Lettre en date du 27 septembre 2016 adressée au greffier
par l’agent adjoint de la République fédérale de Somalie
[Traduction]
Me référant à l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie
c. Kenya), j’ai l’honneur de faire suite aux questions que le juge Crawford a posées aux Parties à la
fin de l’audience publique tenue par la Cour le 23 septembre 2016.
Conformément aux instructions du président, j’ai l’honneur de soumettre par la présente la
réponse écrite de la Somalie à ces questions.
Au vu du peu de temps dont disposeront les Parties pour présenter leurs observations après
avoir pris connaissance de leurs réponses respectives, je vous serais reconnaissante de bien vouloir,
en sus de la voie habituelle, nous faire parvenir au plus vite les réponses du Kenya par courrier
électronique adressé à moi-même ([email protected]) et à Paul Reichler
([email protected]). Je vous en remercie d’avance.
Veuillez agréer, etc.
___________ Réponse présentée au nom de la République fédérale de Somalie aux questions posées
par le juge Crawford le vendredi 23 septembre 2016
Le 27 septembre 2016
Question 1 : Sur quels espaces maritimes (mer territoriale, zone économique exclusive,
plateau continental) les négociations portaient-elles ?
1. Les négociations bilatérales qui se sont tenues en 2014 portaient expressément sur la mer
territoriale, la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental, tant en-deçà
de 200 milles marins qu’au-delà de cette limite. Elles couvraient donc l’ensemble des espaces
maritimes en litige entre les Parties.
2. Pendant le déroulement des négociations, les deux Parties ont exposé de manière détaillée
leurs positions respectives sur la frontière dans chacun de ces espaces maritimes. En mars 2014, le
Kenya a fait une présentation PowerPoint circonstanciée visant expressément la délimitation de la
mer territoriale, de la1ZEE et du plateau continental au titre, respectivement, des articles 15, 74
et 83 de la CNUDM ; cette présentation incluait une carte figurant la «zone économique exclusive
commune au Kenya et à la Somalie à départager équitablement» . Dans une note interne consacrée
à la seconde série de négociations, la Somalie présentait une carte reproduite ci-dessous
qu’elle avait montrée au cours des négociations, qui représente la frontière maritime qu’elle
revendique : celle-ci suit de bout en bout la ligne d’équidistance depuis l’endroit où prend fin la
frontière terrestre et débute la mer territoriale jusqu’à la limite du plateau continental étendu, et
départage ainsi l’ensemble des espaces maritimes en litige . 3
Ligne d’équidistance unique proposée par la Somalie (juillet 2014)
1 Somalie et Kenya, compte rendu conjoint de la réunion sur la frontière maritime des 26 et 27 mars 2014,
o
annexe 3, diapositive n 3, MS, vol. III, annexe 31.
2 Ibid., diapositive n 7.
3 Mme Al-Sharmani et M. Omar, représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale de
Somalie, note interne en date du 5 août 2014 relative à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la
République du Kenya concernant leur différend en matière de délimitation maritime tenue à Nairobi (Kenya) les 28 et
29 juillet 2014, p. 4, EES, vol. II, annexe 4. - 2 -
3. Le fait que les négociations entre les Parties portaient sur l’ensemble des espaces
maritimes est encore confirmé par les références constantes à une frontière maritime unique dans
les documents établis à l’époque, qui comprennent des comptes rendus conjoints ou de nature
interne , et la correspondance diplomatique . Les deux Parties proposaient que la frontière suive
une unique ligne droite qui, partant6du point terminal de la frontière terrestre, se prolongerait
au-delà de 200 milles marins . Pour le Kenya, cette ligne devait correspondre à un parallèle de
latitude tandis que la Somalie prônait une ligne d’équidistance. Ni l’un ni l’autre n’établissait la
moindre distinction entre le plateau continental situé en-deçà de 200 milles marins et le plateau
continental situé au-delà de cette limite. Il est constant, et les Parties en conviennent, que le plateau
continental est un. Le tribunal arbitral constitué pour connaître de l’affaire Barbade 7
c. Trinité-et-Tobago, dont la sentence a été évoquée au cours du second cycle de négociations , a
ainsi noté que le «plateau continental» couvrait à la fois les zones situées en deçà et au-delà de
8
200 milles marins .
4. Ainsi que l’a expliqué la Somalie, en dépit d’intenses échanges, dans le cadre desquels
elles ont défendu leurs positions respectives au regard du droit comme des faits et ne se sont pas
fait faute de renvoyer à la jurisprudence de la Cour et d’autres juridictions internationales, ainsi
qu’à la pratique étatique , les Parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur la méthode à suivre
4Cf. Somalie et Kenya, compte rendu conjoint de la réunion sur la frontière maritime des 26 et 27 mars 2014,
MS, vol. III, annexe 31 ; Gouvernement de la Somalie et Gouvernement du Kenya, compte rendu conjoint de la réunion
sur lerfrontière maritime des 28 et 29 juillet 2014 (juillet 2014) ; République fédérale de Somalie, compte rendu en date
du 1 avril 2014 de la réunion entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant leur
différend en matière de délimitation maritime tenue à Nairobi (Kenya) les 26 et 27 mars 2014 ; Mme Al-Sharmani et
M. Omar, représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale de Somalie, note interne en date du
5 août 2014 relative à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant leur
différend en matière de délimitation maritime, tenue à Nairobi (Kenya) les 28 et 29 juillet 2014, p. 4, EES, vol. II,
annexe 4 ; mémorandum en date du 8 août 2014 adressé à la ministre des affaires étrangères et du commerce international
de la République du Kenya par S. Mokaya-Orina, responsable de la direction du ministère chargée des affaires juridiques
et des relations du Kenya en tant que pays hôte ; mémorandum du 15 août 2014 adressé au ministre des affaires
étrangères et du commerce international par le responsable par interim de la direction chargée de la corne de l’Afrique.
5
Cf. lettre MOFA/SER/MO/ /2014 en date du 13 mars 2014 adressée à S. Exc. Mme Amina Mohamed, ministre
des affaires étrangères et du commerce international de la République du Kenya, par S. Exc. M. Abdirahman Beileh,
ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République fédérale de Somalie, MS, vol. III,
annexe 43 ; note verbale MFA/REL/13/21A en date du 24 juillet 2014 adressée au ministère des affaires étrangères et de
la promotion des investissements de la République fédérale de Somalie par le ministère des affaires étrangères et du
o
commerce international de la République du Kenya, EES, vol. II, annexe 24 ; note verbale n 586/14 en date du
24 octobre 2014 adressée à S. Exc. M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Organisation oes Nations Unies, par la
mission permanente de la République du Kenya auprès de l’Organisation ; note verbale n 141/15 en date du 4 mai 2015
adressée à S. Exc. M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, par la mission permanente
de la République du Kenya auprès de l’Organisation des Nations Unies.
6
Cf. Mme Al-Sharmani et M. Omar, représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale
de Somalie, note interne en date du 5 août 2014 relative à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la
République du Kenya concernant leur différend en matière de délimitation maritime tenue à Nairobi (Kenya) les 28 et
29 juillet 2014, p. 4-5, EES, vol. II, annexe 4 ; République du Kenya, demande soumise par la République du Kenya à la
Commission des limites du plateau continental concernant la limite de son plateau continental au-delà de 200 milles
marins, résumé, avril 2009, MS, vol. III, annexe 59.
7Mémorandum en date du 8 août 2014 adressé à la ministre des affaires étrangères et du commerce international
de la République du Kenya par S. Mokaya-Orina, responsable de la direction du ministère chargée des affaires juridiques
et des relations du Kenya en tant que pays hôte, p. 1.
8
Barbade/Trinité-et-Tobago, tribunal constitué en vertu de l’annexe VII de la CNUDM, sentence du
11 avril 2006, RSA, vol. XXVII, par. 213 (rejetant l’objection de la Barbade à ce que le plateau continental extérieur soit
inclus dans le champ d’application du différend au motif, notamment, qu’«il n’existe, au regard de la loi, qu’un seul
plateau continental»). - 3 -
9
aux fins de délimiter la frontière en litige . Le Kenya ne le conteste pas. Il n’a pas davantage
contesté que le ministre somalien des affaires étrangères, constatant que les négociations sur tous
les espaces maritimes en litige n’avançaient pas, ait exprimé sa frustration en demandant «combien
de temps les délégations de[s] deux pays resteraient embourbées dans d’âpres discussions sans
[qu’on] aper[çût] la moindre solution». Il n’a pas non plus démenti les propos de son homologue
kényan, reconnaissant que les positions des deux délégations étaient «éloignées» et appelant à
l’organisation d’une nouvelle réunion, en tant que «dernière [tentative] de trouver une solution
amiable» . Il est de même incontesté que cette réunion, dont la date et l’emplacement avaient
pourtant été fixés, n’a pas eu lieu, la délégation du Kenya ne s’étant tout simplement pas présentée,
sans avertissement préalable, sans s’en expliquer par la suite, et sans non plus répondre
ultérieurement à la demande d’explication du ministre somalien des affaires étrangères . 11
o
Question n 2 : Dans ce contexte, de telles négociations sur la délimitation, menées de bonne
foi, pouvaient-elles être interprétées comme emportant renonciation à tout droit que l’une
et l’autre des Parties pouvaient avoir d’obtenir, au préalable, les recommandations de la
Commission ?
5. Pour les raisons qu’elle a exposées dans ses écritures et à l’audience, la Somalie considère
que le paragraphe 6 du mémorandum n’était pas constitutif d’un accord en vertu duquel les Parties
seraient convenues de fixer leur frontière maritime par la voie de négociations après que la
Commission des limites aurait formulé ses recommandations sur les limites extérieures du plateau
continental.
6. Quant au Kenya, sa position a évolué au fil du temps. Il a commencé par soutenir que le
mémorandum d’accord excluait tout procédure autre que la négociation aux fins de régler le
différend opposant les Parties au sujet de leur frontière maritime, mais interdisait à celles-ci de
s’accorder sur un règlement par la négociation tant que la commission n’aurait 12s formulé ses
recommandations — ce qu’elle ne fera pas avant bien des années . A l’audience, toutefois, le
Kenya a modifié sa position. Au premier tour, il a plaidé que le mémorandum autorisait les Parties
9 Cf. EES, par. 2.41-2.72, 4.4-4.5 ; CR 2016/11, p. 43-44, 46-47, par. 31-33, 38-46 (Reichler) ; CR 2016/11,
p. 58-60, par. 21-24 (Sands) ; CR 2016/13, p. 23-28, par. 10-18 (Reichler) ; CR 2016/13, p. 31-32, par. 9-11 (Sands).
Cf. Somalie et Kenya, compte rendu conjoint de la réunion sur la frontière maritime des 26 et 27 mars 2014, MS, vol. III,
annexe 31 ; Gouvernement de la Somalie et Gouvernement du Kenya, compte rendu conjoint de la réunion sur la
frontière maritime des 28 et 29 juillet 2014 (juillet 2014) ; République fédérale de Somalie, compte rendu en date du
1 avril 2014 de la réunion entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant leur différend
en matière de délimitation maritime tenue à Nairobi (Kenya) les 26 et 27 mars 2014 ; Mme Al-Sharmani et M. Omar,
représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale de Somalie, note interne en date du
5 août 2014 relative à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya concernant leur
différend en matière de délimitation maritime, tenue à Nairobi (Kenya) les 28 et 29 juillet 2014, p. 4, EES, vol. II,
annexe 4 ; mémorandum en date du 8 août 2014 adressé à la ministre des affaires étrangères et du commerce international
de la République du Kenya par S. Mokaya-Orina, responsable de la direction du ministère chargée des affaires juridiques
et des relations du Kenya en tant que pays hôte ; mémorandum du 15 août 2014 adressé au ministre des affaires
étrangères et du commerce international par le responsable par intérim de la direction chargée de la corne de l’Afrique.
10
Mme Al-Sharmani et M. Omar, représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale de
Somalie, note interne en date du 5 août 2014 relative à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la
République du Kenya concernant leur différend en matière de délimitation maritime, tenue à Nairobi (Kenya) les 28 et
29 juillet 2014, p. 2, EES, vol. II, annexe 4 (les italiques sont de nous).
11 o
CR 2016/11, p. 47, par. 45 (Reichler) ; CR 2016/13, p. 25, par. 10 (vii) (Reichler). Cf. la lettre n 2231 en date
du 26 août 2014 adressée à S. Exc. Mme Amina Mohamed, ministre des affaires étrangères de la République du Kenya,
par S. Exc. M. Abdirahman Beileh, ministre des affaires étrangères et de la promotion des investissements de la
République fédérale de Somalie, MS, vol. III, annexe 47.
12
EPK, par. 73 (où le Kenya soutient que le mode de règlement du différend frontalier prévu par le mémorandum
d’accord consistait à «négocier en vue de parvenir à un accord complet et définitif sur l[a] frontière maritime une fois que
la Commission des limites aurait examiné le[s] demandes respectives [des Parties]») (les italiques sont de nous) ;
CR 2016/10, p. 103, par. 12 (Lowe) («selon la procédure sur laquelle ils se sont entendus, le Kenya et la Somalie ne
peuvent véritablement négocier en vue de convenir d’une frontière qu’après que la Commission a formulé ses
recommandations au sujet de leurs demandes respectives») (idem). - 4 -
à négocier en vue de délimiter leur frontière maritime avant que ne s’achèvent (et même que ne
commenc13t) les travaux de la commission des limites, à condition de ne pas parvenir à un
accord . Au second tour, il a défendu un troisième point de vue, consistant à soutenir que les
Parties étaient libres à tout moment de régler leur différend frontalier par consentement mutuel,
14
fût-ce avant que la Commission des limites ne formule ses recommandations .
7. La Somalie considère que ni le texte ni le contexte pertinent, ni encore le comportement
ultérieur des Parties ne permet de confirmer l’une ou l’autre de ces trois interprétations
contradictoires. En réplique, elle a tout de même envisagé l’hypothèse où le texte du mémorandum
aurait bel et bien quod non créé une obligation de négocier un règlement concerté après, et
après seulement, que la Commission des limites aurait présenté ses recommandations finales. Or,
même dans ce cas, les Parties qui, en 2014, ont mené de bonne foi des négociations de fond,
détaillées, et de haut niveau quoique non couronnées de succès sur la question de la
délimitation auraient, par leur comportement, satisfait à toute obligation de négociation qui leur
15
aurait ainsi été imposée . A l’issue de ces négociations, le mémorandum d’accord ne pouvait donc
plus être invoqué pour exclure d’autres modes de règlement du différend frontalier, dont le recours
à la Cour.
8. La seconde question du juge Crawford revient à postuler que le mémorandum d’accord
pourrait conférer aux Parties un «droit» d’obtenir une «recommandation … de la Commission»
préalablement au règlement de leur différend frontalier une prémisse que conteste la Somalie.
Toutefois, même à admettre, aux seules fins de la discussion, la validité de cette prémisse, les
Parties auraient, par leur comportement et, plus précisément, en prenant part volontairement et
de bonne foi à des négociations détaillées et de haut niveau sur le fond, en vue de régler à l’amiable
le différend les opposant au sujet de leur frontière maritime, avant que la Commission des limites
ait non pas même formulé des recommandations, mais simplement examiné leurs demandes
respectives , renoncé à tout «droit» de cette nature.
9. Il va de soi que les parties à un accord bilatéral peuvent s’entendre pour modifier les
obligations qu’elles tiennent de cet accord. L’intention de modifier des obligations
conventionnelles peut être explicite ou s’inférer de leur comportement. Ainsi qu’on peut le lire
dans les Brownlie’s Principles of Public International Law, il ressort clairement de l’article 39 de
la convention de Vienne sur le droit des traités qu’un «traité peut être amendé par accord sans que
16
cet accord doive s’exprimer selon des modalités précises» . De même peut-on lire dans le Modern
Treaty Law and Practice que l’article en question «admet tout à fait la possibilité d’amender un
traité par un accord qui ne constitue pas lui-même un traité» et qu’un «traité peut aussi être
amendé, en pratique, par suite d’un accord ultérieur entre les parties quant à son interprétation ou
son application». Dans ce cas, «il n’est pas nécessaire que l’amendement soit formulé par écrit» ;
le comportement des parties peut en être l’expression . 17
10. La doctrine de la renonciation obéit à des principes similaires. Anzilotti a défini la
renonciation comme l’abandon volontaire d’un droit . D’après les Brownlie's Principles of Public
International Law, un abandon de droit peut résulter «d’actes unilatéraux de renonciation ou
13CR 2016/10, p. 20, par. 18 (Akhavan).
14
CR 2016/12, p. 13, par. 7 (Akhavan).
15Cf. CR 2016/11, p. 57-60, par. 16-26 (Sands) ; CR 2016/13, p. 29-32, par. 2-11 (Sands).
16 J. Crawford (sous la dir. de), Brownlie’s Principles of Public International Law, 8 éd., 2012, p. 386
[traduction du Greffe].
17 e
A. Aust, Modern Treaty Law and Practice, 3 éd., 2013, p. 233-234 [traduction du Greffe].
18D. Anzilotti, Cours de droit international, traduction française de G. Gidep, 1929, p. 349-350. - 5 -
d’acquiescement s’inférant d’un comportement, ou d’un accord» . 19 Dans l’affaire relative à
Certaines terres à phosphates à Nauru, la Cour a considéré qu’un Etat renonçait implicitement à
ses droits s’il manquait de prendre des mesures pour les faire valoir tout en se livrant à des activités
incompatibles avec leur exercice . Or, cette condition, à la supposer applicable en la présente
21
instance, a été amplement remplie .
11. En menant en 2014 avec la Somalie des négociations détaillées sur le fond au plus haut
niveau, dans le dessein de parvenir à un prompt règlement du différend frontalier les opposant, bien
avant que la Commission des limites ait seulement entrepris d’examiner les demandes des Parties,
le Kenya a renoncé à son «droit» à un règlement du différend par la seule voie d’un accord négocié
après achèvement de la procédure devant la Commission. Que cette renonciation soit considérée
comme résultant d’un accord entre les Parties, ou comme le fait unilatéral du Kenya, le résultat est
le même : le comportement du Kenya était totalement incompatible avec sa prétention à un «droit»
d’obtenir le règlement du différend frontalier uniquement selon les modalités prévues à
l’avant-dernier paragraphe du mémorandum (tel qu’interprété par lui), et valait donc renonciation à
ce prétendu droit.
12. Enfin, il convient de noter qu’en entamant et menant des négociations avec la Somalie, le
Kenya n’a jamais cherché à se réserver un quelconque «droit … d’obtenir, au préalable, les
recommandations de la Commission» au titre de l’avant-dernier paragraphe du mémorandum. De
22
fait, il ne peut renvoyer à aucune déclaration, sans parler de déclarations «claires et répétées» ,
dont il ressortirait que, avant le début de la présente instance, il considérait que le mémorandum
d’accord imposait un mode de règlement exclusif auquel il ne pourrait être recouru qu’après que la
Commission des limites aurait formulé ses recommandations. La situation était fort différente
s’agissant de Nauru qui, dans le cadre du comportement incriminé, avait, dans l’affaire
susmentionnée, formulé maintes déclarations ayant pour effet de préserver les droits auxquels il
23
était allégué qu’elle avait renoncé .
13. Dans ces circonstances, quand bien même son interprétation du mémorandum serait
exacte ce qu’elle n’est pas , le Kenya, par son comportement ultérieur, a renoncé, d’accord
avec la Somalie ou par voie unilatérale, au «droit» qu’il aurait eu d’invoquer le mémorandum pour
différer le règlement de leur différend jusqu’à ce que la commission ait rendu ses recommandations
ou de priver de quelque autre manière la Cour de sa compétence pour connaître des demandes que
la Somalie a fait valoir dans sa requête.
19 e
J. Crawford (sous la dir. de), Brownlie 's Principles of Public International Law, 8 éd., 2012, p. 700
[traduction du Greffe].
20 Cf. Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 240, par. 12-21. Voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique
du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, par. 276-296.
21Il mérite d’être relevé qu’un éminent tribunal arbitral a jugé cette condition remplie lorsqu’il a estimé qu’une
partie, de par son comportement, avait renoncé à son droit de soumettre un différend à un mode de règlement convenu par
traité. Dans l’affaire EURAM v. Slovak Republic, le tribunal a en effet jugé que l’investisseur, en continuant de faire
valoir devant une juridiction nationale les réclamations qu’il avait soumises à l’arbitrage, avait agi d’une manière
incompatible avec les droits de recourir à l’arbitrage qu’il tenait du traité d’investissement bilatéral conclu entre
l’Autriche et la Slovaquie et, partant, y avait renoncé. European American Investment Bank AG (Austria) v. Slovak
Republic, Case No. 2010-17, Second Award on Jurisdiction, 4 juin 2014, par. 254-264.
22Cf. CR 2016/11, p. 44-45, par. 36 (Reichler).
23Cf. Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1992,
p. 240, par. 14, p. 18-20. Voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, par. 290. - 6 -
14. Au surplus, le seul fait que des négociations se soient tenues sur la délimitation, et la
teneur de ces négociations, confirme pleinement l’interprétation du mémorandum avancée par la
Somalie .24
___________
24EES, par. 2.31-2.73, 3.34-3.47; CR 2016/11, p. 41-50, par. 26-53 (Reichler) ; CR 2016/13, p. 23-29, par. 10-24
(Reichler).
Réponse écrite de la Somalie aux questions posées par M. le juge Crawford à l'audience publique tenue dans la matinée du 23 septembre 2016