Réponse de la République islamique d'Iran à la première question posée aux deux Parties par le juge Rigaux

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Annexe 1à OP 2003/30

Réponsede la Républigueislamigue d'Iran à la premièreguestion posée
aux deux Parties par le juge Rigaux

Premièrequestion :

Quel est le statut juridique des plates-formes pétrolièresaménagéespar un Etat sur son
plateau continental? Quelle est la différenceentre le statut de telles plates-formes pétrolièresselon
qu'elles sont localiséesrespectivement dans la mer territoriale d'un Etat ou en dehors de celle-ci?

Réponse:

Le statut juridique des plates-formes est régi par les dispositions de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer, signéà Montego Bay le 10décembre1982 (Nations Unies,
Recueil des traités,vol. 1833,p. 3). La Républiqueislamique d'Iran a signéla convention de 1982,
mais ne l'a pas encore ratifiée. Toutefois, les dispositions de la convention relatives aux
installations dans la zone économiqueexclusive et sur le plateau continental peuvent êtreacceptées
comme étantl'expression du droit international généralen la matière. S'agissant de l'endroit où

chacune des plates-formes se trouve située, l'Iran a des droits se rapportant à son plateau
continental et a déclaréune zone économique exclusive. L'article 14 de la loi iranienne du
20 avril 1993 sur les zones maritimes réaffirme les principes énoncésà cet égard dans la
convention.

Au regard du droit international, un Etat côtier a souverainetésur les fonds marins, la

colonne d'eau et l'espace aérien swjacent relevant de sa mer territoriale. Cette souveraineté
s'étendaux installations telles que les plates-formes pétrolièressituéessur les fonds marins de la
mer territoriale.

Sur le plateau continental et dans la zone économiqueexclusive, 1'Etat côtier a des droits
souverains aux fins d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles qu'ils recèlent
(alinéa a) du paragraphe 1 de l'article 56 et paragraphe 1 de l'article 77 de la convention) et

dispose, par suite, d'une juridiction exclusive en matièred'octroi de licences pour l'installation de
plates-formes pétrolièreset de contrôle de l'exploitation des plates-formes. Cette juridiction
exclusive est clairement reconnue aux articles 56 et 60 de la convention de 1982 (voir également
l'article 80, qui appliquemutatis mutandis l'article 60 aux installations et ouvrages situéssur le
plateau continental). Aux termes du paragraphe 2 de l'article60, cette juridiction exclusive
s'exerce notamment «en matièrede lois et règlementsdouaniers, fiscaux, sanitaires, de sécuritéet
d'immigration.» Mais elle n'est pas limitéeà ces seules matières: elle s'étendaussi, par exemple,

à lajuridiction généraleen matièrecivile et pénaleconcernant les événements qui se produisent sur
les plates-formes. L'Etat côtier peut égalementprendre les mesures nécessairesde protection de
ses plates-formes pétrolièreset du personnel qui s'y trouve. A cette fin, il peut, en particulier,
installer du matérielmilitaire défensifet poster du personnel militaire chargéd'assurer la sécurité
sur les plates-formes.

Les plates-formes pétrolièreset autres installations et ouvrages ne sont assimilables, ni dans
la mer territoriale ni dans la zone économiqueexclusive, à des îles, et ils n'engendrent pas, par
eux-mêmes,de mer territoriale. L'Etat côtier est cependant en droit d'établirdes zones de sécurité
de dimension raisonnable autour de ces installations et ouvrages (paragraphe 4 de l'article 60 de la
convention de 1982). -2-

Les plates-formes pétrolièresservent à exploiter les ressources non biologiques de la zone
économique exclusive et du plateau continental. Ces ressources relèvent exclusivement de la
juridiction et du contrôle souverains de l'Etat côtier, et l'autorité dont ledit Etat jouit sur ses
plates-formes pétrolièresest une autoritésouveraine, sans partage avec aucun autre Etat.

Une attaque contre des installations situées sur le plateau continental et dans la zone
économique exclusive de 1'Iran constitue une attaque contre des installations engagées dans la
production commerciale de ressources pétrolièressur lesquelles 1'Iran dispose de droits souverains.

De l'avis de l'Iran, l'attaque perpétréepar les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières
situées sur le plateau continental de 1'Iran a entravé la liberté du commerce pétrolier entre les
territoires des Hautes Parties contractantes. TIconvient de rappeler que, aprèsun traitement initial
sur les plates-formes, le pétroleextrait des puits étaittransportésur des îles iraniennes proches pour

y subir un traitement plus poussé,après lequel il étaitexporté(et étaitsusceptible d'êtreexporté),
entre autres aux Etats-Unis. La Cour a déjàreconnu que ce pétroleconstituait une composante des
exportations de l'Iran et était protégé par le paragraphe 1 de l'article X du traité

(C.I.J. Recuei/1996, p. 819-820, par. 50-51). Annexe 2 à OP 2003/30

Réponsede la République islamique d'Iran à la seconde question posée
par le juge Rigaux

Seconde question :

Selon les Parties, durant la guerre entre l'Iran et l'Iraq, le Koweït était-ilun Etat neutre, un
Etat non-belligérantou [un Etat] cobelligérantde l'Iraq? La réponseà cette question serait-elle

différente,selon qu'elle ait étformuléedurant la guerre elle-mêmeou aujourd'hui, compte tenu du
complémentd'informations dont on dispose?

Réponse:

Dans les communications qu'il a adressées à l'époque au Conseil de sécurité,le Koweït
s'étaitdécritlui-mêmecomme n'étant<<pas partie» à la guerre entre l'Iran et l'Iraq (S/19872 du
9 mai 1988). ll est toutefois clair que le Koweït a apportéun soutien massif à 1'Iraq dans la guerre

d'agression que celui-ci menait contre l'Iran et que le Koweït ne s'était pas conformé aux
obligations d'abstention et d'impartialitéqui incombaient aux Etats neutres. L'Iran a exposépar le
menu, tant dans ses écrituresque dans ses plaidoiries, des aspects du soutien que le Koweït a
apporté à l'Iraq (réplique, par. 2.12-2.26; réponse additionnelle, par. 3.23-3.27 et CR 2003/5,

p. 49-50). Les violations du droit de la neutralitépar le Koweït ont consisténotamment en un
financement de l'effort de guerre de l'Iraq, en la mise à la disposition de celui-ci des ports
koweïtiens pour le transbordement du matériel de guerre destinéà 1'Iraq, et en une aide à 1'Iraq, au
cours des attaques que celui-ci menait contre l'Iran, en lui permettant d'utiliser ses eaux

territoriales, ses îles et son espace aérien. Des responsables de haut rang des Etats-Unis avaient
reconnu à l'époqueque le Koweït étaitdefacto un alliéde l'Iraq (mémoire,annexe 51).

Durant le conflit, l'Iran a su et a toujours affirméque le Koweït apportait de fait un soutien
massif à l'Iraq. Après le conflit, l'étenduedudit soutien étaitdevenu clair, au-delà de tout doute

possible. Le Koweït a présentéà maintes reprises des excuses à l'Iran pour le soutien qu'il avait
apportéà l'Iraq (réplique,annexe 13). En outre, l'Emir du Koweït a exprimédes regrets pour les
résolutions adoptéespar le Conseil de coopérationdu Golfe durant le conflit; plusieurs de ces
résolutionsn'étaientpas favorables à l'Iran. ll a notéque ces résolutionsavaient étéadoptées

«sous l'influence pernicieuse de l'Iraq» (ibid.). L'aveu ainsi fait par le Koweït et ses excuses ont
de ce fait balayétout doute qui pouvait subsister sur la question.

L'expression «non-belligérance»peut êtreemployéepour décrirela situation du Koweït.

Dans 1'histoire du droit de la guerre et de la neutralité,1'expression a étéutiliséepour décrirela
situation d'un Etat qui a violéles règles de la neutralitéen accordant un soutien à une partie au
conflit, tout en prétendanten mêmetemps ne pas êtrepartie au conflit. Mais le droit international
ne confère aucun statut ou droits spécifiquesà un <<non-belligérant»U . n Etat est soit partie à un

conflit ou ne l'est pas. Dans ce dernier cas, il est tenu d'observer le droit de la neutralité,sauf s'ily
a eu une décision du Conseil de sécuritéc,e qui ne s'est pas produit en la présenteespèce.

Mêmesi le soutien apportéà l'Iraq n'a pas fait du Koweït une parie au conflit, ce soutien a

constituéune violation du droit de la neutralité. En outre, l'étendueet la nature dudit soutien
signifiaient toutefois que le Koweït avait pris part à 1'agression iraquienne. Ce soutien constituait
aussi, par là, un acte illicite et une grave violationa Charte des Nations Unies et dujus cogens,
qui interdisent 1'emploi de la force. Annexe 3 à OP 2003/30

Réponse des Etats-Unis d'Amérique à la première question poséepar le juge Rigaux

Première question :

Quel est le statut juridique de plates-formes pétrolièresaménagéespar un Etat sur son
plateau continental ? Quelles sont les compétences exercées sur ces installations ? Quelle est la

différenceentre le statut des plates-formes pétrolièresselon qu'elles sont localiséesrespectivement
dans la mer territoriale d'un Etat ou en dehors de celle-ci?

Réponse:

1. Le droit international établitune distinction claire entre le territoire d'un Etat côtier,y
compris sa mer territoriale, sur lequel il jouit de la souveraineté, et son plateau continental, sur
lequel il jouit de certains droits souverains expressémenténumérés.Le paragraphe 1 de l'article 2

de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 («la convention sur le droit de la
mer»), qui reflètele droit international coutumier, dispose ce qui suit:

«La souveraineté de l'Etat côtier s'étend,au-delà de son territoire et de ses eaux

intérieureset, dans le cas d'un Etat archipel, de ses eaux archipélagiques,à une zone
de mer adjacente désignéesous le nom de mer territoriale.» (Les italiques sont de
nous.)

2. Le statut juridique du plateau continental est différent. Selon le droit international
coutumier, tel qu'il est expriméau paragraphe 1 de l'article 76 de la convention sur le droit de la
mer, le plateau continental d'un Etat côtier:

«comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute
l'étenduedu prolongement naturel du territoire terrestre de cet Etat jusqu'au rebord
externe de la marge continentale, ou jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à

partir desquelles est mesuréela largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe
de la marge continentale se trouve à une distance inférieure»(les italiques sont de
nous; voir aussi l'alinéaa) de l'article premier de la convention de 1958 sur le plateau
continental, qui stipule que le plateau continental est «adjacent ... aux côtes mais

situé... en dehors de la mer territoriale»).

3. Le droit international coutumier, tel qu'il est énoncéau paragraphe 1 de l'article 77 de la

convention sur le droit de la mer, stipule que 1'Etat côtier :

«exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son exploration et
de l'exploitation de ses ressources naturelles» (les italiques sont de nous; voir aussi le

paragraphe 1 de l'article 2 de la convention de 1958 sur le plateau continental, qui est
identique au paragraphe 1 de l'article 77 de la convention sur le droit de la mer. Ce
libelléremonte à celui de l'article 68 des articles sur le droit de la mer adoptéspar la
Commission du droit international en 1956 (Annuaire de la Commission du droit

internationa/1956, vol. II, A/CNA/SER.A/1956/Add.l, p. 264)).

4. Le fait d'avoir des droits souverains sur le plateau continental n'équivaut pas à la

souveraineté. Ainsi que la Commission du droit international l'a expliquédans son commentaire
de 1956 sur l'article 68 des articles concernant le droit de la mer: -2-

«La Commission a entendu éviterune rédactionpermettant des interprétations
qui s'écarteraient d'un objectif auquel elle attache une importance décisive: le respect
du principe de la pleine libertéde la mer swjacente et de l'espace aérienau-dessus de
cette mer. C'est pourquoi elle n'a pas voulu accepter la souverainetéde l'Etat riverain
sur le sol et le sous-sol plateau continental.» (Ibid.p. 298.)

5. En outre, les droits souverains sur le plateau continental qui sont énuméréo snt des buts
limités (à savoir l'exploration du plateau continental et l'exploitation de ses ressources naturelles).

6. Qui plus est, en vertu du droit international, l'exercice des droits souverains sur le plateau
continental énumérés dans la convention est expressément limité,par exemple, par le principe
selon lequel l'exercice par un Etat côtier de ses droits sur le plateau continental ne doit pas porter

atteinte à la navigation ou aux autres droits et libertés reconnus aux autres Etats par le droit
international, ni en gênerl'exercice de manièreinjustifiable (voir le paragraphe 2 de l'article 78 de
la convention sur le droit de la mer, qui reflètele droit international coutumier sur ce point).

7. Dans le cas particulier des plates-formes pétrolières,alors que l'Etat côtier jouit de la
souverainetésur ces plates-formes si elles se trouvent dans sa mer territoriale, ses droità 1'égard
de telles plates-formes lorsqu'elles se trouvent non pas sur son territoire, mais sur son plateau
continental, sont limitésde différentesmanières. Par exemple, les Etats côtiers sont tenus par le

droit international de dûment notifier la construction de telles plates-formes et d'assurer l'entretien
de moyens permanents pour signaler leur présence. Lorsque ces plates-formes sont abandonnées
ou désaffectées,le droit international prévoit que 1'Etat côtier doit les enlever ou donner une
publicitéadéquate à la profondeur, à la position et aux dimensions des ouvrages qui n'ont pas été

complètementenlevés. En outre, il doit êtreprocédé à cet enlèvementen tenant dûment compte de
la pêche,de la protection du milieu marin et des droits et obligations des autres Etats. Le droit
international coutumier à cet égardest énoncéau paragraphe 3 de 1'article 60 et à l'article 80 de la
convention sur le droit de la mer. Annexe 4 à OP2003/30

Réponsedes Etats-Unis d'Amérique à la seconde question poséepar le juge Rigaux

Seconde question :

Selon les Parties, durant la guerre entre 1'Iran et 1'Iraq, le Koweït était-il un Etat non
belligérantou un Etat cobelligérant del'Iraq?

La réponse à cette question serait-elle différente, selon qu'elle ait étéformuléedurant la
guerre elle-mêmeou aujourd'hui, compte tenu du complémentd'informations dont on dispose?

Réponse:

1. Le Koweït est resté, tout au long de la guerre entre 1'Iran et 1'Iraq, un Etat neutre,

non-belligérant. TIn'a, àaucun moment, étéun Etat cobelligérantde l'Iraq. La note diplomatique
du 16 mars 2003 adressée à l'ambassade des Etats-Unis d'Amériquepar le ministère des affaires
étrangèresde 1'Etatdu Koweït, etjointe à la présente,le confirme.

2. Comme le précise la note diplomatique, le statut du Koweït- qui fut un Etat neutre,
non-belligérantpendant toute la duréedu conflit opposant l'Iran à l'Iraq-ne change pas selon
que l'on considèrela question à la lumière des seules informations de l'époqueou, également,du
complémentd'informations dont on dispose actuellement. L'information disponible au moment de

la guerre entre 1'Iran et 1'Iraq et devenue disponible depuis confirme le fait, affirmépar le ministère
des affaires étrangèresdu Koweït dans la note diplomatique, que «[l]'Etat du Koweït est demeuré
tout àfait neutre». -2-

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'"'~1~\ \.J!J~ij

l.:~Jô.~\o4\:ilSJ~ :c.,:rll

-~....JSll-

r'·V'Y'' - 3 -

Lettre du 16 mars 2003 adresséeà l'ambassade des Etats-Unis d'Amériqueau Koweït par le
ministèredes affaires étrangères,départementdes Amérigues

[Traduction effectuéepar le Greffe à partir de la traduction anglaise fournie par le département

d'Etat des Etats-Unis d'Amérique.}

Le ministère des affaires étrangèresde 1'Etat du Koweït transmet ses plus cordiales

salutationsàl'ambassade des Etats-Unis d'Amériqueau Koweït.

Le ministère des affaires étrangèrestient à préciser que l'Etat du Koweït n'a, à aucun
moment, été partie àla guerre qui a opposél'Iran àl'Iraq entre 1980 et 1988. L'Etat du Koweït est
demeurétout àfait neutre et ne s'est rangéaux côtésni de l'un ni de l'autre des belligérants.

L'Etat du Koweït doit être considérécomme un Etat neutre. Sa neutralité ressort
d'informations qui étaientde notoriétépublique au moment des hostilitéset de donnéesdisponibles
aujourd'hui.

Veuillez agréer,etc. Annexe 5 àOP 2003/30

Réponse des Etats-Unis d'Amérique à la première question poséepar le juge AI-Khasawneb

Première question :

Les conseils des Etats-Unis considèrent-ils que la notion de lex specialis, d'une part, et celle

de «régimese suffisant à lui-même»,d'autre part, sont synonymes? Si tel n'est pas le cas, quelles
sont les différencesentre ces deux notions? Cette question concerne évidemment le traitéde 1955.

Réponse:

1. Au cours de son exposédu 26 février2003 (CR 2003/12, p. 18-19, par. 17.20), M. Weil a
déclaréque l'article XX du traitéde 1955 entre les Etats-Unis et l'Iran est une lex specialis au sens
de l'article 55 du projet d'articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de

l'Etat adopté en 2001. Le conseil des Etats-Unis s'est référé à cet égard au commentaire de la
Commission, pour qui cette disposition «indique ... que les articles [de la Commission] ont un
caractère supplétif», si bien que «[l]orsqu'une question traitée dans les articles est régiepar une
règle spécialede droit international, cette dernière prévautdans la mesure où il y a incompatibilité
entre les deux dispositions» (commentaire introductif à la quatrième partie, version française,

p. 382; voir également J. Crawford, The International Law Commission's Articles on State
Responsibility, 2002, p. 306). TIsemble qu'il n'y ait aucun désaccordentre les Parties sur ce point,
puisque 1'Iran indique expressément dans ses écritures que, «[e]n tant que lex specialis dans les
relations entre les deux pays, le traitél'emporte sur la lex generalis,à savoir le droit international

coutumier».

2. Le conseil des Etats-Unis s'appuie non pas sur le concept de régime se suffisant à

lui-même,mais plutôt sur celui de lex specialis qui figure à l'article 55 du projet de la CDI, et dont
le concept de régime se suffisant à lui-mêmeest, comme le dit la CDI, un exemple de «formes
fortes» -un exemple de «formes faibles» étant«les dispositions spécifiques d'un instrument sur
un point particulier; par exemple une disposition conventionnelle» (paragraphe 5 du commentaire

de l'article 55). Si les concepts de régime se suffisant à lui-mêmeet de lex specialis ne sont pas
synonymes, ils sont étroitement liés. Un régimese suffisant à lui-mêmeest un type particulier de
lex specialis, mais une lex specialis n'estpas nécessairementun régimese suffisant àlui;roême. La
question déterminante en l'espèce est de savoir si l'article XX du traité de 1955 est une

lex specialis, qui supplanteraitàce titre les dispositions par ailleurs applicables du droit coutumier
qui peuvent êtreénoncéesdans le projet de la Commission; la question n'est pas de savoir si
l'articleXX créeun régimese suffisant à lui-même. Autrement dit, pour les besoins de la présente
espèce, il suffit de constater que l'article XX du traité de 1955 est une lex specialis au sens de

l'article 55 du projet de la CDI, sans qu'il soit besoin de déterminersi cet article créeun régimese
suffisant à lui-même. Cela est d'autant plus vrai que le concept mêmede régime se suffisant à
lui-même, tel que la Cour l'a reconnu dans l'affaire des Otages, a étécontesté-voire parfois
remis en cause- au sein de la Commission du droit international elle-même(voir par exemple,

quatrième rapport préparépar G. Arangio-Ruiz, Annuaire de la Commission du droit international,
1992, vol. Il, première partie, par. 97 et suiv.) et de la doctrine. Le professeur, aujourd'hui juge,
B. Simma-qui considère à l'évidence les régimes se suffisant à eux-mêmescomme des leges

speciales («Self-Contained Regimes», Netherlands Yearbook of International Law, vol. XVI, 1985,
p. 135)- souligne le «haut degréd'abstraction qui a entouréles débats à ce sujet» au sein de la
Commission et «les incertitudes qui en ressortaient alors» (p. 118). - 2 -

3. On peut ajouter que le concept de lex specialis est une application de l'adage specialia

generalibus derogant, un principe d'interprétation bien connu et bien établi. Comme la
Commission l'a dit dans son commentaire de l'article 55, il s'agit d'une question d'interprétation et
«[c]'est en fonction de la règle spéciale que 1'on établira la mesure dans laquelle les règles
généralessur la responsabilité de l'Etat énoncéesdans les présents articles sont supplantées par

cette règle» (op. cit., par. 3). C'est l'interprétation adoptée par le conseil des Etats-Unis lorsqu'il
soutient que c'est au regard du concept de «mesures nécessaires à la protection [des] intérêts
essentiels [d'une partie] en matière de sécurité»visé à l'article XX du traitéde 1955 que la Cour
doit examiner les demandes en la présenteespèce (CR 2003/12, par. 17.21 et suiv.).

4. Dans le même ordre d'idée, D. Bodansky et J. R. Crook, dans leur article intitulé
Symposium: The ILC's State Responsibility Articles: Introduction and Overview, écrivent ce qui
suit:

«Il ne faut pas oublier que, mêmesi le champ d'application des articles est
général,il ne s'agit que de règles qui s'appliquent par défautou de règles supplétives;
ils ne s'appliquent pas forcément dans tous les cas. Certains régimes conventionnels

particuliers ou certaines règles de droit international coutumier peuvent comporter
leurs propres règles spéciales en matière de responsabilité ... qui se distinguent de
celles énoncéesdans les articles (American Journal of International Law, vol. 96
(2002), p. 780) [traduction du Greffe].

5. TIfaut ajouter, comme l'a fait remarquer le juge Al-Khasawneh quand il étaitmembre de
la Commission du droit international, que «[l]a tendance, dans le domaine de la responsabilité des
Etats, est à l'établissement de régimes différentspour les divers types de responsabilité»,car «[c]e

compartimentage donnera davantage de précisionet de clartéaux règles régissant les conséquences
instrumentales ... » (compte rendu analytique des séances de la quarante-quatrième session,
Annuaire de la Commission du droit international, 1992, vol. 1,p. 159-160).

6. En conclusion, pour déterminer la portée et l'effet de l'article XX du traité de 1955, il
n'est pas nécessaire de rechercher si cet article créeou non un régime se suffisant à lui-même.
Mêmesi, comme le soutient M. Crawford, «[l]e traitéd'amitié n'est pas un régime se suffisant à
lui-même» mais <<Un traité bilatéral normal régi par le droit international» (CR 2003/16, p. 12,

par. 6), il s'agit incontestablement d'une lex specialis qui s'appliàla présenteespèce. Annexe 6 à OP2003/30

Réponse des Etats-Unis d'Amérique à la seconde question posée
par le juge AI-Khasawneh

Seconde question :

Dans sa déclaration, que les Etats-Unis nous ont communiquée et qui figure sous
l'ongletn° C9 du dossier des juges, le généralCrist explique pourquoi il a étédécidéd'attaquer les
plates-formes pétrolièresdans les termes suivants : «[l]'Iran n'aurait jamais pu s'en prendre à des

navires américainssans ces plates-formes, dans la mesure où il ne disposait pas d'autres moyens
offshore de surveillance constante des routes maritimes, hormis l'île de Farsi». Pourquoi les
Etats-Unis ont-ils choisi de s'en prendre aux plates-formes et non aux moyens de surveillance
situéssur 1'île de Farsi ?

Réponse:

1.Les critères que les Etats-Unis ont pris en compte au moment de choisir les cibles de leur

action militaire sont exposésdans les déclarationsdu généralGeorge Crist (CMEU, pièce44), du
contre-amiral Harold Bernsen (CMEU, pièce43) et du vice-amiral Anthony Less (CMEU,
pièce48). lls comprenaient: la nécessitéde saper la capacité de l'Iran d'attaquer les navires
américains transitant dans le Golfe; le désird'éviterde se trouver directement impliquédans la

guerre opposant l'Iran à l'Iraq et de préserverle statut de neutralitédes Etats-Unis; la volontéde
réduire autant que faire se pouvait le nombre de victimes potentielles parmi les forces armées
iraniennes et américaines,d'une part, et parmi les civils, d'autre part.

2. Comme l'explique le contre-amiral Bernsen dans la déclaration ci-annexée en date du
13 mars 2003, l'île de Farsi était, d'après ces critères, une cible bien moins indiquée que les
plates-formes pétrolièresoffshore.

3. Premièrement, une intervention contre l'île de Farsi n'aurait pas sapéla capacitéde l'Iran
d'attaquer les navires américainscomme pouvait le faire une action contre les plates-formes. Parce
que la voie de navigation empruntéepar les navires américainsdans le Golfe n'entrait pas dans le

champ visuel de 1'île de Farsi et que celle-ci offrait un point d'observation beaucoup plus bas que
les plates-formes pétrolièresoffshore de l'Iran, elleétait-bienmoins-utile que ces dernièrespour la
surveillance. Le fait que les attaques iraniennes contre le trafic maritime furent plus nombreuses
dans le champ radar des plates-formes iraniennes que dans celui de l'île de Farsi atteste également

que cette dernièrereprésentaitune menace moindre que les plates-formes.

4. Deuxièmement, 1'île de Farsi étaitterritoire terrestre iranien et se trouvait dans la zone
d'exclusion décrétép ear 1'Iran pour raison de guerre; par conséquent,une attaque contre 1'île de

Farsi aurait étéperçue comme une escalade plus lourde de conséquencevis-à-vis de l'Iran qu'une
action contre ses plates-formes pétrolièresoffshore, et aurait pu soulever la question de savoiri les
Etats-Unis entendaient demeurer neutres dans le conflit opposant l'Iran et l'Iraq. L'importance de
ces facteurs est reflétéedans la décision du commandement militaire national des Etats-Unis,

interdisant de prendre pour cible d'une action défensiveaméricaineune quelconque infrastructure
situéesur le territoire terrestre de 1'Iran.

5. Troisièmement, prendre pour cible l'île de Farsi aurait accru le risque de causer des

victimes aussi bien parmi le personnel américainque parmi le personnel iranien. Les Etats-Unis
pensaient que les alentours de 1'île de Farsi étaientminés,ce qui aurait mis en périlla sécuritédes
navires naviguant dans les parages. Pour éviterle risque ainsi poséaux forces américaines, toute -2-

action militaire contre 1'île de Farsi aurait dû êtremenéedepuis les airs- ce qui, du fait des
défensesantiaériennesde l'île de Farsi, ne mettait pas pour autant les forces américaàl'abri de
tout danger. Une opérationaérienneaurait égalementimpliquéle recours à des armes moins
précisesque celles pouvant êtreemployéesà une distance moindre, au sol. Le risque que des

membres du personnel iranien soient touchéss'en serait nécessairementtrouvéaccru. Les actions
contre les plates-formes pouvaient en revanche, êtremenéesà courte distance, et permettaient que
le personnel présentsur les plates-formes soit prévenu,ce qui réduisaitau minimum le risque de
causer des victimes iraniennes. Déclaration du contre-amiral Harold J. Bernsen, 13 mars 2003

Déclaration du contre-amiral Harold Bernsen, Marine américaine (à la retraite)

1. Je, Harold Bemsen, ai pris ma retraite de la marine amencame avec le rang de
contre-amiral en décembre1991. De juin 1986 à mars 1~8,j' coammandéles forces de la marine

américaineau Moyen-Orient, à l'intérieuret aux alentours du golfe Persique.

2. Une question a étéposéesur les raisons pour lesquelles «les Etats-Unis ont choisi de s'en

prendre aux plates-formes et non aux moyens de surveillance situés sur l'île de Farsi». Les
paragraphes 24 et 25 de ma déclaration du 26 mai 1997, qui étaitjointe au contre-mémoire et
demande reconventionnelle des Etats-Unis comme annexe 43, fournissent des renseignements sur
la décisionprise par les Etats-Unis de viser les plates-formes pétrolièresoffshore'Iran. Dans la

présentedéclaration,j'ajouterai des élémentsconcernant les raisons pour lesquelles les Etats-Unis
ont décidé de ne pas viser l'île de Farsi. Cette décisions'explique par plusieurs raisons.

3. Tout d'abord, l'île de Farsi était un territoire terrestre iranien.Le commandement
militaire national des Etats-Unis avait ordonnéde ne lancer aucune opérationmilitaire défensive
contre de tels territoires. Le commandement souhaitait ainsi éviterde provoquer une escalade
inutilede la situation tendue qui existait entre l'Iran et les Etats-Unis et de porter atteinte d'une

manièrequelconque au statut de neutralitédes Etats-Unis.

4. En outre, le risque de causer des victimes tant amencames qu'iraniennes était

considérablementsupérieur si l'on attaquait une cible terrestre comme l'île de Farsi. En raison de
sa situation à l'intérieurde la zone d'exclusion décrétear l'Iran pour raison de guerre et du fait
qu'elle étaitentouréed'eaux peu profondes fort probablement minées,il étaitrisquépour les forces
américainesde s'approcher de l'île à partir de la mer. Une telle attaque aurait nécl'utilisation

d'aéronefsplutôt que de navires de surface, mais elle aurait égalemententraînédes risques pour les
forces américainesen raison des défensesantiaériennesdéployéespar 1'Iran sur 1'île de Farsi. De
plus, une opérationaérienneaurait comporté1'utilisation de bombes, armes moins précises que

celles qui pouvaient êtreutiliséesà partir du sol, et aurait en conséquenceaccru le risque de causer
des victimes parmi le personnel militaire iranien au sol. Ce risque auraiparticulièrementgrand
étantdonnéqu'il aurait étédifficile de prévenirle personnel de l'île avant une attaque. Lembre­
d'embarcations prévupar les Iraniens pour le personnel déployésur l'île de Farsi étantinsuffisant,

il aurait étpratiquement impossible d'assurer l'évacuationet la sécurité ce personnel.

5. Enfin, 1'île de Farsi ne présentaitpas pour les navires américainstransitant dans le Golfe

une menace aussi grande que les plates-formes pétrolièresoffshore de l'Iran. A la différencedes
plates-formes, quise trouvaient à portéetant visuelle que radar de la voie de navigation empruntée
par les navires américainsdans le Golfe, Farsi nee trouvait pas dans le champ visuel de cette voie,
ce qui la rendait peu utile comme point de surveillance. L'île Farsi est une masse terrestre de

basse altitude qui ne s'élèvequ'à 3 mètres au-dessus du niveau de la mer. En revanche, les
plates-formes offraient une position beaucoup plus élevée,à environ 35 mètres où l'on pouvait
installer un radar ou observer visuellement les navires engagésdans voie de navigation. La vue

dégagéeque l'on pouvait avoir de la voie de navigation à partir des plates-formes étaitnettement
supérieureà celle de l'île de Farsi. -2-

Je déclare,sous peine d'êtrereconnu coupable de faux témoignage en vertu des lois des
Etats-Unis d'Amérique,que ce qui précèdeest vrai et exact.

Le 13mars 2003.

(Signé) Harold J. BERNSEN.

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Réponse de la République islamique d'Iran à la première question posée aux deux Parties par le juge Rigaux

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