Documents nouveaux soumis par la Colombie après la clôture de la procédure écrite

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155-20191216-OTH-01-00-EN
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16331
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE DROITS SOUVERAINS ET D’ESPACES MARITIMES DANS LA MER DES CARAÏBES (NICARAGUA c. COLOMBIE)
OBSERVATIONS DE LA RÉPUBLIQUE DE COLOMBIE RELATIVES AUX DOCUMENTS NOUVEAUX PRODUITS PAR LE NICARAGUA
16 décembre 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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A. Introduction ................................................................................................................................... 1
B. La Cour n’est pas compétente pour connaître des incidents dont il est question dans les documents nouveaux ..................................................................................................................... 2
C. La Colombie n’a pas violé les droits souverains et les espaces maritimes du Nicaragua ............. 2
1. Incident impliquant le navire de pêche hondurien Observer .................................................... 3
a) L’Observer ne pêchait pas dans les eaux nicaraguayennes ................................................. 3
b) La Colombie n’a pas harcelé le navire nicaraguayen avec un aéronef volant à basse altitude ou une embarcation rapide ................................................................................... 12
c) Les forces navales nicaraguayennes ont tenté d’éperonner le navire colombien ............... 14
d) Les membres des forces navales nicaraguayennes ont délibérément manoeuvré le Tayacán de manière à provoquer une collision entre l’Observer et l’Antioquia .............. 15
e) Contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua, le Tayacán a été endommagé lorsqu’il a délibérément percuté l’Observer pour l’empêcher de fuir, ainsi qu’il ressort des éléments de preuve produits par la Colombie ................................................................... 18
2. L’événement impliquant le navire de recherche mexicain Jorge Carranza Fraser ............... 20
D. Conclusions ................................................................................................................................. 23
Annexes ............................................................................................................................................ 26
LISTE DES FIGURES
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Figure 1
Capture d’écran du système de surveillance des navires via le dispositif de repérage par satellite montrant l’Observer naviguant de l’île colombienne de Serranilla jusqu’à la mer territoriale de Quitasueño puis prenant le chemin du retour vers Serranilla. Les flèches indiquent le sens de déplacement du navire. Les points rouges signalent les lieux où des appels de détresse ont été lancés.Le changement de direction vers le sud-ouest s’est produit après que l’Observer a été intercepté par les forces navales nicaraguayennes (Quitasueño a été indiqué pour le contexte).
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Figure 2
Extrait des données enregistrées par le système de surveillance des navires via le dispositif de repérage par satellite montrant que, dans les heures qui ont précédé son interception illicite, l’Observer naviguait à une vitesse moyenne de 6 noeuds. A 23 h 55, son équipage a pour la première fois lancé un appel de détresse (extrait de l’annexe 16 de la Colombie).
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Figure 3
Coordonnées du lieu où l’Observer a été intercepté de manière illicite par les forces navales nicaraguayennes (14° 58' 00"N ⎯ 81° 00' 00"O) (flèche orange en direction de Serranilla) superposées à une carte bathymétrique de la zone (montrant des profondeurs de plus de 591 mètres à proximité du lieu d’arraisonnement).
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Figure 4
Capture d’écran extraite de l’annexe 1 a) de la Colombie montrant que, lorsque le navire colombien est arrivé sur le lieu des événements le 11 décembre 2018 (avant l’aube), des membres des forces nicaraguayennes lourdement armés étaient montés à bord de l’Observer et en avaient pris le contrôle.
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Figure 5
Illustration des manoeuvres auxquelles se sont livrés les membres des forces navalesnicaraguayennes afin de provoquer une collision entre l’Antioquia et l’Observer alors que ce dernier était remorqué par le Tayacán, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube).
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Figure 6 a)
Manoeuvre dangereuse effectuée par des membres des forces navales nicaraguayennes lors du remorquage de l’Observer, telle qu’observée depuis l’Antioquia, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube) (capture d’écran extraite de l’annexe 2 a) soumise par la Colombie).
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Figure 6 b)
Manoeuvre dangereuse effectuée par des membres des forces navales nicaraguayennes lors du remorquage de l’Observer, telle qu’observée depuis l’Antioquia, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube) (capture d’écran extraite de l’annexe 2 b) soumise par la Colombie).
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Figure 6 c)
Manoeuvre dangereuse effectuée par des membres des forces navales nicaraguayennes lors du remorquage de l’Observer, telle qu’observée depuis l’Antioquia, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube) (capture d’écran extraite de l’annexe 2 b) soumise par la Colombie).
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Figure 7
Images montrant le Tayacán, clairement identifiable et parfaitement indemne, le 11 décembre 2018 (fin de matinée) après sa prétendue collision avec le navire colombien (capture d’écran extraite de l’annexe 3 a) soumise par la Colombie).
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Figure 8 a)
Le Tayacán qui, poursuivant l’Observer le 11 décembre 2018 (fin de matinée) pour le récupérer, le percute à plusieurs reprises (capture d’écran extraite de l’annexe 3 b) soumise par la Colombie).
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Figure 8 b)
Le Tayacán le 11 décembre 2018 (fin de matinée), percutant l’Observer à quatre reprises pour tenter de le récupérer (captures d’écran extraites de l’annexe 3 b) soumise par la Colombie).
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Figure 9
Figure 9: Extrait d’un communiqué de l’INAPESCA publié le 8 octobre 2018 (extrait de l’annexe 13 de la Colombie).
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A. INTRODUCTION
1. Par lettre du greffier en date du 16 octobre 2019, la République de Colombie a été informée de la décision de la Cour d’autoriser le Nicaragua à produire des documents et éléments nouveaux, répartis en quarante-quatre (44) annexes, comme il en avait formulé la demande le 24 septembre 20191.
2. Conformément à cette lettre et en application du paragraphe 3 de l’article 56 du Règlement de la Cour, la République de Colombie fait part de ses observations sur les documents nouveaux produits par le Nicaragua ; un certain nombre de documents supplémentaires sont joints aux présentes2.
3. En guise de remarque préliminaire, la Colombie souhaite faire observer que les circonstances exceptionnelles ayant conduit à la présentation de ces documents nouveaux par le Nicaragua demeurent peu claires. En effet, ce dernier n’a fourni ni les raisons pour lesquelles ces documents s’étaient révélés nécessaires ni celles pour lesquelles ils n’avaient pu être soumis à un stade antérieur de la procédure. La Colombie rappelle pour sa part qu’elle a participé à la procédure de bonne foi et en respectant les dispositions du Statut de la Cour ainsi que son Règlement concernant la présentation des pièces de procédure et moyens de preuve. C’est dans cet esprit que la République de Colombie soumet ses observations, qui invalident les allégations formulées par le Nicaragua dans sa lettre datée du 23 septembre 2019. Du fait de la nature totalement fallacieuse de ces allégations, fondées sur les documents nouveaux soumis par le Nicaragua, la Colombie se voit contrainte d’y répondre dans le détail et d’expliquer la façon dont le Nicaragua a fourni une présentation trompeuse des faits.
4. Les observations de la Colombie se diviseront en trois parties principales (B, C et D). Dans la partie B, la Colombie réaffirme sa conviction que la Cour n’est pas compétente à l’égard des événements décrits dans les documents nouveaux. Dans la partie C, la Colombie explique, en réponse aux nouvelles allégations du Nicaragua, qu’elle n’a porté atteinte ni aux droits souverains ni aux espaces maritimes de celui-ci. Cette partie se divise à son tour en deux sections (1) et (2), qui traitent des incidents relatifs au navire de pêche hondurien Observer et au navire de recherche mexicain Dr Jorge Carranza Fraser, respectivement. La première section, qui se rapporte à l’incident impliquant l’Observer, est divisée en cinq sous-sections : a) l’Observer ne pêchait pas dans les eaux nicaraguayennes ; b) la Colombie n’a pas harcelé le navire nicaraguayen Tayacán en envoyant un aéronef volant à basse altitude ou une vedette ; c) la marine nicaraguayenne a essayé de percuter le navire colombien ; d) le Nicaragua a effectué une manoeuvre délibérée pour faire entrer en collision l’Observer et l’Antioquia ; et e) les dommages subis par le Tayacán tels que décrits par le Nicaragua n’ont pas été causés par l’Antioquia, cette frégate n’ayant jamais heurté le navire nicaraguayen, mais au contraire par le Tayacán, venu percuter l’Observer pour l’empêcher de fuir. La partie D présente ensuite les conclusions de la Colombie concernant les affirmations avancées par le Nicaragua sur la base des documents nouveaux qu’il a versés au dossier.
1 Sur ces 44 annexes, 33 sont en lien avec l’incident impliquant le navire hondurien Observer et 10 concernent le navire de recherche mexicain Dr Jorge Carranza Fraser. L’annexe 19 soumise par le Nicaragua correspond, quant à elle, à la transcription d’un entretien avec le ministre colombien des affaires étrangères, au cours duquel, comme le mentionnait la lettre adressée par la Colombie à la Cour concernant la demande du Nicaragua tendant à soumettre des documents nouveaux (ENLHY-88, p. 3), «il fait notamment référence aux zones territoriales — et non maritimes. Ses déclarations n’ont de rapport ni avec les deux événements pour lesquels le Nicaragua cherche à produire des éléments de preuve, ni, de fait, avec aucun autre des «incidents» allégués par le Nicaragua». N’étant pas pertinente dans le contexte de la procédure en cours, cette annexe ne sera pas traitée dans les présentes observations.
2 Voir les annexes 1 à 19 jointes par la Colombie aux présentes observations.
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B. LA COUR N’EST PAS COMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DES INCIDENTS DONT IL EST QUESTION DANS LES DOCUMENTS NOUVEAUX
5. Les documents nouveaux par lesquels le Nicaragua tente de compléter le dossier qu’il a soumis concernent prétendument deux événements qui se seraient produits aux mois d’octobre et de décembre 2018, respectivement. Il s’agit donc d’incidents qui ne constituaient l’objet d’aucun différend entre les parties au moment du dépôt par le Nicaragua de sa requête, le 26 novembre 2013.
6. Comme l’a expliqué la Colombie dans son contre-mémoire et sa duplique, elle n’est plus liée, depuis le 27 novembre 2013, par le traité américain de règlement pacifique (ci-après le «pacte de Bogotá»). Aux termes de l’article XXXI de cet instrument, la Colombie ne saurait avoir consenti à la compétence de la Cour pour statuer sur des incidents survenus après sa dénonciation du pacte.
7. En conséquence, même si les documents nouveaux produits par le Nicaragua ont été versés au dossier de la présente instance, la Cour ne saurait avoir compétence pour connaître des événements qui y sont mentionnés. La Colombie estime en effet que la Cour n’est pas compétente à l’égard des incidents visés dans ces documents nouveaux, qui se sont déroulés près de cinq ans après que la Colombie a cessé d’être liée par le pacte de Bogotá.
8. Néanmoins, même si la Cour devait se déclarer compétente pour se prononcer sur ces incidents (ce qui n’est pas le cas), les documents nouveaux ne prouvent aucunement qu’il y ait eu quelque violation que ce soit, par la Colombie, des droits souverains et des espaces maritimes du Nicaragua. Au contraire, comme il sera démontré plus loin, ces événements, en particulier ceux qui concernent l’Observer, mettent en évidence un manque absolu de respect pour le droit international et une systématisation des comportements agressifs et illicites de la part du Nicaragua.
C. LA COLOMBIE N’A PAS VIOLÉ LES DROITS SOUVERAINS ET LES ESPACES MARITIMES DU NICARAGUA
9. Le Nicaragua a soumis à la Cour des documents relatifs à deux incidents qui, selon ses prétentions, constituent «des violations flagrantes des droits qui lui ont été définitivement reconnus par la Cour dans son arrêt de 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) et compromettent ses droits en litige dans la présente instance»3.
10. S’il veut prouver que la Colombie a porté atteinte à ses droits souverains, le Nicaragua doit d’abord démontrer que le droit international coutumier, qui est le droit applicable en la présente affaire, lui reconnaît les droits souverains en question. Cependant, nulle part dans sa lettre en date du 23 septembre 2019, le Nicaragua n’identifie ou ne spécifie les droits souverains particuliers qui seraient les siens et qui auraient été violés par la Colombie lors de ces incidents. De fait, les deux événements concernent en premier lieu des navires d’Etats tiers et non du Nicaragua. Ainsi, l’Observer est un navire de pêche battant pavillon hondurien, tandis que le Dr Jorge Carranza Fraser est un navire de recherche battant pavillon mexicain.
11. Mis à part ces insuffisances juridiques dans l’argumentation du Nicaragua, la position qu’il adopte pose également des problèmes importants tant sur le plan des faits que sur celui des moyens produits. Comme il a été expliqué ci-dessous, les éléments de preuve ne permettent tout simplement
3 Note du Nicaragua, réf. HOL-EMB-098-2019, p. 5.
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pas d’étayer les allégations du Nicaragua selon lesquelles la Colombie aurait porté atteinte à ses droits souverains et à ses espaces maritimes lors des deux incidents en cause.
12. La Colombie formulera tout d’abord des observations relatives à l’incident impliquant l’Observer avant d’aborder celui qui concerne le Dr Jorge Carranza Fraser.
1. Incident impliquant le navire de pêche hondurien Observer
13. Selon le Nicaragua,
«tard dans la soirée du 10 décembre 2018, le navire nicaraguayen Tayacán a constaté qu’un navire battant pavillon hondurien, l’Observer4, se livrait à des activités de pêche illicites dans les eaux du Nicaragua, à quelque 110 milles marins au nord-est des cayes nicaraguayennes des Miskitos (par 14° 58' 00" de latitude nord et 81° 00' 00" de longitude ouest)»5.
Les forces navales nicaraguayennes ont alors arraisonné le navire, dont l’équipage était composé de 13 Honduriens et d’un Colombien.
14. Le Nicaragua prétend ensuite que tôt dans la matinée du 11 décembre 2018, la frégate colombienne ARC-53 Antioquia, un aéronef volant à basse altitude et, plus tard, une vedette — supposément envoyée par l’Antioquia — ont pris des mesures hostiles à l’égard du navire nicaraguayen, le heurtant à deux reprises et l’Observer à quatre reprises6. Ces actes d’hostilité de la part de l’Antioquia se seraient poursuivis «pendant quelque temps»7.
15. A l’appui de ces allégations, le Nicaragua a présenté des documents répartis en 33 annexes. Ils seront examinés dans les paragraphes qui suivent. Cependant, une lecture approfondie de ces documents, ainsi que les éléments soumis en réponse par la Colombie afin de rectifier les informations versées au dossier, font ressortir une situation très différente de celle que dépeint le Nicaragua. Les faits et les preuves matérielles présentés par la Colombie démontrent non seulement que la Colombie n’a pas porté atteinte aux droits souverains du Nicaragua, mais également que c’est au contraire le Nicaragua qui s’est livré à des actes de provocation répétés en flagrante violation du droit international.
a) L’Observer ne pêchait pas dans les eaux nicaraguayennes
i) Absence de preuves de la part du Nicaragua
16. L’argumentation du Nicaragua pour justifier l’interception de l’Observer repose entièrement sur l’allégation selon laquelle ce navire hondurien «se livrait à des activités de pêche illicites dans les eaux du Nicaragua»8. Le Nicaragua n’a toutefois produit aucune preuve directe ou crédible que l’Observer pêchait réellement (ou avait réellement pêché) dans les eaux nicaraguayennes. Ce qu’il ne faisait pas, en l’occurrence. Comme la Colombie va maintenant s’attacher à l’expliquer, l’Observer se trouvait simplement en transit, naviguant depuis les eaux
4 Note du Nicaragua, réf. HOL-EMB-098-2019, p. 2.
5 Ibid.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 Ibid.
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colombiennes de la zone de Quitasueño et retournant vers Serranilla, lorsqu’il a été stoppé et immobilisé de manière illicite par les forces navales nicaraguayennes.
17. Le Nicaragua a produit une note diplomatique envoyée à la Colombie le 22 décembre 20189, deux lettres accompagnant l’échange de documents entre autorités nicaraguayennes10 et une carte établie par l’institut nicaraguayen de la pêche et de l’aquaculture (ci-après l’«INPESCA») prétendant indiquer l’endroit où l’Observer se livrait à des activités de pêche11. Cependant, ces éléments ne constituent en rien des preuves que l’Observer se livrait véritablement à la pêche au homard dans les eaux nicaraguayennes. Il s’agit en fait de documents établis par le Nicaragua dans son propre intérêt et aux fins de la présente instance.
18. Le Nicaragua a également produit des copies du permis de pêche délivré par la Colombie à l’Observer («Certificado Patente de Pesca» en espagnol)12 le 1er novembre 2018 et une autorisation d’appareiller («zarpe» en espagnol) datée du 10 novembre 201813. Cependant, il n’est dit nulle part dans ces documents que l’Observer était autorisé à pêcher dans les eaux nicaraguayennes, et encore moins qu’il était en train d’y pêcher au moment de son interception. Au contraire, ces documents indiquent que l’Observer n’était autorisé à pêcher que dans les eaux colombiennes — fait qui décrédibilise en soi l’affirmation selon laquelle la Colombie a violé les droits souverains et les espaces maritimes du Nicaragua.
19. En effet, l’autorité du pays en matière de pêche, à savoir l’INPESCA, a confirmé que l’Observer était uniquement autorisé à pêcher dans les eaux colombiennes. Dans la décision administrative que l’INPESCA a rendue en première instance le 8 février 2019 en l’affaire introduite à l’encontre du propriétaire du navire hondurien Observer, il est clairement précisé :
«que les éléments documentaires fournis par [le propriétaire du navire] … prouvent seulement que l’Observer était autorisé à se livrer à des activités de pêche dans les eaux relevant de la juridiction de la République de Colombie»14 (les italiques sont de nous).
20. Le Nicaragua a également présenté un certificat provisoire d'immatriculation15 et un certificat de navigabilité16 pour le navire. Ces documents ne prouvent pourtant en aucune manière que l’Observer pêchait dans les eaux nicaraguayennes. Le Nicaragua a également soumis un document certifiant que le capitaine du navire, M. Tito Velásquez Cuevas, est un marin qualifié17, ce
9 Nicaragua, annexe 6. (La Colombie a inclus en annexe 17 un certain nombre de corrections apportées aux traductions faites par le Nicaragua de certaines correspondances diplomatiques, figurant aux annexes 1 à 10 soumises par celui-ci).
10 Nicaragua, annexes 17 et 18.
11 Nicaragua, annexe 18 c).
12 Nicaragua, annexe 18 f).
13 Nicaragua, annexe 18 g).
14 Colombie, annexe 6 : Nicaraguan Institute for Fishing and Aquaculture (INPESCA), Administrative Resolution No 011-2019, Administrative Decision of First Instance regarding the M/V “Observer”, 8 février 2019. La décision administrative rendue en première instance par l’INPESCA a condamné le propriétaire de l’Observer à une amende de 65 325 dollars des Etats-Unis et imposé la confiscation de la totalité de la cargaison et du matériel de pêche se trouvant à bord du navire, ainsi que l’immobilisation de celui-ci, qui se poursuit à ce jour.
15 Nicaragua, annexe 18 d).
16 Nicaragua, annexe 18 e).
17 Nicaragua, annexe 18 h).
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qui, là encore, ne prouve aucunement que l’Observer se livrait à des activités de pêche dans les eaux nicaraguayennes.
21. Le Nicaragua a également versé au dossier deux journaux de bord censés provenir de l’Observer, dans lesquels sont apparemment consignées les données de navigation du navire pour les périodes allant du 22 novembre 2014 au 2 avril 201618 et du 23 juillet 2017 au 4 mars 201819. Y figurent des entrées saisies plusieurs années avant l’incident allégué, qui ne prouvent donc en rien le bien-fondé des allégations du Nicaragua.
22. Celui-ci a joint en annexe un bordereau de remise de marchandise émanant des forces navales nicaraguayennes20 et un certificat d’inspection de l’INPESCA21, datés l’un et l’autre du 15 décembre 2018. D’après ces documents, une cargaison de homard a été retrouvée dans le congélateur du navire hondurien22, ainsi que 907 kg d’appâts en cuir et d’autres équipements propres à la pêche au homard23. Des photographies des produits trouvés à bord de l’Observer ont également été produites24. Si celles-ci montrent que le navire s’était effectivement livré à la pêche au homard, ce que personne n’a jamais nié, elles ne montrent pas où ces homards avaient été pêchés. Ainsi qu’indiqué précédemment, le navire n’avait de permis de pêche que pour les eaux colombiennes et n’était pas en train de pêcher lorsque le Nicaragua l’a arraisonné.
23. De la même manière, le Nicaragua a versé au dossier un rapport de l’INPESCA du mois de mars 2019 concernant l’Observer, qui décrit le navire et sa cargaison et dresse une liste de documents25. Le rapport a été produit trois mois après la date de l’événement allégué et semble avoir été établi aux seules fins de la présente instance. Encore une fois, la Cour ne devrait attribuer à ce document que peu ou pas de poids. En tout état de cause, le rapport ne contient aucun élément qui prouve que l’Observer pêchait dans les eaux nicaraguayennes.
24. De même, le Nicaragua a soumis la transcription de quatre interrogatoires menés par des responsables militaires nicaraguayens auprès de membres de l’équipage de l’Observer26. Toutefois, ils ont été conduits par la partie intéressée, et ce, après sept ou huit jours d’emprisonnement de l’équipage27, qui a été privé de tout accès à ses autorités consulaires ou à une représentation juridique,
18 Nicaragua, annexe 18 k).
19 Nicaragua, annexe 18 j).
20 Nicaragua, annexe 18 l).
21 Nicaragua, annexe 18 b).
22 Là encore, il convient de souligner que le Nicaragua lui-même fait preuve de confusion dans les informations qu’il fournit. En effet, dans sa note diplomatique sur cette question, il déclare que 1360 kg de homard ont été retrouvés à bord de l’Observer (Nicaragua, annexe 6), tandis que le certificat de livraison indique 2429 kg (Nicaragua, annexe 18 l)) et que le certificat d’inspection mentionne, quant à lui, que le navire a été immobilisé avec à son bord 2430 kg de homard (Nicaragua, annexe 18 b)).
23 Nicaragua, annexe 18 b) et 18 m).
24 Nicaragua, annexe 18 i).
25 Nicaragua, annexe 18 a).
26 Nicaragua, annexe 17 f), 17 g), 17 h) et 17 i).
27 Les interrogatoires par des responsables militaires nicaraguayens de messieurs Tito Velasquez, Jonathan Velásquez et Nixon Centeno ont été conduits le 17 décembre 2018 et celui de M. Samuel de Jesús Hernández le 18 décembre 2018. Le Nicaragua concède lui-même que les citoyens honduriens n’ont pu communiquer avec leurs autorités consulaires que le 20 décembre 2018, soit dix (10) jours après leur arrestation (voir Nicaragua, annexe 11, par. 6).
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ce qui est manifestement contraire aux dispositions de l’article 36 de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires28 à laquelle sont parties la Colombie et le Nicaragua.
25. En outre, les interrogatoires ont été conduits à un moment où l’équipage était soumis à des conditions inhumaines de détention. Comme l’a fait observer M. Aaron Humphreys Sjogreen, le seul membre d’équipage colombien de l’Observer :
«[j]e n’ai pas été très bien traité ; j’ai dû supporter un peu de tout. La nourriture n’était pas très bonne : du pain avec des haricots tous les jours …
Je n’ai pas eu de contact avec un avocat. Bien des jours se sont écoulés avant que l’ambassade de Colombie ne dépêche du personnel autorisé, il me semble, grâce au fait que j’avais mes papiers et que je viens de San Andrés.
Ils ont dressé procès-verbal du fait que nous ayons pénétré dans leurs eaux. Ils ont arrêté tout le monde, même les Honduriens, et [nous] ont fait signer un document sur place. Ils sont venus, ont posé des questions et nous avons signé. Nous avons été capturés, ainsi que le navire, pour avoir pénétré dans les eaux du pays et c’est ainsi que nous avons tous signé, chacun à notre tour, parce que lorsque vous êtes en leur présence, eh bien… c’est différent, ce n’est pas la même chose. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu ou de mauvais traitement, il nous fallait savoir quoi répondre, il faut savoir quoi dire.
A Bluefields, nous sommes restés… comment dire, quelques jours. C’était dans… comme un lieu clos, avec juste une porte, l’obscurité, pas de fenêtres C’est là que tout le monde dormait, parmi les Honduriens, et moi aussi là, sur le sol ; chacun dans un espace minuscule …
Nous n’avons pas été battus physiquement, mais moralement, oui»29.
26. Comme indiqué précédemment, M. Aaron Humphreys Sjogreen n’a pu communiquer avec ses autorités consulaires qu’après dix jours de détention30. C’est avant que cette permission ne lui soit accordée qu’il a été interrogé, alors qu’il était détenu dans de mauvaises conditions et en situation d’intimidation.
27. En conséquence, la Colombie soutient que les quatre interrogatoires menés par les responsables militaires nicaraguayens auprès des membres de l’équipage de l’Observer, recueillis par le Nicaragua sous la contrainte, ne devraient pas être admis comme moyens de preuve et que la
28 La Colombie a envoyé trois (3) notes diplomatiques les 13, 14 et 19 décembre 2018, demandant que chaque ressortissant colombien se trouvant à bord de l’Observer soit autorisé à communiquer avec ses autorités consulaires et dénonçant le fait que le déni de ce droit constituait une violation de la convention de Vienne sur les relations consulaires (voir Nicaragua, annexes 3, 4 et 5). La Colombie l’a encore répété dans sa note diplomatique du 24 septembre 2019 (voir note verbale no S-DVRE-19-042070 en date du 24 septembre 2019 adressée à l’ambassade du Nicaragua à Bogotá par le ministère colombien des affaires étrangères (Colombie, annexe 5)).
29 Affidavit by Mr Aaron Humphreys Sjogreen (Crewmember of the M/V “Observer”), 12 décembre 2019 (Colombie, annexe 10).
30 Nicaragua, annexe 8, par. 2 ; et Nicaragua, annexe 9, par. 6. Dans un autre document, le Nicaragua indique que cette autorisation de communiquer avec les autorités consulaires n’a été accordée qu’après douze (12) jours de détention, à savoir le 22 décembre 2018 (voir Nicaragua, annexe 11, par. 7).
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Cour ne devrait leur accorder aucun poids étant donné les circonstances illégales dans lesquelles ils ont été effectués31.
28. En tout état de cause, malgré les circonstances extrêmes dans lesquelles ces dépositions ont été recueillies, aucun des pêcheurs, y compris leur capitaine, n’y a indiqué que l’Observer pêchait effectivement dans les eaux nicaraguayennes. De fait, trois d’entre elles mentionnent que l’équipage était en train de dormir, et non de pêcher, au moment de l’arraisonnement par le Nicaragua32.
29. Le Nicaragua a produit les déclarations sous serment des deux officiers présents à bord du Tayacán. Il est intéressant de noter que ni l’un ni l’autre n’a déclaré que l’Observer se livrait ou s’était livré à des activités de pêche dans les eaux nicaraguayennes au moment de son interception par le Nicaragua33. Il est donc difficile de se défaire de l'impression que c’est de manière délibérée que la question a été totalement éludée dans les deux déclarations.
30. En bref, les documents nouveaux produits par le Nicaragua ne prouvent pas que l’Observer pêchait dans les eaux nicaraguayennes, et encore moins que les droits souverains ou les espaces maritimes du pays ont été violés par la Colombie. Il s’ensuit que le Nicaragua n’était nullement fondé à intercepter l’Observer, à l’immobiliser et à arrêter son équipage.
ii) Eléments de preuve réunis par la Colombie : l’Observer a été intercepté illégalement et le comportement de la marine nicaraguayenne constitue une violation du droit international
31. La Colombie apportera à présent la preuve que l’Observer n’était pas en train de pêcher et n’avait pas pêché dans les eaux nicaraguayennes et qu’il a été intercepté illégalement par le Nicaragua alors qu’il naviguait simplement entre les îles colombiennes de Quitasueño et Serranilla. En outre, l’interception de l’Observer par le Nicaragua constituait une entrave illicite à la liberté de navigation du navire. Il convient de relever que, dans sa correspondance diplomatique, la Colombie
31 Les questions posées par les représentants des autorités nicaraguayennes lors des interrogatoires étaient par ailleurs de nature à suggérer aux témoins la version des événements allégués adoptée par le Nicaragua et n’ont donc aucune force probante. Il est clair que les témoignages obtenus en l’occurrence ont été influencés par les personnes chargées de recueillir les dépositions. Voir Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), par. 244.
32 M. Tito Velásquez a affirmé dans sa déposition qu’au moment de l’arraisonnement par le Nicaragua, «[il] dormai[t]» (Nicaragua, annexe 17 f)) ; M. Nixon Centeno, quant à lui, a déclaré : «Je dormais quand, à environ 22 h 30, le cuisinier nous a réveillés parce qu’un garde-côte s’apprêtait à monter à bord» (Nicaragua, annexe 17 h)) ; et M. Samuel de Jesús Hernández, pour sa part, a indiqué qu’ «à 22 h 30 [il] dormait dans [sa] cabine» (Nicaragua, annexe 17 i)).
33 Comme expliqué plus loin, la Colombie soutient que ces deux déclarations sous serment sont des documents préparés expressément par le Nicaragua aux fins de la présente instance et ne devraient pas être admises comme preuves ou créditées d’une quelconque force probante. Elles émanent d’agents de l’Etat ayant des intérêts dans l’issue de la procédure. Néanmoins, étant donné qu’elles contiennent des affirmations allant à l’encontre de l’intérêt de leurs auteurs, les extraits qui suivent sont pertinents en l’espèce. L’officier Nery Medaro Monjarrez a ainsi déclaré :
«nous avons détecté un navire cible … Nous avons demandé au capitaine du port de Puerto Cabezas si des navires de la flotte de pêche nicaraguayenne se trouvaient dans la zone et il a répondu par la négative … [Nous] avons ordonné [au capitaine de l’Observer] de préparer son navire pour l’arraisonnement … On m’a donné l’ordre de stopper le navire et de le conduire au port» (Nicaragua, annexe 17 a)).
De même, l’officier Bismarck Isidro Valle a déclaré :
«nous avons détecté un bâtiment non identifié … Nous avons demandé au capitaine du port de Puerto Cabezas si des navires de la flotte de pêche nicaraguayenne étaient présents dans la zone ; celui-ci a répondu qu’aucun n’avait été signalé comme se trouvant à cette position … Le lieutenant de frégate Nery Monjarrez Padilla m’a ordonné de monter à bord du navire … Le commandant [du Tayacán] m’a intimé l’ordre de prendre le contrôle du navire et de le conduire au port» (Nicaragua, annexe 17 b)).
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a fait valoir ce fait et alerté le Nicaragua quant au caractère fautif de son comportement, mais en vain34. Ainsi que cela sera exposé, par ses allégations concernant l’Observer, le Nicaragua tente de tromper la Cour en lui fournissant une représentation erronée des faits, dans le but de pallier la fragilité de sa position.
32. Les principaux points de la présente sous-section peuvent être résumés comme suit :
⎯ Les éléments de preuve produits par la Colombie confirment une fois encore que l’Observer n’était pas en train de pêcher dans les eaux nicaraguayennes lorsqu’il a été illégalement intercepté puis immobilisé par le Nicaragua.
⎯ Le 10 décembre 2018, les officiers nicaraguayens du Tayacán sont montés à bord du navire hondurien l’Observer entre 22 h 48 et 23 h 4835,dans l’obscurité, subrepticement et au mépris des procédures internationales.
⎯ Quelques heures plus tard, le 11 décembre 2018, alors qu’il faisait toujours nuit et avant l’aube, la frégate de la marine colombienne ARC-53 Antioquia est arrivée sur le lieux à la suite d’un appel de détresse lancé par l’Observer quelques heures auparavant, le 10 décembre à 23 h 55. Les officiers nicaraguayens qui, à ce moment, étaient à bord de l’Observer et en avaient totalement pris le contrôle, ont intentionnellement tenté d’éperonner la frégate colombienne, sans aucun égard pour la vie des pêcheurs et des équipages des navires concernés.
⎯ Ensuite, aux premières heures du matin (après l’aube) du 11 décembre, alors que le moteur de l’Observer était à l’arrêt et que le Tayacán le remorquait, les officiers nicaraguayens ont de nouveau entrepris des manoeuvres extrêmement dangereuses en tentant de faire s’entrechoquer l’Observer et l’Antioquia.
⎯ Enfin, à la fin de la matinée du 11 décembre, lorsque les officiers nicaraguayens sont retournés sur le Tayacán, l’équipage de l’Observer a profité de l’occasion pour tenter de faire redémarrer le moteur du navire. Afin de s’assurer qu’il ne s’échappe pas, le Tayacán est intentionnellement entré en collision avec celui-ci à au moins quatre reprises. Cette manoeuvre a causé des dommages aux deux navires. (Dommages que le Nicaragua tente à présent, assez cyniquement, de présenter comme ayant été causés par l’Antioquia).
33. La pêche responsable à la langouste, comme celle que la Colombie autorise l’Observer à pratiquer dans ses eaux, se pratique à l’aide de casiers à langoustes artisanaux (appelés nasas en espagnol)36. Ces casiers sont déposés ou «semés» à des profondeurs ne dépassant pas 55 mètres, qui correspondent généralement à l’habitat des langoustes, alors que, comme cela sera exposé ci-dessous, là où l’Observer a été illégalement intercepté, la profondeur dépasse par endroits les 591 mètres. Ainsi que l’a relevé la Commission des pêches pour l’Atlantique Centre-Ouest (COPACO) au sujet
34 Annexe 8 du Nicaragua et annexe 5 de la Colombie.
35 Le Nicaragua lui-même n’indique pas clairement l’heure à laquelle se sont déroulés les événements allégués. Dans la note diplomatique qu’il a consacrée à cette question (annexe 6 du Nicaragua), il est indiqué qu’ils se sont produits à 22 h 30 ; les déclarations sous serment fournies par le Nicaragua dans ses annexes 17 a) et 17 b) semblent indiquer que l’arraisonnement de l’Observer a eu lieu entre 22 h 30 et 23 h 30 ; tandis que celles figurant dans un autre document officiel nicaraguayen semblent indiquer qu’il a eu lieu à 23 h 56 (annexe 6 de la Colombie). Pour leur part, les enregistrements colombiens indiquent que l’arraisonnement a eu lieu entre 22 heures 48 minutes et 6 secondes et 23 heures 55 minutes et 48 secondes (annexe 16 de la Colombie : données enregistrées par le système de surveillance des navires via le dispositif de repérage par satellite embarqué à bord de l’Observer, fiche de données, du 10 décembre 2018 (18:48:04) au 11 décembre 2018 (01:45:18).
36 A comparer aux méthodes de pêche prédatrices du Nicaragua qui, ainsi que cela a été exposé dans le contre-mémoire de la Colombie, sont contraires aux normes internationales, favorisent l’épuisement des espèces (y compris la langouste) et représentent une menace pour les écosystèmes et habitats caribéens. (voir CMC, chap. 8).
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de l’habitat de la langouste blanche : Ce crustacé peut atteindre une longueur totale de 40 cm et, à l’âge adulte, habite les récifs coraliens à des profondeurs comprises entre 3 et 55 mètres37. Cette activité se pratique de jour, non de nuit, et à des intervalles de plusieurs jours au cours desquels les casiers sont déployés dans un endroit où les pêcheurs les laissent pendant une période donnée ; ils passent ensuite à un autre endroit, où ils déposent d’autres casiers, et ne reviennent que quelques jours plus tard au premier endroit pour récolter les langoustes piégées.
34. Etant donné la manière dont est pratiquée la pêche à la langouste, et au regard des éléments de preuve soumis par la Colombie, il est clair que l’argumentation du Nicaragua est grevée de failles insurmontables. La Colombie n’a pas violé les droits souverains de ce dernier, c’est lui qui a violé la liberté de navigation du navire de pêche et qui a illégalement procédé à l’arrestation de son équipage. Cette allégation est corroborée par :
⎯ l’heure à laquelle l’interception illégale a eu lieu38
⎯ les données enregistrées par le système de de surveillance des navires (via le dispositif de repérage par satellite embarqué à bord de l’Observer) dans les heures qui ont précédé et suivi l’interception illégale par le Nicaragua39
⎯ la carte bathymétrique de la zone où les événements se sont produits40.
Il ressort des éléments de preuve susmentionnés que :
35. Premièrement, l’arraisonnement s’est produit de nuit, c’est-à-dire à un moment où la pêche à la langouste ne se pratique pas. Ainsi que cela a été exposé, il s’agit d’une activité qui se pratique uniquement de jour.
36. Deuxièmement, il ressort de l’analyse des données enregistrées par le dispositif de repérage par satellite41 installé à bord du navire que l’Observer a fait route de l’île colombienne de Serranilla à celle de Quitasueño, qu’il est ensuite demeuré dans les eaux territoriales de Quitasueño pendant quelques heures, probablement pour y déposer ou y récolter des casiers à langouste, puis qu’il est
37 Annexe 11 de la Colombie : Western Central Atlantic Fishery Commission, Ninth Session of the Scientific Advisory Group (SAG), MARPLESCA ⎯ The Regional Caribbean Spiny Lobster (Panulirus argus) fishery management plan, Document WECAF/SAG/IX/2018/6, Bridgetown (Barbados), 19-20 novembre2018, p. 8. Accessible à l’adresse suivante : http://www.fao.org/fi/static-media/MeetingDocuments/WECAFC/SAG2018/6e.p… (dernière consultation le 11 décembre 2019).
38 Annexe 16 de la Colombie.
39 Annexe 16 de la Colombie et figure 1 de la Colombie : données enregistrées par le système de surveillance installé à bord de l’Observer, rapport concernant la trajectoire (copie d’écran).
40 Figure 3 de la Colombie : coordonnées des lieux d’abordage et de détention de l’Observer par la marine nicaraguayenne superposées à la carte bathymétrique.
41 Comme l’explique l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture,
«[u]n système de surveillance des navires de pêche est un programme de surveillance dans lequel l’équipement installé à bord d’un navire fournit des renseignements sur sa position et son activité. Ce système se différencie des méthodes de surveillance traditionnelles, telles que les patrouilles maritimes et aériennes, le placement d’observateurs à bord du navire, les journaux de bord ou les entretiens dans les ports».
Systèmes de surveillance des navires de pêche. Systèmes de surveillance des navires de pêche (SSN). Fiche d’information sur les SSN. In : FAO, Département des pêches et de l’aquaculture (en ligne). Rome. Mis à jour. Accessible à l’adresse suivante : http://www.fao.org/fishery/vms/fr. (Dernière consultation le 11 décembre 2019).
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reparti vers Serranilla, moment auquel a eu lieu l’arraisonnement42. Les signaux du système de surveillance des navires sont envoyés automatiquement toutes les heures, et, en l’espèce, contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua, ils montrent, heure par heure, que l’Observer naviguait en direction de Serranilla, également dans les eaux colombiennes, lorsqu’il a été illégalement intercepté par le Nicaragua.
Figure 1 Capture d’écran du système de surveillance des navires via le dispositif de repérage par satellite montrant l’Observer naviguant de l’île colombienne de Serranilla jusqu’à la mer territoriale de Quitasueño puis prenant le chemin du retour vers Serranilla. Les flèches indiquent le sens de déplacement du navire. Les points rouges signalent les lieux où des appels de détresse ont été lancés. Le changement de direction vers le sud-ouest s’est produit après que l’Observer a été intercepté par les forces navales nicaraguayennes (Quitasueño a été indiqué pour le contexte).
37. Le système de surveillance des navires permet de connaître non seulement la route de l’Observer dans les heures qui ont précédé les événements, mais également le moment précis où l’équipage du navire a émis un signal de détresse, peu de temps après l’arraisonnement, entraînant l’envoi d’un navire de la marine colombienne, l’Antioquia, chargé de s’enquérir de la situation.
Figure 2 Extrait des données enregistrées par le système de surveillance des navires via le dispositif de repérage par satellite montrant que, dans les heures qui ont précédé son interception illicite, l’Observer naviguait à une vitesse moyenne de 6 noeuds. A 23 h 55, son équipage a pour la première fois lancé un appel de détresse (extrait de l’annexe 16 de la Colombie).
42 Annexe 16 de la Colombie et figure 1 de la Colombie.
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38. Etant donné que l’Observer était en train de naviguer lorsqu’il a été intercepté, il ne peut pas avoir été en train de pêcher la langouste au même moment. Ainsi que cela a été exposé précédemment, cette activité nécessite de déposer des casiers et de les récolter quelques jours plus tard, ce qui ne peut être fait alors que le navire est en mouvement. Les données enregistrées par le système de surveillance des navires démontrent sans aucun doute possible que, au moment où il a été intercepté ⎯ et même avant qu’il le soit ⎯ l’Observer n’était pas en train de se livrer à la pêche à la langouste, mais qu’il était simplement en train de naviguer ⎯ exerçant par là sa liberté de navigation ⎯ entre Quitasueño et Serranilla. Il va sans dire que le Nicaragua n’a produit aucun élément tendant à prouver que des casiers à langoustes appartenant à l’Observer se seraient trouvés sur le lit de sa zone économique exclusive.
39. Troisièmement, en superposant les coordonnées du lieu où le navire a été intercepté à une carte bathymétrique de la zone, on peut voir que, à cet endroit, la profondeur des eaux environnantes est bien supérieure à 500 mètres43.
Figure 3 Coordonnées du lieu où l’Observer a été intercepté de manière illicite par les forces navales nicaraguayennes (14° 58' 00"N ⎯ 81° 00' 00"O) (flèche orange en direction de Serranilla) superposées à une carte bathymétrique de la zone (montrant des profondeurs de plus de 591 mètres à proximité du lieu d’arraisonnement).
Source : Carte nautique et bathymétrique – British Admiralty, Nautical Chart 1218, New Ed. 10 Sep. 1993 (rev. 1999)
43 Figure 3 de la Colombie.
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40. Ainsi que cela a été exposé ci-dessus, ces profondeurs sont supérieures à celles où la langouste peut être capturée, fait qui démontre sans aucun doute possible que l’Observer ne pouvait pas être en train de pêcher lorsqu’il a été intercepté.
41. En résumé, alors que le Nicaragua affirme que l’Observer était en train de pêcher dans ses eaux et que ce fait aurait justifié son interception, les documents qu’il a produits ne viennent pas étayer cette allégation. A l’inverse, il ressort des éléments de preuve produits par la Colombie que, après avoir pêché la langouste aux environs de Quitasueño et de Serranilla ⎯ comme il était autorisé à le faire ⎯ l’Observer a navigué vers d’autres eaux colombiennes pour poursuivre ses activités. Ces éléments prouvent en outre que l’Observer a été arraisonné de nuit, alors qu’il naviguait à une allure constante d’environ 6 noeuds, suivant un trajet le long duquel la profondeur de l’eau est supérieure à 500 mètres, deux éléments qui auraient rendu la pratique de la pêche à la langouste matériellement impossible. Au vu de ces faits, le Nicaragua n’avait aucun motif d’intercepter l’Observer ni d’appréhender son équipage.
b) La Colombie n’a pas harcelé le navire nicaraguayen avec un aéronef volant à basse altitude ou une embarcation rapide
42. Le Nicaragua soutient également que la Colombie a envoyé un aéronef volant à basse altitude44 et une embarcation rapide pour harceler le Tayacán, bâtiment appartenant à ses forces navales45. Il n’existe cependant absolument aucun élément de preuve pour étayer cette allégation.
43. Contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua, aucun aéronef volant à basse altitude n’a «harcelé» le Tayacán. Ainsi que cela a été exposé précédemment dans le contre-mémoire de la Colombie, selon l’ordre de mission émanant du commandement spécial de San Andrés et Providencia, «il est interdit de survoler un navire de type militaire à moins de 3500 pieds, car le navire en question pourrait considérer pareille manoeuvre comme hostile»46. En l’espèce, cette instruction est corroborée par les éléments de preuve produits par la Colombie sous la forme d’un document émanant du commandant de la flotte aérienne et certifiant que, le 11 décembre, aucun vol n’a eu lieu dans la zone47, auquel vient s’ajouter une déclaration sous serment de la même teneur du capitaine de l’Antioquia 48.
44. Contrairement à ce que soutient le Nicaragua, il n’y avait pas non plus d’embarcation rapide pour «harceler» le Tayacán, pas plus qu’il ne pouvait y en avoir, pour la simple raison que l’Antioquia, qui était le seul navire colombien présent dans la zone, n’en transportait pas à son bord49. Quand bien même il en aurait transporté ⎯ ce qui n’était pas le cas ⎯ une telle embarcation rapide n’aurait pas pu être déployée. Cela ressort du journal de bord du navire de la marine colombienne, dans lequel il est précisé que le bossoir (en espagnol «pescante») permettant de mettre les
44 Note du Nicaragua portant la référence HOL-EMB-098-2019, p. 2.
45 Ibid. et annexe 17 c) du Nicaragua, transcription de l’enregistrement audio no 1.
46 CMC, par. 33 et annexe 61.
47 Annexe 8 de la Colombie : Armée de l’air colombienne, communication no 20191600562893-MDN-COGFM-COFAC-JEMFA-COA-CEOPA-SECOC, 23 octobre 2019.
48 Annexe 9 de la Colombie : Déclaration sous serment de M. José Cristóbal Méndez Hernández (capitaine de l’ARC-53 Antioquia), 4 décembre 2019.
49 Annexe 9 de la Colombie. Les bateaux d’appui transportés par les navires tels que l’Antioquia sont soit des zodiacs soit des bateaux semi-rigides.
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embarcations rapides à l’eau ne fonctionnait pas à ce moment-là50. Ces deux faits sont confirmés par le capitaine du navire colombien51. En d’autres termes, le navire colombien n’était pas en mesure de déployer une embarcation, encore moins une embarcation rapide, vers le navire nicaraguayen.
45. En toute logique, si une embarcation rapide avait été déployée, le navire nicaraguayen aurait envoyé un message à l’Antioquia ou à l’embarcation rapide en question, ce qu’il n’a pas fait. Il n’existe aucun élément tendant à prouver que le Tayacán ait jamais fait part à l’équipage du navire colombien de quoi que ce soit au sujet d’une embarcation rapide.
46. De surcroît, il ressort des propres enregistrements du Nicaragua52 que, lors de leurs communications avec leurs homologues nicaraguayens, les officiers colombiens sont à tout moment demeurés professionnels53. Les officiers de la marine colombienne ont tout au plus invité leurs homologues nicaraguayens à mettre fin à l’immobilisation du navire hondurien et leur ont rappelé que les commandants des forces navales nicaraguayennes et de la marine colombienne étaient convenus de coopérer afin d’éviter tout malentendu et de maintenir de bonnes relations54. Cela
50 Annexe 19 de la Colombie : Marine nationale colombienne, journal de bord, ARC-53 Antioquia, section 3 «Itinéraire» et section 5 «Evénements relatifs à l’équipement ou aux machines», 10 janvier 2019.
51 Annexe 9 de la Colombie.
52 Il convient de relever que, dans la transcription et la traduction anglaise de son annexe 17 c), le Nicaragua a délibérément omis des passages essentiels des conversations entre les commandants. La Colombie a retranscrit lesdits passages dans son annexe 18, qu’elle a extraits des enregistrements audio des conversations reproduites à l’annexe 17 j) du Nicaragua.
53 Par exemple : dans l’annexe 17 c) du Nicaragua ⎯ transcription de l’enregistrement audio no 4 ⎯ le commandant colombien déclare : «Je reconnais qu’une inspection a été diligentée à l’aube, mais elle a été annulée». Dans l’annexe 17 c) du Nicaragua ⎯ transcription de l’enregistrement audio no 5 ⎯ le commandant du navire colombien déclare à son homologue nicaraguayen : «nous venons prêter assistance, amiral Fonseca». Dans l’annexe 17 c) du Nicaragua ⎯ transcription de l’enregistrement audio no 6 corrigée dans l’annexe 18 de la Colombie ⎯, le commandant colombien déclare : «d’après les informations dont je dispose, le navire [colombien] s’est éloigné de la position où il se trouvait lorsque nous lui avons proposé de lui venir en aide si nécessaire». Dans l’annexe 17 c) du Nicaragua ⎯ transcription de l’enregistrement audio no 7 corrigée dans l’annexe 18 de la Colombie ⎯, le commandant colombien répète à son homologue nicaraguayen :
«Non, amiral Fonseca, cela ne correspond pas à ce qu’ils disent, j’ai la position du navire [colombien] et il est loin. … Non, cela n’est pas possible… nous disposons heureusement de tous les enregistrements … Je vous ai appelé précisément pour que cette situation ne se reproduise pas, la demande que j’ai formulée était très respectueuse … comme je le dis, il y a des preuves, nous disposons de preuves, il ne s’agit pas d’une agression et il n’y a ni intention ni instruction en ce sens, amiral Fonseca… soyez sûr que c’est ce que je dis, nous n’allons prendre aucun risque de le faire de cette manière, puisque ce n’est pas du tout notre intention, et nous n’allons pas non plus [inaudible] en particulier à un bateau de pêche, et en particulier à l’un de vos bâtiments.»
Ces transcriptions sont extraites de l’annexe 17 j) du Nicaragua.
54 Par exemple : dans l’annexe 17 c) du Nicaragua ⎯ transcription de l’enregistrement audio no 2 ⎯ le commandant de la marine colombienne déclare : «nous avions… mis en oeuvre dans cette zone un accord entre les commandants afin que ce type d’incident ne se produise pas, amiral Fonseca [commandant nicaraguayen]». Dans l’annexe 17 c) du Nicaragua ⎯ transcription de l’enregistrement audio no 3 corrigée dans l’annexe 18 de la Colombie ⎯, le commandant de la marine colombienne déclare à son homologue nicaraguayen :
«il [le navire hondurien] est actuellement dans une situation d’urgence … le navire est à la dérive … nous voulons vous prêter assistance afin que la situation demeure conforme à ce que prévoit l’accord qui était mis en oeuvre avec vous et au terme duquel nous respectons, bien entendu, l’engagement et le rôle de chacune des marines, vous comprenez que cela relève de la mission constitutionnelle qui nous incombe, à vous et à nous, qu’il s’agit d’un problème politique et qu’il est à espérer que nous parviendrons bientôt à trouver une solution de manière à éviter ce type d’inconvénient qui, bien entendu, viendrait d’une manière ou d’une autre ternir les bonnes relations que nous tenons à renforcer avec vous».
Ces transcriptions sont extraites de l’annexe 17 j) du Nicaragua.
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dément toute allégation selon laquelle le navire colombien aurait eu un comportement hostile envers le navire nicaraguayen.
47. Le seul «élément de preuve» produit par le Nicaragua pour étayer ses allégations selon lesquelles la Colombie aurait eu un comportement hostile sont les déclarations sous serment de deux membres de l’équipage du Tayacán 55. Ces deux déclarations ne sont toutefois corroborées par aucun élément et leur fiabilité est des plus douteuses. Elles servent en effet les intérêts de la partie dont elles émanant et manquent de crédibilité. De surcroît, la personne qui a officié en tant que notaire public pour recueillir ces déclarations sous serment est un certain Walner Abraham Molina qui non seulement est un retraité de l’armée nicaraguayenne, mais a en outre exercé les fonctions de conseiller juridique du Nicaragua dans diverses affaires portées devant la Cour, y compris la présente56. La Cour elle-même a fait observer que la prudence s’imposait, par exemple lorsque «les dépositions de témoins produites sous la forme de déclarations sous serment … émanent d’agents de l’Etat»57, et a fortiori lorsque les agents auteurs des déclarations, ainsi que celui qui les a recueillies, ont un intérêt dans l’issue de la procédure, comme c’est le cas en l’espèce.
48. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Nicaragua, les éléments de preuve démontrent que la Colombie n’a pas déployé un aéronef volant à basse altitude ou une embarcation rapide pour harceler le navire nicaraguayen.
49. Ce sont en réalité les forces navales nicaraguayennes, et non la marine colombienne, qui, tout au long des événements qui se sont produits à la fin de la soirée du 10 décembre et au début de l’après-midi du 11 décembre 2018, ont à plusieurs reprises agi en violation du droit international en adoptant un comportement extrêmement agressif qui a mis des vies en danger et violé les règles fondamentales du comportement en mer.
c) Les forces navales nicaraguayennes ont tenté d’éperonner le navire colombien
50. Aux environs de 5 h 00 le 11 décembre, peu de temps après que la frégate colombienne Antioquia est arrivée sur les lieux en réponse à l’appel de détresse lancé par l’Observer et qu’elle s’est approchée du navire pour évaluer la situation, les officiers des forces navales nicaraguayennes présents à bord de l’Observer et qui en avaient le contrôle ont subitement ⎯ et sans aucun avertissement ⎯ fait changer le navire de cap pour le faire se diriger tout droit sur l’Antioquia et tenter de l’éperonner. Ces événements ont été capturés dans deux enregistrements vidéo réalisés par le navire colombien, sur lesquels on peut constater la brusquerie de la manoeuvre de l’Observer et la célérité avec laquelle la marine colombienne a dû réagir pour éviter une collision58.
55 Annexes 17 a) et 17 b) du Nicaragua.
56 Annexe 12 de la Colombie : curriculum vitae de M. Walner Abraham Molina. (voir également : Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 8).
57 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), par. 244.
58 Annexe 1 de la Colombie : Enregistrement vidéo de l’Observer, événements du 11 décembre 2018 (avant l’aube), a) premier enregistrement vidéo et b) second enregistrement vidéo.
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Figure 4 Capture d’écran extraite de l’annexe 1 a) de la Colombie montrant que, lorsque le navire colombien est arrivé sur le lieu des événements le 11 décembre 2018 (avant l’aube), des membres des forces nicaraguayennes lourdement armés étaient montés à bord de l’Observer et en avaient pris le contrôle.
51. Bien entendu, le Nicaragua ne fait pas mention de ces faits, alors qu’il s’agit de l’un des moments les plus dangereux des événements concernant l’Observer. La raison de ce silence tient à ce que les éléments de preuve démontrent que l’Antioquia ne tentait en aucun cas de faire quoi que ce soit d’autre que d’approcher la zone pour vérifier la situation de l’Observer et d’entrer en contact avec des membres des forces armées nicaraguayennes. En réponse à quoi le Nicaragua n’a toutefois rien eu de moins qu’une réaction injustifiée et indisciplinée dont seule la compétence de la marine colombienne a permis d’éviter les dangereuses conséquences. Cette tentative des officiers nicaraguayens de créer une collision entre l’Observer et le navire colombien constituait une violation du règlement international pour prévenir les abordages en mer (le règlement COLREG)59 et atteste clairement d’un mépris pour la vie humaine et la sécurité en mer.
52. A partir de ce moment, les forces navales nicaraguayennes ont continué de se comporter de façon agressive envers le navire colombien. La Colombie exposera ce comportement de manière détaillée, conformément à la réalité des faits.
d) Les membres des forces navales nicaraguayennes ont délibérément manoeuvré le Tayacán de manière à provoquer une collision entre l’Observer et l’Antioquia
53. Le 11 décembre, à 6 h 30 environ, pour des raisons obscures, les moteurs et le gouvernail de l’Observer ont cessé de fonctionner, immobilisant le navire60. Vers 7 h 00, le Tayacán a commencé à remorquer l’Observer pour l’emmener jusqu’à un port nicaraguayen61.
54. Le Nicaragua affirme que, pendant que le Tayacán remorquait l’Observer, le navire de la marine colombienne Antioquia «s’est comporté de manière délibérément hostile en vue d’empêcher le transfert de l’Observer jusqu’à un port nicaraguayen … , allant jusqu’à heurter le Tayacán à deux reprises et l’Observer à quatre reprises»62. Toutefois, comme il est expliqué ci-après, les éléments de preuves produits par le Nicaragua ainsi que ceux fournis par la Colombie montrent précisément que c’est au contraire le navire nicaraguayen qui, en l’absence de toute provocation, s’est livré à des actes dangereux.
59 Règlement international de 1972 pour prévenir les abordages en mer (règlement COLREG).
60 Colombie, annexe 9.
61 Ibid.
62 Note du Nicaragua, réf. HOL-EMB-098-2019, p. 2.
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55. Pour prouver ses allégations, le Nicaragua a produit une vidéo censée montrer l’Antioquia heurtant l’Observer alors que celui-ci était remorqué par le Tayacán63. Or, aucune collision entre les navires colombien et nicaraguayen n’apparaît sur cette vidéo, dans laquelle on voit simplement l’Antioquia et le navire hondurien Observer s’entrechoquer légèrement (et non se percuter ou entrer en collision) à cause des manoeuvres dangereuses auxquelles se livre le Nicaragua au cours de l’opération de remorquage, comme on le verra plus loin. En outre, la Colombie ne peut manquer de faire observer à la Cour que non seulement la vidéo produite par le Nicaragua64 n’étaye en rien les allégations de ce dernier, mais qu’elle a été coupée en neuf endroits au moins65. Ce montage dissimulé et inexpliqué soulève de sérieux doutes quant à la fiabilité de cette vidéo.
56. Pour réfuter la thèse nicaraguayenne, la Colombie soumet sa propre vidéo, qui montre les événements sous un angle complètement différent. Filmée depuis l’Antioquia, cette vidéo montre clairement qu’en remorquant le navire hondurien, le Tayacán a délibérément coupé la route du navire colombien en suivant une trajectoire en «S» de manière à ce que ce dernier vienne heurter l’Observer66, comme le montre la figure ci-dessous.
Figure 5 Illustration des manoeuvres auxquelles se sont livrés les membres des forces navales nicaraguayennes afin de provoquer une collision entre l’Antioquia et l’Observer alors que ce dernier était remorqué par le Tayacán, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube).
63 Ibid., p. 3-4.
64 Nicaragua, annexe 17 k).
65 Ibid., voir à 00:13, 00:18, 00:43, 02:31, 02:42, 04:45, 08:19, 08:57 et 09:18.
66 Video Material Event M/V “Observer”, Colombian perspective of the Nicaraguan towing manoeuvre, 11 décembre 2018 (early morning after dawn), (a) First Video and (b) Second Video (Colombie, annexes 9 et 2).
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57. Ces manoeuvres délibérément dangereuses de la part de membres des forces navales nicaraguayennes sont observables dans la vidéo soumise par le Nicaragua et sont encore plus évidentes dans les vidéos produites par la Colombie, lesquelles ont été filmées depuis le navire colombien67. On y voit les instants précis où l’Observer, remorqué par le Tayacán, a croisé la route de l’Antioquia sans toutefois le heurter. Les captures d’écran ci-dessous, extraites de la vidéo colombienne, montrent les différentes étapes de la manoeuvre nicaraguayenne.
Figure 6 a) Manoeuvre dangereuse effectuée par des membres des forces navales nicaraguayennes lors du remorquage de l’Observer, telle qu’observée depuis l’Antioquia, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube) (capture d’écran extraite de l’annexe 2 a) soumise par la Colombie).
Figure 6 b) Manoeuvre dangereuse effectuée par des membres des forces navales nicaraguayennes lors du remorquage de l’Observer, telle qu’observée depuis l’Antioquia, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube) (capture d’écran extraite de l’annexe 2 b) soumise par la Colombie).
Figure 6 c) Manoeuvre dangereuse effectuée par des membres des forces navales nicaraguayennes lors du remorquage de l’Observer, telle qu’observée depuis l’Antioquia, le 11 décembre 2018 (au petit matin, après l’aube) (capture d’écran extraite de l’annexe 2 b) soumise par la Colombie).
67 Colombie, annexe 2 a) et b).
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58. Il est donc évident que, contrairement à ce que prétend le Nicaragua, le navire colombien n’a pas tenté de heurter l’Observer. Au contraire, les vidéos colombiennes et les images ci-dessus prouvent que le navire nicaraguayen a délibérément remorqué le navire hondurien Observer de manière que celui-ci coupe la route du navire colombien et le percute. L’Antioquia a heureusement réussi à manoeuvrer de sorte à éviter un regrettable incident.
59. La tentative du Nicaragua de provoquer une collision entre l’Observer et le navire colombien témoigne, une fois de plus, de son mépris flagrant pour les vies humaines et la sécurité en mer. Les allégations du demandeur selon lesquelles l’Antioquia aurait délibérément percuté l’Observer sont fausses et, comme il a été expliqué plus haut, constituent simplement une tentative de sa part d’inventer des faits à l’appui de son argumentation contre la Colombie en l’espèce.
60. La Colombie ayant réfuté l’affirmation du Nicaragua selon laquelle le navire colombien aurait heurté l’Observer, elle va à présent traiter de l’allégation selon laquelle l’Antioquia aurait également percuté le Tayacán.
e) Contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua, le Tayacán a été endommagé lorsqu’il a délibérément percuté l’Observer pour l’empêcher de fuir, ainsi qu’il ressort des éléments de preuve produits par la Colombie
61. Il est à noter qu’aucun des éléments de preuve fournis par le Nicaragua ne démontre que les dommages qu’aurait subis le Tayacán auraient été causés par l’Antioquia. Même la vidéo soumise par le demandeur ne montre aucune «collision» entre les navires colombien et nicaraguayen, contrairement à ce qu’il prétend.
62. A l’appui de son affirmation selon laquelle le navire colombien aurait heurté le Tayacán, le Nicaragua a soumis huit photos montrant les dommages subis par le navire nicaraguayen68. Toutefois, comme il sera expliqué ci-après, ce dernier a été endommagé lorsqu’il a percuté l’Observer à plusieurs reprises alors que celui-ci tentait de prendre la fuite.
63. Dans des circonstances non encore éclaircies, le 11 décembre en fin de matinée, les officiers nicaraguayens ont quitté l’Observer pour retourner à bord du Tayacán69. Peu après, l’équipage de l’Observer a sollicité l’aide de l’Antioquia, dénonçant une tentative d’enlèvement par les officiers du Tayacán70, puis a tenté de redémarrer les moteurs du navire pour échapper à ses ravisseurs nicaraguayens71.
64. Cependant, comme on peut le constater dans les deux vidéos soumises par la Colombie, filmées depuis un navire de pêche qui se trouvait dans les environs au moment des faits, le bâtiment des forces navales nicaraguayennes a poursuivi l’Observer et tenté de l’empêcher de fuir en le percutant à quatre reprises au moins (voir les captures d’écran ci-après ainsi que les vidéos
68 Nicaragua, annexe 17 d).
69 Colombie, annexe 9.
70 Le capitaine de l’Observer a ainsi déclaré : « … nous comptons sur vous [l’Antioquia] pour nous sortir de là ! Ils [le Tayacán] veulent le prendre, ils veulent le prendre, c’est pratiquement un enlèvement ! A vous». Communication No. 1 between the M/V “Observer” and the ARC-53 “Antioquia”, 11 décembre 2018 (late morning), (i) transcript and (ii) audio (Colombie, annexe 4 a)).
71 Communication No 2 between the M/V “Observer” and the ARC-53 “Antioquia”, 11 décembre 2018 (late morning), (i) transcript and (ii) audio (Colombie, annexe 4 b)). Voir aussi Colombie, annexe 3 b) et annexe 9.
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correspondantes)72. Ces actes, qui constituent des violations flagrantes du droit international, ont mis en danger la vie des pêcheurs se trouvant à bord de l’Observer et endommagé les deux navires. Ces collisions expliqueraient les dégâts constatés sur le navire nicaraguayen, dont le demandeur accuse la Colombie d’être responsable, et prouvent au contraire que c’est le Nicaragua lui-même, et non la Colombie, qui a provoqué ces dommages73.
Figure 7 Images montrant le Tayacán, clairement identifiable et parfaitement indemne, le 11 décembre 2018 (fin de matinée) après sa prétendue collision avec le navire colombien (capture d’écran extraite de l’annexe 3 a) soumise par la Colombie).
Figure 8 a) Le Tayacán qui, poursuivant l’Observer le 11 décembre 2018 (fin de matinée) pour le récupérer, le percute à plusieurs reprises (capture d’écran extraite de l’annexe 3 b) soumise par la Colombie).
72 Video Material Event M/V “Observer”, recapture of the M/V “Observer” by the Nicaraguan Naval Force, 11 décembre 2018 (late morning), (a) full identification of the Nicaraguan FNN “Tayacán” and (b) collisions from the Nicaraguan FNN “Tayacán” to the M/V “Observer” during recapture (Colombie, annexe 3).
73 Le Nicaragua, qui a soumis trois photos censées montrer les dégâts subis par le navire hondurien côté tribord (Nicaragua, annexe 17 e)), n’a fourni aucune photo du côté bâbord, où le Tayacán a percuté l’Observer comme il est montré dans l’annexe 3 b) produite par la Colombie.
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Figure 8 b) Le Tayacán le 11 décembre 2018 (fin de matinée), percutant l’Observer à quatre reprises pour tenter de le récupérer (captures d’écran extraites de l’annexe 3 b) soumise par la Colombie).
65. En résumé, le Nicaragua a totalement dénaturé les faits. Contrairement à ce qu’il affirme, rien ne prouve que le navire colombien se soit jamais comporté de manière hostile à l’égard du navire nicaraguayen ou de l’Observer. Au contraire, il ressort des éléments de preuve que c’est le Nicaragua qui s’est livré à des actes illicites, endommageant tant le Tayacán que l’Observer. La version des faits présentée par le demandeur, qui est tout simplement fausse, constitue une tentative peu convaincante de faire croire à la Cour que les dommages subis par l’Observer et par le navire nicaraguayen ont été causés par la Colombie, alors même qu’en réalité, si le Tayacán a subi de quelconques dégâts, c’est parce qu’il est allé percuter l’Observer à plusieurs reprises.
66. A la lumière de ce qui précède, l’événement concernant l’Observer ne constitue aucunement une violation par la Colombie des droits souverains ou des espaces maritimes du Nicaragua. Il montre au contraire que le demandeur a commis des actes illicites ⎯ à l’encontre d’un Etat tiers en portant illicitement atteinte à la liberté de navigation de l’Observer, ainsi qu’à l’encontre de la Colombie en l’empêchant d’exercer ses droits de pêche dans ses propres eaux et les droits qui sont les siens en vertu de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Il met également en évidence le comportement illicite du Nicaragua, qui a tenté de percuter les navires colombien et hondurien, et sa détermination à inventer un «incident» impliquant la Colombie et à dénaturer les faits en vue d’étayer son argumentation contre cette dernière.
2. L’événement impliquant le navire de recherche mexicain Jorge Carranza Fraser
67. Dans les documents qu’il a présentés, le Nicaragua se réfère à un autre «incident nouveau», affirmant que la Colombie a intercepté à deux reprises le navire de recherche mexicain Jorge Carranza Fraser dans les eaux nicaraguayennes, près des eaux colombiennes, et lui a enjoint de quitter la zone, une première fois le 6 octobre 2018 puis de nouveau le 8 octobre 201874.
74 Nicaragua, note réf. HOL-EMB-098-2019, p. 1.
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68. A l’appui de ses allégations, le Nicaragua a produit dix annexes qui prouvent, selon lui, que ses droits souverains et espaces maritimes ont été violés par la Colombie. Or un examen minutieux des documents nouveaux qu’il a présentés à la Cour, ainsi que de ceux fournis par la Colombie, permet de constater qu’aucune violation de cette sorte n’a jamais été commise.
69. A titre préliminaire, il est à noter que le Jorge Carranza Fraser est un navire battant pavillon mexicain affilié à l’institut national des pêches du Mexique (dont le sigle est «INAPESCA» en espagnol). Ainsi, même s’il était vrai (quod non) que la Colombie avait fait obstacle à la navigation ou aux activités de ce navire, il reste que le Nicaragua n’est pas l’Etat du pavillon et que ni le Mexique ni l’INAPESCA n’a jamais adressé de communication à la Colombie pour protester contre une quelconque entrave aux activités de ce navire. De toute évidence, ni le Mexique ni l’INAPESCA ne considère qu’une violation a été commise. On voit donc difficilement comment les droits souverains du Nicaragua auraient pu être violés dans ces conditions.
70. Le Nicaragua cite, comme élément de preuve, un permis de pêche scientifique autorisant le Jorge Carranza Fraser à mener un projet de recherche dans les zones «caraïbe et pacifique des eaux nicaraguayennes»75. Il s’agit simplement d’une autorisation de conduire certaines activités, délivrée par le Nicaragua au navire d’un pays tiers, qui ne prouve nullement que la Colombie a fait obstacle à la navigation ou aux activités de ce navire.
71. Parmi les éléments de preuve produits par le Nicaragua figurent également deux notes diplomatiques adressées à la Colombie. La première, en date du 15 novembre 2018, se contente d’affirmer ⎯ plus d’un mois après les faits ⎯ qu’un événement s’est produit le 6 octobre 2018. La seconde, envoyée le 18 décembre 2018, semble porter sur un autre événement qui aurait eu lieu le 8 octobre 201876, date dont le Nicaragua ne paraît pas certain puisqu’il écrit « … le samedi 8 octobre 2018 de cette année, entre 3 h 00 et midi … »77, alors même que le huitième jour du mois d’octobre 2018 était un lundi et non un samedi. Il est néanmoins évident que ces notes diplomatiques ne constituent en aucun cas une preuve directe d’une violation par la Colombie des droits souverains du Nicaragua.
72. Le Nicaragua a également produit la copie d’une lettre de l’INAPESCA (Mexique)78, datée du 16 avril 2019, qui décrit la mission du Jorge Carranza Fraser et les résultats de ses recherches dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes, et dont la Colombie n’est pas à même de juger de la véracité. Comme il a été expliqué plus haut, ni l’INAPESCA ni le Mexique n’ont jamais signalé au défendeur un quelconque problème lié au Jorge Carranza Fraser79. Si l’auteur de la lettre indique que ce dernier a effectivement rencontré un patrouilleur d’un Etat tiers, il ne fait toutefois aucune mention de la Colombie, soulignant au contraire le «déroulement, dans les délais prévus, de ces activités [de recherche] conjointes»80. Cette lettre ne prouve donc pas que la Colombie ait fait obstacle à la navigation ou aux activités de ce navire.
75 Nicaragua, annexe 16.
76 Nicaragua, annexe 2.
77 Nicaragua, annexe 1, par. 2.
78 Nicaragua, annexe 12.
79 Nicaragua, annexe 12, par. 4. Il est tout aussi étonnant que le Nicaragua n’ait répondu à la note diplomatique colombienne à ce sujet que près de sept mois plus tard (voir Nicaragua, annexe 7 (9 janvier 2019) et annexe 10 (2 août 2019)).
80 Nicaragua, annexe 12, par. 2.
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73. La Colombie note que le contenu de la lettre contredit à plusieurs reprises les rapports officiels publiés par l’INAPESCA (Mexique) pendant le déroulement des activités du Jorge Carranza Fraser. Dans un communiqué en date du 8 octobre 2018, l’INAPESCA déclarait que le 5 octobre 2018, soit un jour seulement avant le premier événement allégué, le navire avait déjà traversé le secteur de Quitasueño et se trouvait entre Corn Islands (Nicaragua) et l’île d’Albuquerque (Colombie). Il s’ensuit que, le 6 octobre 2018, le navire ne pouvait être là où le Nicaragua le prétend81.
Figure 9 Extrait d’un communiqué de l’INAPESCA publié le 8 octobre 2018 (extrait de l’annexe 13 de la Colombie).
Légende :
Trajet et position du navire le 5 octobre
74. Il est important de relever que dans son communiqué, l’INAPESCA (Mexique) n’indique aucunement que les activités de recherche du navire ont été interrompues par la marine colombienne, comme le prétend le Nicaragua aujourd’hui. Les seules difficultés rencontrées par le navire mexicain au cours de sa navigation, selon ce communiqué, ont été des «conditions météorologiques défavorables»82 et des problèmes liés «à la configuration des fonds marins»83. Aucune violation d’un quelconque droit n’est mentionnée.
75. En outre, dans un deuxième communiqué en date du 12 octobre 2018, publié quelques jours à peine après les événements allégués, l’INAPESCA (Mexique) ne fait pas non plus état d’une
81 National Institute of Fisheries and Aquaculture (INAPESCA), Communiqué regarding the Central America Campaign 2018 of the research vessel “Jorge Carranza Fraser”, 8 octobre 2018 (Colombie, annexe 13). Voir aussi Nicaragua, annexe 7.
82 Colombie, annexe 13, par. 2.
83 Ibid.
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quelconque rencontre entre le Jorge Carranza Fraser et la marine colombienne, et encore moins du fait que cette dernière aurait perturbé les activités du navire mexicain84. En d’autres termes, les documents publiés par l’INAPESCA (Mexique) à l’époque ne font état d’aucune entrave à la navigation ou aux activités du navire dont la Colombie aurait été responsable.
76. Le Nicaragua a soumis deux documents censés montrer l’itinéraire de navigation et les sites d’échantillonnage initialement prévus85 et modifiés86 du Jorge Carranza Fraser. L’origine de ces documents étant inconnue, leur fiabilité est sujette à caution. Il semble s’agir de traductions partielles de l’espagnol en anglais, bien que le demandeur n’ait inclus aucun original parmi les annexes soumises. A cet égard, l’article 50 du Règlement de la Cour prévoit pourtant que « … [c]opie du document complet est déposée au Greffe, à moins qu’il n’ait été publié sous une forme qui le rende facilement accessible». Puisqu’aucune copie de cette nature n’a été déposée par le Nicaragua et que l’on ignore si ces documents ont été publiés sous une forme qui les rende facilement accessibles, ils doivent être considérés comme irrecevables ou dépourvus de toute valeur probante.
77. Enfin, le Nicaragua a produit, à titre de preuve de la violation alléguée de ses droits, deux déclarations sous serment faites par des représentants nicaraguayens qui se seraient trouvés à bord du navire mexicain Jorge Carranza Fraser au moment des incidents allégués87. La véracité de ces déclarations sous serment, comme de celles des deux membres d’équipage du navire nicaraguayen Tayacán88 mentionnées plus haut, est fort contestable. Ici encore, a fait office de notaire pour l’établissement de ces deux documents Walner Abraham Molina, ancien membre de l’armée nicaraguayenne ayant récemment pris sa retraite et conseiller juridique en l’affaire, qui a donc évidemment un intérêt dans l’issue de la procédure89.
78. En résumé, contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua, la plupart des documents produits par ce dernier montrent que le navire de recherche mexicain Jorge Carranza Fraser a pu mener ses activités et naviguer dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes sans entrave. Les documents publiés par le Mexique ne font aucune mention de la moindre intervention de la marine colombienne. Si une quelconque interaction a eu lieu entre le Jorge Carranza Fraser et un navire de la marine colombienne, elle n’a de toute évidence pas eu suffisamment d’importance pour mériter une réaction de la part du Mexique ou de l’INAPESCA, et encore moins pour constituer une violation des droits souverains du Nicaragua, d’autant que ce dernier n’était en l’occurrence même pas l’Etat du pavillon.
D. CONCLUSIONS
79. En conclusion, étant donné que les documents nouveaux produits par le Nicaragua se rapportent à des événements qui ont eu lieu après la dénonciation du pacte de Bogotá par la Colombie, la Cour n’est pas compétente pour statuer sur l’allégation du demandeur selon laquelle ces événements constituent une violation de ses droits souverains et espaces maritimes. En tout état de cause, comme il a été démontré, ces documents ne prouvent nullement que la Colombie ait commis une telle violation. Au contraire, les documents et la vidéo fournis par la Colombie confirment que
84 National Institute of Fisheries and Aquaculture (INAPESCA), Communiqué regarding the Central America Campaign 2018 of the research vessel “Jorge Carranza Fraser”, 12 octobre. 2018 (Colombie, annexe 14).
85 Nicaragua, annexe 15 a).
86 Nicaragua, annexe 15 b).
87 Nicaragua, annexes 13 et 14.
88 Nicaragua, annexe 17 a) et b).
89 Colombie, annexe 12 (voir aussi Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 8).
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celle-ci n’a commis aucune violation de cette nature et que, s’agissant de l’incident concernant l’Observer en particulier, le Nicaragua a totalement dénaturé les faits.
80. Il ressort des éléments de preuve produits par le Nicaragua et la Colombie que :
i) le Nicaragua a violé le droit international lorsque son navire, le Tayacán, a intercepté et arraisonné le navire hondurien Observer, qui se rendait de Quitasueño à Serranilla, sous le prétexte fallacieux que ce dernier se livrait à des activités de pêche dans les eaux nicaraguayennes ;
ii) le navire hondurien Observer ne se livrait ni ne s’était livré à aucune activité de pêche dans les eaux nicaraguayennes lorsqu’il a été arraisonné de manière illicite par le Nicaragua ;
iii) les membres des forces navales nicaraguayennes aux commandes de l’Observer, par une manoeuvre dangereuse, irresponsable et illicite qui a mis en danger la vie des membres d’équipage des deux navires, ont tenté de percuter le navire de la marine colombienne Antioquia ;
iv) pendant le remorquage de l’Observer, les membres des forces navales nicaraguayennes ont, par une série de manoeuvres dangereuses, irresponsables et illicites qui a mis en danger la vie des membres d’équipages, délibérément tenté de provoquer une collision entre l’Antioquia et l’Observer ;
v) le navire de la marine colombienne Antioquia a agi conformément au droit international et n’a ni heurté, ni percuté le Tayacán ;
vi) les membres des forces navales nicaraguayennes du Tayacán, ont, par une manoeuvre dangereuse, irresponsable et illicite qui a mis en danger la vie des membres d’équipage des deux navires, intentionnellement percuté l’Observer à quatre reprises au moins pour l’empêcher de fuir, endommageant les deux navires ;
vii) le Jorge Carranza Fraser est un navire de recherche mexicain qui menait des activités de recherche dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes au début du mois d’octobre 2018 ;
viii) selon les informations officiellement publiées par l’INAPESCA (Mexique), le navire de recherche mexicain Jorge Carranza Fraser a pu mener à bien sans difficulté ses activités dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes les 6 et 8 octobre 2018 ;
ix) le Mexique n’a formulé aucune plainte auprès de la Colombie concernant une quelconque entrave à ses activités.
81. Tous ces éléments conduisent à la conclusion générale que la Colombie n’a violé ni les droits souverains, ni les espaces maritimes du Nicaragua, et que les demandes de ce dernier reposent sur des allégations infondées et tout simplement fausses. Les éléments de preuve produits non seulement par la Colombie mais également par le Nicaragua démontrent au contraire que c’est ce dernier, et non le défendeur, qui a agi au mépris du droit international.
82. En outre, comme l’a souligné la Colombie dans ses écritures, il est inquiétant de constater que le Nicaragua continue de nourrir une interprétation erronée des libertés de navigation et de survol en partant du principe qu’il jouit d’une souveraineté absolue et exempte de toute restriction sur la
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zone économique exclusive90. Dans sa décision administrative de première instance concernant l’Observer, en date du 8 février 2019, l’INPESCA s’est exprimé en ces termes :
«La présente autorité souligne que, en vertu des normes internationales et de la législation nationale de notre Etat, la marine nicaraguayenne a le droit d’inspecter ou d’arraisonner tout navire se trouvant dans les espaces maritimes du Nicaragua…»91
83. Il est toutefois important de souligner que, contrairement à ce qu’affirme le Nicaragua et en dépit de ses tentatives répétées d’inventer des «incidents» dans le cadre de la présente affaire, les marines nicaraguayenne et colombienne continuent d’entretenir, à ce jour, des relations cordiales. Elles sont régulièrement en contact et travaillent en bonne entente. En outre, à l’invitation de la Colombie, le Nicaragua a participé aux campagnes navales multilatérales «Orión» contre le trafic de drogue. Comme l’a relevé le contre-amiral Ángel Eugenio Fonseca Donaire, commandant en chef des forces navales nicaraguayennes, le 13 août 2019 :
«Nous avons participé aux campagnes navales multilatérales «Orión» contre le trafic de drogue organisées par la Colombie, auxquelles plusieurs pays ont pris part, dans le respect de nos espaces maritimes respectifs.»92
84. Tout récemment encore, le 10 octobre 2019, après que le Nicaragua a demandé à produire des documents nouveaux , il a été annoncé que la campagne multilatérale «Orión IV» avait été menée avec succès dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique, avec la participation conjointe et la collaboration fructueuse et efficace des marines colombienne et nicaraguayenne, aux côtés de 20 autres Etats93.
85. A la lumière de ce qui précède, la République de Colombie exprime encore une fois son inquiétude quant aux tentatives du Nicaragua d’inventer de prétendus «incidents» dans le but d’étayer artificiellement son argumentation contre la Colombie, inquiétude dont elle a déjà fait part au demandeur à plusieurs reprises par la voie diplomatique94.
La Haye, le 16 décembre 2019.
L’agent de la République de Colombie,
Carlos Gustavo ARRIETA PADILLA.
90 Comme l’a déjà relevé la Colombie dans ses écritures (voir contre-mémoire, chap. 3, et duplique, chap. 1).
91 Colombie, annexe 6 (les italiques sont de nous).
92 Speeches at the 39th Anniversary of the Nicaraguan Naval Force, 13 août 2019 (Colombie, annexe 7) (les italiques sont de nous).
93 Colombian Navy, Communiqué regarding the successful completion of new multinational operation against drug trafficking, 10 octobre. 2019 (Colombie, annexe 15).
94 Voir Nicaragua, annexe 7, par. 9 et annexe 8, par. 10 ; Colombie, annexe 5, par. 7.
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Documents nouveaux soumis par la Colombie après la clôture de la procédure écrite

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