La Cour dit qu'elle peut procéder à la délimitation maritime entre la Somalie et le Kenya dans l'océan Indien

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19324
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2017/5
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Site Internet : www.icj-cij.org Compte Twitter : @CIJ_ICJ

Communiqué de presse
Non officiel

N 2017/5
Le 2 février 2017

La Cour dit qu’elle peut procéder à la délimitation maritime
entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien

LA HAYE, le 2 février 2017. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées par

le Kenya en l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya).
Elle y déclare qu’elle peut procéder à la délimitation maritime entre la Somalie et le Kenya dans
l’océan Indien.

I. CONTEXTE FACTUEL

La Cour relève que la Somalie et le Kenya, deux Etats d’Afrique de l’Est dont les côtes sont
adjacentes, sont parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Selon

le paragraphe 8 de l’article 76 de cette convention, l’Etat partie qui entend fixer la limite extérieure
de son plateau continental au-delà de 200 milles marins doit présenter des informations sur celle-ci
à la Commission des limites du plateau continental. La Commission a pour fonction d’adresser aux
Etats côtiers des recommandations sur des questions concernant la fixation de la limite extérieure
de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins. Dans le cas d’espaces maritimes faisant
l’objet d’un différend, la Commission ne peut examiner des demandes touchant de tels espaces sans
l’accord préalable de tous les Etats concernés.

La Cour rappelle que, le 7 avril 2009, les Parties ont signé un mémorandum d’accord par
lequel chacune s’engageait à ne pas objecter aux communications adressées par l’autre à la
Commission des limites du plateau continental concernant les limites extérieures de son plateau
continental au-delà de 200 milles marins. Le mémorandum prévoyait en outre, dans son sixième
paragraphe, que «[l]a délimitation des frontières maritimes dans les zones en litige … fera[it]
l’objet d’un accord entre les deux Etats côtiers … après que la Commission [eut] achevé l’examen
des communications séparées effectuées par chacun des deux Etats … et formulé ses
recommandations». Dans les années qui ont suivi, chacune des Parties a formulé puis levé une

objection à l’examen de la demande de l’autre par la Commission. Celle-ci est à présent saisie de
l’examen desdites demandes.

Le 28 août 2014, la Somalie a introduit une instance contre le Kenya devant la Cour, priant
celle-ci de déterminer, conformément au droit international, le tracé de la frontière maritime unique
départageant l’ensemble des espaces maritimes relevant du Kenya et d’elle-même dans l’océan
Indien, y compris le plateau continental au-delà de 200 milles marins. La Somalie a invoqué,
comme base de compétence en la présente espèce, les déclarations d’acceptation de la juridiction
de la Cour faites par le Kenya et elle-même. Le Kenya a toutefois soulevé deux exceptions

préliminaires, dont l’une a trait à la compétence de la Cour et l’autre à la recevabilité de la requête. - 2 -

II.P REMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :

LA COMPÉTENCE DE LA C OUR

Aux termes de sa première exception préliminaire, le Kenya soutient que la Cour n’a pas
compétence pour connaître de la présente affaire du fait de l’une des réserves à sa déclaration
d’acceptation, qui exclut du champ de la compétence de la Cour les différends au sujet desquels les
Parties sont convenues «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement». Il fait
valoir que le mémorandum constitue un accord à l’effet d’avoir recours à un tel autre mode de

règlement. Il ajoute que les dispositions pertinentes de la CNUDM sur le règlement des différends
constituent également un accord quant au mode de règlement.

A. Le mémorandum d’accord

La Cour commence par se pencher sur la question de savoir si le mémorandum d’accord

entre dans le champ de la réserve du Kenya. Elle déduit de l’examen du statut juridique de cet
instrument en droit international qu’il s’agit d’un traité valide, entré en vigueur à sa signature, qui
lie les Parties en droit international. Elle procède ensuite à son interprétation.

La Cour constate tout d’abord que le mémorandum d’accord avait pour objet et pour but de
constituer un accord de non-objection permettant à la Commission de formuler des
recommandations nonobstant l’existence d’un différend entre les Parties au sujet de la délimitation

du plateau continental. Elle entame ensuite l’examen du sixième paragraphe du mémorandum, afin
de déterminer s’il établit un mode de règlement agréé entre les Parties. La Cour relève que cette
disposition porte exclusivement sur le plateau continental, et non sur l’intégralité de la frontière
maritime entre les Parties, ce qui donne à penser qu’il ne créait pas un mode de règlement en vue
de la détermination de ladite frontière. Elle relève en outre que le libellé du sixième paragraphe
reflète celui du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM, ce qui tend à indiquer que les Parties
entendaient faire référence à la manière dont se déroule généralement la délimitation en vertu de

cet article, qui prévoit l’ouverture de négociations visant à aboutir à un accord, et non prescrire un
mode de règlement de leur différend. Elle note au surplus que les Parties admettent que le sixième
paragraphe ne leur interdisait pas d’entreprendre de telles négociations, ni de s’entendre sur
certains points, avant d’avoir obtenu les recommandations de la Commission. La Cour observe par
ailleurs que le mémorandum indique expressément, à plusieurs reprises, que le processus devant
conduire à la fixation de la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins

sera sans préjudice de la délimitation de la frontière maritime entre les Parties, impliquant que cette
délimitation peut être entreprise indépendamment de toute recommandation de la Commission. La
Cour conclut de ce qui précède que le mémorandum ne constitue pas un accord par lequel les
Parties seraient convenues «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement».
En conséquence, il n’entre pas dans le champ de la réserve à la déclaration d’acceptation du Kenya.

B. La partie XV de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer

La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si la partie XV de la CNUDM (intitulée
«Règlement des différends») constitue un accord régissant le règlement du différend relatif à la
frontière maritime au sens de la réserve du Kenya. Elle s’intéresse en particulier à l’article 282 de
la convention qui, s’il ne fait pas expressément référence à un accord tendant à reconnaître la

juridiction de la Cour par la voie de déclarations formulées en vertu de la clause facultative,
dispose toutefois que les Etats parties peuvent convenir, non seulement dans le cadre d’un «accord
général, régional ou bilatéral» mais aussi «de toute autre manière», de soumettre un différend à une
procédure donnée qui s’appliquera au lieu de celles prévues dans la section 2 de la partie XV. La
Cour est d’avis que l’expression «ou de toute autre manière» figurant dans l’article 282 couvre
l’accord sur sa compétence qui découle de déclarations faites en vertu de la clause facultative. Elle - 3 -

en conclut que, en application de l’article 282, les déclarations faites par les Parties en vertu de la

clause facultative constituent un accord conclu «de toute autre manière» en vue de régler les
différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la CNUDM dans le cadre d’une procédure
devant la Cour, laquelle procédure s’applique dès lors «au lieu» de celles prévues dans la section 2
de la partie XV. En conséquence, le présent différend ne se trouve pas exclu, du fait de la
partie XV de la convention, du champ de la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause

facultative.

III. SECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :
LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
DE LA SOMALIE

La Cour rappelle que le Kenya avance deux moyens pour contester la recevabilité de la
requête. Son premier argument consiste à soutenir que les Parties sont convenues dans le
mémorandum de ne délimiter leur frontière par voie de négociation qu’une fois achevé l’examen
par la Commission des limites de leurs demandes respectives. La Cour ayant déjà conclu que le
mémorandum n’établissait pas un tel accord, elle rejette également cet aspect de la seconde
exception préliminaire du Kenya. Le second argument du Kenya consiste à plaider que le retrait

par la Somalie de son consentement à l’examen par la Commission de la demande du Kenya
emportait violation du mémorandum d’accord. La Cour est d’avis que la violation d’un traité en
cause dans une affaire n’affecte pas en soi la recevabilité d’une requête. Compte tenu de ce qui
précède, la Cour conclut que l’exception préliminaire à la recevabilité de la requête de la Somalie
doit être rejetée.

IV. D ISPOSITIF

Dans son arrêt, qui est définitif et sans recours, la Cour

1) a) Par treize voix contre trois,

Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République du Kenya en tant
qu’elle est fondée sur le mémorandum d’accord du 7 avril 2009 ;

b) Par quinze voix contre une,

Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République du Kenya en tant
qu’elle est fondée sur la partie XV de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer ;

2) Par quinze voix contre une,

Rejette la seconde exception préliminaire soulevée par la République du Kenya ;

3) Par treize voix contre trois,

Dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par la République fédérale de
Somalie le 28 août 2014 et que ladite requête est recevable.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ;

MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Guillaume, juge
ad hoc ; M. Couvreur, greffier. - 4 -

M. le juge Y USUF , vice-président, joint une déclaration à l’arrêt ; M. le ENNOUNA joint

à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges G AJA et C RAWFORD joignent une
déclaration commune à l’arrêt ; M. le juge R OBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le juge ad hoc UILLAUME joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.

*

o
Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé n 2017/1». Le présent
communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles
sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

___________

Remarque : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents
officiels.

___________

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé

ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est
le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du

système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre
secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect
administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour
mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour

l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale
internationale (ou CPI, première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui
n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe
judiciaire international doté d’une personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de
sécurité de l’Organisation des Nations Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé
de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution

indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement,
conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________ - 5 -

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim et Mme Joanne Moore, attachés d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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