Note : Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel.
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT
DE LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE EN VERTU DE L’ARTICLE 63
DU STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
7 octobre 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, la soussignée, dûment autorisée
par le Gouvernement de la République portugaise, déclare ce qui suit.
I. DROIT D’INTERVENIR
1. Au nom du Gouvernement de la République portugaise, j’ai l’honneur de soumettre à la
Cour internationale de Justice (ci-après la «Cour»), en vertu du paragraphe 2 de l’article 63 de son
Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui précise
l’affaire et la convention qu’elle concerne et qui contient :
«a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme
partie à la convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est
en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.»
3. Ces éléments sont traités ci-après.
II. AFFAIRE EN LAQUELLE EST DÉPOSÉE LA DÉCLARATION
ET CONVENTION CONCERNÉE
4. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie au sujet
d’un différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide» ou la
«convention»)1.
5. Aux paragraphes 4 à 12 de sa requête, l’Ukraine affirme qu’il existe, entre elle-même et la
Fédération de Russie, un différend au sens de l’article IX concernant l’interprétation, l’application
ou l’exécution de la convention sur le génocide.
6. L’Ukraine affirme que sa requête «a trait à un différend entre [elle-même] et la Fédération
de Russie concernant l’interprétation, l’application et l’exécution» de la convention sur le génocide.
Elle précise que «la Fédération de Russie a soutenu de façon mensongère que des actes de génocide
avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk, [qu’elle] a usé de ce
prétexte pour reconnaître les prétendues «République populaire de Donetsk» et «République
populaire de Louhansk», puis [qu’elle] a annoncé et lancé une «opération militaire spéciale» contre
1 Requête introductive d’instance déposée au Greffe de la Cour par l’Ukraine le 2[6] février 2022 (ci-après la
«requête de l’Ukraine»).
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l’Ukraine, avec pour objectif affiché de prévenir et de punir de prétendus actes de génocide dénués
de tout fondement factuel»2.
7. Dans sa requête, l’Ukraine affirme également que «[l]es actes de la Russie sapent
l’obligation centrale de l’article premier de la convention, remettent en cause son objet et son but et
entachent le caractère solennel de l’engagement pris par les parties contractantes de prévenir et de
punir le génocide»3.
8. A la suite de la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Ukraine,
la Cour a, le 16 mars 2022, prescrit ce qui suit :
«1) … La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires
qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2) … La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui,
ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa
direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées
au point 1) ci-dessus ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3) … Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus
difficile.»
9. A la date de la présente déclaration, la Fédération de Russie ne s’est pas conformée aux
prescriptions de l’ordonnance de la Cour, a intensifié et étendu ses opérations militaires sur le
territoire de l’Ukraine et a ainsi aggravé le différend dont la Cour est saisie.
10. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut, le greffier a
dûment averti le Gouvernement de la République portugaise, en sa qualité de partie contractante à la
convention4, que,
«[d]ans la requête susmentionnée, la convention de 1948 pour la prévention et la
répression du crime de génocide … [était] invoquée à la fois comme base de
compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine au fond. Plus
précisément, celle-ci entend fonder la compétence de la Cour sur la clause
compromissoire figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de déclarer qu’elle
ne commet pas de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et
soulève des questions sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide
consacrée à l’article premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation
de cette convention pourrait être en cause en l’affaire».
2 Requête de l’Ukraine, sect. I, par 2.
3 Ibid., sect. IV, par. 28.
4 Lettre (no 156413) en date du 30 mars 2022 adressée à l’ambassadeur de la République portugaise auprès du
Royaume des Pays-Bas par le greffier de la Cour internationale de Justice.
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11. La République portugaise est fermement convaincue que la convention sur le génocide est
un instrument capital pour la prévention et la répression de ce crime, acte des plus graves qui est
attentatoire à la notion même de dignité humaine. Tout acte commis dans l’intention de détruire, en
tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux constitue un crime au regard du
droit international. L’interdiction du génocide est une norme de jus cogens en droit international5 et
les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes6.
12. L’interprétation, l’application et l’exécution des dispositions de la convention intéressent
par conséquent toutes les parties à celle-ci, notamment la République portugaise. A cet égard, la Cour
a observé ce qui suit :
«[l]es fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention a été
manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère,
puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes
humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus
élémentaires. Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins
supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait,
pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des
Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les
charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la
volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme.»7
13. En tant que partie à la convention sur le génocide, et fidèle à son engagement résolu en
faveur d’un ordre international fondé sur des règles, la République portugaise a donc un intérêt direct
dans l’interprétation dudit instrument par la Cour.
14. En conséquence, la République portugaise entend, par la présente déclaration, se prévaloir
du droit d’intervenir que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour, laquelle a
établi que cet article conférait un «droit» d’intervention8. La Cour a également souligné qu’une
intervention
«se limit[ait] à la présentation d’observations au sujet de l’interprétation de la
convention concernée et ne permet[tait] pas à l’intervenant, qui n’acquiert pas la qualité
de partie au différend, d’aborder quelque autre aspect que ce soit de l’affaire dont est
5 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
6 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 3, contenant d’autres références ;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures
conservatoires, arrêt du 22 juillet 2022, p. 36, par. 107.
7 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
8 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, par. 21.
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saisie la Cour ; et qu’une telle intervention ne p[ouvai]t pas compromettre l’égalité entre
les parties au différend»9.
15. La République portugaise confirme qu’elle n’entend pas devenir partie à l’instance et
qu’elle accepte comme également obligatoire à son égard l’interprétation de la convention sur le
génocide que contiendra l’arrêt de la Cour en l’espèce.
III. BASE SUR LAQUELLE LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE SE CONSIDÈRE
COMME ÉTANT PARTIE À LA CONVENTION
16. Le 9 février 1999, la République portugaise a adhéré à la convention et déposé son
instrument d’adhésion, conformément au paragraphe 4 de l’article XI de celle-ci.
IV. DISPOSITIONS DE LA CONVENTION DONT L’INTERPRÉTATION
EST EN CAUSE EN L’ESPÈCE
17. L’intervention de la République portugaise se limite aux questions relatives à
l’interprétation de la convention qui se posent en la présente affaire, lesquelles concernent différentes
dispositions de cet instrument, dont celles qui se rapportent à la compétence de la Cour et celles qui
sont pertinentes pour le fond de l’affaire.
18. Il convient de noter que l’article 63 du Statut ne fait pas de distinction entre les dispositions
d’une convention qui ont trait à des questions juridictionnelles et celles qui ont trait à des questions
de fond. De fait, les Etats peuvent, dans les deux cas, offrir leur assistance à la Cour dans
l’interprétation d’une convention donnée.
19. En conséquence, la République portugaise consacrera son intervention à l’interprétation
des dispositions suivantes :
a) l’article IX de la convention, portant sur la compétence de la Cour ; et
b) l’article premier de la convention, concernant l’obligation imposée aux Etats contractants de
prévenir et de punir le crime de génocide, qui doit en outre être interprété à la lumière des
articles II, III et VIII.
20. L’intervention relative à l’interprétation des dispositions susvisées respectera les délais et
phases de la procédure établis dans le Statut, le Règlement et les décisions correspondantes de la
Cour.
V. EXPOSÉ DE L’INTERPRÉTATION QUE LE PORTUGAL DONNE DES DISPOSITIONS
EN CAUSE DE LA CONVENTION : LA COMPÉTENCE
21. L’article IX de la convention se lit comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
9 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, par. 18.
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responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
22. La notion de «différend» est déjà bien établie dans la jurisprudence de la Cour, laquelle
définit celui-ci comme «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une
opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» entre les parties10. Pour établir l’existence d’un
différend, il faut «démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste
de l’autre»11. Les deux parties doivent avoir des «points de vue …, quant à l’exécution ou à la nonexécution
de certaines obligations découlant des traités, [qui] sont nettement opposés»12. En outre,
«dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du demandeur, il est possible
d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci et que, par suite, un
différend existe»13.
23. La République portugaise s’attachera donc à l’interprétation des autres éléments de
l’article IX, à savoir que les différends visés doivent être «relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention». Elle est d’avis que l’article IX est une clause juridictionnelle
générale qui autorise la Cour à statuer sur des différends concernant l’interprétation, l’application ou
l’exécution par une partie contractante des obligations qui lui incombent au titre de la convention.
24. Le membre de phrase «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de
la … Convention», dans son sens ordinaire, peut être scindé en deux :
a) le premier volet («relatifs à») établit un lien entre le différend et la convention ; et
b) le second volet («l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention») englobe
plusieurs cas de figure14.
25. En ce qui concerne le premier volet, la République portugaise considère qu’une allégation,
par un Etat contractant à la convention sur le génocide, selon laquelle un autre Etat contractant a
commis ce crime établit un lien entre le différend et la convention, étant donné que celle-ci contient
des éléments essentiels que les deux parties ont accepté d’apprécier pour savoir si un génocide a été
commis.
26. En ce qui concerne le second volet et les divers cas de figure susmentionnés, il existe un
différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention lorsqu’un Etat
10 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
11 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
12 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
13 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, arrêt du 22 juillet 2022, p. 27, par. 71.
14 Comme Kolb l’a fait observer, l’article IX de la convention est «un modèle de clarté et de simplicité, qui ouvre
aussi largement que possible la voie à la saisine de la Cour» — R. Kolb, «The Compromissory Clause of the Convention»,
in P. Gaeta (dir. publ.), The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP 2009), p. 420.
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contractant allègue qu’un autre Etat contractant a commis un génocide15. La Cour doit alors vérifier
le fondement factuel de cette allégation et s’assurer que des actes de génocide ont effectivement été
commis en violation de la convention16.
27. Les différends concernant un «défaut d’action» ou une omission en matière de prévention
du génocide peuvent aussi constituer un manquement aux obligations de fond énoncées aux
articles premier, IV et V.
28. La Cour a également compétence ratione materiae pour déclarer l’absence de génocide,
lorsqu’un Etat formule des allégations mensongères non fondées sur des faits existants et qu’il y a
manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi les obligations prévues par la convention qui
donne lieu à un abus des dispositions de celle-ci.
29. L’objet et le but de la convention, ainsi que les valeurs et principes supérieurs qu’elle
défend, interdisent également qu’un Etat contractant puisse détourner les dispositions de cet
instrument à d’autres fins ou buts que ceux qu’il prévoit. La crédibilité de la convention en tant
qu’instrument universel visant à interdire le crime le plus abject qu’est le génocide serait compromise
si une partie contractante pouvait l’invoquer abusivement sans contrôle possible de la Cour.
30. Comme la Cour l’a précisé dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires
du 16 mars 2022, le fond du différend entre ces deux parties à la convention sur le génocide se
rapporte à deux questions principales, soit celles de savoir
«si certains actes qui auraient été commis par l’Ukraine dans les régions de Donetsk et
de Louhansk sont constitutifs [d’une] violation des obligations incombant à cet Etat au
titre de la convention sur le génocide, et si l’emploi de la force par la Fédération de
Russie dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu génocide est une mesure
qui peut être prise en exécution de l’obligation de prévenir et de punir énoncée à l’article
premier de la convention»17.
31. La République portugaise considère par conséquent qu’il existe, entre les Parties à la
présente affaire, un différend relatif à l’application, l’interprétation et l’exécution de la convention
sur le génocide, et que la Cour a compétence pour en connaître au titre de l’article IX de la
convention.
VI. EXPOSÉ DE L’INTERPRÉTATION QUE LE PORTUGAL DONNE DES DISPOSITIONS
EN CAUSE DE LA CONVENTION : LE FOND
32. La République portugaise présentera en temps voulu à la Cour des vues plus détaillées sur
le sens à donner aux différentes dispositions de la convention pertinentes pour le fond de l’affaire,
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 75, par. 169.
16 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999, p. 669-670, par. 35-40. Par la suite, la Cour s’est déclarée incompétente au motif que, au moment de
l’introduction de l’instance, la Serbie-et-Monténégro n’avait pas qualité pour ester devant elle au regard de l’article 35 du
Statut (voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Portugal), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 1160).
17 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 45.
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en particulier en ce qui concerne l’article premier, lequel doit en outre être interprété à la lumière des
articles II, III et VIII. A ce stade, elle se contentera d’exposer dans les grandes lignes les principaux
points concernant l’interprétation de ces dispositions.
33. L’article premier de la convention se lit comme suit : «Les Parties contractantes confirment
que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des
gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.»
34. Selon cet article, tous les Etats parties sont tenus de prévenir et de punir le génocide en
employant l’ensemble «[d]es moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher,
dans la mesure du possible, le génocide»18. Ce faisant, ils doivent cependant agir dans les limites de
ce que leur permet la légalité internationale19.
35. En s’acquittant de l’obligation que leur impose l’article premier, les Etats contractants sont
également tenus d’agir de bonne foi20. Cette obligation d’agir de bonne foi, qui est «[l]’un des
principes de base qui président à la création et à l’exécution d’obligations juridiques»21, implique
qu’une partie à la convention doit s’abstenir de porter atteinte à l’objet et au but sous-tendant l’article
premier de celle-ci ou d’abuser de ses dispositions. Dans le cas contraire, il peut y avoir abus de droit,
lequel emporterait violation de la convention.
36. La question de savoir si certains faits spécifiques sont constitutifs de génocide, ce qui
donnerait lieu à l’application de l’article premier de la convention n’est pas laissée à l’appréciation
subjective d’une partie intéressée. L’article II de la convention est consacré à la définition du
génocide, l’article III énumérant quant à lui cinq modes de commission de ce crime qui doivent être
sanctionnés. La Cour a déjà bien déterminé quels étaient les éléments constitutifs du génocide dans
sa jurisprudence. Pour qu’il y ait génocide, il faut en particulier que soient établis, sur la base
d’éléments de preuve convaincants, à la fois l’acte de génocide et une intention génocidaire
(spécifique), en sus des éléments moraux contenus dans les actes énumérés à l’article II22.
37. En outre, lorsqu’elles invoquent l’obligation de prévenir le génocide, les parties
contractantes à la convention doivent être prêtes à présenter des éléments prouvant irréfutablement
qu’un génocide a été commis ou est en passe de l’être23.
38. Par ailleurs, selon l’article VIII de la convention sur le génocide,
«[t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l’Organisation des
Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies,
18 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
19 Ibid. ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 57.
20 Article 26 et paragraphe 1) de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités ;
Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
21 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46.
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121-122, par. 186-189.
23 Ibid., p. 218, par. 422.
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les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.»
39. La prévention et la répression du génocide n’est donc pas une question purement interne
mais concerne la communauté internationale dans son ensemble. C’est pourquoi les Etats
contractants ont la possibilité de saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies
afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, des mesures pour la
prévention et la répression des actes de génocide. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale
constituent tous deux des «organes compétents» pouvant prendre des mesures collectives, qu’il
s’agisse d’une résolution non contraignante dans le cas de l’Assemblée générale ou d’une action
coercitive au titre du chapitre VII pour ce qui est du Conseil de sécurité. De plus, l’article IX de la
convention confère le droit de saisir la Cour en ce qui concerne les différends relatifs aux dispositions
de cet instrument.
40. L’article VIII ne décharge pas les Etats contractants de leur obligation de prévenir le
génocide24, même lorsque les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies se sont
manifestement abstenus d’agir. Cependant, la licéité de toute mesure unilatérale doit toujours être
appréciée à la lumière de l’obligation énoncée à l’article VIII et des autres obligations applicables du
droit international, dont celles consacrées dans la Charte des Nations Unies. En soi, l’obligation de
prévenir le génocide prévue à l’article premier de la convention ne constitue pas une base juridique
permettant de recourir à l’emploi de la force, en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte.
41. En outre, comme la Cour l’a souligné dans son ordonnance du 16 mars 202225, l’obligation
de prévenir le génocide a une dimension collective, laquelle est liée aux articles VIII et IX ainsi qu’au
préambule de la convention. En conséquence, l’exécution de bonne foi de cette obligation exigerait
de privilégier la coopération à toute action militaire unilatérale, notamment dans le cadre des organes
de l’Organisation des Nations Unies et du règlement pacifique des différends.
VII. DOCUMENTS FOURNIS À L’APPUI DE LA DÉCLARATION D’INTERVENTION
42. On trouvera ci-après le bordereau des documents à l’appui de la présente déclaration, qui
lui sont annexés sous forme de copies certifiées conformes aux originaux :
a) la lettre no 156413, en date du 30 mars 2022, adressée à l’ambassadeur de la République
portugaise auprès du Royaume des Pays-Bas par le greffier de la Cour internationale de Justice
(annexe A) ;
b) l’instrument d’adhésion de la République portugaise à la convention sur le génocide (annexe B) ;
c) la notification dépositaire du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies confirmant
l’adhésion de la République portugaise à la convention sur le génocide (annexe C).
24 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 219-220, par. 427.
25 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 56.
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VIII. CONCLUSION
43. Au vu de ce qui précède, la République portugaise se prévaut du droit que lui confère le
paragraphe 2 de l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire portée devant la
Cour par l’Ukraine contre la Fédération de Russie.
44. L’interprétation donnée dans la présente déclaration d’intervention est pertinente aux fins
de la procédure tant en ce qui concerne la compétence de la Cour que le fond des demandes formulées
par les Parties.
45. La République portugaise se réserve le droit de modifier ou de compléter la présente
déclaration et toutes observations écrites qui seraient présentées à cet égard, si elle le juge nécessaire
au cours de la procédure.
46. Le Gouvernement de la République portugaise a désigné la soussignée en qualité d’agente
aux fins de son intervention, et S. Exc. M. António de Almeida Lima, ambassadeur du Portugal
auprès du Royaume des Pays-Bas, en qualité de coagent.
47. Il est demandé que toutes les communications relatives à la présente procédure soient
adressées à l’ambassade de la République portugaise au Royaume des Pays-Bas, Zeestraat 74,
2518 AD La Haye.
Respectueusement,
La directrice du département des affaires juridiques
du ministère des affaires étrangères de la République portugaise,
(Signé) Patrícia GALVÃO TELES.
___________
ANNEXE A
LETTRE CIRCULAIRE EN DATE DU 30 MARS 2022 ADRESSÉE AUX ÉTATS PARTIES
À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE PAR LE GREFFIER DE LA
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
- 2 -
ANNEXE B
INSTRUMENT D’ADHÉSION DE LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE
À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
(IV.1)
Attention : Services des Traités des Ministères des Affaires Étrangères et organisations internationales
concernés.
Référence : C.N.110.1999.TREATIES-1 (Notification Dépositaire)
CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE
GÉNOCIDE
NEW YORK, 9 DÉCEMBRE 1948
PORTUGAL : ADHESION
Le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, agissant en sa qualité de dépositaire,
communique :
L'action susmentionnée a été effectuée le 9 février 1999, avec :
Déclaration (Original : français)
"La République portugaise déclare qu'elle interprétera l'article VII de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide de façon à reconduire l'obligation d'extradition y
prévue aux cas où la Constitution de la République portugaise et la restante législation nationale ne
l'interdise pas."
La Convention entrera en vigueur pour le Portugal le 10 mai 1999 conformément au
paragraphe 3 de son article XIII qui stipule :
"Toute ratification ou adhésion effectué ultérieurement à la dernière date [... la date du dépôt
du vingtième instrument de ratification ou d'adhésion] prendra effet le quatre-vingt-dixième jour qui
suivra le dépôt de l'instrument de ratification ou d'adhésion."
Le 22 février 1999
ANNEXE C
NOTIFICATION DÉPOSITAIRE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ORGANISATION
DES NATIONS UNIES CONFIRMANT L’ADHÉSION DE LA RÉPUBLIQUE
PORTUGAISE À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
Déclaration d'intervention du Portugal