Observations écrites de l'Italie sur l’objet de son intervention

Document Number
182-20230705-WRI-02-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU GOUVERNEMENT DE L’ITALIE SUR L’ARTICLE IX
ET D’AUTRES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION
ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE PERTINENTES
AUX FINS DE LA DÉTERMINATION DE LA COMPÉTENCE
DE LA COUR
(PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 86
DU RÈGLEMENT DE LA COUR)
28 juin 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
Introduction ..................................................................................................................................... 3
I. Principes d’interprétation des traités .......................................................................................... 4
II. Dispositions de la convention qui sont en cause en l’espèce ...................................................... 6
A. L’article IX .............................................................................................................................. 6
1. La notion de « différend » .................................................................................................... 7
2. Ce que l’on entend par « l’interprétation, l’application ou l’exécution » ............................ 8
3. Ce que l’on entend par « la présente Convention » ........................................................... 10
4. Ce que l’on entend par « une partie » ................................................................................ 11
5. Conclusion ......................................................................................................................... 12
B. Autres dispositions de la convention qui sont pertinentes aux fins de l’appréciation de
la compétence de la Cour ....................................................................................................... 12
III. Conclusion ................................................................................................................................ 16
INTRODUCTION
1. Le 15 septembre 2022, l’Italie a déposé une déclaration d’intervention en l’affaire relative
à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), conformément au paragraphe 2 de l’article 63 du
Statut de la Cour.
2. Les présentes observations écrites sont soumises sur le fondement de l’ordonnance du 5 juin
2023 (ci-après l’« ordonnance »), dans laquelle la Cour a décidé que la déclaration d’intervention de
l’Italie, entre autres, était recevable. La Cour a également fixé au 5 juillet 2023 la date d’expiration
du délai pour le dépôt des observations écrites visées au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement
de la Cour.
3. Conformément aux instructions de la Cour, les présentes observations écrites expriment les
vues de l’Italie concernant
« l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide pertinentes aux fins de la détermination
de la compétence de la Cour »1.
4. Ainsi qu’elle l’a indiqué dans sa déclaration d’intervention2 et précisé dans ses observations
écrites sur la recevabilité de son intervention (ci-après les « observations écrites sur la recevabilité »),
l’Italie estime que, pour interpréter correctement l’article IX, il est nécessaire de se référer aux
dispositions de fond de la convention, en particulier ses articles premier à III, et ce, quelle que soit
l’affaire3.
5. Dans sa déclaration d’intervention, l’Italie a résumé sa position quant à l’interprétation des
articles premier à III de la convention en ces termes :
« Pour les motifs détaillés plus haut, l’Italie est d’avis que :
a) Le libellé de l’article IX de la convention sur le génocide indique que cet article
concerne les questions de violation des dispositions de la convention ainsi que les
demandes portant sur une non-violation.
b) L’article premier de la convention, lu conjointement avec les articles II et III, exige
que les Parties contractantes étayent toute allégation de violation de la convention
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023 (ci-après l’« ordonnance »),
par. 102 1).
2 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention déposée par le gouvernement de l’Italie en date du
15 septembre 2022 (ci-après la « déclaration d’intervention de l’Italie »), par. 42-52.
3 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), observations écrites de l’Italie sur la recevabilité de la déclaration d’intervention
déposée par le gouvernement de l’Italie, 13 février 2023 (ci-après les « observations écrites de l’Italie sur la recevabilité »),
par. 46.
- 4 -
au moyen d’éléments de preuve “ayant pleine force probante” avant d’adopter toute
mesure visant à prévenir ou à réprimer des actes de génocide. »4
6. Dans les présentes observations écrites, l’Italie étayera encore et précisera l’interprétation
énoncée ci-dessus, et ce, en trois temps. Elle formulera d’abord quelques observations liminaires
concernant les principes de base qui régissent l’interprétation des traités (première partie –
Principes d’interprétation). Elle exposera ensuite l’interprétation qu’elle donne, en application de
ces principes, des dispositions pertinentes de la convention (deuxième partie – Dispositions de la
convention qui sont en cause en l’espèce). Elle livrera enfin quelques remarques conclusives
(troisième partie – Conclusion).
I. PRINCIPES D’INTERPRÉTATION DES TRAITÉS
7. L’interprétation de la convention est régie par les principes généraux d’interprétation des
traités codifiés aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités (ciaprès
la « convention de Vienne »)5.
8. Selon l’article 31, « [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à
attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but »6. Le
contexte inclut le texte du traité dans son ensemble, y compris son préambule et ses annexes7.
9. Il ressort de cette même disposition, ainsi que du contexte dans lequel elle s’inscrit, que
l’interprétation d’un traité doit également tenir compte de « toute règle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties », et notamment des règles du droit
coutumier de la responsabilité internationale des États.
10. L’« objet et [le] but » d’un traité, quant à eux, se dégagent généralement d’un examen des
fins de celui-ci, telles qu’elles peuvent être reflétées en son préambule, par exemple8. S’agissant de
l’objet et du but de la convention sur le génocide, la Cour, dans l’un de ses premiers avis consultatifs,
s’est prononcée en ces termes :
« La Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut
degré ce double caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même
de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de
morale les plus élémentaires. »9
11. Ainsi que la Cour l’a rappelé dans toutes les affaires concernant la convention sur le
génocide qu’elle a ultérieurement eu à trancher, « les principes de morale les plus élémentaires » font
4 Déclaration d’intervention de l’Italie, par. 53.
5 Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. [69], par. 48.
6 Convention de Vienne, art. 31.
7 Convention de Vienne, art. 31, par. 2.
8 Voir, entre autres, Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt du
30 mars 2023 [fond], par. 214.
9 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
- 5 -
partie intégrante de l’objet et du but de cet instrument10. Les deux Parties au différend ont elles aussi
repris à leur compte le passage ci-dessus11.
12. En conséquence, et conformément au droit international général, tel que codifié à
l’article 31 de la convention de Vienne, l’Italie estime que toute disposition de la convention doit
être interprétée au regard des « principes de morale les plus élémentaires » qui sous-tendent cet
instrument.
13. Compte tenu des principes d’interprétation des traités dont il vient d’être fait mention, tels
que la Cour les a appliqués relativement à la convention dans son ensemble, il convient, lorsque l’on
interprète l’article IX, de considérer le sens ordinaire de son libellé dans le contexte de l’ensemble
des autres dispositions de la convention, y compris les dispositions de fond qui définissent l’acte de
génocide, et à la lumière de l’objet et du but de cet instrument.
14. En même temps, en matière d’interprétation des traités, il faut aussi tenir dûment compte
de l’importance primordiale que revêt le principe de bonne foi, lequel constitue, comme l’a souligné
la Cour, « [l]’un des principes de base qui président à la création et à l’exécution d’obligations
juridiques »12.
15. La bonne foi ne pouvant à elle seule fonder une demande, mais devant être invoquée en
relation avec une disposition précise d’un traité, il s’ensuit qu’interpréter ou appliquer d’une manière
contraire à la bonne foi une disposition donnée revient à méconnaître cette disposition.
16. Cela est particulièrement pertinent dans le cas de la convention sur le génocide, puisque,
comme il a été évoqué ci-dessus13, celle-ci poursuit un but essentiel, consistant « à confirmer et à
sanctionner les principes de morale les plus élémentaires » et à civiliser la société internationale14.
10 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [111], par. 161 ; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. [47], par. 87 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), Exceptions préliminaires, arrêt
du 22 juillet 2022, par. 113.
11 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 1er octobre 2022 (ciaprès
les « exceptions préliminaires de la Fédération de Russie »), par. 186-187 ; Allégations de génocide au titre de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), exposé écrit des
observations et conclusions de l’Ukraine sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 3 février
2023 (ci-après les « observations de l’Ukraine »), par. 115.
12 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. [105], par. 94, citant l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. [473], par. 49. Voir également Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. [418], par. 60 ; Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. [297], par. 39 ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. [67], par. 145.
13 Voir supra, par. 0.
14 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
- 6 -
17. Ainsi que l’a fait observer la Cour, le principe de bonne foi oblige les parties contractantes
à « appliquer [un traité] de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint »15.
L’interprétation et l’application de bonne foi du droit international sont essentielles pour établir « la
confiance réciproque [qui] est une condition inhérente de la coopération internationale »16.
18. La bonne foi sert donc de rempart contre toute interprétation abusive d’une convention
déterminée17. Ainsi qu’il a été dit dans la sentence rendue en 1986 dans l’affaire concernant le
Filetage à l’intérieur du golfe du Saint-Laurent entre le Canada et la France,
« le principe de bonne foi…, selon l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit
des traités, préside nécessairement à l’exécution des traités, comme formant une
garantie suffisante contre tout risque d’exercice abusif de … droits [qui en
découlent] »18.
19. Compte tenu de ce qui précède, l’Italie soutient que toute interprétation d’une disposition
de la convention qui est contraire à la bonne foi ou qui est invoquée pour justifier un abus de droit
constitue, en soi, une violation de la convention, et que tout différend qui en découle relève
directement de l’article IX.
II. DISPOSITIONS DE LA CONVENTION QUI SONT EN CAUSE EN L’ESPÈCE
20. Conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 5 juin 2023, l’Italie exposera dans la
présente section son interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le
génocide pertinentes aux fins de la détermination de la compétence de la Cour19. Elle traitera d’abord
de l’interprétation de l’article IX d’une manière générale (sous-section A) ; elle examinera ensuite
l’interprétation des seules dispositions des articles premier à III qui sont pertinentes, à ce stade, pour
interpréter correctement l’article IX et qui, partant, sont nécessaires pour déterminer la compétence
de la Cour (section B).
A. L’article IX
21. L’article IX de la convention sur le génocide est ainsi libellé :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend. »
15 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
16 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. [268, par. 46].
17 R. Kolb, La bonne foi en droit international public (PUF, 2000), p. 439-442.
18 Affaire concernant le filetage à l’intérieur du golfe du Saint-Laurent entre le Canada et la France, sentence du
17 juillet 1986, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XIX, p. 2[42]25, par. 27 (les italiques sont de nous).
19 Ordonnance, point 1) du dispositif.
- 7 -
22. Ainsi que la Cour l’a fait observer, le libellé de l’article IX, en particulier la référence qui
y est faite aux différends relatifs à « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention,
est « unique si on l[e] compare aux clauses compromissoires d’autres traités multilatéraux »20.
23. En effet, « l’ajout du terme “exécution” dans la disposition prévoyant la compétence de la
Cour à l’égard des différends relatifs à l’“interprétation” et à l’“application” de la Convention »
élargit nettement l’éventail des différends susceptibles de relever de la compétence que cette clause
compromissoire confère à la Cour21.
24. Tout en ayant parfaitement conscience qu’il n’appartient pas à un État intervenant au titre
de l’article 63 du Statut de présenter des arguments et des éléments de fait au soutien de l’existence
d’un différend particulier, l’Italie estime qu’elle peut légitimement avancer des arguments d’ordre
général quant à l’interprétation des dispositions en cause.
25. En ce qui concerne l’article IX, l’Italie examinera quatre éléments distincts de cette
disposition, à savoir les termes « différend » (sous-section 1), « l’interprétation, l’application ou
l’exécution » (sous-section 2), « la présente Convention » (sous-section 3) et « une partie » (soussection
4). Elle exposera ensuite, de manière succincte, ses conclusions sur l’interprétation de
l’article IX (sous-section 5).
1. La notion de « différend »
26. Selon une jurisprudence internationale constante, un différend est « un désaccord sur un
point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre
les parties22. Ainsi, pour prouver qu’un différend existe de sorte à fonder la compétence, « [i]l faut
démontrer que la réclamation de l’une des parties se heure à l’opposition manifeste de l’autre »23 et
que « leurs points de vue quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations
internationales sont nettement opposés »24.
27. En outre, selon un principe établi par la Cour et généralement reconnu, il n’est pas
nécessaire, pour qu’un différend existe, qu’un État invoque un traité particulier ou ses dispositions
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5.
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [114], par. 168.
22 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
23 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
24 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. [414],
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. [26], par. 50, où est citée la demande d’avis
consultatif sur l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
- 8 -
dans des termes qu’un autre État conteste. Il suffit que le défendeur sache que le demandeur lui
impute un comportement constitutif d’un manquement à ses obligations internationales25.
28. L’Italie soutient que l’article IX confère à la Cour compétence à l’égard de toute situation
dans laquelle des parties à la convention sur le génocide ont des points de vue nettement opposés sur
un point de droit ou de fait ayant trait à « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la
convention, quand bien même le demandeur n’aurait pas expressément mentionné une disposition
particulière de cet instrument.
2. Ce que l’on entend par « l’interprétation, l’application ou l’exécution »
29. Le terme « interprétation » est clairement défini comme « le processus consistant à
déterminer le sens véritable d’un document écrit »26 ou à « déterminer la signification d’une
disposition »27. Ainsi que Sir Arnold McNair, ancien juge et président de la Cour, l’a formulé en des
termes qui font autorité, le but de l’interprétation des traités est de « donner effet à l’intention des
parties, telle qu’elle s’exprime dans les termes employés par elles à la lumière des circonstances
contemporaines »28. Comme indiqué précédemment, cette analyse de la fonction interprétative en
droit international est conforme aux règles énoncées aux articles 31 et 32 de la convention de
Vienne29.
30. Le terme « application » est lui aussi bien défini. Ainsi que l’a fait observer le juge Ehrlich,
« l’application consiste à faire naître les conséquences qui, selon une disposition, doivent découler
d’un fait ». La Cour permanente de Justice internationale a précisé que les divergences relatives à
l’application d’une disposition déterminée
« comprennent non seulement celles qui ont trait à la question de savoir si 1’application
de clauses déterminées est ou non exacte, mais aussi celles qui portent sur l’applicabilité
desdits articles, c’est-à-dire sur tout acte ou toute omission créant un état de choses
contraire à ces articles »30.
31. Enfin, on peut fort bien considérer que, selon son sens ordinaire, le terme « exécution »
figurant à l’article IX désigne « le fait de satisfaire à une exigence ou à une condition, ou de répondre
à un besoin » ou « l’accomplissement d’un devoir ou d’un rôle conformément à ce qui est exigé,
promis ou attendu »31. Il est donc clair que le terme « exécution » a une signification plus large que
le terme « application ».
25 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83 ; Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. [84], par. 30.
26 J. Law, A Dictionary of Law (OUP, 2018), définition du terme anglais « interpretation ».
27 Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, opinion dissidente du juge Ehrlich, p. 39.
28 A. D. McNair, The Law of Treaties (OUP, 1961), p. 365.
29 Voir ci-dessus, par. 7-12.
30 Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 20-21.
31 A. Stevenson, Oxford Dictionary of English (3e éd., OUP, 2015), définition du terme anglais « fulfilment ». Voir
également C. Tams, « Article IX » in C. Tams, L. Berster et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention on Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide: A Commentary (Hart-Nomos, 2014) p. 313, par. 45).
- 9 -
32. Cette interprétation est corroborée par les travaux préparatoires de la convention. En
particulier, dans son exposé en faveur de l’amendement commun proposé par les délégations de la
Belgique et du Royaume-Uni, qui visait à ajouter le terme « exécution » à la formule
« l’interprétation et l’application »32, le représentant de l’Inde a fait observer que
« le terme “application” comprend l’examen des conditions dans lesquelles la
convention doit ou non s’appliquer, tandis que le terme “exécution” répond à la question
de savoir si une partie satisfait ou non aux dispositions de la convention. Le terme
“exécution” a donc une portée beaucoup plus large. »33
33. Sur la base de cette analyse, la proposition tendant à supprimer le terme « exécution » à
l’article IX a été mise aux voix et rejetée34, ce qui montre que le courant dominant parmi les États
ayant pris part à la négociation tendait à favoriser une conception extensive de la compétence que la
Cour tire de l’article IX de la convention. Comme l’a souligné la doctrine,
« la raison justifiant l’insertion des trois termes alternatifs, ainsi qu’il a été fait dans la
convention sur le génocide, était de donner la couverture la plus complète possible à la
clause compromissoire. Il s’agissait ainsi de combler toutes les failles susceptibles de
réduire l’étendue de la compétence de la Cour. Le but poursuivi en 1948 était de conférer
à la Cour la compétence la plus large possible dans le cadre du régime de la convention,
en prévenant tous les arguments subtils qui pourraient être avancés pour la priver de sa
compétence en raison d’un lien insuffisant avec cet instrument. »35
34. Cette conception particulièrement large de la compétence conférée par l’article IX est
encore confirmée par le libellé de la deuxième partie de cette disposition, selon laquelle la notion de
différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution comprend « ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III ». Ainsi que la Cour l’a souligné,
« [l]a particularité de l’article IX réside dans le membre de phrase “y compris [les
différends] relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III”. L’expression “y compris” semble
confirmer que les différends relatifs à la responsabilité des parties contractantes pour
génocide ou tout autre acte énuméré à l’article III s’inscrivent dans un ensemble plus
large de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la
Convention. »36
35. L’Italie considère, en conséquence, que la juste interprétation de l’article IX veut que la
Cour ait compétence à l’égard de toute situation dans laquelle des parties à la convention ont des
points de vue nettement opposés sur le sens propre des dispositions de cet instrument, ou sur les
32 Nations Unies, doc. A/C.6/SR.103, reproduit dans H. Abtahi et P. Webb (sous la dir. de), The Genocide
Convention, The Travaux Préparatoires, vol. 2 (Brill-Nijhoff, 2008), p. 1765.
33 Ibid., p. 1771.
34 Nations Unies, doc. A/C.6/SR.103, reproduit dans H. Abtahi et P. Webb (note 32), p. 1784.
35 R. Kolb, « The Scope Ratione Materiae of the Compulsory Jurisdiction of the Court », in P. Gaeta (sous la dir.
de), The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP, 2009), p. 453.
36 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [114], par. 169 (les italiques sont de nous).
- 10 -
conséquences juridiques du comportement d’une partie vis-à-vis des obligations découlant de la
convention, et suppose également la prise en considération d’autres règles du droit international.
3. Ce que l’on entend par « la présente Convention »
36. L’Italie a bien conscience que la Cour a déjà établi dans sa jurisprudence que sa
compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide est « limitée aux obligations
imposées par la Convention elle-même »37. Elle reconnaît, plus précisément, que l’article IX ne peut
être interprété comme conférant compétence à la Cour pour connaître de violations de règles de droit
international autres que celles énoncées par la convention, et en particulier de violations des droits
de l’homme et du droit humanitaire38.
37. L’Italie rappelle toutefois que la Cour a souligné que, pour s’acquitter des obligations que
leur fait la convention sur le génocide, les parties contractantes ne peuvent déployer leur action que
dans les limites de ce que leur permet la légalité internationale39. Cela découle, notamment, de la
règle générale d’interprétation énoncée à l’alinéa c) du paragraphe 3) de l’article 31 de la convention
de Vienne, selon laquelle l’interprétation d’un traité impose de tenir compte, en même temps que du
contexte, de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les
parties ».
38. À cet égard, s’agissant tout particulièrement de la convention sur le génocide, la Cour a
souligné que « [l]es actes entrepris par les parties contractantes pour “prévenir et ... punir” un
génocide doivent être conformes à l’esprit et aux buts des Nations Unies »40.
39. Dans le cas d’espèce, la Cour a également fait observer, à ce même sujet, que
« [l]es déclarations émanant des organes de l’État et de hauts responsables des deux
Parties indiquent l’existence entre elles d’une divergence de vues sur la question de
savoir si certains actes qui auraient été commis par l’Ukraine dans les régions de
Donetsk et de Louhansk sont constitutifs de génocide et emportent donc violation des
obligations incombant à cet État au titre de la convention sur le génocide, et si l’emploi
de la force par la Fédération de Russie dans le but affiché de prévenir et de punir un
prétendu génocide est une mesure qui peut être prise en exécution de l’obligation de
prévenir et de punir énoncée à l’article premier de la convention »41.
40. À la lumière de ce qui précède, l’Italie soutient que — ainsi qu’il en est de tout traité
international, et tout particulièrement de la convention en cause en l’espèce, étant donné la nature
erga omnes des obligations qui en découlent — l’article IX doit être interprété comme il se doit, dans
le strict respect du principe d’interprétation de bonne foi.
37 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (I), p. [47], par. 88.
38 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [104], par. 147-148.
39 Ibid., p. [221], par. 430 ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022 (ci-après
l’« ordonnance en indication de mesures conservatoires »), par. 57.
40 Ordonnance en indication de mesures conservatoires, par. 58.
41 Ibid., par. 45 (les italiques sont de nous).
- 11 -
41. Il apparaît ainsi incontestable que l’article IX confère à la Cour compétence pour connaître
d’un différend relatif aux actes qu’un État partie commet contre un autre État Partie en se réclamant
de la convention, dès lors que les actes en question sont fondés sur des allégations de génocide dont
ce dernier conteste le bien-fondé.
42. Au vu de la jurisprudence de la Cour, l’Italie est d’avis que les actes litigieux à l’égard
desquels la Cour est habilitée à interpréter la convention peuvent inclure des actes unilatéraux qui
auraient été commis en violation des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies sous le
prétexte de prévenir ou de punir un prétendu génocide.
4. Ce que l’on entend par « une partie »
43. L’article IX prévoit que la Cour peut être saisie « à la requête d’une Partie au différend »
(les italiques sont de nous). Cette formulation générale donne le droit d’ester (locus standi) au plus
grand nombre d’États parties possible. Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt sur les exceptions
préliminaires qu’elle a rendu en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar) :
« l’indication, à l’article IX, que les différends doivent être soumis à la Cour “à la
requête d’une Partie au différend”, et non de toute partie contractante, ne limite pas la
catégorie des parties contractantes autorisées à intenter une action à raison de violations
alléguées d’obligations erga omnes partes découlant de la convention. Ce membre de
phrase précise que seule une partie au différend peut porter celui-ci devant la Cour, mais
n’impose en aucun cas qu’un tel différend oppose un État partie qui aurait violé la
convention à un État “spécialement atteint” par la violation alléguée. ... Il s’ensuit que
tout État partie à la convention sur le génocide peut invoquer la responsabilité d’un autre
État partie, notamment par l’introduction d’une instance devant la Cour, en vue de faire
constater le manquement allégué de ce dernier à des obligations erga omnes partes lui
incombant au titre de la convention et d’y mettre fin. »42
44. Comme elle l’avait indiqué dans sa déclaration d’intervention43, l’Italie déduit de la
référence faite, de manière large, à « une Partie au différend », ainsi que de la nature particulière de
l’objet et du but de la convention, combinée au principe de bonne foi, que la juste interprétation de
l’article IX veut que la Cour ait également compétence à l’égard de différends portant sur des
« recours en constatation de respect a contrario » ou des « revendications de non-violation ».
Autrement dit, l’article IX confère à tout État partie accusé par un autre État partie d’avoir commis
des violations de la convention le droit de saisir l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies afin de réfuter ces accusations et d’obtenir la constatation judiciaire du respect de la
convention.
45. Cette conclusion est étayée par la jurisprudence de la Cour. Dans l’affaire relative aux
Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique),
dans laquelle la demanderesse avait saisi la Cour à l’effet que celle-ci déclare que son comportement
était « conforme au régime économique applicable au Maroc selon les conventions qui li[ai]ent la
France et les États-Unis »44, ni la Cour ni même le défendeur n’ont vu d’inconvénient à ce qu’une
42 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 111-112.
43 Déclaration d’intervention de l’Italie, par. 38.
44 Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1952, p. 182.
- 12 -
revendication de non-violation soit formulée45. Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire relative
aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de
l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), la Cour s’est
déclarée compétente pour statuer sur la requête de la Libye, qui soutenait avoir satisfait pleinement
aux obligations que lui imposait la convention de Montréal46.
46. Il ressort clairement de ce qui précède que la juste interprétation de l’article IX de la
convention veut que la Cour ait compétence pour connaître de demandes relatives à la conformité du
comportement du demandeur à la convention, lorsque cette conformité est contestée par le défendeur.
47. Une interprétation différente du terme « une Partie » figurant à l’article IX de la convention
pourrait inciter les États parties à user d’allégations abusives de génocide pour tenter de justifier un
comportement contraire au droit international, sans que la partie visée par ces allégations ait la
possibilité de les réfuter devant la Cour.
5. Conclusion
48. Au vu de ce qui précède, l’Italie est d’avis que le terme « différend[] … relatif[] à
l’interprétation, l’application ou l’exécution » figurant à l’article IX de la convention englobe
clairement tout différend dans lequel une partie à la convention conteste les allégations d’une autre
partie qui lui impute la responsabilité d’actes de génocide ou d’un manquement à l’obligation de
prévenir ou de réprimer de tels actes.
B. Autres dispositions de la convention qui sont pertinentes aux fins
de l’appréciation de la compétence de la Cour
49. Comme exposé précédemment, et ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, pour
qu’un différend relève du champ de l’article IX de la convention, les points de vue nettement opposés
des parties doivent nécessairement concerner des questions liées au respect d’une ou plusieurs autres
règles de fond énoncées par la convention47.
50. Il suffit de rappeler que, lorsqu’elle a statué sur les demandes en indication de mesures
conservatoires présentées dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, la Cour a
souligné qu’il lui incombait de
« rechercher si les violations de la convention alléguées par la Yougoslavie sont
susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite, le différend
est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae par
application de l’article IX »48.
45 Ibid., p. 182-184.
46 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 11[9], [p. 135], par. 53.
47 Voir ci-dessus, par. 0-Erreur ! Source du renvoi introuvable..
48 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p 1[37], par. 38.
- 13 -
51. Selon l’Italie, l’interprétation des articles premier à III est également pertinente en la
présente espèce pour apprécier correctement la compétence que la Cour tire de l’article IX, puisque
ce sont les principales dispositions sur l’interprétation, l’application ou l’exécution desquelles
l’Ukraine et la Fédération de Russie ont des vues opposées.
52. Ainsi que l’a souligné la juge Higgins dans l’opinion individuelle qu’elle a jointe à l’arrêt
sur les exceptions préliminaires rendu en 1996 en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République
islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), le seul moyen pour la Cour d’établir si les faits litigieux
portés devant elle entrent dans les prévisions d’une convention déterminée et, partant, si elle peut
avoir compétence ratione materiae pour en connaître, consiste « à accepter provisoirement que les
faits allégués … sont vrais »49. À un stade ultérieur de la procédure en cette même affaire, la
juge Higgins, commentant favorablement l’arrêt sur les exceptions préliminaires, a ajouté que, pour
savoir si une question donnée relève de sa compétence, la Cour détermine
« si les faits allégués par le demandeur peuvent s’appliquer à une violation d’une
disposition déterminée (quant à savoir si les faits sont avérés, s’ils constituent vraiment
une violation et s’il existe un moyen de défense, il s’agit là de questions qui relèvent du
fond) »50.
53. À la lumière des considérations qui précèdent, l’Italie exposera maintenant son
interprétation des articles premier à III, en se limitant à ce qui est nécessaire pour démontrer que tout
comportement comparable à celui dont la Cour est saisie entre dans leurs prévisions et, partant, dans
la compétence conférée à la Cour par l’article IX de la convention. Elle se réserve ainsi le droit, si
nécessaire, d’expliciter au stade du fond son interprétation des articles premier à III en tant que tels.
54. Les articles premier à III de la convention sont libellés comme suit :
« Article premier
Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps
de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à
prévenir et à punir.
Article II
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes
ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle ;
49 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), opinion individuelle de la juge Higgins, p. 8[56], par. 32.
50 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle,
ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, opinion individuelle de la juge Higgins, p. 219.
- 14 -
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Article III
Seront punis les actes suivants :
a) Le génocide ;
b) L’entente en vue de commettre le génocide ;
c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
d) La tentative de génocide ;
e) La complicité dans le génocide. »
55. La principale obligation prévue à l’article premier de la convention sur le génocide est
celle de prévenir et de punir ce crime. Ainsi que la Cour l’a relevé au sujet de la convention dans
l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), « l’obligation dont
il s’agit est une obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on ne saurait imposer
à un État quelconque l’obligation de parvenir à empêcher » la commission d’un génocide51.
Autrement dit, cette obligation de prévention a le caractère d’une obligation de diligence requise, de
sorte que la responsabilité d’un État ne saurait être engagée que si celui-ci « a manqué manifestement
de mettre en oeuvre les mesures de prévention du génocide qui étaient à sa portée »52.
56. L’Italie souhaite rappeler que la Cour a fait observer, et c’est important, que l’interprétation
et l’application de cette obligation de prévention « doivent être conformes à l’esprit et aux buts des
Nations Unies »53.
57. Pour ce qui est de l’obligation de « punir » énoncée à l’article premier de la convention,
l’Italie avance qu’elle se limite à des mesures punitives à caractère pénal prises contre des individus,
à l’exclusion d’autres types de mesures, notamment des mesures coercitives ou militaires destinées
à « punir » un État ou un peuple. Cette interprétation conforme à la jurisprudence de la Cour54 et aux
opinions des publicistes55 est confirmée par une lecture contextuelle conjointe de l’article premier et
des articles IV à VI de la convention sur le génocide, ainsi que par une interprétation systémique de
cet instrument et de la Charte des Nations Unies.
58. Selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation d’exercer la diligence requise aux fins de la
prévention du génocide exige que chaque État partie, avant de prendre des mesures en application de
51 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [221], par. 430.
52 Ibid.
53 Ordonnance en indication de mesures conservatoires, par. 58.
54 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [226-229], par. 439-450.
55 C. Tams, « Article I » in C. Tams, L. Berster et B. Schiffbauer (note 31), p. 33 et 43-45.
- 15 -
l’article premier de la convention, apprécie si un génocide est en cours ou s’il existe un risque grave
qu’un génocide soit commis56.
59. S’agissant de l’article II, il ressort clairement du sens ordinaire de son libellé que, pour
qu’un comportement déterminé ou un ensemble de comportements constitue un « génocide », il doit
relever de l’une des catégories énumérées dans cette disposition et procéder d’une « intention
génocidaire », laquelle est définie comme « l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux »57.
60. L’intention génocidaire constitue la composante propre du génocide, qui distingue celuici
d’autres violations des droits de l’homme. L’Italie affirme par conséquent que, ainsi qu’il ressort
de la jurisprudence de la Cour, la notion de génocide peut être interprétée comme s’appliquant en
présence de victimes civiles dans un conflit armé international ou non international, dès lors que
l’intention génocidaire est établie58.
61. Toute allégation de génocide constituant, comme la Cour l’a souligné, une « accusation[]
d’une exceptionnelle gravité »59, elle exige un niveau de preuve caractérisé par « un degré élevé de
certitude, à la mesure de sa gravité »60. Ainsi que cela ressort de sa jurisprudence, la Cour considère
généralement que, pour satisfaire à cette exigence, les éléments présentés doivent avoir « pleine force
probante »61. Il en est ainsi des preuves de l’existence d’actes de la nature de ceux visés à l’article II
ou III de la convention ou d’un risque grave que de tels actes soient commis, ainsi que de l’existence
d’une intention génocidaire.
62. En outre, s’agissant plus particulièrement de l’intention génocidaire, la Cour a souligné,
toujours dans son arrêt de 2007 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
que
« [l]e dolus specialis, l’intention spécifique de détruire le groupe en tout ou en partie,
doit être établi en référence à des circonstances précises, à moins que l’existence d’un
plan général tendant à cette fin puisse être démontrée de manière convaincante ; pour
qu’une ligne de conduite puisse être admise en tant que preuve d’une telle intention, elle
devrait être telle qu’elle ne puisse qu’en dénoter l’existence »62.
56 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [221], par. 430-431.
57 Ibid., p. [157], par. [281, et p. 124, par. 191].
58 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (I), p. [137-138], par. 472-475.
59 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [129], par. 209 ; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. [74], par. 178.
60 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [130], par. 210.
61 Ibid., p. [129], par. 209.
62 Ibid., p. [196], par. 373.
- 16 -
63. En 2015, revenant sur ce point en l’affaire relative à l’Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), la Cour a fait observer que
« pour déduire l’existence du dolus specialis d’une ligne de conduite, il faut et il suffit
que cette conclusion soit la seule qui puisse raisonnablement se déduire des actes en
cause »63.
64. L’Italie fait valoir que le respect du principe général de bonne foi s’impose pour établir de
manière formelle non seulement l’existence d’actes de génocide ou le risque que de tels actes soient
commis, mais aussi l’allégation qu’un État a engagé sa responsabilité internationale à raison d’un
acte de génocide au sens de l’article II de la convention, ou de l’un quelconque des actes énumérés à
l’article III. S’affranchir de ce principe reviendrait à faire une interprétation abusive de la convention,
s’agissant particulièrement des articles premier à III, lesquels relèvent de la compétence conférée à
la Cour par l’article IX dès lors que leur « interprétation, l[eur] application ou l[eur] exécution » est
contestée.
III. CONCLUSION
65. La convention sur le génocide représente une tentative ambitieuse d’empêcher que les
atrocités de la seconde guerre mondiale puissent se reproduire. Pour reprendre les termes employés
par la Cour :
« La Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut
degré ce double caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même
de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de
morale les plus élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas
d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de
préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que
l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu
de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme. »64
66. Ainsi, tous les États ont un intérêt à ce que la convention soit interprétée comme il se doit,
de sorte, notamment, que rien dans ses dispositions ne puisse être entendu comme autorisant à
invoquer abusivement les droits et obligations qui en découlent afin de justifier des agissements
contraires au droit international.
67. Cette juste interprétation suppose d’appliquer les principes d’interprétation codifiés dans
la convention de Vienne, notamment le principe de bonne foi qui impose aux parties à un traité
l’obligation d’interpréter et d’appliquer ce dernier « de façon raisonnable et de telle sorte que son but
puisse être atteint »65.
63 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (I), p. [67], par. 148.
64 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
65 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. [79], par. 142.
- 17 -
68. Outil indispensable de l’établissement de la confiance entre les États, la bonne foi est d’une
importance particulière pour l’interprétation et l’application de la convention sur le génocide, eu
égard à la nature singulière de cet instrument dans lequel les parties « n’ont pas d’intérêts propres ;
[elle]s ont seulement, tou[te]s et chacun[e], un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures
qui sont la raison d’être de la convention »66.
69. Comme elle l’a indiqué dans sa déclaration d’intervention, l’Italie considère qu’interpréter
de bonne foi toute disposition conventionnelle qui crée des droits et des obligations pour les parties
contractantes requiert d’obtenir et de présenter des éléments de preuve démontrant qu’il est au moins
probable qu’une violation du traité ait été commise, avant d’invoquer la responsabilité internationale
d’un autre État contractant et, en particulier, avant de prendre une mesure unilatérale par ailleurs
lourde de conséquences.
70. En conséquence, l’Italie est d’avis que, correctement interprétée, la clause compromissoire
énoncée à l’article IX donne compétence à la Cour pour connaître d’un différend entre deux parties
contractantes ayant des vues opposées quant aux allégations de génocide que l’une invoque pour
prendre des mesures de la nature de celles prévues à l’article premier de la convention, et que l’autre
juge infondées. Selon l’Italie, ces circonstances caractérisent manifestement l’existence d’un
« différend[] … relatif[] à l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention au sens de
l’article IX.
71. L’Italie considère également, à la lumière du libellé de l’article IX et de la jurisprudence
de la Cour, que la possibilité de mettre en oeuvre la clause juridictionnelle énoncée à l’article IX n’est
pas réservée au seul État spécialement atteint par les actes de génocide allégués, ni à tout autre État
qui n’est pas directement lésé par un acte de génocide. L’Italie fait valoir, en outre, qu’un État partie
à la convention visé par une allégation de génocide qu’il estime infondée peut légitimement saisir la
Cour et lui demander de dire qu’il a correctement appliqué la convention.
72. Les principes généraux d’interprétation des traités interdisent aux États parties
d’interpréter et d’invoquer abusivement une disposition d’un traité. Il en est particulièrement ainsi
pour une convention qui assure la protection juridique des intérêts collectifs de toutes les parties
contractantes, comme c’est le cas en l’espèce. À la lumière de ce qui précède, et plus précisément de
l’objet et du but de la convention, la juste interprétation de l’article IX veut clairement que la Cour
ait compétence pour connaître des différends entre les parties contractantes ayant trait aux
interprétations abusives qui pourraient être faites de la convention, en particulier lorsque celles-ci
sont invoquées pour justifier de graves violations du droit international.
Respectueusement,
L’agent du Gouvernement de l’Italie,
(Signé) Stefano ZANINI.
___________
66 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.

Document file FR
Document Long Title

Observations écrites de l'Italie sur l’objet de son intervention

Order
2
Links