Observations écrites de la Belgique sur la recevabilité de sa déclaration d’intervention

Document Number
182-20230213-WRI-04-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBSERVATIONS ECRITES DU ROYAUME DE BELGIQUE
SUR LA RECEV ABILITE DE SA DECLARATION
D'INTERVENTION
10 FEVRIER 2023
en I' affaire
ALLEGATIONS DE GENOCIDE AU TITRE DE LA
CONVENTION POUR LA PREVENTION ET LA REPRESSION
DU CRIME DE GENOCIDE
(UKRAINE C. FEDERATION DE RUSSIE)
Table de matiere
I. L'intervention de la Belgique est une veritable intervention au sens de !'article 63 du
Statut 3
A. La Declaration est conforme aux exigences du Statut .................................................... 3
B. L'intervention de la Belgique constitue une veritable intervention ................................ 5
C. Le pretendu changement de position de la Belgique ....................................................... 6
II. L'intervention de la Belgique est compatible avec le principe d'egalite des parties et
I' exigence d 'une bonne administration de la justice .................................................................. 6
III. La Cour peut deja ace stade se prononcer sur la recevabilite de la Declaration de la
Belgique ..................................................................................................................................... 7
A. La« pratique de longue date» evoquee par la Russie n'existe pas ................................ 7
B. L'argument de la Russie repose sur une representation erronee de la notion de« litige »
et de ce que signifie « en question » ....................................................................................... 9
IV. La Declaration de la Belgique ne peut etre consideree comme irrecevable en ce qu'elle
traiterait de questions non seulement liees a la competence mais aussi liees au fond ............. 11
V. L'interpretation d'une clause compromissoire comme !'article IX de la Convention
peut faire partie d'une intervention sur la base de !'article 63 du Statut.. ................................ 13
VI. La Declaration de la Belgique cherche a traiter de questions sur !'interpretation de la
Convention ............................................................................................................................... 14
VII. Conclusion ..................................................................................................................... 15
2
OBSERVATIONS ECRITES DU ROY AUME DE BELGIQUE
SUR LA RECEV ABILITE DE SA DECLARATION D'INTERVENTION
A Monsieur le Greffier (ci-apres « le Greffier ») de la Cour internationale de Justice (ci-apres
« la Cour » ), le soussigne, dument autorise par le Gouvernement du Royaume de Belgique ( ciapres
« la Belgique » ), declare ce qui suit :
1. En reference aux lettres du Greffier n° 158454 du 31 janvier 2023 et n° 158505 du
2 fevrier 2023, j'ai l'honneur de soumettre a la Cour, au nom de la Belgique, des observations
ecrites sur la recevabilite de la Declaration d'intervention que la Belgique a soumise a la Cour
le 6 decembre 2022 en l'affaire relative aux Allegations de genocide au titre de la Convention
pour la prevention et la repression du crime de genocide (Uh·aine c. Federation de Russie).
2. La Belgique a soumis ladite Declaration d'intervention (ci-apres « la Declaration de la
Belgique » ou « la Declaration ») en ve1iu du droit etabli au paragraphe 2 de I' article 63 du
Statut de la Cour ( ci-apres « le Statut » ).
3. Les observations soumises par la Belgique constituent une reponse aux observations ecrites que
la Federation de Russie (ci-apres « la Russie ») a soumises a la Cour le 30 janvier 2023.
4. Les observations de la Belgique suivent la structure des observations ecrites de la Russie, qui
font objection a la recevabilite de la Declaration de la Belgique ainsi que de certains autres
Etats.
I. L'INTERVENTION DE LA BELGIQUE EST UNE VERITABLE
INTERVENTION AU SENS DEL' ARTICLE 63 DU STATUT
5. L'intervention de la Belgique est une veritable intervention au sens de l'article 63 du Statut.
Tout d'abord, la Declaration est non seulement conforme a toutes Jes exigences necessaires
telles que definies dans le Statut et le Reglement de la Cour (ci-apres « le Reglement ») (A.),
mais elle doit aussi etre consideree comme une intervention au sens veritable du mot (B.). En
outre, I 'allegation de la Russie selon laquelle la Belgique aurait adopte une position differente
dans une autres affaire n'est pas pe1iinente aux fins de la recevabilite de la Declaration (C.).
A. La Declaration est conforme aux exigences du Statut
6. L'article 63 du Statut prevoit que:
« 1. Lorsqu 'ii s 'agit de l 'inte1pretation d 'une convention a laquelle ont participe d 'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai.
2. Chacun d'eux a le droit d 'intervenir au proces et, s 'ii exerce cette faculte, l 'inte1pretation
contenue dans la sentence est egalement obligatoire a son egard. »
3
Le paragraphe 2 de !'article 82 du Reglement prevoit que la declaration par laquelle un Etat
entend se prevaloir du droit d'intervention que Jui confere !'article 63 du Statut doit notamment
preciser Jes elements suivants :
« 2. La declaration indique le 110111 de I 'agent. Elle precise l 'affaire et la convention qu 'elle
concerne et contient :
a) des renseignements specifiant sw· quelle base l 'Etat declarant se considere comme partie
et la convention;
b) I 'indication des dispositions de la convention don! ii estime que I 'interpretation est en
cause;
c) un expose de l 'inte,pretation qu 'ii donne de ces dispositions;
d) un bordereau des documents a l'appui, qui sont annexes.»
7. La Cour a reconnu que !'article 63 confere un « droit » d'intervention. 1 La Cour n'a pas,
lorsqu'elle est destinataire d'une declaration d'intervention fondee sur !'article 63 du Statut, a
rechercher si l'Etat qui en est !'auteur possede « un interet d'ordre juridique » qui est« pour Jui
en cause» dans la procedure principale.2 Lorsque la Cour est convaincue qu'un Etat intervenant
a rempli Jes conditions qui s'attachent a l'exercice du droit d'intervention en ve1iu de
!'article 63 du Statut et de l'atiicle 82 du Reglement, « la Cour est tenue d'admettre
l 'inte111ention, et n 'a aucun pouvoir discretionnaire en la matiere ... ». 3
8. La Belgique considere qu'elle a pleinement satisfait aux conditions de recevabilite prevues aux
articles 63 du Statut et 82 du Reglement de la Cour. La Declaration de la Belgique affirme non
seulement que celle-ci est presentee a la premiere occasion s'offrant raisonnablement a la
Belgique ;4 elle indique egalement le nom de I' agent et precise I' affaire et la convention
concernees par ladite Declaration, a savoir l'affaire relative auxAllegations de genocide au titre
de la Convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Ukraine c.
Federation de Russie), soumise a la Cour le 26 fevrier 2022, et la Convention du
9 decembre 1948 pour la prevention et la repression du crime de genocide ( ci-apres « la
Convention sur le genocide» ou « la Convention »).5 De plus, s'agissant des conditions visees
a l'alinea a) ad) du paragraphe 2 de !'article 82 du Reglement, la Declaration de la Belgique
contient la base sur laquelle la Belgique est partie a la Convention, 6 Jes dispositions de la
Convention en cause,7 un expose sur !'interpretation des dispositions en cause8 et, finalement,
Jes documents a l'appui de la Declaration.9
1 Differend territorial et maritime (Nicaragua c. Co!ombie), requete du Honduras dfln d'intervention, arret, C.l.J.
Recueil 20! l (II), p. 434, paragraphe 36; Plateau continental (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), requete dfln
d'intervention, arret, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, paragraphe 26; Chasse Cl la baleine dans l'Antarctique (Australie
c. Japon), declaration d'intervention de la Nouvelle-Zelande, ordonnance du 6/evrier 2013, C.l.J. Recueil 2013,
p. 5, paragraphe 7.
2 Chasse it la baleine clans l'Antarctique (Austra!ie c. Japon), declaration d'intervention de la Nouvelle-Zelande,
ordonnance du 6/evrier 2013, C.l.J. Recueil 2013, p. 5, paragraphe 7.
3 Traduction fran9aise de G. Fitzmaurice, "The law and procedure of the International Court of Justice, 1951-4:
questions of jurisdiction, competence and procedure", British Yearbook of lntemational Law 1958, vol. 34, p. 127:
" ... the Court is bound to admit the intervention, and has no discretiona,JJ power in the matter ... ".
4 Declaration de la Belgique, paragraphe 14.
5 Declaration de la Belgique, paragraphes 1, 15 et 49.
6 Declaration de la Belgique, paragraphe 15.
7 Declaration de la Belgique, paragraphe 16.
8 Declaration de la Belgique, paragraphes 17 a 46.
9 Declaration de la Belgique, paragraphe 47.
4
B. L 'interventfon de la Belgique constitue une veritable intervention
9. Dans son premier argument, la Russie tente de convaincre la Cour de rejeter !'intervention de
la Belgique comme n'etant pas « veritable», dans la mesure ou son objet reel ne serait pas de
donner une interpretation des dispositions de la Convention mais de devenir de facto corequerants
aux cotes de !'Ukraine. Cet argument est errone.
10. Dans l'affaire Haya de la Torre, la Cour a precise Jes termes « veritable intervention» en
examinant la declaration d'intervention presentee par le gouvernement de Cuba:
« Dans ces conditions, le seul point qu 'ii importe de verifier est de savoir si I 'intervention
du Gouvernement de Cuba a bien pour objet l 'inte1pretation de la Convention de La
Havane relativement a !'obligation qui incomberait a la Colombie de remettre le refi1gie
aux autorites peruviennes. » IO
II s'agit des !ors d'un examen objectif qui doit etre fait par la Cour pour determiner si une
intervention a effectivement pour objet !'interpretation d'une convention. Dans cet arret, la
Cour a estime qu'il ne s'agissait pas d'une veritable intervention qui visait a interpreter la
Convention de La Havane, mais plutot d'une tentative de rouvrir une affaire precedente.
11. II s'ensuit que le seul point qu'il importe de verifier est de savoir si la Declaration de la Belgique
a be! et bien pour objet !'interpretation de la Convention sur le genocide. La Belgique a explique
le but de son intervention aux paragraphes 9 a 11 de sa Declaration:
« La Belgique considere que l'exercice, dans la presente ajfaire, du droit d'intervenir tel
que prevu par I 'article 63 du Statut permet aux Etats parties a la Convention de reaffirmer
leur engagement col!ectif a respecter les droits et obligations contenus dans cette
Convention, et de reaffirmer le role essentiel de la Cour. (. . .)
La Belgique se limitera done a exposer ses vues sur des dispositions de la Convention dont
l 'inte1pretation apparaft en cause dans la presente ajfaire. Ceci est conforme a l 'objet de
I 'article 63 du Statut, qui est de promouvoir I 'unite dans la comprehension des conventions
multilaterales et de prevenir des dijferends entre Etats au sz!}et de l 'inte1pretation et de
I 'application de ces conventions. » 11
12. De plus, le predecesseur de la Cour, la Cour permanente, avait deja reconnu en 1923 qu 'un
intervenant au titre de l'miicle 63 pouvait soutenir l'une des parties initiales, lorsque la Pologne,
en tant qu'intervenant, s'etait declaree d'accord avec Jes arguments des demandeurs. 12 La Cour
permanente a enregistre cette co'incidence de vues et a traite la demande de la Pologne comme
une veritable« declaration d'intervention » au sens de !'article 63 du Statut.13
La Cour a maintenu cette consideration selon laquelle !'intervention d'un Etat tiers visant a
soutenir !'interpretation particuliere par une pmiie au differend est autorisee. Dans la plus
recente intervention admise au titre de !'article 63 du Statut, celle de la Nouvelle-Zelande dans
l'affaire Chasse a la baleine dans l'Antarctique, la Cour a confirme qu'une intervention au titre
de l'miicle 63 du Statut « ne peut pas compromettre l'egalite entre les Parties au dijferend »,
10 Ajfaire Haya de la Torre (Co!ombie c. Perou), arret du 13 juin 1951, Cl. J. Recuei! 1951, p. 77.
11 Declaration de la Belgique, paragraphes 9 a 11.
12 Ajfaire du Vapeur «Wimbledon», Question de !'intervention de la Po!ogne, arret du 28juin 1923, C.P.J.I. serie
A no 1, p. 12-13.
13 Ibid., p. 13
5
car l 'intervenant ne peut acquerir le statut de partie. 14 L'argument du Japon selon lequel
I' Australie et la N ouvelle-Zelande etaient des parties ayant le meme interet, « pourszdvant ce
qu; pourrait enfait etre une ajja;re commune», n'a pas ete retenu par la Cour.
13. Par consequent, la Declaration de la Belgique est une veritable intervention, car elle respecte
toutes Jes exigences du Statut et du Reglement et est conforme a la jurisprudence de la Cour a
ce sujet.
C. Le pretendu changement de position de la Be[g;que
14. Dans le cadre de son premier argument alleguant que la Declaration de la Belgique n'est pas
une veritable intervention, la Russie affirme que la position de la Belgique serait en
contradiction avec sa position dans l'affaire Lichte de l 'emplo; de la force (Serb;e-etMontenegro
c. Belg;que/5
, ce qui confirmerait que le declarant n'a pas !'intention de fournir
ses propres vues concernant I' interpretation de la Convention. Cet argument ne peut etre
accepte.
15. Comme deja expose au paragraphe l O des presentes observations ecrites, un examen objectif
s'impose pour determiner si une intervention a effectivement pour objet !'interpretation d'une
convention. Dans l'affaire Haya de la Torre, la Cour n'a pas pris en compte la question de
!'intention de l'intervenant. 16
16. Le fait que ni !'intention, ni un pretendu changement de position ne sont pertinents aux fins de
la recevabilite d'une declaration est encore confirme par le texte de !'article 63 du Statut et de
!'article 82 du Reglement. Ces elements ne sont pas refletes dans Jes conditions de recevabilite
de !'intervention contenues dans ces articles. 17
17. Par consequent, !'allegation de la Russie selon laquelle la Belgique aurait adopte une position
differente dans une autres affaire n'est pas pe1tinente aux fins de la recevabilite de sa
Declaration dans la presente affaire.
II. L'INTERVENTION DE LA BELGIQUE EST COMPATIBLE AVEC LE
PRINCIPE D'EGALITE DES PARTIES ET L'EXIGENCE D'UNE BONNE
ADMINISTRATION DE LA JUSTICE
18. Dans l'affaire Chasse et la ba/e;ne dans l'Antarctique, la Cour, jugeant la declaration de la
Nouvelle-Zelande recevable, a souligne qu'une intervention au titre de !'article 63 du Statut ne
confere pas a l'intervenant la qualite de partie au differend et a rejete l'idee qu'une telle
intervention puisse compromettre l'egalite entre Jes Paities au differend. 18
14 Chasse a la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d'inteJ11ention de la Nouve!!e-Zelande,
ordonnance du 6/evrier 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, paragraphes 18 et 21.
15 The Russian Federation's written observations on admissibility of the declarations of intervention, 30 janvier
2023, paragraphes 31 et 33(a) (ci-apres: « observations ecrites de la Russie »), se referant a l'affaire Liceite de
1 'emploi de la force (Serbie-et-Montenegro c. Belgique), exceptions pre!iminaires, arret, C.I.J. Recueil 2004, p.
279.
16 A.ffaire Haya de la Torre (Colombie c Perou), mTet du 13 juin I 951, Cl. J. Recueil 1951, p. 77.
17 Voy. paragraphes 6 a 8 des presentes observations ecrites.
18 Chasse a la baleine dans 1 'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d 'intervention de la Nouve!!e-Zelande,
ordonnance du 6 fevrier 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, paragraphe 18.
6
19. Cette conclusion s'inscrit egalement dans l'idee, soulignee par la Belgique dans sa
Declaration19, que !'intervention au titre de !'article 63 du Statut constitue un instrument
indispensable a la bonne administration de la justice.20 L'objet de cet at1icle est, en effet, de
promouvoir I 'unite dans la comprehension des conventions multilaterales et de prevenir des
differends entre Etats au sujet de !'interpretation et de !'application de ces conventions.21 Ceci
revet encore plus d'importance lorsque les questions juridiques en jeu concernent des
obligations erga omnes.22
III. LA COUR PEUT DEJA A CE STADE SE PRONONCER SUR LA
RECEVABILITE DE LA DECLARATION DE LA BELGIQUE
20. La Cour peut deja a ce stade de la procedure se prononcer sur la recevabilite de la Declaration
de la Belgique, car la « pratique de longue date» evoquee par la Russie (qui s'opposerait a
!'admission des declarations d'intervention avant l'examen des exceptions preliminaires)
n'existe pas (A.). De plus, !'argument de la Russie selon lequel la Cour doit d'abord examiner
les conclusions des Parties et confirmer que la Cour est competente pour conna'itre de la
demande du demandeur repose sur une representation erronee de la notion de « litige » et de ce
que signifie « en question» (B.)
A. La « pratique de tongue date » evoquee par la Russie n 'existe pas
21. La Russie tente de s' appuyer sur une « pratique de longue date » de la Cour pour pretendre que
la Course prononcerait contre !'admission des declarations d'intervention avant la resolution
des exceptions preliminaires.23 Toutefois, la Cour n'ajamais declare qu'une intervention n'etait
autorisee qu'apres le stade preliminaire de la procedure dans laquelle sa competence ou la
recevabilite d'une demande etait contestee. Les six affaires evoquees par la Russie ne
soutiennent pas cette pretention. En pat1iculier :
(a) Dans l'affaire Activites militaires et paramilitaires, la Cour a juge !'intervention d'EI
Salvador irrecevable car la declaration portait sur des questions qui presupposaient que
19 Declaration de la Belgique, paragraphe 11.
20 Differend territorial et maritime (Nicaragua c. Co/ombie), requete du Costa Rica a fin d 'intervention, arret,
opinion dissidente commune desjuges Canr;ado Trindade et Yusuf, C.I.J. Recuei/ 2011 (JI), p. 6, paragraphes 12
et 28; Plateau continental (Jamahiriya arabe /ibyenne c. Ma/te), requete a fin d'intervention, arret, opinion
dissidente de M. Sette-Camara, Vice-President (traduction), C.l.J. Recuei/ 1981, p. 89, paragraphe 85.
21 G.N. Barrie, "Third-party state intervention in disputes before the International Court of Justice: a reassessment
of Articles 62 and 63 of the !CJ Statute", The Comparative and lntemationa/ Law Jouma/ of Sou them Africa,
2020, vol. 53(1), p. 12: "The object of Article 63 is to promote unity in the understanding of multilateral
conventions and to prevent disputes between states about the inte,pretation and application of such conventions."
(traduction franc;aise: "L 'objet de /'article 63 est de promouvoir /'unite dans la comprehension des conventions
multilatera/es et de prevenir /es differends entre £tats concemant I 'inte,pretation et I 'application de ces
conventions. »)
22 J. McIntyre, "Procedural values in the intervention procedure at the International Court of Justice", Ukrainian
Law Review 2022, vol. 1, p. 48; M. Kawano, "The role of judicial procedures in the process of the pacific settlement
of international disputes", Recuei/ des Cours 2011 vol. 346(9), p. 61; M. Longobardo, "States' mouthpieces or
independent practitioners? The role of counsel before the !CJ from the perspective of the legal value of their oral
pleadings", The Law & Practice of lntemational Courts and Tribunals 2021, vol. 20, p. 72; M. Benzing,
"Community interests in the procedure of international courts and tribunals", The Law & Practice of lntemationa/
Courts and Tribunals 2006, vol. 5, p. 38; Souverainete sur Pu/au Ligitan et Pu/au Sipadan (lndonesie/Ma/aisie),
requete a fin d'inte111ention, arret, opinion individue//e de M. WeeramanhJ', juge ad hoe (traduction), C.l.J.
Recueil 2001, p. 635 a 643.
23 Observations ecrites de la Russie, paragraphes 54 a 57.
7
la Cour etait competente et, surtout, car elle n'avait pas le degre de specificite requis.24
Dans cette affaire, la competence de la Cour dependait de !'interpretation de l'article 36,
paragraphes 2 et 5, du Statut, et le fond touchait a des questions de la Charte des Nations
Unies et du droit international coutumier. La declaration d'intervention d'El Salvador
du 15 aout 1984 portait principalement sur ce dernier point et ne contenait aucune
declaration sur la maniere dont ii interpreterait !'article 36, paragraphes 2 et 5, du Statut.
Dans ce contexte, la Cour a rejete la requete « dans la mesure oz'i elle se rapporte et la
phase en cow·s de !'instance ».25 L'ordonnance n'etablit pas qu'aucune intervention
n'est possible au stade de la competence.26 Comme l'ont explique le juge Singh27, les
juges Ruda, Mosler, Ago, Jennings et De Lacharriere28
, ainsi que le juge Oda29
, la Cour
a considere que la declaration d'EI Salvador portait principalement sur le fond de
l'affaire, mais qu'elle etait insuffisante au regard de la question de competence posee a
la Cour. Cette explication est pmiagee par la doctrine.30
(b) Dans l'affaire Essais nucleaires, la demande d'intervention de Fidji portait entierement
sur le fond. 31 La demande avait ete deposee in /;mine !Ws alors que la Cour devait encore
se prononcer sur sa competence et l'admissibilite de la demande de la NouvelleZelande.
32 La Cour n'a pas rejete la declaration de Fidji pour cause d'inopp01iunite,
mais a plutot decide de rep01ier l'examen de la demande d'intervention de Fidjijusqu'a
ce qu'elle se soit prononcee sur les questions de competence et de recevabilite.
(c) Dans l'affaire Essais nucleaires (demande d'examen), Jes interventions de l'Australie,
des Iles federees de Micronesie, des iles Marshall, des iles Samoa et des Iles Salomon
concernaient specifiquement la demande de mesures conservatoires de la NouvelleZelande.
33 La seule le9on a tirer de cette affaire tres specifique est que la Course reserve
24 A. Miron et C. Chinkin, "Article 63", in A. Zimmermann et C. J. Tams (red.), The Statute of the Intemational
Court of Justice, Oxford University Press 2019, 3ieme ed., p. 1761, paragraphe 40.
25 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, C.l.J. ReC11eil 1984, p. 216.
26 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, C.J.J. Recueil 1984, p. 223.
27 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, opinion individuelle dujuge Singh (traduction), C.l.J.
Recueil 1984, p. 218.
28 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance, opinion conjointe de Mlvf Ruda, Mosler, Ago, Sir Robert Jennings et De
Lacharriere (traduction), C.l.J. Recueil 1984, p. 219.
29 Activites militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance, opinion individuelle dujuge Oda (traduction), C.l.J. Recueil 1984, p. 220.
30 J. J. Quintana, Litigation at the Intemational Court of Justice, Brill - Martinus Nijhoff Publishers 2015, p. 943-
944.
31 Essa is nucleaires (Nouvelle-Zelande c. France), requete a fin d 'intervention, ordonnance du 12 juillet 197 3,
C.l.J. Recueil 1973, p. 325.
32 Essais nucleaires (Australie c. France) - Inte111ention, Requete a fin d'intervention soumise par le
Gouvemement de Fidji (16 mai 1973), p. 151.
33 Demande d'examen de la situation au titre du paragraphe 63 de 1 'arret rendu pm· la Cow· le 20 decembre 1974
clans l'affaire des Essais nucleaires (Nouvelle-Zelande c. France), C./. J. Recueil 1995, p. 288.
8
le pouvoir discretionnaire de rejeter une telle demande.34 La Belgique ne voit pas
comment ii pourrait en etre deduit que la Cour pourrait ignorer une declaration
d'intervention deposee avant l'examen des exceptions preliminaires du defendeur.
22. Pour les trois autres affaires sur lesquelles la Russie s'appuie, a savoir Haya de la Torre35
,
Chasse a la baleine dans l 'Antarctique36
, et Wimbledon37
, la Russie reconna'it que la Cour ne
pouvait pas se prononcer sur la question de !'intervention pendant la phase juridictionnelle
puisque la competence n'etait pas contestee dans une phase distincte.
23. En conclusion, rien dans la jurisprudence de la Cour ne soutient le point de vue de la Russie
selon lequel la Cour ne peut pas traiter de la recevabilite d'une intervention au titre de
l'atiicle 63 du Statut avant de se prononcer sur Jes exceptions preliminaires soulevees par la
Russie.
B. L 'argument de la Russie repose sur une representation erronee de la notion de« litige »
et de ce que signifie « en question »
24. La Russie tente de faire valoir que la Cour doit d'abord examiner Jes conclusions des Parties,
confirmer que la Cour est competente pour conna'itre de la demande du demandeur et declarer
cette demande recevable. Sinon, selon la Russie, le declarant ne peut pas savoir avec ce1iitude
s'il existe un « differend » ou « une question» concernant « !'interpretation d'une
convention», ou quelles dispositions de la Convention font« l'objet » d'un differend ou sont
« en question», et si « la question» p01ie sur !'interpretation d'une disposition de cette
convention.38 Ce raisonnement est fonde sur une interpretation erronee des articles pertinents,
a savoir !'article IX de la Convention concernant !'exigence d'un « differend », et l'atiicle 63
du Statut et !'article 82 du Reglement concernant !'exigence de la convention« en question».
25. Tout d'abord, !'exigence d'un « differend » figure a !'article IX de la Convention. Cet atiicle
dispose que :
« Les di.fferends entre les Paraes contractantes relatift a I 'interpretation, a I 'application ou
a I 'execution de la presente Convention, y compris ceux relatift a la responsabilite d'un Etat
pour genocide ou pour l 'un quelconque des autres actes enumeres a I 'article III, seront
soumis a la Cour internationale de Justice a la requete de l 'une quelconque des parties au
di.fferend. »
Sur la base de l'atiicle 63 du Statut, un Etat a le droit d'intervenir lorsque !'interpretation d'une
convention est en cause. Les declarations de la Belgique sur !'existence d'un « differend »
34 Voy. egalement en ce sens V. Stoica, Remedies before the Intemationa/ Court of Justice a systematic analysis,
Cambridge University Press 2021, p. 15: "The issuance of an orderfor provisional measures is, therefore, left at
the discretion of the Court and, as such, its justifications are not necessarily limited by the submissions of the
parties." (traduction frarn;:aise: « La delivrance d'une ordonnance de mesures conservatoires est done laissee a la
discretion de la Cour et, a ce titre, ses justifications ne sont pas necessairement limitees par les arguments des
parties. »)
35 A.ffaire Haya de la Torre (Colombie c. Perou), arret du 13 juin 1951, C.l.J. Re cue ii 1951, p. 71.
36 Chasse a la baleine dans I 'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d'intervention de la Nouve//e-Zelande,
ordonnance du 6 fevrier 2013, C.l.J. Recueil 2013, p. 242-243, paragraphes 32 a 33.
37 A.ffaire du S.S. "Wimbledon", arret du 28 juin 1923, C.P.J.J., serie A, 11° 1, p. 12-13 ; A.ffaire du S.S.
"Wimbledon", arret du 17 ao11t 1923, C.P.J.f., serie A, n° I, p. 17.
38 Observations ecrites de la Russie, paragraphes 58 a 73.
9
entrent dans ce cadre puisqu'elle souhaite simplement presenter son point de vue sur
!'interpretation du terme « differend » de !'article IX de la Convention.39
26. L'approche adoptee par la Cour dans son arret de 1996 !ors de la phase des exceptions
preliminaires dans l 'affaire Application de la convention pour la prevention et la repression du
crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c. Serbie-et-Montenegro) fournit Jes indications Jes
plus claires quanta !'existence d'un differend relevant de !'article IX dans une affaire donnee.40
Dans cette affaire, la Cour a constate que Jes parties etaient en desaccord sur Jes faits de la
cause, sur !'application des dispositions de la Convention aces faits et sur le sens et la pmiee
juridique de ces dispositions. La Cour n'a done eu « aucun doute » sur !'existence d'un
differend au sens de !'article IX.41
27. A cet egard, la Belgique souligne que !'existence d'un « differend », correctement interprete,
doit etre determinee sur la base d'indices objectifs, tels que definis par la Cour dans sa
jurisprudence. La negation unilaterale d 'un differend par une partie ne saurait etre detenninante
quanta !'existence d'un differend aux fins de !'article IX de la Convention sur le genocide.42
28. Deuxiemement, !'exigence selon Iaquelle !'intervention doit porter sur !'interpretation d'une
convention « en cause » a ete discutee dans la jurisprudence de la Cour permanente. Dans
l'affaire Appel contre une sentence du Tribunal mixte Hungaro-Tchecoslovaque, la Cour
permanente a considere que l'miicle 63 etait applicable lorsqu'une convention « dont
l 'inte,pretation est, prima facie, decisive pour le reglement de l 'affaire » etait devant la Cour. 43
29. En outre, comme l'indique !'article 82, paragraphe 2 (b) du Reglement:
« La declaration. .. doit preciser le cas et la convention auxquels elle se rapporte et contenir:
(b) I 'identification des dispositions particulieres de la convention dont il estime que
l 'inte,pretation est en cause. »
Cette disposition prevoit clairement qu'il appmiient au declarant d'identifier Jes dispositions
particulieres de la convention dont ii estime que !'interpretation est en cause. L'acceptation par
la Cour de la declaration de la Nouvelle-Zelande dans l'affaire Chasse it la baleine dans
l 'Antarctique confirme la recevabilite de cette pratique. La Nouvelle-Zelande se referait a la
demande de I' Australie pour determiner Jes dispositions pe1iinentes en question.44
39 Declaration de la Belgique, paragraphes 30 a 31.
40 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Her:::egovine c.
Serbie-et-Montenegro), exceptions preliminaires, arret, C.I.J. Recueil 1996, p. 615, paragraphe 31.
41 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Her:::egovine c.
Serbie-et-Montenegro, exceptions preliminaires, arret, C.I.J. Recueil 1996, p. 616-617, paragraphe 33. La
conclusion de la Cour sur sa competence a ensuite ete confirmee dans l'affaire Application de la convention pour
la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Her:::egovine c. Serbie-et-Montenegro), arret du 26
fevrier 2007 C.I.J. Recueil 2007, p. IOI, paragraphes 140 a 141.
42 Obligations concernant les negociations relatives a la cessation de la course a11x armements nucleaires et au
desarmement nucleaire (lies Marshall c. Royaume-Uni), exceptions preliminaires, arret, C.I.J. Recueil 2016, p.
849-851, paragraphes 37 a 43.
43 Recours contre une sentence du Tribunal arbitral mixte hongro-tchecoslovaque, arret du 15 decembre 1933,
C.P.J.I., serie AIB, 11° 61, p. 176.
44 Chasse a la baleine dans I 'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d'intervention de la Nouve//e-Zelande,
Rapports de la CJJ (2013), p. 9-11, paragraphes 15 a 16.
10
30. L'intervention au sens de !'article 63 du Statut etant toujours consideree comme un « droit », le
role de la Cour est de « s 'assurer que la declaration concernee re/eve des dispositions de
!'article 63 [et] que les conditions enoncees d l'article 82 du Reglement son! remplies. »45 La
Cour, dans l'affaire Haya de la Torre, n'a pas, comme le pretend erronement la Russie,
determine elle-meme quelles dispositions de la Convention font« l'objet » d'un differend ou
sont « en cause». La Cour a simplement exerce son role de gardienne des conditions de
recevabilite en verifiant si Jes dispositions identifiees, dans un premier temps par le declarant
lui-meme, respectent ces conditions.46
31. L'argument de la Russie, selon lequel la Cour n'intervient que lorsqu'elle a examine Jes
conclusions des Parties et a confirme qu'elle est competente pour connaJtre des demandes du
requerant, renverse cette procedure, qui doit etre suivie en vertu de !'article 63 du Statut et de
!'article 82 du Reglement.
IV. LA DECLARATION DE LA BELGIQUE NE PEUT ETRE CONSIDEREE
CO MME IRRECEV ABLE EN CE QU'ELLE TRAITERAIT DE QUESTIONS
NON SEULEMENT LIEES A LA COMPETENCE MAIS AUSSI LIEES AU
FOND
32. Selon la Russie, la Declaration de la Belgique serait irrecevable en ce qu'elle concerne la phase
juridictionnelle de la procedure et dans la mesure ou elle presuppose que la Cour est
competente. Cet argument ne peut etre retenu, car une declaration qui aborde a la fois des
questions de competence et de fond au stade juridictionnel, comme la Declaration de la
Belgique, n'est pas en soi irrecevable
33. Dans son ordonnance du 4 octobre 1984 dans l'affaire Activites militaires et paramilitaires47,
la Cour a juge la declaration d'intervention d'El Salvador irrecevable.48 La Russie, dans ses
observations, deduit de cette ordonnance que toutes Jes declarations d'intervention contenant a
la fois des arguments lies a la competence et lies au fond sont irrecevables au stade
juridictionnel de la procedure.49 Cette conclusion ne peut en aucun cas etre deduite de
l'ordonnance de la Cour.
34. Premierement, ni la Cour, ni Jes juges ecrivant individuellement dans l'affaire Activites
militaires et paramilitaires sur !'intervention d'El Salvador, n'ont precise qu'aucune
intervention n'est possible au stade de la phasejuridictionnelle quand elle avance des arguments
lies au fond. La seule discussion explicite de cette question se trouve dans I 'opinion dissidente
45 Chasse a la baleine dans l 'Antarctique (Australie c. Japan), declaration d'intervention de la Nouvelle-Zelande,
ordonnance du 6fevrier 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 5-6, paragraphe 8.
46 A. Miron et C. Chinkin, "Article 63", in A. Zimmermann et C. J. Tams (red.), The Statute of the lntemational
Court of Justice, Oxford University Press 2019, 3ieme ed., p. 1750-1751, paragraphes 19 a 21.
47 Activites militaires et parami!itaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, C.J.J. Recueil 1984, p. 215.
48 Voy. A. Miron et C. Chinkin, "Article 63", in A. Zimmermann et C. J. Tams (red.), The Statute of the
International Court of Justice, Oxford University Press 2019, 3ieme ed., p. 1761, paragraphe 40. Le fait que
!'intervention d'El Salvador n'ait pas ete suffisamment specifiee est reconnu par la Russie: voy. observations
ecrites de la Russie, paragraphe 67.
49 Observations ecrites de la Russie, paragraphes 81, 84 et 85.
11
du juge Schwebel, qui par ailleurs est d' a vis que « I 'intervention pendant la phase
juridictionnelle de l'instancefasse partie du droit que !'article 63 confere aux Etats ».50
35. Des points de vue similaires sont defendus par d'eminents auteurs.51 Ceux-ci soutiennent qu'un
lecteur de l'ordonnance du 4 octobre 1984 ne peut pas apprendre de son texte Jes raisons
specifiques du rejet de la declaration d'intervention d'El Salvador.52 Les opinions individuelles
des juges offrent plus de details. Ceci est notamment le cas pour Jes cinq juges qui ont joint
!'expose de leur opinion conjointe a l'ordonnance et declare, entre autres, ce qui suit:
« Avec la mqjorite de la Cour, nous avons vote en faveur de la decision selon laque!le la
declaration d'El Salvador est irrecevable en la phase actuelle de! 'instance, faute d'avoir
decouvert, dans !es communications ecrites adressees par cet Etat a la Cour, I 'indication
necessaire de la au des dispositions partfou!ieres considerees par lid comme etant en cause
dans la phase juridictionnelle de l 'cif.faire entre le Nicaragua et les Etats-Unis, non plus que
l 'inte1pretation qu 'ii donne de cette au de ces dispositions. Au swplus, les breves mentions
faites ace sz(iet ne nous ant pas convaincu que la demande d'El Salvador corresponde et ce
que prevoit I 'article 63 du Statut. »53
36. En outre, le juge Oda, qui pensait que la declaration d'El Salvador aurait pu etre admise dans
la phase juridictionnelle, a apparemment vote pour son rejet pour d'autres raisons (notamment
parce qu'elle n'avait pas ete « bienformulee »).54
50 Activites mi/itaires et paramilitaires au Nicamgua et contre ce/ui-ci (Nicamgua c. Etats-Unis d'Amerique),
declamtion d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, opinion dissidente du j11ge Sc/111,ebe/ (tmduction),
C.J.J. Recuei/ 1984, p. 235 a 236.
51 M.N. Shaw (red.), Rosenne's 1ml' and pmctice of the International Court 1920-2015, vol. III, Brill - Nijhoff
2016, 5ieme ed., p. 1533; H. Thirlway, The law and procedure of the International Court of J11stice: fifty years of
jurisprudence, vol. I, Oxford University Press 2013, p. 1031; A. Miron et C. Chinkin, "Article 63", in A.
Zimmermann et C. J. Tams (red.), 111e Statute of the International Co11rt of Justice, Oxford University Press 2019,
3ieme ed., p. 1763, paragraphe 46 ( "There appears to be no reason ll'ithin the Statute, or its tmvaux prepamtoires,
ll'hy intervention should not be alloJ11edfor the p111pose of challenging the Court 'sjurisdiction or the admissibility
of the case. In fact, seveml arguments plead in favour of the possbility for a third State to make a request to
intervene at the phase of jurisdiction and admissibility, at least 1111der Article 63. The J11ording of Article 63 is
11nqua/ified in asserting « [ll'jhenever the construction of a convention ... is in question », 1l'hich implies that it is
applicable in all phases of the case. Article 63 does not differentiate between types of treaty provisions, or types
of treaty. The p111pose of Article 63 is to a/loll' parties to a multilateml convention to put their construction of the
convention to the Court in proceedings to ll'hich they are not parties. " (Traduction frarn;aise : « JI ne semble y
avoir a11c1111e raison clans le Statut, 011 dans ses tmvaux prepamtoires, pour /aquelle I 'intervention ne devrait pas
etre autorisee dans le b11t de contester la competence de la Cour 011 la recevabilite de I 'ajfaire. En fait, p/usieurs
arguments p/aident enfaveur de la possibilite pour 1111 Etat tiers de presenter 1111e demanded 'intervention au stade
de la competence et de la recevabilite, au mains en vertu de I 'article 63. Le /ibe//e de I 'article 63 est sans reserve,
p11isq11 'ii affirme q11e "[l}orsque I 'inte,pretation d 'une convention ... est en cause", ce qui implique qu 'ii est
applicable a toutes les phases de I 'affaire. L 'article 63 ne fail pas de distinction entre !es types de dispositions
conventionnelles 011 les types de traites. Le but de I 'article 63 est de permettre aux parties a 11ne convention
multilatem/e de soumettre a la Cour leur inte1pretation de la convention dans des procedures auxquelles elles ne
sont pas parties. ») (notes de bas de page omises).
52 C. Chinkin, "Third-party intervention before the International Court of Justice", American Joumal of
International Lall' 1986, vol. 80(3 ), p. 521.
53 Activites militaires et paramilitaires au Nicamgua et contre ce/ui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
declaration d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, opinion conjointe des MM. R11da, Mosler, Ago, Sir
Robert Jennings et De Lacharriere (traduction), C.I.J. Recueil 1984, p. 219, paragraphe 3.
54 Activites militaires et pammilitaires au Nicaragua et con/re cel11i-ci (Nicamgua c. Etats-Unis d'Amerique),
declamtion d 'intervention, ordonnance du 4 octobre I 984, opinion individue/le du juge Oda (tmduction), C.I.J.
Recueil 1984, p. 221, paragraphe 5.
12
37. Deuxiemement, la principale raison du rejet de l'intervention tentee par El Salvador dans
l'affaireActivites militaires et paramilitaires n'etait pas tant qu'elle etait inopportune (en raison
du fait que l'affaire etait alors au stade juridictionnel), mais plutot que la Couret Jes juges ont
per9u les traites et conventions - dont )'interpretation etait pretendument en cause - dans la
declaration d'EI Salvador comme des instruments lies au fond qui n'avaient pas d'incidence
directe sur les questions de competence et de recevabilite. 55
Or, dans l'affaire dont la Cour est saisie dans le cas present, il s'agit de questions sur
)'interpretation de l'article IX lui-meme de la Convention sur le genocide, qui concerne le
fondementjuridictionnel de la competence de la Cour en l'espece, tel que developpe en detail
dans la Declaration par la Belgique.56 Par consequent, contrairement a l'affaire Activites
militaires et parami!Uaires, )'intervention devant la Cour dans le cas present a une incidence
directe sur Jes questions de competence et de recevabilite.
38. Enfin, comme le juge Schwebel l'observa dans son opinion dissidente precitee, la Cour et le
Greffier ont toujours agi en partant du principe que l'intervention au titre de l'article 63 du
Statut dans la phase des exceptions preliminaires est admissible.57 Cette conclusion est
apparemment fondee sur la pratique de la notification, envisagee a l'article 63, paragraphe 1,
du Statut dans la mesure ou ces notifications indiquent que la procedure en question peut etre
susceptible d'une intervention au titre de !'article 63 du Statut. En effet, des notifications
concernant specifiquement la phase des exceptions preliminaires ont ete envoyees a plusieurs
reprises au cours de l'histoire de la Cour.58
39. En conclusion, )'argument avance par la Russie selon lequel Jes interventions ne sont pas
recevables en ce qu'elles concernent des arguments lies au fond pendant la phase
juridictionnelle de la procedure ne peut etre retenu, car ii est fonde sur une interpretation erronee
de la jurisprudence de la Cour et plus specifiquement de l 'ordonnance du 4 octobre 1984 dans
l'affaire Activites militaires et paramilitaires.
V. L'INTERPRETATION D'UNE CLAUSE COMPROMISSOIRE COMME
L'ARTICLE IX DE LA CONVENTION PEUT FAIRE PARTIE D'UNE
INTERVENTION SUR LA BASE DEL' ARTICLE 63 DU STATUT
40. La Russie soutient que, l'article IX de la Convention sur le genocide ne contenant pas de
dispositions de fond, il ne peut faire l'objet d'une demande en justice decoulant d'un differend
sur son interpretation et constituer "l'objet du litige".59 En consequence, selon la Russie, la
Declaration de la Belgique devrait etre declaree irrecevable.
41. Cette argumentation va a l'encontre de l'article 63 du Statut et de l'miicle 82 du Reglement.
Ces articles ne font pas de distinction entre les differentes categories de dispositions d'une
55 J. J. Quintana, Litigation at the Intemational Court of Justice, Brill - Martin us Nijhoff Publishers 2015, p. 943-
944.
56 Declaration de la Belgique, paragraphes 29 a 46.
57 Activites militaires et paramifitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amerique),
Declaration d'intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, opinion dissidente du juge Schwebel (traduction),
C.l.J Recueif 1984, , p. 223.
58 J. Sztucki, "Intervention under Article 63 of the !CJ Statute in the phase of preliminary proceedings : the
Salvadoran incident",AmericanJoumal of International Lml' 1985, vol. 79(4), p. 1018.
59 Observations ecrites de la Russie, paragraphes 101 a 102.
13
convention qui peuvent faire l'objet d'une declaration d'intervention60
, mais font reference a
!'ensemble de la convention, y compris ses clauses compromissoires.
42. En outre, la question de savoir si une clause compromissoire contient des dispositions
substantielles n'est pas pet1inente pour une eventuelle interpretation de la clause. Ceci est
confirme par la jurisprudence de la Cour : plusieurs affaires illustrent le fait que la Cour doit
effectivement interpreter ce11aines clauses compromissoires.61 Etant donne que les clauses
compromissoires d'une convention sont susceptibles d'etre interpretees, un Etat partie a la
convention a le droit d'intervenir sur ce point conformement a !'article 63 du Statut.
Ce point de vue est egalement pm1age par la doctrine.62 Comme !'a soutenu Robert Kolb, par
exemple:
« Dans la phase preliminaire, ii est presque inevitable que les textes et interpreter portent
sur des titres de competence et pa,fois sur des questions de recevabilite. [ .. .] A cet egard, ii
faut commencer par ce qui est generalement admis, a savoir qu 'une intervention est possible
a I 'egard de chaque titre de competence dans une convention multilaterale, par exemple,
une clause compromissoire. »63
43. Par consequent, les clauses compromissoires etant susceptibles d'interpretation, la Belgique
peut s'exprimer sur !'interpretation de la clause compromissoires de la Convention sur le
genocide contenue dans son article IX.
VI. LA DECLARATION DE LA BELGIQUE CHERCHE A TRAITER DE
QUESTIONS SUR L'INTERPRETATION DE LA CONVENTION
44. Dans son dernier argument, la Russie se refere a la Declaration de la Belgique ou cette derniere
aborde des questions telles que !'existence d'un differend entre !'Ukraine et la Russie,
!'application du principe de bonne foi dans !'execution de la Convention, la notion d'abus de
droit, le recours a la force, ainsi que le respect de I' ordonnance de mesures conservatoires de la
Cour.64 La Russie allegue que cette observation ne se rapporte pas a !'interpretation de la
Convention sur le genocide et contient une incursion inadmissible dans !'interpretation ou
60 Voy. la citation a la note 51 du commentaire d' A. Miron et C. Chinkin, "Article 63", in A. Zimmermann et C.
J. Tams (red.), The Statute of the International Court of Justice, Oxford University Press 2019, 3ieme ed., p. 1763,
paragraphe 46
61 Competence en matiere de pecheries (Royaume-Uni c. Islande), competence de la Cour, c11Tet, C.I.J. Recueil
1973, p. 3; Personnel dip!omatique et consulaire des Etats-Unis a Teheran (Etats-Unis d'Amerique c. Iran), Cl/Tel,
C.I.J. Recueil 1980, p. 3; Actions armeesfi·ontalieres et transfi'ontalieres (Nicaragua c. Honduras), competence
et recevabilite, arret, C.I.J. Recueil 1988, p. 69; Delimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahrei'n (Qatar c. Bahrei'n), competence et recevabilite, arrets, C.f.J. Recueil 1994, p. 112 et C./.J. Recueil 1995,
p. 6.
62 Voy. A. Miron et C. Chinkin, "Article 63", in A. Zimmermann et C. J. Tams (red.), The Statute of the
lntemational Court of Justice, Oxford University Press 2019, 3ieme ed., p. 1762-1763, paragraphes 43 a 46; S.
Rosenne, The law and practice of the International Court 1920-2005 Volume III Procedure, Martinus Nijhoff
Publishers 2006, p. 1478-1479; J.J. Quintana, Litigation at the lntemational Court of Justice, Brill Martinus
Nijhoff Publishers 2015, p. 932-933.
63 Traduction franc,;aise de R. Kolb, The Intemational Court of Justice, Hart Publishing 2013, p. 736-737: "In the
prelimina1J' phase, it is almost inevitable that the texts to be inte1preted will relate to titles of jurisdiction and
sometimes to issues of admissibility. [ .. .} In this respect, one must begin with what is generally accepted, namely
that an intervention is possible in relation to each title of jurisdiction in a multilateral convention, for example, a
compromiss01J' clause. "
64 Observations ecrites de la Russie, paragraphe 104(a).
14
!'application d'autres regles internationales distinctes du traite en question et provenant de
sources differentes.
45. L'argument est fonde sur une perception erronee de la Declaration de la Belgique. II est clair
que celle-ci n'a pas introduit ces elements comme des questions autonomes. Ces elements dans
la Declaration de la Belgique s'inscrivent clairement dans le cadre de !'interpretation des
articles I, VIII et IX de la Convention sur le genocide.
46. Cette technique est autorisee par le droit international. Selon !'article 31, paragraphe 3, point
c), de la Convention de Vienne sur le droit des traites, qui codifie le droit international
coutumier65
, !'interpretation d'un traite peut inclure « toute regle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties. » Seton le rapport du groupe
d' etude de la Commission du droit international sur la fragmentation du droit international, la
notion de« regle pertinente » comprend le droit international coutumier, Jes principes generaux
du droit et le droit des traites66
. II s'ensuit que la mention des principes generaux comme la
bonne foi ou l'abus de droit, comme aide a !'interpretation, ne saurait etre disqualifiee comme
« incursion inadmissible».
47. En outre, la doctrine reconnait que, souvent, Jes deux questions d'interpretation et d'application
ne peuvent etre separees sans ambigu'ite etant donne que dans de nombreux cas, sinon la plupart,
!'interpretation d'un traite sera recherchee en relation avec !'application dudit traite a une
situation donnee.67
48. Des elements enonces ci-dessus, ii s'ensuit que la Declaration de la Belgique cherche a traiter
de questions sur !'interpretation de la Convention.
VII. CONCLUSION
49. En conclusion, la Declaration de la Belgique est une veritable intervention qui respecte Jes
exigences du Statut, du Reglement et de la jurisprudence de la Cour. Elle est egalement
conforme a !'exigence d'une bonne administration de la justice. En outre, rien n'empeche la
Cour de se prononcer deja a ce stade sur la recevabilite de la Declaration de la Belgique. De
plus, une declaration qui aborde a la fois des questions de competence et de fond au stade
juridictionnel, comme la Declaration de la Belgique, n'est pas en soi irrecevable. De surcroit,
!'interpretation d'une clause compromissoire comme !'article IX de la Convention peut faire
partie d'une intervention sur la base de l 'miicle 63 du Statut, car cet article fait reference a
!'ensemble d'une convention, y compris ses clauses compromissoires. Finalement,
contrairement a ce que pretend la Russie, la Declaration de la Belgique cherche a traiter de
questions sur !'interpretation de la Convention sur le genocide.
65 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Gambie c. Myanmm~,
arret du 22 juillet 2022, p. 31, paragraphe 87 : « La Cour aura recours aux reg/es du droit international coutumier
en matiere d'inte1pretation des traites tel/es qu 'e//es ressortent des articles 3 I it 33 de la Convention de Vienne
sur le droit des traites du 23 mai 1969 » ; voy. egalement Application de la Convention internationale sur
/'elimination de toutes /es formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), exceptions
preliminaires, arret du 4 fevrier 2021, p. 24, paragraphe 75 avec d'autres references.
66 Fragmentation du droit international : Difficultes decoulant de la diversification et de !'expansion du droit
international : Rapport du groupe d'etude de la CDI finalise par M. Martti Koskenniemi, 13 avril 2006, p. 94-96.
https://legal .un.org/ilc/documentation/engl ish/a cn4 1682. pdf.
67 R. Gardiner, Treaty inte,pretation, Oxford University Press 2015, p. 27.
15
50. Pour les raisons susmentionnees, la Belgique demande respectueusement que toutes les
objections a la recevabilite de son intervention soulevees par la Russie soient rejetees et que la
Cour declare sa declaration d'intervention au titre de !'article 63 du Statut recevable.
Bruxelles, le 10 fevrier 2023
Respectueusement,
Piet HEIRBA UT
Agent du Gouvernement, Jurisconsulte, Directeur general des Affaires juridiques du Service
Public Federal Affaires etrangeres, Commerce exterieur et Cooperation au developpement.
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Observations écrites de la Belgique sur la recevabilité de sa déclaration d’intervention 

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