La Cour juge recevables les troisième et quatrième demandes reconventionnelles présentées par la Colombie et fixe des délais pour le dépôt de nouvelles pièces écrites

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155-20171120-PRE-01-00-EN
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Number (Press Release, Order, etc)
2017/35
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Communiqué de presse
Non officiel
No 2017/35
Le 20 novembre 2017
Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie)
La Cour juge recevables les troisième et quatrième demandes reconventionnelles présentées par la Colombie et fixe des délais pour le dépôt de nouvelles pièces écrites
LA HAYE, le 20 novembre 2017. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, a rendu le 15 novembre 2017 son ordonnance sur la recevabilité des demandes reconventionnelles présentées par la Colombie en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie).
Le 26 novembre 2013, le Nicaragua a introduit une instance contre la Colombie sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá au sujet d’un différend portant sur des «violations des droits souverains et des espaces maritimes du Nicaragua qui lui ont été reconnus par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012 [en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)] ainsi que sur la menace de la Colombie de recourir à la force pour commettre ces violations». Le 19 décembre 2014, la Colombie a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour. Dans son arrêt du 17 mars 2016, la Cour a jugé qu’elle avait compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître du différend relatif aux prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues par son arrêt du 19 novembre 2012.
Dans le contre-mémoire qu’elle a déposé le 17 novembre 2016, la Colombie a présenté quatre demandes reconventionnelles. La première portait sur le manquement allégué du Nicaragua à une obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et de préserver l’environnement marin dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes ; la deuxième avait trait à son manquement allégué à une obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger le droit des habitants de l’archipel de San Andrés de bénéficier d’un environnement sain, viable et durable ; la troisième concernait la violation alléguée, par le Nicaragua, d’un droit des pêcheurs artisanaux de l’archipel de San Andrés d’accéder aux bancs où ils ont coutume de pêcher et d’exploiter ceux-ci ; la quatrième visait l’adoption par le Nicaragua du décret no 33-2013 du 19 août 2013, qui aurait établi des lignes de base droites avec pour effet d’étendre les eaux intérieures et les espaces maritimes nicaraguayens au-delà de ce que permet le droit international.
Dans son dispositif, la Cour, par quinze voix contre une, dit que la première et la deuxième demandes reconventionnelles présentées par la Colombie sont irrecevables comme telles et ne font pas partie de l’instance en cours ; par onze voix contre cinq, dit que la troisième demande reconventionnelle présentée par la Colombie est recevable comme telle et fait partie de l’instance en cours ; par neuf voix contre sept, dit que la quatrième demande reconventionnelle présentée par la Colombie est recevable comme telle et fait partie de l’instance en cours. Par ailleurs, la Cour, à l’unanimité, prescrit la présentation d’une réplique du Nicaragua et d’une duplique de la Colombie
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portant sur les demandes des deux Parties dans l’instance en cours et fixe comme suit les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces de procédure : pour la réplique du Nicaragua, le 15 mai 2018 ; pour la duplique de la Colombie, le 15 novembre 2018.
Raisonnement de la Cour
Dans son ordonnance, la Cour commence par rappeler que, selon le paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement, deux conditions doivent être réunies pour qu’elle puisse connaître d’une demande reconventionnelle comme telle : il faut que la demande en question «relève de sa compétence» et qu’elle «[soit] en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse». La Cour est libre d’examiner dans l’ordre le plus approprié s’il est satisfait à ces conditions. En l’espèce, la Cour estime qu’il y a lieu de répondre d’abord à la question de savoir si les demandes reconventionnelles de la Colombie sont en connexité directe avec l’objet des demandes principales du Nicaragua.
La Cour considère qu’un tel lien de connexité n’existe, ni en fait ni en droit, entre les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie et les demandes principales du Nicaragua. Si les demandes respectives des Parties concernent pour l’essentiel la même zone géographique, les faits qui les sous-tendent sont de nature différente et ne se rapportent pas à un même ensemble factuel. De surcroît, les Parties ne s’appuient pas sur les mêmes principes juridiques et ne poursuivent pas le même but juridique.
La Cour considère en revanche qu’il existe une connexité directe entre la troisième demande reconventionnelle de la Colombie et les demandes principales du Nicaragua. Elle observe à cet égard que les Parties s’accordent à dire que les faits qui sous-tendent leurs demandes respectives se rapportent à la même période (faisant suite au prononcé de l’arrêt de 2012) et à la même zone géographique (la ZEE du Nicaragua). Elle note en outre que ces faits sont de même nature en ce que sont mis en cause des comportements similaires de la part des forces navales de chaque Partie (harcèlement, intimidation, mesures coercitives) à l’égard des ressortissants de l’autre Partie pêchant dans les mêmes eaux. S’agissant des principes juridiques invoqués par les Parties, la Cour relève que les demandes respectives des Parties mettent en jeu la portée des droits et des obligations d’un Etat côtier dans sa ZEE. En outre, les Parties y poursuivent le même but juridique, puisque chacune cherche à établir la responsabilité internationale de l’autre à raison de violations d’un droit d’accès et d’exploitation des ressources marines dans la même zone maritime.
La Cour estime qu’il existe également une connexité directe entre la quatrième demande reconventionnelle de la Colombie relative au décret nicaraguayen du 19 août 2013 qui établit des lignes de base droites et les demandes principales du Nicaragua relatives au décret colombien du 9 septembre 2013 portant création d’une «zone contiguë unique». Elle observe tout d’abord que les faits invoqués par les Parties dans leurs demandes respectives  à savoir l’adoption d’actes de droit interne fixant les limites ou l’étendue de leurs espaces maritimes respectifs  se rapportent à la même période. Elle note surtout que les deux Parties se reprochent l’une l’autre les dispositions de droit interne qu’elles ont adoptées en vue de définir leurs espaces maritimes respectifs dans la même zone géographique. La Cour relève en outre que le Nicaragua demande le respect de ses droits dans la ZEE. Or, les limites de celle-ci sont déterminées en fonction de ses lignes de base, lesquelles sont contestées par la Colombie dans la quatrième demande reconventionnelle. La Cour observe par ailleurs que, dans leurs demandes respectives, les Parties font état de violations des droits souverains que chacune prétend détenir en vertu de règles de droit international coutumier relatives aux limites, au régime et à l’étendue de la ZEE et de la zone contiguë, dans, plus précisément, un contexte de chevauchement desdits espaces maritimes entre Etats dont les côtes se font face. De plus, à travers leurs demandes respectives, les Parties poursuivent le même but juridique puisque chacune espère voir la Cour déclarer le décret de l’autre contraire au droit international.
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La Cour examine ensuite si les troisième et quatrième demandes reconventionnelles de la Colombie satisfont à la condition de compétence posée au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement.
La Cour commence par rappeler que, dans son arrêt du 17 mars 2016 sur les exceptions préliminaires, elle a établi qu’elle avait compétence sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá pour connaître des demandes principales du Nicaragua. Or, le titre de compétence a cessé de produire ses effets du fait de la dénonciation par la Colombie du pacte après le dépôt de la requête. Pour autant, la Colombie a présenté ses troisième et quatrième demandes reconventionnelles sur le fondement de ce titre de compétence. La Cour fait observer à cet égard que, dès lors qu’elle a établi sa compétence pour connaître d’une affaire, elle a compétence pour en examiner toutes les phases ; la caducité ultérieure du titre qui lui a conféré ladite compétence ne saurait la priver de celle-ci. Elle ajoute que, bien qu’ayant pour objet de soumettre au juge des prétentions nouvelles, les demandes reconventionnelles se rattachent en même temps aux demandes principales, et visent à y riposter dans le cadre de la même instance, à l’égard de laquelle elles présentent un caractère incident. En conséquence, le fait que le titre de compétence invoqué à l’appui des demandes principales soit devenu caduc après le dépôt de la requête ne prive pas la Cour de sa compétence pour connaître des demandes reconventionnelles présentées sur le même fondement. Il s’ensuit que l’extinction du pacte de Bogotá entre les Parties n’a pas par elle-même privé la Cour de sa compétence pour connaître desdites demandes reconventionnelles.
La Cour examine ensuite si les conditions posées par le pacte sont remplies, à savoir s’il existe un différend entre les Parties intéressant l’objet des demandes reconventionnelles et si, conformément à la condition posée par l’article II du pacte de Bogotá, les questions que soulève la Colombie dans ses demandes reconventionnelles ne pouvaient, «de l’avis de l’une des Parties, … être résolu[es] au moyen de négociations directes».
La Cour estime que ces conditions sont remplies s’agissant des troisième et quatrième demandes reconventionnelles.
S’agissant de la troisième demande reconventionnelle, elle note que les Parties ont des vues divergentes sur la portée de leurs droits et devoirs respectifs dans la ZEE du Nicaragua et que le Nicaragua avait connaissance de ce que ses vues se heurtaient à l’opposition manifeste de la Colombie. Il apparaît ainsi qu’un différend existe entre les Parties au sujet de la violation alléguée, par le Nicaragua, des droits en question revendiqués par la Colombie. S’agissant de la condition posée par l’article II du pacte de Bogotá, la Cour note que les Parties ont certes, à la suite de l’arrêt de 2012, formulé des déclarations générales sur certains problèmes ayant trait aux activités de pêche des habitants de l’archipel de San Andrés, mais sans jamais entamer de négociations directes en vue d’y apporter une solution. Cela démontre que les Parties ne considéraient pas qu’il fût possible de parvenir à un règlement de la question du respect des droits de pêche traditionnels au moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires.
S’agissant de la quatrième demande reconventionnelle, la Cour relève que les Parties ont des vues divergentes sur la question de la définition de leurs espaces maritimes respectifs dans le secteur sud-ouest de la mer des Caraïbes, à la suite de l’arrêt qu’elle a rendu en 2012. Il apparaît ainsi qu’un différend existe entre les Parties sur cette question. S’agissant de la condition posée par l’article II du pacte de Bogotá, la Cour estime que l’adoption, par le Nicaragua, du décret du 19 août 2013 et le rejet de ce décret par la Colombie, exprimé dans la note diplomatique de protestation de sa ministre des affaires étrangères du 1er novembre 2013, montrent qu’il n’aurait, en tout état de cause, plus été utile pour les Parties de se livrer à des négociations directes sur cette question suivant les voies diplomatiques ordinaires.
La Cour conclut qu’elle est compétente pour connaître des troisième et quatrième demandes reconventionnelles de la Colombie.
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Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; MM. Daudet, Caron, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.
M. le juge YUSUF, vice-président, joint une déclaration à l’ordonnance ; MM. les juges TOMKA, GAJA, Mme la juge SEBUTINDE, M. le juge GEVORGIAN et M. le juge ad hoc DAUDET joignent à l’ordonnance l’exposé de leur opinion commune ; M. le juge CANÇADO TRINDADE joint une déclaration à l’ordonnance ; M. le juge GREENWOOD et Mme la juge DONOGHUE joignent à l’ordonnance les exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge ad hoc CARON joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente.
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Un résumé de l’ordonnance figure dans le document intitulé «Résumé 2017/3», auquel sont annexés des résumés des opinions et des déclarations. Le présent communiqué de presse, le résumé de l’ordonnance, ainsi que le texte intégral de celle-ci sont disponibles sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».
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Remarque : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.
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La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.
Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe
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judiciaire indépendant composé de juges libanais et internationaux), le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (ou MTPI, chargé d’exercer les fonctions résiduelles du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) établi à Arusha, en Tanzanie, et du TPIY), les Chambres spécialisées et Bureau du Procureur spécialisé pour le Kosovo (institution judiciaire ad hoc qui a son siège à La Haye), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).
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Département de l’information :
M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
Mme Joanne Moore, attachée d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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