Deuxième demande du Kenya tendant à produire de nouveaux documents

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161-20210318-OTH-01-00-EN
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Lettre KEH/LEG/5A VOL. IV (87) en date du 18 mars 2021 adressée au greffier par le coagent du Kenya
[Traduction]
J’ai l’honneur de me référer à l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya) ainsi qu’à nos échanges de correspondance antérieurs.
Le Kenya a déjà fait connaître à la Cour que certains éléments de preuve cruciaux, décisifs pour l’issue du différend, manquaient au dossier. Par lettres des 22 février et 8 juin 2016 adressées au ministre des affaires étrangères et de la promotion des investissements de la Somalie ainsi qu’à l’ambassadeur de Norvège auprès du Royaume des Pays-Bas, dont copie vous avait été communiquée, le Kenya s’était en particulier enquis de la progression des recherches concernant les cartes visées dans la loi somalienne de 1988 sur le droit de la mer, laquelle avait été soumise à la Cour en annexe du mémoire de la Somalie. Selon ladite loi, la frontière maritime de la Somalie est en effet représentée sur ces cartes. Dans sa réponse du 13 mai 2016, la Somalie avait informé la Cour qu’elle n’était «pas parvenue» à «localiser les cartes mentionnées» et que le «Gouvernement somalien continuera[it] à [les] rechercher ..., mais rappel[ait] que la Somalie a[vait] connu une longue guerre civile au cours de laquelle de nombreuses institutions publiques [avaient] été détruites et des archives historiques, notamment certains actes législatifs ..., perdues».
Par lettre du 28 janvier 2021 (réf. AG/CONF/19/153/2 VOL. I), le Kenya a réaffirmé sa position, assurant qu’il poursuivait ses efforts visant à retrouver des éléments de preuve décisifs pour l’affaire, malgré les difficultés dues à la pandémie. Dans sa lettre du 22 février 2021 (réf. AG/CONF/19/153/2 VOL. I), par laquelle il sollicitait l’autorisation de la Cour de déposer de nouveaux éléments de preuve, il a clairement indiqué que les éléments qu’il entendait produire étaient incomplets et qu’il s’efforçait encore de retrouver des éléments supplémentaires.
Dans ce contexte, le Kenya a le plaisir d’informer la Cour que les efforts qu’il a déployés pour retrouver des éléments de preuves cruciaux ont permis de mettre au jour, le 16 mars 2021, le code minier de la République démocratique de Somalie de 1984 (ci-après le «code minier»). Selon lui, il s’agit là d’un élément déterminant qui étaye solidement sa thèse selon laquelle la Somalie a toujours acquiescé au parallèle en tant que frontière maritime.
Le code minier a été promulgué par l’ancien président Siad Barre le 9 janvier 1984, en tant que loi no 7. Ses dispositions pertinentes aux fins de la présente affaire sont les articles 2 et 58. L’article 2 du code minier est ainsi libellé :
«Le présent code minier a pour objectif de conférer à l’Etat la pleine propriété et le contrôle intégral de tous les minéraux
a) situés sur tout territoire terrestre de la République ;
b) situés sous la mer territoriale telle que définie par les lois pertinentes en vigueur.» (Les italiques sont de nous.)
Quant à l’article 58, il se lit comme suit :
«Aux fins de l’octroi de zones en vertu des dispositions de la présente partie, les espaces de la République visés à l’article 2 du présent code seront divisés en différents blocs selon un système de grille, conformément aux règles qu’édictera le ministre. Les blocs devront être de forme rectangulaire, deux de leurs côtés devant suivre un axe nord-sud, sauf lorsque les frontières de la République, d’autres frontières naturelles ou
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les frontières d’autres zones qui font actuellement l’objet d’un permis ou d’une concession l’interdisent.» (Les italiques sont de nous.)
La teneur de l’article 58 précité est parfaitement claire puisque cette disposition
a) prévoit que le pays sera divisé en blocs aux fins de l’octroi de zones devant faire l’objet d’une prospection et d’une exploitation minières ;
b) précise la manière dont ces blocs seront tracés (en forme de rectangle), «sauf lorsque les frontières de la République, d’autres frontières naturelles ou les frontières d’autres zones qui font actuellement l’objet d’un permis ou une concession l’interdisent.» (Les italiques sont de nous) ;
c) reconnaît qu’un bloc, lorsqu’il jouxte un autre Etat, peut ne pas être rectangulaire.
Il est donc reconnu dans le code minier que les côtés pertinents de tel ou tel bloc correspondent à la frontière maritime de la Somalie. Celle-ci a publié des cartes représentant les blocs de concession en 1978, 1986, 1988 et 1991. En 1978, le bloc jouxtant le Kenya (bloc Jorre) a été tracé au moyen de la ligne médiane, conformément au traité anglo-italien de 1924 ainsi qu’à la pratique alors en vigueur consistant à considérer les trois premiers milles marins comme relevant de la juridiction nationale. Or, cette pratique a changé après que le Kenya a déposé sa proclamation de 1979, qui établissait sa frontière maritime avec la Somalie le long du parallèle. A la suite de cette proclamation, la Somalie :
i) a modifié ses blocs pour les aligner sur le parallèle défini par le Kenya en tant que frontière maritime, ainsi que le montrent les cartes présentées en annexe ;
ii) a engagé, en 1981, des négociations avec le Kenya pour mettre un terme à la guerre des shifta en renonçant à toutes ses revendications territoriales contre celui-ci, comme le montre le procès-verbal de la réunion tenue par les présidents de l’époque, Daniel Moi pour le Kenya et Siad Barre pour la Somalie ;
iii) a promulgué le code minier et publié des cartes représentant les blocs alignés sur la frontière établie par le Kenya le long du parallèle, dans le strict respect des dispositions de l’article 58 dudit code ;
iv) a promulgué la loi de 1988, dans laquelle il est admis que la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie suit une «ligne droite».
Le code minier, lu conjointement avec les cartes des blocs publiées par la Somalie, montre clairement que la pratique constante de cet Etat entérine le tracé de la frontière maritime entre les deux Etats tel que revendiqué dans la proclamation kényane de 1979. Ce document permet également de comprendre pourquoi la Somalie, qui a été très active au cours des négociations de la CNUDM, ne s’est pas opposée à la proclamation du Kenya avant 2014. Il convient de relever que, curieusement, ce texte de loi ne figure pas parmi les éléments de preuve que la Somalie a présentés à la Cour. Le Kenya soumet donc ci-joint à la Cour, pour information et examen, les documents suivants :
1) une copie de la loi no 7 du 9 janvier 1984 approuvant et contenant le code minier de la République démocratique de Somalie ;
2) une carte représentant les concessions et les principaux puits de la Somalie en 1988 ;
3) une carte représentant les blocs de la Somalie ;
4) des cartes représentant les blocs de concession somaliens en 1978, 1986, 1988, 1991, et le bloc Jorre en 2009.
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Au vu de la pratique constante qui se dégage de cette loi et de ces cartes, le Kenya est d’avis que les cartes «manquantes» de la loi somalienne de 1988 sur le droit de la mer devraient elles aussi y être conformes. Cette loi décrivait la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya comme «une ligne droite qui s’étend vers la mer depuis la terre, comme elle est illustrée sur les cartes ci-jointes». Le code minier permet aujourd’hui de clarifier la nature de la ligne droite mentionnée dans ce texte.
Le Kenya n’ignore pas le stade auquel se trouve actuellement l’instance et a parfaitement conscience des règles procédurales de la Cour, mais il estime indispensable de soumettre à celle-ci ce nouveau document déterminant, car il s’est toujours attaché à ce qu’elle dispose de l’ensemble des éléments matériels pertinents qui se rapportent à la présente affaire. Il espère que le dépôt de ce nouvel élément  que la Somalie a toujours eu en sa possession mais a choisi d’omettre  permettra d’attester à nouveau de la bonne foi qui était la sienne lorsqu’il a sollicité un report des audiences afin de pouvoir retrouver et consulter des éléments de preuve matériels pertinents à communiquer à la Cour. En tout état de cause, le Kenya présume que la Somalie ne s’opposera pas, dans le souci d’aider la Cour à prendre une décision éclairée et réfléchie, à ce que celle-ci examine ce document.
Veuillez agréer, etc.
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