COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Non officiel
Résumé 2023/5
Le 9 juin 2023
Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) Recevabilité des déclarations d’intervention
Historique de la procédure (par. 1-24)
La Cour commence par rappeler que, le 26 février 2022, l’Ukraine a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la Fédération de Russie au sujet d’« un différend … concernant l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide » (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »). Dans sa requête, l’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur l’article IX de la convention sur le génocide.
En même temps que la requête, l’Ukraine a présenté une demande en indication de mesures conservatoires. Par ordonnance en date du 16 mars 2022, la Cour a indiqué certaines mesures conservatoires.
Après le dépôt du mémoire de l’Ukraine le 1er juillet 2022, plusieurs États ont déposé des déclarations d’intervention fondées sur le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour. Ainsi, entre le 21 juillet 2022 et le 15 décembre 2022, 33 États ont présenté 32 déclarations d’intervention (le Canada et les Pays-Bas ayant présenté une déclaration conjointe). La Fédération de Russie s’est opposée à la recevabilité de toutes ces déclarations d’intervention.
Le 3 octobre 2022, la Fédération de Russie a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête.
I. INTRODUCTION (PAR. 25-32)
La Cour rappelle que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut concerne l’exercice d’un droit par un État partie à une convention dont l’interprétation est en cause devant la Cour. L’objet de l’intervention est limité à l’interprétation de la convention en cause. La Cour n’a pas à rechercher si l’État qui désire intervenir possède « un intérêt d’ordre juridique » qui est « pour lui en cause » dans la procédure principale, comme elle est tenue de le faire quand elle est saisie d’une requête à fin d’intervention au titre de l’article 62 du Statut. L’intérêt juridique que possède l’État déclarant dans l’interprétation de la convention est présumé en raison de sa qualité de partie à celle-ci. Lorsqu’une
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déclaration d’intervention est déposée, la Cour doit s’assurer qu’elle entre dans les prévisions de l’article 63 du Statut et qu’elle satisfait aux exigences prévues par l’article 82 du Règlement.
II. CONFORMITÉ DES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION AUX EXIGENCES ÉNONCÉES À L’ARTICLE 82 DU RÈGLEMENT DE LA COUR (PAR. 33-40)
La Cour examine d’abord le point de savoir si les déclarations d’intervention sont conformes aux exigences formelles énoncées à l’article 82 de son Règlement, concluant que tel est bien le cas.
III. OBJECTIONS DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE CONCERNANT L’ENSEMBLE DES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION (PAR. 41-85)
La Cour examine ensuite les objections soulevées par la Fédération de Russie concernant la recevabilité de l’ensemble des déclarations d’intervention.
A. Objection fondée sur l’intention qui sous-tendrait les déclarations d’intervention (par. 42-46)
La Fédération de Russie soutient que les déclarations d’intervention ne sont pas véritables car les interventions n’ont pas pour objet réel d’interpréter la convention sur le génocide, mais de permettre aux États déclarants d’épouser la cause de l’Ukraine et de devenir ainsi des codemandeurs de facto.
La Cour rappelle que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut permet à un État tiers au procès, qui est partie à une convention dont l’interprétation est en cause dans celui-ci, de présenter à la Cour ses observations sur l’interprétation de ladite convention. Lorsqu’elle se prononce sur la recevabilité d’une déclaration d’intervention, la Cour doit seulement rechercher si la déclaration considérée a trait à l’interprétation d’une convention en cause dans l’instance en cours. La question de savoir quelles sont les motivations d’un État pour déposer une déclaration d’intervention est dépourvue de pertinence aux fins de la recevabilité de celle-ci.
La Cour ajoute que, s’il est vrai que bon nombre d’États déclarants en l’espèce expriment des vues similaires quant à l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide, proches de celles de l’Ukraine, il n’y a pas lieu d’en conclure que les déclarations sont, de ce fait, irrecevables, étant donné que le Règlement de la Cour permet à chaque État d’indiquer les dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause et d’exposer sa position à ce sujet.
La Cour conclut en conséquence que l’objection à la recevabilité fondée sur l’intention qui sous-tendrait les déclarations d’intervention ne peut être retenue.
B. Objection fondée sur une atteinte alléguée à l’égalité des Parties et à la bonne administration de la justice (par. 47-53)
La Fédération de Russie soutient que le fait de permettre aux États déclarants d’intervenir compromettrait l’égalité des Parties et la bonne administration de la justice. Elle allègue que les États désireux d’intervenir se rangent aux côtés de l’Ukraine, dont ils épousent la cause, et que, si leurs déclarations d’intervention sont jugées recevables, elle se verra contrainte de répondre non seulement aux arguments avancés par l’Ukraine, mais encore à ceux des trente-trois États déclarants agissant comme codemandeurs de facto. La Fédération de Russie se dit en outre inquiète de ce que sept des seize juges siégeant en l’affaire (dont la présidente de la Cour) sont ressortissants d’États désireux d’intervenir au soutien de l’Ukraine.
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La Cour rappelle que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut a une portée limitée, en ce sens que l’État intervenant peut seulement présenter des observations au sujet de l’interprétation de la convention concernée et qu’il n’acquiert pas la qualité de partie à l’instance. C’est pourquoi la Cour, dans une affaire précédente, a conclu qu’une telle intervention ne compromettait pas l’égalité entre les parties au différend.
La Cour ajoute qu’elle ne saurait limiter le nombre d’États intervenants en l’espèce, puisque cela porterait atteinte au droit d’intervenir que l’article 63 du Statut confère aux États.
Elle observe en outre que le fait que certains juges siégeant en l’affaire aient la nationalité d’un État désireux d’intervenir ne peut pas compromettre l’égalité des Parties, puisque les États intervenants n’acquièrent pas la qualité de parties à l’instance. En tout état de cause, les juges sont tous tenus par leur devoir d’impartialité.
Enfin, la Cour indique qu’elle a pris note des préoccupations de la Fédération de Russie et que, au cas où des déclarations d’intervention seraient jugées recevables à ce stade, la Cour veillera à ce que chaque Partie ait la possibilité et le temps nécessaire pour répondre, de façon équitable, aux observations des États intervenants.
La Cour conclut, en conséquence, que le fait d’accueillir les déclarations d’intervention en l’espèce n’est pas susceptible de porter atteinte aux principes de l’égalité des parties ou de la bonne administration de la justice, et que l’objection soulevée par la Fédération de Russie à cet égard ne peut être retenue.
C. Objection fondée sur un abus de procédure allégué (par. 54-60)
La Fédération de Russie soutient que les déclarations d’intervention sont irrecevables car elles constituent un abus de procédure. Elle avance, en particulier, que les États déclarants utilisent la procédure d’intervention d’une manière tout à fait étrangère à sa finalité, et ceci dans l’objectif de nuire à la Fédération de Russie. Elle rappelle que plusieurs États ont déposé une déclaration d’intervention après avoir publiquement indiqué leur intention d’appuyer la thèse de l’Ukraine devant la Cour. Par conséquent, la Fédération de Russie considère que ces États ne cherchent pas à présenter à la Cour, en toute bonne foi, leurs positions quant à la juste interprétation de la convention sur le génocide.
La Cour rappelle qu’un abus de procédure se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal, et en particulier à la question de savoir si un État a détourné la procédure à un tel point que sa demande devrait être rejetée, de ce fait, dès la phase préliminaire. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier qu’elle rejette, pour abus de procédure, une demande fondée sur une base de compétence valable. De même, la Cour estime qu’une déclaration d’intervention ne pourrait être jugée irrecevable pour abus de procédure que dans des circonstances exceptionnelles.
S’agissant des allégations d’abus de procédure formulées par la Fédération de Russie sur la base de déclarations publiques dans lesquelles les États déclarants ont affirmé agir en soutien de l’Ukraine, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu qu’il ne lui appartient pas, au moment d’examiner la recevabilité d’une déclaration d’intervention fondée sur l’article 63 du Statut, de s’interroger sur la motivation ou l’intention de l’État déclarant, mais de rechercher si la déclaration d’intervention a trait à l’interprétation de la convention en question.
La Cour considère qu’il n’existe pas, dans le cas d’espèce, de circonstances exceptionnelles de nature à rendre irrecevables les déclarations d’intervention. Elle conclut en conséquence que l’objection à la recevabilité opposée par la Fédération de Russie pour abus de procédure ne peut être retenue.
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D. Objection fondée sur l’irrecevabilité alléguée des déclarations d’intervention au stade des exceptions préliminaires (par. 61-71)
La Fédération de Russie soutient que les déclarations d’intervention ne sont pas recevables au stade actuel de la procédure car la Cour doit d’abord statuer sur les exceptions préliminaires d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête de l’Ukraine. Elle fait encore valoir que, faute pour la Cour de s’être prononcée sur l’existence d’un différend en l’espèce, l’objet de celui-ci et les dispositions de la convention susceptibles d’être en cause, les États déclarants ne peuvent pas démontrer que leur intervention porterait sur l’interprétation de dispositions contestées.
La Cour fait observer que l’article 63 du Statut et l’article 82 du Règlement ne limitent pas le droit d’intervention à une phase particulière de la procédure, ni à un certain type de disposition d’une convention. Ainsi, l’article 63 du Statut dispose que le droit d’intervenir existe « [l]orsqu’il s’agit de l’interprétation d’une convention à laquelle ont participé d’autres États que les parties en litige ». Il en résulte qu’un État peut intervenir au stade des exceptions préliminaires relativement à des dispositions ayant une incidence sur la question de la compétence de la Cour.
La Cour n’estime pas devoir se prononcer sur l’existence et la portée du différend entre les Parties avant de statuer sur la recevabilité des déclarations d’intervention. L’article 63 du Statut confère aux États un droit d’intervenir lorsque l’interprétation d’une convention multilatérale est en cause, et l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour dispose qu’un État désireux d’intervenir doit indiquer les « dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ». Si l’interprétation de certaines dispositions est en cause au stade des exceptions préliminaires, les États seront admis à intervenir à ce stade pour présenter leur interprétation à leur égard.
En l’espèce, l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide concernant la compétence ratione materiae de la Cour est en cause au stade actuel de la procédure. En effet, dans sa requête, l’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur l’article IX de la convention sur le génocide. La Fédération de Russie a déposé par la suite des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête et elle a indiqué, dans ses observations écrites sur la recevabilité des déclarations d’intervention, que la compétence ratione materiae de la Cour figurait parmi les questions soulevées dans ses exceptions préliminaires.
La Cour estime que toutes les déclarations d’intervention ont trait, du moins en partie, à certaines dispositions de la convention sur le génocide dont l’interprétation est en cause à ce stade de la procédure.
La Cour conclut, en conséquence, que l’objection fondée sur l’irrecevabilité alléguée des déclarations d’intervention au stade des exceptions préliminaires ne peut être retenue.
E. Objection fondée sur l’argument selon lequel les déclarations d’intervention présupposent la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête de l’Ukraine (par. 72-76)
La Fédération de Russie avance que, même si elles portent apparemment, en tout ou en partie, sur des questions de compétence, les déclarations d’intervention abordent en réalité des points qui présupposent que la Cour est compétente ou que la requête de l’Ukraine est recevable. Selon la défenderesse, si la Cour autorise les États déclarants à intervenir à ce stade, elle préjugera en substance des exceptions préliminaires.
La Cour rappelle qu’elle a conclu que les déclarations d’intervention peuvent être recevables au stade des exceptions préliminaires. Elle est d’avis que l’interprétation des dispositions relatives à sa compétence, telles que la clause compromissoire et les dispositions qui sont pertinentes aux fins
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de la détermination de la compétence ratione materiae dans une affaire donnée, peut être en cause dans la phase des exceptions préliminaires et constituer ainsi l’objet d’une intervention à ce stade. En revanche, la Cour ne saurait prendre en considération, au stade des exceptions préliminaires, les observations sur l’interprétation des dispositions de la convention relatives au fond de l’affaire. Lorsqu’une déclaration d’intervention porte en même temps sur la compétence de la Cour et sur le fond de l’affaire, la Cour ne prendra en compte, au stade des exceptions préliminaires, que les éléments pertinents aux fins de la compétence.
La Cour conclut, en conséquence, que les déclarations d’intervention sont recevables au stade actuel de la procédure en ce qu’elles portent sur l’interprétation des dispositions relatives à sa compétence. Pour ces motifs, la Cour ne peut retenir l’objection soulevée par la Fédération de Russie.
F. Objection fondée sur l’argument selon lequel l’intervention ne peut avoir trait à l’interprétation de clauses compromissoires telles que l’article IX de la convention sur le génocide (par. 77-81)
La Fédération de Russie soutient que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut ne peut avoir trait à l’interprétation de clauses compromissoires telles que l’article IX de la convention sur le génocide, car cette disposition, qui ne porte pas sur un droit substantiel, ne saurait constituer l’objet d’un différend.
La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut peut concerner toute disposition dont l’interprétation est en cause au stade pertinent de la procédure. En particulier, des clauses compromissoires telles que l’article IX de la convention sur le génocide peuvent constituer l’objet d’une intervention fondée sur l’article 63 du Statut, et pareille intervention peut être jugée recevable au stade des exceptions préliminaires. De l’avis de la Cour, l’interprétation de l’article IX est en cause à ce stade de la procédure et les États déclarants sont en droit de présenter leur interprétation de cette disposition. En conséquence, la Cour ne peut retenir l’objection soulevée par la Fédération de Russie à cet égard.
G. Objection selon laquelle les déclarations d’intervention sortent du cadre de l’interprétation de la convention sur le génocide (par. 82-85)
La Fédération de Russie avance que les déclarations d’intervention devraient être jugées irrecevables car elles cherchent à traiter de questions sans rapport avec l’interprétation de la convention sur le génocide, et que les accueillir comme recevables préjugerait de questions relatives à la compétence ratione materiae de la Cour.
La Cour réitère que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut est limitée à l’interprétation des dispositions en cause au stade pertinent de la procédure. Elle estime que les déclarations d’intervention considérées concernent, de façon générale, l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide. Toutefois, dans la mesure où certaines déclarations traitent également d’autres questions, telles que l’existence d’un différend entre les Parties, les éléments de preuve, les faits ou l’application de la convention en l’espèce, la Cour ne les examinera pas. En outre, bien que certaines des déclarations renvoient aussi à d’autres règles et principes de droit international, en dehors de la convention sur le génocide, la Cour n’examinera ces références que dans la mesure où elles ont trait à l’interprétation des dispositions de la convention, conformément à la règle coutumière d’interprétation qui trouve son expression à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
En conséquence, la Cour ne peut retenir l’objection soulevée par la Fédération de Russie à cet égard.
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IV. OBJECTION DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE CONCERNANT LA DÉCLARATION CONJOINTE D’INTERVENTION DU CANADA ET DES PAYS-BAS (PAR. 86-89)
La Fédération de Russie soulève une objection additionnelle concernant la recevabilité de la déclaration conjointe d’intervention du Canada et des Pays-Bas. Elle allègue que cette déclaration est irrecevable car les déclarations conjointes d’intervention ne sont prévues ni par le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut ni par l’article 82 du Règlement de la Cour, ces deux dispositions mentionnant l’intervention d’un État au singulier.
La Cour considère que rien dans le Statut ou le Règlement n’empêche des États de présenter une déclaration conjointe d’intervention. Si le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut et l’article 82 du Règlement de la Cour font mention du droit d’un État de déposer une déclaration d’intervention, l’emploi du singulier générique signifie simplement que chaque État partie à la convention en cause peut intervenir dans la procédure, mais n’interdit pas auxdits États de présenter une déclaration conjointe. En réalité, la présentation conjointe de positions communes peut aller dans le sens d’une bonne administration de la justice.
La Cour ne peut donc retenir l’objection soulevée par la Fédération de Russie à cet égard.
V. OBJECTION DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE CONCERNANT LA DÉCLARATION D’INTERVENTION DES ÉTATS-UNIS (PAR. 90-98)
La Fédération de Russie soulève une objection additionnelle concernant la recevabilité de la déclaration d’intervention des États-Unis, affirmant qu’elle est irrecevable du fait de la réserve que ces derniers ont formulée à l’article IX de la convention sur le génocide.
La Cour considère que les États-Unis ne peuvent intervenir dans le cadre de l’interprétation de l’article IX de la convention, alors qu’ils ne sont pas liés par cette disposition. En effet, la réserve des États-Unis exclut l’effet juridique de cet article à leur égard. Par conséquent, l’intérêt juridique qu’ils sont présumés avoir dans l’interprétation de la convention sur le génocide, en tant que partie à celle-ci, n’est pas présent en ce qui concerne l’article IX. En outre, par leur déclaration selon laquelle ils « reconnaissent que, puisqu’ils se prévalent du droit d’intervenir prévu à l’article 63 du Statut, l’interprétation de la convention que contiendra l’arrêt qui sera rendu en l’espèce sera également obligatoire à leur égard », les États-Unis ne peuvent remédier au fait qu’ils ont formulé une réserve à l’article IX de la convention, lequel n’entraîne donc aucune obligation à leur égard.
Selon la Cour, la déclaration d’intervention des États-Unis, dans la mesure où elle a trait à l’interprétation de l’article IX, n’entre pas dans les prévisions de l’article 63 du Statut, qui permet aux États parties à une convention d’intervenir dans une affaire au sujet de l’interprétation d’une de ses dispositions en cause devant la Cour, étant entendu qu’ils sont liés par la disposition en question. Ainsi, lorsqu’un État demande à intervenir au titre de l’article 63, mais qu’il n’est pas lié par une disposition de la convention en raison d’une réserve, sa déclaration fondée sur ledit article ne peut être considérée comme recevable pour ce qui est de l’interprétation de cette disposition. Par conséquent, la Cour conclut que la déclaration des États-Unis est irrecevable dans la mesure où elle a trait à l’article IX de la convention sur le génocide.
La Cour relève que les États-Unis demandent également à intervenir pour exposer leur interprétation d’autres dispositions de la convention susceptibles d’être en cause à ce stade de la procédure, notamment de dispositions qui pourraient être pertinentes aux fins de la détermination de la portée de sa compétence ratione materiae en l’espèce. La Cour souligne que, au stade des exceptions préliminaires, l’interprétation de toute autre disposition de la convention ne peut être pertinente que dans la mesure où celle-ci a trait à l’interprétation de l’article IX et à l’établissement de la compétence ratione materiae de la Cour au titre de celui-ci. Les États-Unis ayant formulé une réserve à cet article, la Cour estime qu’ils ne peuvent pas intervenir à ce stade pour exposer leur
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interprétation d’autres dispositions de la convention qui seraient pertinentes aux fins de la compétence ratione materiae qu’elle tient de l’article IX.
La Cour conclut que la déclaration d’intervention des États-Unis est irrecevable dans la mesure où elle a trait au stade de la procédure sur les exceptions préliminaires. Elle retient l’objection soulevée par la Fédération de Russie en ce qu’elle a trait à cette phase.
VI. CONCLUSION (PAR. 99-101)
La Cour conclut que les déclarations d’intervention déposées en l’affaire, à l’exception de celle présentée par les États-Unis, sont recevables au stade des exceptions préliminaires en ce qu’elles ont trait à l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes aux fins de la détermination de sa compétence ratione materiae en l’espèce. En conséquence, la Cour ne prendra en considération, à ce stade, aucun des éléments présentés dans les observations écrites ou orales par les États déclarants qui sortirait du cadre ainsi fixé.
La Cour rappelle le contenu de l’article 86 de son Règlement. Elle explique que, conformément à cette disposition, les États dont les déclarations d’intervention sont recevables au stade actuel recevront copie du mémoire de l’Ukraine, des exceptions préliminaires de la Fédération de Russie et de l’exposé écrit de l’Ukraine sur ces exceptions préliminaires. En outre, la Cour fixera le délai dans lequel les États déclarants pourront déposer leurs observations écrites sur l’objet de leur intervention telle qu’elle a été déclarée recevable au stade actuel.
DISPOSITIF (PAR. 102)
Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par quatorze voix contre une,
Dit que les déclarations d’intervention présentées au titre de l’article 63 du Statut par la République fédérale d’Allemagne, l’Australie, la République d’Autriche, le Royaume de Belgique, la République de Bulgarie, le Canada et le Royaume des Pays-Bas, la République de Chypre, la République de Croatie, le Royaume du Danemark, le Royaume d’Espagne, la République d’Estonie, la République de Finlande, la République française, la République hellénique, l’Irlande, la République italienne, la République de Lettonie, la Principauté du Liechtenstein, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Malte, le Royaume de Norvège, la Nouvelle-Zélande, la République de Pologne, la République portugaise, la Roumanie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la République slovaque, la République de Slovénie, le Royaume de Suède et la République tchèque sont recevables au stade des exceptions préliminaires en ce qu’elles ont trait à l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide pertinentes aux fins de la détermination de la compétence de la Cour ;
POUR : M. Bennouna, juge, faisant fonction de président ; Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Xue, juge ;
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2) À l’unanimité,
Dit que la déclaration d’intervention présentée au titre de l’article 63 du Statut par les États-Unis d’Amérique est irrecevable dans la mesure où elle a trait au stade des exceptions préliminaires ;
3) Par quatorze voix contre une,
Fixe au 5 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt, par les États dont les déclarations d’intervention ont été jugées recevables au stade des exceptions préliminaires, des observations écrites prévues au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement de la Cour.
POUR : M. Bennouna, juge, faisant fonction de président ; Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Xue, juge.
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M. le juge GEVORGIAN, vice-président, joint une déclaration à l’ordonnance ; M. le juge ABRAHAM joint une déclaration à l’ordonnance ; Mme la juge XUE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge BHANDARI joint une déclaration à l’ordonnance1.
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1 Les résumés des déclarations et opinions rédigées par les membres de la Cour en anglais sont annexés au résumé de l’ordonnance en anglais ; les résumés des déclarations et opinions rédigées en français sont annexés au résumé de l’ordonnance en français.
Annexe au résumé 2023/5
Déclaration de M. le juge Abraham
Le juge Abraham est d’accord avec la décision de la Cour de dénier aux États-Unis d’Amérique le droit d’intervenir dans la présente procédure.
Sa déclaration concerne la question de la portée du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut, que la Cour a effleurée dans les motifs de son ordonnance. Le juge Abraham considère que ladite disposition manque de clarté. Il est d’avis que l’effet obligatoire d’un arrêt pour les États intervenants ne peut raisonnablement aller au-delà de celui qu’a ledit arrêt pour les parties à l’instance. Ce dernier point n’est pas réglé par le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut, mais par le principe de l’autorité de la chose jugée, qui est exprimé à l’article 59 du Statut. Dans ce contexte, il y a lieu, selon le juge Abraham, de distinguer le cas de l’interprétation d’une convention multilatérale en tant qu’un des éléments du raisonnement par lequel la Cour se prononce sur des demandes relatives à un cas concret de celui dans lequel elle est appelée à se prononcer à titre principal sur un point d’interprétation, qui constitue l’objet du différend qui lui est soumis. C’est seulement dans ce dernier cas que l’interprétation contenue dans un arrêt revêt un caractère obligatoire pour les parties et, partant, pour les États étant intervenus à la procédure en vertu de l’article 63 du Statut. Selon le juge Abraham, il est douteux que l’interprétation de la convention sur le génocide que la Cour retiendra dans l’arrêt ou les arrêts qu’elle rendra dans la présente instance comporte des effets obligatoires pour les États intervenants.
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Summary of the Order of 5 June 2023