention sur le génocide est rédigé en termes généraux, de sorte qu’il couvre les « différends » relatifs à l’« exécution » des obligations découlant de cet instrument et s’applique à ce qui a été qualifié de revendications de non-violation. Deuxièmement, cet article s’applique aux « différends » concernant l’interdiction des allégations abusives de génocide établie par d’autres dispositions de la convention. Troisièmement, il s’applique aux « différends » concernant le recours par ailleurs illicite à la force comme moyen de prévenir et de punir le génocide au titre d’autres dispositions de cet instrument. La Lettonie précisera le raisonnement et les sources sur lesquels elle fonde les arguments examinés successivement dans les présentes observations écrites.
A. L’article IX de la convention sur le génocide est formulé en termes généraux et couvre les revendications de non-violation
5. La Lettonie soutient que l’article IX de la convention sur le génocide est rédigé en termes généraux et couvre ce qui a été qualifié de « revendications de non-violation »12. Elle avancera deux arguments pour étayer son interprétation de l’article IX : 1) l’article IX est rédigé en termes généraux ; 2) l’article IX couvre les revendications de non-violation.
6. Premièrement, l’article IX de la convention sur le génocide est rédigé en termes généraux :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une Partie au différend. »13
7. L’article IX et la clause classique de règlement des différends dont la Cour considère généralement, dans sa pratique judiciaire, qu’elle lui donne compétence pour connaître des différends
10 Ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention (note 1), par. 13 ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention de la République de Lettonie en date du 19 juillet 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220719-WRI-01-00-FR.pdf, section F.
11 Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), exception préliminaire, arrêt du 6 avril 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/171/171-20230406-JUD-01-00-FR.pdf, par. 87.
12 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220316-ORD-01-00-FR.pdf, déclaration du vice-président Gevorgian, par. 8.
13 Convention sur le génocide (note 4), article IX.
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relatifs à l’interprétation et à l’application des traités concernés14, se distinguent à double titre. Ainsi, l’article IX a pour première particularité « l’ajout du terme “exécution” dans la disposition prévoyant la compétence de la Cour à l’égard des différends relatifs à l’“interprétation” et à l’“application” de la Convention »15. La seconde « réside dans le membre de phrase “y compris [les différends] relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III” », qui a déjà conduit la Cour à retenir une interprétation large de la convention16. L’ensemble de ces choix rédactionnels a pour effet
« de combler toutes les failles susceptibles de réduire l’étendue de la compétence de la Cour. Le but poursuivi en 1948 était de conférer à la Cour la compétence la plus large possible dans le cadre du régime de la convention, en prévenant tous les arguments subtils qui pourraient être avancés pour la priver de sa compétence en raison d’un lien insuffisant avec cet instrument »17.
8. Deuxièmement, la formulation générale de l’article IX de la convention sur le génocide couvre les « différends » relatifs à la non-violation du traité. La compétence que l’article IX confère à la Cour couvre tout différend dans lequel un État en accuse un autre d’avoir commis un génocide18. Elle couvre également, et nécessairement, les différends dans lesquels un État visé par des allégations de génocide formulées par un autre État intente une action contre ce dernier afin d’obtenir de la Cour une déclaration « négative » confirmant que ces allégations sont dénuées de tout fondement juridique et factuel. À l’évidence, pareille démarche soulève des questions quant à « l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris [s’agissant de différends] relatifs à la responsabilité d’un État », lesquelles peuvent faire l’objet d’un « différend » au sens technique large que le droit international confère à ce terme19. Cette interprétation est confirmée par « l’indication, à l’article IX, que les différends doivent être soumis à la Cour “à la requête d’une Partie au différend” »20, et par l’ajout inhabituel du terme « exécution » pour désigner les catégories de « différends » qui entrent dans le champ de l’article IX, ainsi qu’il a été relevé au paragraphe précédent. L’interprétation avancée par la Lettonie permettrait également à la Cour de remplir une fonction judiciaire importante en confirmant qu’un État a satisfait ou non à ses obligations.
14 Voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), [p. 307-308,] par. 44-45 ; Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), [p. [21,] par. 29 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), [p. 578,] par. 34 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, [p. 94,] par. 72.
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), [p. 114,] par. 168.
16 Ibid., par. 169.
17 R. Kolb, « The Scope Ratione Materiae of the Compulsory Jurisdiction of the Court », in P. Gaeta (sous la dir.de), The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP, 2009), p. 453.
18 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/178/178-20220722-JUD-01-00-FR.pdf, par. 63-77.
19 Ibid., par. 63-64 ; Commission du droit international, « Le règlement des différends internationaux auxquels des organisations internationales sont parties » (1[6] mai 2023), Nations Unies, doc. A/CN.4/L.983, projet de directive 2 b) ; A. Garrido Muñoz, « Al filo de su competencia ratione materiae: la providencia de la Corte Internacional de Justicia en el asunto Alegaciones de Genocidio en Virtud de la Convención para la Prevención y la Sanción del Crimen de Genocidio (Ucrania c. Federación Rusa) », Revista española de derecho internacional (2022), vol. 7[4], p. 99-100.
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022 (note 18), par. 111 (les italiques sont de nous).
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9. La Cour a déjà eu à connaître de revendications de non-violation dans sa pratique. Dans l’affaire relative aux Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), par exemple, la France avait saisi la Cour à l’effet que celle-ci déclare que le système de contrôle par licences en cause était « conforme au régime économique applicable au Maroc selon les conventions qui li[ai]ent la France et les États-Unis »21. Si elle a rejeté à l’unanimité les conclusions présentées par la France sur le fond, la Cour, non plus que les juges dans leur opinion dissidente (ni même les États-Unis), n’a à aucun moment laissé entendre que le fait d’avoir formulé une revendication de non-violation posait, en droit, un problème de compétence22. S’il en avait été autrement, « [s]elon une jurisprudence bien établie » qui veut que la Cour « doit … toujours s’assurer de sa compétence », elle aurait « examin[ée] d’office » celle-ci23. Il importe de noter que la Cour a procédé au même type d’analyse de l’interprétation et de l’application des traités que dans d’autres affaires examinées au regard de dispositions classiques relatives au règlement des différends, conformément à l’interprétation exposée plus haut. C’est ce qu’illustrent également les affaires relatives aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), dans lesquelles la Cour s’est déclarée compétente pour connaître des demandes de la Libye qui concernaient, en partie, la question de savoir si celle-ci avait respecté ou non la convention de Montréal24.
10. Il résulte de l’interprétation proposée par la Lettonie de l’article IX de la convention sur le génocide que, lorsqu’un différend naît des accusations de génocide formulées par un État contre un autre État, la Cour est compétente pour connaître de tout recours formé par celui-ci à l’effet qu’elle déclare que ces accusations ne sont fondées ni en droit ni en fait.
B. L’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux « différends » relatifs à l’interdiction des allégations abusives de génocide
11. La Lettonie soutient que l’article IX de la convention s’applique aux « différends » relatifs à l’interdiction des allégations abusives de génocide établie par d’autres dispositions de cet instrument qui relèvent de la compétence ratione materiae de la Cour. Ces dispositions incluent, notamment, les articles premier et IV25, lesquels fournissent un contexte pour l’interprétation de l’article IX. La Lettonie est d’avis qu’aucune partie à la convention n’est autorisée à faire des allégations abusives de génocide. De telles allégations risquent en effet d’amoindrir le caractère de gravité exceptionnelle du crime de génocide et l’opprobre qui accable cette atteinte aux « principes de morale les plus élémentaires »26, ce qui serait contraire à l’objet et au but de la convention. L’interprétation que la Lettonie donne de l’article IX, lu dans le contexte des articles premier, IV, et
21 Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 182.
22 Ibid., p. 182-184.
23 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), [p. 118,] par. 40.
24 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, [p. 14,] par. 14, et [p. 18,] par. 26 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, [p. 119,] par. 12-13, et [p. 123,] par. 25.
25 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mémoire de l’Ukraine en date du 1er juillet 2022, par. 78 ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires de la Fédération de Russie en date du 1er octobre 2022, par. 163.
26 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951[, p. 23].
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d’autres dispositions pertinentes de la convention sur le génocide, repose sur trois points : 1) les obligations énoncées par la convention sur le génocide doivent être exécutées et interprétées de bonne foi ; 2) il est abusif et contraire à la lettre et à l’esprit de la convention de déterminer de manière unilatérale et infondée qu’une situation constitue un génocide ; 3) la convention fournit des orientations concernant les moyens légaux que les parties peuvent utiliser pour prévenir et punir le génocide.
12. Premièrement, les obligations de prévenir et de punir le génocide, énoncées à l’article premier et précisées à l’article IV, doivent être exécutées et interprétées « de façon raisonnable et de telle sorte que [le] but [de la convention sur le génocide] puisse être atteint »27. Il est clair que l’obligation de « s’abstenir de tout acte visant à réduire à néant l’objet et le but du traité » est « implicitement contenue dans l’obligation d’exécuter le traité de bonne foi »28. Or, il ne serait pas raisonnable de permettre à une partie contractante de formuler des allégations abusives de génocide et, ce faisant, de dénaturer les termes de la convention. En effet, une telle pratique serait contraire aux objectifs moraux et humanitaires fondamentaux que la convention entend protéger.
13. L’interprétation de bonne foi sert donc de garde-fou contre tout détournement des termes et des institutions de la convention sur le génocide. La bonne foi est aussi directement liée à la « confiance réciproque [qui] est une condition inhérente de la coopération internationale »29. Cette condition est particulièrement importante dans le contexte de la convention, étant donné qu’il s’agit d’un instrument vis-à-vis duquel les États contractants « n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention »30.
14. Deuxièmement, l’allégation unilatérale et infondée qu’une situation constitue un génocide est abusive et contraire à la lettre et à l’esprit de la convention. Selon la Cour, il convient que les allégations qui concernent un manquement à l’obligation de prévenir et de punir le génocide « soi[en]t prouvée[s] avec un degré élevé de certitude, à la mesure de [leur] gravité »31. À moins qu’elles soient étayées par des preuves plausibles, émanant de sources indépendantes et impartiales, et qu’elles aient été vérifiées et corroborées en concertation avec les Parties, les organes de l’Organisation des Nations Unies et d’autres mécanismes internationaux, pareilles allégations sont abusives32. Étant donné la teneur de ces obligations, les parties contractantes à la convention sur le génocide s’appuient souvent sur les résultats d’enquêtes indépendantes33 et sur des informations
27 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, [p. 79,] par. 142.
28 Commission du droit international, Projet d’articles sur le droit des traités et commentaires, Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 211, projet d’article 23, commentaire 4) ; voir également R. Kolb, La bonne foi en droit international public (PUF, 2000), p. 284-285.
29 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. [268,] par. 46.
30 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951 (note 26), p. 23.
31 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (note 15), par. 210.
32 Ibid. par. 211.
33 Par exemple, la détermination unilatérale par les États-Unis d’un génocide allégué au Darfour était fondée sur les conclusions du projet de documentation des atrocités commises au Darfour (Darfur Atrocities Documentation Project, DADP), une enquête menée par des experts indépendants ; voir la déclaration prononcée devant la Commission des relations étrangères du Sénat par Colin Powell, « The Crisis in Darfur » (9 septembre 2004), accessible à l’adresse suivante : https://2001-2009.state.gov/secretary/former/powell/remarks/36042.htm.
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échangées par l’intermédiaire de mécanismes de coopération internationaux
34 et régionaux avant de qualifier une situation de génocide et de prendre quelque mesure que ce soit en application de l’article premier35. Les bonnes pratiques relatives à la mise en oeuvre de la convention privilégient la coopération dans le cadre des dispositifs internationaux en place et le renforcement de la collaboration entre eux36.
15. Troisièmement, la convention sur le génocide donne des orientations concernant les moyens licites que les parties contractantes peuvent utiliser pour prévenir et punir le génocide. Si « [l]’article premier ne précise pas quels types de mesures une partie contractante peut prendre pour s’acquitter de cette obligation »37, il n’en reste pas moins que « [l]es parties contractantes doivent … exécuter cette obligation de bonne foi, en tenant compte d’autres parties de la convention, en particulier ses articles VIII et IX, ainsi que son préambule »38. Les articles VIII et IX constituent « des modes de règlement des différends prévus par cet instrument. La Russie aurait bien évidemment pu y recourir, au lieu d’opter pour l’intervention militaire qu’elle a lancée le 24 février 2022 en Ukraine »39. La Lettonie est d’avis que les articles IV, VI, VII, VIII et IX fournissent un contexte pour l’interprétation de la teneur et de la portée des obligations de prévenir et de punir le génocide énoncées à l’article premier :
 Articles IV, VI et VII : les parties contractantes s’engagent à punir le génocide, quel que soit le statut personnel de ceux qui le commettent40. Si chaque partie contractante a un intérêt à ce que cette obligation soit respectée, la convention réserve un rôle particulier à l’État du territoire. En effet, l’obligation d’engager des poursuites à raison d’un génocide ou d’autres actes visés à l’article III est « expressément soumise à une limitation territoriale »41. Lorsque l’État du territoire n’a pas la volonté ou la capacité d’engager des poursuites, l’article VII prévoit l’obligation d’extrader42. Ainsi, toute partie contractante ayant des raisons de penser que tel est le cas de l’État du territoire peut engager des échanges bilatéraux avec celui-ci et lui demander l’extradition de criminels présumés. Il s’agit là « d’une composante essentielle des obligations conventionnelles en matière de coopération internationale »43.
 Article VI : une partie contractante peut s’acquitter de son obligation de poursuivre des auteurs présumés de génocide en saisissant un tribunal pénal national ou international44. Par exemple, la Cour pénale internationale (ci-après la « CPI ») est parfaitement qualifiée pour enquêter sur le
34 Par exemple, la Gambie a communiqué ses allégations au Myanmar avant d’entamer une procédure devant la Cour et s’est appuyée entre autres sur les rapports de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, [p. 13,] par. 28.
35 Nations Unies, rapport du Secrétaire général, Promouvoir la prévention des atrocités : travaux du Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger, 75e session, 3 mai 2021, doc. A/75/863-S/2021/424, par. 21-27.
36 Nations Unies, résolution 43/29 du Conseil des droits de l’homme, 43e session, 29 juin 2020, doc. A/HRC/RES/43/29, par. 10-11.
37 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 56.
38 Ibid., par. 56.
39 Ibid., opinion individuelle du juge Robinson, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220316-ord-01-04-fr.pdf, par. [28].
40 Convention sur le génocide (note 4), article IV.
41 Ibid., article VI ; voir également Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (note 15), [p. 120,] par. 184.
42 Convention sur le génocide (note 4), article VI.
43 B. Schiffbauer, « Article VII », in C. J. Tams, L. Berster, et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Beck/Hart/Nomos, 2014), p. 268.
44 Convention sur le génocide (note 4), article VI.
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crime de génocide, le poursuivre et le punir. Les États parties au Statut de Rome de la CPI peuvent déférer au procureur de la CPI une situation dans laquelle un génocide ou tout autre acte cité à l’article III aurait été commis
45. Même un État non partie au Statut de Rome peut reconnaître la compétence de la CPI pour juger des crimes particuliers, dont celui de génocide, qui se seraient produits sur son territoire46.  Article VIII : une partie contractante ayant des raisons de penser qu’un génocide ou tout autre acte cité à l’article III s’est produit ou risque de se produire peut faire appel aux organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin qu’ils prennent les mesures coercitives qu’ils jugent nécessaires
47. L’article VIII renvoie à un cadre général de coopération dans lequel les obligations de prévention et de répression peuvent être exécutées, et sert de point de référence quant aux moyens auxquels doivent recourir les États parties pour s’acquitter de ces obligations48. Il n’épuise pas l’obligation de prévenir le génocide49, et les parties contractantes peuvent s’acquitter de celles que leur impose l’article premier en entamant « des discussions bilatérales ou des échanges de vues dans le cadre d’une organisation régionale »50. L’article VIII permet toutefois de réduire considérablement le risque d’allégations abusives, puisque les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies seraient bien placés pour vérifier toutes les allégations et les corroborer de manière indépendante avant de prendre des mesures coercitives. Si l’article premier était interprété comme autorisant une partie contractante à qualifier une situation de génocide de manière unilatérale et abusive et à agir en conséquence, l’article VIII serait redondant (effet utile). Cela serait contraire au « principe bien établi d’interprétation des traités selon lequel il faut conférer aux mots un effet utile »51.
 Article IX : comme exposé dans la section précédente, une partie contractante peut, en vertu de l’article IX, soumettre à la Cour des différends relatifs à l’exécution ou à la non-exécution des obligations prévues par la convention, y compris celles énoncées à l’article premier52. La Cour est bien placée pour déterminer si un génocide ou tout autre acte visé à l’article III a été commis et elle a le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires. Par conséquent, une partie contractante qui sait ou a des raisons de soupçonner qu’un génocide ou tout autre acte visé à l’article III s’est produit ou est sur le point de se produire peut intenter une action en justice contre l’auteur présumé. Il importe de noter que, mise à part la condition habituelle de l’existence d’un différend, la convention sur le génocide ne prévoit pas de conditions procédurales préalables, telles que l’obligation de négocier ou celle d’avoir d’abord recours à un autre moyen de règlement dudit différend. Des considérations relatives à l’effet utile, semblables à celles
45 Statut de Rome de la Cour pénale internationale (adopté le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002), Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2187, p. 3, article 14, par. 1.
46 Ibid., article 12, par. 3.
47 Convention sur le génocide (note 4), article VIII.
48 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (note 15), opinion individuelle du juge Tomka, [p. 347,] par. 66 ; voir également L. Pezzano, « Rescatando una norma del olvido: el art. VIII de la Convención contra el genocidio y la responsabilidad de proteger », Revista española de derecho internacional (2021), vol. 73, p. 207, par. 215-225.
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (note 15), [p. 219,] par. 427.
50 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 57.
51 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), [p. 125,] par. 133 ; voir également Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, [p. 25,] par. 51 (et autres références).
52 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), [p. 616,] par. 32.
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exposées précédemment à propos de l’article VIII, s’appliquent également à l’interprétation de l’article premier à la lumière de l’article IX.
16. Les moyens de prévention et de répression du génocide décrits ci-dessus concordent avec « l’esprit et les fins des Nations Unies » et la nécessité d’une « coopération internationale », deux éléments qui sont expressément mentionnés dans le préambule de la convention53. À l’inverse, il serait incohérent avec l’objet de la convention de permettre à une partie contractante de formuler des allégations abusives de génocide et d’employer des moyens de prévention et de répression qui ne sont pas eux-mêmes compatibles avec l’esprit et les fins des Nations Unies. Enfin, l’interprétation ici défendue est confirmée par les travaux préparatoires de la convention54.
C. L’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux « différends » relatifs à l’emploi par ailleurs illicite de la force comme moyen de prévention et de répression du génocide
17. La Lettonie soutient que l’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux « différends » relatifs à l’emploi par ailleurs illicite de la force comme moyen de prévention et de répression du génocide. Elle avance quatre arguments à l’appui de cette interprétation : 1) la convention n’autorise pas un recours à la force qui serait par ailleurs illicite au regard du droit international applicable ; 2) les moyens d’exécuter l’obligation de prévention et de répression du génocide qui ne sont pas prévus par la convention ne peuvent inclure l’usage illicite de la force ; 3) la convention interdit le recours unilatéral, par ailleurs illicite, à la force comme moyen de prévention et de répression du génocide et 4) pour déterminer le contenu de la règle interdisant l’usage unilatéral illicite de la force comme moyen de prévention et de répression du génocide, il faut tenir compte des autres règles pertinentes du droit international.
18. Premièrement, la convention sur le génocide n’autorise pas un recours à la force qui serait par ailleurs illicite au regard du droit international applicable. Elle n’autorise pas expressément le recours à la force. Le silence du texte sur ce point contraste avec le niveau de détail des dispositions de la convention autorisant un comportement particulier des parties, par exemple en ce qui concerne le jugement des personnes accusées de génocide55, leur extradition56 et la soumission des différends à la Cour57. Aucune règle permettant de déroger à un principe de droit international aussi important que celui de l’interdiction du recours à la force n’est non plus implicite dans la convention58. La Cour a déclaré que « chaque État ne peut déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale » lorsqu’il s’acquitte de l’obligation de prévention du génocide que lui impose
53 Convention sur le génocide (note 4), préambule.
54 Voir Nations Unies, Conseil économique et social, Observations des gouvernements sur le projet de Convention préparé par le Secrétaire général et communications d’organisations non gouvernementales, 30 janvier 1948, doc. E/623 (déclaration du Venezuela) ; Nations Unies, compte rendu analytique du Conseil économique et social, 7e séance, 20 avril 1948, doc. E/AC.25/SR.7 (déclaration de la Pologne) ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session, Sixième Commission, comptes rendus analytiques des séances, 21 septembre-10 décembre 1948, en particulier doc. A/C.6/SR.96 (déclaration de l’Union des Républiques socialistes soviétiques) ; doc. A/C.6/SR.98 (déclaration de l’Union des Républiques socialistes soviétiques) ; doc. A/C.6/SR.109 (déclarations des États-Unis d’Amérique et de l’Uruguay).
55 Convention sur le génocide (note 4), article VI.
56 Ibid., article VII.
57 Ibid., article IX.
58 Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (États-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, [p. 42,] par. 50 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, [p. 182,] par. 41.
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la convention
59, ce qui est généralement reconnu comme signifiant que la convention n’autorise pas un recours par ailleurs illicite à la force60. La Lettonie souscrit à l’argument, avancé dans l’ordonnance, qu’« il est douteux que la convention, au vu de son objet et de son but, autorise l’emploi unilatéral de la force par une partie contractante sur le territoire d’un autre État, [à l’effet] de prévenir ou de punir un génocide allégué »61.
19. Deuxièmement, les moyens d’exécuter l’obligation de prévention et de répression du génocide non prévus par la convention ne peuvent inclure un recours à la force qui serait par ailleurs illicite au regard du droit international applicable62. Dans son ordonnance, la Cour fait observer que « [l]’article premier ne précise pas quels types de mesures une partie contractante peut prendre pour s’acquitter de cette obligation »63, et rappelle que la saisine des organes compétents de l’Organisation des Nations Unies64 et la soumission des différends à la Cour sont des mesures autorisées pour prévenir et punir le génocide65. Elle relève également qu’il existe « d’autres moyens [tels que] des discussions bilatérales ou des échanges de vues dans le cadre d’une organisation régionale »66. Pour la Lettonie, ces règles de la Charte des Nations Unies relatives aux moyens pacifiques de règlement des différends internationaux présentent un intérêt juridique pour l’interprétation de la convention conformément à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne67. Les principes d’efficacité et de bonne foi en matière d’interprétation des traités excluent que l’éventail de mesures innovantes et ambitieuses (pour l’époque) énoncées dans la convention et la Charte des Nations Unies soit complété par le recours illicite à la force.
20. Troisièmement, la convention n’autorise pas un recours par ailleurs illicite à la force comme moyen de prévention et de répression du génocide. La Lettonie souscrit pleinement à l’opinion que « l’article premier de la convention sur le génocide met la Russie dans l’obligation d’agir pour prévenir la commission d’un génocide, tout en l’astreignant à le faire dans les limites
59 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (note 15), [p. 221,] par. 430 ; ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 57.
60 C. J. Tams, L. Berster et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Beck/Hart/Nomos, 2014), p. 51 ; A. de Hoogh, « Jus Cogens and the Use of Armed Force », in M. Weller (sous la dir. de.), The Oxford Handbook on the Use of Force in International Law (OUP, 2015), p. 1161, 1185 (« absence de justification du recours à la force armée dans la convention sur le génocide ») ; R. O’Keefe, International Criminal Law (OUP, 2015), p. 344-345 ; G. Mettraux, International Crimes: Law and Practice, vol. I: Genocide (OUP, 2019), p. 96 (« le devoir de prévention [du génocide] ne vise pas à prévoir une exception aux … principes généraux régissant le recours licite à la force »).
61 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 59.
62 S’il est manqué à cette obligation, les États peuvent s’appuyer sur les règles coutumières secondaires applicables pour faire en sorte que la responsabilité de l’État soit mise en oeuvre ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020 (note 34), [p. 17,] par. 41 ; Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, Deuxième partie, Nations Unies, doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), p. 30-31, articles 48-54. Ces règles n’autorisent pas non plus le recours par ailleurs illicite à la force, ibid., article 50, par. 1 a).
63 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 56.
64 Convention sur le génocide (note 4), article VIII.
65 Ibid., article IX.
66 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 57.
67 Ibid., par. 58 ; Charte des Nations Unies (adoptée le 26 juin 1945, entrée en vigueur le 24 octobre 1945), Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1, articles 1 et 33, par. 1 ; voir également Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, [p. 31,] par. 53 (« tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu »).
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fixées par la légalité internationale »
68. L’équilibre atteint dans la convention entre les moyens de prévention et les moyens de répression du génocide, exposé ci-dessus, est cohérent avec une interdiction incontestable des autres moyens contraires à l’esprit et aux fins de la Charte des Nations Unies (consistant notamment à « réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix »69). Cette interprétation repose sur le sens ordinaire de l’article premier (« le génocide … est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ») qui, lorsqu’il est interprété de bonne foi, suppose l’interdiction du « crime international suprême »70 comme moyen de mettre en oeuvre la convention71. Elle s’appuie également sur l’interprétation des « mesures [qu’]une partie contractante peut prendre pour s’acquitter de cette obligation », prévue à l’article premier72, conformément aux règles pertinentes du droit international relatif à l’emploi de la force73 relevant du jus cogens74. L’interprétation avancée n’est pas infirmée par le fait que la Cour a rejeté des arguments relatifs aux règles extérieures aux traités qu’elle avait à interpréter, en des circonstances très différentes où ces règles étaient « sans rapport avec l’objet et le but déclarés »75 ou « tout simplement étrangère[s] aux préoccupations sous-jacentes à la rédaction » des traités en question76. La convention sur le génocide se distingue de ces derniers en ce que les règles et institutions qui en découlent et la finalité qu’elle poursuit sont intimement liées à la réglementation internationale moderne de l’emploi de la force, tant en principe qu’en pratique. Par conséquent, la compétence que l’article IX de la convention confère à la Cour autorise celle-ci, en tant que de besoin, à déterminer si une action présentée comme visant à prévenir ou à punir le crime de génocide constituait ou non un usage illicite de la force77.
21. Quatrièmement, pour déterminer la portée de la règle interdisant l’usage unilatéral illicite de la force comme moyen de prévention et de répression du génocide, il faut tenir compte des autres règles pertinentes du droit international. Conformément à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne, la question de savoir si une action présentée comme visant à prévenir ou à punir un génocide constituait ou non un recours illicite à la force doit être tranchée au regard du droit international applicable en la matière, à savoir les dispositions de la Charte des Nations Unies
68 Ordonnance sur les mesures conservatoires, opinion individuelle du juge Robinson (note 39), par. 27 (les italiques sont dans l’original).
69 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 58.
70 Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, [14 novembre 1945]-1er octobre 1946, jugement, reproduit dans A.J.I.L., vol. 41 (1947), p. 172, 186.
71 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (note 15), par. 163.
72 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), [p. 111,] par. 56.
73 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003 (note 58), [p. 182-183,] par. 41-42.
74 Nations Unies, rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-treizième session, 2022, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-treizième session, Supplément no 10, A/77/10, p. 16.
75 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I) (note 14), [p. 322,] par. 95.
76 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I) (note 14), par. 65 et 58 (« ces dispositions indique[nt] nettement que l’article IV vise à garantir certains droits et protections minimales au bénéfice des personnes physiques ou morales qui se livrent à des activités de nature commerciale. On ne saurait donc l’interpréter comme incorporant par référence les règles coutumières relatives aux immunités souveraines. »)
77 Pour paraphraser la Cour dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique) (note 58), [p. 182,] par. 42.
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et du droit international coutumier relatif au recours à la force
78. La Lettonie propose ainsi une interprétation conforme à l’approche suivie dans l’ordonnance79, qu’elle considère comme juste.
III. CONCLUSION
22. L’interprétation que la Lettonie donne de la convention sur le génocide s’articule autour de trois points. Premièrement, l’article IX de cet instrument est formulé dans des termes généraux recouvrant les « différends » relatifs à « l’exécution » des obligations prévues par la convention et s’applique à ce qui a été qualifié de « revendications de non-violation ». Deuxièmement, cet article s’applique aux « différends » relatifs à l’interdiction des allégations abusives de génocide établie par d’autres dispositions de la convention. Troisièmement, il s’applique aux « différends » relatifs à l’usage, par ailleurs illicite, de la force comme moyen de prévenir et de punir le génocide au titre d’autres dispositions de cet instrument.
Respectueusement,
L’agente de la République de Lettonie,
(Signé) Kristīne LĪCE.
___________
78 Pour paraphraser encore une fois la Cour dans ibid.
79 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 12), par. 58.

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Observations écrites de la Lettonie sur l’objet de son intervention

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