COUR INTERN A TI ON ALE DE JUSTICE
OBSERVATIONS £CRITES DU
GOUVERNEMENT DU GRAND-DUCHE
DE LUXEMBOURG SUR LA
RECEVABILITE DE LA DECLARATION
D'INTERVENTION DU LUXEMBOURG
deposees au greffe de la Cour le 13 fevrier 2023
ALLEGATIONS DE GENOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION
POUR LA PREVENTION ET LA REPRESSION DU CRIME DE
GENOCIDE
(UKRAINE C. FED.ERA TION DE RUSSIE)
I. INTRODUCTION
1. Le 13 octobre 2022, le gouvemement du Grand-Duche de Luxembourg (ci-apres
« le Luxembourg ») a depose a la Cour intemationale de Justice ( ci-apres « la
Cour ») une declaration d'intervention en vertu de l'article 63, paragraphe 2, du
Statut de la Cour (ci-apres « le Statut ») dans l'affaire concemant les allegations
de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime
de genocide (Ukraine c. Federation de Russie).
2. Les presentes observations sont soumises conformement a la lettre du greffier du
31 janvier 2023, a la lumiere des observations ecrites de la Federation de Russie
sur la recevabilite de la declaration d'intervention du Luxembourg, deposees le 15
novembre 2022, et des observations ecrites de I 'Ukraine sur la declaration
d'intervention du Luxembourg, deposees a la meme date. Alors que la Federation
de Russie a plaide aupres de la Cour pour qu'elle rejette la declaration
d'intervention du Luxembourg comme irrecevable, l'Ukraine a fait valoir qu'elle
etait recevable.
3. Par ses observations, le Luxembourg souhaite, de maniere liminaire, faire part a
la Cour de sa comprehension de l'article 63 du Statut afin de demontrer qu'elle en
a pleinement respecte toutes les exigences (II.), avant d'aborder les principaux
arguments de la Federation de Russie (III.) et, enfin, d'enoncer ses conclusions
(IV.).
II. LA DECLARATION EST CONFORME AUX EXIGENCES DU
ST A TUT DE LACOUR
4. L'article 63 du Statut dispose que :
« 1. Lorsqu'il s'agit de !'interpretation d'une convention a laquelle ont
participe d'autres Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit
sans delai.
2. Chacun d'eux a le droit d'intervenir au proces et, s'il exerce cette
faculte, /'interpretation contenue dans la sentence est egalement
obligatoire a son egard. »
5. Ainsi qu'il sera demontre dans les developpements qui suivent, la declaration
d'intervention du Luxembourg est pleinement conforme a la lettre et a !'esprit de
l'article 63 du Statut. La Cour a clairement indique que }'intervention au titre de
l'article 63 du Statut est uniquement soumise aux conditions du Statut et du
Reglement de la Cour, telles que verifiees par la Cour elle-meme.
2
6. L'article 82, paragraphe 2, du Reglement de la Cour (ci-apres « le Reglement »)
prevoit que la declaration par laquelle un Etat entend se prevaloir du droit
d'intervention que lui confere !'article 63 du Statut doit preciser l'affaire et la
convention auxquelles elle se rapporte et contenir les elements suivants :
a) des renseignements specifiant sur quelle base l 'Etat declarant se
considere comme partie a la convention ;
b) I 'indication des dispositions de la convention dont ii estime que
I 'interpretation est en cause ;
c) un expose de I 'interpretation qu 'ii donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents a l 'appui, qui sont annexes.
7. Comme le Luxembourg l'a deja mentionne dans sa declaration d'intervention, la
lecture ordinaire de ces dispositions indique que chaque Etat partie a la convention
pour la prevention et la repression du crime de genocide (ci-apres « convention
sur le genocide») dispose d'un « droit » d'intervention, comme l'a confinne la
Cour. 1 Confonnement a !'article 82, paragraphe 2 du Reglement, ce droit peut etre
exerce en l'espece si les criteres objectifs suivants sont remplis:
(a) L'Etat souhaitant intervenir doit demontrer qu'il est devenu partie a
la convention sur le genocide ;
(b) L' intervention doit identifier les dispositions particulieres de la
convention sur le genocide dont !'interpretation est en cause ;
(c) L'intervention doit contenir « un expose de !'interpretation» de ces
dispositions de la convention sur le genocide ;
(d) L'intervention doit contenir une liste de documents a l'appui.
8. Le controle de la recevabilite est done simple. La jurisprudence de la Cour sur
l'article 63 du Statut confinne qu'il n'y a pas d'autres conditions a la recevabilite
de !'intervention que celles indiquees ci-dessus. La Cour doit verifier si l'objet de
]'intervention souhaitee emane d'un Etat partie a la convention sur le genocide et
si l'objet de }'intervention conceme effectivement )'interpretation des dispositions
1 Haya de la Torre (Colombie c. Perou), arret, C.I.J. Recueil 1951, p. 76; Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), demande d'autorisation d'intervention, arret, C.l.J.
Recueil 1981, p. 13, paragraphe 21.
3
identifiees de la convention sur le genocide. 2
9. Cette derniere condition ne laisse place qu'a deux motifs d'irrecevabilite.
Premierement, la Cour peut rejeter une declaration s'il s'avere qu'un Etat n'avance
pas une interpretation de la convention en question, mais s'engage uniquement sur
un territoire d'application. Dans un tel cas, un intervenant agirait comme s'il etait
un « co-requerant » ou un « co-defendeur », contoumant les exigences
procedurales pour devenir une partie a part entiere. Deuxiemement, la Cour peut
declarer une intervention irrecevable si !'expose ne fait pas reference a la
convention en question, mais a d'autres organes autonomes de droit international,
sans aucun lien avec la convention concemee par le differend. Dans un tel cas, la
Cour ne serait pas tenue d'examiner la pretendue intervention, car elle serait sans
rapport avec l'affaire en cause.
10. Le Luxembourg considere qu'il s'est entierement conforme aux conditions de
recevabilite prevues a !'article 63 du Statut et a !'article 82 du Reglement. Ce point
ayant ete exhaustivement traite dans la declaration d'intervention du
Luxembourg,3 il s'abstiendra ici de repeter ses arguments. TI suffit de rappeler,
comme indique au paragraphe 18 de sa declaration, que le Luxembourg est devenu
partie a la convention sur le genocide le 7 octobre 1981. En outre, il a annonce a
la Cour son intention de contribuer a !'interpretation de !'article IX de la
convention sur le genocide, en ajoutant quelques reflexions connexes sur le fond,
comme indique au paragraphe 15 de sa declaration. Ce faisant, le Luxembourg
s'est abstenu de toute declaration qui pourrait etre consideree comme une tentative
d'appliquer la convention a certains faits survenus entre !'Ukraine et la Federation
de Russie. En consequence, il n'a pas non plus fait siennes les plaidoiries de
!'Ukraine ni ne s'est arroge un quelconque autre droit reserve a une partie au
differend.
11. La declaration commune du 13 juillet 2022 a laquelle le Luxembourg s'est
associe, souligne par ailleurs clairement le motif de son intervention dans la
presente affaire :
« II est dans l'interet de tous les Etats parties a la convention sur le
genocide, et plus largement de la communaute internationale dans son
ensemble, que la convention ne soil pas utilisee a mauvais escient ou
de maniere abusive. C'est la raison pour laquelle les signataires de la
presente declaration, qui sont parties a la convention sur le genocide,
entendent intervenir dans la presente procedure.
2 Chasse a la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japon), declaration d'intervention de la
Nouvelle-Zelande, ordonnance du 6 fevrier 2013, C.I.J. Recueil 2013, pp. 5-6, paragraphe 8.
3 Declaration d'intervention du Luxembourg, paragraphes 11-17.
4
Compte tenu des graves questions soulevees dans la presente affaire et
des consequences importantes de l'arret que la Cour rendra, ii importe
que les Etats parties a la presente convention puissent partager avec la
Cour internationale de Justice leur interpretation de certaines de ses
dispositions essentielles. »4
12. La Federation de Russie s'oppose neanmoins a cette analyse evidente en avarn;;ant
cinq contre-arguments. Toutefois, une analyse plus approfondie revele qu'aucun
d'entre eux n'est fonde sur le droit. Au contraire, comme il sera etabli dans la
section suivante, la Federation de Russie invite la Cour a lire dans le Statut des
exigences supplementaires en matiere de recevabilite des interventions au titre de
l'article 63 du Statut, qui n 'y figurent pas.
III. LES MOYENS DE LA FEDERATION DE RUSSIE NE SONT PAS
FONDES SUR LE DROIT
A. IL N'Y A PAS D'EVALUATION SUBJECTIVE DE L'INTENTION
DE L'INTERVENANT
13. Par son premier moyen, la Federation de Russie tente de convaincre la Cour de
rejeter !'intervention comme n'etant pas« veritable ». Citant plusieurs declarations
politiques de divers Etats intervenants aux paragraphes 16 a 34 de ses observations
ecrites, la Federation de Russie affirme que !'intervention s'inscrit dans une
strategie politique concertee visant a aider l'Ukraine dans cette affaire. De l'avis
de la Federation de Russie, cela revelerait !'intention du Luxembourg de devenir
de fait un « co-requerant ».
14. La presentation du droit faite par la Federation de Russie est erronee. La Cour a
utilise l'expression « veritable intervention» dans l'affaire Haya de la Torre5 pour
decrire la maniere dont elle a opere l'examen objectif consistant a determiner si
l'objet de l'intervention de Cuba etait !'interpretation de la convention de La
Havane (une « veritable » intervention) ou une tentative de rejuger une autre
affaire ( ce qui ne serait pas une « veritable » intervention). Toutefois,
contrairement a }'observation de la Federation de Russie au paragraphe 15 de ses
observations, la Cour n'a pas considere que le texte de la declaration et le contexte
dans lequel elle s'inscrit devraient etre considerees ensemble pour etablir
1'« intention reelle » de Cuba. Ce glissement semantique d'un critere objectif
(}'intervention etait-elle « veritable » ?) a un critere subjectif (l'intention du
gouvernement etait-elle «veritable»?) n'a aucun fondement dans la jurisprudence
de la Cour. Par consequent, }'argument d'une motivation politique du
4 Declaration commune sur le soutien apporte a !'Ukraine dans sa procedure devant la Cour
intemationale de Justice (13 juillet 2022) :
https://ec.europa.eu/commission/presscomer/detail/fr/statement_ 22 4509.
5 Affaire Haya de la Torre, arret du 13 juin 1951 , C.I.J. Recueil 1951, p. 71 , a lap. 77.
5
Luxembourg qui sous-tendrait la declaration d'intervention n'est pas pertinent.
15. De meme, la question de savoir si un intervenant « prendrait parti » ou non ne peut
pas entrainer l'irrecevabilite d'une intervention. Deja du temps de son
predecesseur, la Cour permanente de Justice intemationale, dans l'affaire
Wimbledon, la Cour a accepte que la Pologne, en tant qu'intervenant, partage les
arguments du requerant. 6 De plus, le Luxembourg ne « defend pas les interets de
!'Ukraine en tant que co-requerant de facto » (notre traduction), comme le pretend
le paragraphe 34 des observations de la Federation de Russie. Tel que demontre
ci-dessus, le Luxembourg n'a pas depose de recours contre la Federation de
Russie, n'a pas avance de faits et de revendications contre la Federation de Russie
sur lesquels il aurait demande a la Cour de rendre un arret, et ne s'est pas arroge
d'autres droits d'un requerant. Le premier moyen de la Federation de Russie est
done infonde dans son entierete.
B. IL N'EXISTE PAS DE CONTROLE PERMETT ANT DE VERIFIER
LES EFFETS D'UNE INTERVENTION
16. Par son deuxieme moyen, la Federation de Russie fait valoir qu'admettre
!'intervention serait incompatible avec l'egalite des parties et les exigences d'une
bonne administration de la justice. Ce faisant, elle entend deplacer le critere de
!'article 63 du Statut de la verification de l'« objet » de !'intervention vers la
verification de ses « effets » sur l'affaire. Cette proposition n'est pas non plus
soutenue par le droit.
17. L'argument relatif a l'egalite des parties avait deja ete avance par le Japon dans
l'affaire Chasse a la baleine dans l'Antarctique. II est vrai que le juge Owada a
accorde un certain credit a l'idee d'un examen des effets pour restreindre la
recevabilite d'une declaration d'intervention, comme le citent abondamment les
paragraphes 37-39 des observations de la Federation de Russie. Cependant, le juge
Owada est reste isole avec sa position parmi les juges de la Cour. Au contraire, la
Cour elle-meme a rejete l'idee meme qu'une intervention puisse affecter l'egalite
des parties si elle reste dans les limites tracees par !'article 63 du Statut. En
admettant !'intervention de la Nouvelle-Zelande, elle a ordonne :
« 18. Considerant que les preoccupations exprimees par le Japon
concernent certaines questions procedurales relatives a l'egalite entre
les Parties au differend, et non les conditions de recevabilite de
I 'intervention, enoncees a I 'article 63 du Statut et a I 'article 82 du
Reglement de la Cour ; que I 'intervention au titre de I 'article 63 du
Statut se limite a la presentation d'observations au sujet de
I 'interpretation de la convention concernee et ne permet pas a
6 Affaire du SS Wimbledon, arret du 17 aout 1923, C.P .J .I. serie A n° 1, p. 12, a la p. 18.
6
l 'intervenant, qui n 'acquiert pas la qualite de partie au differend,
d'aborder quelque autre aspect que ce soit de l'ajfaire dont est saisie
la Cour ; et qu 'une telle intervention ne peut pas compromettre
l 'egalite entre les Parties au differend;
19. Considerant que la Nouvelle-Zelande a satisfait aux conditions
enoncees a I 'article 82 du Reglement ; que sa declaration
d'intervention entre dans les previsions de !'article 63 du Statut; que,
par ailleurs, les Parties n 'ont pas eleve d'objection a la recevabilite de
la declaration; et qu 'ii s 'ensuit que la declaration d'intervention de la
Nouvelle-Zelande est recevable ». 7
18. En d'autres termes, la Cour a confirme qu'une declaration d'intervention en bonne
et due forme au titre de l'article 63 du Statut, qui se limite a la presentation
d'observations au sujet de !'interpretation de la convention concernee, ne peut pas
affecter l'egalite des parties au differend.
19. Tout en reconnaissant !'existence de cette ordonnance au paragraphe 40 de ses
observations, la Federation de Russie s'insurge neanmoins contre le fait que le
nombre eleve d'interventions souleverait un probleme de representativite au sein
de la formation de jugement en vertu de !'article 31, paragraphe 5, du Statut
(paragraphes 41-47 des observations de la Federation de Russie) et deviendrait
« ingerable » pour elle-meme et pour la Cour (paragraphe 49 des observations de
la Federation de Russie). L'admission de plusieurs intervenants irait egalement
« entierement a l'encontre de la pratique anterieure de la Cour consistant a
n'admettre qu'un seul intervenant par a.ffaire » (paragraphe 52 des observations
de Federation de Russie, notre traduction). Cependant, contrairement aux
affirmations de la Federation de Russie exprimees aux paragraphes 42-52 de ses
observations, l'ordonnance de la Cour dans l'affaire Chasse a la baleine dans
l'Antarctique presente tout autant une bonne application du droit lorsque la Cour
doit considerer plusieurs declarations d'intervention en une affaire.
20. En premier lieu, !'affirmation selon laquelle la Cour n'admettrait qu'un seul
intervenant par affaire est fallacieuse. A la meilleure connaissance du
Luxembourg, la Cour n'a jamais rejete une declaration d'intervention au motif
qu'elle avait deja declare comme recevable la declaration d'intervention d'un autre
Etat et qu'en autoriser une seconde serait done inadmissible.
21. Deuxiemement, une telle approche serait egalement manifestement arbitraire. La
Cour n'a pas le pouvoir de declarer qu'une declaration d'intervention est
7 Chasse a la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d'intervention de la
Nouvelle-Zelande, ordonnance du 6 fevrier 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 3, a lap. 9,
paragraphes 18-19.
7
irrecevable du simple fait qu'un autre Etat aurait deja depose une declaration
d'intervention auparavant. Une telle restriction empieterait directement sur le
« droit d'intervention » de chaque Etat partie a une convention dont !'interpretation
est en cause.
22. En droit, tous les Etats parties ont le droit d'intervenir en vertu de !'article 63 du
Statut, s'ils le souhaitent. En vertu de la convention sur le genocide, tousles Etats
parties peuvent meme invoquer la responsabilite d'une autre partie pour un
manquement a ses obligations erga omnes afin d'engager une procedure contre
l'autre partie. 8 Le regrette juge Can9ado Trindade a observe que tous les Etats
parties sont encore plus motives par le souci de contribuer a !'interpretation
rigoureuse des traites « lorsqu'il s'agit de traites portant sur des questions d'interet
collectif et prevoyant la garantie collective du respect des obligations contractees
par les Etats parties ».9 En l'espece, le fait que de nombreux autres Etats parties
aient juge necessaire de faire part a la Cour de leur interpretation de la convention
sur le genocide ne saurait priver le Luxembourg de son droit d'intervenir en cette
affaire en vertu de !'article 63 du Statut.
23. Troisiemement, il est un fait que plus le nombre de declarations d'intervention est
grand, plus la probabilite augmente que certains juges de la Cour soient des
ressortissants d'un Etat intervenant. Toutefois, cela ne porte pas atteinte a l'egalite
des parties. Comme l'a rappele la Cour au paragraphe 18 de son ordonnance dans
l'affaire Chasse a la baleine dans l 'Antarctique, les intervenants ne deviennent
pas partie a la procedure. Par consequent, les articles 31, paragraphe 5, du Statut,
et les articles 32 et 36 du Reglement, tels que cites par la Federation de Russie, ne
s'appliquent pas. En outre, tous les juges sont tenus de respecter leur neutralite et
leur impartialite en tout etat de cause conformement a !'article 20 du Statut.
24. Quatriemement, le Luxembourg constate que le nombre d'intervenants dans la
presente affaire est sans precedent et acquiesce que cela peut effectivement poser
de nouveaux defis organisationnels a la Cour. Conformement a !'article 30,
paragraphe 1, du Statut, la Cour jouit cependant d'une grande discretion pour
organiser la procedure. Le Luxembourg se felicite de la decision de la Cour de
demander aux intervenants de soumettre leurs observations ecrites dans un delai
identique afin de rationaliser la procedure. Afin de concourir a la bonne
administration de la justice, le Luxembourg reitere sa volonte de coordonner ses
actions futures devant la Cour avec d'autres intervenants, en particulier d'autres
Etats membres de l'Union europeenne.
8 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Gambie c. Myanmar), arret du 22 juillet 2022, p. 36, paragraphes 107-108.
9 Opinion individuelle du juge Cam;:ado Trindade, jointe a Chasse a la baleine dans
l'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d'intervention de la Nouvelle-Zelande,
ordonnance du 6 fevrier 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 33, paragraphe 53.
8
C. LA COUR PEUT DECIDER DE LA RECEV ABILITE D'UNE
DECLARATION D'INTERVENTION AVANT D'EXAMINER LES
EXCEPTIONS PRELIMINIARES DE LA FEDERATION DE
RUSSIE
25. Par son troisieme moyen, la Federation de Russie soutient que la Cour n'aurait
jamais autorise d'interventions au stade preliminaire de la procedure dans lequel
la competence ou la recevabilite d'une requete etait contestee. Aux paragraphes
53 a 55 de ses observations ecrites, elle cite six affaires a l'appui. Dans les trois
premieres affaires (Activites militaires et paramilitaires, Essais nucleaires et
Essais nucleaires [demande d'examen]), la Federation de Russie soutient que la
Cour aurait ecarte les interventions dans les phases respectives relatives a la
competence ou a la recevabilite. Dans les trois autres affaires (Haya de la Torre,
Chasse a la baleine dans l'Antarctique et Wimbledon), la Cour aurait accepte les
interventions dans la phase principale en raison du fait que, - selon le paragraphe
51 des observations de la Federation de Russie - la competence n'etait pas
contestee dans une phase distincte.
26. II apparait des lors que la Federation de Russie entend s'opposer a l'intervention
du Luxembourg en soutenant qu'il n'existe pas de precedent de l'admission d'une
declaration d'intervention au stade de l'examen de la competence de la Cour. Elle
deduit de cette pretendue pratique une obligation pour la Cour de s'abstenir de se
prononcer sur la recevabilite des declarations d'intervention avant d'examiner ses
exceptions preliminaires. Cependant, une telle obligation n'existe pas en droit et
les pretendus precedents avances par la Federation de Russie ne vont pas non plus
dans ce sens. En tout etat de cause, I' exception ne conceme pas la recevabilite de
la declaration d'intervention au titre de l'article 63 du Statut et, comme ii sera
demontre ci-apres, l'article 63 n'interdit aucunement a un Etat d'intervenir au
stade de I' examen de la competence.
27. Premierement, l'article 63 du Statut ne fait aucune distinction entre des phases
distinctes devant la Cour. Au contraire, le mot introductif « chaque fois » indique
qu'un Etat est autorise a intervenir dans toutes les phases de la procedure. 10 En
outre, l'article 82, paragraphe 1, deuxieme phrase, du Reglement ne fixe qu'un
delai butoir, a savoir l'obligation d'intervenir au plus tard a la date fixee pour
l' ouverture « de la procedure orale ». La encore, la mention de la « procedure
orale » ne fait pas de distinction entre les differentes phases de la Cour -
l'intervention peut etre deposee avant les audiences fixees pour la phase de
I' examen de la competence, de la recevabilite ou avant la phase de I' examen sur
10 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, opinion dissidente dujuge Schwebel, C.I.J.
Recueil 1984, p. 223, a lap. 234.
9
le fond. Le juge Schwebel avait precise en ce sens que « [s]i /'on avait voulu
confiner /'intervention a la procedure sur le fond, sans doute le Reglement le
dirait-il. »11 En outre, !'invitation a deposer une declaration« des que possible»
dans cette disposition confirme que le depot d'une declaration au titre de l'article
63 susmentionne est admissible a ce stade de la procedure.
28. La Federation de Russie avance egalement une interpretation erronee des termes
« convention en cause » a l'article 63 du Statut. Selon elle, il faudrait d'abord que
la Cour determine le « differend » dont elle est saisie avant de permettre aux Etats
parties a la convention sur le genocide d'intervenir. Toutefois, le role de la Cour a
l'article 63 du Statut se limite a verifier si les conditions enumerees a l'article 82,
paragraphe 2, du Reglement sont respectees. Contrairement a ce qu'allegue la
Federation de Russie, la Cour n'a pas determine en premier lieu l'objet du litige
dans l'affaire Haya de la Torre. 12 Elle s'est contentee de verifier si l'objet de
!'intervention du gouvemement de Cuba etait bien }'interpretation de la convention
de La Havane au regard de la question de savoir si la Colombie etait tenue de
remettre le refugie aux autorites peruviennes.
29. Deuxiemement, dans les deux premieres affaires citees par la Federation de Russie
a l'appui de son argument (Activites militaires et paramilitaires et Essais
nucleaires), la Cour avait en fait decide de scinder la procedure en plusieurs
phases distinctes13 avant d'examiner la recevabilite des interventions ulterieures.
En l'espece, la Cour n'a pas ordonne, en vertu de l'article 79, paragraphe 1, du
Reglement, de separer les procedures apres le depot de l'exception preliminaire de
la Federation de Russie. Elle a au contraire autorise l'Ukraine a traiter de la
competence, de la recevabilite et du fond dans un seul memoire. En consequence,
aucune autorite ne peut etre degagee des affaires Activites militaires et
paramilitaires et Essais nucleaires pour la presente affaire : dans ces affaires, il y
avait une phase differente de competence et de recevabilite, alors que dans la
presente affaire il n'y en a pas.
30. Troisiemement, meme si la Cour avait separe les procedures en deux phases
distinctes en l'espece, rien dans la jurisprudence n'indique une obligation pour la
Cour de s'abstenir de se prononcer sur la recevabilite d'une declaration
d'intervention pendant la phase de l'examen de la competence. Dans l'affaire
Activites militaires et paramilitaires, la competence de la Cour dependait de la
11 Ibid., a lap. 235.
12 Ajfaire Haya de la Torre, arret du 13 juin 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 71, a lap. 77.
13 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), mesures provisoires, Ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, p.
169, a lap. 187, Point D (separant competence et recevabilite de la phase du fond); Essais
nucleaires (Nouvelle-Zelande c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973,
C.I.J. Recueil 1973, p. 135, a lap. 142.
10
comprehension de l'article 36, paragraphes 2 et 5, du Statut, et le fond touchait a
des questions relevant de la Charte des Nations Unies et du droit international
coutumier. La declaration d'intervention du Salvador du 15 aout 1984 portait
principalement sur ce demier point et ne contenait aucune affirmation sur la
maniere dont il interpretait l'article 36, paragraphes 2 et 5, du Statut. Dans ce
contexte, la Cour a rejete la requete « dans la mesure ou elle se rapporte a la phase
actuelle de la procedure ». 14 Comme l'ont explique le juge Singh, 15 les juges Ruda,
Mosler, Ago, Jennings et De Lacharriere, 16 ainsi que le juge Oda, 17 la Cour a
principalement tenu compte du fait que la declaration du Salvador portait
essentiellement sur le fond de l'affaire, mais etait insuffisante au regard de la
question de competence posee a la Cour. Cette explication est egalement partagee
par la doctrine. 18
31. Par ailleurs, le juge Schwebel a convenu avec la majorite des juges que la
declaration ne repondait pas suffisamment aux conditions enoncees a !'article 82,
paragraphe 2, du Reglement, tout en soulignant que rien dans !'article 63 du Statut
n'interdit les interventions avant l'ouverture de la procedure sur le fond, la seule
condition temporelle emanant du Statut etant que les declarations d'intervention
doivent etre deposees avant la date fixee pour l'ouverture de la procedure orale. 19
32. II apparaH done que la Cour a rejete la declaration du Salvador comme irrecevable
pendant la phase juridictionnelle parce que et seulement dans la mesure ou elle
ne contenait aucune interpretation de /'article 36, paragraphes 2 et 5, du Statut
comme base pour l 'examen de l'affaire. La Cour n'a pas juge qu'une intervention
au titre de !'article 63 du Statut ne pouvait jamais etre recevable pendant la phase
juridictionnelle, comme la Federation de Russie semble le lire dans l'ordonnance
de la Cour du 4 octobre 1986.
14 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre ce/ui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, ordonnance du 4 octobre 1984, C.I.J. Recueil
1984, p. 215, a lap. 216.
15 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre ce/ui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, opinion separee dujuge Singh, C.I.J. Recueil
1984, p. 218.
16 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, opinion individuelle des juges Ruda, Mosler, Ago,
Sir Robert Jennings et De Lacharriere, C.I.J. Recueil 1984, p. 219.
17 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, opinion separee dujuge Oda, C.I.J. Recueil 1984,
p. 220.
18 Juan Jose Quintana, Litigation at the International Court of Justice (Brill Nijhoff2015), pp.
943-944.
19 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre ce/ui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, opinion dissidente du juge Schwebel, C.I.J.
Recueil 1984, p. 223, aux pp. 224, 235-236.
11
33. II en va de meme pour l'affaire Essais nucleaires. Apres avoir ordonne une phase
d'examen de la competence enjuin 1973, la Cour a declare enjuillet de la meme
annee !'intervention de Fidji de mai 1973 recevable. Toutefois, elle en a reporte
l'examen au fond car l'intervention ne contenait aucune interpretation de l'affaire
relative a l'examen de la competence.20 En d'autres termes, la Cour a pu decider
de la recevabilite de !'intervention pendant la phase juridictionnelle en cours, mais
elle en a reporte l'examen a la phase du fond, car !'intervention ne traitait que des
questions relatives au fond.
34. Quatriemement, l'affaire Essais nucleaires (demande d'examen) ne vient pas non
plus etayer l'argumentaire de la Federation de Russie. Dans cette affaire, la Cour
etait saisie de la requete de la Nouvelle-Zelande datant d'aout 1995 et de quatre
interventions ulterieures au titre de !'article 63 du Statut pour reexaminer le
paragraphe 63 de son precedent arret dans l'affaire des Essais nucleaires. Au lieu
de separer les procedures, la Cour a tenu une audience en septembre 1995 et a
rejete a la fois la requete et les quatre interventions dans une ordonnance d'octobre
de la meme annee. Le seul enseignement de cette affaire est done que la Cour a le
pouvoir discretionnaire de rejeter une requete ainsi que les pretendues
interventions. Cependant, elle n'implique pas une obligation pour la Cour
d'ignorer une intervention avant l'examen des exceptions preliminaires du
defendeur.
35. La lecture de la jurisprudence susmentionnee relative a la recevabilite des
declarations d'intervention lors de la phase juridictionnelle est egalement appuyee
par la doctrine :
[PJ lusieurs arguments plaident en faveur de la possibilite pour un Etat tiers
de presenter une declaration d'intervention au stade de la competence et de
la recevabi/ite, du moins en vertu de !'article 63 [du Statut]. Le libelle de
!'article 63 est sans reserve, puisqu 'ii affirme que « [l] orsque s 'a git de
!'interpretation d'une convention[. . .}», ce qui implique qu 'ii est applicable
a toutes les phases de l 'affaire. L 'article 63 ne fait pas de distinction entre
les types de dispositions conventionnelles ou les types de traites. Le but de
!'article 63 est de permettre aux parties a une convention multilaterale de
soumettre a la Cour leur interpretation dans les procedures auxquelles elles
ne sont pas parties. 21
20 Essais nucleaires (Nouvelle-Zelande c. France), demande d'intervention, ordonnance du 12
juillet 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 324, a lap. 325.
21 Alina Miron/Christine Chinkin, Article 63, dans : Zimmermann/Tams/OellersFrahm/
Tomuschat (Eds.), The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (3e
Ed. OUP 2019), p. 1741, a lap. 1764 (notre traduction).
12
36. En conclusion, rien dans !'article 63 du Statut ou dans la jurisprudence de la Cour
ne soutient !'argument de la Federation de Russie selon lequel la Cour ne pourrait
pas traiter de la recevabilite d'une declaration d'intervention avant de se prononcer
sur !'exception preliminaire de la Federation de Russie.
D. LE LUXEMBOURG PEUT INTERVENIR SUR LA QUESTION DE
LA COMPETENCE DE LACOUR
37. Par ses quatrieme et cinquieme moyens, la Federation de Russie critique le fait
que la declaration d'intervention du Luxembourg traiterait en fait de questions qui
presupposent que la Cour est competente ainsi que, ou respectivement, que la
requete de !'Ukraine est recevable. La Federation de Russie se plaint, en
particulier, que la declaration contient une interpretation de !'article IX de la
convention sur le genocide concernant la competence de la Cour. Pour la
Federation de Russie, cela rend la declaration irrecevable car elle serait redigee
d'une maniere qui presuppose que la Cour est competente pour connaitre du
differend allegue. Ainsi, la Federation de Russie soutient effectivement qu'un Etat
ne pourrait intervenir sur les questions de competence, car prendre position sur ce
point « presupposerait » que la Cour soit competente. Dans son cinquieme moyen,
elle repete cet argument, contestant le droit d'intervention du Luxembourg sur
!'article IX de la convention en soi.
32. De l'avis du Luxembourg, ce raisonnement est contraire a }'article 63 du Statut et
a la pratique de la Cour.
33. Selon !'article 63, paragraphe 1, du Statut, un Etat partie peut intervenir sur
« /'interpretation d'une convention ». Le libelle clair fait reference a !'ensemble de
la convention, y compris sa clause compromissoire, le cas echeant. Par
consequent, rien dans le texte ne suggere qu'un Etat ne serait pas autorise a
proposer a la Cour son interpretation de !'article IX de la convention sur le
genocide.
34. Ce point est encore renforce par l'objet et le but de }'article 63 du Statut. Les Etats
n'ont pas seulement un inten~t legitime a faire part a la Cour de leur interpretation
des obligations de fond contenues dans une convention en question devant la
Cour. II est tout aussi important qu'ils soient entendus sur les questions de
competence, car cela peut affecter leur propre position devant la Cour dans les
affaires qui pourraient les concemer a l' avenir. Par consequent, une intervention
au titre de !'article 63 du Statut peut couvrir a la fois les aspects de competence et
les aspects de fond. 22
22 Malcolm Shaw (Ed.), Rosenne's Law and Practice of the International Court 1920-2015 (5e
Ed, Vo) III, Brill Nijhoff2016), p. 1533 ; Hugh Thirlway, The Law and Procedure of the
International Court of Justice: Fifty Years of Jurisprudence (Vol I, OUP 2013), p. 1031 ;
13
35. La pratique de la Cour va dans le meme sens. Jusqu'a present, la Cour n'a jamais
rejete une intervention parce qu'elle visait ( entierement ou principalement) a
interpreter une clause compromissoire. Au contraire, dans l'affaire Activites
militaires et paramilitaires, la tentative du Salvador d'influer sur la question de la
competence devant la Cour a echoue parce que sa declaration ne s'etait pas
conformee aux exigences formelles de !'article 82, paragraphe 2, alineas b) et c ),
pour la grande majorite des juges de la Cour. Si elle l'avait fait, elle aurait presente
un interet pour la Cour, comme l'a expressement confirme le juge Oda.23 En outre,
le juge Schwebel a meme estime que les defauts de la declaration initiale du
Salvador sur la competence avaient ete corriges par des lettres ulterieures. Sur la
base de cette lecture, il etait pret a admettre la declaration du Salvador sur les
questions de competence.24
36. Dans l'affaire Prisonniers de guerre pakistanais, le juge Petren a defendu un point
de vue similaire. II a note que le Pakistan et l'Inde avaient des points de vue
differents sur la convention sur le genocide, notamment sur sa clause
juridictionnelle. Selan lui, « /'article 63 du Statut de la Cour exige que les
questions ainsi soulevees soient notifiees sans delai aux £,tats parties aux deux
instruments internationaux en question ».25 Une telle invitation n'aurait aucun
sens si les Etats ne pouvaient pas se prononcer sur l'article IX de la convention sur
le genocide en vertu de l'article 63 du Statut.
37. II est evident que la declaration d'intervention du Luxembourg accorde une place
preponderante a }'interpretation de la clause compromissoire contenue dans
l' article IX de la convention sur le genocide. Les arguments mis en avant par le
Luxembourg sont tenus en des termes abstraits precisement pour aider la Cour a
interpreter !'article IX de la convention sur le genocide dans la presente affaire. II
fait reference a des dispositions de fond de la convention egalement aux fins de
!'interpretation de !'article IX, notamment en ce qui conceme la competence
ratione materiae de la Cour.26 Ceci est d'autant plus pertinent que la Federation
de Russie a depose des exceptions preliminaires a la competence de la Cour.
Alina Miroru'Christine Chinkin, Article 63, dans : Zimmennanru'Tams/OellersFrahm/
Tomuschat (Eds.), The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (3°
Ed. OUP 2019), p. 1741, a lap. 1763, note 46.
23 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre ce/ui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), intervention du Salvador, opinion separee dujuge Oda, C.I.J. Recueil 1984,
p. 220, a lap. 221.
24 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis
d'Amerique), Intervention du Salvador, opinion dissidente du juge Schwebel, C.I.J.
Recueil 1984, p. 223, aux pp. 235-236.
25 Proces des prisonniers de guerre pakistanais (Pakistan c. lnde), protection provisoire,
ordonnance du 13 juillet 1973, opinion separee dujuge Petren, C.I.J. Recueil 1973, p. 334, a la
p. 335.
26 Declaration d'intervention du Luxembourg, paragraphes 28-29.
14
38. II s'ensuit que le Luxembourg a correctement exerce son droit d'intervention en
vertu de l'article 63 du Statut. Le fait que la declaration d'intervention du
Luxembourg porte egalement sur la clause compromissoire de l'article IX de la
convention sur le genocide ne rend pas cette declaration irrecevable.
E. LES ARGUMENTS DU LUXEMBOURG SONT PERTINENTS
PAR RAPPORT A LA CONVENTION SUR LE GENOCIDE
39. Par son demier moyen, la Federation de Russie se refere a l'affirmation du
Luxembourg selon laquelle « le contexte de l' article IX confirme que la
competence de la Cour va au-dela des differends entre Etats sur la responsabilite
d'actes de genocide allegues, mais couvre egalement les differends entre Etats sur
]'absence de genocide et la violation d'une execution de bonne foi de la
convention, entrainant un abus de droit ».27 Ce moyen se fonde sur des allegations
selon lesquelles cette observation ne se rapporterait pas a l'interpretation de la
convention sur le genocide et constituerait une incursion inadmissible dans
}'interpretation ou ]'application d'autres regles intemationales distinctes du traite
en question et provenant de sources differentes.
40. Ce moyen est base sur une perception erronee de la declaration du Luxembourg.
Il est clair que la declaration n'a pas introduit ces developpements sur Jes
differends relatifs au constat « negatif » d'une absence de genocide et sur
l 'importance de la bonne foi dans les relations intemationales comme une question
autonome. Au contraire, cette affirmation faisait partie de ]'interpretation de
l'article IX de la convention sur le genocide, soutenue par le Luxembourg.
41. La Federation de Russie s'efforce de presenter la declaration d'intervention du
Luxembourg comme traitant de questions de fait, comme le ferait une partie a la
procedure. Or, au contraire, la declaration du Luxembourg est redigee en des
termes qui traitent de }'interpretation de la convention sur le genocide, en prenant
en consideration Jes questions juridiques qui sont pertinentes en I' espece, sans
aucune reference aux faits et elements de preuve qui se rapportent a ces questions.
42. Dans sa declaration d'intervention, le Luxembourg a bien precise que son but
consiste a « [soutenir} le role essentiel de la Cour » dans !'interpretation des
obligations de la convention sur le genocide, a laquelle « les Etats contractants
n 'ont pas d'interets propres [et] ont seulement, tous et chacun, un interet
commun, celui de preserver les fins superieures qui sont la raison d'etre de la
convention ».28 En procedant de la maniere, le Luxembourg s'est appuye sur les
moyens etablis en droit international pour l'interpretation de dispositions
27 Jbid., paragraphe 31.
28 Ibid., paragraphes 10 et 12 (par reference a l'avis consultatif de la Cour du 28 mai 1951).
15
juridiques, dont notamment la convention de Vienne sur le droit des traites, ainsi
que les regles coutumieres d'interpretation des traites y compris le principe de
bonne foi dans les relations internationales. 11 a en outre souligne que la nature
erga omnes des obligations decoulant de la convention sur le genocide justifie un
inten~t de toutes les parties a son interpretation correcte.29 L'intention du
Luxembourg est d'assister la Cour dans sa tache d'interpretation, afin d'eviter que
la convention ne soit detournee ou utilisee de maniere constituant un abus de droit.
Cela s'inscrit dans l'esprit et la logique de l'article 63 du Statut, qui reconnait le
droit des Etats qui sont parties a une convention, mais non a un differend, d'agir
en tant que « gardiens » de ladite convention. 30
43. Cette technique est non seulement autorisee par le droit international, mais aussi
necessaire. En vertu de l'article 31, paragraphe 3, sous c) de la convention de
Vienne sur le droit des traites, qui represente le droit international coutumier,31
l'interpretation d'un traite peut inclure « toute regle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties ».
44. Selon le rapport du groupe d'etude de la Commission du droit international (CDI)
sur la fragmentation du droit international, la notion de « regle pertinente »
comprend le droit international coutumier, les principes generaux du droit et le
droit des traites.32 11 s'ensuit que la mention des principes generaux de bonne foi
et pacta sunt servanda, de la notion d' abus de droit ainsi que des buts des Nations
Unies comme aide a l'interpretation de I' article IX de la convention sur le genocide
ne peut etre consideree comme une « incursion inadmissible ». Au contraire, elle
contribue a l'interpretation integrale requise du droit international en tant qu'ordre
juridique.
45. Le Luxembourg trouve un soutien supplementaire a sa position dans l'ordonnance
de la Cour du 16 mars 2022. Au paragraphe 58, la Cour a declare :
« Les actes entrepris par les Parties contractantes « pour prevenir et
29 Ibid., paragraphes 10 et 38.
30 Ibid., paragraphe 12.
31 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Gambie c. Myanmar), arret du 22 juillet 2022, p. 31, paragraphe 87: « [L]a Cour aura recours
aux regles coutumieres de droit international relatives a I 'interpretation des traites, telles que
refletees aux articles 31 a 33 de la convention de Vienne sur le droit des traites du 23 mai
1969 »; voir egalementApplication de la Convention internationale sur /'elimination de toutes
lesformes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), Exceptions preliminaires,
arret du 4 fevrier 2021, p. 24, paragraphe 75 avec d'autres references.
32 Fragmentation du droit international : Difficultes decoulant de la diversification et de
!'expansion du droit international, Rapport du groupe d'etude de la CDI etabli par M. Martti
Koskenniemi, 13 avril 2006, pp. 94-96:
https://legal. un.org/ilc/ documentation/french/a cn4 1682. pdf.
16
punir » le genocide doivent etre conformes a !'esprit et aux buts des
Nations Unies, tels qu'ils sont enonces a !'article premier de la Charte
des Nations Unies. »33
46. I1 apparait que la Cour a interprete l'article premier de la convention sur le
genocide a la lumiere de l'article premier de la Charte des Nations Unies. Dans le
meme ordre d'idees, le Luxembourg suggere qu'il est possible d'interpreter l'article
IX a la lumiere du principe de bonne foi dans les relations internationales, de pacta
sunt servanda, de la diligence raisonnable et des buts des Nations Unies, comme
le permet l'article 31, paragraphe 3, sous c) de la convention de Vienne. Cela ne
depasse pas les limites de l'article 63 du Statut, mais reste dans le cadre de
!'exigence d'interpreter la convention en question conformement aux regles
acceptees d'interpretation des traites.
4 7. Par consequent, la reference a des regles et principes apparemment exterieurs a la
convention sur le genocide a ete faite par le Luxembourg exclusivement pour
assister la Cour dans !'interpretation des dispositions materielles de la convention.
I1 en resulte que le Luxembourg a agi entierement dans les limites fixees par
l'article 63 du Statut.
IV. CONCLUSION
47. Pour les raisons exposees ci-dessus, le Luxembourg estime que sa declaration
d'intervention satisfait pleinement aux exigences de l'article 63 du Statut et de
l'article 82 du Reglement et demande que toutes les exceptions a la recevabilite de
son intervention, soulevees par la Federation de Russie, soient rejetees.
Le Luxembourg demande par consequent a la Cour de dire que sa declaration
d'intervention est recevable et de lui permettre de presenter ses observations
ecrites en temps utile afin d'exercer son droit d'intervention en tant que partie a la
convention sur le genocide.
33 Allegations de genocide en vertu de la Convention pour la prevention et la repression du
crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, p. 13,
paragraphe 58.
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Luxembourg, le 13 fevrier 2023
Respectueusement,
(signe)
Alain Germeaux
Agent du gouvemement
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Observations écrites du Luxembourg sur la recevabilité de sa déclaration d’intervention