Mémorandum du Venezuela

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171-20191128-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel

16062

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

SENTENCE ARBITRALE DU 3 OCTOBRE 1899
(GUYANA c. VENEZUELA)

MÉMORANDUM DE LA RÉPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA
SUR LA REQUÊTE DÉPOSÉE PAR LA RÉPUBLIQUE COOPÉRATIVE
DU GUYANA AUPRÈS DE LA COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE LE 29 MARS 2018

[Traduction du Greffe]

TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION ............................................................................................................................ 1 
PARTIE I

I.1. L’accord tendant à régler le différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la frontière entre le Venezuela
et la Guyane britannique, dit «accord de Genève», signé le 17 février 1966 ................... 4 

I.2. Application de l’accord de Genève entre 1966 et 2015 ................................................... 5 

I.3. De la proposition de «marche à suivre» (2015) à la lettre du Secrétaire général
de l’ONU du 30 janvier 2018 ........................................................................................... 7 
PARTIE II 

II.1. Paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève : texte et contexte ......................... 13 

II.2. Le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève ne constitue pas une base
de compétence au sens du Statut de la Cour .................................................................. 16 
PARTIE III

III.1. L’objet de la requête du Guyana ne correspond pas à celui du différend visé
dans l’accord de Genève ................................................................................................ 20 

III.2. Comportement des Parties dans le territoire litigieux .................................................... 23 
CONCLUSION ............................................................................................................................... 26 

___________

INTRODUCTION

1. La République coopérative du Guyana a saisi unilatéralement la Cour internationale de
Justice d’une requête contre la République bolivarienne du Venezuela le 29 mars 2018. Elle prie la
Cour : 1) de constater la validité et le caractère obligatoire de la sentence arbitrale du 3 octobre
1899 et du prétendu accord du 10 janvier 1905 ; 2) d’accorder au Guyana l’intégralité du territoire
contesté ; et 3) de déclarer en conséquence le Venezuela tenu à certaines obligations.
3

2. Dans sa requête, le Guyana prétend que la Cour est compétente en vertu du paragraphe 1
de l’article 36 de son Statut (qui étend la compétence de la Cour, entre autres, aux cas spécialement
prévus dans les traités et conventions en vigueur). Il fonde son affirmation de la compétence de la
Cour en l’espèce sur le fait que le Secrétaire général de l’ONU a décidé, le 30 janvier 2018, de
choisir la Cour internationale de Justice «comme prochain moyen» à utiliser par les Parties pour
régler le différend visé par l’accord de Genève du 17 février 1966. Le Venezuela, cependant, n’a
pas donné son consentement à la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 en
ce qui concerne le présent différend.

Le Guyana écrit, au paragraphe 14 de sa requête, que
«[l]a Cour a compétence à l’égard du différend visé dans la présente requête en vertu
du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut, conformément au consentement mutuel
exprimé par le Guyana et le Venezuela au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève de 1966.»
4

3. C’est artificieusement que le Guyana cherche à établir la compétence de la Cour, en
prétendant qu’au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, le Venezuela et lui-même
auraient conféré au Secrétaire général de l’ONU le pouvoir de choisir le moyen de règlement du
différend, ce que le Secrétaire général aurait fait le 30 janvier 2018. A en croire l’interprétation
qu’en donne le Guyana, cette disposition aurait pour effet non seulement de désigner le moyen de
règlement du différend que devraient utiliser les Parties, mais encore i) de donner en elle-même et
par elle-même compétence à la Cour indépendamment du consentement des Parties et sans qu’il
soit besoin de définir ni la portée du différend ni les éléments à prendre en considération pour le
régler, et ii) de permettre à une Partie de saisir unilatéralement la Cour. Le Guyana ne mentionne
aucune autre base juridique de compétence pour ce différend.

4. Le président de la Cour a tenu le 18 juin 2018, au siège de la Cour, une réunion en vue de
déterminer la suite procédurale qu’il convenait de donner à la requête. A cette réunion,
Delcy Rodriguez, vice-présidente du Venezuela, a remis au président de la Cour une lettre du
président de la République, Nicolas Maduro Moros. Après avoir exprimé dans cette lettre son
respect pour l’institution, celui-ci annonçait que le Venezuela ne participerait pas à la procédure, la
Cour n’ayant manifestement pas compétence et proposait une fois de plus de reprendre les
négociations en suivant la lettre et l’esprit de l’accord de Genève.
Mal-fondé de la requête du Guyana et défaut
de compétence de la Cour
5

5. L’accord de Genève vise à parvenir à un règlement amiable dans le cadre d’une solution
pratique, acceptable et satisfaisante pour les deux Parties. Le recours à une instance judiciaire, y
compris la Cour internationale de Justice, n’est pas possible en l’absence de disposition expresse
d’un compromis (encore à conclure) renvoyant le différend devant cette juridiction, et précisant
qu’il doit être réglé conformément à l’accord de Genève et non sur la seule base du droit

- 2 -
international. A fortiori un tel compromis, précisant l’objet du différend, est-il nécessaire pour doter
la Cour de la compétence requise en cette affaire où la portée du différend qu’il s’agit de lui
soumettre n’est pas clairement définie.

6. En tout état de cause, l’accord de Genève n’est pas un accord au sens du paragraphe 1 de
l’article 36 du Statut de la Cour : s’il a pour effet de confier au Secrétaire général de l’ONU le soin
de choisir le moyen de règlement à utiliser, il ne confère pas, par lui-même, compétence à la Cour.
Ce n’est pas un accord autonome ou d’application directe en ce qui concerne cette compétence. Le
Secrétaire général de l’ONU a seulement désigné «le moyen à utiliser pour la solution du
différend» ; pour matérialiser le choix du Secrétaire général, encore faut-il appliquer le Statut de la
Cour, c’est-à-dire en l’espèce et en l’absence de toute autre base de compétence, conclure un
compromis.

7. La situation est identique à celle des clauses compromissoires qui imposent aux Etats de
recourir à l’arbitrage. Ces clauses ne sont pas suffisantes pour donner compétence à un tribunal
arbitral. La compétence exige une étape supplémentaire qui matérialisera l’obligation de statuer, à
savoir la conclusion d’un compromis.

8. En tout état de cause, et à supposer même que le Guyana soit fondé  ce qu’il n’est
6

pas  à soutenir que le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève «tient … lieu de clause
compromissoire, conférant compétence à la Cour», cette disposition ne précise nullement qu’elle
peut être activée devant la Cour par requête unilatérale, comme le prévoient expressément
certaines clauses. En l’absence de toute indication en sens contraire dans le texte de l’accord de
Genève, force est de présumer qu’un compromis, ou accord conjoint, renvoyant l’affaire devant la
Cour est nécessaire pour que celle-ci ait compétence.

9. La requête du Guyana repose sur une base erronée. Le paragraphe 2 de l’article IV énonce
seulement que le Secrétaire général peut choisir l’un des moyens de règlement prévus à l’article 33
de la Charte des Nations Unies. Or la Cour elle-même a observé, dans son arrêt en l’affaire relative
à l’Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 2000, p. 32, par. 48, que la Charte «ne contient aucune clause spécifique conférant,
par elle-même, juridiction obligatoire à la Cour». L’article 33 ne saurait par conséquent constituer à
lui seul une base de compétence pour la Cour. Le Guyana en est donc réduit à prétendre qu’il suffit
de choisir l’une des options énumérées dans cette «non-base» de compétence pour la transformer
en une authentique base de compétence. Cette thèse est absurde. Le choix entre des moins ne
saurait créer un plus.
Mémorandum du Venezuela et plan de ce mémorandum

10. Par ordonnance du 19 juin 2018, la Cour a décidé que «les pièces de la procédure écrite
porter[aient] d’abord sur la question de la compétence de la Cour». Elle a accordé à cette fin
cinq mois à chacune des Parties, les dates d’expiration des délais pour le dépôt des pièces étant
fixées au 19 novembre 2018 pour le mémoire du Guyana et au 18 avril 2019 pour le
contre-mémoire du Venezuela.
7

- 3 -

11. Par note diplomatique du 12 avril 2019, le Venezuela a confirmé à la Cour qu’il ne
participerait pas à la procédure écrite et l’a informée que, cependant,
«par respect pour [elle] et conformément aux précédents, la République bolivarienne
du Venezuela lui communiquera[it] des informations à une date ultérieure pour l’aider
à s’acquitter de l’obligation visée au paragraphe 2 de l’article 53 de son Statut».

12. C’est donc comme suite à cette note diplomatique que le Venezuela soumet le présent
mémorandum. Il y montrera que la Cour n’a manifestement pas compétence et qu’il n’a pas
consenti, comme l’exige le propre Statut de la Cour, à ce que celle-ci statue en l’espèce.

13. Le mémorandum est divisé en trois parties. La première (I) présente les éléments les plus
pertinents de l’accord de Genève du 17 février 1966 (I.1), son application par les Parties jusqu’en
2015 (I.2) et le contexte factuel dans lequel s’inscrit la lettre du 30 janvier 2018 du Secrétaire
général (I.3).

14. La deuxième (II) analyse le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, qui
spécifie le rôle du Secrétaire général de l’ONU, en le replaçant dans son contexte et en examinant
la pratique et les travaux préparatoires (II.1), avant de démontrer que, contrairement à ce que
prétend le Guyana, ce paragraphe ne saurait métamorphoser le choix qu’a fait le Secrétaire général
de la Cour comme moyen de régler le différend en une base juridique qui conférerait à celle-ci
compétence en l’absence de consentement (II.2).
8

15. La troisième (III) met en évidence l’écart entre l’objet du différend visé par l’accord de
Genève et l’objet de la requête déposée par le Guyana (III.1) et met en lumière le comportement
des Parties par rapport au territoire contesté (III.2), pour se conclure enfin par une invitation
renouvelée à négocier, en usant de moyens politiques, comme le voudrait une juste application de
l’accord de Genève.
16. Ce mémorandum est complété par une annexe qui présente et commente
chronologiquement les documents et les faits sur lesquels il est basé.
- 4 -
PARTIE I

I.1. L’ACCORD TENDANT À RÉGLER LE DIFFÉREND ENTRE LE VENEZUELA ET
LE ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD
RELATIF À LA FRONTIÈRE ENTRE LE VENEZUELA ET LA GUYANE
BRITANNIQUE, DIT «ACCORD DE GENÈVE»,
SIGNÉ LE 17 FÉVRIER 1966
9

17. Les modalités et les conditions de la négociation et de la conclusion du traité du 2 février
1897 tendant à soumettre à arbitrage le différend territorial entre le Royaume-Uni et le Venezuela
au sujet de la souveraineté sur le territoire situé à l’ouest de l’axe médian de l’Essequibo, ainsi que
la façon dont s’est déroulé l’arbitrage et dont la sentence du 3 octobre 1899 a été adoptée sont, d’un
point de vue historique, un scandale ; à la lumière des règles pertinentes de droit international
désormais en vigueur, la procédure devrait être regardée comme nulle et non avenue.

18. Près de cinquante années plus tard, le témoignage d’un juriste ayant représenté les
intérêts du Venezuela a révélé des faits nouveaux qui ont relancé la thèse de la nullité de la
sentence de 1899. Sur ce fondement, le Venezuela a fait valoir auprès du Royaume-Uni, qui a
administré le Guyana d’abord comme colonie, puis comme territoire non autonome, son titre sur le
territoire situé à l’ouest de l’Essequibo.
19. Cette revendication du Venezuela a coïncidé avec le processus d’accession à
l’indépendance du Guyana, qui concernait le territoire situé à l’est de l’Essequibo. Dans ce contexte
particulier, une négociation s’est ouverte qui a débouché sur un «accord tendant à régler le
différend entre le Venezuela et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à
la frontière entre le Venezuela et la Guyane britannique», dit «accord de Genève», lequel a été
conclu le 17 février 1966, soit trois mois avant l’indépendance du Guyana.

20. L’article VIII de l’accord de Genève prévoyait qu’une fois devenu indépendant, le
10

Guyana deviendrait automatiquement partie audit accord. Le Guyana est devenu indépendant et a
assumé toutes les obligations prévues dans l’accord. Le Venezuela a reconnu l’indépendance du
Guyana, sous réserve expresse de sa revendication du territoire situé à l’ouest de l’Essequibo. Ce
différend territorial est donc inextricablement lié à la naissance du Guyana comme Etat
indépendant. Le Guyana ne saurait nier qu’il soit toujours pendant ou le réduire à la question de la
validité de la sentence de 1899 en se fondant sur une interprétation nouvelle de l’accord de Genève.

21. Il est incontestable que l’accord de Genève constitue le cadre réglementaire dans lequel
doit s’inscrire la résolution du différend territorial entre le Guyana et le Venezuela au sujet de la
Guayana Esequiba. C’est ce qu’a constamment soutenu le Venezuela, et le fait que le Guyana
décide aujourd’hui d’invoquer artificieusement comme base de compétence exclusive de la Cour
un accord dont il n’a cessé de se distancier en dit long. Il est manifeste que sa nouvelle
interprétation ne correspond ni aux termes de l’accord ni à l’intention des Parties.

22. L’accord de Genève :
a) exprimait la conviction que le différend en suspens porterait préjudice à la poursuite d’une
coopération plus étroite entre la Guyane britannique et le Venezuela et «d[evait] donc être
résolu à l’amiable, d’une manière acceptable pour les deux parties» (troisième et quatrième
alinéas du préambule, les italiques sont de nous) ;
- 5 -
b) confirmait l’existence «du différend survenu entre le Venezuela et le Royaume-Uni du fait de la
position du Venezuela, qui sout[enait] que la sentence arbitrale de 1899 relative à la frontière
entre la Guyane britannique et le Venezuela [était] nulle et non avenue» (art. premier) ;
11

c) prévoyait l’institution d’une commission mixte «chargée de rechercher des solutions
satisfaisantes pour le règlement pratique du différend» (art. premier, les italiques sont de nous)
et la procédure à observer si, dans les quatre ans suivant la date de l’accord, la commission
«n’[était] pas arrivée à un accord complet sur la solution du différend» (art. IV, par. 1) avec, en
dernière instance, l’intervention du Secrétaire général de l’ONU (art. IV, par. 2). Si les moyens
que celui-ci aurait retenus parmi ceux prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies ne
menaient pas à une solution, le Secrétaire général devrait choisir «un autre d[e ceux] stipulés
[dans cet article], et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que
tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés» (art. IV,
par. 2, les italiques sont de nous) ;
d) afin de «faciliter dans toute la mesure du possible la coopération et la compréhension
mutuelle», gelait à cette date les principes invoqués par le Royaume-Uni, la Guyane britannique
ou le Venezuela pour revendiquer «la souveraineté sur les territoires situés au Venezuela ou en
Guyane britannique» et «les droits … qu’ils [avaient] précédemment cherché à faire valoir», et
notait que ses dispositions ne préjugeaient pas la position ou les droits des Parties concernant la
souveraineté sur les territoires du Venezuela ou de la Guyane britannique (art. V, par. 1) ;
e) affirmait qu’aucun acte ou activité qui aurait lieu pendant que l’accord serait en vigueur ne
pourrait servir de base pour affirmer ou nier une revendication portant sur les territoires en
question ou pour créer le moindre droit à la souveraineté sur ces territoires (art. V, par. 2).
12

I.2. APPLICATION DE L’ACCORD DE GENÈVE ENTRE 1966 ET 2015

23. L’accord de Genève instituait, d’après ses termes exprès, la procédure à suivre pour
négocier un règlement du différend territorial qui soit pratique, acceptable et satisfaisant pour les
deux parties. Selon le préambule de l’accord, en particulier, le différend entre les parties devait
«être résolu à l’amiable, d’une manière acceptable pour» elles deux. Il n’est pas inutile de décrire
brièvement la façon dont cet accord a été appliqué depuis son entrée en vigueur (art. VII) pour faire
comprendre la signification qu’il revêt aux fins de la prétendue compétence de la Cour en la
présente espèce.

24. La commission mixte instituée par l’article premier de l’accord n’avait pas atteint son
objectif quand elle est parvenue au terme du délai de quatre ans que lui accordait le paragraphe 1
dudit article pour aboutir à une solution satisfaisante du différend. Elle a remis le 18 juin 1970 un
rapport final de trois pages, auquel les mémorandums des Parties avaient été incorporés sous forme
d’annexes. Ce document était en lui-même un constat d’échec.
25. Les représentants du Guyana ont délibérément et systématiquement bloqué la
négociation en voulant que soit tranchée à titre préliminaire la question de la validité ou de la
nullité de la sentence de 1899. Cette question juridique aurait pu être examinée en tant que telle
pendant les négociations de l’accord de Genève. Au lieu de cela, les Parties ont choisi de
rechercher un règlement pratique de leur différend territorial qui fût acceptable pour l’une et pour
l’autre. Elles ont donc reconnu l’existence d’un différend territorial en suspens dont le règlement
dépendait d’un processus qui devait mener, à l’issue d’un examen complet de tous les facteurs
13
pertinents, à une solution mutuellement acceptable, équilibrée et, in fine, équitable.

- 6 -

26. Aux termes de la dernière phrase du paragraphe 1 de l’article IV de l’accord, le
«Gouvernement guyanais et [le] Gouvernement vénézuélien» devaient choisir «sans retard» un des
moyens de règlement pacifique énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Cependant, le
jour même où la commission mixte remettait son rapport final, les Parties sont convenues, par le
protocole de Port of Spain, de suspendre pendant une période de douze ans renouvelable par
périodes successives de même durée l’application de l’article IV de l’accord de Genève, afin de
renforcer la confiance et les relations entre elles.

27. Le Guyana prétend que le Venezuela a lancé alors des campagnes d’intimidation et n’a
pris aucune mesure pour atteindre les objectifs du protocole susmentionné. C’est faux. Des contacts
ont eu lieu à un niveau élevé pendant cette période et les représentants du Guyana ont présenté des
propositions de règlement pratique qui incluaient le transfert de portions importantes de territoire
au sud-est de Punta Playa. A la réunion bilatérale qui s’est tenue à Caracas du 30 novembre au
3 décembre 1977, M. Wills, ministre guyanien des affaires étrangères, a invité le Venezuela à
participer au financement du barrage que le Guyana avait l’intention de construire dans
l’Alto Mazaruni et suggéré plusieurs possibilités de rectification du tracé de la frontière.
28. Le Guyana aurait certainement préféré prolonger de douze ans supplémentaires la
suspension de l’application de l’article IV de l’accord de Genève. Mais le 4 avril 1981, à l’occasion
d’une visite à Caracas du président du Guyana, Forbes Burnham, son homologue vénézuélien,
Herrera Campins, a fait savoir que cette mesure ne serait pas reconduite.
14

29. Informé de cette décision, le Guyana a lancé une campagne internationale, qualifiée par
le ministre vénézuélien des affaires étrangères Zambrano Velasco de «véhémente et agressive»,
visant à discréditer le Venezuela dans les instances internationales en le présentant sous les espèces
d’un pays riche, vaste et puissant convoitant les deux tiers du territoire d’un Etat de petite taille et
indépendant depuis peu, et se livrant à son encontre à une guerre économique et à une politique
d’agression.

30. Qui plus est, le Guyana a réaffirmé que le problème avec le Venezuela était limité au
traité de 1897 et à la sentence de 1899. Dans une déclaration du 2 mai 1981, le Gouvernement
vénézuélien a fait observer qu’à en juger par cette vision du différend, il était évident que le
Guyana entendait «passer outre à l’accord de Genève. Refuser de négocier conformément à
l’accord revient non seulement à méconnaître l’injustice commise contre le Venezuela, mais encore
à refuser de tenir des engagements pris au niveau international.»
31. Le 11 décembre, soit six mois avant la fin de la suspension de l’application de
l’article IV de l’accord de Genève, le Venezuela a signifié qu’il dénonçait le protocole
conformément aux dispositions de son article V, remettant ainsi l’article IV en application à
compter du 18 juin 1982. Bien que l’attitude du Guyana n’ait pas facilité les choses, l’article IV
était donc à nouveau réactivé et en vigueur pour les deux Parties.

32. Le Venezuela et le Guyana n’ont réussi ni à s’entendre sur le choix d’un moyen de
15

règlement ni à désigner «un organisme international compétent» auquel ils s’en remettraient pour
ce choix, comme le prévoyait le début du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève. Le
Venezuela insistait pour procéder à des négociations directes, tandis que le Guyana insistait pour
porter le différend devant la Cour internationale de Justice. Par la suite, le Venezuela a proposé de
confier au Secrétaire général de l’ONU le soin de choisir le moyen de règlement ; le Guyana
- 7 -
préférait s’en remettre à l’Assemblée générale, au Conseil de sécurité ou à la Cour internationale de
Justice.

33. Le but visé était de choisir un moyen acceptable pour les deux Parties. Cependant,
compte tenu du désaccord entre elles, en 1983 le Venezuela s’en est remis, pour ce choix, au
Secrétaire général de l’ONU, ainsi que le prévoyait la fin de la première phrase du paragraphe 2 de
l’article IV de l’accord de Genève. Les Parties ont finalement accepté la procédure des bons offices
en 1987 et consenti au choix de la personne qui la conduirait en 1989.

34. Comme on peut en juger d’après ces dates (1983-1989), la mission du Secrétaire général
de l’ONU Javier Perez de Cuellar a été laborieuse, non seulement à cause de la politique dilatoire
du Guyana, mais encore parce qu’elle supposait que les deux Parties s’entendent sur le moyen de
règlement et la personne chargée de le mettre en œuvre.

35. Entre 1990 et 2014, le Secrétaire général de l’ONU a nommé successivement
Alister McIntyre (1990-1999), Oliver Jackman (2000-2007) et Norman Girvan (2010-2014) aux
fonctions de représentant personnel et chargé des bons offices. De leur côté, les Parties ont nommé
des représentants successifs pour agir en qualité de facilitateurs, qui ont maintenu les relations
entre elles et les représentants personnels du Secrétaire général de l’ONU. Les ministres des
affaires étrangères et les présidents des deux Républiques se sont entretenus avec le Secrétaire
général de l’ONU, notamment à l’occasion du débat général de l’Assemblée générale des
Nations Unies.
16

36. Il convient de souligner que la désignation des chargés des bons offices a toujours été
subordonnée à l’agrément des deux Parties.
I.3. DE LA PROPOSITION DE «MARCHE À SUIVRE» (2015) À LA LETTRE
DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ONU DU 30 JANVIER 2018

37. Le décès en 2014 du troisième et dernier chargé des bons offices, M. Girvan, aurait dû
entraîner la désignation d’un successeur à même de poursuivre ses travaux, mais l’invitation à ce
faire du Venezuela s’est heurtée aux atermoiements du Guyana. Plusieurs facteurs sont venus
renforcer la réticence du Guyana à négocier dans le cadre de bons offices : i) en mai 2015,
David Granger, qui y est défavorable, remporte l’élection présidentielle ; ii) le Guyana s’est lancé
dans une aventure pétrolière, attribuant désormais unilatéralement à des sociétés transnationales
d’importantes concessions pour la prospection d’hydrocarbures dans des espaces maritimes non
délimités au large du territoire terrestre de la Guayana Esequiba ; iii) le Guyana renforce son image
de victime en faisant passer le Venezuela pour un agresseur qui entraverait son développement afin
de fragiliser sa position. Dans ces circonstances, le Venezuela s’est vu contraint de s’adresser une
fois de plus au Secrétaire général de l’ONU et de lui demander, le 9 juillet 2015, d’intercéder en
vue de la nomination d’un nouveau chargé des bons offices.

38. L’accord de Genève maintenait en suspens et irrésolue la question de la souveraineté
17

territoriale et le Guyana ne l’a jamais considéré favorablement. Ainsi, Cheddi Jagan, qui avait été
premier ministre de la Guyane britannique de 1961 à 1964 avant de devenir, bien des années plus
tard, président de la République en 1992, s’y était opposé et, dans un livre intitulé The West on

Trial : My Fight for Guyana Freedom (Hansib Publications Ltd., 1966, nouveau tirage en 1997), a
écrit qu’avec cet accord, «la spécieuse prétention territoriale du Venezuela se voyait reconnue, et
un dossier qui était clos depuis 1899 était rouvert». Dans les cercles politiques, cette critique était
dans tous les esprits. L’accord de Genève restait «en travers de la gorge» du peuple guyanien, selon
- 8 -
la formule employée en 2015 par le président David Granger (entretien accordé à la Guyana
Chronicle, 13 août 2015).

39. Le Guyana s’est d’emblée fait fort de boycotter l’accord de Genève, et s’est refusé à
admettre que la reconnaissance de son indépendance par le Venezuela avait été assortie d’une
réserve expresse concernant les limites de son territoire. Il n’a jamais voulu d’une négociation
sérieuse basée sur des moyens politiques. Sa stratégie visait à gagner du temps, à tenter d’établir un
contrôle effectif sur le territoire terrestre contesté et à en exploiter les ressources, au mépris des
dispositions de l’article V. Le Guyana n’a prêté à la procédure convenue à Genève qu’une attention
de pure forme, et espérait que le passage du temps suffirait à rendre la situation irréversible.

40. Cependant, la découverte d’hydrocarbures sur le plateau continental de la Guayana
Esequiba au début de ce siècle a accentué les risques associés aux incertitudes dues à l’absence de
règlement définitif du différend. Cette découverte, conjuguée au décès du dernier chargé des bons
offices en 2014, a conduit le Guyana à un revirement : sautant le pas, il a accepté les financements
offerts par Exxon Mobil et d’autres sociétés spécialisées dans l’exploitation d’hydrocarbures,
même si cela allait l’obliger à octroyer des permis d’exploration dans des zones contestées ou à
concocter  en l’espèce  une requête dépourvue de fondement.
18

41. La note diplomatique 726/2015 du 8 juin 2015 est révélatrice de l’atmosphère de tension
que voulait créer le Guyana, son ministère des affaires étrangères y évoquant
«les diverses mesures prises récemment par le Gouvernement de la République
bolivarienne du Venezuela en vue de contraindre le Gouvernement du Guyana à
admettre la spécieuse allégation vénézuélienne selon laquelle la sentence arbitrale de
1899, qui a définitivement réglé la question de la frontière terrestre entre les deux
pays, serait nulle et non avenue du seul fait que le Venezuela l’a unilatéralement
déclarée telle»,
dénonçant «l’aventurisme dont témoigne la revendication unilatérale et infondée du Venezuela sur
le territoire du Guyana» et demandant au Venezuela
«de respecter le traité international auquel [il] est partie en tant que signataire et dont
découle la sentence arbitrale de 1899, qui porte règlement complet, parfait et définitif
de la question de la frontière entre le Guyana et le Venezuela».
De telles déclarations traduisent une méconnaissance flagrante de l’accord de Genève : en effet, il
n’y a, à ce jour, aucun règlement définitif pratique, acceptable et satisfaisant, pour reprendre les
termes de l’accord de Genève, dont l’objet et le but sont précisément de trouver une solution de
19
cette nature au différend.

42. La note du 8 juin 2015 s’inscrivait dans le prolongement des mesures que les
gouvernements guyaniens successifs ont eu pour politique de prendre en vue de consolider le
statu quo, d’entraver toute négociation tendant à régler le différend territorial par des moyens
politiques (comme l’étaient les bons offices ou comme aurait pu l’être la médiation) et d’imposer
l’option judiciaire que le Guyana recherchait sur la base d’une interprétation intéressée qui voulait
que le différend ne soit tranché que par une décision de justice statuant sur la validité ou la nullité
de la sentence de 1899.

43. Depuis l’accession de David Granger à la présidence, le Guyana a adopté une attitude
particulièrement radicale et hostile à l’égard de la négociation, qu’elle soit menée directement ou
- 9 -
avec l’assistance d’un tiers, et n’envisage que la solution judiciaire. La note du 8 juin encourageait
délibérément l’escalade, en qualifiant de menaces contre la paix internationale des mesures telles
que l’adoption du décret vénézuélien n
1787 portant création de zones opérationnelles maritimes et
insulaires de défense intégrale.
o

44. Dans sa réaction, exprimée par la note diplomatique du 9 juin, le Venezuela a évité
d’envenimer la situation en invoquant l’esprit de coopération et de solidarité, à l’opposé des
manœuvres de multinationales comme Exxon Mobil qui étaient à l’origine des approches
belliqueuses du Guyana.

45. Outre les consultations qui se sont tenues à New York et l’entrevue qu’il a eue
personnellement avec les présidents du Venezuela et du Guyana, le Secrétaire général de l’ONU a
envoyé une mission technique à deux reprises à Caracas et à Georgetown ; à la suite de ces
initiatives, il a établi un document intitulé «The way forward» («La marche à suivre»).

46. Tout au long des consultations, le Venezuela a affirmé et réaffirmé :
20

a) que le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève avait clairement établi un ensemble
de moyens de règlement pacifique du différend qui seraient mis en œuvre successivement et
progressivement dans le but de parvenir à un règlement pratique, acceptable et satisfaisant
pour les deux Parties du différend territorial né du fait que le Venezuela jugeait la sentence de
1899 nulle et non avenue ;
b) qu’il n’y avait pas lieu de conclure à l’échec des bons offices ;
c) qu’il était disposé à accepter, dans le cadre des moyens successifs et progressifs prévus au
paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève («et ainsi de suite…»), que la médiation soit
ajoutée aux bons offices  un saut qualitatif qui pourrait permettre au médiateur de faire des
propositions de sa propre initiative plutôt que de se confiner dans le rôle de courroie de
transmission des propositions des Parties ;
d) que le recours à la Cour internationale de Justice (comme, du reste, de l’arbitrage) ne semblait
pas être un moyen approprié pour parvenir au règlement pratique, acceptable et satisfaisant
pour les deux Parties visé expressément par l’accord de Genève ;
e) que, en tout état de cause, il serait contraire à la lettre et à l’esprit de cet accord, en particulier
au paragraphe 2 de son article IV, de négliger les moyens politiques mentionnés à l’article 33 de
la Charte des Nations Unies pour imposer directement et unilatéralement une solution qui ne
devrait être envisagée qu’en dernier recours, une fois que l’une et l’autre Parties auraient conclu
21
à l’échec de ces moyens.

47. Le président du Guyana s’est félicité de la communication faite par le Secrétaire général
Ban Ki-moon le 15 décembre 2016 et l’a déclaré le 22 décembre 2016, lors d’un déjeuner de Noël
avec les forces armées guyaniennes, comme rapporté ci-après :

««Vendredi dernier, pour la première fois en cinquante et un ans, le Secrétaire
général a décidé que la revendication portée par le Venezuela pendant tout ce temps
serait déférée à la juridiction mondiale à la fin de 2017 si les deux pays, le Guyana et
le Venezuela, ne s’accordent pas à prendre d’autres dispositions. Eh bien, nous avons
déjà conclu avoir attendu cinquante et une années de trop. C’est notre territoire et nous
irons à la Cour prouver que c’est notre territoire. Je peux compter sur votre soutien,
- 10 -
n’est-ce pas ?», a demandé le président aux soldats, qui ont répondu par
d’enthousiastes acclamations.»
Cet extrait est tiré d’un communiqué de presse rendant compte du discours du président, publié sur
le site officiel du ministère de la présidence du Guyana. La veille, le 21 décembre 2016, le
président Granger avait envoyé au président Maduro une communication qui mérite d’être lue
minutieusement. Dans cette communication, il anticipe sur la position du Guyana en l’assurant de
la «ferme volonté [du Guyana] de satisfaire aux très hautes attentes associées à la décision du
Secrétaire général de recourir à la procédure des bons offices», ainsi que de «sa détermination à
faire tout ce qui est en son pouvoir pour que le moyen de règlement qu’il a choisi permette
d’aboutir à un résultat positif».
* *

48. Le document relatif à la «marche à suivre» est un document interne établi par le
22

Secrétaire général de l’ONU en février 2016. Il prévoyait que ce dernier, après avoir consulté les
Parties, nommerait un représentant personnel qui s’emploierait à rechercher des solutions
satisfaisantes et acceptables, dans le cadre d’un processus auquel les Parties coopéreraient de bonne
foi, par le biais de réunions fréquentes et substantielles aux niveaux opérationnel et supérieur. Le
Secrétaire général ferait aux Parties  en personne, ou par la voix de son représentant personnel 
des propositions confidentielles et non contraignantes sur tout aspect pertinent des relations
bilatérales, y compris les aspects maritimes et environnementaux, afin de les aider à parvenir à un
accord.

49. S’agissant de l’échéancier, le Secrétaire général de l’ONU rencontrerait, en mars-avril et
en septembre 2016, les présidents du Venezuela et du Guyana pour évaluer les progrès réalisés et
permettre de réelles avancées sur la voie du règlement du différend. Il évaluerait les progrès
accomplis au plus tard en novembre 2016, les Parties devant viser à parvenir, d’ici à cette date, à un
accord mutuel. A défaut d’accord entre elles, ou de demande conjointe tendant à ce qu’il reporte
d’un an sa décision, le Secrétaire général de l’ONU entendait, sur la base de sa propre appréciation,
choisir la Cour internationale de Justice comme moyen de règlement. Le Venezuela a adressé le
15 mars 2016 une communication au Secrétaire général de l’Organisation expliquant pourquoi, eu
égard à l’accord de Genève, il ne pouvait être recouru à la voie judiciaire, et formulant diverses
critiques et observations au sujet du document relatif à la «marche à suivre», auquel il reprochait de
dénaturer et contrarier l’objectif consistant à parvenir à un règlement pratique et mutuellement
satisfaisant du différend territorial.

50. La mise en œuvre de l’échéancier prévu dans le document interne établi par le Secrétaire
général de l’ONU a été retardée d’un an (communiqué du Secrétaire général de l’ONU du
15 décembre 2016) en raison de la difficulté des Parties à s’entendre sur le choix d’un chargé des
bons offices.

51. Le document relatif à la «marche à suivre» et le communiqué en date du 15 décembre
23

2016 du Secrétaire général de l’ONU publié ensuite ont suscité force critiques. Premièrement, la
période de médiation d’un an était trop courte pour parvenir à un accord, compte tenu de la
complexité de la question ; deuxièmement, le recours annoncé au règlement judiciaire, qui est
inapproprié et, en tout état de cause, prématuré, ne respectait pas les principes de gradualité et de
progressivité consacrés au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève ; et, troisièmement,
- 11 -
les circonstances dans lesquelles le Secrétaire général de l’ONU tenterait d’amener les Parties
devant la Cour internationale de Justice n’étaient pas claires.

52. Il convient de souligner qu’en ajoutant la médiation aux bons offices, l’on modifiait le
moyen de règlement, en franchissant une étape de plus dans la progression prévue par le
paragraphe 2 de l’article IV de l’accord, tout en fixant un délai insuffisant (un an) pour atteindre
l’objectif recherché, à savoir le règlement pratique, acceptable et satisfaisant, de part et d’autre,
d’un différend aussi complexe et enraciné que ne l’est celui relatif à la «Guayana Esequiba».

53. Influencé par le Guyana, et sa thèse selon laquelle la seule question en litige était la
validité ou la nullité d’une sentence arbitrale, le Secrétaire général de l’ONU anticipait déjà de
recourir à la Cour internationale de Justice comme moyen de règlement. La procédure des bons
offices prévue au préalable, y compris la très brève période de médiation envisagée, n’était dès lors
qu’une simple formalité, vouée d’emblée à l’échec. Le Venezuela a maintes fois dénoncé la
disposition conditionnant la prorogation au-delà du mois de décembre 2017 de la période
d’exercice de bons offices, associés à une médiation, à une demande conjointe des Parties.

54. S’il y avait déjà lieu de s’interroger sur la bonne foi du Guyana s’agissant de coopérer de
24

manière constructive à la quête d’un règlement politique, il était prévisible, et les faits l’ont
d’ailleurs confirmé, que celui-ci s’opposerait à toute prorogation de cette nature dès l’annonce par
le Secrétaire général de l’ONU de son intention de «choisir la Cour internationale de Justice
comme moyen de règlement, afin d’obtenir une décision définitive et obligatoire au sujet du
différend», dans l’hypothèse où «aucune solution satisfaisante en vue du règlement pratique du
différend, acceptable de part et d’autre, ne serait trouvée d’ici au mois de décembre 2016» (ce délai
étant en définitive reporté au mois de décembre 2017).

55. Au vu de la manière dont l’accord de Genève avait auparavant été appliqué, et de l’esprit
dans lequel il l’était, il était logique de s’attendre à ce que le Secrétaire général de l’ONU entame
des consultations avec les deux Parties quant au choix du moyen de règlement si, à l’issue d’un
délai raisonnable, celles-ci n’étaient pas parvenues à un accord mutuellement acceptable et si
aucune avancée, fût-elle relative, n’avait été constatée à l’issue de la procédure des bons offices,
enrichie d’éléments de médiation. Or, telle n’a nullement été la marche suivie.
* *

56. En 2017, le Guyana a systématiquement rejeté toutes les propositions du Venezuela
visant à faire avancer le processus de règlement négocié avec l’aide du représentant personnel du
Secrétaire général de l’ONU. L’intention du Secrétaire général de renvoyer le différend devant la
Cour a conforté le Guyana dans une attitude de passivité pendant le cycle de négociations, et dans
sa constance à soutenir les positions les plus radicales, exigeant du Venezuela qu’il accepte sans
condition la totalité de ses prétentions.
25

57. Aux fins d’évaluer dans quelle mesure l’attitude adoptée par l’une des Parties au

processus de règlement du différend est constructive, il convient de se demander jusqu’à quel point
elle : 1) s’abstient de toute forme d’initiative unilatérale susceptible d’entraver le progrès du
processus de négociation/médiation ; 2) se garde de faire, par la voix de représentants officiels, des
déclarations publiques capables d’avoir cet effet ; et 3) se montre réceptive aux propositions de
- 12 -
l’autre Partie, et accepte de faire des concessions. Dans le cas du Guyana, ces caractéristiques
d’une négociation de bonne foi ont brillé par leur absence.

58. Sous la présidence de David Granger, le Guyana s’est montré radicalement hostile à
toute négociation. Outre qu’il a tout misé sur les moyens judiciaires, il a persisté dans une attitude
marquée par : 1) des initiatives unilatérales, concernant non seulement le territoire terrestre en
litige, mais également les espaces maritimes situés au large, ou encore le Delta Amacuro du
Venezuela ; 2) des déclarations publiques insultantes visant à déconsidérer les autorités
vénézuéliennes, faites à l’Assemblée nationale du Guyana, l’Assemblée générale des Nations Unies
et autres instances internationales, ainsi qu’à la presse ; et 3) un mépris absolu envers les
propositions du Venezuela lors des rencontres de Greentree (New York, 2017) organisées par le
représentant personnel du Secrétaire général, Dag Nylander.

59. Le Guyana semblait plus intéressé, une fois de plus, à agiter la prétendue menace
militaire que représente le Venezuela. Le 20 septembre 2017, le président Granger, a voulu appeler
l’attention du monde, depuis l’enceinte de l’Assemblée générale, sur le risque pesant sur la paix
dans la région :

«Il faut maintenant choisir entre un règlement juste et pacifique conforme au
26

droit international ou une posture vénézuélienne d’usure qui est de plus en plus
menaçante et militariste … Le Guyana collabore de manière assidue avec le
Représentant personnel du Secrétaire général et espère que la communauté
internationale fera en sorte que le Venezuela ne soit pas autorisé à bafouer le
processus de règlement judiciaire, qui est la voie claire et consensuelle qui mènera à la
paix et à la justice.»
Avec un discours de ce type, que pouvait-on attendre des rencontres de Greentree ?

60. L’attitude du Guyana se manifeste par une représentation fallacieuse des propositions du
Venezuela, une interprétation de ses propres revendications comme fondées sur des droits
incontestés, le mépris délibéré de la position de l’«autre», l’idée erronée que négocier consisterait à
imposer son propre point de vue, la méconnaissance de ce qu’un engagement résultant de toute
négociation de bonne foi impose aux Parties de renoncer à leurs positions extrêmes, et l’utilisation
d’un langage péremptoire pour délégitimer, de manière dogmatique, l’adversaire. Pour le Guyana,
le seul accord possible supposait l’acceptation sans condition de toutes ses prétentions par le
Venezuela. Cette manière de voir n’est pas compatible avec l’accord de Genève, qui impose de
parvenir à un règlement pratique, acceptable et satisfaisant du différend.

61. L’interprétation intéressée que le Guyana fait du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord
de Genève ne peut être retenue. Et quand bien même il pourrait être admis (quod non) que les
moyens politiques avaient été épuisés, cela n’aurait pas i) automatiquement créé la base juridique,
requise par le Statut de la Cour, fondant la compétence de celle-ci ni ii) modifié le mécanisme de
règlement du différend tel que convenu dans le cadre de l’accord de Genève en général, et au
paragraphe 2 de son article IV en particulier, ainsi qu’il sera montré dans la seconde partie de ce
mémorandum.
27

- 13 -
PARTIE II
II.1. PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE IV DE L’ACCORD DE GENÈVE :
TEXTE ET CONTEXTE

62. L’accord de Genève met en jeu deux grandes questions qu’il y a lieu de résoudre pour
28

pouvoir apprécier la compétence de la Cour : i) la première intéresse l’étendue du mandat confié au
Secrétaire général de l’ONU par les Parties et les droits et obligations de celles-ci découlant de
l’exécution de ce mandat ; ii) la seconde concerne l’objet du différend.

63. Sous l’empire de la règle générale d’interprétation des traités énoncée à l’article 31 de la
convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, qui reflète le droit coutumier, il est
bien établi
a) que toute clause conventionnelle doit être interprétée «de bonne foi suivant le sens ordinaire à
attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but»
(par. 1) ;
b) qu’aux fins de l’interprétation du traité, le «contexte» comprend, «outre le texte, préambule et
annexes inclus», «[t]out instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la
conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au
traité» (par. 2) ;
c) qu’en même temps que le contexte, il faut tenir compte de «toute pratique ultérieurement suivie
dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de
l’interprétation du traité» (par. 3 b)).
29

64. Les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu sont
des moyens d’interprétation complémentaires qui peuvent être utilisés pour confirmer le sens
résultant de l’application de la règle générale d’interprétation ou pour déterminer le sens lorsque
l’application de la règle générale le laisse ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est
manifestement absurde ou déraisonnable, comme le prévoit l’article 32 de la convention. Selon
certains, ces moyens sont plus que complémentaires et doivent être pris en compte dans
l’application de la règle générale permettant de déterminer le champ d’application des textes.

65. Enfin, lorsqu’un traité a été authentifié en plus d’une langue, comme dans le cas de
l’accord de Genève, son texte fait également foi dans chacune des langues employées, sauf
disposition contraire (article 33 de la convention).
* *

66. En application de ces règles, il convient en premier lieu d’examiner le texte de l’accord
de Genève dans son contexte. Aux termes du paragraphe 2 de l’article IV, si le moyen de règlement
qu’il a retenu ne mène pas à une solution du différend, le Secrétaire général de l’ONU choisit
«un autre des moyens stipulés à l’Article 33 de la Charte des Nations Unies, et ainsi de
suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce que tous les moyens de
règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés».
30

- 14 -

67. Dans sa communication du 30 janvier 2018, le Secrétaire général de l’ONU a retenu la
Cour internationale de Justice comme moyen de règlement du différend à utiliser entre le Guyana
et le Venezuela, ayant estimé que les bons offices n’avaient pas produit de progrès significatifs. Le
Guyana ne se fonde que sur cette communication pour établir la compétence de la Cour à l’égard
de sa requête unilatérale.

68. La prétention du Guyana ne peut prospérer. Premièrement, la lettre du Secrétaire général
de l’ONU ne cadre pas avec le mandat que lui confie le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève. Deuxièmement, à supposer même que le Secrétaire général ait exercé en toute régularité
les pouvoirs que lui avaient conférés les Parties, son choix n’offre pas en lui-même une base de
compétence à la Cour à l’égard d’une question dont elle a été saisie unilatéralement.

69. Le seul effet juridique que la lettre du Secrétaire général de l’ONU pourrait avoir sous
l’empire du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève serait de retenir la Cour
internationale de Justice comme moyen de règlement du différend succédant à la procédure des
bons offices couplée aux éléments de médiation visée dans la communication du Secrétaire général
en date du 15 décembre 2016. Quoi qu’il en soit, ni le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève ni telle ou telle autre de ses dispositions n’établit, expressément ou implicitement, de base
permettant à la Cour d’exercer sa compétence sur le fondement de l’article 36 de son Statut ni ne
définit les modalités d’application de l’article 40 ; en particulier, les Parties ne sont convenues nulle
part dans l’accord d’accepter que l’une d’entre elles puisse porter unilatéralement le différend
devant la Cour sans le consentement de l’autre.

70. En d’autres termes, le fait que le Secrétaire général de l’ONU ait retenu la Cour comme
31

moyen de règlement ne donne pas pour autant compétence à celle-ci pour connaître du différend et
encore moins n’autorise une des Parties à intenter unilatéralement une action devant elle. La Cour
ne peut avoir compétence pour statuer sur le différend sans autres démarches, lesquelles doivent
être effectuées «conformément aux dispositions du Statut» (Détroit de Corfou (Royaume-Uni
c. Albanie), exception préliminaire, arrêt, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 26). Il faut ainsi, en
droit, que les deux Parties acceptent la compétence de la Cour et expriment cette acceptation par
voie de compromis conclu entre elles.
* *

71. Certes, l’article 33 de la Charte des Nations Unies vise le règlement judiciaire (et
l’arbitrage), ainsi que d’autres moyens pacifiques de règlement des différends qui vont de la
négociation au recours aux organismes ou accords régionaux et à d’autres moyens que les Parties
jugeraient opportun de choisir, en passant par l’enquête, la médiation et la conciliation, mais le
paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève veut qu’ils soient essayés successivement,
exprimant ainsi un certain ordre de préférence. De toute façon, depuis la signature de l’accord de
Genève, les bons offices, qui ne sont pas expressément visés à l’article 33, sont le seul moyen
utilisé. Aux termes de la lettre du Secrétaire général de l’ONU en date du 15 décembre 2016, des
éléments de médiation devaient être essayés parallèlement aux bons offices pendant quelques mois
en 2017 à l’issue des réunions qui se sont tenues au Greentree Estate, mais c’était sans compter le
manque de temps et de volonté de négocier du Guyana.

72. Dans le préambule, les Parties se déclaraient convaincues que l’application de l’accord
permettrait de régler le différend à l’amiable d’une manière acceptable pour toutes deux, et
l’article premier visait la recherche de solutions satisfaisantes pour le règlement pratique du
32

- 15 -
différend. Cela exclut le recours aux moyens arbitraux et judiciaires, qui ne sont expressément
mentionnés nulle part, à moins que les Parties ne consentent à y recourir par voie de compromis. Il
ne s’agit pas seulement de régler le différend, mais de le faire par des moyens pratiques,
acceptables et satisfaisants retenus d’un commun accord par les Parties.

73. Cette interprétation de l’accord de Genève cadre parfaitement avec l’arrêt relatif à la
compétence que la Cour a rendu récemment en l’affaire Ukraine c. Russie. La Cour indique
expressément que le fait de se fixer pour objectif de parvenir à «une solution amiable de la
question», comme envisagé dans le traité en cause dans cette affaire, signifie que les Etats parties
au traité cherchent à «parvenir à un accord pour régler leur différend» ou, autrement dit, au
«règlement d[u] différend par voie d’accord», par opposition à la voie judiciaire ou arbitrale (voir
Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt du 8 novembre 2019, par. 109
et 110). Il en va de même en l’espèce.

74. En principe, les moyens judiciaires et arbitraux ne sont pas les plus propices pour
parvenir à ce règlement pratique, acceptable et satisfaisant pour les deux Parties qui constitue
l’objet et le but de l’accord de Genève. Le Venezuela a donc de bonnes raisons, tirées du texte du
paragraphe 2 de l’article IV lui-même ainsi que de l’objet et du but de l’accord, de tenir à ce que la
recherche d’une solution au différend se poursuive par voie de négociation à l’aide des moyens
politiques énoncés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Les principes de gradualité et de
progressivité qu’il faut appliquer pour régler le différend territorial par des moyens politiques sont
consacrés par le paragraphe 2 de l’article IV et constituent un des éléments essentiels de la
procédure établie dans l’accord. De toute évidence, ils n’ont pas été respectés en l’espèce.

75. Le Guyana affirme que vingt-huit années de bons offices, voire les cinquante-deux
33

années écoulées depuis la conclusion de l’accord de Genève, n’ayant pas permis de régler le
différend, il se doit d’en référer à la Cour. Il met ainsi en exergue la longueur des négociations,
mais n’a aucun intérêt à expliquer pourquoi le différend n’a pas encore été réglé par les bons
offices.

76. Or, si le différend n’a pas encore eu de solution, c’est parce que le Guyana refuse de
coopérer de bonne foi à l’exercice des bons offices, moyen de négociation visant à aider les Parties
dans leur quête d’un règlement pratique, acceptable et satisfaisant de part et d’autre. Le Guyana a
préféré fermer les yeux sur le différend, estimant que le temps jouait en faveur de la consolidation
des effets des initiatives unilatérales qu’il prend sur un territoire qu’il occupe et contrôle de facto,
et chercher ensuite, au mépris de l’objet et du but de l’accord, à imposer une décision de justice
statuant sur la validité de la sentence de 1899. Cette question n’était pas à l’ordre du jour des
négociations, dans lesquelles le Venezuela a toujours proposé des solutions politiques et
multiformes au présent différend territorial, qui va au-delà du simple débat sur la validité ou la
nullité juridique de la sentence arbitrale avec lequel le Guyana a voulu, abusivement, clore la
question il y a de cela soixante ans.

77. La procédure des bons offices a commencé en 1989. Elle a peut-être duré trop
longtemps, mais pas aussi longtemps que le Guyana l’affirme si l’on tient compte des nombreuses
interruptions qu’elle a connues. Pas une seule année n’a été consacrée à la médiation ou à la mise à
l’essai des autres moyens mentionnés à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, démarches qui
auraient été plus conformes à la successivité des moyens de règlement à laquelle les Parties avaient
souscrit au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord.
34

- 16 -

78. L’accord de Genève n’ayant pas fixé de délai pour l’atteindre, c’est l’objectif poursuivi, à
savoir le règlement pratique, acceptable et satisfaisant du différend, qui doit inspirer le choix des
moyens. L’accord ne fixe que la durée des travaux de la commission mixte. Le choix des moyens
politiques auxquels les Parties peuvent faire appel est ouvert et indéfini tant qu’elles tombent
d’accord. Les bons offices ne sont d’ailleurs pas expressément mentionnés à l’article 33 de la
Charte mais relèvent de la catégorie visée par l’expression générique «autres moyens … de leur
choix». Ils ne sont pas le seul moyen politique de règlement possible, mais seulement le premier et
le plus élémentaire d’entre eux, celui qui cause le moins d’ingérence dans les négociations entre les
Parties.

79. Ce que la logique commande de faire dans l’ordre naturel et progressif prévu au
paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, c’est de recourir à la médiation si l’on
considère que les bons offices sont épuisés. Les Parties peuvent envisager de fixer une durée à la
médiation, comme l’a proposé le Secrétaire général de l’ONU, à condition que cette durée soit
réaliste. Comme indiqué plus haut, tel n’était pas le cas dans le document relatif à la marche qu’il
proposait de suivre en 2015.
II.2. LE PARAGRAPHE 2 DE L’ARTICLE IV DE L’ACCORD DE GENÈVE
NE CONSTITUE PAS UNE BASE DE COMPÉTENCE
AU SENS DU STATUT DE LA COUR

80. Selon un des principes fondamentaux du droit applicable au règlement judiciaire des
différends entre Etats, aucune juridiction ne peut exercer sa compétence sans le consentement des
parties, c’est-à-dire sans que celles-ci n’aient manifesté de façon claire et dénuée d’équivoque leur
volonté d’accepter cette compétence.

81. La Cour internationale de Justice ne peut être saisie d’une affaire que s’il existe une base
35

de compétence qui lui permet d’en connaître. La seule que le Guyana invoque est celle qui, à son
avis, découle de la communication du Secrétaire général de l’ONU en date du 30 janvier 2018,
laquelle repose sur une interprétation extensive du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève. Aucun des traités auxquels le Venezuela et le Guyana sont parties n’offre de base pour
intenter une action unilatérale et ni le Guyana ni le Venezuela n’ont déposé la déclaration visée par
la clause facultative du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Dans ces circonstances particulières,
la requête unilatérale du Guyana ne peut être jugée recevable que si le Venezuela accepte la
compétence de la Cour sur l’objet de la demande par voie de forum prorogatum. Le Venezuela ne
l’a pas fait et ne le fera pas.

82. Le Venezuela n’a pas accepté la compétence de la Cour, comme on peut le constater si
l’on applique dûment la règle générale d’interprétation à la communication en date du 30 janvier
2018, que le Secrétaire général de l’ONU dit avoir faite dans le cadre des pouvoirs que les Parties
lui avaient conférés dans la seconde phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève.
Les libellés en question doivent être interprétés à la lumière de leur sens intrinsèque et en tenant
compte de leur contexte et circonstances spécifiques.
- 17 -

83. A supposer même qu’il soit permis de le porter devant une cour ou un tribunal sur le
fondement de l’accord de Genève, le différend ne pourra, de toute façon, être réglé dans le respect
de cet accord que si l’on précise quel en est l’objet et quels sont les paramètres qu’il y a lieu de
prendre en compte, au-delà des simples règles du droit international. Cela nécessiterait la
conclusion d’un compromis.
* *
36

84. Le Venezuela n’exclut pas le recours aux moyens arbitraux et judiciaires comme
ultima ratio dès lors que les deux Parties, le Secrétaire général de l’ONU et son représentant
personnel concluent à l’échec de tous les moyens politiques disponibles. En revanche, il ne peut
que rejeter les raccourcis avancés par le Guyana, surtout lorsque ceux-ci ne cadrent pas avec
l’interprétation correcte, telle qu’établie par le Venezuela, du paragraphe 2 de l’article IV de
l’accord.

85. Faire appel à des moyens judiciaires ou arbitraux sans vérifier que tous les moyens
politiques disponibles non essayés ou insuffisamment essayés ont été épuisés revient à
court-circuiter de manière inadmissible les règles définies par l’accord de Genève. De plus, de par
leur nature même, les moyens juridiques ne sont pas les plus propices pour répondre à l’objet et au
but de l’accord, ainsi qu’il a été constaté plus haut. Cela dit, l’épuisement des moyens disponibles
en l’espèce n’emporterait pas création d’une base de compétence.

86. L’arbitrage et le règlement judiciaire sont des moyens par lesquels un tiers ne se contente
pas d’aider les parties à régler un différend mais décide pour elles. Par conséquent, ils ne peuvent
garantir le règlement du différend «à l’amiable, d’une manière acceptable pour les deux parties»
(préambule de l’accord de Genève) que si celles-ci acceptent d’y recourir et négocient un
compromis précisant l’objet du différend, l’organe ou l’organisme chargé de le régler, le fondement
de leur décision en droit et en équité, ainsi que d’autres éléments d’ordre procédural tels que la ou
les langues à utiliser afin de respecter l’égalité entre les Parties. Il n’est pas acceptable de dire,
comme le fait le Guyana, que la consultation et l’acceptation des deux Parties sont requises pour
engager un processus diplomatique tout en abandonnant unilatéralement ces conditions dès lors
qu’il s’agit d’un processus judiciaire.
37

* *

87. Le document interne du Secrétaire général de l’ONU (relatif à la «marche à suivre»)
prévoyait dans l’un de ses paragraphes ce qui suit : «après acceptation de la présente proposition
par les deux Parties, le Secrétaire général de l’ONU publiera un communiqué de presse détaillé sur
la procédure convenue» (les italiques sont de nous). Par conséquent, et dans le droit fil de la
pratique suivie antérieurement s’agissant de la mise en œuvre de l’accord, le Secrétaire général de
l’ONU ne peut donner suite à cette proposition sans le consentement des deux Parties. Tout choix
qu’il fait ne suffit pas en soi à matérialiser le recours à tel ou tel moyen de règlement.
- 18 -

88. En donnant son consentement, le Venezuela a précisé qu’il n’accepterait pas de décision
retenant la Cour internationale de Justice comme prochain moyen de règlement.

89. La communication du Secrétaire général de l’ONU en date du 30 janvier 2018 montre
que celui-ci n’a pas correctement exercé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 2 de l’article IV
de l’accord. Le Secrétaire général a fait fi du principe d’équilibre entre les Parties en s’alignant
étrangement sur la position de l’une d’elles, et a méconnu la pratique voulant que les Parties non
seulement soient consultées, mais aussi donnent leur consentement.

90. Le Secrétaire général ne s’est à aucun moment prononcé sur les effets de sa lettre ni n’a
38

répondu aux objections soulevées par le Venezuela au cours de ces dernières années. Pour les
raisons exposées ci-dessus, il est évident que sa communication ne peut être considérée que comme
une recommandation.

91. A supposer même que la lettre du Secrétaire général de l’ONU soit jugée conforme à
l’accord de Genève ou que l’on considère que le Secrétaire général a exercé ses pouvoirs dans les
limites fixées au paragraphe 2 de l’article IV de l’accord, l’interprétation donnée par le Guyana à
cette disposition est sans fondement.

92. Le Guyana voit dans la seconde phrase du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de
Genève une sorte de clause compromissoire implicite pouvant être activée par décision du
Secrétaire général de l’ONU chaque fois qu’il le juge opportun et qui autorise l’une ou l’autre des
Parties à inférer de cette décision que la Cour est compétente et à introduire unilatéralement une
instance devant celle-ci. Cette interprétation est manifestement abusive et doit être rejetée en tous
points.

93. Selon le Venezuela, le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève ne confère pas
au Secrétaire général de l’ONU, indépendamment de la façon dont il aura exercé sa fonction, la
prérogative que lui prête le Guyana. Le fait que le Secrétaire général retienne la Cour comme
moyen de règlement ne revient pas à trancher la question de la compétence de la Cour.

94. Ni le paragraphe 2 de l’article IV in fine ni aucune autre disposition de l’accord ne dit
39

que le Venezuela accepte de conférer au Secrétaire général de l’ONU le pouvoir sans précédent
d’habiliter avec force obligatoire le Guyana à porter unilatéralement le différend devant la Cour
internationale de Justice. Ni le paragraphe 2 in fine ni aucune autre disposition n’accorde non plus à
l’une des Parties le droit de former un recours, c’est-à-dire de déposer une requête unilatérale.

Choisir le moyen de règlement que les Parties devront expérimenter ne suffit pas en soi pour
donner compétence à une juridiction  en l’occurrence la Cour  en l’absence de consentement,
et peut encore moins remplacer ce consentement. Donner raison au Guyana reviendrait à dire que le
Secrétaire général de l’ONU pourrait recourir à n’importe quelle juridiction et que son choix
suffirait pour que celle-ci devienne compétente, quelles que soient les règles régissant sa
compétence. Cela ne peut évidemment pas être juste.

95. A vrai dire, ce n’est pas ce que le Secrétaire général de l’ONU avait en tête dans sa
communication du 30 janvier 2018. Le Secrétaire général y déclare en effet avoir «retenu la Cour
internationale de Justice comme prochain moyen» de règlement du différend, puis ajoute ce qui
suit :
- 19 -
«[S]i les deux gouvernements acceptaient cette offre de procédure
complémentaire [de bons offices], j’estime que celle-ci pourrait favoriser l’utilisation
du moyen de règlement pacifique retenu».

96. La Cour internationale de Justice étant le principal organe judiciaire de l’ONU, sa saisine
s’inscrit dans l’éventail des possibilités de règlement judiciaire disponibles. Toutefois, en ce qui
concerne la requête déposée par le Guyana, il serait vraiment surprenant que la Cour considère que
par la simple apposition de sa signature sur l’accord de Genève, le Venezuela 1) a accepté sans
équivoque la compétence de la Cour (et, en fait, selon l’interprétation que le Guyana donne au
paragraphe 2 de l’article IV de l’accord, celle de toute juridiction internationale dès lors que le
Secrétaire général de l’ONU la choisit) ; et 2) a admis que le différend pouvait être soumis à la
Cour par requête unilatérale et non par compromis. L’interprétation que le Guyana propose revient
à réécrire et à réviser le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord et non à l’interpréter. Non
seulement cette disposition ne vise pas expressément la Cour, mais elle ne fait nullement état d’une
acceptation de sa compétence ni ne prévoit la faculté de la saisir unilatéralement d’une requête.
40

97. Dans l’histoire de l’application de l’accord de Genève, il est bien établi que le Venezuela
a toujours choisi les moyens politiques susceptibles d’aider les Parties à négocier qui portaient le
moins possible atteinte à leur liberté d’action. Il n’est donc pas permis de présumer qu’il entendait
accepter la possibilité d’introduire unilatéralement une instance contre lui.

98. Le règlement judiciaire ne peut être plus favorable que l’arbitrage en ce qui concerne la
nécessité du consentement des Parties à l’exercice de la compétence. Au cas où le Secrétaire
général de l’ONU retiendrait l’arbitrage comme moyen de règlement du différend ayant force
obligatoire à l’égard des Parties, celles-ci devraient négocier un compromis à cette fin.
99. En outre, il convient de rappeler qu’en droit constitutionnel vénézuélien, pareil
compromis étant un traité tendant à subordonner à la décision d’un tiers un choix concernant la
souveraineté territoriale du pays, un référendum consultatif devrait être organisé sur la question. Un
tel référendum n’a pas eu lieu.

100. Il existe une différence évidente et très importante entre le paragraphe 2 de l’article IV
de l’accord de Genève et les clauses compromissoires que les Etats adoptent aux fins de saisir la
Cour. Par ailleurs, l’accord de Genève ne figure pas sur la liste des conventions assorties de clauses
compromissoires que la Cour elle-même publie.

101. La pratique vénézuélienne vient confirmer que la conclusion inférée par le Guyana est
41

erronée. En effet, une des caractéristiques traditionnelles de la politique étrangère du pays consiste
à exclure systématiquement le recours à l’arbitrage et à la justice pour régler ses différends
internationaux. L’on aura peine à trouver le Venezuela sur la liste des pays qui ont signé des traités,
protocoles ou clauses d’arbitrage visant à soumettre des différends à la Cour. Le Venezuela a
formulé des réserves aux clauses de cette nature insérées dans les traités multilatéraux ou s’est
abstenu de devenir partie aux traités concernés, de ratifier les protocoles facultatifs portant
acceptation de tel ou tel type de compétence arbitrale ou judiciaire ou d’y adhérer.

102. Tout cela vient confirmer que le paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, en
soi, ne constitue pas une clause compromissoire permettant d’intenter une action unilatérale devant
la Cour ni ne peut être interprété comme telle.
- 20 -

103. La Cour ne peut avoir compétence pour statuer sur la requête du Guyana que si le
Venezuela y consent de façon manifeste et concrète ; cette compétence ne peut reposer sur une
ingénieuse révision du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève opérée sous couvert
d’interprétation. Ledit accord ne fondant pas la compétence de la Cour, la prétention du Guyana ne
pourrait, à cet égard, être examinée que sur le fondement de la règle dite du forum prorogatum, le
Venezuela étant invité à accepter la compétence de la Cour une fois la demande soumise. Seule une
telle acceptation pourrait activer la compétence de la Cour. Une fois de plus, le Venezuela
réaffirme qu’il n’a pas accepté, n’accepte pas et n’acceptera pas la compétence de la Cour en
l’espèce.
- 21 -
PARTIE III

III.1. L’OBJET DE LA REQUÊTE DU GUYANA NE CORRESPOND PAS
À CELUI DU DIFFÉREND VISÉ DANS L’ACCORD DE GENÈVE

104. En ce qui concerne l’objet de sa requête, le Guyana affirme que celle-ci porte sur la
42

validité ou la nullité de la sentence arbitrale de 1899 (et de l’accord de 1905). En outre, il cherche à
étayer sa prétention par une série d’arguments prétendument liés à la déclaration de validité qu’il
demande à la Cour de prononcer, lesquels débordent manifestement le champ de compétence de la
Cour, cette compétence étant de toute façon mal fondée eu égard à la base unilatéralement
invoquée par le Guyana.

105. L’interprétation offerte par le Guyana est trop large et erronée. Toute lecture attentive et
de bonne foi de l’article premier de l’accord de Genève montre que le différend est né «du fait de la
position du Venezuela, qui soutient que la sentence arbitrale de 1899 … est nulle et non avenue»
(les italiques sont de nous). Le différend intéresse la souveraineté sur le territoire lui-même,
puisque le Venezuela fait valoir que la sentence, qui n’est pas en soi l’objet du différend visé par
l’accord de Genève, n’est pas valable. La validité ou la nullité de la sentence ne sont pas au cœur
du différend. Si tel avait été le cas, les Parties auraient conclu non pas l’accord de Genève, mais
une convention différente contenant une clause compromissoire.

106. Toute sentence arbitrale est valable ou nulle ; il n’y a pas de juste milieu et, de ce strict
43

point de vue juridique, il ne serait pas possible de parvenir à un règlement pratique, acceptable et
satisfaisant du différend, comme le veut l’accord de Genève. La validité ou la nullité d’une
sentence arbitrale ne sont pas négociables. Si l’accord de Genève avait eu pour objet de régler cette
question (qui est une question juridique stricte relevant de la compétence d’instances judiciaires), le
Royaume-Uni et la Guyane britannique ne se seraient pas opposés, comme ils l’ont fait, à
l’évocation de l’arbitrage ou des moyens judiciaires (pour ne pas parler de la Cour) dans le
processus de négociation qui a abouti à sa conclusion.

107. Depuis la signature de l’accord de Genève, des parties prenantes vénézuéliennes
(comme Carlos Sosa Rodriguez, qui avait activement participé à la négociation de l’accord) se sont
déclarées convaincues que la solidité des moyens de recours invoqués par le Venezuela contre la
sentence de 1899 sur le fond avait conduit les Parties à mettre de côté la question de sa validité ou
de sa nullité lors de la discussion du contenu de l’accord, pour éviter que leurs divergences de vues
à cet égard ne viennent compromettre la conclusion de celui-ci.

108. Dans une note adressée le 25 février 1966 à l’ambassadeur du Royaume-Uni à Caracas,
Anthony Lincoln, le ministre britannique des affaires étrangères, Michael Stewart, déclare que le
Venezuela
«a tout fait pour que le préambule de l’accord reflète sa position de base, à savoir :
premièrement qu’il s’agissait d’examiner la question fondamentale de la frontière et
non uniquement la validité de la sentence de 1899 et, deuxièmement, que tel avait été
le fondement des pourparlers tant à Londres qu’à Genève»,
précisant que, «[n]on sans difficulté, [il avait] persuadé le ministre vénézuélien des affaires
étrangères d’accepter, dans un esprit de compromis, un libellé qui reflète les positions connues des
deux parties».
- 22 -

109. La thèse de la nullité de la sentence de 1899 a débouché sur une négociation de fond à
44

propos des moyens à utiliser pour régler le différend territorial opposant les Parties d’une manière
pratique, acceptable et satisfaisante, et non sur un examen de la validité de la sentence sur le plan
procédural. C’est sur cette base que l’accord de Genève a été rédigé et adopté. Sans l’admettre, le
Royaume-Uni était bien conscient des irrégularités entachant la procédure d’arbitrage et la sentence
(du reste non motivée) issue de cette procédure ; en outre, il comprenait qu’il était nécessaire de
rechercher une solution auxdites irrégularités par la voie diplomatique. En d’autres termes, l’accord
de Genève a contourné la question de la validité ou de la nullité de la sentence. Par conséquent, dire
que le différend concerne la nullité de cette sentence, comme le fait le Guyana, revient à
méconnaître l’esprit, le texte, le contenu et les effets de l’accord.

110. L’accord de Genève vise principalement à rechercher des «solutions satisfaisantes pour
le règlement pratique du différend» (les italiques sont de nous). Il s’articule autour de cet objet et
de ce but bien précis, qui reviennent tel un leitmotiv, dans les mêmes termes que ceux employés au
point 2 de l’ordre du jour des pourparlers de Londres (9 et 10 décembre 1965) et repris dans l’ordre
du jour des pourparlers de Genève (16 et 17 février 1966). Considérer que la question de la nullité
ou de la validité de la sentence est au cœur du véritable différend aux termes de l’accord de
Genève, comme le soutient le Guyana, rendrait inutiles et absurdes les innombrables références
faites au concept de règlement pratique, acceptable et satisfaisant et les priverait de tout effet
juridique (c’est-à-dire de tout effet utile).

111. Au vu de la raison d’être de l’accord, les Parties, compte tenu de l’allégation de nullité
de la sentence avancée par le Venezuela, se devaient d’accepter de tenir des négociations sur le
différend territorial avec l’assistance de tiers afin de parvenir à un règlement pratique, satisfaisant
et acceptable.

112. La thèse de la nullité de la sentence est l’expression d’une position vénézuélienne dont
45

les Parties ont pris acte afin de tenter de régler le différend territorial découlant de cette nullité
alléguée, différend auquel il s’agit de rechercher une solution satisfaisante pour les deux Parties
conformément à la procédure définie dans l’accord de Genève.

113. Il convient de rappeler que le ministre vénézuélien des affaires étrangères,
M. Iribarren Borges, était disposé à soumettre à l’arbitrage ou à la Cour internationale de Justice le
véritable différend, à savoir le différend territorial, mais non la question de la validité ou de la
nullité de la sentence de 1899. D’où la réticence des Guyaniens et Britanniques à mentionner ces
voies de recours dans l’accord de Genève, et leur souhait qu’elles ne soient pas expressément
visées dans les articles régissant les moyens de règlement. Le Guyana ne saurait donc aujourd’hui
«avoir le beurre et l’argent du beurre», c’est-à-dire obtenir qu’une cour ou un tribunal statue sur la
validité ou la nullité de la sentence de 1899. Ce n’est pas ce qui a été convenu à Genève en 1966 :
l’accord de Genève a pour objet le différend territorial et non la validité ou la nullité de la sentence
de 1899 et les Parties ont décidé d’exclure toute référence expresse à la voie juridictionnelle dans
l’accord.

114. Un certain nombre d’enseignements se dégagent des travaux préparatoires de l’accord
de Genève :
1) le Venezuela souhaitait parvenir au plus vite à un règlement du différend territorial l’opposant
au Royaume-Uni (et au Guyana) au sujet de ses frontières avec la Guyane britannique ;
- 23 -
2) c’est le Venezuela qui, loin d’écarter les solutions arbitrale et judiciaire, a proposé, à cet effet,
de les retenir en dernier recours au cas où il ne serait pas possible de parvenir à un règlement
pratique dans le cadre d’une commission mixte ou par d’autres moyens politiques de règlement
tels que la médiation (dont la durée devait être limitée pour éviter qu’elle ne continue
indéfiniment) ;
46

3) suivant une politique dilatoire, Britanniques et Guyaniens n’ont pas souhaité que l’arbitrage ou
le règlement judiciaire soient expressément mentionnés dans l’accord, préférant viser de façon
générale les moyens prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies ;
4) l’attitude du Royaume-Uni et de la Guyane britannique ne pourrait pas s’expliquer s’il s’agissait
de statuer sur la validité de la sentence de 1899 ;
5) la proposition du ministre vénézuélien des affaires étrangères, M. Iribarren Borges, d’envisager
l’arbitrage ou le règlement judiciaire comme solution de dernier recours concernait
invariablement le différend territorial découlant d’une thèse  la nullité de la sentence
arbitrale  qui n’était pas à l’ordre du jour de la négociation de l’accord ;
6) le ministre vénézuélien comprenait que l’arbitrage et le règlement judiciaire n’étaient pas des
mécanismes automatiques ou unilatéraux, mais devaient être l’objet d’un accord négocié entre
les Parties et faisant de l’équité une des sources fondamentales de la décision pour répondre à la
nécessité d’une véritable justice. L’objet de l’arbitrage que M. Iribarren Borges proposait
comme moyen de règlement définitif devient encore plus évident à la lecture de cette
observation du ministre : «Il peut y avoir une solution autre que l’arbitrage ; il pourrai[t être]
conven[u] de procéder à une division du territoire.»

115. La réalité est que ceux qui prétendent maintenant trouver dans le paragraphe 2 de
47

l’article IV de l’accord de Genève une acceptation inconditionnelle de la compétence de la Cour
par le Venezuela ont refusé à l’époque toute mention non seulement de la Cour, mais aussi de
l’arbitrage et du règlement judiciaire. Ils savaient que le recours à la Cour pour régler le différend
territorial par les moyens envisagés dans l’accord impliquait la révision de la sentence de 1899. Le
Venezuela a expressément abordé cette question à Londres et à Genève du point de vue de la
justice historique, de la morale et du redressement équitable. Lors des négociations de Londres et
de Genève, c’est le Venezuela, aujourd’hui accusé de manœuvres dilatoires, qui a fait des
propositions visant à parvenir à un règlement définitif sur le fond dans un délai raisonnable.
III.2. COMPORTEMENT DES PARTIES DANS LE TERRITOIRE LITIGIEUX

116. Dans le récit qu’il fait dans sa requête, le Guyana méconnaît gravement certains faits de
la cause et omet délibérément les nombreuses mesures prises par le Venezuela en sa faveur et en
faveur de ses populations dans le cadre d’une politique d’intégration et de solidarité régionales,
ainsi qu’il ressort d’un rapport en date du 28 juillet 2015 qu’il a soumis à l’Organisation mondiale
du commerce. Il convient de signaler que, sous la présidence d’Hugo Chavez, le Venezuela avait
adopté une politique consistant à ne pas entraver l’exécution des projets du Guyana à l’ouest de
l’Essequibo lorsque ceux-ci avaient un impact social positif.

117. Il ressort de l’historique des faits survenus depuis la signature de l’accord de Genève en
1966 que le Guyana porte régulièrement contre le Venezuela des accusations de menaces et
d’agression devant le Conseil de sécurité et d’autres instances internationales en vue de
multilatéraliser la situation et d’éviter de s’acquitter des obligations mises à sa charge par l’accord.
48

- 24 -

118. Cette politique a été particulièrement marquée au début des années 1980, époque où le
Guyana a réagi avec hostilité à la décision du Venezuela de ne pas renouveler le protocole de
Port of Spain et de bloquer les projets engagés par le Guyana à l’ouest de l’Essequibo, qui étaient
d’une grande importance stratégique et environnementale, tels que le barrage hydroélectrique
d’Alto Mazaruni. Elle s’est davantage intensifiée pour des raisons pétrolières lorsque David
Granger est devenu président du Guyana en 2015.

119. Les discours prononcés par le président Granger dans différentes circonstances (ses
discours officiels lors du débat général à l’Assemblée générale des Nations Unies et devant les
instances régionales et sous-régionales), dont certains sont inclus dans la requête du Guyana,
présentent faussement le Venezuela comme un Etat qui agresse un pays pauvre. Or, il est avéré que
le Venezuela n’a jamais engagé de guerre. Les faits exposés dans la requête du Guyana constituent
un exemple typique de ce que l’on appelle aujourd’hui une post-vérité, la dénaturation délibérée de
la réalité pour manipuler les convictions et les émotions.

120. Se faire passer pour une victime est une des stratégies récurrentes que le Guyana utilise
dans son action politique pour tenter de discréditer le Venezuela au moyen de fausses accusations,
s’attirer la solidarité internationale et faire croire que la revendication du Venezuela constitue un
obstacle majeur au plein exercice de son droit au développement. Les termes insultants utilisés par
les autorités guyaniennes ne cadrent pas avec les politiques de solidarité et d’intégration
encouragées et mises en œuvre au détriment des politiques internes du Venezuela, en particulier
l’accord bilatéral d’approvisionnement en pétrole. Le Venezuela n’a jamais commis d’acte
d’agression contre le Guyana ; au contraire, il contribue au développement de l’économie
guyanienne en prônant la fraternité latino-américaine et caribéenne et l’appui à l’intégration de la
région.

121. La rareté et l’insignifiance des actes prétendument illicites que le Guyana attribue au
49

Venezuela sont autant de preuves que le Guyana exagère les faits ; du reste, quand bien même
ceux-ci se seraient produits, ils ne suffiraient pas à accréditer ses accusations. De plus, ces
accusations reposent à tort sur une souveraineté territoriale qui est contestée, sans compter qu’à
supposer même qu’elle soit reconnue, les faits incriminés constituent des incidents mineurs
survenus dans le cadre de relations de voisinage de fait.
* *

122. Aux termes du paragraphe 2 de l’article V de l’accord de Genève,
«[a]ucun acte ni aucune activité qui aura lieu pendant que le présent Accord sera en
vigueur ne pourra servir de base pour affirmer, appuyer ou nier une revendication
portant sur les territoires du Venezuela ou de la Guyane britannique, ni pour créer
aucun droit à la souveraineté».

123. Il est toutefois évident que l’occupation par le Guyana du territoire revendiqué par le
Venezuela a donné lieu à des activités guyaniennes dont l’impact réel est incontestable. Il est
logique que le Venezuela veuille obtenir toutes les informations possibles sur les réalités du terrain,
tant sur le plan de la démographie et des infrastructures que sur celui de l’exploitation des
ressources et de la protection de l’environnement. Il aurait été souhaitable que les deux Parties
adoptent d’un commun accord un mécanisme d’action conjointe  ou au moins de consultation 
- 25 -
sur ce qui se fait, et comment, dans un territoire dont la souveraineté est contestée. Le paragraphe 2
de l’article V renvoie aux «territoires du Venezuela ou de la Guyane britannique».

124. En ce qui concerne le territoire terrestre litigieux, le Venezuela juge important d’assurer
le respect et la protection de l’habitat naturel des populations autochtones, la conservation de sa
flore et de sa faune et un développement durable. Malheureusement, l’administration guyanienne
n’a pas agi dans ce sens. Il suffit de signaler que le Guyana est l’un des rares Etats au monde qui ne
sont toujours pas, à ce jour (21 septembre 2019), parties à la convention sur les zones humides
(convention de Ramsar de 1971).
50

125. La façon dont les peuples autochtones sont traités dans la Constitution vénézuélienne et
dans la pratique est un exemple pour le monde entier. Les populations autochtones de l’Essequibo
entretiennent des liens naturels avec celles de Delta Amacuro. Sa Constitution lui faisant obligation
de protéger les peuples autochtones, le Venezuela a établi une politique de protection de leurs terres
ancestrales, de leur identité, de leur culture, de leurs traditions et de leur environnement contre la
menace que représente l’exploitation intensive de leurs ressources par des sociétés transnationales
ayant obtenu des concessions du Gouvernement guyanien, incapable d’appliquer les garanties et
contrôles voulus.

126. La population de la Guayana Esequiba aurait dû être consultée dans le cadre du
processus de décolonisation, d’autant plus que le Venezuela revendiquait ce territoire. Elle ne l’a
pas été. Dans le passé, les peuples autochtones ont fait entendre leur voix pour demander au
Venezuela de leur assurer une plus grande participation à la vie politique et de prendre des mesures
juridiques pour protéger leurs droits et leurs cultures autochtones. De toute façon, il n’existe pas de
norme internationale interdisant au Venezuela de conférer à la population autochtone de
l’Essequibo le droit d’opter pour la nationalité vénézuélienne ou de lui accorder les droits
communautaires que sa législation reconnaît aux autres populations autochtones sur les terres, en
attendant qu’ils deviennent effectifs le jour où la Guayana Esequiba sera reconnue comme territoire
vénézuélien.
51

* *

127. L’accord de Genève constitue l’épine dorsale des moyens que les Parties ont adoptés
pour parvenir à un règlement pratique et raisonnable du différend territorial. Le règlement du
différend est déterminant pour attribuer à chacune d’elles les espaces maritimes correspondant à la
projection de ses côtes, conformément au principe du droit international bien établi selon lequel «la
terre domine la mer» et  conséquemment  pour les délimiter par rapport à ceux de l’autre
Partie, question qui déborde le champ d’application de l’accord. Le Guyana prend sans cesse des
décisions unilatérales concernant les espaces maritimes du territoire en litige, ce qui,
indépendamment de ses ambitieuses visées sur l’Essequibo, constitue un comportement risqué et
porteur de déstabilisation.

128. Une manifestation particulièrement grave de sa politique imprudente a consisté à
octroyer des permis d’exploration et d’exploitation de gisements d’hydrocarbures sur de grands
blocs du plateau continental sans tenir compte du voisinage du Venezuela. Les limites de certains
de ces blocs se situent dans des zones correspondant à la projection immédiate de Delta Amacuro.
Que la souveraineté sur la Guayana Esequiba lui soit attribuée ou non, ces zones empiètent sur des
espaces du Venezuela. Non seulement le Guyana méconnaît la dimension maritime du différend
- 26 -
territorial, mais il veut aussi unilatéralement priver le Venezuela de sa composante atlantique. Cette
série de mesures unilatérales prises par le Guyana est incompatible avec les dispositions de la
déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux (résolution 37/10 du
15 novembre 1982, art. 5) et les principes devant guider la négociation internationale, adoptés par
l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution 53/101, art. 2 e)), qui reflètent les règles
générales du droit international.
52

129. Pour sa part, le Venezuela fait preuve de prudence. En toute logique, le comportement
du Guyana a suscité de sa part maintes protestations diplomatiques. Le Venezuela a également
adressé les lettres d’avertissement correspondantes aux sociétés concessionnaires. Ces protestations
ont commencé en 1965, avant même que le Guyana ne devienne un Etat souverain, et portaient à
l’époque sur les concessions attribuées par le Royaume-Uni dans les eaux jouxtant la façade côtière
de l’Essequibo. Elles ont été réitérées au cours de la dernière décennie du XX
e
siècle et se sont
multipliées dès le début du siècle actuel, à une seule exception près : alors qu’en 2017, les
concessions et les activités d’exploration guyaniennes connaissaient un pic, le Venezuela s’est
abstenu de protester pour ne pas perturber l’expérimentation de la formule proposée par le
Secrétaire général de l’ONU, qui combinait pour la première fois bons offices et éléments de
médiation.

130. Dans certains cas, des unités navales vénézuéliennes sont entrées en contact avec des
plateformes ou des navires d’exploration pour vérifier s’ils opéraient sous permis guyanien et les
informer que les eaux concernées étaient vénézuéliennes ou litigieuses et qu’ils pouvaient être
sanctionnés. Il y a même eu une arrestation en 2013. Voilà ce que le Guyana présente et dénonce
non sans impudence comme étant des actes d’hostilité, d’ingérence et même d’agression commis
par le Venezuela.

131. Il n’y a pas eu de fait majeur autre que l’échange de notes et de déclarations
diplomatiques entre les Parties. Il convient toutefois de souligner que l’ouverture de blocs à
l’exploration et à l’exploitation pétrolières revêt un caractère agressif, car ces blocs ne se limitent
pas à la projection maritime de la côte de l’Essequibo, mais empiètent sur la projection maritime du
delta de l’Orénoque et, partant, remettent en question la composante atlantique du Venezuela. Le
danger s’accroît à mesure que les permis et les activités d’exploration se déplacent vers l’ouest.
Une fois ces activités couronnées de succès et les plans d’opérations d’extraction immédiates
adoptés, tout sera en place pour que se déchaîne une «pleine tempête». L’intérêt géopolitique
qu’ont les Etats-Unis à dominer ces espaces, les intérêts économiques de leurs grands consortiums
énergétiques  à commencer par Exxon Mobil  et l’intérêt du Guyana à fonder son propre
développement sur les ressources pétrolières y concourront.
53

132. A la différence du Venezuela, le Guyana est partie à la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer et doit donc savoir que ce qui est requis en matière de délimitation des
espaces maritimes, c’est de parvenir à des arrangements pratiques provisoires qui, sans préjuger de
la délimitation définitive, favorisent l’instauration d’un climat de compréhension et de coopération.
L’équidistance n’est prévue nulle part dans la convention ou dans les normes générales du droit
international comme une règle pouvant être appliquée à titre subsidiaire ou transitoire en cas
d’absence d’accord. Le bien-fondé de l’application de l’équidistance est encore moins évident
lorsque celle-ci porte préjudice à l’une des parties à la délimitation.

133. Si le Venezuela devait agir comme le Guyana, au mépris total du caractère litigieux du
territoire situé à l’ouest de l’Essequibo, il tracerait une ligne provisoire suivant la médiane de
l’embouchure du fleuve.
- 27 -
CONCLUSION

134. Ayant refusé la simple mention de l’arbitrage et du règlement judiciaire dans l’accord
54

de Genève, le Guyana s’est fait le chantre du recours (unilatéral) à la Cour internationale de Justice
en manipulant l’esprit et l’objet de l’accord. Si la Cour se déclarait compétente pour connaître de
ses prétentions, l’accord de Genève s’éteindrait sans avoir atteint l’objectif ultime pour lequel il a
été conclu, à savoir le règlement pratique, acceptable et satisfaisant du différend territorial. Statuer
sur la validité de la sentence de 1899 ne permettrait pas d’atteindre cet objectif. Au contraire, cela
rendrait le règlement du différend plus difficile.

135. Ce faisant, la Cour irait du reste à l’encontre de l’accord de Genève. En outre, elle ne
pourrait régler le différend conformément aux prescriptions de celui-ci, puisqu’elle n’est pas en
mesure, en tant qu’organe juridictionnel et sur la seule base de la requête du Guyana, d’y apporter
une solution pratique, acceptable et satisfaisante. En conséquence, tout arrêt qu’elle rendrait sur le
fond de la requête du Guyana (quelles que soient ses conclusions juridiques) ne réglerait pas le
différend selon les modalités prévues dans l’accord de Genève.

136. Si l’accent était mis, à présent, sur la responsabilité incombant au Royaume-Uni pour la
politique coloniale et impérialiste dans le cadre de laquelle fut organisée la procédure frauduleuse
dite d’arbitrage, le Venezuela, qui détient en réalité la qualité de «victime» que s’arroge
aujourd’hui le Guyana  sans tenir compte de l’histoire ni faire cas de la promesse de négocier à
l’amiable dont il a hérité à sa naissance, au motif qu’elle date d’avant son accession à
l’indépendance en 1966 , devrait être traité comme telle par le Guyana. Or, le Guyana préfère
soutenir l’impérialisme britannique et une sentence arbitrale dont le Venezuela avait dit dans le
cadre de l’accord de Genève qu’elle était nulle et non avenue. Avec la sentence arbitrale, le
Royaume-Uni recherchait le moyen de piller le Venezuela dans le territoire de la Guayana
Esequiba, et son héritier, le Guyana, le sait parfaitement.
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[137]. Le Venezuela ne va pas recourir à la force, non seulement parce que le droit
international le lui interdit, mais aussi en raison de sa propre politique régionale de paix,
d’intégration et de solidarité. Une fois de plus, il invite le Guyana à la table de négociation dans
l’esprit fraternel et coopératif qui a toujours animé sa politique de bon voisinage et d’intégration.
Dans sa manière d’aborder le différend qui les oppose, le Venezuela sera toujours guidé par les
principes définis dans la Charte des Nations Unies et le souci de maintenir la paix.

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Mémorandum du Venezuela

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