Exposé écrit des experts du Chili

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162-20220114-OTH-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DIFFÉREND CONCERNANT LE STATUT ET L’UTILISATION DES EAUX DU SILALA
(CHILI C. BOLIVIE)
EXPOSÉ ÉCRIT
DES EXPERTS DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI
Howard Wheater et Denis Peach
14 janvier 2022
[Traduction du Greffe]
A PROPOS DES AUTEURS
Howard Wheater
Howard Wheater est titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada sur la sécurité
de l’eau à l’Université de la Saskatchewan (Canada), où il a fondé et dirigé le Global Institute for
Water Security, et il est professeur émérite d’hydrologie à l’Imperial College London, où il a occupé
un poste universitaire à temps plein pendant 32 ans. Eminent spécialiste des sciences et de la
modélisation hydrologiques, il a publié plus de 240 articles revus par un comité de lecture et 6 livres.
Il est membre de la Royal Society of Canada, de la Royal Academy of Engineering du Royaume-Uni
et de l’American Geophysical Union. Il a reçu la médaille Dooge du prix international d’hydrologie
2018 décerné par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
(UNESCO), l’organisation météorologique mondiale et l’association internationale des sciences
hydrologiques, et il a remporté en 2006 le prix international du prince Sultan bin Abdulaziz pour
l’eau. Il a lancé et dirigé des programmes de recherche nationaux et internationaux au Royaume-Uni
et au Canada, et a conseillé des Etats, provinces et gouvernements nationaux sur des questions liées
aux crues, aux ressources hydriques et à la qualité de l’eau. Il a siégé au tribunal international
d’arbitrage établi conformément au traité sur les eaux de l’Indus et est intervenu au nom de la Hongrie
et de l’Argentine devant la Cour internationale de Justice. Il était jusqu’en 2014 vice-président du
projet intitulé «Expérience mondiale sur les cycles de l’énergie et de l’eau» (GEWEX) du programme
mondial de recherche sur le climat et il dirige le réseau d’information de l’UNESCO sur l’eau et le
développement dans les zones arides (GWADI). Au Canada, il a été à la tête du réseau Changing
Cold Regions Network, axé sur l’analyse et la prédiction des changements hydrologiques dans
l’ouest du Canada, et du Global Water Futures Program, consacré à la gestion de l’avenir de l’eau au
Canada et dans d’autres régions froides, où le réchauffement planétaire modifie les paysages, les
écosystèmes et le milieu aquatique. En 2018, il était le seul membre non américain du groupe
d’experts des académies nationales des Etats-Unis chargé d’établir un rapport sur l’avenir de l’eau et
ses priorités dans le pays.
Denis Peach
Denis Peach a dirigé pendant neuf ans le programme du British Geological Survey (institut
britannique d’études géologiques (BGS)) portant sur les eaux souterraines puis a travaillé six ans
comme scientifique en chef pour cet institut. Cet hydrogéologue aux nombreux centres d’intérêt
scientifiques est fort de 49 années d’expérience professionnelle qu’il a notamment consacrées à
travailler pour une administration des eaux au Royaume-Uni, à effectuer des missions à l’étranger
pour étudier les milieux hydrogéologiques tropicaux et l’hydrogéologie des petites îles et à collaborer
avec des consultants internationaux dans le domaine de l’hydrogéologie des zones arides. Il
s’intéresse particulièrement à la modélisation des eaux souterraines, sur laquelle il a travaillé au sein
du BGS, ainsi qu’à l’hydrogéologie des zones arides et à l’hydrogéologie karstique. Il a été
vice-président de la société géologique de Londres (GSL) et professeur invité à l’Imperial College
London et à l’Université de Birmingham ; il a également eu l’honneur de présenter la conférence
Ineson à la GSL en 2009. Il a dirigé de nombreux programmes nationaux de recherche géologique et
hydrogéologique au Royaume-Uni et a siégé au sein de nombre de comités de programmes de
recherche nationaux et de comités stratégiques nationaux sur les ressources en eau. Il mène
actuellement des travaux de recherche avec le BGS et l’Imperial College London et a récemment
conseillé l’Université de la Saskatchewan ainsi que des consultants en ingénierie britanniques.
- ii -
TABLE DES MATIÈRES
Page
LISTE DES FIGURES ............................................................................................................................ iii
1. INTRODUCTION ............................................................................................................................... 1
1.1. Contexte ................................................................................................................................. 1
1.2. Résumé des principaux points d’accord et de désaccord ....................................................... 1
1.3. Les cinq rapports que nous avons soumis à la Cour — contexte et résumé ........................... 1
2. LE SILALA ...................................................................................................................................... 2
2.1. Introduction ............................................................................................................................ 2
2.2. Définition du bassin versant et fonctionnement hydrologique ............................................... 3
2.3. Géologie et hydrogéologie ..................................................................................................... 7
2.4. La chenalisation historique du Silala en Bolivie .................................................................. 10
3. PRINCIPAUX POINTS D’ACCORD ................................................................................................... 13
4. PRINCIPAUX POINTS DE DÉSACCORD ........................................................................................... 14
4.1. Introduction .......................................................................................................................... 14
4.2. Bilan hydrique et modèles en champ proche du DHI .......................................................... 15
4.3. Principaux points de désaccord ............................................................................................ 17
4.3.1. Conditions limites du modèle en champ proche .......................................................... 17
4.3.2. Incohérences, inexactitudes et instabilités du modèle ................................................. 18
4.3.3. Erreurs relatives à l’interprétation de la géologie et de l’hydrogéologie ..................... 19
4.3.4. Dégradation des zones humides ................................................................................... 21
4.3.5. Dans les sources Cajones et Orientales, l’écoulement des sources
à apports souterrains aurait-il pu être considérablement amélioré
par le recours à des explosifs ? .................................................................................... 22
4.4. Résumé ................................................................................................................................. 22
5. CONCLUSIONS .............................................................................................................................. 23
6. RÉFÉRENCES ................................................................................................................................. 25
- iii -
LISTE DES FIGURES
Page
Figure 1. Image 3D de la topographie incluant les courbes de niveau délimitant le bassin
de drainage des eaux de surface du bassin hydrographique du Silala. La frontière
internationale (ligne rouge) et la ligne de partage des eaux (ligne noire) sont représentées
comme sur la figure 2 (Muñoz et al., 2017, partie supérieure de la figure 3-3, MC, vol. 5,
p. 182) ...................................................................................................................................... 4
Figure 2. Coupe longitudinale du Silala et de ses principaux affluents (Wheater et Peach
(2017), figure 4, MC, vol. 1, p. 143) ........................................................................................ 5
Figure 3. Bassin versant topographique du Silala et bassin versant souterrain (Wheater et
Peach (2019a), figure 1, RC, vol. 1, p. 105) ............................................................................ 6
Figure 4. Ancienne prise d’eau de la FCAB en Bolivie, prise d’eau de la FCAB au Chili et
conduites construites et utilisées par la FCAB. L’ancienne prise d’eau en Bolivie et la
conduite no 1 (ligne orange) acheminaient l’eau du territoire bolivien aux réservoirs de
la FCAB situés à la gare de San Pedro (et jusqu’à Antofagasta). La prise d’eau et la
conduite no 2 (ligne verte) acheminaient l’eau du territoire chilien, également vers les
réservoirs de San Pedro (Muñoz et al., 2017 ; Wheater et Peach (2017), figure 6,
MC, vol. 1, p. 146) ................................................................................................................. 11
Figure 5. Domaines couverts par les trois modèles distincts du DHI (Muñoz et al., 2019 ;
Wheater et Peach (2019a), figure 2, PAC, vol. 1, p. 91) ....................................................... 16
1. INTRODUCTION
1.1. Contexte
Nous, Howard Wheater et Denis Peach, avons préparé le présent exposé écrit à la demande de
la Cour internationale de Justice, formulée par lettre du 15 octobre 2021 adressée à l’agente de la
République du Chili, Mme Ximena Fuentes Torrijo, par le greffier, M. Philippe Gautier. Ce dernier
nous a priés de résumer les cinq rapports préalablement soumis à la Cour dans le mémoire (MC), la
réplique (RC) et la pièce additionnelle du Chili (PAC).
Dans la présente introduction, nous résumerons nos principaux points d’accord et de désaccord
sur les questions techniques examinées en l’affaire et nous rappellerons le contexte des précédentes
conclusions soumises à la Cour. A la section 2, nous donnerons une description du Silala et de ses
caractéristiques hydrologiques et hydrogéologiques ; aux sections 3 et 4, nous présenterons plus en
détail les principaux points d’accord et de désaccord entre les experts. Enfin, la section 5 sera
consacrée à nos conclusions.
1.2. Résumé des principaux points d’accord et de désaccord
Les deux équipes d’experts, c’est-à-dire nous-mêmes et les consultants du Danish Hydraulic
Institute (DHI, institut danois d’hydraulique) mandatés par la Bolivie, s’accordent sur le fait que le
Silala présente les propriétés d’un cours d’eau international. Que ce soit sous forme d’eaux de surface
ou d’eaux souterraines, ses eaux s’écoulent naturellement vers l’aval, à travers la frontière
internationale, jusqu’au Chili.
Les travaux de chenalisation effectués du côté bolivien en 1928 ont pu avoir un certain effet,
limité, sur l’écoulement du Silala. Les avis divergent cependant quant à l’ampleur de cet effet : nous
considérons que celui-ci est très faible, tandis que les experts du DHI estiment qu’il représente une
augmentation de 11 à 33 % de l’écoulement de surface transfrontière. Cela étant, nous sommes tous
d’accord pour dire que la chenalisation n’a pas eu d’incidence sur la direction de l’écoulement du
Silala et que, mis à part un effet très mineur subie par l’évaporation, toute augmentation de
l’écoulement de surface s’accompagnera d’une diminution de l’écoulement souterrain traversant la
frontière, et inversement.
Autrement dit, bien qu’il y ait désaccord quant aux effets précis de la chenalisation sur
l’écoulement de surface, il est convenu qu’indépendamment de celle-ci (et sous réserve de ses effets
mineurs sur l’évaporation), toutes les eaux du Silala continuent de s’écouler vers l’aval à travers la
frontière internationale jusqu’au Chili. Par conséquent, la chenalisation n’a pas eu, et n’aurait pu
avoir, d’incidence concrète sur le volume d’eau qui entre au Chili.
1.3. Les cinq rapports que nous avons soumis à la Cour — contexte et résumé
Dans une série de rapports établis conjointement qui accompagnent les écritures du Chili, nous
avons présenté des preuves scientifiques de plus en plus nombreuses sur le fonctionnement
hydrologique du Silala, ainsi que notre opinion d’experts indépendants sur les diverses conclusions
que la Bolivie a soumises à la Cour1. Dans ces rapports, chacun de nous répond à plusieurs questions
que lui a posées le Chili. Ainsi, M. Wheater a rédigé en tant qu’auteur principal les réponses aux
1 Sous la direction conjointe des auteurs du présent exposé écrit, une équipe d’experts chiliens conduite par
M. José Muñoz, expert en hydrogéologie, a entrepris une série d’études intensives accompagnées d’un suivi approfondi,
qui sont toujours en cours.
1
2
- 2 -
questions qui lui étaient adressées, et M. Peach en a fait de même. Toutefois, ces rapports étant le
fruit d’une collaboration, ils reflètent notre opinion conjointe.
Nous avons joint deux rapports au mémoire du Chili (juillet 2017), l’un intitulé Le Silala dans
sa forme actuelle — fonctionnement du système fluvial («Wheater et Peach (2017)»), qui traite surtout
du fonctionnement hydrologique de la rivière, et l’autre intitulé L’évolution du Silala, de son bassin
versant et de sa gorge («Peach et Wheater (2017)»), consacré à l’histoire géologique et
géomorphologique du bassin. Ces deux rapports sont axés sur la question centrale de savoir si le
Silala remplit les critères requis pour être qualifié de cours d’eau international, ce à quoi nous avons
tous deux répondu par l’affirmative, du point de vue hydrologique et du point de vue
hydrogéologique respectivement. En outre, nous y donnons une première opinion quant à l’incidence
de la chenalisation effectuée par le passé (la chenalisation historique), à savoir que les effets sur les
écoulements de surface à la frontière seraient minimes, ne dépassant pas 2 %.
Dans la réplique du Chili (février 2019) qui répond au contre-mémoire de la Bolivie (CMB),
nous avons actualisé nos preuves scientifiques et donné notre opinion d’experts indépendants sur
celles produites par la Bolivie, en particulier en ce qui concerne la modélisation effectuée par ses
experts internationaux du DHI pour déterminer les effets de la chenalisation des zones humides
boliviennes sur l’écoulement de surface («DHI (2018a)»). Dans le rapport intitulé Incidences de la
chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin hydrographique («Wheater et Peach
(2019a)»), nous avons résumé les points d’entente existant entre les Parties sur le plan technique et
expliqué nos doutes au sujet de la modélisation du DHI. Outre les problèmes techniques que pose
selon nous cette modélisation, nous avons constaté que la Bolivie donnait une interprétation erronée
de la géologie et de l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala ⎯ examinées dans notre
deuxième rapport, intitulé La géologie, l’hydrogéologie et l’hydrochimie du bassin hydrographique
du Silala («Peach et Wheater (2019)»).
Enfin, dans la pièce additionnelle du Chili (septembre 2019), après avoir reçu des données
numériques de la Bolivie et pour répondre à la duplique soumise par cette dernière (DB), nous avons
procédé à une analyse plus approfondie de la modélisation bolivienne des effets de la chenalisation,
dans notre rapport intitulé Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son
bassin hydrographique — une analyse actualisée («Wheater et Peach (2019b)»). Cette analyse
actualisée, qui repose sur un examen des données utilisées par la Bolivie pour ses modèles, a mis en
lumière d’autres erreurs graves dans la modélisation. Nous avons également réexaminé
l’interprétation de la géologie et de l’hydrogéologie des bassins versants, de surface et souterrain, du
Silala sur laquelle la Bolivie fonde sa modélisation. Notre conclusion est que les résultats de cette
modélisation ne sont nullement fiables et que la Cour ne devrait pas en tenir compte.
2. LE SILALA
2.1. Introduction
Après une première reconnaissance du terrain et une analyse des études scientifiques
disponibles, le Chili a mis en place, sur nos recommandations, un important programme d’études
hydrologiques et hydrogéologiques afin de mieux comprendre le fonctionnement hydrologique du
Silala — notamment les interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines — et
l’évolution de celui-ci sur les plans géologique et géomorphologique. Le régime d’écoulement
souterrain a été étudié à l’aide de forages et de pompages d’essai ; des levés cartographiques
géologiques détaillés et des relevés hydrochimiques ont été effectués. La majorité des informations
obtenues figurent dans nos deux rapports de 2017 (Wheater et Peach (2017) ; Peach et Wheater
(2017). Cependant, un certain nombre d’affirmations erronées ont été formulées dans le
contre-mémoire de la Bolivie au sujet de la géologie et de l’hydrogéologie du bassin hydrographique
du Silala et des incidences de la chenalisation dans les zones humides boliviennes (Cajones et
3
- 3 -
Orientales)2 où les écoulements du Silala prennent leur source. N’étant pas en mesure d’observer
directement ces zones humides, nous avons entrepris d’étudier en détail une zone humide similaire
dans le bassin hydrographique du Silala au Chili, celle appelée Quebrada Negra, ce qui nous a permis
de mieux comprendre le fonctionnement des zones humides dans le bassin et de faire une analyse
comparative de celles de la Bolivie situées en amont, sur la base de données de télédétection. Nous
avons rendu compte de ces travaux dans la réplique du Chili, en joignant également un examen
détaillé des interprétations que fait la Bolivie de la géologie et de l’hydrogéologie. Si quelques
incertitudes demeurent, nous avons toutefois acquis une bien meilleure compréhension du bassin
hydrographique, que nous résumons ci-dessous.
2.2. Définition du bassin versant et fonctionnement hydrologique
Le Silala présente les caractéristiques typiques d’une rivière à apports souterrains3. Si ses
écoulements pérennes prennent naissance dans des sources souterraines en Bolivie, liées aux zones
humides Cajones et Orientales, à plus de 4323 mètres au-dessus du niveau de la mer, la rivière
interagit néanmoins avec les eaux souterraines tout au long de son parcours. Elle reçoit d’importants
apports de sources souterraines émergeant de la paroi de la gorge du Silala qui traverse la frontière
internationale (à environ 4277 mètres au-dessus du niveau de la mer) et perd de l’eau au profit d’un
aquifère sous-fluvial au niveau de son chenal d’écoulement (MC, vol. 1, p. 135, 168-169). Un
système hydrogéologique plus profond a également été repéré, lequel contribue actuellement au débit
de la rivière au Chili via un écoulement provenant d’un puits artésien4 (MC, vol. 1, p. 135, 171-173).
La topographie du bassin hydrographique est telle que les eaux d’écoulement drainées
naturellement coulent de la Bolivie au Chili en provenance d’un bassin versant topographique,
représenté à la figure 1. La figure 2 montre la coupe longitudinale de la rivière. Le dénivelé entre les
sources en Bolivie et le lit du Silala à la frontière est de plus de 45 mètres et la pente du lit naturel de
la rivière est relativement abrupte (environ 4 à 5 %). Aux abords de la frontière, le lit traverse une
gorge qui a été creusée par les processus fluviatiles. Ainsi qu’il a été signalé dans notre rapport Peach
et Wheater (2017), les marques relevées dans la gorge montrent qu’une rivière coule et traverse
depuis plus de 8400 ans un point qui est aujourd’hui la frontière internationale (MC, vol. 1,
p. 218-223).
2 Appelées respectivement «zone humide nord» et «zone humide sud» par la Bolivie.
3 De nombreuses grandes rivières prennent naissance dans des sources souterraines pérennes ou non. La Tamise
(au Royaume-Uni) en est un exemple notoire (British Geological Survey, 1996).
4 Un puits artésien se caractérise par le fait que la pression de l’eau dans l’aquifère est telle qu’elle génère des
écoulements de surface.
4
- 4 -
Figure 1
Image 3D de la topographie incluant les courbes de niveau délimitant le bassin de drainage des eaux
de surface du bassin hydrographique du Silala. La frontière internationale (ligne rouge) et la ligne
de partage des eaux (ligne noire) sont représentées comme sur la figure 2 (Muñoz et al., 2017,
partie supérieure de la figure 3-3, MC, vol. 5, p. 182).
Légende :
Military post = Poste militaire
Inacaliri police station = Poste de police d’Inacaliri
Enlarged area = Emplacement de la zone agrandie
PARAGUAY
) ARGlNTINA1
- 5 -
Figure 2
Coupe longitudinale du Silala et de ses principaux affluents
(Wheater et Peach (2017), figure 4, MC, vol. 1, p. 143).
Légende :
Elevation from DEM-5m (m) = Altitudes relevées sur la carte MNT 5m (m)
Distance from Inacaliri police station (m) = Distance par rapport au poste de police d’Inacaliri (m)
Enlarged area = Emplacement de la zone agrandie
Le climat du bassin est décrit dans notre rapport Wheater et Peach (2017) (MC, vol. 1,
p. 154-161). Nous estimons que la moyenne annuelle des précipitations sur le bassin topographique
est de 165 mm. Dans un climat aussi sec, l’évaporation (issue principalement de surfaces d’eau libre
et de la transpiration végétale) est limitée, sur la majeure partie de la région, par les précipitations
qui se produisent. Toutefois, dans les zones humides, les sources fournissent des apports en eau
pouvant alimenter des taux d’évaporation élevés. Selon nos estimations, 78 mm des précipitations
reçues annuellement sont déchargés dans l’écoulement de la rivière, et 87 mm sont perdus par
5
6
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- 6 -
évaporation pour l’ensemble du bassin hydrographique. A l’aide de méthodes de télédétection, nous
avons estimé que l’évaporation dans les zones humides boliviennes équivalait à 0,7 % de
l’écoulement de la rivière, mais, conscients de la forte incertitude entourant ce chiffre, nous avons
proposé une estimation haute établie à 2 % de l’écoulement moyen.
L’analyse du bilan hydrique5 a montré que les écoulements de surface du Silala ne pouvaient
pas être alimentés par les seules précipitations enregistrées dans le bassin versant topographique.
Dans le contre-mémoire de la Bolivie, le DHI fait état d’un bassin versant souterrain plus vaste
(CMB, vol. 2, p. 275, figure 5), et nous sommes entièrement d’accord. Notre meilleure estimation de
la superficie de ce bassin est représentée à la figure 3.
Les eaux souterraines qui fournissent des apports aux sources alimentant les zones humides
boliviennes Orientales et Cajones émergent de dépôts volcaniques et d’alluvions sur lesquelles
s’étendent ces zones humides. La plupart de ces dépôts sont des aquifères alimentés par des eaux de
recharge issues des précipitations, moins l’évaporation, tombant sur le bassin versant souterrain plus
vaste (figure 3). Ces aquifères s’étendent sur l’ensemble du bassin versant en Bolivie et au Chili. Par
conséquent, les eaux souterraines s’écouleront vers l’aval de la Bolivie au Chili, en franchissant la
frontière internationale, que ce soit en tant qu’eaux de surface à partir des sources ou en tant qu’eaux
souterraines dans les aquifères (MC, vol. 1, p. 167 et 168, figures 20 et 21).
Figure 3
Bassin versant topographique du Silala et bassin versant souterrain
(Wheater et Peach (2019a), figure 1, RC, vol. 1, p. 105).
5 Pour le dire simplement, en calculant la différence entre les précipitations et l’évaporation, on obtient le volume
d’eau disponible pour les écoulements de surface et souterrain qui circulent dans le bassin et qui en sortent (y compris les
éventuels prélèvements pour des utilisations publiques ou industrielles), sans tenir compte des variations saisonnières et
interannuelles dans le stockage.
7
KllomelNS ....... ,....~14
SILALA RIVER IASIN
GROUNDWATER
CATCHMENT
- SILALA RIVER
TOPOGRAPHIC
CATCHMENT
~ ., BRAZIL
PERU l ~ , \;:: l ~ CHIU~ PARAGUAY
§" ) AttGfNTINA~
~
- 7 -
Légende :
Silala river basin groundwater catchment = Bassin versant souterrain du bassin hydrographique
du Silala
Silala river topographic catchment = Bassin versant topographique du Silala
Inacaliri Police Station = Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake = Prise d’eau de la CODELCO
Military post = Poste militaire
Enlarged area = Emplacement de la zone agrandie
Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’une des principales demandes du Chili, exposée dans sa requête
datée de juin 2016, était que la Cour reconnaisse que le Silala est un cours d’eau international. Nous
avons conclu dans notre rapport Wheater et Peach (2017) (MC, vol. 1, p. 135-137) que, de notre
point de vue d’experts, le Silala était incontestablement un «système d’eaux de surface et d’eaux
souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire aboutissant à un
point d’arrivée commun», et qu’il était «un cours d’eau dont les parties se trouvent dans des Etats
différents» (ce qui est la définition de la convention de 1997 des Nations Unies sur le droit relatif
aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation). La direction
naturelle de l’écoulement amène celui-ci à franchir la frontière internationale, de la Bolivie au Chili,
et le critère du «point d’arrivée commun» est rempli par le fait que les eaux du Silala se jettent dans
le San Pedro et enfin dans l’océan Pacifique après avoir alimenté le fleuve Loa.
Nous avons constaté que les experts du DHI, dans le contre-mémoire de la Bolivie, acceptent
cette interprétation (Wheater et Peach (2019a), RC, vol. 1, p. 103-106). Ils confirment que le Silala
était «un système couplé d’eaux souterraines et d’eaux de surface … s’étendant au-delà de la
frontière» (CMB, vol. 2, p. 266). Ils signalent également l’existence de nombreuses sources
supplémentaires en aval des zones humides Orientales qui contribuent à l’écoulement (CMB, vol. 2,
p. 368-369), et notent que «les gradients des eaux souterraines et les propriétés hydrogéologiques
indiquent clairement qu’il y a un écoulement souterrain de la Bolivie au Chili» (CMB, vol. 5, p. 84).
Si l’ampleur de l’écoulement souterrain transfrontière reste incertaine, les experts du DHI estiment
néanmoins que celui-ci «est au moins du même ordre de grandeur que l’écoulement de surface à la
frontière» (CMB, vol. 5, p. 84).
2.3. Géologie et hydrogéologie
Afin de comprendre le fonctionnement d’un bassin versant principalement alimenté par des
eaux souterraines, il est nécessaire de comprendre la géologie sous-jacente, qui détermine les
caractéristiques hydrogéologiques telles que l’étendue et les propriétés des systèmes aquifères ainsi
que leur interdépendance. Des experts du service chilien de géologie, le SERNAGEOMIN, en
collaboration avec M. Peach, ont mené des études approfondies dont il a été rendu compte dans le
mémoire (SERNAGEOMIN, 2017), la réplique (SERNAGEOMIN, 2019a) et la pièce additionnelle
du Chili (SERNAGEOMIN, 2019b). En outre, plusieurs observations formulées par la Bolivie ont
fait naître un doute quant à la nature et à la formation de la gorge dans laquelle le Silala s’écoule de
la Bolivie au Chili (par exemple, MC, vol. 3, p. 375 ; CMB, vol. 5, p. 119). L’équipe d’experts
chiliens a donc étudié la géomorphologie de la rivière (Mao, 2017 ; Latorre et Frugone, 2017).
La géologie actuelle est le fruit de plusieurs événements géologiques passés, résumés
ci-dessous :
i) Pendant la période remontant à entre 6 millions et 1,5 million d’années (Ma), la surface
aujourd’hui occupée par le bassin versant du Silala a été le théâtre d’épisodes volcaniques
associés à la collision entre la plaque tectonique océanique à l’ouest (sous l’océan Pacifique)
et la plaque continentale sud-américaine. L’activité volcanique qui en a résulté a façonné le
paysage, notamment la formation du Cerro Inacaliri, du Cerrito de Silala et du volcan
8
- 8 -
Apagado (MC, vol. 1, p. 199-200), qui sont tous des éléments dominants de la morphologie
du bassin versant (figure 1).
ii) Ces formations reposent majoritairement sur des dômes volcaniques et des laves datant d’il
y a environ 6,6 à 5,8 Ma. Au-dessus de ces roches basales anciennes, observées sous la gorge
du Silala, on trouve des dépôts appelés ignimbrites. Celles-ci ont été mises en place par des
éruptions volcaniques explosives émettant des coulées de fragments de roche, de
gouttelettes de roches fondues et de gaz chauds, qui ont emprunté la pente topographique
actuelle à grande vitesse (MC, vol. 1, p. 199-200). La première de ces formations
(ignimbrite Cabana, datant d’environ 4,12 Ma) est née d’un événement de très grande
ampleur qui a touché une grande partie de l’Altiplano chilien et auquel a succédé une
première période d’activité fluviale, qui a érodé une vallée dans l’ignimbrite et laissé des
dépôts sédimentaires fluviatiles (RC, vol. 3, p. 208-209). Au-dessus de ces premiers dépôts
fluviatiles, une seconde ignimbrite (ignimbrite Silala, datant d’environ 1,61 Ma) s’est
déposée, remplissant probablement la vallée. L’activité volcanique ultérieure a donné
naissance à une coulée de lave massive émise par le volcan Inacaliri (il y a 1,48 Ma), qui
s’est épanchée dans la zone occupée par le cours supérieur du Silala. Cette coulée de lave a
tronqué ce qui était alors le réseau de drainage du Silala (MC, vol. 1, p. 208-215 ; RC, vol. 1,
p. 179-183 ; SERNAGEOMIN, 2017 ; SERNAGEOMIN, 2019a).
iii) L’activité volcanique dans le bassin versant semble s’être interrompue après 1,48 Ma, et les
événements ultérieurs qui ont eu une incidence sur la morphologie du bassin versant sont
associés à l’englaciation des sommets, au-dessus de 4400 mètres au-dessus du niveau de la
mer. Il n’existe aucune marque d’érosion glaciaire ou de dépôts glaciaires au niveau ou au
sein de la gorge actuelle du Silala. Le creusement de la gorge, telle qu’elle existe
aujourd’hui, est le résultat de processus fluviatiles. Il a commencé il y a 8400 à 12 000 ans
et se poursuit à ce jour. La datation par radiocarbone a montré l’existence de sédiments qui
ont été déposés dans la gorge par le système hydrographique actuel du Silala et qui sont
vieux de plus de 8400 ans. La rivière a commencé à creuser la gorge avant cette période,
probablement en conséquence de la fonte des glaciers qui, il y a environ 12 000 ans, a
provoqué d’importants ruissellements et une augmentation du débit de la rivière, laquelle
poursuit son oeuvre selon un cycle d’érosion et de sédimentation répondant aux variations
des régimes climatiques (MC, vol. 1, p. 218-223 ; Latorre et Frugone, 2017).
Il y a de nombreuses marques de l’érosion fluviatile sur les parois de la gorge. On trouve quatre
terrasses incisées par l’eau et quatre séquences de dépôts sédimentaires de plusieurs mètres
d’épaisseur (MC, vol. 1, p. 218-223 ; Arcadis, 2017). Ces dépôts comprennent du sable, des graviers,
des limons et des vestiges organiques des zones humides. Les versants de la gorge présentent
quelques marques d’érosion éolienne et l’on trouve quelques dépôts sableux éoliens, mais ces
éléments restent mineurs et ne sauraient avoir eu d’incidence notable sur la formation de la gorge
(MC, vol. 1, p. 227-233 ; SERNAGEOMIN, 2017). Les études archéologiques ont permis de mettre
au jour des artefacts et des abris ou des habitats temporaires le long du cours de la rivière,
principalement sur les trois terrasses hautes (MC, vol. 1, p. 224-225 ; McRostie, 2017). Ces vestiges
sont la preuve que l’homme utilise la rivière et son cours depuis au moins 1500 ans. Il ne fait aucun
doute que les témoins géologiques, géomorphologiques et autres confirment clairement l’existence
historique d’un système fluvial dans le bassin versant du Silala. La gorge moderne, créée par l’action
fluviale, existe depuis plus de huit millénaires (MC, vol. 1, p. 218-225 ; Latorre et Frugone, 2017).
Ces processus et événements géologiques ont façonné le paysage du bassin versant et de la
gorge du Silala tels que nous les connaissons aujourd’hui (voir le profil schématique de la gorge du
Silala, montrant le Cerro Inacaliri et le volcan Apagado, RC, vol. 1, p. 190, figure 3-6). Nous avons
constaté que le régime hydrologique reflète non seulement le climat et la météorologie, mais aussi la
nature et la topographie de la surface terrestre et des roches se trouvant dans le sous-sol. La
topographie actuelle (figure 1) et le profil de la rivière (figure 2) sont le résultat direct de l’interaction
des processus atmosphériques, terrestres et biologiques et de leur variabilité au cours des six derniers
9
10
- 9 -
millions d’années. Les pentes naturelles de la topographie et du lit de la rivière sont telles que celle-ci
ne peut que s’écouler naturellement de la Bolivie au Chili. De même, les gradients hydrauliques
actuels des eaux souterraines traduisent un écoulement naturel de la Bolivie au Chili (MC, vol. 1,
p. 167, figure 20), comme les experts du DHI en conviennent (CMB, vol. 2, p. 266).
Nous relevons également que, d’après des études de la géomorphologie fluviale (Mao, 2017),
le réseau fluviatile actuel demeure actif sur le plan géomorphologique ; nous avons observé le
transport différencié de particules fines et grossières, caractérisé par un phénomène de tri
granulométrique et de pavage6, et la morphologie actuelle du lit en marche d’escalier est conforme à
celle requise pour transporter le flux d’eau actuel et les charges sédimentaires. La rivière abrite
également des populations florissantes de poissons et d’invertébrés, indicateur de la santé de
l’écosystème aquatique (Mao, 2017).
Il ressort clairement de nos investigations, dont les conclusions ont été exposées dans le
mémoire et la réplique du Chili, que l’hydrogéologie du bassin versant souterrain est extrêmement
complexe ; nous avons cependant pu déterminer qu’il existait trois systèmes aquifères distincts qui
sont actifs au Chili (Arcadis, 2017) :
i) un aquifère fluvial situé sous le lit du Silala et dans la gorge (MC, vol. 1, p. 166-169). Il se
compose de sédiments déposés par la rivière et les zones humides riveraines connexes. Il
fournit des apports mineurs aux écoulements souterrains, mais présente un niveau
piézométrique particulier différent de l’aquifère perché et de l’aquifère régional décrits
ci-dessous aux points ii) et iii).
ii) un système aquifère perché, qui est situé dans les dépôts alluviaux reposant sur les
formations volcaniques de socle que l’on trouve dans le bassin hydrographique du Silala,
comme l’ont montré les investigations géophysiques, qui se vidange par des sources dans le
Silala, en particulier à partir du versant nord de la gorge du Silala (MC, vol. 1, p. 168-169),
et dont l’eau a une nature nettement différente de celle des eaux souterraines plus profondes,
comme l’ont confirmé les analyses hydrochimiques (Herrera et Aravena, 2017 ; Herrera and
Aravena 2019).
iii) un système aquifère régional formé par une succession de dépôts ignimbritiques à
perméabilité variable interstratifiés dans des sédiments fluviatiles (offrant une forte
perméabilité). Les eaux souterraines de cet aquifère présentent une signature hydrochimique
différente de celles de l’aquifère perché (MC, vol. 1, p. 171-172). Cet aquifère se recharge
dans le bassin versant souterrain plus vaste (Arcadis, 2017 ; CMB, vol. 2, p. 275, figure 5)
(voir ci-dessus, figure 3).
Il est également clair que les eaux de recharge de ces aquifères dans le bassin versant
souterrain, qui se trouve principalement en Bolivie, soit émergent dans les sources des zones humides
boliviennes ou dans les sources chiliennes en aval de la frontière internationale, soit s’écoulent dans
l’aquifère ignimbritique régional en descendant la pente jusqu’au Chili en direction du sud-ouest. La
variabilité verticale de la perméabilité dans les ignimbrites est mise en évidence par le puits artésien
jaillissant SPW-DQN, et suppose l’existence d’une couche encaissante à faible perméabilité (RC,
vol. 1, p. 216).
Les eaux des sources des zones humides Cajones et Orientales présentent des différences
marquées pour ce qui est de l’hydrochimie et de la teneur isotopique du carbone, ce qui indique que
leurs eaux souterraines ont des origines distinctes. Celles de la zone humide Cajones proviennent
probablement d’une recharge plus localisée et ont des similitudes avec les eaux souterraines
provenant des sources de l’aquifère perché qui émergent de la paroi de la gorge au Chili. En revanche,
6 Les rivières à lit de graviers présentent une couche «dure» de grains anguleux à la surface, qui protège de l’érosion
les particules plus fines situées en dessous.
11
- 10 -
les eaux souterraines des sources de la zone humide Orientales présentent de fortes similitudes avec
les écoulements souterrains profonds tels que ceux qui rejoignent le Silala par le forage artésien
SPW-DQN (RC, vol. 1, p. 201-213 ; Herrera et Aravena, 2017 ; Herrera et Aravena, 2019).
La cartographie géologique établie par le SERNAGEOMIN, au Chili, n’a mis au jour aucune
preuve de l’existence de la «faille de Silala» que la Bolivie situe dans la gorge du Silala (CMB, vol. 4,
p. 69-81, et p. 75, figure 27); cependant, plusieurs failles situées en aval au Chili indiquent que
l’aquifère régional se trouve uniquement en profondeur, sous les laves à faible perméabilité du
Pliocène (PAC, vol. 2, p. 214-217). Il est donc probable que l’écoulement souterrain plus en aval soit
limité.
2.4. La chenalisation historique du Silala en Bolivie
Même si, comme indiqué plus haut et dans la troisième partie ci-dessous, les experts de la
Bolivie et nous-mêmes convenons que le Silala présente les caractéristiques d’un cours d’eau
international et sommes globalement d’accord sur la nature et le fonctionnement du bassin versant
hydrologique, y compris en ce qui concerne les écoulements transfrontières en surface et en sous-sol,
nous demeurons néanmoins en désaccord sur certains points scientifiques. Outre l’interprétation de
la géologie et de l’hydrogéologie, dont il a été question plus haut, nous avons des avis divergents sur
les effets de la chenalisation historique du réseau hydrographique en Bolivie, entreprise pour des
raisons sanitaires dans le cadre de l’approvisionnement en eau (MC, vol. 1, p. 98).
Dans le contexte l’essor social et économique d’une région extrêmement aride, le Silala a en
tout temps été une importante source d’eau régionale pour le Chili. En 1906, celui-ci a accordé une
concession à la compagnie britannique Antofagasta (Chile) and Bolivia Railway Company Ltd.
(ci-après la «FCAB») pour approvisionner en eau potable la ville portuaire d’Antofagasta (MC,
vol. 1, p. 40). Deux ans plus tard, en 1908, la FCAB a obtenu de la Bolivie le droit d’utiliser l’eau du
Silala. Nous comprenons que des travaux d’ingénierie ont été entrepris entre 1909 et 1910 pour
dériver l’écoulement du Silala par une conduite située en Bolivie. La concession est restée en vigueur
jusqu’à ce que la Bolivie y mette fin en 1997 (MC, vol. 1, p. 42). Un deuxième ouvrage de prise
d’eau et une deuxième conduite ont été construits par la FCAB en 1942 en territoire chilien. Ces
points d’adduction se trouvaient juste en aval et en amont de la frontière internationale, comme il est
illustré sur la figure 4. Celle-ci montre également l’emplacement d’un autre point d’adduction, situé
à une certaine distance en aval des conduites et prises d’eau de la FCAB, qui a été mis en place en
1956 par la compagnie minière publique chilienne CODELCO pour approvisionner en eau
domestique l’une de ses mines de cuivre. Notre rapport Wheater et Peach (2017) contient de plus
amples informations sur le sujet (MC, vol. 1, p. 145-147).
12
- 11 -
Figure 4
Ancienne prise d’eau de la FCAB en Bolivie, prise d’eau de la FCAB au Chili et conduites construites
et utilisées par la FCAB. L’ancienne prise d’eau en Bolivie et la conduite no 1 (ligne orange)
acheminaient l’eau du territoire bolivien aux réservoirs de la FCAB situés à la gare de
San Pedro (et jusqu’à Antofagasta). La prise d’eau et la conduite no 2 (ligne verte)
acheminaient l’eau du territoire chilien, également vers les réservoirs
de San Pedro (Muñoz et al., 2017 ; Wheater et Peach (2017),
figure 6, MC, vol. 1, p. 146).
Légende :
FCAB Intake = Prise d’eau de la FCAB
Inacaliri Police Station = Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake = Prise d’eau de la CODELCO
FCAB former Intake in Bolivia = Ancien ouvrage de prise d’eau de la FCAB en Bolivie
FCAB House = Bâtiment de la FCAB
Pipeline No. 1 = Conduite no 1
Enlarged area = Zone agrandie
En 1928, la FCAB a construit un réseau de petits chenaux (0,6 m de large x 0,6 m de
profondeur) dans les zones humides boliviennes Orientales et Cajones, et a effectué certains travaux
de chenalisation de la rivière principale en Bolivie (MC, vol. 1, p. 42). Ces chenaux, construits en
terre et revêtus de pierres, devaient faire office de drains, permettant l’infiltration de l’eau des zones
humides et la perte d’eau au profit des sols adjacents. L’objectif était d’éviter que les eaux ne soient
contaminées par les oeufs de mouches vertes se reproduisant dans la végétation présente sur le
parcours de la rivière (MC, vol. 1, p. 98). L’historique de l’entretien de ces chenaux reste flou, même
13
CODELCO lnt•k•
<-
• '-lnacalirl
Police Station
600 1200
Meteis
M«<,l0<Plojr<t..,.~'G.ISI
1800
Hilo
1/N-OXJII )
- 12 -
si les experts du DHI signalent (CMB, vol. 2, p. 281-282) que ces dernières années, dans certaines
parties de la zone humide sud (Orientales), le canal et les ouvrages de drainage ont été retirés,
remblayés ou bouchés, en vue de restaurer partiellement la zone humide.
Les experts de la Bolivie sont d’accord avec nous sur le fait que la chenalisation en territoire
bolivien n’a pas eu d’influence sur la direction de l’écoulement, qui épouse les pentes topographiques
naturelles (CMB, vol. 2, p. 267). L’écoulement transfrontière dans la gorge telle qu’elle se présente
aujourd’hui dure depuis au moins 8400 ans et est très antérieur aux concessions accordées à la FCAB
et à la construction ultérieure d’un réseau de petits chenaux. Cependant, on peut raisonnablement
s’attendre à ce que la chenalisation ait eu un effet limité sur la production d’écoulements de surface
dans les zones humides boliviennes, ce qui a pu avoir une incidence sur la superficie et la santé de la
végétation hygrophile et sur la transmission en aval des écoulements de surface dans les sections
chenalisées de la rivière. Il convient de noter toutefois que tout effet sur l’écoulement de surface,
hors augmentation ou diminution de l’évaporation, sera compensé par un effet inverse sur les
écoulements souterrains qui suivent la pente descendante jusqu’au Chili. Autrement dit, que ce soit
sous forme d’écoulement de surface ou d’écoulement souterrain, toutes les eaux du Silala coulent
inévitablement de la Bolivie au Chili en suivant la pente. Aucune augmentation de l’écoulement de
surface, qu’elle soit faible (selon nous) ou forte (selon les experts du DHI), ne pourrait entrainer un
accroissement notable du volume d’eau global qui pénètre en territoire chilien.
Le principal effet hydrologique qu’ont les chenaux de drainage est d’abaisser le niveau de la
nappe libre située juste en dessous. L’eau souterraine, au lieu d’émerger à la surface de la zone
humide, s’écoulera dans le drain. Ainsi, à l’emplacement du drain, le niveau de la nappe libre baissera
jusqu’à arriver juste au-dessus de la base des chenaux de drainage (0,6 m), au lieu d’atteindre la
surface du sol. Bien entendu, plus la nappe sera éloignée latéralement du chenal, plus son niveau
augmentera7. La quantité d’eau s’évaporant d’une surface d’eau libre sera généralement plus élevée
que celle émise par la transpiration végétale. Or, dans les zones humides, la nappe libre étant
relativement proche de la surface, même à une profondeur de 0,6 m, les taux d’évapotranspiration
devraient être proches de ceux d’une surface d’eau libre ; toute différence dans l’évaporation sera
donc faible.
D’après nos calculs préliminaires (Wheater et Peach (2017), MC, vol. 1, p. 161-164) et même
en partant des hypothèses les plus prudentes, l’évaporation dans les zones humides représente une
faible fraction du bilan hydrique du Silala8. A l’aide de données de télédétection, nous avons estimé
qu’elle équivalait à 0,7 % (1,3 l/s) de l’écoulement à la frontière, mais, conscients de l’incertitude
entourant cette estimation, nous avons proposé une valeur haute établie à 2 % (3,4 l/s). De toute
évidence, même si l’évaporation avait diminué du fait de la chenalisation (rappelons que nous avons
démontré par la suite que tel n’était pas le cas), des variations mineures sur ce terme secondaire du
bilan hydrique du bassin versant n’auraient pas eu d’effet notable sur les écoulements à la frontière.
De plus, à notre connaissance, jusqu’à une date très récente, les chenaux n’avaient pas été entretenus
depuis 1997 (MC, vol. 1, p. 42), et rien n’atteste une modification du régime d’écoulement à la
frontière. En fait, les données satellites montrent que l’étendue des zones humides est essentiellement
fonction de la forte variabilité saisonnière et interannuelle naturelle (PAC, vol. 1, p. 137-140).
Dans le contre-mémoire de la Bolivie, les experts du DHI ont mis en avant d’autres effets
possibles de la chenalisation. Ils partagent notre avis que des variations dans l’évaporation étaient à
prévoir en raison du drainage des zones humides, mais estiment (CBM, vol. 2, p. 276) que la présence
des chenaux augmente le débit des eaux de surface «en raison de la diminution de la perte de charge
hydraulique provoquée par l’élimination de la tourbe ou de la couverture rocheuse encaissante». Ils
indiquent que, aux points d’émergence des sources, «la terre et les éventuelles couches sous-jacentes
7 Les données pédologiques de la Bolivie montrent que les niveaux piézométriques oscillent entre 0,1 et 0,4 m de
profondeur dans la zone humide nord et entre 0,15 et 0,45 m dans ma zone humide sud (CMB, vol. 3, p. 12-13).
8 Bien que les taux d’évaporation dans les zones humides soient élevés, ils ne se rapportent qu’à des surfaces
relativement petites.
14
- 13 -
de matériaux ou roches plus grossiers ont été intégralement enlevées» (CMB, vol. 2, p. 276). Ces
effets ont été conceptualisés aux fins de la modélisation de deux scénarios : le premier avec retrait
des chenaux (le scénario «sans canal») et le second (le scénario «avec zones humides restaurées»)
simulant une accumulation durable de la tourbe. Les experts de la Bolivie ont également avancé que
la chenalisation influençait les interactions entre les écoulements de surface et les écoulements
souterrains, réduisant les pertes par infiltration au profit de l’eau souterraine sous-jacente.
Nous avons admis (Wheater et Peach (2019a), RC, vol. 1, p.106-109) que l’abaissement du
niveau de la nappe libre due au drainage augmentait le gradient de l’écoulement souterrain alimentant
le cours d’eau, et donc l’apport en eaux souterraines, et qu’une accumulation de la tourbe, dont la
conductivité hydraulique est relativement faible, pouvait à long terme produire une résistance
supplémentaire à l’écoulement souterrain en raison de ce couvert tourbeux, ce qui réduirait
l’écoulement de surface. Nous avons également convenu que les interactions entre les eaux de surface
et les eaux souterraines pouvaient avoir changé. Toutefois, comme nous l’avons indiqué dans notre
rapport Wheater et Peach (2019a), nous estimons que toute modification dans l’écoulement de
surface résultant de ces effets est mineure. Nous reviendrons sur ces points à la section 4.
3. PRINCIPAUX POINTS D’ACCORD
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes sommes d’accord sur plusieurs points essentiels
concernant la nature et le fonctionnement du Silala, notamment sur ce qui suit :
i) Le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili. Il émerge de deux ensembles de
sources boliviennes, qui alimentent les zones humides Cajones et Orientales (CMB, vol. 2,
p. 266 ; MC, vol. 1, p. 177).
ii) La rivière est essentiellement alimentée par des apports souterrains et interagit avec les eaux
souterraines présentes le long de son parcours jusqu’à la frontière et au-delà (CMB, vol. 2,
p. 368-369 ; MC, vol. 1, p. 177).
iii) En outre, d’importants flux souterrains, dont l’ampleur est probablement équivalente à celle
des flux de surface, s’écoulent de la Bolivie au Chili (CMB, vol. 2, p. 266 ; RC, vol. 1,
p. 104).
iv) En résumé, le Silala est un système couplé d’eaux souterraines et d’eaux de surface qui
s’étend au-delà de la frontière (CMB, vol. 2, p. 266 ; MC, vol. 1, p. 177) ; il semble donc
admis qu’il s’agit d’un cours d’eau international.
v) La construction des chenaux dans les années 1920 en territoire bolivien n’a pas eu
d’influence sur la direction de l’écoulement, qui suit les pentes topographiques naturelles
(CMB, vol. 2, p. 267 ; MC, vol. 1, p. 178).
vi) Cette chenalisation a sans doute eu un certain effet sur l’écoulement de surface du Silala.
On peut s’attendre à ce qu’elle en ait augmenté le débit (CMB, vol. 2, p. 266 ; MC, vol. 1,
p. 178). (Comme nous le verrons plus en détail à la section 4, cet effet est à notre avis très
limité).
vii) Les chenaux de drainage ont pu avoir une certaine incidence sur l’évaporation dans les zones
humides, mais cette incidence serait de faible ampleur (CMB, vol. 2, p. 303 ; MC, vol. 1,
p. 178). (Comme nous le verrons plus en détail à la section 4, elle est à notre avis très faible.)
viii) Hormis les effets de la chenalisation sur l’évaporation, toute augmentation de l’écoulement
de surface de la rivière s’accompagnera d’une diminution des écoulements souterrains
traversant la frontière, et inversement (DB, vol. 5, p. 30 ; RC, vol. 1, p. 108).
15
- 14 -
4. PRINCIPAUX POINTS DE DÉSACCORD
4.1. Introduction
Il existe un point majeur sur lequel les experts du DHI et nous-mêmes sommes en désaccord,
et qui est au coeur de la thèse défendue par la Bolivie devant la Cour : l’ampleur des incidences de la
chenalisation sur les écoulements de surface.
Nous avons indiqué (Wheater et Peach (2017), MC, vol. 1, p. 134) que la chenalisation en
Bolivie pouvait avoir eu pour effet de réduire l’évaporation, et donc d’augmenter les écoulements de
surface traversant la frontière, mais nous avons calculé que cet effet serait très limité. Les experts du
DHI ont convenu qu’il n’était que probable, et faible9.
Nous sommes d’accord (Wheater et Peach (2019a), RC, vol. 1, p. 106-109) sur le fait que le
drainage augmente le gradient de l’écoulement souterrain alimentant le cours d’eau, et donc l’apport
en eaux souterraines, et qu’une accumulation de la tourbe, dont la conductivité hydraulique est
relativement faible, peut à long terme produire une résistance supplémentaire à l’écoulement
souterrain, ce qui réduirait l’écoulement de surface. Nous avons également convenu que les
interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines pouvaient avoir changé. Toutefois,
comme nous l’avons indiqué dans Wheater et Peach (2019a), nous estimons que toute modification
dans l’écoulement de surface résultant de ces effets est mineure.
Les experts du DHI sont parvenus à la conclusion surprenante que la chenalisation avait eu
globalement des effets importants sur l’écoulement de surface. Ils ont indiqué, dans le
contre-mémoire de la Bolivie (CMB, vol. 2, p. 266-267) que, «[e]n l’absence de canaux, … [l]a
réduction de l’écoulement de surface par rapport aux conditions actuelles serait de 30 à 40 %»10.
Après que nous avons critiqué leur modélisation dans notre rapport Wheater et Peach (2019a), les
experts du DHI ont revu leurs estimations dans la duplique de la Bolivie, mais ont continué de parler
d’effets très importants : «la simulation a abouti à une réduction de 11 à 33 % du débit des eaux de
surface transfrontière en cas de suppression des canaux» (DB, vol. 5, p. 56)11. Nous avons
constamment dit que ces estimations étaient tout à fait improbables et que, compte tenu de la
réduction relativement faible des niveaux des nappes due à la chenalisation des zones humides et de
la rivière principale, tout effet serait très limité.
Plus important, les experts du DHI et nous-mêmes sommes d’accord sur le fait que toute
augmentation de l’écoulement de surface par suite de la chenalisation s’accompagnerait d’une
diminution de l’écoulement souterrain de la Bolivie au Chili, et inversement (RC, vol. 1, p. 107-108).
Dans ses pièces ultérieures, la Bolivie a convenu que «sans canal, il y a moins d’eau qui pénètre dans
le système hydrique de surface et plus dans le système souterrain» (DB, vol. 5, p. 30). La recharge
du système d’eaux souterraines se fait dans l’ensemble du bassin versant plus vaste représenté à la
figure 3 et n’est pas influencée par des variations dans les écoulements de surface ou souterrains en
aval. Etant donné que les eaux souterraines s’écoulent de la Bolivie au Chili, toute différence dans
les écoulements combinés d’eaux de surface et d’eaux souterraines qui vont d’un pays à l’autre sera
9 Notre estimation initiale, dans le meilleur des cas, était une augmentation d’un maximum de 1,3 l/s de
l’écoulement de surface (MC, vol. 1, p. 161), avec une estimation haute de 3,4 l/s (MC, vol. 1, p. 164). Les experts du DHI
ont estimé que cet effet équivalait à 2 à 3 l/s de l’écoulement (CMB, vol. 2, p. 303).
10 30 % correspond à l’effet selon le scénario sans canaux, et 40 % à celui selon le scénario sans canaux avec une
croissance présumée de la tourbe.
11 33 % et 11 % sont les estimations hautes et basses des experts du DHI pour le scénario sans canaux uniquement,
avec absence de croissance présumée de la tourbe.
16
- 15 -
principalement due à la différence dans les pertes par évaporation dans les zones humides12, dont les
deux Parties ont reconnu qu’elle est faible, comme nous l’avons vu plus haut.
Les estimations de la Bolivie reposent sur des simulations exécutées par les experts du DHI à
l’aide d’une série de modèles largement utilisés et réputés. Nous nous sommes donc demandé
comment ces modèles avaient pu aboutir à des résultats aussi peu réalistes. Dans notre rapport
Wheater et Peach (2019a), sur la base des informations limitées fournies dans le contre-mémoire de
la Bolivie, nous avons signalé des erreurs dans la modélisation, dont certaines étaient liées à des
questions techniques, en particulier la taille réduite de l’échelle utilisée dans les simulations et les
conditions aux limites du modèle, et d’autres à la géologie sous-jacente sur laquelle le modèle
s’appuie. Par la suite, ayant reçu les données numériques utilisées par les experts du DHI pour
exécuter leurs modèles, nous avons relevé de multiples erreurs et hypothèses inexpliquées.
Dans les sections qui suivent, nous commencerons par présenter les modèles des experts du
DHI, puis nous expliquerons pourquoi les simulations sont incorrectes. Nous résumerons les très
graves erreurs découvertes dans la modélisation, notamment celles liées à la géologie, et nous
répondrons au sujet des constats erronés que fait la Bolivie en ce qui concerne le recul et la
dégradation des zones humides. Nous commenterons également brièvement la thèse infondée de la
Bolivie relative à l’utilisation d’explosifs pour accroître le débit des sources boliviennes.
4.2. Bilan hydrique et modèles en champ proche du DHI
Les experts de la Bolivie ont établi une série de modèles pour simuler le système
hydrographique du Silala (PAC, vol. 1, p. 89-91) (figure 5). Un modèle de bilan hydrique, basé sur
le logiciel de modélisation hydrologique MIKE-SHE, a été utilisé pour simuler le bilan hydrique du
bassin versant topographique et d’un bassin versant souterrain plus vaste, dont la superficie a été
évaluée à 234,2 km2. Cependant, les résultats de la modélisation qui ont servi à estimer les effets de
la chenalisation et de la croissance de la tourbe étaient fondés sur la simulation d’une très petite zone
(2,56 km2) située autour de la rivière et des sources des zones humides en Bolivie, appelée par le
DHI le «champ proche». Ce modèle en champ proche a été exécuté au moyen d’une combinaison de
deux modèles : i) le modèle hydrologique MIKE-SHE a été utilisé seul pour les deux scénarios sans
canaux («sans canal» et «zones humides restaurées», comme il a été vu plus haut), et ii) le modèle
hydrologique MIKE-SHE a été couplé au modèle hydraulique MIKE-11 pour le scénario simulant la
chenalisation (le scénario de «référence»), qui représentait en détail l’écoulement dans les chenaux
de la rivière (CMB, vol. 5, p. 11).
12 Il pourrait y avoir d’autres changements dans l’évaporation en raison de la chenalisation du canal principal de la
rivière ainsi que dans les interactions connexes entre les eaux de surface et les eaux souterraines, mais ceux-ci seraient
mineurs.
17
- 16 -
Figure 5
Domaines couverts par les trois modèles distincts du DHI
(Muñoz et al., 2019 ; Wheater et Peach (2019a),
figure 2, PAC, vol. 1, p. 91).
Légende :
Water Balance Model (WBM) = Modèle de bilan hydrique (MBH)
Near Border Model = Modèle de la zone frontalière
Near Field Model = Modèle en champ proche
Inacaliri Police Station = Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake = Prise d’eau de la CODELCO
Area enlarged = Emplacement de la zone agrandie
Il importe de relever que les résultats du modèle de bilan hydrique (CMB, vol. 3, annexe E),
qui calcule la recharge à partir des variables des apports naturels issus de précipitations moins
l’évaporation, n’ont pas été utilisés dans le modèle en champ proche (CMB, vol. 5, annexes G et H).
Les experts du DHI ont plutôt formulé des hypothèses au sujet des niveaux piézométriques ou des
écoulements aux limites du modèle en champ proche (appelées les conditions limites du modèle),
comme nous le verrons ci-après. Nous faisons observer que la recharge calculée à l’aide du flux
entrant dans le modèle en champ proche diverge des résultats obtenus par le modèle de bilan hydrique
et que les divers scénarios modélisés en champ proche présentent des valeurs différentes pour la
recharge (voir infra, section 4.3.1), ce qui n’est évidemment pas possible. En réalité, l’ensemble de
la recharge des aquifères ignimbritiques dans le bassin versant souterrain plus vaste s’écoule dans la
zone en champ proche13. Les précipitations et le bassin versant souterrain sont pour l’essentiel
identiques dans chaque scénario, et toute modification dans l’évaporation est faible, comme l’ont
reconnu les experts du DHI.
13 En raison de l’interprétation incorrecte que fait le DHI de la géologie (voir RC, vol. 1, p. 179-201, en particulier
figures 3-6 et 3-7), les écoulements souterrains contournent le champ proche, ce qui donne au DHI une justification erronée
pour les variations dans les apports entrants (DB, vol. 5, p. 28-30).
18
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- 17 -
4.3. Principaux points de désaccord
4.3.1. Conditions limites du modèle en champ proche
Le fait d’avoir choisi de modéliser une si petite partie du bassin versant du système
hydrologique en tant que champ proche signifie que les écoulements modélisés seront principalement
déterminés par les conditions limites postulées pour le modèle : or, celles utilisées par le DHI sont
inappropriées. En particulier, les conditions des nappes libres à la limite amont du modèle sont fixes,
alors qu’en réalité, elles ne le sont absolument pas. Les variations dues au retrait des chenaux et à la
croissance hypothétique du couvert tourbeux à long terme, qui, selon le DHI, auraient eu des effets
importants sur l’émission d’eaux souterraines dans le cours d’eau, influent également sur les
conditions à la limite du modèle, compte tenu de la proximité de la rivière.
Une des conséquences évidentes des conditions limites inappropriées est que les apports
entrant dans le modèle changent considérablement selon les différents scénarios étudiés par le DHI ;
or, si les apports au modèle changent, il en va évidemment de même pour les flux sortants. L’apport
au modèle en champ proche était de 253 l/s pour le scénario de référence (avec chenalisation), mais
de 216 l/s pour le scénario avec zones humides restaurées qui simule le retrait des chenaux et une
croissance présumée de la tourbe (CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1). Une différence dans les
écoulements d’eaux de surface et d’eaux souterraines combinés de 49 l/s a été observée dans les
divers scénarios, dont 37 l/s sont dus uniquement aux changements inadéquats des apports aux
limites. Comme il a été dit plus haut, en réalité, la recharge du bassin versant souterrain restera pour
l’essentiel identique dans les trois scénarios et elle ne pourra que s’écouler jusqu’au Chili, que ce soit
sous forme d’eaux de surface ou d’eaux souterraines.
Dans notre rapport Wheater et Peach (2019a) (RC, vol. 1, p. 114-125), nous avons démontré,
à l’aide de calculs simples, que l’hypothèse erronée aux limites amplifiait les effets de la remontée
de nappe et de la présence de tourbe et qu’elle semblait expliquer les estimations outrancières du
DHI. Selon nous, sachant que les très grandes différences dans le niveau des nappes déterminent
l’écoulement souterrain (150 mètres, d’après la modélisation du DHI (CMB, vol. 3, p. 488,
figure 11)), une baisse de moins de 0,6 mètre du niveau des nappes libres et une croissance durable
du couvert tourbeux (allant jusqu’à 0,6 mètre selon le DHI (CMB, vol. 5, p. 70)) auront des effets
mineurs, représentant quelques centièmes tout au plus de l’écoulement de surface transfrontière.
Nous avons estimé que ces effets combinés induisaient une variation de l’ordre de 1,2 % de
l’écoulement (RC, vol. 1, p. 124). Bien que cette analyse se fonde sur une forte simplification de la
réalité (un segment de versant en deux dimensions), elle renseigne toutefois sur l’ampleur éventuelle
des effets.
Il importe en outre de noter, comme indiqué plus haut, que toute augmentation de l’écoulement
de surface s’accompagnera d’une diminution correspondante de l’écoulement souterrain, le premier
s’écoulant le long de la pente topographique, et le second suivant le gradient hydraulique souterrain
jusqu’au Chili.
Dans leur rapport (DHI, 2019) joint à la duplique de la Bolivie (15 mai 2019), les experts du
DHI ont accepté notre critique au sujet des conditions limites du modèle utilisées pour simuler les
effets de la chenalisation et ont reconnu que leurs calculs avaient conduit à une surestimation des
effets (DB, vol. 5, p. 55).
Les experts du DHI ont présenté des résultats révisés et décrit ceux produits antérieurement
comme étant une limite haute. Une autre approche a été retenue à la condition limite en champ proche
pour définir une limite basse, et une nouvelle fourchette de résultats a été donc obtenue pour
quantifier les effets de la chenalisation. Le DHI indiqué ainsi que,
«si les chenaux et les systèmes de drainage étaient retirés, l’écoulement des eaux de
surface du Silala qui franchit la frontière diminuerait de 11 à 33 % par rapport aux
19
20
- 18 -
conditions actuelles. [L]’évapotranspiration dans les zones humides sans les canaux
augmenterait de 28 à 34 % par rapport aux valeurs de référence, soit entre 2,8 et 3,4 l/s,
alors que l’écoulement souterrain du Silala qui traverse la frontière … augmenterait de
4 à 10 % par rapport aux conditions actuelles» (DB, vol. 1, p. 35).
Cependant, nous sommes d’avis que la limite basse (une diminution de 11 % de l’écoulement de
surface) constitue encore une surestimation invraisemblable des effets de la chenalisation. Nous
réaffirmons que la recharge dans le bassin versant souterrain est restée la même et que les pertes au
profit des écoulements transfrontières sont uniquement la conséquence de l’évaporation accrue ; les
nouveaux résultats du DHI ne tiennent donc pas. Par conséquent, il semblerait que la modélisation
du DHI renferme d’autres erreurs.
Nous avons signalé un autre point inquiétant concernant les conditions limites dans notre
rapport Wheater et Peach (2019a) (RC, vol. 1, p. 125). Les observations de terrain consignées par le
DHI (CMB, vol. 5, p. 49, figure 35) sont incompatibles avec les conditions limites latérales postulées
dans le modèle en champ proche. Cela rejoint d’autres préoccupations quant à l’exactitude de la
géologie utilisée par les experts du DHI pour définir leur modèle en champ proche, que nous verrons
ci-après à la section 4.3.3.
4.3.2. Incohérences, inexactitudes et instabilités du modèle
Dans notre rapport Wheater et Peach (2019a), nous avons signalé diverses incohérences dans
les résultats présentés par le DHI dans le contre-mémoire (RC, vol. 1, p. 126-127). Cependant, les
données numériques fournies par la Bolivie en février 2019 (après une demande répétée) nous ont
permis de procéder à une évaluation plus approfondie de la modélisation du DHI. L’analyse des
configurations, des paramètres, des données d’entrée et des résultats de simulation des modèles a
révélé que de nombreux aspects de la modélisation mettaient sérieusement en doute la fiabilité des
résultats, en particulier en ce qui concerne la modélisation de la zone de 2,56 km2 du champ proche
sur laquelle la Bolivie fonde ses estimations des effets de la chenalisation.
L’examen des données numériques par des hydrologues chiliens (Muñoz et al., 2019) a permis
de mettre au jour de nombreuses différences non signalées entre les modèles utilisés par le DHI pour
comparer les scénarios et entre les conditions limites des modèles MIKE-SHE et les conditions
initiales. Outre que ces différences n’ont pas été signalées, la méthodologie utilisée n’a pas été
expliquée et des hypothèses incorrectes ont été émises. Nous en mentionnons quelques-unes
ci-après ; pour une explication plus complète, voir Muñoz et al. (2019) et Wheater et Peach (2019b)
(PAC, vol. 1, p. 100-118).
i) Plus important encore est sans doute le fait que, comme nous l’avons découvert, des
topographies distinctes avaient été utilisées dans les différents scénarios, y compris pour un
même scénario — celui de référence — employé pour modéliser les processus liés au bassin
versant (le modèle MIKE SHE) et l’écoulement en chenal (le modèle MIKE 11). Ces
différences topographiques, qui vont jusqu’à 7 m, sont nettement supérieures aux légères
variations dans la profondeur des chenaux et dans la croissance de la tourbe que les modèles
étaient censés évaluer, et sont, en soi, de nature à générer de considérables écarts entre les
scénarios (PAC, vol. 1, p. 103-104, figures 5 et 6). Il s’ensuit que les différences
topographiques utilisées n’étaient visiblement pas justifiées.
ii) Nous avons également découvert des ajouts en eau inexpliqués. Dans la modélisation
physique du champ proche, les apports souterrains devraient refléter le fait que les sources
sont alimentées par des flux entrants souterrains aux limites du modèle. Or, il ressort
clairement des fichiers du DHI que, en plus des apports souterrains à la limite, une quantité
d’eau additionnelle a été introduite dans le modèle en tant que source extérieure, sans aucune
explication ou justification. Ainsi, 42 l/s ont été introduits dans le scénario de référence
21
- 19 -
(simulant la situation avec chenalisation) comme prétendue «alimentation des sources»,
alors que seuls 31 l/s ont été introduits dans les deux scénarios sans canaux. Une différence
de 11 l/s a donc manifestement été introduite dans les comparaisons entre les scénarios, cette
valeur représentant plus de la moitié des variations simulées des écoulements de surface
résultant de la chenalisation que signale le DHI (PAC, vol. 1, p. 110-111). Cette quantité
d’eau introduite sans raison revient à inventer un volume d’eau, sans aucune justification
physique. En introduisant ce volume inventé, les experts du DHI ont artificiellement
intensifié l’effet simulé de la chenalisation.
iii) De très grandes différences ont également été découvertes dans les conditions initiales
postulées, c’est-à-dire dans les niveaux piézométriques initiaux, pour les divers scénarios.
Ces différences oscillaient entre -18 m et +16,5 m (PAC, vol. 1, p. 110, figure 9). Le modèle
en champ proche est un modèle dynamique (variable dans le temps) et, s’il a été exécuté de
façon à se rapprocher d’un modèle en régime permanent, il montre toutefois des instabilités
transitoires de sorte que des différences aussi importantes dans les conditions initiales
devraient influencer les résultats de la simulation.
iv) Les résultats présentés à la Cour sont exagérés en raison des instabilités dans les sorties du
modèle du DHI. Ces instabilités, illustrées dans notre rapport Wheater et Peach (2019b)
(PAC, vol. 1, p. 115, figure 12), étaient majoritairement liées au modèle MIKE-11 et en
partie dues à des erreurs de calcul dans la modélisation du DHI et à des incohérences dans
la représentation topographique des chenaux.
v) En outre, le DHI a utilisé des valeurs très hautes pour la rugosité des chenaux dans la
modélisation hydraulique, ce qui a entraîné des vitesses d’écoulement inférieures aux
valeurs attendues et une augmentation des profondeurs des lames d’eau, expliquant sans
doute pourquoi le modèle a incorrectement simulé par endroits des écoulements d’eau à
l’extérieur du chenal principal (PAC, vol. 1, p. 111).
Alors que les erreurs et inexactitudes signalées pour la modélisation du champ proche étaient
peu ou prou de même ampleur que les effets simulés, ce qui, en soi, fait déjà peser un doute sur la
validité des conclusions tirées de la modélisation, nous concluons que les effets importants
qu’invoque la Bolivie correspondent, pour l’essentiel, aux biais causés par les différences non
signalées que l’on observe entre les scénarios modélisés. Nous constatons que les erreurs de calcul
les plus importantes étaient liées au modèle hydraulique MIKE-11 et que des topographies différentes
ont été utilisées pour modéliser les mêmes scénarios avec MIKE-SHE et MIKE-11. Le fait que
MIKE-11 a été utilisé pour le scénario de référence (avec chenalisation), mais non pour les scénarios
«sans canal» et «avec zones humides restaurées» ajoute une autre incohérence majeure dans les
comparaisons entre les scénarios. Nous avons en effet remarqué ultérieurement que, lorsque les
modèles du DHI sont exécutés avec des données topographiques plus réalistes, que les erreurs de
calcul dans le modèle MIKE-11 sont corrigées et que les deux modèles sont utilisés uniformément
pour tous les scénarios, les résultats concordent alors avec nos estimations.
4.3.3. Erreurs relatives à l’interprétation de la géologie et de l’hydrogéologie
Un grand nombre d’erreurs et d’incohérences, découvertes dans la cartographie géologique et
l’analyse de la géologie structurale de la Bolivie (SERNAGEOMIN 2019a ; SERNAGEOMIN,
2019b), ont été intégrées par les experts du DHI dans leur propre représentation conceptuelle de
l’hydrogéologie et donc dans le modèle en champ proche. Par conséquent, l’interprétation que
propose le DHI de l’hydrogéologie et son application dans le modèle en champ proche comprennent
elles aussi de nombreuses erreurs, ainsi qu’il a été exposé en détail dans notre rapport Wheater et
Peach (2019b) (PAC, vol. 1, p. 119-137), dont les plus importantes sont répertoriées ci-dessous :
22
- 20 -
i) L’attribution d’une date radiométrique erronée, utilisée pour déterminer la fourchette d’âges
des ignimbrites Silala (dénomination bolivienne), a donné lieu à une interprétation
incorrecte de la stratigraphie (couches de roche), ce qui a des incidences importantes sur la
géométrie de l’aquifère et la distribution des valeurs de perméabilité dans le modèle en
champ proche, l’aquifère ignimbritique ayant une superficie bien plus restreinte que celle
proposée par la Bolivie (PAC, vol. 1, p. 122-128).
ii) La Bolivie a ignoré l’existence des ignimbrites Silala et Cabana dans sa caractérisation de
la stratigraphie ignimbritique. L’ignimbrite Silala présente un fort degré de soudage et
affleure en discordance sur les ignimbrites bien plus âgées dans la zone humide Orientales.
L’ignimbrite Cabana est hautement perméable. Elles ont toutes deux une extension latérale
limitée et sont contraintes par deux collines composées de volcanites à faible perméabilité
du Miocène, ce qui restreint l’écoulement des eaux souterraines dans cette région. Cela
influe sur la paramétrisation du modèle en champ proche et sur la géométrie de l’aquifère
intégrée à ce dernier (PAC, vol. 1, p. 122-128). Par exemple, du fait de l’interprétation
incorrecte de la géologie faite par le DHI, les eaux souterraines contournent le champ
proche, alors que, dans la réalité, elles doivent intégralement s’écouler à travers cette zone.
iii) La faille de Silala, présentée par le DHI comme offrant un chemin d’écoulement souterrain
à forte perméabilité, n’existe pas et n’a pu être corrélée aux épisodes tectoniques qui se sont
produits des millions d’années avant la mise en place des ignimbrites ou des volcanites du
Miocène ; elle ne peut donc être utilisée pour définir et circonscrire les zones à forte
perméabilité qui traversent les zones humides Cajones et Orientales et la gorge du Silala
avec une sinuosité totalement impossible (PAC, vol. 1, p. 128-130 ; PAC, vol. 2,
p. 214-221).
iv) L’analyse structurale de la Bolivie est biaisée, ce qui a donné lieu à des interprétations
erronées de la géologie structurale, puis à une hypothèse incorrecte concernant la présence
et l’emplacement de fractures ouvertes capables de conduire les eaux souterraines ; il est
donc probable que les propriétés des aquifères aient été attribuées de manière incorrecte
dans la modélisation conceptuelle et numérique. (PAC, vol. 2, p. 212-235).
v) Le DHI a fait abstraction des éléments de preuve chiliens qui démontrent la présence d’un
système aquifère peu profond, mis en évidence par des preuves géophysiques et
hydrochimiques. Même s’il a admis la présence de deux origines distinctes pour les eaux
souterraines alimentant les sources des zones humides boliviennes, le DHI n’en a pas tenu
compte dans la construction du modèle en champ proche, ce qui a donné lieu à une
interprétation incorrecte de la distribution des niveaux des nappes et des chemins
d’écoulement des eaux souterraines (PAC, vol. 1, p. 132-133 ; Peach et Wheater (2019) ;
Arcadis, 2017 ; SERNAGEOMIN, 2019a ; Herrera et Aravena, 2017 ; Herrera et Aravena,
2019).
vi) Le modèle conceptuel du DHI de l’écoulement souterrain et les courbes potentiométriques
utilisées pour le modèle en champ proche (CMB, vol. 4, p. 97) sont incompatibles entre eux
et traduisent différentes interprétations du régime d’écoulement des eaux souterraines
(Wheater and Peach (2019b), PAC, vol. 1, p. 108, figure 8).
Tous les problèmes répertoriés ci-dessus influent sur la représentation des interactions entre
les eaux souterraines et les eaux de surface dans le modèle en champ proche, ce qui a une incidence
sur l’estimation des effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrain.
Cette liste est troublante et amène à conclure à l’inexactitude de la modélisation qui a été
utilisée pour étayer et justifier les estimations du DHI des effets de la chenalisation sur les
écoulements de surface et souterrains qui émanent des zones humides boliviennes dans le cours
supérieur du Silala. En résumé, les modèles en champ proche mis au point par les experts du DHI
23
- 21 -
mandatés par la Bolivie se fondent sur une compréhension incorrecte de la géologie et de
l’hydrogéologie du bassin versant en surface du Silala ainsi que de son bassin versant souterrain.
4.3.4. Dégradation des zones humides
Des experts mandatés par la Bolivie se sont penchés, notamment dans deux rapports de
FUNDECO (DB, vol. 3, annexes 23.3 et 23.4), sur l’incidence de la chenalisation historique sur les
changements observés dans les zones humides. Ces études de la Bolivie ont mis au jour certains
changements survenus dans les zones humides, mais elles sont biaisées à bien des égards, comme
nous l’avons vu dans notre rapport Wheater et Peach (2019b) (PAC, vol. 1, p. 137-140), et comme
le DHI lui-même (DHI, 2018b) l’a indiqué dans la duplique de la Bolivie (DB, vol. 2, p. 65-122).
La Bolivie répète une très grave erreur au sujet de la superficie actuelle des zones humides
(0,6 ha), dont le DHI affirme qu’elle est erronée14. Elle soutient en outre que le recul important des
zones humides est uniquement du à la chenalisation historique15. Cette affirmation s’appuie sur le
rapport FUNDECO (2018), dans lequel il est dit que, d’après des éléments de preuve géochimiques,
la dessiccation de la zone humide «a commencé vers 1908, témoignant clairement des effets que la
canalisation a eus sur les sources du Silala» (DB, vol. 3, p. 142), et que l’analyse des pollens a montré
que, «[à] partir de 1908, un processus graduel de dessiccation s’est produit» (DB, vol. 3, p. 142).
Ainsi, selon les preuves invoquées par la Bolivie, ce processus de dessiccation date d’une vingtaine
d’années avant la construction de la chenalisation (installée en 1928) et «a atteint son maximum vers
1950» (DB, vol. 3, p. 142), date qui, à notre connaissance, ne coïncide avec aucune modification des
chenaux. Des éléments de preuve dans d’autres domaines, notamment une analyse pédologique, font
apparaître des changements majeurs remontant à entre 680 à 862 ans, et d’autres survenus entre 1960
et 1980 (DB, vol. 3, p. 155). Etant donné que les dates des changements observés n’ont aucun rapport
avec la date de la chenalisation, il faut conclure que d’autres facteurs jouant un rôle important sont à
l’oeuvre. Nous convenons avec les experts du DHI mandatés par la Bolivie que les changements
climatiques pourraient avoir causé certaines des modifications observées (DB, Vol. 2, p. 99).
Dans Wheater et Peach (2019a) (RC, vol. 1, p. 127-138), nous avons expliqué qu’il avait été
procédé à l’observation détaillée d’une zone humide chilienne exempte de perturbations dans le
bassin hydrographique du Silala, couplée à des données de télédétection à haute résolution des zones
humides boliviennes, afin de déterminer s’il y avait des preuves de la dégradation de ces dernières.
La Bolivie affirme que «les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala ont
considérablement perturbé et dégradé les bofedales et entraîné le recul et la détérioration des zones
humides» (CMB, vol. 1, p. 102). Nos résultats ont montré que les zones humides boliviennes et
chiliennes occupent encore à ce jour la totalité du fond de vallée et s’étendent de façon saisonnière
jusqu’au pied des collines adjacentes (RC, vol. 1, p. 132-136). Il s’ensuit que la chenalisation en
Bolivie n’a pas eu d’incidence sur la superficie active de la zone humide dans le fond de vallée, où
se trouvent les chenaux de drainage.
Le fonctionnement hydrométéorologique de la végétation hygrophile est, d’après les données
de télédétection, similaire dans les trois zones humides, et les estimations connexes de l’évaporation
réelle semblent indiquer que les taux d’évaporation les plus élevés sont observés dans les zones
humides boliviennes Cajones et Orientales, où ils sont supérieurs de 10 % à ceux relevés dans la zone
non perturbée de Quebrada Negra (RC, vol. 1, p. 137). Cela montre que, pour ce qui est de
l’évaporation, les zones humides boliviennes fonctionnent au moins aussi bien que la zone humide
chilienne exempte de perturbations. Ainsi, il ressort des données satellites qu’il n’y a pas eu de
réduction importante de l’évaporation en lien avec la chenalisation des zones humides boliviennes,
14 «Il semble que les zones décrites dans le rapport Ramsar ne reflètent pas la zone humide dans son intégralité»
(DB, vol. 5, p. 41).
15 «Les données scientifiques montrent que les ouvrages hydrauliques ont causé la fragmentation des bofedales»
(DB, vol. 1, p. 50).
24
25
- 22 -
et que les légères diminutions des niveaux piézométriques associées au drainage de ces zones n’ont
pas empêché l’évaporation de la végétation hygrophile.
Cette conclusion majeure, à savoir que la chenalisation n’a pas eu d’effet décelable sur
l’évaporation dans les zones humides, a des implications considérables. Ainsi qu’il a été vu plus haut,
le DHI et nous-mêmes considérons que les variations dans les pertes par évaporation dans les zones
humides sont la première cause des changements potentiels dans l’écoulement transfrontière total
qui va de la Bolivie au Chili, étant donné que tant les eaux de surface que les eaux souterraines
s’écoulent d’un pays à l’autre (DB, vol. 5, p. 30 ; RC, vol. 1, p. 108).
Nous faisons observer au passage que l’erreur de la Bolivie au sujet des zones humides se
retrouve dans la critique que fait celle-ci de notre analyse des données de télédétection à haute
résolution relatives à l’étendue des zones humides (DB, vol. 1, p. 46). Notre analyse a montré une
forte variabilité saisonnière dans la superficie active de la végétation hygrophile, ce qui d’après la
Bolivie «fait ressortir des calculs erronés que la raison ne peut accepter». La Bolivie néglige donc
les éléments de preuve présentés par ses propres experts, Torrez Soria et al. (2017) (CMB, vol. 3,
p. 73) et Castel (2017), qui confirment également une forte expansion et contraction des zones de
végétation hygrophile active au fil des saisons.
4.3.5. Dans les sources Cajones et Orientales, l’écoulement des sources à apports souterrains
aurait-il pu être considérablement amélioré par le recours à des explosifs ?
Il a été laissé entendre (CMB, vol. 1, p. 47) que des explosifs avaient été utilisés pour améliorer
l’écoulement des sources à apports souterrains des zones humides Cajones et Orientales. Or, comme
nous l’avons vu dans notre rapport Peach et Wheater (2019), les éléments de preuve présentés à
l’appui de cette hypothèse sont peu convaincants et l’exemple auquel se réfère la Bolivie au sujet de
l’accroissement des rendements des forages profonds dans des roches à très faible perméabilité au
moyen de procédés par explosifs n’est pas applicable. Dans le contre-mémoire, la Bolivie cite en
effet Driscoll (1978) (CMB, vol. 1, p. 47) pour démontrer que l’abattage à l’explosif peut accroître
les flux d’eau par un facteur de 6 à 20. Toutefois, l’article cité n’a aucun rapport avec la situation qui
nous occupe en Bolivie. Premièrement, il porte sur l’amplification des apports d’eau dans des forages
profonds (plus de 100 mètres de profondeur), et non sur des sources. Deuxièmement, les forages
avaient été réalisés dans des granites, quartzites et ardoises présentant un faible degré de fracturation.
Ces roches sont métamorphes et subissent de considérables modifications sous l’effet de pressions
et températures élevées ; elles sont donc en général très peu perméables, contrairement aux roches
perméables alimentant les sources boliviennes. Troisièmement, les forages profonds ont été obturés
par du sable pour diriger le tir horizontalement, ce qui ne peut manifestement pas s’appliquer au cas
de la Bolivie. Les rendements des sources boliviennes n’auraient pas pu être considérablement
augmentés au moyen les procédés par explosifs décrits (RC, vol. 1, p. 217-218).
4.4. Résumé
En résumé, les raisons fondamentales pour lesquelles les experts du DHI mandatés par la
Bolivie et nous-mêmes sommes en désaccord sur les effets de la chenalisation historique tiennent à
la compréhension erronée qu’a le DHI de la géologie ainsi qu’à l’utilisation inappropriée qu’il fait
d’un logiciel de modélisation éprouvé. Le DHI a lui-même reconnu que nos inquiétudes initiales
concernant les erreurs dans les conditions limites de sa modélisation étaient justifiées, mais après
qu’il a mis à notre disposition ses données numériques, d’autres erreurs très graves et des hypothèses
inexpliquées nous sont apparues. Selon nous, les effets de la chenalisation tiennent principalement
aux changements subis par l’évaporation dans les zones humides. Or, le DHI et nous-mêmes sommes
d’accord sur le fait que ceux-ci correspondent, dans le meilleur des cas, à une très petite (< 2 %)
augmentation de l’écoulement de surface de la rivière. Notre analyse par télédétection ne montre
26
- 23 -
aucune différence importante dans l’évaporation si l’on compare une zone humide intacte au Chili
avec la zone humide chenalisée en Bolivie.
Le DHI mentionne également d’autres effets de la chenalisation, qui découleraient d’une
accentuation du gradient hydraulique de l’écoulement souterrain et d’une résistance hydraulique
accrue à cet écoulement en raison d’une possible accumulation de la tourbe. Si nous convenons que
ces effets sont possibles, notre propre analyse a toutefois montré qu’ils étaient très limités (conclusion
confirmée par la suite lorsque nous avons exécuté les modèles du DHI en corrigeant partiellement
les erreurs).
Nous avons signalé dans notre analyse actualisée (Wheater et Peach (2019b), PAC, vol. 1,
p. 142) que le DHI faisait référence à une estimation historique de l’écoulement, effectuée en 1922
avant la chenalisation, pour étayer ses simulations et conclusions. Or, selon nous, on ne saurait porter
crédit à une estimation unique, réalisée en un lieu incertain et dans un environnement difficile où les
mesures contemporaines se sont révélées largement erronées. Le DHI (DB, vol. 5, p. 56) indique que
cette mesure unique de l’écoulement était inférieure de 18 % au débit actuel (à l’emplacement
supposé), mais il a aussi dit ailleurs (CMB, vol. 2, p. 392) que même dans des conditions de mesure
quasi idéales, faites dans un canal construit spécialement à cet effet, il fallait s’attendre à des erreurs
de l’ordre de 25 à 30 % dans les mesures du débit du Silala.
Le recul et la dégradation de la zone humide que dénonce la Bolivie ne sont pas confirmés par
nos données de télédétection ni par les données collectées sur le terrain, et ces phénomènes sont mis
en doute par les propres experts de la Bolivie. De même, le DHI et nous-mêmes avons démontré que
la Bolivie avait affirmé à tort que le rôle de la chenalisation dans la dégradation de la zone humide
était attesté. Quant à sa thèse sur le recours à des explosifs, elle n’est pas plausible ni étayée par un
quelconque élément de preuve fiable.
5. CONCLUSIONS
Il est encourageant de constater que les experts de la Bolivie et nous-mêmes sommes
globalement d’accord sur le fonctionnement hydrologique du bassin hydrographique du Silala. Ce
dernier s’écoule de la Bolivie au Chili et forme un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines
qui constituent un ensemble unitaire et franchissent la frontière internationale en surface comme en
sous-sol. Il s’agit donc incontestablement d’un cours d’eau international.
De fortes divergences demeurent au sujet de l’interprétation de l’hydrogéologie, mais ce qui
pose plus particulièrement problème en l’espèce c’est le fait que la Bolivie continue d’affirmer, sur
les conseils de ses experts du DHI, que la chenalisation historique de ses zones humides a des effets
importants sur les écoulements de surface, alors que nous sommes d’avis que ces effets sont très
limités. Dans nos rapports joints à la réplique du Chili, nous avons montré que la géologie utilisée
par le DHI pour sa modélisation était erronée et que les conditions aux limites retenues aboutissaient
à un modèle fondamentalement vicié. Dans notre analyse actualisée, jointe à la pièce additionnelle
du Chili, nous avons également démontré que la majeure partie de l’interprétation de la géologie par
la Bolivie était erronée. En outre, après avoir eu accès aux données numériques utilisées pour la
modélisation du DHI, nous avons montré de façon probante que cette modélisation comportait des
lacunes irrémédiables. Comme il a été expliqué plus haut, les effets importants simulés correspondent
en grande partie aux biais causés par les erreurs dans la modélisation du DHI.
Nous sommes d’avis que l’effet potentiel de la chenalisation est principalement de réduire
l’évaporation dans les zones humides. Une telle réduction pourrait accroître la quantité d’eau
disponible pour l’écoulement de surface qui traverse la frontière. Cependant, le DHI et nous-mêmes
convenons que cet effet serait très limité et représenterait 2 % tout au plus de l’écoulement annuel.
En effet, notre examen des zones humides boliviennes par télédétection semble montrer que la
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chenalisation n’a pas modifié de manière significative l’étendue latérale et la dynamique saisonnière
de ces zones, et que l’évaporation n’y a pas été notablement réduite.
Les experts du DHI mandatés par la Bolivie expliquent aussi par d’autres mécanismes les
effets importants qu’ils tirent de la modélisation, tels que représentés dans leurs scénarios comparant
la situation de «référence» (avec chenalisation) avec les situations «sans canal» et «avec zones
humides restaurées». Notre calcul simplifié, quoique approximatif, a montré que ces mécanismes
pouvaient générer une variation de 1 % dans l’écoulement de surface. En outre, il importe de rappeler
que toute augmentation de l’écoulement de surface s’accompagnera d’une diminution
correspondante de l’écoulement souterrain traversant la frontière, et inversement. Toute variation
nette de l’écoulement transfrontière sera principalement due à une modification de l’évaporation dans
les zones humides, modification limitée comme le reconnaît le DHI, et même, selon notre analyse
par télédétection, négligeable.
Pour conclure, la modélisation par la Bolivie de l’incidence de la chenalisation est
incontestablement biaisée à bien des égards. Elle n’est nullement fiable et la Cour ne devrait pas en
tenir compte. Nous avons constamment affirmé que cette incidence, de notre avis d’experts, serait
limitée. De fait, les effets de la chenalisation historique sur les écoulements transfrontières qui
circulent de la Bolivie au Chili sont si faibles qu’ils ne sont probablement pas décelables.
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6. RÉFÉRENCES
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Exposé écrit des experts du Chili

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