Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DE MALTE
3 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Par ordonnance en date du 5 juin 2023 (ci-après l’« ordonnance sur la recevabilité des
déclarations d’intervention »), la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») a décidé que
les déclarations d’intervention au titre de l’article 63 du Statut de la Cour (ci-après le « Statut »)
déposées en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), et notamment
celle présentée par la République de Malte le 24 novembre 2022, étaient recevables1. La Cour a fixé
au 5 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt des observations écrites prévues au
paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement de la Cour2.
2. L’intervention de Malte au titre de l’article 63 du Statut concerne l’exercice d’un droit par
un État partie à une convention dont l’interprétation est en cause devant la Cour3. Comme celle-ci l’a
déterminé dans son ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention, l’interprétation de
l’article IX et d’autres dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »)4 concernant la compétence
ratione materiae de la Cour est en cause au stade actuel de la procédure5. Conformément à cette
ordonnance, les observations écrites porteront uniquement sur l’interprétation de l’article IX et
d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes aux fins de la détermination de la
compétence ratione materiae de la Cour dans la présente procédure6. Les références à d’autres règles
et principes de droit international, en dehors de la convention sur le génocide, dans les observations
écrites ne concerneront que l’interprétation des dispositions de la convention, conformément à la
règle coutumière d’interprétation qui trouve son expression à l’alinéa c) du paragraphe 3 de
l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la « convention de Vienne »)7.
Malte ne traitera pas d’autres questions, telles que le différend entre les Parties, les éléments de
preuve, les faits ou l’application de la convention sur le génocide en l’espèce8.
3. Invitée par la Cour à se coordonner avec d’autres États intervenants, Malte s’est mise
d’accord sur le fond de sa position avec la Belgique, le Luxembourg, l’Irlande, la Suède, le
Danemark, la Finlande, l’Estonie et la Croatie. La partie II des présentes observations écrites est donc
identique aux parties correspondantes des observations écrites de ces intervenants. Toutefois, afin de
pouvoir respecter le délai strict fixé par la Cour et pour des raisons logistiques, Malte dépose le
contenu conjoint individuellement en sa capacité nationale.
Malte présente en outre, dans la partie IV, des observations complémentaires concernant
l’importance du lien qui existe entre une lecture littérale du terme « exécution » et la nature même
des normes de jus cogens.
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, accessible à l’adresse suivante :
https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20230605-ORD-01-00-FR.pdf, par. 99 et 102 1).
2 Ibid., par. 102 3).
3 Ibid., par. 26.
4 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, signée à Paris, le 9 décembre 1948,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 78, p. 277 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951).
5 Ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention (note 1), par. [69].
6 Ibid., par. 99.
7 Ibid., par. 84.
8 Ibid.
- 3 -
II. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX ET D’AUTRES DISPOSITIONS
DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE PERTINENTES POUR
LA COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
4. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 mars 2022, la Cour
s’est déclarée compétente prima facie sur le fondement de l’article IX de la convention sur le
génocide9.
5. Malte souhaite faire quatre observations sur l’interprétation de la convention sur le génocide
au stade actuel de la procédure.
6. Premièrement, dans le cadre de l’application des règles d’interprétation des traités (telles
qu’énoncées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne, qui reflètent des règles de droit
international coutumier10), il importe de rappeler que l’article IX de la convention sur le génocide a
un champ d’application large qui inclut les différends relatifs à l’« exécution » des obligations
découlant de ladite convention.
7. Deuxièmement, l’article IX s’applique aux différends portant sur des allégations abusives
de génocide formulées au titre de la convention sur le génocide.
8. Troisièmement, l’article IX s’applique aux différends portant sur la commission d’actes
illicites comme moyen de prévention ou de répression du génocide au titre de la convention sur le
génocide.
9. Quatrièmement, toute partie au différend peut saisir la Cour en vertu de l’article IX, y
compris la partie victime d’une allégation abusive de génocide ou de la commission d’un acte illicite
comme moyen de prévention ou de répression du génocide.
A. L’article IX de la convention sur le génocide est formulé en termes généraux
et englobe les différends relatifs à l’« exécution » de la convention
10. L’article IX de la convention sur le génocide est libellé comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice à la requête
d’une Partie au différend. »
11. Malte fait valoir que la notion de « différend » est déjà bien établie dans la jurisprudence
de la Cour. Elle convient que l’on entend par ce terme « un désaccord sur un point de droit ou de fait,
9 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 28-49, accessible à l’adresse
suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220316-ORD-01-00-FR.pdf.
10 Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), exception préliminaire, arrêt du 6 avril 2023,
par. 87, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/171/171-20230406-JUD-
01-00-FR.pdf.
- 4 -
une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre des parties11. Pour établir
l’existence un différend, « [i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à
l’opposition manifeste de l’autre »12. Les deux parties doivent avoir des « points de vue quant à
l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales [qui] sont nettement
opposés »13. En outre, « dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du
demandeur, il est possible d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci
et que, par suite, un différend existe »14.
12. À ce sujet, dans le document qu’elle a communiqué à la Cour le 7 mars 2022, la Fédération
de Russie semble interpréter la notion de différend de manière indûment restrictive lorsqu’elle assure
que l’article IX ne peut pas être utilisé pour établir la compétence de la Cour à l’égard de différends
relatifs à l’emploi de la force ou à des questions de légitime défense relevant du droit international
général15. Toutefois, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que certains actes ou
omissions peuvent donner lieu à un différend entrant dans le champ de plusieurs instruments16. Par
conséquent, un différend parallèle entre deux États découlant des mêmes faits relatifs à l’emploi de
la force ne constitue pas un obstacle à la compétence de la Cour au titre de l’article IX de la
convention sur le génocide, pour autant que les autres conditions soient remplies.
13. En particulier, le différend visé doit être « relatif[] à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention ». Malte affirme que l’article IX est une clause juridictionnelle
générale qui autorise la Cour à statuer sur des différends concernant l’exécution par une partie
contractante des obligations qui lui incombent au titre de la convention. L’insertion du terme
« exécution » dans la disposition est « unique si on … compare [celle-ci] aux clauses
compromissoires d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la Cour internationale
de Justice des différends entre les parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou
application »17.
14. Le sens ordinaire du membre de phrase « relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention » peut s’analyser en trois temps.
11 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
12 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
13 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, où est citée la demande d’avis
consultatif sur l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
14 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
15 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), document de la Fédération de Russie en date du 7 mars 2022, par. 8-15, accessible à
l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220805-WRI-01-00-FR.pdf.
16 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique
d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, [p. 27,] par. 56.
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5 (les
italiques sont dans l’original).
- 5 -
15. Le premier point (« relatifs à ») établit un lien entre le différend et la convention.
16. Le deuxième point (« l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention »)
englobe trois cas de figure. Alors que l’interprétation s’entend généralement du processus consistant
à « expliquer le sens » d’une norme juridique, l’« application » est la « mise en oeuvre de quelque
chose » dans un cas donné18. L’« exécution » recoupe partiellement le terme précédent et peut
s’entendre d’une application qui « répond aux exigences » d’une norme19. Néanmoins, l’ajout du
terme « exécution » soutient une interprétation large de l’article IX20. Il semble qu’« “en insérant les
trois termes alternatifs”, les rédacteurs aient cherché à “donner une couverture aussi exhaustive que
possible à la clause compromissoire” et à “combler toutes les lacunes possibles” »21.
17. Le troisième point (« de la … Convention ») indique clairement que la clause
compromissoire renvoie à toutes les dispositions de la convention. Autrement dit, l’article IX ne crée
pas d’autres droits ou obligations substantiels pour les parties ; les normes juridiques de fond qui
relèvent de la compétence de la Cour figurent ailleurs dans la convention. En outre, le renvoi
concerne l’ensemble de la convention, y compris les violations de celle-ci22.
18. Ainsi, il peut y avoir un différend au sujet de l’interprétation, de l’application ou de
l’exécution de la convention lorsqu’un État allègue qu’un autre État a commis un génocide23. Dans
ce cas de figure, la Cour examinera les faits sous-tendant cette allégation : si elle n’est pas convaincue
que le défendeur ait réellement commis des actes de génocide, elle pourra se déclarer incompétente24.
19. Si ce cas de figure, dans lequel la responsabilité à raison d’actes de génocide est alléguée,
est souvent à l’origine des différends concernant « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de
la convention, il n’est pas le seul. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), la
demanderesse a allégué plusieurs violations de la convention par la défenderesse, y compris un
manquement à l’obligation de prévenir et de punir le génocide prévue à l’article premier25, et la Cour
a affirmé sa compétence ratione materiae26. Dans l’affaire (pendante) relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la
18 C. Tams, « Article IX », note 45, in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer, Convention on the Prevention and
Punishment of Genocide: A Commentary (Beck, 2014).
19 Ibid.
20 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration conjointe d’intervention déposée par les Gouvernements du Canada et du
Royaume des Pays-Bas en date du 7 décembre 2022, par. 29.
21 C. Tams (note 18), « Article IX », note 45 ; R. Kolb, « Scope Ratione Materiae », in P. Gaeta (sous la dir. de),
The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP, 2009), p. 451.
22 R. Kolb, « Scope Ratione Materiae » (note 21), p. 453, reprenant un exposé de la jurisprudence.
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 75, par. 169.
24 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 372-373, par. 24-31. Par la suite, la Cour s’est déclarée incompétente au motif que, au moment
de l’introduction de l’instance, elle n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténégro en vertu de l’article 35 du Statut (voir,
par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004 (II), p. 595).
25 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 614, par. 28, et p. 603, par. 4.
26 Ibid., p. 615-617, par. 30-33.
- 6 -
demanderesse a fait valoir que le défendeur non seulement était responsable d’actes prohibés par
l’article III, mais manquait aussi aux obligations que lui impose la convention en ne prévenant pas
le génocide, en violation de l’article premier, et en ne punissant pas ce crime, en violation des
articles premier, IV et V27. Dans ces cas précis, un État allègue qu’un autre État ne respecte pas son
engagement de « prévenir » et de « punir » le génocide, au motif qu’il laisse impunis les actes de
génocide commis sur son territoire. Il s’ensuit qu’il peut aussi exister des différends concernant une
« inaction » constitutive de manquement aux obligations de fond énoncées aux articles susvisés.
20. Il ressort clairement du sens ordinaire de l’article IX qu’il n’est pas nécessaire d’établir
l’existence d’actes de génocide pour fonder la compétence de la Cour, mais que celle-ci est
compétente pour connaître de la question de savoir si des actes de génocide ont été commis ou le
sont, ou non28.
21. Le contexte du membre de phrase « relatifs à … » confirme également cette lecture. En
particulier, l’emploi inhabituel du terme « y compris » dans l’incise de l’article IX de la convention
indique que celui-ci a un champ d’application plus large que celui d’une clause compromissoire
classique29. Les différends relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III ne sont par conséquent qu’un des types de
différends visés par l’article IX, « compris » dans la catégorie plus large des différends « relatifs à
l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention30.
22. Le contexte de l’expression « relatifs à » figurant à l’article IX confirme donc que la
compétence de la Cour va au-delà des différends entre États concernant la responsabilité à raison
d’actes de génocide allégués et s’étend également aux différends entre États concernant l’absence de
génocide et l’exécution d’obligations de la convention par un ou plusieurs États parties. En d’autres
termes :
« en ce qui concerne l’exécution positive de la convention sur le génocide, la Cour est
compétente à l’égard de la question de savoir si une partie contractante … a
suffisamment fait pour prévenir et punir le génocide. En ce qui concerne son exécution
négative, la Cour peut également statuer sur la question de savoir si une partie
contractante a manqué à ses obligations en la matière. »31
23. Enfin, l’objet et le but de la convention viennent également à l’appui d’une interprétation
large de l’article IX. La Cour a noté que « [t]ous les États parties à la convention sur le génocide ont
donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à ce
27 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 24, points 1) c), d) et e).
28 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 43 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires,
ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 14, par. 30.
29 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [114], par. 169.
30 Voir aussi l’exposé écrit de la Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar, 20 avril 2021,
p. 28-29, par. 3.22 (« Cette précision [portant sur les différends “relatifs à la responsabilité d’un État en matière de
génocide”] signifie incontestablement que la responsabilité à l’égard d’actes de génocide peut être l’objet d’un différend
porté devant la Cour par toute partie contractante. ») [Le soulignement est de nous.]
31 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention déposée par la Principauté du Liechtenstein en date du
15 décembre 2022, par. 20.
- 7 -
que le génocide soit prévenu, réprimé et puni »32. La nature erga omnes des obligations découlant de
la convention corrobore aussi l’importance primordiale du texte pour la communauté internationale
dans son ensemble, laquelle a confié à la Cour internationale de Justice, en 1948, une mission
particulièrement importante consistant à faire respecter cet instrument dans l’intérêt de tous les États.
24. Dans un passage célèbre de l’avis consultatif qu’elle a rendu en 1951, la Cour a dit ceci :
« Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention
a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut
même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double
caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains
groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins
supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait,
pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des
États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les
charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la
volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme. »33
25. L’objet de la convention, qui est de protéger les « principes de morale les plus
élémentaires », exige également qu’un État partie ne puisse détourner ses dispositions à d’autres fins.
Il corrobore en outre nettement une lecture de l’article IX selon laquelle les différends relatifs à
l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la convention comprennent les différends relatifs
au recours abusif aux dispositions de fond de cet instrument pour justifier un acte d’un État partie à
l’égard d’un autre État partie. L’abus peut prendre deux formes, celle d’allégations abusives ou celle
d’actes abusifs, qui seront examinées dans les deux sections suivantes, à savoir les sections B et C.
B. L’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux différends
portant sur des allégations abusives de génocide
26. Malte souhaite maintenant traiter de l’un des types de différends visés à l’article IX, à
savoir l’allégation abusive d’un État qui prétend qu’un autre État a commis un génocide.
27. Ce faisant, Malte examinera soigneusement le point de savoir si la convention permet à un
État de saisir la Cour d’un différend portant sur des allégations de génocide formulées par un autre
État34.
28. Malte soutient que l’article IX de la convention sur le génocide s’applique également aux
différends relatifs à des allégations abusives de génocide, car ils soulèvent la question du respect de
l’article premier de la convention sur le génocide, lequel fournit un contexte pour l’interprétation de
32 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
33 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
34 Pour un examen de cette question, voir, par exemple, l’ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9),
déclaration du juge Bennouna, par. 2, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/caserelated/
182/182-20220316-ORD-01-02-FR.pdf.
- 8 -
l’article IX. L’article premier de la convention sur le génocide est ainsi libellé : « Les Parties
contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre,
est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. »
29. Selon cette disposition, tous les États parties sont tenus de prévenir et de punir le génocide.
Ainsi que la Cour l’a déjà souligné, en s’acquittant de leur obligation de prévenir le génocide, les
parties contractantes doivent agir dans les limites de ce que leur permet la légalité internationale35.
En outre, l’obligation énoncée à l’article premier doit être exécutée de bonne foi (article 26 de la
convention de Vienne sur le droit des traités et droit international général36). Ainsi que la Cour l’a
précisé, le principe de la bonne foi « oblige les Parties à []appliquer [un traité] de façon raisonnable
et de telle sorte que son but puisse être atteint »37. L’interprétation de bonne foi sert donc de garde-fou
contre tout détournement de la convention sur le génocide. En tant que « [l’]un des principes de base
qui président à la création et à l’exécution d’obligations juridiques », la bonne foi est également
directement liée à la « confiance réciproque [qui] est une condition inhérente de la coopération
internationale »38.
30. Selon Malte, la notion d’« engag[em]ent à prévenir » exige que chaque État partie, avant
de prendre des mesures en application de l’article premier de la convention, apprécie si un génocide
est en cours ou s’il existe un risque grave qu’un génocide soit commis39. Cette détermination doit
être étayée par des éléments solides40.
31. Il est important de signaler que le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des
Nations Unies a appelé tous les États,
« afin de prévenir de nouveaux génocides, à coopérer, notamment dans le cadre du
système des Nations Unies, afin de renforcer la collaboration voulue entre les dispositifs
en place qui contribuent à détecter rapidement et à prévenir les violations massives,
graves et systématiques des droits de l’homme qui, s’il n’y est pas mis fin, pourraient
conduire à un génocide »41.
35 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430 ; Allégations de génocide au titre de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, par. 57.
36 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 296, par. 38 : « La Cour observera que le principe de la bonne foi est un principe bien établi
du droit international. Il est énoncé au paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ; il a aussi été incorporé à
l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. »
37 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
38 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. [268, par. 46].
39 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221-222, par. 430-431.
40 Ibid., p. [129], par. 209.
41 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 43/29 : Prévention du génocide (29 juin 2020),
doc. A/HRC/RES/43/29, par. 11.
- 9 -
32. Il est de bonne pratique de se fonder sur les résultats d’enquêtes indépendantes réalisées
sous les auspices des Nations Unies42 avant de qualifier une situation de génocide.
33. En outre, la convention sur le génocide donne des orientations concernant les moyens
licites que les parties contractantes peuvent utiliser pour prévenir et punir le génocide. Si
« [l]’article premier ne précise pas quels types de mesures une partie contractante peut prendre pour
s’acquitter de cette obligation »43, il n’en reste pas moins que « [l]es parties contractantes
doivent … exécuter cette obligation de bonne foi, en tenant compte d’autres parties de la convention,
en particulier ses articles VIII et IX, ainsi que son préambule »44. Plutôt que de formuler une
allégation abusive de génocide contre un autre État sans faire preuve de la diligence requise (due
diligence), un État peut saisir les organes politiques ou judiciaires de l’Organisation des
Nations Unies45.
34. Il s’ensuit qu’une allégation abusive formulée par un État contre un autre État va à
l’encontre de l’obligation que le premier État a d’appliquer de bonne foi l’article premier de la
convention sur le génocide et revient à dénaturer les termes de cet instrument. Par conséquent,
l’article IX couvre également de tels différends.
C. L’article IX de la convention sur le génocide s’applique aux différends portant
sur la commission d’actes illicites comme moyen de prévention
ou de répression du génocide
35. Parmi les différends visés à l’article IX de la convention figurent également ceux, tout
aussi importants, qui ont trait à la commission d’actes par ailleurs illicites comme moyen de
prévention ou de répression du génocide. Comme indiqué dans la précédente section, la juste
interprétation de l’article premier est qu’un État a l’obligation de faire preuve de la diligence requise
en recueillant des éléments de preuve émanant de sources indépendantes avant de formuler une
allégation de génocide contre un autre État.
36. Dans le même ordre d’idées, un État ne peut se livrer à des actes illicites sur la base de
telles allégations abusives.
37. La portée de l’« engag[em]ent [de] prévenir » doit ainsi être lue à la lumière du dernier
alinéa du préambule, qui souligne la nécessité d’une « coopération internationale ». La référence au
préambule est une méthode acceptée d’interprétation des traités, comme l’a souligné la Cour,
notamment dans l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique46. En outre,
l’article VIII de la convention indique que les États peuvent saisir les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent des mesures, l’article IX prévoyant quant
à lui un règlement judiciaire. Tous ces éléments plaident en faveur d’une obligation, en vertu de la
42 Voir, par exemple, le fait que la Gambie s’est appuyée sur les rapports de la mission internationale indépendante
d’établissement des faits sur le Myanmar établie par le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies
avant de saisir la Cour ; pour plus de détails, voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 65-69.
43 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note [9]), par. 56.
44 Ibid.
45 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note [9]), opinion individuelle du juge Robinson, par. 30.
46 Voir, par exemple, l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon ;
Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 2[51], par. 56 (où il est fait référence au préambule de la
convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine afin d’en déterminer l’objet et le but).
- 10 -
convention, d’employer des moyens multilatéraux et pacifiques pour prévenir le génocide. Cette
interprétation va dans le sens du chapitre VI de la Charte des Nations Unies sur le règlement pacifique
des différends dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité
internationales. L’article IX donne aussi effet à l’obligation préexistante qui impose aux parties, en
vertu du paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte et du droit international coutumier, de régler tous
leurs différends par des moyens pacifiques47. Malte insiste sur le fait que tous les États parties se sont
engagés à prévenir et à punir le génocide dans le monde entier dans l’intérêt de l’humanité, et non
pour protéger leurs propres intérêts.
38. Il découle de l’obligation d’apprécier de bonne foi l’existence d’un génocide ou le risque
grave de génocide que, lorsqu’un État n’a pas procédé à une telle appréciation, il ne saurait invoquer,
pour justifier son comportement, l’«engage[ment de] prévenir» le génocide qui figure à l’article
premier de la convention. Cela inclut les comportements qui impliquent la menace ou l’emploi de la
force, comme l’a souligné la Cour dans l’affaire des Plates-formes pétrolières48.
39. Un État ne saurait prétendre faire appliquer le droit international en violant celui-ci.
Comme la Cour l’a précisé en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), déjà évoquée
au paragraphe 29 ci-dessus, « il est clair que chaque État ne peut déployer son action que dans les
limites de ce que lui permet la légalité internationale »49. En d’autres termes, l’article premier de la
convention sur le génocide impose aux États parties l’obligation « d’agir pour prévenir la
commission d’un génocide, tout en l[es ]astreignant à le faire dans les limites fixées par la légalité
internationale »50.
40. En conclusion, la compétence de la Cour s’étend aux différends portant sur des actes
illicites commis dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu génocide51.
D. Toute partie au différend peut saisir la Cour en vertu de l’article IX
de la convention sur le génocide
41. Enfin, Malte souhaite commenter le point de vue selon lequel un État ne peut pas invoquer
la clause compromissoire prévue à l’article IX de la convention « dans le seul but de voir la Cour
constater son respect de cet instrument »52.
42. Comme indiqué à la section B, les notions de « différend » et d’« exécution » de
l’article IX sont suffisamment larges pour permettre à la Cour de déclarer que l’État demandeur n’est
pas responsable, comme le prétend l’État défendeur, d’un manquement à ses obligations en vertu de
la convention sur le génocide. En outre, le libellé de l’article IX confirme qu’« une partie » au
47 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande en date du 28 juillet 2022, par. 25.
48 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 21. Voir aussi Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention de l’Australie en date
du 30 septembre 2022, par. 41.
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
50 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9), opinion individuelle du juge Robinson, par. 27.
51 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9), par. 45.
52 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9), déclaration du vice-président Gevorgian, par. 8.
- 11 -
différend, quelle qu’elle soit, peut saisir la Cour. En conséquence, lorsqu’il existe un différend sur la
question de savoir si un État a eu un comportement contraire à la convention sur le génocide, l’État
accusé d’un tel comportement a le même droit de soumettre le différend à la Cour que l’État qui
formule l’accusation, avec pour effet que la Cour sera compétente pour connaître de ce différend53.
43. En outre, le caractère erga omnes partes de la convention sur le génocide, déjà mentionné,
va à l’encontre d’une interprétation étroite de la possibilité de demander la « protection judiciaire
devant la Cour ». Au contraire, pareille interprétation risquerait d’empêcher un État victime d’abus
de la convention de demander réparation à la Cour. Cela compromettrait la crédibilité et l’efficacité
de la convention en tant qu’instrument universel de prévention du génocide, tout comme le rôle de
la Cour en tant que voie de recours essentielle contre les abus de droit.
44. Plus généralement, rien n’empêche un État demandeur d’invoquer la clause
compromissoire d’une convention donnée pour demander à la Cour de prononcer un jugement
déclaratoire négatif à l’effet de dire qu’il n’a pas violé les obligations internationales qui lui
incombent en vertu de la convention en question. Par exemple, dans l’affaire relative aux Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), la Libye avait demandé à la
Cour de constater, sur la base de l’article 14 de la convention de Montréal de 1971 pour la répression
d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, qu’elle avait respecté les articles 5, 6 et
7 de ladite convention54. Les États-Unis avaient formulé une objection, faisant valoir qu’aucune des
dispositions citées par la demanderesse ne concernait des obligations qui les liaient en tant que
défendeur55. La Cour a rejeté l’exception préliminaire. Elle a estimé qu’elle était saisie d’un différend
spécifique relatif à l’interprétation et à l’application de l’article 7 lu conjointement avec
l’article premier, l’article 5, l’article 6 et l’article 8 de la convention de Montréal qu’il lui
appartenait de trancher sur la base de l’article 1456. La Cour s’est donc déclarée compétente pour
statuer sur la requête de la demanderesse tendant à ce qu’elle constate que cette dernière n’avait pas
violé la convention de Montréal.
45. En outre, Malte note qu’il n’est peut-être même pas nécessaire pour la Cour d’aborder la
question de savoir si l’article IX couvre également les « revendications de non-violation ». Dans sa
requête, l’Ukraine prie respectueusement la Cour :
« a) de dire et juger que, contrairement à ce que prétend la Fédération de Russie, aucun
acte de génocide, tel que défini à l’article III de la convention sur le génocide, n’a
été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk ;
b) de dire et juger que la Fédération de Russie ne saurait licitement prendre, au titre de
la convention sur le génocide, quelque action que ce soit en Ukraine ou contre
celle-ci visant à prévenir ou à punir un prétendu génocide, sous le prétexte fallacieux
53 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention du Royaume-Uni en date du 1er août 2022, par. 34 ;
déclaration d’intervention de l’Australie en date du 30 septembre 2022, par. 35-36 ; déclaration d’intervention de la
Norvège en date du 10 novembre 2022, par. 21.
54 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 123, par. 25.
55 Ibid., p. 124, par. 26.
56 Ibid., p. 127, par. 28.
- 12 -
qu’un génocide aurait été perpétré dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de
Donetsk ;
c) de dire et juger que la reconnaissance, par la Fédération de Russie, de l’indépendance
des prétendues “République populaire de Donetsk” et “République populaire de
Louhansk”, le 22 février 2022, est fondée sur une allégation mensongère de
génocide et ne trouve donc aucune justification dans la convention sur le génocide ;
d) de dire et juger que l’“opération militaire spéciale” annoncée et mise en oeuvre par
la Fédération de Russie à compter du 24 février 2022 est fondée sur une allégation
mensongère de génocide et ne trouve donc aucune justification dans la convention
sur le génocide ;
e) d’exiger de la Fédération de Russie qu’elle fournisse des assurances et garanties de
non-répétition en ce qui concerne la prise par elle de toute mesure illicite en Ukraine
et contre celle-ci, notamment l’emploi de la force, en se fondant sur son allégation
mensongère de génocide ;
f) d’ordonner la réparation intégrale de tout dommage causé par la Fédération de
Russie par suite de toute action fondée sur son allégation mensongère de génocide ».
46. S’il appartient à la Cour de préciser le sens exact des demandes, la question du « respect »
de la convention sur le génocide par l’Ukraine n’est mentionnée expressément dans aucune des
mesures sollicitées. En particulier, le point a) pourrait également être lu comme une demande faite à
la Cour de juger abusives les allégations de la Russie, qui prétend qu’un génocide a eu lieu dans les
oblasts de Donetsk et de Louhansk. Selon une telle lecture, la compétence de la Cour devrait être
appréciée conformément à l’interprétation de l’article IX de la convention avancée à la section C cidessus.
III. SYNTHÈSE DES PRINCIPAUX ARGUMENTS EXPOSÉS DANS LA PARTIE II
47. Malte présente quatre observations au sujet de l’interprétation de la convention sur le
génocide. Premièrement, l’article IX de la convention sur le génocide est rédigé en termes généraux
de sorte qu’il couvre les différends concernant l’exécution des obligations découlant de la
convention. Deuxièmement, il s’applique aux différends relatifs à des allégations abusives de
génocide formulées au titre de la convention sur le génocide. Troisièmement, il s’applique également
aux différends concernant la commission d’actes par ailleurs illicites comme moyen de prévention
et de répression du génocide en vertu de la convention sur le génocide. Quatrièmement, toute partie
au différend peut saisir la Cour en vertu de l’article IX, y compris la partie victime d’une allégation
abusive de génocide ou de la commission d’un acte illicite comme moyen de prévention ou de
répression du génocide.
48. Quelle que soit l’interprétation littérale qu’on donne de l’article IX de la convention, il
ressort du sens ordinaire de cette disposition, de son contexte ainsi que de l’objet et du but de
l’ensemble de la convention qu’un différend portant sur des actes accomplis par un État contre un
autre État sur la base d’allégations abusives de génocide relève de la notion de « différends entre les
Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention ».
Par conséquent, la Cour est compétente pour constater l’absence de génocide et le manquement à
l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention sur le génocide. En outre, la compétence de la
Cour s’étend aux différends relatifs à des actes illicites commis dans le but affiché de prévenir et de
réprimer un génocide allégué. Le fait que la présente affaire a directement trait au crime de génocide
amène Malte à son argument suivant, qu’elle développera dans la partie IV ci-dessous.
- 13 -
IV. LE LIEN ENTRE UNE INTERPRÉTATION LITTÉRALE DU TERME « EXÉCUTION »
ET LA NATURE MÊME DES NORMES DE JUS COGENS
49. En introduction de son argument complémentaire, Malte tient à rappeler ce qui suit :
« Le Statut de la CIJ prévoit, en son article 36, trois principales voies
d’expression du consentement : la conclusion d’une convention spéciale (ou
“compromis”) ; l’adoption d’une déclaration unilatérale d’acceptation de la compétence
de la Cour (soit une “déclaration faite en vertu de la clause facultative”) ; l’invocation
d’une clause du traité donnant compétence à la Cour pour le règlement de différends
(soit une “clause compromissoire”). L’article IX relève de cette troisième catégorie ;
cette disposition constitue l’une des nombreuses clauses compromissoires établissant
(pour reprendre le libellé du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la CIJ) “ la
compétence de la Cour [à l’égard de] … tous les cas spécialement prévus … dans les
traités et conventions en vigueur ”. Le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut peut donc
être considéré comme une “clause d’habilitation” permettant aux États de se tourner
vers la Cour en tant qu’institution de règlement des différends — et il va de soi que cette
clause les autorise aussi à fixer certaines conditions à l’exercice de cette compétence.
L’article IX s’appuie sur cette clause d’habilitation et délimite l’étendue de la
compétence de la Cour en précisant les types de différends qui peuvent être portés
devant elle, à savoir ceux relatifs à “l’interprétation, l’application ou l’exécution de
la … Convention [sur le génocide], y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État
en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III”.
Ainsi qu’il sera démontré plus loin, il s’agit, par comparaison avec d’autres clauses
compromissoires, d’une clause juridictionnelle assez claire qui ne soumet pas l’exercice
de cette compétence à d’autres conditions particulières. »57 (Les italiques sont de nous.)
50. Les clauses compromissoires des traités contiennent habituellement les termes
« interprétation » et « application ». Dans celle de la convention sur le génocide, un autre terme,
« exécution », leur est volontairement adjoint. Cet ajout, dont le sens, l’importance et l’intérêt ne
doivent pas être sous-estimés, ne doit rien au hasard58.
51. Le terme « exécution » dénote une approche plus holistique de l’application même de la
convention en ce qu’il renvoie au principe général de l’effet utile. Il impose d’interpréter la
convention de manière homogène, que ce soit selon une méthode littérale (textuelle) ou selon une
méthode logique (téléologique), de sorte qu’aucune de ses dispositions ne soit appréhendée
isolément.
52. L’insertion du terme « exécution » doit être appréciée au regard des principes généraux
qui constituent une source de droit international au sens de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38
du Statut de la Cour internationale de Justice. Il convient à cet égard de mentionner deux grandes
maximes juridiques qui permettent de mieux saisir la pertinence et l’importance du terme
« exécution » dans le cadre de la convention, à savoir ubi lex voluit dixit et ubi noluit tacuit. Il ressort
des travaux préparatoires que « le terme “exécution” répond à la question de savoir si une partie
satisfait ou non aux dispositions de la convention. [Il] a donc une portée beaucoup plus large [que le
57 C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer (sous la dir. de.), Convention on the Prevention
and Punishment of Genocide: A Commentary (Verlag C. H. Beck oHG, Hart Publishing and Nomos Verlagsgesellschaft
mBH, 2014), p. 303-304.
58 Voir également Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda,
p. 627, par. 5.
- 14 -
terme “application”]. »59 Ces travaux préparatoires révèlent plus précisément « que le terme
“application” comprend l’examen des conditions dans lesquelles la convention doit ou non
s’appliquer, tandis que le terme “exécution” répond à la question de savoir si une partie satisfait ou
non aux dispositions de la convention »60. L’élasticité du terme « exécution » devient évidente non
seulement lorsqu’on compare celui-ci au terme « application », mais aussi lorsqu’on le compare au
terme « interprétation ». Ce dernier désigne « le processus consistant à établir le sens véritable d’un
traité »61, tandis que le terme « exécution » vise la mesure dans laquelle les signataires du traité
l’exécutent, le mettent en oeuvre, le font appliquer et s’y conforment dans le respect de son sens, de
sa portée et de son esprit véritables.
53. Selon Malte, l’importance accordée, dans la notion d’« exécution », au « respect » des
dispositions conventionnelles signifie que l’interprétation de l’article IX de la convention sur le
génocide doit refléter le caractère élémentaire des principes juridiques sous-jacents de cet
instrument, en particulier la valeur de jus cogens attachée à l’interdiction du génocide.
54. Il s’ensuit de la primauté de cette interdiction sur d’autres normes du droit international
que la Cour, qui a pour tâche de veiller à ce que les traités visés au paragraphe 1 de l’article 36 de
son Statut soient appliqués, interprétés et exécutés de bonne foi, peut adopter une approche plus
téléologique pour apprécier la base (le fondement) de sa propre compétence. Cela concorderait avec
l’assertion que, « de fait, pour ce qui est de ses propres procédures comme, du reste, de ses propres
pouvoirs, la Cour a toute latitude pour développer le droit »62. Dans le même ordre d’idées, « le
pouvoir qu’ont les juridictions de statuer sur leur propre compétence est considéré comme inhérent ;
il est aussi reconnu au paragraphe 6 de l’article 36 du Statut de la CIJ »63, lequel confère à la Cour la
compétence de sa compétence (Kompetenz-Kompetenz). À cet égard, « dès lors qu’une juridiction a
estimé avoir compétence pour statuer en la matière, il est permis de penser qu’elle devrait se déclarer
compétente lorsqu’elle est appelée à dire qu’une disposition d’un traité est applicable »64. En d’autres
termes, il convient de lever tout doute quant à la compétence de la Cour pour que celle-ci puisse
l’exercer en conséquence, en particulier au vu de « l’importance cruciale du jus cogens pour l’ordre
juridique international »65. Autrement dit, si la Cour se déclarait incompétente en l’espèce, cela
pourrait remettre en cause le statut particulier dont jouissent les normes de jus cogens dans l’ordre
juridique international et qui est consacré par l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des
traités.
59 Nations Unies, Documents officiels de la troisième session de l’Assemblée générale, première partie, questions
juridiques, Sixième Commission, comptes rendus analytiques des séances, 21 septembre-10 décembre 1948, p. 437 [les
italiques sont de nous].
60 Ibid., cité dans R. Kolb, « Scope Ratione Materiae », in P. Gaeta (sous la dir. de), The UN Genocide Convention:
A Commentary (OUP, 2009), p. 452.
61 O. Dörr, « Article 31: General rule of interpretation », in O. Dörr et K. Schmalenbach, Vienna Convention on the
Law of Treaties: A Commentary (Springer, 2012), p. 522.
62 H. Thirlway, The Law and Procedure of the International Court of Justice: Fifty Years of Jurisprudence, vol. II,
(OUP, 2013), p. 1736.
63 Affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 119, cité
dans C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention on the Prevention and
Punishment of Genocide: A Commentary (Verlag C. H. Beck oHG, Hart Publishing and Nomos Verlagsgesellschaft mBH,
2014), p. 305.
64 C. Harris, Incidental Determinations by International Courts and Tribunals: Subject-Matter Jurisdiction and
Applicable Law in Proceedings Under Compromissory Clauses, thèse de doctorat (Sydney Law School, University of
Sydney 2022), p. 56.
65 M. E. Villiger, « Article 53 », Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties (Martinus
Nijhoff Publishers, 2009), p. 678.
- 15 -
55. Il s’ensuit que les clauses compromissoires qui renvoient à des dispositions ayant un
caractère de jus cogens, telles que l’article IX de la convention sur le génocide, ne se prêtent pas à
une interprétation restrictive66.
56. Pour interpréter l’article IX de la convention, il faut en outre tenir compte de ce que
l’interdiction du génocide a le statut incontesté de règle du droit international coutumier. Son
accession à ce statut n’est pas récente. Bien au contraire, « l’interdiction du génocide d’État existait
déjà en droit international coutumier au moment de la conclusion de la convention sur le génocide »67.
Il a d’ailleurs été observé ce qui suit :
« Ainsi, au titre de la convention sur le génocide, invoquée dans l’affaire Gambie
c. Myanmar, le lien juridictionnel réside dans l’article IX de cet instrument. Au regard
de l’interdiction du génocide découlant du droit international général, ainsi qu’il a été
soutenu, la CIJ peut être saisie à condition qu’il existe, entre les États concernés, un lien
juridictionnel suffisamment étendu pour couvrir les différends relevant du droit
international coutumier. »68
57. De surcroît, la Cour internationale de Justice peut prendre en considération le « droit
international coutumier pour déterminer la portée exacte d’un traité dont elle est priée, sur le
fondement d’une clause compromissoire, d’interpréter et d’appliquer les dispositions »69. Il résulte
de la singularité de la clause compromissoire de la convention sur le génocide70, associée au statut
de droit coutumier de cet instrument et à sa supériorité hiérarchique sur les autres éléments du corpus
juris dont elle relève, à savoir le droit international public, qu’« il est plus facile d’attraire un État
devant la CIJ pour des violations supposées de la convention sur le génocide que pour des crimes de
guerre ou des crimes contre l’humanité »71.
V. SYNTHÈSE DES PRINCIPAUX ARGUMENTS EXPOSÉS DANS LA PARTIE IV
58. En bref, Malte soutient que l’interprétation de l’article IX de la convention sur le génocide
doit refléter le caractère impératif de l’interdiction du génocide, lequel est également ancré dans le
droit international général. Dès lors que les différends relatifs à l’« exécution » de la convention sur
le génocide soulèvent des questions liées au « respect » d’autres normes qui sous-tendent cet
instrument, l’interprétation de l’article IX doit tenir compte du statut de jus cogens qu’ont les normes
qui découlent de la convention elle-même. Ainsi, dans la mesure où la notion d’« exécution » renvoie
66 J. I. Charney, « Compromissory Clauses and the Jurisdiction of the International Court of Justice », American
Journal of International Law, vol. 81, no 4 (American Society of International Law, 1987), p. 870.
67 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23, cité dans K. N. Trapp, « Holding States Responsible for Terrorism before the International Court of Justice »,
Journal of International Dispute Settlement, vol. 3, no 2 (OUP, 2012), p. 290.
68 R. F. Corrales, « In the Pursuit of High Purposes: The International Court of Justice, Obligations Erga Omnes
and the Prohibition of Genocide », The Law and Practice of International Courts and Tribunals, vol. 22 (Koninklijke Brill,
Leiden, 2023), p. 89.
69 E. Cannizzaro et B. Bonafé, « Fragmenting International Law through Compromissory Clauses? Some Remarks
on the Decision of the ICJ in the Oil Platforms Case », European Journal of International Law, vol. 16, no 3 (OUP 2005),
p. 493.
70 Laquelle a été qualifiée, à juste titre, d’« exemple de plus en plus rare de clause compromissoire claire » (les
italiques sont de nous) par C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention
on the Prevention and Punishment of Genocide: A Commentary (Verlag C. H. Beck oHG, Hart Publishing and Nomos
Verlagsgesellschaft mBH, 2014), p. 315.
71 C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention on the Prevention
and Punishment of Genocide: A Commentary (Verlag C. H. Beck oHG, Hart Publishing and Nomos Verlagsgesellschaft
mBH, 2014), p. 295.
- 16 -
à celle de respect, et puisque le « respect » s’apprécie au regard de la norme concernée et,
inévitablement, de la nature même de celle-ci, le caractère impératif de la norme qui interdit le
génocide est assurément pertinent aux fins de l’interprétation de la convention sur le génocide ellemême.
VI. CONCLUSION
59. Malte a l’honneur de porter les présentes observations écrites à l’attention de la Cour et de
les soumettre à son appréciation éclairée.
Respectueusement,
L’avocat de l’État, agent du Gouvernement de Malte,
(Signé) Christopher SOLER.
___________
Observations écrites de Malte sur l’objet de son intervention