Demande du Kenya tendant à être autorisé à produire de nouveaux documents et éléments de preuve

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161-20210222-OTH-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Lettre en date du 22 février 2021 adressée au greffier
par l’agent de la République du Kenya
[Traduction]
En ma qualité d’agent de la République du Kenya (ci-après le «Kenya») en l’affaire relative à
la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), j’ai l’honneur de soumettre à la
Cour la présente demande par laquelle le Kenya la prie de l’autoriser à déposer de nouveaux
documents et éléments de preuve en l’affaire (ci-après la «demande»).
Historique de la procédure
1. Le 28 août 2014, la Somalie a introduit une instance devant la Cour contre le Kenya. Le
différend concerne
«l’établissement de la frontière maritime unique séparant la Somalie et le Kenya dans
l’océan Indien et délimitant la mer territoriale, la zone économique exclusive … et le
plateau continental, y compris la partie de celui-ci qui s’étend au-delà de la limite des
200 milles marins».
La Somalie prie la Cour de déterminer le tracé de la frontière maritime unique qui la sépare du Kenya
dans l’océan Indien en délimitant, conformément au droit international, la mer territoriale, la zone
économique exclusive et le plateau continental, et de juger que, par son comportement dans la zone
litigieuse, le Kenya a violé son intégrité territoriale et lui doit réparation.
2. Le 7 octobre 2015, le Kenya a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence et
d’irrecevabilité. Il soutenait notamment que le différend tombait sous le coup de la réserve qu’il avait
émise à la compétence de la Cour, telle qu’énoncée dans la déclaration qu’il avait faite, le 19 avril
1965, en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. L’acceptation par le Kenya de la compétence
de la Cour exclut spécifiquement les «différends au sujet desquels les parties en cause auraient
convenu ou conviendraient d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement»1.
3. Par ailleurs, par lettres en date des 22 février et 29 avril 2016, le Kenya faisait part à la Cour
de ses tentatives visant à retrouver un élément de preuve crucial, à savoir une carte mentionnée dans
la loi maritime somalienne de 1988 comme décrivant la frontière maritime entre les deux Etats. Si la
Somalie a bien communiqué à la Cour sa loi maritime de 1988 dans le cadre de son mémoire, elle
n’a, en revanche, pas joint la carte qui y est mentionnée.
4. Le 2 février 2017, la Cour a rejeté, à la majorité, les exceptions préliminaires
d’incompétence et d’irrecevabilité formulées par le Kenya. Par ordonnance datée du même jour, elle
a fixé au 18 décembre 2017 la nouvelle date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire
du Kenya. Cette pièce a été déposée dans le délai ainsi prescrit.
5. Le 16 novembre 2017, le Kenya a écrit au président de la Cour de l’époque pour demander
que le juge Abdulqawi Ahmed Yusuf, de nationalité somalienne, se récuse en l’affaire. Les raisons
invoquées par le Kenya avaient trait à la participation de l’intéressé, au nom de la Somalie, à la
troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Selon le Kenya, cette participation
1 La déclaration du Kenya (ci-après la «déclaration du Kenya») est citée intégralement à la note de bas de page no 5
du mémoire de la Somalie. Elle a été déposée le 19 avril 1965.
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avait permis au juge Yusuf de prendre connaissance de faits et d’éléments de preuve cruciaux aux
fins de la présente espèce, ce qui le plaçait donc dans une situation de conflit d’intérêts.
6. Par ordonnance datée du 2 février 2018, la Cour a fixé au 18 juin et au 18 décembre de cette
même année la date d’expiration des délais pour le dépôt d’une réplique par la Somalie et d’une
duplique par le Kenya. Ces pièces ont été déposées dans les délais ainsi prescrits.
7. La Cour a ensuite décidé de tenir des audiences en l’affaire du 9 au 13 septembre 2019.
8. Le 3 septembre 2019, le Kenya a prié la Cour de reporter de douze (12) mois les audiences
en l’affaire afin de recruter une nouvelle équipe juridique, étant donné qu’il avait été mis fin aux
services de ses précédents conseils en raison de «circonstances exceptionnelles qui [avaient] rend[u]
impossible toute poursuite de la collaboration avec son [ancienne] équipe juridique». Le Kenya a
également informé la Cour de son intention de verser des éléments de preuve additionnels au dossier
de l’affaire.
9. Par sa décision du 5 septembre 2019, la Cour a reporté les audiences à la semaine du
4 novembre 2019.
10. Le Kenya a alors prié la Cour de revoir sa décision de reporter l’ouverture des audiences
au 4 novembre 2019, au motif qu’un report de cinquante-cinq (55) jours était trop court pour qu’il
puisse constituer une nouvelle équipe juridique conformément à sa loi sur les marchés publics et que
celle-ci puisse procéder à un examen complet des pièces de procédure et se préparer pour les
audiences.
11. Le 30 septembre 2019, la vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président en
l’affaire, a invité les représentants des Parties à une réunion à La Haye le 3 octobre 2019. La réunion
avait été convoquée conformément à l’article 31 du Règlement de la Cour afin de consulter les Parties
sur des questions de procédure et, en particulier, la nouvelle demande du Kenya tendant au report
des audiences.
12. Au cours de cette réunion, le Kenya a réaffirmé sa confiance en la Cour, malgré les
décisions défavorables que celle-ci avait prises à son égard. A ce sujet, il s’est référé à la décision de
la Cour rejetant ses exceptions préliminaires d’incompétence et d’irrecevabilité, au fait que le
juge Yusuf ne se soit pas récusé en l’affaire et à la décision de la Cour de se prononcer sur sa demande
tendant au report des audiences avant de lui accorder la possibilité de répondre aux arguments de la
Somalie, et ce, alors même qu’il en avait promptement exprimé le souhait.
13. A la suite de cette réunion, le greffier a, par lettre datée du 16 octobre 2019, informé les
Parties de la décision de la Cour de reporter les audiences à la semaine du 8 juin 2020. La demande
du Kenya tendant à ce que le juge Yusuf se récuse en l’affaire n’a, en revanche, jamais reçu de
réponse.
14. Par lettre datée du 23 avril 2020, le Kenya a prié la Cour de reporter les audiences en raison
des difficultés que la pandémie de COVID-19 causait à ses préparatifs. Par lettre du 19 mai 2020, le
greffier a informé le Kenya que la Cour avait décidé de reporter les audiences au mois de mars 2021,
«au vu des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19».
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15. Le 25 juin 2020, la Cour a amendé comme suit le paragraphe 2 de l’article 59 de son
Règlement pour prévoir la possibilité de tenir des audiences par liaison vidéo :
«La Cour peut décider, lorsque des raisons sanitaires, des motifs de sécurité ou
d’autres motifs impérieux l’exigent, de tenir tout ou partie des audiences par liaison
vidéo. Les parties sont consultées au sujet de l’organisation de telles audiences.»
16. Le 11 décembre 2020, le Kenya a écrit à la Cour pour lui faire part des difficultés
auxquelles il se heurtait pour se préparer aux audiences en l’affaire, indiquant notamment qu’il ne
lui avait pas été possible, en raison de la pandémie, de tenir à cet effet des réunions avec sa nouvelle
équipe juridique.
17. Par lettre datée du 23 décembre 2020, et sans qu’il soit fait la moindre référence à la lettre
du 11 décembre 2020 par laquelle le Kenya avait fait part à la Cour des difficultés auxquelles il se
heurtait pour préparer les audiences en raison de la situation créée par la pandémie, le greffier a
informé le Kenya que la Cour avait décidé de tenir les audiences de mars 2021 par liaison vidéo.
18. Le 28 janvier 2021, le Kenya a écrit à la Cour pour solliciter un report des audiences au
motif qu’il n’avait pas pu s’y préparer, notamment en raison des difficultés liées à la pandémie de
COVID-19. A la suite d’un échange de correspondance entre les Parties, la Cour a, par une
communication datée du 12 février 2021, décidé de maintenir les audiences aux dates prévues, leur
ouverture étant fixée au 15 mars 2021. Elle n’a pas motivé sa décision de ne pas accéder à la demande
du Kenya.
Raison de la demande
19. Le Kenya formule cette demande en ayant parfaitement conscience de l’état actuel de la
procédure, mais aussi de son droit fondamental de présenter la meilleure défense possible sur cette
question importante. Il soutient que la soumission des éléments de preuve et documents en cause est
nécessaire pour que la Cour dispose d’un dossier factuel complet concernant les relations entre les
Parties relatives à la frontière maritime, ce qui n’est pas le cas actuellement. Autoriser la production
de ces éléments est nécessaire pour veiller à la bonne administration de la justice et à ce que la Cour
ait connaissance de tous les éléments factuels pertinents afin de se prononcer dûment et
équitablement sur la question.
20. La présente demande tendant à produire de nouveaux éléments de preuve s’inscrit dans les
efforts constants que déploie le Kenya pour présenter à la Cour l’ensemble des faits et éléments de
preuve à l’appui de ses demandes. Il convient de relever que, ainsi que cela ressort de l’historique de
la procédure retracé ci-dessus, l’existence d’éléments manquants hautement pertinents était déjà
manifeste au cours de la procédure écrite et a été de nouveau soulignée dans des communications
ultérieures que le Kenya a adressées la Cour. La République de Somalie (ci-après la «Somalie»), tout
en affirmant que la référence faite à une «ligne droite» dans sa loi maritime de 1988 correspondait à
une ligne d’équidistance, a ainsi, en particulier, fort opportunément omis de produire la carte incluse
dans ladite loi2.
2 Voir MS, vol. III, annexe 10, ainsi que les arguments de la Somalie exposés au paragraphe 3.6 du mémoire,
notamment dans la note de bas de page no 62 ; RéS, par. 2.99-2.100 ; voir également CMK, par. 85 et DK, par. 105.
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21. Cette carte, dont la Cour devrait raisonnablement s’attendre à ce que la Somalie la
produise, revêt une importance cruciale puisqu’elle est susceptible de mettre à mal la thèse
somalienne dans son intégralité, «les termes exprès du paragraphe 6 de l’article 4 de la loi somalienne
de 1988 sur le droit de la mer indiqu[a]nt catégoriquement que ce que représente la carte manquante
de la Somalie n’est pas une ligne d’équidistance»3. Or, le Kenya a, dans ses lettres susmentionnées
des 22 février et 29 avril 2016, indiqué à la Cour que cet élément de preuve essentiel était manquant
et qu’il tentait de le retrouver. Dans sa lettre du 3 septembre 2019 dans laquelle il informait la Cour
de la constitution de sa nouvelle équipe juridique, il l’a également avisée de son intention de produire
de nouveaux éléments de preuve. Copie de cette lettre est jointe à la présente pour des raisons de
commodité.
22. C’est dans ce contexte, et depuis le report initial de la procédure orale en septembre 2019,
que le Kenya poursuit ses efforts tendant à retrouver et à présenter à la Cour, à l’appui de ses
demandes, l’ensemble des éléments factuels et probants pertinents. Le fait que tous ces éléments
n’aient pas encore été versés au dossier est un facteur crucial aux fins d’apprécier le bien-fondé de
la requête.
23. En dépit de tous les efforts que le Kenya a déployés, la pandémie de COVID-19 l’a
empêché, ainsi que ses conseillers, de retrouver certains éléments dont il sait qu’ils sont conservés
dans des archives historiques et nationales de par le monde. Cela est abondamment démontré dans la
déclaration de témoin de M. Charles Gurdon, chef de l’équipe de recherche du Kenya, qui figure en
appendice 1 de la présente lettre. La pandémie s’étant déclarée à peu près au moment où il entamait
sa recherche de nouveaux éléments, le Kenya n’a pas été en mesure d’accéder, ou d’accéder
pleinement, à nombre de ces archives, dont il est raisonnablement permis de penser qu’elles
contiennent des preuves matérielles pertinentes aux fins des questions que la Cour est appelée à
trancher en l’espèce. La pandémie de Covid-19 constitue une circonstance exceptionnelle que le
Kenya ne pouvait pas prévoir, de même qu’il ne saurait atténuer ou maîtriser les effets que cette
pandémie a sur sa capacité de retrouver des éléments de preuve pertinents et, partant, d’exposer son
argumentation dans des conditions d’égalité et d’équité.
24. En dépit des difficultés engendrées par la pandémie, le Kenya a tout fait pour rassembler
certains éléments de preuve qu’il juge pertinents et importants pour le règlement, en toute équité, du
présent différend. Quoique ces éléments soient incomplets, il souhaite les présenter à la Cour pour
démontrer sa bonne foi et sa détermination à veiller à ce que celle-ci soit informée comme il se doit
sur les questions en cause.
25. Les efforts de recherche et d’analyse menés par le Kenya lui ont permis d’obtenir
d’importants éléments de preuve ayant trait à des questions essentielles qui opposent les Parties.
Ceux-ci attestent notamment :
i) que, pendant plus de 30 ans, les deux Parties ont agi d’une manière conforme à l’existence
de la frontière longeant le parallèle que revendique le Kenya ;
ii) que le parallèle permet d’aboutir à un résultat équitable en la présente espèce ;
iii) que, dans ses conclusions, la Somalie a appliqué de manière erronée la délimitation en trois
étapes, et ce, à de multiples égards ;
3 DK, par. 105.
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iv) que l’argument de la Somalie selon lequel elle se trouvait dans l’incapacité de protester
contre la revendication kényane d’une frontière longeant le parallèle pendant la guerre civile
somalienne ne tient pas ; et
v) que les griefs de la Somalie concernant la licéité des activités du Kenya dans la zone
maritime aujourd’hui en litige sont infondés.
26. Le Kenya reconnaît que la Somalie aura le droit, le moment venu, de répondre à la totalité
des nouveaux éléments de preuve qu’il demande à produire. Sa demande ne saurait porter préjudice
aux droits procéduraux de la Somalie en la présente instance. De fait, la Somalie a connaissance de
nombre des documents en cause, tels que ceux qui concernent ses rapports avec Soma Oil & Gas. Le
fait de s’assurer que l’arrêt que la Cour rendra soit fondé sur la totalité des éléments de preuve
pertinents — et, partant, échappe à toute critique, tant d’un point de vue procédural que sur le fond —
bénéficiera autant à la Somalie qu’au Kenya.
27. Selon le Kenya, la jurisprudence de la Cour démontre que celle-ci a toujours veillé à
exercer sa fonction judiciaire sur la base d’un dossier factuel complet et à jour4. Cette approche
fondamentale est particulièrement appropriée en la présente espèce, qui a trait à la détermination de
la frontière maritime entre deux Etats souverains, à titre perpétuel et sans possibilité de recours. De
surcroît, l’arrêt de la Cour n’établira pas seulement les droits des Parties, mais il aura aussi une
incidence directe sur les communautés locales qui, depuis des décennies, sont tributaires pour leur
subsistance des zones maritimes en question. La Cour doit donc parvenir à ses conclusions quant à
l’existence et à l’emplacement de la frontière en disposant de l’ensemble des éléments requis. Cet
impératif doit l’emporter sur tout désagrément mineur que pourrait causer à la Somalie le fait de
devoir examiner et traiter des éléments et documents additionnels pertinents et sur tout inconvénient
dû aux aménagements procéduraux qui se révèleront nécessaires.
28. En formulant la présente demande, le Kenya réitère la position qu’il a respectueusement
présentée à la Cour pour la première fois dans sa lettre du 28 janvier 2021 portant la référence
AG/CONF/19/153 VOL.II quant au caractère inapproprié de la tenue d’audiences par liaison vidéo
sur cette question. Ainsi qu’il l’a observé dans ladite lettre,
«tenir une procédure orale sur le fond par liaison vidéo en l’espèce serait hautement
préjudiciable au Kenya et relativement plus favorable à la Somalie. Pour l’essentiel, le
Kenya estime qu’un accord a été conclu entre les deux Etats sur l’existence de la
frontière maritime le long d’un parallèle de latitude dans les années 1970 et 1980, accord
qui a perduré jusqu’à l’introduction de l’instance. En apporter la démonstration à
l’audience exige une présentation complexe de nombreux documents historiques, cartes
et autres éléments qui ne peut se faire par liaison vidéo. Le Kenya souhaite vivement se
présenter devant la Cour pour exposer sa position, mais craint de ne pas disposer des
technologies de haute qualité qui le permettraient et garantiraient la fiabilité de la
connexion Internet depuis Nairobi. Pour qu’il soit en mesure de formuler ses arguments
de manière complète et équitable, il est indispensable que ses conseils soient présents
au Palais de Paix et puissent s’adresser directement et en personne à la Cour, tout en lui
exposant les éléments de preuve visuels avec l’assistance d’un personnel technique lui
aussi présent sur les lieux ; cela ne peut se faire correctement si les conseils et le
personnel d’appui sont dispersés de par le monde.»
4 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 39, par. 58 («les principes généraux régissant la procédure judiciaire exigent que les faits à
retenir dans son arrêt soient ceux qui se sont produits jusqu’à la clôture de la procédure orale sur le fond»).
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29. Le Kenya soutient que la position ci-dessus est également valable en ce qui concerne toute
consultation des Parties par la Cour quant au fond de la présente demande, conformément au
paragraphe 2 de l’article 56 de son Règlement.
Fondement juridique de la demande
30. Le Statut de la Cour confère expressément à celle-ci le pouvoir discrétionnaire d’accepter
que de nouveaux éléments de preuve soient produits après l’expiration du délai initialement fixé à
cet effet5. En vertu de l’article 56 du Règlement de la Cour, les parties ont la faculté de lui présenter
des documents et éléments de preuve nouveaux, y compris après la clôture de la procédure écrite. Le
paragraphe 2 de cet article énonce ainsi que la Cour peut, après avoir entendu les Parties, et
nonobstant l’opposition de l’une d’elles, autoriser la production d’un document nouveau si elle
l’estime nécessaire.
31. L’instruction de procédure IX stipule en outre que la Cour peut autoriser la production de
tout nouveau document après la clôture de la procédure écrite «à condition que ce document lui
paraisse nécessaire et sa production justifiée à ce stade de la procédure». Conformément à cette
disposition, il est souligné dans la présente demande que la production des nouveaux éléments en
cause est nécessaire et qu’elle aurait difficilement pu intervenir plus tôt.
32. La Cour a souligné à maintes reprises que sa mission essentielle consistant à administrer
la justice internationale en pleine connaissance de cause devait prévaloir sur une application stricte
de ses règles procédurales et, plus largement, de sa procédure. Ainsi qu’elle l’a précisé,
«[l]es dispositions du Statut et du Règlement sur la présentation des pièces écrites et des
éléments de preuve visent à assurer une bonne administration de la justice et à permettre
à chaque partie de s’exprimer sur les thèses de l’adversaire dans des conditions d’égalité
et d’équité»6.
33. Bien qu’aucune affaire ne soit identique à une autre, il ressort de la jurisprudence et de la
pratique de la Cour que les demandes telles que la présente ont, par le passé, été accueillies
favorablement. Ainsi, en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits
connexes, le Costa Rica a exprimé le souhait de produire cinq documents nouveaux après le dépôt
par les Parties de leurs écritures, conformément à l’article 56 du Règlement de la Cour. En dépit de
l’objection formulée par le Nicaragua à cet égard, la Cour a décidé d’«autoriser la production de
quatre des cinq documents …, étant entendu que le Nicaragua aurait la possibilité … de présenter
par la suite des observations à leur sujet et de soumettre des documents à l’appui de ces
observations»7.
34. En l’affaire de la Mer Noire, la Cour a, malgré les objections de l’Ukraine, autorisé la
Roumanie à produire un document nouveau après la clôture de la procédure écrite, conformément à
5 Statut de la Cour, art. 52.
6 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 26, par. 31.
7 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 220, par. 8.
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l’article 56 de son Règlement, après que le demandeur lui eut fourni des explications justifiant que
cela était nécessaire8.
35. De fait, il est bien établi que la Cour fait montre de souplesse en ce qui concerne ses propres
délais et procédures lorsque l’intérêt de la justice le commande, et qu’elle dispose à cet égard d’un
large pouvoir discrétionnaire qui va même jusqu’à lui permettre de rouvrir la procédure orale si elle
le juge nécessaire9. Cela reflète l’idée énoncée pour la première fois par la devancière de la Cour,
selon laquelle, aux fins de la bonne administration de la justice, «la solution d’un différend
international tel que le présent ne saurait principalement dépendre d’un point de procédure»10, mais
doit être fondée sur les positions des Parties, exprimées par des éléments rendant compte des faits de
manière exhaustive.
Les documents et éléments nouveaux
36. La présente demande comprend les éléments suivants, soumis à l’examen de la Cour :
i) la déclaration de témoin de M. Charles Gurdon, chef de l’équipe de recherche du Kenya
(appendice 1) ;
ii) un document de trois-cent-quinze (315) pages expliquant la nature et à la pertinence des
éléments nouveaux (appendice 2) ;
iii) la liste des nouveaux documents et éléments de preuve (la «liste des annexes») ; et
iv) deux clés USB, destinées au Greffe, comportant des exemplaires électroniques de la
demande, de l’appendice 1 (déclaration de témoin), de l’appendice 2 (explications), de la
liste des annexes et des annexes proprement dites.
37. Pour les raisons exposées ci-dessus, le Kenya prie respectueusement la Cour d’accéder à
sa demande tendant à produire de nouveaux éléments et documents.
38. Le Kenya demeure résolu à ce que la question pendante soit tranchée en toute équité et
dans des conditions raisonnables offrant à chacune des Parties une possibilité réelle de présenter ses
arguments de manière exhaustive.
Veuillez agréer, etc.
___________
8 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 65, par. 8.
9 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 468, par. 34.
10 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 155.

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