Résumé de l'arrêt du 18 décembre 2020

Document Number
171-20201218-SUM-01-00-EN
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2020/5
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org Compte Twitter : @CIJ_ICJ Chaîne YouTube : CIJ ICJ
Page LinkedIn : Cour internationale de Justice (CIJ)
Résumé
Non officiel
Résumé 2020/5
Le 18 décembre 2020
Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela)
Rappel de la procédure (par. 1-22)
La Cour rappelle que, le 29 mars 2018, le Gouvernement de la République coopérative du Guyana (dénommée ci-après le «Guyana») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République bolivarienne du Venezuela (dénommée ci-après le «Venezuela») au sujet d’un différend concernant «la validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 relative à la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela» (dénommée ci-après la «sentence de 1899» ou la «sentence»). Dans sa requête, le Guyana entend fonder la compétence de la Cour, en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour, sur le paragraphe 2 de l’article IV de l’«accord tendant à régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique» signé à Genève le 17 février 1966 (ci-après l’«accord de Genève»). Il explique que, conformément à cette dernière disposition, le Guyana et le Venezuela «ont convenu de conférer au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le pouvoir de choisir le moyen de règlement du différend [et que] celui-ci en a fait usage le 30 janvier 2018, optant pour le règlement judiciaire par la Cour».
Le 18 juin 2018, le Venezuela a indiqué qu’il considérait que la Cour n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire et a annoncé qu’il ne prendrait pas part à l’instance. La Cour a estimé que, dans les circonstances de l’espèce, il était en premier lieu nécessaire de régler la question de sa compétence et que, en conséquence, elle devrait statuer séparément, avant toute procédure sur le fond, sur cette question.
I. INTRODUCTION (PAR. 23-28)
La Cour exprime, à titre liminaire, son regret face à la décision prise par le Venezuela de ne pas prendre part à la procédure devant elle. La non-comparution d’une partie comporte à l’évidence des conséquences négatives pour une bonne administration de la justice. En particulier, la partie non comparante se prive de l’occasion d’apporter des preuves et des arguments à l’appui de sa propre cause et de contester les allégations de la partie adverse. La Cour ne bénéficie donc pas de l’aide que ces informations auraient pu lui apporter, alors même qu’il lui faut poursuivre son examen et formuler toutes conclusions nécessaires en l’affaire.
- 2 -
La Cour souligne que la non-participation d’une partie à la procédure ou à une phase quelconque de celle-ci ne saurait en aucun cas affecter la validité de son arrêt, tout en rappelant que, si l’examen de la présente affaire devait se poursuivre au-delà de la phase actuelle, le Venezuela, qui demeure partie à l’instance, pourra, s’il le souhaite, comparaître devant la Cour pour présenter ses arguments.
La Cour explique par ailleurs que, bien qu’officiellement absentes, les parties non comparantes soumettent parfois des lettres et des documents à la Cour par des voies et moyens non prévus par son Règlement. Elle précise que, en l’espèce, le Venezuela lui a adressé un mémorandum, qu’elle indique prendre en considération, dans la mesure où elle l’estime approprié en vue de s’acquitter de l’obligation que lui impose l’article 53 de son Statut de s’assurer de sa compétence pour connaître de la requête.
II. CONTEXTE HISTORIQUE ET FACTUEL (PAR. 29-60)
La Cour en vient ensuite au contexte historique et factuel de l’affaire. Elle rappelle à cet égard que, situé dans la partie nord-est de l’Amérique du Sud, le Guyana jouxte, à l’ouest, le Venezuela. A l’époque où le différend porté devant elle a pris naissance, le Guyana était encore une colonie britannique connue sous le nom de Guyane britannique. Il a obtenu son indépendance du Royaume-Uni le 26 mai 1966. La Cour explique ensuite que le différend entre le Guyana et le Venezuela s’inscrit dans une série d’événements remontant à la seconde moitié du XIXe siècle qu’elle décrit tour à tour.
A. Le traité de Washington et la sentence de 1899 (par. 31-34)
La Cour rappelle que, au XIXe siècle, le Royaume-Uni et le Venezuela ont tous deux revendiqué le territoire qui comprenait la zone située entre l’embouchure du fleuve Essequibo à l’est et l’Orénoque à l’ouest.
Dans les années 1890, les Etats-Unis d’Amérique ont encouragé les deux parties à soumettre leurs revendications territoriales à un arbitrage contraignant. Les échanges entre le Royaume-Uni et le Venezuela ont finalement abouti à la signature, à Washington, d’un traité d’arbitrage dénommé «Traité entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis du Venezuela relatif au règlement de la question de la frontière entre la colonie de la Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela» (ci-après le «traité de Washington»), le 2 février 1897.
Le tribunal arbitral constitué en vertu de ce traité a rendu sa sentence le 3 octobre 1899. Cette décision accordait la totalité de l’embouchure de l’Orénoque ainsi que les terres situées de part et d’autre de celle-ci au Venezuela et attribuait au Royaume-Uni les terres se trouvant à l’est jusqu’à l’Essequibo. L’année suivante, une commission mixte ad hoc, composée de représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, a été chargée de réaliser la démarcation de la frontière établie par la sentence de 1899. Elle s’est acquittée de sa tâche entre novembre 1900 et juin 1904. Le 10 janvier 1905, à l’issue de la démarcation de la frontière, les commissaires britanniques et vénézuéliens ont établi une carte officielle du tracé de la frontière et signé un accord reconnaissant, entre autres, l’exactitude des coordonnées des points énumérés.
- 3 -
B. Le rejet de la sentence de 1899 par le Venezuela et la recherche d’un règlement du différend (par. 35-39)
La Cour expose que, le 14 février 1962, le Venezuela a fait savoir au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies qu’il considérait qu’il existait un différend entre lui et le Royaume-Uni «concernant la démarcation de la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique», que la sentence de 1899 avait été «le fruit d’une transaction politique conclue dans le dos du Venezuela et sacrifiant ses droits légitimes» et qu’il ne saurait donc reconnaître cette sentence.
Le Gouvernement du Royaume-Uni a quant à lui affirmé que «la frontière occidentale entre la Guyane britannique et le Venezuela a[vait] été définitivement fixée par la sentence annoncée par le tribunal arbitral le 3 octobre 1899», et qu’il ne saurait «admettre le moindre différend sur la question tranchée par la sentence». Il s’est toutefois déclaré ouvert à des discussions, par la voie diplomatique.
Le 16 novembre 1962, avec l’assentiment des représentants du Royaume-Uni et du Venezuela, le président de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies a annoncé que les gouvernements des deux Etats (celui du Royaume-Uni agissant avec le plein accord de celui de la Guyane britannique) s’engageraient dans l’examen du «matériau documentaire» se rapportant à la sentence de 1899 (ci-après l’«examen tripartite»). Cet examen tripartite a duré de 1963 à 1965. Il s’est achevé le 3 août 1965 avec l’échange de rapports d’expertise. Alors que les experts du Venezuela continuaient de considérer que la sentence était nulle et non avenue, ceux du Royaume-Uni estimaient qu’il n’existait aucune preuve à l’appui de cette position. Réunies à Londres en décembre 1965 pour discuter d’un règlement du différend, les parties ont chacune maintenu leur position sur la question.
C. La signature de l’accord de Genève de 1966 (par. 40-44)
La Cour rappelle ensuite que, après l’échec des discussions tenues à Londres, les trois délégations se sont réunies de nouveau à Genève en février 1966 et qu’elles sont parvenues le 17 février 1966 à la signature de l’accord de Genève, dont les textes anglais et espagnol font foi. Le 26 mai 1966, ayant accédé à l’indépendance, le Guyana est devenu partie à l’accord de Genève, aux côtés du Gouvernement du Royaume-Uni et du Gouvernement du Venezuela.
L’accord de Genève prévoit en premier lieu la constitution d’une commission mixte pour tenter de régler le différend entre les parties (articles I et II). Le paragraphe 1 de l’article IV dispose ensuite que, en cas d’échec de cette commission, les Gouvernements du Guyana et du Venezuela devront choisir un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Enfin, conformément au paragraphe 2 de l’article IV, en cas de désaccord entre ces gouvernements, le choix du moyen de règlement devra être fait par un organisme international compétent sur lequel celles-ci se mettront d’accord, ou, à défaut, par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
D. La mise en oeuvre de l’accord de Genève (par. 45-60)
1. La commission mixte (1966-1970) (par. 45-47)
La commission mixte a été établie en 1966, en application des articles I et II de l’accord de Genève. Durant son mandat, les représentants du Guyana et du Venezuela se sont réunis à plusieurs reprises. La commission mixte est toutefois parvenue au terme de son mandat en 1970 sans avoir abouti à une solution.
- 4 -
2. Le protocole de Port of Spain de 1970 et le moratoire institué (par. 48-53)
Aucune solution n’ayant ainsi été trouvée dans le cadre de la commission mixte, il revenait au Venezuela et au Guyana de choisir l’un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, en application de l’article IV de l’accord de Genève. Cependant, face aux désaccords entre les Parties, un moratoire sur le processus du règlement du différend, énoncé dans un protocole à l’accord de Genève (le «protocole de Port of Spain»), a été adopté le 18 juin 1970, soit le jour même où la commission mixte remettait son rapport final. L’article III du protocole prévoyait la suspension de l’application de l’article IV de l’accord de Genève aussi longtemps que le protocole demeurerait en vigueur. Le protocole devait, en vertu de son article V, rester en vigueur pendant une période initiale de douze ans, laquelle pouvait être ensuite renouvelée.
En décembre 1981, le Venezuela a fait part de son intention de dénoncer le protocole de Port of Spain. En conséquence, l’article IV de l’accord de Genève a recommencé à s’appliquer dès le 18 juin 1982.
En application du paragraphe 1 de l’article IV de l’accord de Genève, les Parties ont tenté de se mettre d’accord sur le choix d’un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte. Elles n’y sont cependant pas parvenues dans le délai de trois mois prescrit par le paragraphe 2 de ce même article. Elles ne sont pas non plus parvenues à s’entendre sur la désignation d’un organisme international compétent chargé de choisir le moyen de règlement, comme le prévoyait le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.
En conséquence, les Parties sont passées à l’étape suivante, s’en remettant au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies quant au choix du moyen de règlement.
Après avoir été saisi par les Parties, le Secrétaire général, M. Javier Pérez de Cuéllar, a, par une lettre du 31 mars 1983, accepté de s’acquitter de la responsabilité dont il était investi conformément au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.
Après que l’un de ses représentants a tenu des réunions et discussions avec les Parties, le Secrétaire général a choisi, au début de l’année 1990, la procédure des bons offices comme moyen de règlement approprié.
3. De la procédure des bons offices (1990-2014 et 2017) à la saisine de la Cour (par. 54-60)
Entre 1990 et 2014, la procédure des bons offices a été dirigée par trois représentants personnels nommés par les Secrétaires généraux successifs. Durant cette période, des rencontres ont été organisées régulièrement entre les représentants des deux Etats et le Secrétaire général.
En septembre 2015, le Secrétaire général a organisé une rencontre avec les chefs d’Etat du Guyana et du Venezuela, avant d’établir, le 12 novembre 2015, un document dans lequel il informait les Parties que, «[à] supposer qu’aucune solution pratique au différend ne soit trouvée avant la fin de son mandat, [il avait] l’intention d’engager le processus d’obtention d’une décision finale et contraignante de la Cour internationale de Justice».
Le Secrétaire général a annoncé, en décembre 2016, avoir décidé de poursuivre la procédure des bons offices pendant une année supplémentaire.
Après avoir pris ses fonctions le 1er janvier 2017, le nouveau Secrétaire général, M. António Guterres, a, conformément à la décision de son prédécesseur, reconduit la procédure des bons offices pour une dernière année. Dans des lettres du 30 janvier 2018 adressées à chacune des Parties, le Secrétaire général a indiqué avoir «soigneusement analysé l’évolution de la procédure des bons offices au cours de l’année 2017» et a annoncé que, «aucun progrès significatif n’ayant été
- 5 -
réalisé en vue d’un accord complet sur le règlement du différend», il avait «retenu la Cour internationale de Justice comme prochain moyen d’atteindre cet objectif».
Le 29 mars 2018, le Guyana a déposé sa requête au Greffe de la Cour.
III. INTERPRÉTATION DE L’ACCORD DE GENÈVE (PAR. 61-101)
La Cour rappelle les trois étapes prévues par l’accord de Genève et note que les Parties ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur le choix d’un des moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte, comme le prévoyait le paragraphe 1 de l’article IV de l’accord de Genève. Elles sont ensuite passées à l’étape suivante en s’en remettant, pour ce choix, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, en application du paragraphe 2 de l’article IV dudit accord. La Cour doit donc interpréter cette disposition pour déterminer si, en confiant au Secrétaire général la décision quant au choix d’un des moyens de règlement énoncés à l’article 33 de la Charte, les Parties ont consenti à régler leur différend inter alia par la voie judiciaire. Dans l’affirmative, elle devra déterminer si ce consentement est subordonné à une quelconque condition. Aux fins de l’interprétation du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, la Cour commence par examiner l’emploi du terme «différend» dans cette disposition.
A. Le «différend» au sens de l’accord de Genève (par. 64-66)
En vue de définir le «différend» pour le règlement duquel l’accord de Genève a été conclu, la Cour examine l’usage du terme «controversy» dans le texte anglais de cet instrument, qui fait foi.
La Cour note en particulier que les parties ont, dans le cadre de la conclusion et de la mise en oeuvre de l’accord de Genève, exprimé des vues divergentes quant à la validité de la sentence de 1899 et aux implications de cette question pour leur frontière. L’article I de l’accord de Genève dispose ainsi que la commission mixte avait pour mandat de rechercher des solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du «différend survenu entre le Venezuela et le Royaume-Uni du fait de la position du Venezuela, qui sout[enait] que la sentence arbitrale de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela [était] nulle et non avenue». Cette position du Venezuela s’est heurtée à l’opposition constante du Royaume-Uni, d’abord, pendant la période allant de 1962 à l’adoption de l’accord de Genève, le 17 février 1966, puis du Guyana, lorsque, ayant accédé à l’indépendance, celui-ci est devenu partie à l’accord de Genève, conformément à l’article VIII de cet instrument.
Il s’ensuit, selon la Cour, que l’accord de Genève avait pour objet de rechercher une solution au différend frontalier opposant les parties né de leurs vues divergentes sur la validité de la sentence de 1899. C’est ce qu’indiquent également l’intitulé de l’accord de Genève ⎯ «Accord tendant à régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique» ⎯ et le libellé du dernier alinéa de son préambule. Cette même idée ressort implicitement du paragraphe 1 de l’article V de l’accord de Genève, qui fait référence à la protection des revendications et droits respectifs des parties en matière de souveraineté sur les territoires en litige.
Au terme de son analyse, la Cour conclut que le différend («controversy» en anglais) que les parties sont convenues de régler au moyen du mécanisme établi en vertu de l’accord de Genève concerne la question de la validité de la sentence de 1899 ainsi que ses implications juridiques sur le tracé de la frontière entre le Guyana et le Venezuela.
- 6 -
B. La question de savoir si les Parties ont donné leur consentement au règlement judiciaire du différend en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève (par. 67-88)
La Cour relève que, à la différence d’autres dispositions conventionnelles qui renvoient directement au règlement judiciaire par elle, le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève renvoie à la décision d’une tierce partie quant au choix du moyen de règlement. Elle commence donc par rechercher si les Parties ont conféré à cette tierce partie, en l’occurrence le Secrétaire général, le pouvoir de choisir, par une décision s’imposant à elles, les moyens de règlement de leur différend.
1. La question de savoir si la décision du Secrétaire général revêt un caractère contraignant (par. 68-78)
Pour interpréter l’accord de Genève, la Cour applique les règles en matière d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Bien que cette convention ne soit pas en vigueur entre les Parties et que, en tout état de cause, elle ne soit pas applicable aux instruments conclus avant son entrée en vigueur, tels que l’accord de Genève, la Cour rappelle qu’il est constant que ces articles reflètent des règles de droit international coutumier.
La première phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève énonce que les Parties «shall refer the decision … to the Secretary-General» (en français : «s’en remettront, pour ce choix … au Secrétaire général»). La Cour estime tout d’abord qu’il ressort de ce libellé que les Parties ont pris l’engagement juridique de respecter la décision de la tierce partie à laquelle elles ont conféré ce pouvoir, en l’espèce le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Elle note ensuite que l’objet et le but de l’accord de Genève consistent à garantir le règlement définitif du différend entre les Parties.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les Parties ont conféré au Secrétaire général le pouvoir de choisir, par une décision s’imposant à elles, les moyens à utiliser pour le règlement de leur différend. Cette conclusion est également étayée par la position du Venezuela dans l’exposé des motifs de son projet de loi du 22 juin 1970 ratifiant le protocole de Port of Spain, reconnaissant la possibilité «que la détermination des moyens de règlement du différend échappe aux deux Parties directement intéressées et que la décision revienne à une institution internationale choisie par elles ou, à défaut, au Secrétaire général des Nations Unies». Elle l’est aussi par les circonstances dans lesquelles l’accord de Genève a été conclu. A cet égard, la Cour observe que, dans la déclaration qu’il a faite le 17 mars 1966 devant le Congrès national à l’occasion de la ratification de l’accord de Genève, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, en décrivant les discussions qui avaient eu lieu durant la conférence de Genève, a affirmé que «[l]e seul rôle conféré au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies consist[ait] à indiquer aux parties les moyens de règlement pacifique des différends prévus à l’article 33». Il a également précisé que, après avoir rejeté la proposition britannique consistant à conférer ce rôle à l’Assemblée générale des Nations Unies, «[l]e Venezuela a[vait] ensuite suggéré de confier ce rôle au Secrétaire général».
2. La question de savoir si les Parties ont consenti au choix, par le Secrétaire général, du règlement judiciaire (par. 79-88)
La Cour en vient ensuite à l’interprétation de la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, selon laquelle le Secrétaire général
«choisira un autre des moyens stipulés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés».
- 7 -
Etant donné que le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève fait mention de l’article 33 de la Charte des Nations Unies, lequel comprend le moyen de règlement judiciaire, la Cour estime que les Parties ont accepté l’éventualité que le différend soit réglé par cette voie. Elle est d’avis que, si elles avaient souhaité écarter cette possibilité, les Parties auraient pu le faire durant leurs négociations. Elles auraient également pu, au lieu de mentionner l’article 33 de la Charte, énumérer les moyens de règlement envisagés sans citer le règlement judiciaire, ce qu’elles n’ont pas fait non plus.
La Cour note que, selon le libellé du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, les Parties ont conféré au Secrétaire général le pouvoir de choisir parmi les moyens de règlement des différends prévus à l’article 33 de la Charte «jusqu’à ce que le différend ait été résolu». Elle observe que l’article 33 de la Charte comprend, d’une part, des moyens politiques et diplomatiques, et d’autre part, des moyens juridictionnels tels que l’arbitrage et le règlement judiciaire. La volonté des Parties de régler leur différend de manière définitive ressort du fait que les moyens énumérés incluent l’arbitrage et le règlement judiciaire qui sont, par nature, contraignants. Le membre de phrase «et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu» suggère également que les Parties ont conféré au Secrétaire général l’autorité de choisir le moyen le plus approprié pour résoudre définitivement leur différend. La Cour estime que, en choisissant un moyen menant à la résolution du différend, le Secrétaire général s’acquitte de ses responsabilités au titre du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, conformément au but et à l’objet de cet instrument.
Au regard de l’analyse ci-dessus, la Cour conclut que les moyens de règlement des différends à la disposition du Secrétaire général, auxquels les Parties ont consenti en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, incluent le règlement judiciaire.
La Cour relève ensuite que cette conclusion n’est pas remise en cause par le membre de phrase «ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés» se trouvant au paragraphe 2 dudit article, qui pourrait suggérer que les Parties avaient envisagé l’hypothèse que le choix, par le Secrétaire général, des moyens prévus à l’article 33 de la Charte, lequel comprend le règlement judiciaire, n’aboutisse pas au règlement du différend. Diverses raisons pourraient expliquer qu’une décision judiciaire, revêtue de l’autorité de la chose jugée et clarifiant les droits et obligations des parties, n’aboutisse pas dans les faits à une résolution définitive du différend. Il lui suffit de constater, dans le cas d’espèce, qu’une décision judiciaire qui déclare la sentence de 1899 invalide sans délimiter la frontière entre les Parties pourrait ne pas aboutir à la résolution définitive du différend, ce qui serait contraire à l’objet et au but de l’accord de Genève.
Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que les Parties ont consenti au règlement judiciaire de leur différend.
C. La question de savoir si le consentement donné par les Parties au règlement judiciaire de leur différend en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève est subordonné à une quelconque condition (par. 89-100)
La Cour observe qu’il n’est pas rare que, dans des traités par lesquels elles consentent à un règlement judiciaire de leur différend, les parties assortissent ce consentement de conditions devant être considérées comme en constituant les limites. Elle doit donc à présent rechercher si le consentement des Parties au moyen de règlement judiciaire, tel qu’exprimé au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, est subordonné à certaines conditions.
Constatant que les Parties ne contestent pas que le Secrétaire général est tenu d’établir que les moyens choisis précédemment n’ont pas «m[ené] … à une solution du différend» avant de choisir «un autre des moyens stipulés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies», la Cour interprète seulement les termes de la deuxième phrase de cette disposition, qui prévoit que, si les moyens choisis ne mènent pas à une solution du différend, «le Secrétaire général … choisira un autre des moyens
- 8 -
stipulés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés» (les italiques sont de la Cour).
La Cour doit déterminer si, en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, le consentement des Parties à ce que leur différend soit réglé par la voie judiciaire est subordonné à la condition que le Secrétaire général suive l’ordre dans lequel les moyens sont énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies.
La Cour estime que la lecture de cette disposition dans son sens ordinaire indique que le Secrétaire général est appelé à choisir l’un quelconque des moyens énoncés à l’article 33 de la Charte, sans être tenu, ce faisant, de suivre un ordre particulier.
De l’avis de la Cour, interpréter le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève comme imposant une application successive des moyens, suivant l’ordre dans lequel ils sont énumérés à l’article 33 de la Charte, pourrait se révéler contraire à l’objet et au but de l’accord de Genève, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le recours à certains moyens n’aurait plus de sens si d’autres étaient épuisés. Ensuite, pareille interprétation successive reviendrait à retarder le règlement du différend puisque certains moyens peuvent être moins efficaces que d’autres au regard des circonstances qui entourent le différend entre les Parties. A l’inverse, la souplesse et la latitude laissées au Secrétaire général dans l’exercice du pouvoir de décision qui lui a été conféré contribuent à l’objectif consistant à parvenir à une solution pratique, effective et définitive au différend.
La Cour rappelle également que la Charte des Nations Unies ne requiert pas l’épuisement des négociations diplomatiques comme condition préalable à la décision de recourir au règlement judiciaire.
La Cour note enfin qu’il ressort de leur pratique ultérieure que les Parties ont reconnu que le Secrétaire général n’était pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens de règlement sont énumérés à l’article 33 de la Charte, mais avait le pouvoir de privilégier un moyen par rapport à un autre.
En ce qui concerne la question de la consultation, la Cour est d’avis que rien dans le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève n’impose au Secrétaire général de consulter les Parties avant de choisir un moyen de règlement. Elle relève également que bien que les Secrétaires généraux successifs aient consulté les Parties, il ressort des diverses communications de ceux-ci qu’une telle consultation n’avait pour but que de recueillir des informations de la part des deux Parties afin de choisir le moyen de règlement le plus approprié.
La Cour conclut que, à défaut d’accord entre elles, les Parties ont confié au Secrétaire général, en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, le rôle de choisir l’un quelconque des moyens de règlement énoncés à l’article 33 de la Charte. En choisissant le moyen de règlement, le Secrétaire général n’est pas tenu, en vertu du paragraphe 2 de l’article IV, de suivre un ordre particulier ou de consulter les Parties sur ce choix. Enfin, les Parties sont également convenues de donner effet à la décision du Secrétaire général.
IV. COMPÉTENCE DE LA COUR (PAR. 102-115)
Ainsi que la Cour l’a établi, les Parties ont, en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, accepté l’éventualité que le différend soit réglé par la voie judiciaire. La Cour recherche donc si, en la choisissant comme moyen de règlement judiciaire du différend entre le Guyana et le Venezuela, le Secrétaire général a agi conformément à cette disposition. Dans l’affirmative, il lui faudra déterminer l’effet juridique de la décision prise par le Secrétaire général le 30 janvier 2018 sur la compétence qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut.
- 9 -
A. La conformité de la décision du Secrétaire général du 30 janvier 2018 avec le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève (par. 103-109)
Ayant rappelé le contenu des lettres que le Secrétaire général a adressées le 30 janvier 2018 aux présidents du Guyana et du Venezuela concernant le règlement du différend, la Cour note tout d’abord que, en annonçant qu’il avait retenu la Cour internationale de Justice comme prochain moyen d’atteindre le règlement du différend, le Secrétaire général s’est expressément fondé sur le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève. Elle observe ensuite que cette disposition demande au Secrétaire général, dans le cas où le moyen précédemment retenu ne mène pas à une solution du différend, de choisir un autre des moyens de règlement prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, mais qu’elle ne lui impose pas de suivre un ordre particulier.
La Cour est d’avis que, selon les termes employés au paragraphe 2 de l’article IV, le moyen que le Secrétaire général avait précédemment retenu «n[’a pas] m[ené] à une solution du différend». En 2014, les Parties participaient déjà depuis plus de vingt ans à une procédure de bons offices conduite conformément à l’accord de Genève, sous les auspices de trois représentants personnels désignés par les Secrétaires généraux successifs, en vue de parvenir à un règlement du différend. Dans sa décision du 30 janvier 2018, le Secrétaire général a en conséquence indiqué que, aucun progrès significatif n’ayant été réalisé dans le cadre de la procédure des bons offices en vue d’un accord complet sur le règlement du différend, il avait «retenu la Cour internationale de Justice comme prochain moyen d’atteindre cet objectif» ; ce faisant, il s’est acquitté de la responsabilité qui lui incombait de choisir un autre moyen de règlement parmi ceux énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies.
Bien qu’elle ne soit expressément mentionnée ni au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève ni à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, la Cour, «organe judiciaire principal des Nations Unies» (article 92 de la Charte), constitue un moyen de «règlement judiciaire» au sens de l’article 33. Le Secrétaire général pouvait donc la choisir, sur le fondement du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, en vue de régler, par la voie judiciaire, le différend entre les Parties.
La Cour constate en outre qu’il ressort des circonstances ayant entouré la conclusion de l’accord de Genève, lesquelles comprennent des déclarations ministérielles et des débats parlementaires, que les parties avaient envisagé le recours à la Cour internationale de Justice durant leurs négociations.
Au vu de ce qui précède, la Cour est d’avis que, en concluant l’accord de Genève, les deux Parties ont accepté l’éventualité que, en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de cet instrument, le Secrétaire général puisse, pour régler le différend, choisir le règlement judiciaire par la Cour internationale de Justice comme l’un des moyens prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. La décision du Secrétaire général du 30 janvier 2018 a donc été prise conformément aux termes du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.
La Cour observe que le fait que le Secrétaire général ait demandé au Guyana et au Venezuela, s’ils le souhaitaient, de «tenter de régler le différend par la voie de négociations directes, parallèlement à une procédure judiciaire», et offert ses bons offices à cet effet n’a aucune incidence sur la conformité de la décision avec le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève. Elle a précisé par le passé que les démarches parallèles tendant à régler un différend par des moyens diplomatiques ne faisaient nullement obstacle à ce que celui-ci soit examiné par elle. En la présente espèce, le Secrétaire général a simplement rappelé aux Parties que les négociations constituaient un moyen de règlement auquel elles pouvaient continuer de recourir une fois la Cour saisie du différend.
- 10 -
B. L’effet juridique de la décision du Secrétaire général du 30 janvier 2018 (par. 110-115)
La Cour examine ensuite l’effet juridique de la décision du Secrétaire général sur sa compétence, qui, aux termes du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut, «s’étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu’à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur».
La Cour rappelle que «sa compétence repose sur le consentement des parties, dans la seule mesure reconnue par celles-ci».
La Cour ⎯ tout comme sa devancière ⎯ a déjà observé dans plusieurs affaires que le consentement des parties à sa compétence n’était pas soumis à l’observation d’une forme déterminée. En conséquence, le Statut de la Cour ne fait nullement obstacle à ce que le consentement des Parties soit exprimé par le biais du mécanisme établi au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.
La Cour rappelle qu’elle doit toutefois s’assurer qu’il existe une manifestation non équivoque de la volonté des parties au différend d’accepter de manière volontaire et indiscutable sa compétence.
La Cour explique que le Venezuela soutient que l’accord de Genève ne suffit pas en soi pour fonder sa compétence et que le consentement ultérieur des Parties est requis, quand bien même elle aurait été retenue par le Secrétaire général comme moyen de règlement judiciaire. Or, le fait de subordonner la mise en oeuvre d’une décision prise par celui-ci en vertu du pouvoir que lui confère le paragraphe 2 de l’article IV de cet instrument à un nouveau consentement des Parties priverait la décision du Secrétaire général d’effet. De plus, toute interprétation du paragraphe 2 de l’article IV qui subordonnerait la mise en oeuvre de la décision du Secrétaire général à un nouveau consentement des Parties serait contraire à cette disposition, ainsi qu’à l’objet et au but de l’accord de Genève, qui consistent à garantir le règlement définitif du différend, puisque cela donnerait à l’une ou l’autre des Parties le pouvoir de retarder indéfiniment un tel règlement en refusant son consentement.
Pour l’ensemble de ces raisons, la Cour conclut que, en conférant au Secrétaire général l’autorité de choisir le moyen approprié de règlement de leur différend, le recours au règlement judiciaire par la Cour internationale de Justice comptant parmi les moyens possibles, le Guyana et le Venezuela ont consenti à la compétence de celle-ci. Le libellé, l’objet et le but de l’accord de Genève, ainsi que les circonstances ayant entouré sa conclusion, étayent cette interprétation. Il s’ensuit que, au vu des circonstances de la présente affaire, le consentement des Parties à la compétence de la Cour est établi.
V. SAISINE DE LA COUR (PAR. 116-121)
La Cour recherche ensuite si elle a été valablement saisie par le Guyana.
Elle rappelle à cet égard que sa saisine est «un acte de procédure autonome par rapport à la base de compétence invoquée ; et, à ce titre, elle est régie par le Statut et le Règlement de la Cour». Ainsi, pour que la Cour puisse connaître d’une affaire, la base de compétence considérée doit trouver son complément nécessaire dans un acte de saisine.
En l’espèce, la Cour est d’avis qu’un accord des Parties visant à la saisir conjointement ne serait nécessaire que si elles n’avaient pas déjà consenti à sa compétence. Or, étant donné qu’elle a conclu ci-dessus que, dans les circonstances de la présente affaire, ce consentement était établi, les Parties avaient l’une et l’autre la faculté d’introduire une instance en la saisissant d’une requête unilatérale en vertu de l’article 40 de son Statut.
- 11 -
A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a été valablement saisie du différend entre les Parties par le dépôt de la requête du Guyana.
VI. PORTÉE DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR (PAR. 122-137)
Ayant conclu qu’elle avait compétence pour connaître de la requête du Guyana et qu’elle avait été valablement saisie en l’espèce, la Cour recherche si toutes les demandes formulées par le Guyana entrent dans le champ de sa compétence.
La Cour observe que, dans sa requête, le Guyana a formulé certaines demandes ayant trait à la validité de la sentence de 1899 et d’autres qui sont fondées sur des faits survenus après la conclusion de l’accord de Genève. En conséquence, elle commence par rechercher si les demandes du Guyana concernant la validité de la sentence de 1899 relative à la frontière séparant la Guyane britannique et le Venezuela relèvent de l’objet du différend que les Parties sont convenues de régler au moyen du mécanisme prévu aux articles I à IV de l’accord de Genève et si, partant, elle a compétence ratione materiae pour en connaître. Elle indique qu’il lui faudra ensuite déterminer si les demandes du Guyana qui sont fondées sur des faits survenus après la conclusion de l’accord de Genève relèvent de sa compétence ratione temporis.
S’agissant de sa compétence ratione materiae, la Cour rappelle que l’article I de l’accord de Genève fait référence au différend survenu entre les parties à cet instrument du fait de la position du Venezuela, qui soutient que la sentence de 1899 relative à la frontière entre lui et la Guyane britannique est nulle et non avenue. Ainsi que cela a été indiqué plus haut, le différend que les parties sont convenues de régler en vertu de l’accord de Genève a pour objet la validité de la sentence de 1899 et les implications de cette question sur la frontière terrestre entre le Guyana et le Venezuela. L’opposition de vues entre les parties à l’accord de Genève en ce qui concerne la validité de ladite sentence ressort de l’emploi, à l’article I de cet instrument, de l’expression «position du Venezuela, qui soutient» («Venezuelan contention» dans le texte anglais faisant foi). Prise dans le sens ordinaire à lui attribuer dans le contexte de cette disposition, cette expression implique que la nullité alléguée de la sentence de 1899 constituait entre les parties à l’accord de Genève un point de désaccord exigeant la recherche de solutions. Cela ne signifie en rien que le Royaume-Uni ou le Guyana aient souscrit à la position défendue par le Venezuela, que ce soit avant ou après la conclusion de cet instrument. La Cour est donc d’avis que, contrairement à ce que soutient le Venezuela, l’emploi de l’expression «position du Venezuela, qui soutient» révèle l’opposition de vues entre les parties à l’accord de Genève quant à la validité de la sentence de 1899.
Cette interprétation est conforme à l’objet et au but de l’accord de Genève, lequel visait, comme l’indiquent son titre et son préambule, à garantir un règlement définitif du différend opposant le Royaume-Uni et le Venezuela relativement à la frontière entre ce dernier et la Guyane britannique. Il ne serait en effet pas possible de régler définitivement le différend frontalier qui oppose les Parties sans statuer d’abord sur la validité de la sentence de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela.
La Cour considère également que cette interprétation est confirmée par les circonstances ayant entouré la conclusion de l’accord de Genève ainsi que par l’allocution du ministre vénézuélien des affaires étrangères devant le Congrès national peu après la conclusion de cet accord. Le ministre a en particulier indiqué que, «[à] supposer que la sentence de 1899 soit déclarée nulle, que ce soit d’un commun accord entre les parties concernées ou par une décision rendue par une autorité internationale compétente communément désignée, la question se poserait de nouveau dans les termes initiaux».
La Cour conclut en conséquence que les demandes du Guyana concernant la validité de la sentence de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela ainsi que la question connexe du règlement définitif du différend concernant la frontière terrestre entre le Guyana
- 12 -
et le Venezuela relèvent de l’objet du différend que les Parties sont convenues de régler au moyen du mécanisme prévu aux articles I à IV de l’accord de Genève, en particulier le paragraphe 2 de l’article IV, et que, partant, elle a compétence ratione materiae pour en connaître.
S’agissant de sa compétence ratione temporis, la Cour note que la portée du différend que les Parties sont convenues de régler au moyen du mécanisme prévu aux articles I à IV de l’accord de Genève est circonscrite par l’article I de cet accord, qui fait référence au «différend survenu … du fait de la position du Venezuela, qui soutient que la sentence arbitrale de 1899 … est nulle et non avenue». L’emploi du participe passé à l’article I indique que les parties considéraient que le différend en question était celui qui s’était cristallisé entre elles au moment de la conclusion de l’accord. Cette interprétation n’est pas contredite par la version espagnole de l’article I de l’accord, laquelle fait foi tout comme la version anglaise. Elle est en outre renforcée par l’emploi de l’article défini dans le titre de l’accord («Accord tendant à régler le différend» ; dans les langues faisant foi : «Agreement to resolve the controversy»/«Acuerdo para resolver la controversia»), par la référence faite dans le préambule à la résolution de «tout différend en suspens» (dans les langues faisant foi : «any outstanding controversy»/«cualquiera controversia pendiente»), ainsi que par la mention du fait que l’accord a été conclu «pour résoudre le différend actuel» (dans les langues faisant foi : «to resolve the present controversy»/«para resolver la presente controversia») (les italiques sont de la Cour). En conséquence, la compétence de la Cour est limitée ratione temporis aux demandes que les Parties avaient pu formuler à la date de la signature de l’accord de Genève, à savoir le 17 février 1966. Il s’ensuit que les demandes du Guyana qui sont fondées sur des faits survenus après cette date n’entrent pas dans le champ de la compétence ratione temporis de la Cour.
A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a compétence pour connaître des demandes du Guyana se rapportant à la validité de la sentence de 1899 relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Venezuela ainsi qu’à la question connexe du règlement définitif du différend concernant la frontière terrestre entre les territoires respectifs des Parties.
VII. DISPOSITIF (PAR. 138)
Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par douze voix contre quatre,
Dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par la République coopérative du Guyana le 29 mars 2018 dans la mesure où elle se rapporte à la validité de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 et à la question connexe du règlement définitif du différend concernant la frontière terrestre entre la République coopérative du Guyana et la République bolivarienne du Venezuela ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Cançado Trindade, Mmes Donoghue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Salam, Iwasawa, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Abraham, Bennouna, Gaja, Gevorgian, juges ;
2) A l’unanimité,
Dit qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes de la République coopérative du Guyana qui sont fondées sur des faits survenus après la signature de l’accord de Genève.
*
- 13 -
M. le juge TOMKA joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges ABRAHAM et BENNOUNA joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion dissidente ; MM. les juges GAJA et ROBINSON joignent chacun une déclaration à l’arrêt ; M. le juge GEVORGIAN joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
___________
Annexe au résumé 2020/5
Déclaration de M. le juge Tomka
S’il a voté en faveur des conclusions auxquelles est parvenue la Cour, le juge Tomka souhaite cependant formuler certaines observations sur la présente affaire, qui est quelque peu inhabituelle. Bien que l’accord de Genève de 1966 et, en particulier, le paragraphe 2 de son article IV n’obéissent pas aux canons des compromis ou clauses compromissoires prévoyant le règlement des différends par la Cour, le fait est que cet instrument énonce une série de procédures et de mécanismes visant au règlement du différend qui oppose le Guyana au Venezuela.
Selon le juge Tomka, les Parties, en concluant l’accord de Genève, ont consenti à la compétence de la Cour dans l’hypothèse où le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies la retiendrait comme moyen de règlement du différend. La compétence ratione materiae de la Cour, qui est fondée sur ledit instrument, porte sur le différend relatif à la frontière, en ce compris la question de la validité de la sentence arbitrale de 1899.
En se déclarant compétente en l’espèce, la Cour donne l’occasion au défendeur d’étayer sa position suivant laquelle la sentence arbitrale de 1899 est nulle et non avenue. En effet, la question de la validité de cette dernière est une question juridique par excellence et nul autre organe n’est mieux placé pour se prononcer sur cette question qu’un organe judiciaire. Selon le juge Tomka, le Secrétaire général a pris une bonne décision en choisissant la Cour comme moyen de règlement du différend opposant le Guyana et le Venezuela.
Il est important que les Parties comprennent que, si la Cour venait à déclarer nulle et non avenue la sentence arbitrale de 1899, il lui faudrait, pour pouvoir parvenir à un règlement complet du différend entre les deux Etats, disposer d’éléments de preuve et d’arguments supplémentaires concernant le tracé de la frontière terrestre.
Opinion dissidente de M. le juge Abraham
Le juge Abraham considère qu’il n’existe pas de titre de compétence permettant à la Cour de connaître du différend entre le Venezuela et le Guyana sur la requête unilatérale de ce dernier. Selon lui, la majorité a considéré avec raison que le Secrétaire général avait bien le pouvoir de choisir la Cour internationale de Justice comme prochain moyen de règlement au sens du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève et notamment qu’il n’était pas tenu de suivre un ordre particulier dans le choix des moyens successifs. Il n’est pas non plus douteux, aux yeux du juge Abraham, que le choix opéré par le Secrétaire général n’est pas une simple recommandation dépourvue d’effet contraignant, mais qu’il engendre certaines obligations pour les Parties à l’accord.
Le juge Abraham estime cependant que ces éléments ne permettent pas d’affirmer qu’on est en présence d’«une manifestation non équivoque de la volonté des Parties au différend d’accepter de manière volontaire et indiscutable sa compétence». Il est en particulier en désaccord avec la majorité sur la manière dont celle-ci comprend l’objet et le but de l’accord. De son point de vue, le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord exprime certes l’acceptation par les Parties de l’idée que leur différend est susceptible de trouver in fine sa solution par la voie du règlement judiciaire. Mais il n’institue pas un mécanisme contraignant visant à garantir qu’un tel règlement sera obtenu, par la négociation si possible, par la voie judiciaire au besoin. Au contraire, il ressort de plusieurs dispositions de l’accord que les Parties ont admis l’éventualité que sa mise en oeuvre n’aboutisse pas nécessairement au règlement de leur différend. C’est le cas du paragraphe 2 de l’article IV, selon lequel le choix successif des moyens de règlement par le Secrétaire général doit se faire : «ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés». Par la conclusion de l’accord, les Parties n’ont donc pas entendu donner par avance leur consentement au règlement judiciaire. En l’absence d’un tel consentement, la Cour aurait dû décliner sa compétence.
- 2 -
Opinion dissidente de M. le juge Bennouna
Dans l’affaire portée par le Guyana contre le Venezuela au sujet d’un différend concernant la validité de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899, la Cour s’est déclarée compétente pour connaître de la requête introductive d’instance sur le fondement du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève du 17 février 1966. Selon le juge Bennouna, cette disposition ne peut pas fonder la compétence de la Cour, dans la mesure où les Parties n’ont pas consenti, d’une manière claire et sans équivoque, au règlement de leur différend par la Cour. Il s’agit plutôt d’une disposition portant sur le choix des moyens. Aux termes de cette disposition, les deux Parties ont investi le Secrétaire général d’un pouvoir de choisir un des moyens de règlement de leur différend, parmi les moyens prévus par l’article 33 de la Charte des Nations Unies, «jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés». Le juge Bennouna est d’avis que la Cour s’est livrée à une interprétation qui a privilégié l’objet et le but de l’accord, soit celui de parvenir au règlement définitif du différend, sur le sens ordinaire de la seconde alternative de cette disposition, en privant celle-ci de son effet utile. Ce faisant, la Cour est parvenue à la conclusion que le Secrétaire général pouvait consentir en lieu et place des Parties à la compétence de la Cour. Il s’agit là d’une délégation sans précédent dans la pratique internationale, qui ne serait soumise à aucune limitation temporelle. Le Secrétaire général lui-même n’était pas persuadé par le pouvoir qui lui a été conféré par les Parties, ce qui ressort clairement de la lettre qu’il a adressée à celles-ci, le 30 janvier 2018, désignant la Cour comme le prochain moyen de règlement, tout en offrant ses bons offices en tant que procédure complémentaire qui «pourrait favoriser l’utilisation du moyen de règlement pacifique retenu». Toujours dans le cadre de son interprétation téléologique de l’accord de Genève, la Cour a conclu qu’elle était compétente pour connaître non seulement du différend relatif à la validité de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899, mais aussi d’un autre différend bien distinct, celui relatif au tracé de la frontière terrestre entre les deux Etats. Le juge Bennouna ne partage pas cette conclusion qui, selon lui, ignore le sens ordinaire des termes figurant à l’accord de Genève, dans la mesure où le seul différend envisagé par cet instrument concerne la validité de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899.
Déclaration de M. le juge Gaja
Bien que souscrivant au point de vue de la majorité selon lequel, au regard du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève de 1966 et du choix du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies de retenir le règlement judiciaire comme moyen à utiliser, les Parties sont tenues de soumettre leur différend à la Cour, le juge Gaja estime que la décision du Secrétaire général ne suffit pas pour conférer compétence à celle-ci. Le paragraphe 2 de l’article IV habilite le Secrétaire général à choisir l’un des moyens de règlement prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, tout en laissant aux Parties le soin de mettre en oeuvre cette décision. Le fait que le règlement judiciaire figure parmi les moyens envisagés, dans l’accord de Genève, pour régler le différend ne saurait être interprété comme impliquant que les Parties ont consenti à la compétence de la Cour.
Déclaration de M. le juge Robinson
1. Dans sa déclaration, le juge Robinson indique que, bien que souscrivant à la conclusion énoncée dans le dispositif de l’arrêt, il a tenu à formuler quelques observations succinctes sur la présente affaire.
2. Le juge Robinson souligne l’importance, dans l’accord de Genève, des notions d’enchaînement et d’étapes, expliquant que les événements s’enchaînent au rythme des étapes que constituent les différents moyens de règlement, et que, dans ce processus, le fait qu’un moyen particulier n’ait pas permis de régler le différend appelle la mise en oeuvre d’un autre moyen à cette même fin. Compte tenu des circonstances de l’espèce, cette méthode aboutit, selon lui, à deux
- 3 -
résultats. Premièrement, à la dernière étape, le moyen de règlement retenu est de nature à permettre de régler le différend. Deuxièmement, dès lors que la dernière étape prévue au paragraphe 2 de l’article IV est atteinte, les Parties ont accepté le moyen de règlement choisi par le Secrétaire général, c’est-à-dire le recours à la Cour internationale de Justice, et, ce faisant, consenti à la compétence de celle-ci à l’égard du différend.
3. Le juge Robinson estime que cette seconde conséquence revêt une importance particulière, puisque l’accord de Genève ne comporte pas la clause compromissoire habituelle qui, dans un traité, confère aux parties la faculté de soumettre à la Cour les différends concernant l’interprétation ou l’application dudit instrument, ce type de clause reflétant le consentement de celles-ci à la compétence de la Cour. Il relève toutefois qu’il est établi que l’expression du consentement à la compétence de la Cour n’a pas à suivre une forme déterminée, et en conclut que, en la présente espèce, celle-ci devait s’assurer, en se fondant sur l’accord de Genève et tout autre élément pertinent, que les Parties avaient consenti à sa compétence. Le juge Robinson rappelle que l’article I de l’accord de Genève prévoyait l’établissement d’une commission mixte chargée de rechercher une solution pour le règlement pratique du différend survenu entre les deux Etats du fait de l’affirmation du Venezuela selon laquelle la sentence de 1899 était nulle et non avenue, se référant également à l’article II, qui fixait la procédure à suivre pour établir ladite commission, et à l’article III, qui disposait que celle-ci devrait présenter des rapports tous les six mois pendant quatre ans.
4. Le juge Robinson cite le texte du paragraphe 1 de l’article IV, qui prévoyait que, si, dans les quatre ans, elle n’était pas arrivée «à un accord complet sur la solution du différend», la commission mixte devrait en référer aux deux Etats pour toutes les questions en suspens, ces derniers étant alors tenus de choisir l’un des moyens de règlement prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies.
5. Selon le juge Robinson, l’important paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève peut être décomposé en deux étapes. Dans un premier temps, les Parties, à défaut d’accord entre elles sur le choix d’un des moyens de règlement énoncés à l’article 33 dans les trois mois suivant réception du rapport final de la commission, étaient tenues de «s’en remett[re], pour ce choix, à un organisme international compétent sur lequel [elles] se mettr[aient] d’accord, ou, s[i elles] n’arriv[aient] pas à s’entendre sur ce point, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies». Le juge Robinson précise que, dans les circonstances de la présente affaire, ce n’est pas le simple choix du moyen de règlement qui a été confié au Secrétaire général, mais la décision quant à cette question ; les Parties n’étant pas parvenues à se mettre d’accord sur un organisme international compétent auquel renvoyer la décision, elles l’ont confiée au Secrétaire général. Selon lui, prendre une «décision», dans le sens ordinaire de ce terme, sur une question signifie régler celle-ci de manière définitive, et le renvoi de la décision sur le moyen de règlement au Secrétaire général a donc eu pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de résoudre de manière définitive la question du moyen de règlement. Du point de vue du juge Robinson, la notion de résultat contraignant ⎯ par opposition à une simple recommandation ⎯ découle implicitement du terme «décision».
6. Le juge Robinson observe que, à la seconde étape du processus, le paragraphe 2 prévoyait que, si le moyen qu’il avait retenu ne menait pas à une solution du différend, le Secrétaire général devait «choisi[r] un autre des moyens stipulés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés». Il rappelle que la procédure des bons offices a été mise en oeuvre par quatre Secrétaires généraux successifs, pendant 27 ans, sans permettre de régler le différend, et que, en conséquence, le Secrétaire général, agissant en vertu du pouvoir qui lui était conféré par les Parties, a, le 30 janvier 2018, indiqué que, compte tenu de l’absence de progrès
- 4 -
en vue d’une solution, il avait «choisi la Cour internationale de Justice comme mécanisme de règlement du différend». Le juge Robinson formule quatre observations à cet égard.
7. Premièrement, les articles I, II, III et IV établissent un enchaînement dans l’utilisation des divers moyens à mettre en oeuvre pour régler le différend. Le juge Robinson relève que, en cas d’échec des moyens envisagés aux articles I, II, III et à la première étape du paragraphe 2 de l’article IV, on se retrouve à la seconde étape prévue par cette dernière disposition, où le Secrétaire général est habilité par les Parties à rendre une décision contraignante sur le choix du moyen de règlement.
8. Deuxièmement, en convenant, à la première étape du paragraphe 2 de l’article IV, de renvoyer au Secrétaire général la décision concernant le choix du moyen de règlement, les Parties ont non seulement habilité et appelé celui-ci à se prononcer sur la question, mais elles ont en outre manifesté leur accord avec le choix opéré par lui, et, ce faisant, conféré au moyen particulier qu’il avait retenu ⎯ à savoir la Cour internationale de Justice ⎯ compétence à l’égard du différend. Le juge Robinson en conclut que la compétence de la Cour était donc établie, conformément au paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, sur le fondement d’un «traité» ⎯ en l’occurrence, l’accord de Genève ⎯, cette dernière ayant ainsi satisfait à l’obligation que lui impose le paragraphe 2 de l’article 53 du Statut de s’assurer qu’elle a compétence dans une affaire où l’une des parties ne se présente pas.
9. Troisièmement, de l’avis du juge Robinson, lorsqu’il est interprété comme il se doit, le paragraphe 2 de l’article IV ⎯ et, de fait, l’article IV dans son ensemble ⎯ ne permet nullement de conclure que l’accord des deux Parties est requis pour introduire une instance devant la Cour. Lorsque, à la première étape que prévoit cette disposition, celles-ci s’en remettent au Secrétaire général pour choisir le moyen de règlement, elles reconnaissent en effet que sa décision s’impose à elles ; il s’agit donc d’une décision sur le fondement de laquelle l’une ou l’autre des Parties peut unilatéralement introduire une instance devant la Cour. Selon le juge Robinson, l’interprétation selon laquelle le paragraphe 2 de l’article IV exige que l’autre Partie consente à l’introduction de l’instance serait contraire à l’objet et au but de l’accord, c’est-à-dire parvenir à un règlement du différend, puisque ce consentement serait très probablement refusé.
10. Le juge Robinson en conclut que, dès lors que la Cour avait été retenue par le Secrétaire général comme moyen de règlement, l’un ou l’autre des deux Etats était parfaitement fondé à déposer une requête conformément au paragraphe 1 de l’article 40 du Statut. En la présente espèce, c’est le Guyana qui a procédé à ce dépôt.
11. Quatrièmement, le juge Robinson souligne que la seconde étape prévue au paragraphe 2 de l’article IV n’obligeait nullement le Secrétaire général à épuiser certains des moyens de règlement non judiciaires énoncés à l’article 33 ou leur intégralité avant de pouvoir choisir le règlement par la Cour. Il indique que, étant donné que la procédure des bons offices n’avait pas permis d’aboutir à une solution, le Secrétaire général était en droit, et avait l’obligation, de choisir un autre des moyens prévus à l’article 33 quel qu’il soit en vue de régler le différend. Le juge Robinson estime qu’il est logique et compréhensible que, après l’échec de ladite procédure, mise en oeuvre pendant 27 ans, le Secrétaire général ait choisi un moyen qui produirait un résultat s’imposant aux Parties, et que, en retenant la Cour internationale de Justice, celui-ci a opté pour un moyen de règlement dont l’issue serait contraignante pour les Parties. Ce choix va dans le sens de l’intention qui était celle des Parties lorsqu’elles ont adopté l’accord de Genève, c’est-à-dire se doter d’une procédure de règlement permettant d’aboutir à une solution définitive et complète du différend.
- 5 -
12. Selon le juge Robinson, la véritable question qui se posait à la Cour était celle de savoir si, en la choisissant en tant que moyen de règlement judiciaire énoncé à l’article 33 de la Charte, le Secrétaire général avait agi conformément aux pouvoirs qui lui étaient conférés en vertu du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève. Celui-ci était-il tenu de choisir un moyen autre que le règlement judiciaire, ou était-il tenu de suivre un ordre particulier, le tour du règlement judiciaire n’étant pas encore venu ? Le juge Robinson est d’avis que la réponse est négative. Le Secrétaire général était habilité à «choisi[r] un autre des moyens» stipulés à l’article 33 de la Charte et avait toute latitude pour retenir l’un quelconque des moyens restant à utiliser en vertu de cette disposition. La seconde étape prévue au paragraphe 2 de l’article IV lui imposait de «choisi[r] un autre des moyens stipulés à 1’article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés». Le juge Robinson souligne que, s’il a été avancé que le Secrétaire général pourrait recourir à tous les moyens prévus à l’article 33 sans que le différend ne soit réglé, cet argument est toutefois erroné, étant donné que deux de ces moyens, à savoir l’arbitrage et le règlement judiciaire, sont de nature à aboutir au règlement définitif du différend. En conséquence, une fois la Cour internationale de Justice retenue, le Secrétaire général n’avait plus à recourir à quelque autre moyen prévu à l’article 33, puisque celle-ci, en tant qu’organe judiciaire, règlerait le différend en rendant une décision contraignante pour les Parties. En conclusion, le juge Robinson indique que, si intéressantes que puissent être les questions soulevées par cet argument, le membre de phrase «ou jusqu’à ce que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés», ayant été rendu inopérant, n’avait pas de conséquence pratique dans le contexte de la présente affaire.
13. A la lumière de ce qui précède, le juge Robinson est au regret de devoir exprimer son désaccord sur l’insertion du paragraphe 86 dans le texte de l’arrêt, la prudence qui y est exprimée n’étant, selon lui, pas justifiée au vu des circonstances de l’espèce.
Opinion dissidente de M. le juge Gevorgian
Le juge Gevorgian est en désaccord avec la conclusion par laquelle la Cour s’est déclarée compétente pour connaître des demandes du Guyana.
De son point de vue, le présent arrêt porte atteinte au principe fondamental du consentement des parties à la compétence de la Cour. Celle-ci a pris la décision, sans précédent, d’exercer sa compétence sur le fondement d’un traité qui ne la mentionne même pas et ne comporte aucune clause prévoyant le renvoi des différends devant elle. Cela est d’autant plus problématique que l’une des Parties a toujours refusé que le présent différend soit soumis à la Cour, et que celui-ci touche à des intérêts nationaux de la plus haute importance, tels que la souveraineté territoriale.
Le juge Gevorgian estime en particulier que le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève n’autorise pas le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies à rendre une décision juridiquement contraignante sur le moyen de règlement à mettre en oeuvre par les Parties. La conclusion contraire à laquelle est parvenue la Cour n’est, selon lui, étayée ni par le libellé ni par l’objet et le but de l’accord de Genève.
De l’avis du juge Gevorgian, l’objet et le but de cet instrument sont d’aider les Parties à s’entendre sur un règlement de leur différend. Le rôle confié au Secrétaire général est donc d’effet non contraignant, comme le serait celui d’un conciliateur ou d’un médiateur, et consiste à favoriser les efforts des Parties visant à parvenir à une solution concertée, sans que le Secrétaire général soit habilité à leur imposer le choix d’un moyen de règlement.
Enfin, le juge Gevorgian considère que la Cour n’accorde pas suffisamment d’attention à la position qui est, et a été par le passé, celle du Venezuela sur la question du règlement des différends
- 6 -
par une tierce partie, et notamment au fait que celui-ci avait, à plusieurs reprises avant 1966, exprimé son opposition à ce qu’un tiers puisse trancher des questions concernant son territoire sans avoir obtenu son consentement non équivoque.
___________

Document file FR
Document Long Title

Résumé de l'arrêt du 18 décembre 2020

Links