Mémoire de la République démocratique du Congo

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8306
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Cour internationale de Justice

AFFAIRERELATIVEAU MANDAT D'ARRÊT

DU 11 AVRIL2000
(Républiquedémocratiqudeu Congoc.Belgique)

MÉMOIRE

Présenpar le Gouvernement de la

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

15mai 2001Introduction ...........................................................
.........................5.....................................
5 1. Rétroactes ........................................................
.....................................
Violation du droit international commise par la Belgique
5 2. àl'encontre de la R.D.C. et objet de la demande ....................................6.............

5 3. Présentation du Mémoire ........................................................
.......................

PremièrePartie :

LESFAITSLITIGIEUXETL'EXISTENCE ENTRELESPARTIES
D'UN DIFFÉRENDJURIDIQUERELEVANTDELACOMPÉTENCE DELACOUR

Chapitre Ier:Les faits' objet du différend .......................................................
.................
5 1. Les faits non litigieux ......................................................
.........................
5 2. La pertinence de ces faits sur ledifférend .......................................................
ChapitreII :L'existence et la nature du différend entre les parties ..............................0........

ChapitreIII :La compétence de la Cour .........................................................2...............

DeuxièmePartie :
DROIT INTERNATIONALETDROITINTERNE

ChapitreIer :Les faitslitigieuxfont-ils apparaître un conflit entre
le droit international et le droit interne? ..................................................3....
.........
ChapitreII :Le ralliement de la Cour de cassation de Belgique à la doctrine du monisme
avec prépondérance du droit international sur le droit interne ............................4.......
5 1. L'application des traités internationaux et de la coutumeinternationale
par les cours ettribunaux ........................................................
.4...................
A . L'application et l'interprétation des traitésinternationaux ...................14....
B . L'application et l'interprétation du droit internationalcoutumier .................16....

5 2. Le conflit entre une loi belge et la dispositiondirectementapplicable
d'un traité international régulièrement entréen vigueur en Belgique ...............-.
5 3. Le conflit entre une loi belge et une disposition de la coutumeinternationale ....19
ChapitreIII :Détermination de la portéede la loi du 16juin 1993et vérification
de sa conformité au droit international ..................................................2....
...........
5 1. La répression interne de crimes de droit international ............................21.........
5 2. Les règles de compétenceinternationale applicables à pareille répression ........21.
5 3. L'interprétation de l'article 5 de la loi du 16juin 1993modifiéepar la loi
du 10février1999 ......................................................
..........22...................

ChapitreIV : Le devoir du juge d'instruction saisi par l'effetd'une constitution
de partie civile de vérifier sontitre de compétence ......................................27............. TroisièmePartie :
LESRÈGLES DE DROIT INTERNATIONAL
APPLICABLESAU DIFFÉRENDENTRELESPARTIES:

L'atteinte portéeà l'inviolabilitéet l'immunitépénaleabsolues du ministre des Aflaires
étrangèreset violation des droits souverains de la R.D.C.

Chapitre 1:Monsieur Abdoulaye Yerodia est ministre des Affaires étrangèresde la R.D.C. au
moment de la délivranceet de la diffusion internationale du mandat d'arrêt
du 11avril 2000 ...........................................................
..................8..........................
Chapitre II:Le droit international coutumier accorde une inviolabilitéet une immunité
pénale absolues aux ministres des Affaires étrangèresen fonction et assimile. de ce point

de vue. leur statut à celui deschefs d'État en exercice ..................................................
Chapitre III :La portéede l'inviolabilitéet de l'immunitépénaleabsolues du ministre des
Affaires étrangèreset leur violation par l'émissionet la diffusion internationale
du mandat d'arrêt du 11avril 2000 .........................................................3...
..................
5 1. Portéede l'inviolabilité etde l'immunitépénale absolues ..........................3.........
5 2. Violation de l'inviolabilité etde l'immunitépénaleabsolues .......................3........
5 3. Préjudicescausés à la R.D.C ..........................................................32...................

A . Position de la R.D.C. .........................................................
.3...................
B . Arguments de la Belgique .........................................................
...........
i) L'invitation faite au ministre ..........................................................
.....
... L'exécutiondu mandat d'arrêtparun tiers ...........................................
iii) Les recours judiciaires .........................................................
...............
C . Les faits qui sont à la base de l'accusation ......................................3............
Chapitre IV:Il n'y a pas d'exception coutumière à l'inviolabilitéet àl'immunitépénale
absolues des ministres des Affaires étrangèresdevant les fors nationaux en cas

d'accusationde crime de droit international ........................................................
....
1. Précisionsliminaires .......................................................................8...................3
5 2. Le droit positif .........................................................
.............40......................
A . Jurisprudence, pratique et doctrine récentes ...................................4...........
i)Les arrêts((Pinochet,,de la House of Lords ..................................4...........
ii) L'arrêt&hadafi, )de la Cour de cassation de France .......................4........
B . L'argument déduit de l'article27 du Statut de la C.P.I. .........................3.....

5 3. Sens et importancedes immunités pour l'ordre juridique international ...........4...
Chapitre V:Inexistence d'une obligation d'exercer une compétencepénale ((universelle),
aussi large que celle mise en Œuvre in cnsu .................................................47........
...
1 . Spécificité de la compétence((universelle,, belge .....................................8.......
52 . Inexistence d'obligation conventionnelle d'exercer une compétence((universelle,,
aussi élargie ..........................................................
.........................................
A . Crimes de guerre .........................................................
....9..............
B . Crime de génocide ..........................................................
.....................

C . Crimes contre l'humanité .....................................................53...
............
53 . Inexistence d'obligation coutumière d'exercer une compétence«universelle,, aussi
élargie ...........................................................
.................................................
54 . Inexistence d'obligation déduiredes résolutions du Conseil de sécuritéd'exercer
une compétence ((universelle,,aussi élargie .........................................56.............
55 . La Belgique est-elle libre de ((prendre,, et d'exercer une compétence ((universelle,,
aussi large? ..........................................................
...............5..........................
A . L'Opinioluris se dégageant d'autres législations .......................................

B . Obligation de ne pas priver le Statut de la C.P.I. de son objet
et de son but ............................................................
.....5.........................
56. L'exerciceillicite d'une prétendue liberté ............................................6............. QuatrièmePartie :
PRÉCISIONSRELATIVESÀ L'OBJET DELADEMANDE ..............6...... INTRODUCTION

5 1. Rétroactes

1. Le présent mémoire est déposéconformément à l'ordonnance prononcée
le 12 avril 2001 par le Président de la Cour qui, compte tenu des raisons
invoquéespar la République démocratique du Congo (R.D.C.)et de l'accord des
Parties, a reporté au 17mai 2001 la date d'expiration du délaipour le dépôt du

mémoirede la R.D.C.

2. L'affaire a étéintroduite par la requêtede la R.D.C. enregistrée au Greffe
de la Cour le 17octobre 2000.Cette requête fait étatde différentesviolations du
droit international dont la Belgique s'est rendue coupableà l'égardde la R.D.C.
par l'émissionet la diffusion internationale d'un mandat d'arrêtdélivréle 11

avril 2000 par Monsieur Damien Vandermeersch, juge d'instruction et vice-
Président au Tribunal de première instance de Bruxelles, à l'encontre de
Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi, qui, à l'époque de l'émissionet de la
diffusion internationale de ce mandat d'arrêt,exerçait la fonction de ministre
des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo, partie

demanderesse dans la présente affaire.

3. Immédiatement après le dépôt de la requête,la R.D.C. a présenté à la Cour
une demande en indication de mesures conservatoires. La Cour s'est prononcée
sur cette requêteen indication de mesures conservatoires par ordonnance du
8 décembre2000.Le dispositif de cette ordonnance selit commesuit:

«78.Par cesmotifs,
LaCour,
1) À l'unanimité,
Rejettlademande du Royaume de Belgiquetendant àce que l'affairesoit rayée
durôle;
2) Parquinze voix contre deux,
Ditque les circonstances, tellesqu'ellesse présententactuelleàela Cour, ne
sontpas de nature à exiger l'exercice deson pouvoir d'indiquer, en vertde
l'artic41du Statut,desmesures conservatoires.»

4. Il importe de rappeler que la Cour a estimé qu'étaiten l'espèceremplie la
condition de compétence prima fizcie qui doit exister pour qu'elle puisse
ordonner des mesures conservatoires 1.

5. Quant àl'existence d'un préjudice imminent et irréparable causé,du fait
du mandat d'arrêtlitigieux, aux droits de la R.D.C., la Cour considéré

'
Voy.FI F1à 68 de l'ordonnance. «72. (..qu'à lasuite du remaniementministérielintervenu le 2novembre 2000
M. Yerodia Ndombasi a cesséd'exercer les fonctions de ministre des affaires
étrangères et s'estvu confiercelle de ministre de l'éducation nationale,moins

exposée à des déplacementsfréquents à l'étranger;et(...qu'enconséquenceil
n'estpas établiqu'un préjudiceirréparablepourrait êtrecausédans l'immédiat
aux droits du Congo et que le degréd'urgencesoit telqu'ily ait lieude protéger
cesdroitspar l'indicationde mesuresconservatoires.»

Il apparaît donc clairement que ce changement d'affectation ministérielle
fut déterminant dans le raisonnement de la Cour, ce que ne manque pas
d'indiquer le dispositif de l'ordonnance reproduit ci-dessus, qui fait état des
«(...circonstances,telles qu'ellesse présentent nctuellment àla Cour, (...)1.

5 2. Violation du droit international commise parla Belgique
àl'encontre de la R.D.C.et objet de la demande

6. L'émissionet la diffusioninternationale du mandat d'arrêt du 11 avril 2000

par un organe de l'État belge procèdent, ainsi qu'il sera démontréci-après, d'au
moins une violation du droit international dont la R.D.C. est victime: la
violation de la règle de droit international coutumier relative à l'inviolabilitéet
l'immunité pénale absoluesdes ministres des affaires étrangèresen fonction.

7. La commission par la Belgique de ce fait internationalement illicite

commis à l'encontre de la R.D.C. justifie, ainsi qu'il sera démontré, qu'il soit
demandé àla Cour de dire et juger:

- que la Belgique a commis à l'encontre de la R.D.C. la violation du droit
international susvisée;
- que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce fait

constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le
dommage moral qui en découledans le chef de la R.D.C.;
- que la violation du droit international dont procèdent l'émission et la
diffusion internationale du mandat d'arrêtdu 11 avril 2000interdit à tout
État, en cecompris la Belgique,d'y donner suite;
-
que la Belgique est tenue de retirer et mettre ànéant le mandat d'arrêt du
11 avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles
ledit mandat fut diffuséqu'elle renonce à solliciter leur coopération pour
l'exécutionde ce mandat illicite suiteà l'arrêtdela Cour.

8. Le Congo est conscient que ce grief et ces demandes diffèrentquelque peu

de ceux et celles qui furent formulésdans sa requête introductive. Dèsl'instant
où ils prennent appui sur les mêmesfaits que ceux mentionnés dans cette
requête, aucune difficulté ne sauraitsurgir à cet égard.

Nous soulignons.5 3. Présentation du Mémoire

9. Le présent Mémoire est divisé en quatre parties.
La première partie rappelle les faits qui font l'objet du différend dont la
Cour est saisie (Chap. 1),identifie la nature de celui-ci (Chap. II) ainsi que la
base de compétence de la Cour (Chap. III).
La deuxième partie, intitulée «Droit international et droit interne»,entend

éclairer la Cour sur les obligations qui, en droit belge, s'imposent au juge
d'instruction saisi d'une plainte avec constitution de partie civile (Chap. IV)
ainsi que, plus généralement, sur les devoirs des cours et tribunaux belges face
aux sources de droit international (Chap.II). Il est rappelà cet égard que, sur
la question des rapports entre le droit international et le droit interne, il existe
une pratique belge bien établie consacrant la primauté des dispositions du droit
international sur les règles de droit interne qui y seraient contraires.Il est

montré que la méconnaissance de cette pratique a étél'une des causes
principales de la violation du droit international ayant fait grief à la Partie
demanderesse. Le troisième Chapitre souligne que la loi du 16juin 1993 aurait
pu recevoir une autre interprétation que celle qui lui a été donnée parle juge
d'instruction et qui fut soutenue par le gouvernement belge. Cette autre
interprétation, plus conforme aux obligations internationales de l'État belge et
aux principes rappelés dans le chapitre II, aurait permis d'éviterle dommage

infligé à la R.D.C. Par ces différents développements, la Partie demanderesse
n'entend pas solliciter de la Cour la consécration d'une interprétation de la
législation belge, plutôt qu'une autre. Ces développements soulignent
seulement en quoi l'attitude de la Partie défenderesse a été contraire aux
principes de droit belge les plus élémentaires relatifs aux rapports de système
entre le droit international et le droit interne, en plus d'avoir violé ses
obligationsinternationales (cfr.Troisième Partie).

La troisième partie du Mémoire est entièrement consacrée à la
démonstration de l'existence, par l'émission et la diffusion internationale du
mandat d'arrêtdu 11 avril 2000, d'une violation du droit international commise
par la Belgique àl'encontre de la R.D.C. La règlede droit international violéeest
relative à l'inviolabilité et l'immunité pénale absolues du ministre des Affaires
étrangères. Après avoir rappelé que Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi

étaiteffectivement ministre des Affaires étrangères de la R.D.C. au moment de
l'émissionet de la diffusion internationale du mandat d'arrêt litigieux (Chap. 1),
la règle de droit international coutumier relativeà l'inviolabilité et l'immunité
pénale absolues des ministres des Affaires étrangères en fonction est rappelée
(Chap. II). Le Chapitre III souligne la portée de l'inviolabilitéet de l'immunité
pénale absolues et montre en quoi l'émission et la diffusion internationale du
mandat d'arrêtlitigieux y est contraire. Le préjudice qui en résulte dans le chef

de la Partie demanderesse - et plus largement dans celui de la communauté
internationale dans son ensemble - est clairement identifié. Différents
arguments développéspar la Belgique àl'occasion des plaidoiries relativeà la
demande d'indication de mesures conservatoires sont rencontrés (invitationfaite au ministre, exécution du mandat d'arrêtpar un tiers, recours judiciaires),
et rejetés. Le quatrième Chapitre est consacré à la prétention de la Belgique
selonlaquelle aucune immunité ne pourrait exister en cas d'accusation de crime
de droit international. Notamment à l'aide de la jurisprudence récente des plus
hautes juridictions nationales, il est clairement démontré que tel n'est pas, et ne
pourrait être, le cas devant les juridictions nationales saisies de telles

accusations. Enfin, le Chapitre V revient sur la prétention de la Partie
défenderesse suivant laquelle l'émission du mandat d'arrêtlitigieux répondrait
à une obligation internationale. L'argument est rencontré et rejeté après avoir
clairement identifié la spécificitéde la compétence «universelle»accordéepar la
loi du 16 juin 1993 aux juridictions pénales belges. Cette spécificitétient au fait
que celles-ci peuvent connaître d'une accusation dirigée contre toute personne,

alors même qu'elle n'est pas présente sur le territoire national. Aucune
obligation internationale, qu'elle soit conventionnelle, coutumière ou
prétendument déduite des résolutions du Conseil de sécurité,n'oblige en réalité
la Belgique à affirmer et exercer une compétence «universelle» aussi large, sans
laquelle le mandat d'arrêtlitigieux n'aurait pas pu être délivréO. utre de ne pas
être imposéepar une obligation internationale, cette extension de compétence

répressive paraît singulièrement contraire à l'opinijurisqui se dégage d'autres
pratiques nationales. Elle semble aussi peu compatible avec l'institution de la
Cour pénaleinternationale dont le Statut précise qu'elleest complémentaireaux
juridictions pénales nationales.
La quatrième partie du Mémoire apporte quelques précisions relatives à
l'objetde la demande dont la Cour est saisie. Première Partie :

LESFAITSLITIGIEUXETL'EXISTENCE ENTRELESPARTIES
D'UN DIFFÉRENDJURIDIQUE RELEVANT
DE LA COMPÉTENCE DE LACOUR

ChapitreIer.
LESFAITS,OBJETDU DIFFÉREND

5 1. Les faits non litigieux

10. Les Parties s'accordent sur la matérialitédes faits à l'origine de l'action
introduite par le Gouvernement de la Républiquedémocratique du Congo.
Le 11 avril 2000,le juge d'instruction de Bruxelles, M. DamienVandermeersch a
décernéun mandat à charge de M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, à cette
époque ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du
Congo. Le mandat requérait l'arrestation provisoire deYerodia Ndombasi

aux fins de son extradition vers le territoire belge sous l'inculpation de crimes
constitutifs de graves violations du droit international humanitaire.

11. La diffusion internationalede ce mandat aux fins d'extraditionfut
assumée par les autorités belges et la notification en fut reçue par les autorités
congolaises le 12juin 2000.
Selon les informations donnéesàla Cour par l'agent du Gouvernement

belge,M. Yerodia Ndombasi a, le 20 novembre 2000,jour de l'ouverture de la
procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires, été
déchargé du département des Affaires étrangères et nommé ministre de
l'Éducation nationale, informatioconfirmée par le Congo (ordonnance du 8
décembre 2000,§ 51).
Lors de la constitutiondu nouveau gouvernement congolais par le
président JosephKabila,M. Adboulaye Yerodia n'apparaît plus sur la liste des
membres de ce gouvernement (LeMonde,17avril 2001,p.3).

5 2. Lapertinence de ces faits sur le différend

12. Au cours de l'instance relatiàela demande en indication de mesures
conservatoires, les Parties n'ontpas attribué la même signification aux
changements ministériels la suite desquelsM. Yerodia Ndombasi a été
déchargédu portefeuille des Affaires étrangères.Selon la position adoptée par

le Gouvernement de l'État demandeur, la violation du droit internationalalléguée contrela Belgique doit êtreévaluéeau moment où a étéaccompli l'acte

juridictionnel constitutif d'une telle violation. Selon le Gouvernement belge, le
préjudice allégué était considérablement amoindri par le changement de
compétence de M. Yerodia Ndombasi au sein du gouvernement congolais. La
distinction avait peut-êtrequelque pertinence pour la décision àprendre sur la
demande en indication de mesures conservatoires, mais elle n'en a aucune à
l'égard de l'instance au fond. Ainsi qu'il sera approfondi ci-dessous (541)'la

détermination du temps auquel doit êtredéterminée et appréciéela qualité
d'une personne faisant l'objet d'une action répressive est un des éléments
essentiels du différend entre les Parties.

Chapitre II.

L'EXISTENCEETLA NATUREDU DIFFÉREND
ENTRELESPARTIES

13. Il existe entre les Parties un différend juridique ayant pour objet la

compétence des autorités judiciaires d'un État pour mettre en accusation un
membre du gouvernement d'un autre État et, notamment, le ministre des
Affaires étrangères de cet État. Les circonstances dans lesquelles le mandat
d'extradition a étéémisappartiennent aux élémentsdu différendjuridique que
la Cour estinvitée àtrancher.
D'une part, les faits objet de l'accusation sont d'une particulière gravité,
puisqu'il est allégué que la personne qui y est soumise aurait commis des

violations du droit international humanitaire. D'autre part, l'État qui entend
assumer une telle mission de répression se prévaut à tort d'une règle de
compétence «universelle», en l'absence de tout lien de rattachement territorial
ou personnel. Les fais alléguésont étécommis hors de son territoire par une
personne n'ayant pas sa nationalité sans qu'il soit sérieusement et en termes
pertinents avancé que les victimes de ces faits auraient la nationalité de cet État

(sur ce point, voir encore infra, 535). n'existe pas non plus de rattachement
territorial qui aurait pu êtretiré de la présence de l'accusésur le territoire de
l'État qui s'est arrogéune telle compétence (sur cepoint, voy.fra, 5575et S.).

14. Dans la requête enregistrée au greffe de la Cour le 17 octobre 2000, le
Gouvernement de la République démocratique du Congo allègue deux séries

de griefs connexes mais différents. D'une part que la compétence pénale dite
«universelle» serait contraire au principe de l'égalitésouveraine des États
proclamé par l'article, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies. D'autre
part, que l'exercice de pareille compétence à l'encontre d'une personne
bénéficiantd'une immunité garantie par le droit international est une violation
des normes internationales régissant les Parties.

15. Il appartiendraà la Cour de décidersi elle se prononcera sur l'un et l'autre
grief. En donnant satisfactionà l'État demandeur sur le second grief, la Courpeut éviter de répondre au premier et l'économie de moyens peut la faire
incliner à une telle solution. Les juridictions n'ont pas l'habitude de trancher
des questions de droit auxquelles il est possible de ne pas toucher et l'énoncé
d'une solution particulière peut être préférée à l'adoption d'une règle plus

générale. C'est toutefois les termes dans lesquels le Gouvernement belge a
organisé sa défense qui pourraient le plus inciter le Cour à trancher le premier
grief dans le sens sollicitépar la Partie demanderesse :bien loin de se prévaloir
d'une simple faculté, la Partie défenderesseadopte une position qu'on pourrait
qualifier de maximaliste, selon laquelle l'exécution donnée à la loi belge
répondrait à une obligation internationale, position à ce point excessive, dans

les termes où elle est formulée, que la Cour se verrait contrainte de l'écarter.En
effet, seule une norme de droit international commandant l'exercice de la
compétence dite «universelle»pourrait contrebalancer et même primer la
norme protectrice des immunités.

16. Entre les États comparaissant devant la Cour il existe donc un différend

clairement cibléqui a pour objet les limites dans lesquelles le droit international
enferme l'exercice de la compétence pénale internationale. Sur cette question
chacun des deux États adopteune position qui dépasselargement la défenseou
la promotion d'un intérêé t goïste.D'un côté,tout en se plaignantà juste titre de
l'atteinte infligée à sa souveraineté en la personne d'un membre de son
gouvernement, l'État demandeur entend faire prévaloir un principe essentielà

l'existence de relations régléesentre nations civilisées, à savoir le respect de
l'immunité des personnes chargées de conduire ces relations. D'un autre côté,
l'État défendeur prétend donner la préférence à ce qu'il présente comme une
règle nouvelle, insuffisamment attestée, de l'ordonnancement international, à
savoir l'obligation de contribuer à une répression effective des crimes de droit
international humanitaire. On ne saurait qu'adhérer à l'intention ainsi exprimée

mais il conviendra de vérifierdans quelles limites et par quels moyens sa mise
en Œuvre est conforme au droit international.

17. L'existence et la nature d'un différend juridique entre les Parties sont
d'autant plus indéniables que l'acte juridictionnel qui a étéà l'origine de la
requête introduite par la Partie demanderesse a étépleinement assumée par le

Gouvernement de l'État défendeur. D'abord par la notification internationale
du mandat aux fins d'extradition et, plus récemment, par les termes dans
lesquels cet État entend affirmer devant la Cour la légitimitéde son attitude. ChapitreIII.
LA COMPÉTENCEDE LACOUR

18. A certains moments durant l'instance relative à la demande en indication
de mesures conservatoires la Partie défenderesse a élevédes doutes ou des
incertitudes sur le titre de compétence de la Cour pour se prononcer sur le
présent différend. Comme la Cour a expressément réservéla question de sa

compétence pour connaître de la présente affaire au fond (ordonnance du 8
décembre 2000,§ 77), il convient d'indiquer quelle est sur ce point la position de
la Partie demanderesse.

19. Le titre de compétence de la Cour dérive de l'article 36, paragraphe 2, du
Statut, les deux États ayant déclaré reconnaître «comme obligatoire de plein
droit et sans convention spéciale vis-à-vis de tout État acceptant la même
obligation, la juridiction de la Cour internationale de Justice».
La déclaration de la Belgique est datée du 3 avril 1958et elle s'applique à «tous

les différends d'ordre juridique nés après le 13juillet 1948au sujet de situations
ou de faits postérieurs à cette date, sauf le cas où les parties auraient convenu
ou conviendraient d'avoir recours àun autre mode de règlement pacifique ».
Datée du 8 février 1989, la déclaration du Zaïre énumère les différends
d'ordre juridique auxquels elle est applicable, à savoir ceux qui ont pour objet :

aa) l'interprétationd'untraité;
b) tout point de droit internationa;
c) la réalitéde tout faitqui, s'ilétait établi, constitueraitla violation d'un
engagementinternational ;
d) la nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un
engagementinternational. »

Des termes convergents des deux déclarations il se dégage que la Cour est
compétente pour se prononcer sur le différend juridique circonscrit dans le

Chapitre II de cette première partie. DeuxièmePartie :

DROIT INTERNATIONALETDROIT INTERNE

Chapitre1':
LES FAITS LITIGIEUXFONT-ILS APPARA~TRE UN CONFLIT
ENTRELEDROIT INTERNATIONALET LE DROIT INTERNE?

20. La Partie demanderesse n'a pas l'intention de solliciter de la Cour une
décision sur le problème des rapports de système entre le droit international et
le droit interne. Il s'agit, en effet, d'une question doctrinale, largement
controversée, dont l'examen peut éclairer la Cour mais sur laquelle le juge
international peut éviter de prendre parti sauf pour affirmer que dans l'ordre

juridique international dont la Cour est la juridiction suprême, le droit
international prime le droit interne. La question n'est pas sans pertinence pour
le différend juridique pendant devant la Cour puisque l'acte juridictionnel
litigieux s'appuie, comme il se doit en matière pénale, sur les dispositions de la
loi belge, en l'espècela loi du6juin 1993relative àla répression des violations
graves de droit international humanitairemodifiée.par la loi du 10 février 1999.

Toutefois, comme la Partie défenderesse soutient que ces dispositions sont
conformes au droit international et, même,constitueraient l'exécution d'une
obligationinternationale, le différendjuridique se ramènerait, selon la position
ainsi adoptée, au choix entre deux normes de droit international, celle qui
garantit l'immunité du ministre des Affaires étrangères d'un État autre que
celui qui exerce une compétence pénale et celle qui autoriserait ou justifierait

l'évictionde la première norme.

21. Au-delà du problème théorique des relationsentre le droit international et
le droit interne, ila lieu de vérifierquelest, sur les questionsjuridiques faisant
l'objet du différendentre les Parties, le contenu du droit interne belge et quelles
sont les règles de droit international que la Cour devra identifieet appliquer.

La suite de ce mémoire comprendra deux grandes subdivisions.Incluse dans la
deuxième partie, la première d'entre elles a pour objet une analyse du droit
belge sous deux aspects différents : quels sont, dans l'ordre interne belge, les
devoirs des cours et tribunaux face aux sources de droit international? (infra,
chap. II); quelle interprétation faut-il donner à la loi précitéedu 16 juin 1993,
surtout dans celle de ses dispositions (l'article 5, paragraphe 3) qui, sous
l'interprétation que la Partie défenderesse fait sienne, est incompatible avec les

obligationsinternationalesde la Belgique? (infra,chap. III). Le deuxième subdivision sera examinée dans la troisième partie et elle a

pour objet l'identification des règles de droit international applicables à la
répression par les juridictions d'un État des crimes de droit international
humanitaire commis sur le territoire d'un autre État et dont est accusée une
personne qui n'a pas la nationalité de cet État et qui peut se prévaloir d'une
immunité attachée à sesfonctions.

22. Bien qu'elles puissent paraître étrangères àl'ordonnancement normatif
international appliqué par la Cour, les sources de droit belge ayant eu une
incidence ou qui auraient dû être prises en considération par le juge
d'instruction méritent de retenir l'attention pour plusieurs motifs qui peuvent
être résuméd se la manière suivante :

1" Sur la question des rapports entre le droit international et le droit interne,
il existe une pratique belge solidement attestée et dont la méconnaissance
a étél'une des causes, sans doute mêmela cause principale, de la violation
du droit international ayant fait grief à la Partie demanderesse (infra,
Chap. II).
2" L'interprétation donnée àla loi du 16juin 1993par le juge d'instruction et

qui a jusqu'ici étésoutenue par le gouvernement belge est-elle correcte et
n'y a-t-il pas des raisons de penser qu'une interprétation différente aurait
permis d'éviterle dommage infligéau Gouvernement de l'État demandeur
ainsi que la violation d'une coutume traditionnelle des usages
diplomatiques ?(infra,Chap. III).
3" Quand le juge d'instruction est saisi d'une plainte avec constitution de

partie civile conformément aux articles 63 et suivants du Code
d'instruction criminelle, quelles sont ses obligations dès lors qu'il constate
que la personne faisant l'objet de l'accusation est soustraitea juridiction
de la Belgique? (infia, Chap.IV).

Chapitre II.
LERALLIEMENTDE LA COUR DE CASSATIONDE BELGIQUE
À LA DOCTRINE DU MONISME AVECPRÉPONDÉRANCE
DU DROIT INTERNATIONAL SUR LEDROIT INTERNE

1. L'application des traités internationaux et de la coutume
internationale par les cours et tribunaux

A. L'applicationet l'interprétationdes traitésinternationaux

23. La pratique belge s'écartede celle qui est observéeen de nombreux autres

pays où l'interprétation de certaines catégories de traités internationaux (ceux
qu'on qualifie parfois pour ce motif de politiques)est réservée aux organes dupouvoir exécutif. La Cour de cassation a admis sans limite que les cours et
tribunaux, compétents pour appliquer les dispositions d'un traité en vigueur
dans l'ordre interne belge, sont aussi seuls compétents pour les interpréter. Elle

a élaboré à cette fin les règles d'interprétation adéquates, notamment que les
traités doivent recevoir (<l'interprétation que leur ont donnée les parties
contractantes >>1,résultat que, selon un arrêtultérieur, le tribunal atteindra en

recherchant <<l'esprit», du traité etles intentions des puissances contractante 2.
Un demi-siècle plus tard, la Cour de cassation affirme que « les règles
d'interprétation des conventions [doivent] être suiviespour l'interprétation des
traités internationaux >>3.Rien de trèsoriginal sans doute sinon que les cours et

tribunaux ont la maîtrise de l'interprétation des traitésinternationaux qu'ils ont
le devoir d'appliquer.

24. Les traités qu'on serait ailleurs tentéde qualifier de <<politiques >>ne sont
pas soustraits au pouvoir d'interprétation des cours et tribunaux. Tel l'Acte
final de Vienne invoqué par les parties dans l'affaire terminée par l'arrêtdu 20

juin 1846 ou le traitépasséentre la République franqaise et le duc d'Arenberg en
sa qualité de prince médiatisé du Saint-Empire. En d'assez nombreux litiges
relatifs à la succession aux dettes de l'Empire français après 1815, les cours et

tribunaux ont appliqué les articles 19et 21 du Traitéde Paris du 30 mai 1814et
les articles 9 et 11 du traité de Paris du 20 novembre 1815.Ils ont aussi évalué
une prétention civile à la lumière de <<la doctrine des publicistes sur la nature

du droit de conquête » 4.A de mêmeétéinterprétépar les cours et tribunaux
l'article 32 du traité de Versailles reconnaissant la .souveraineté de la Belgique
sur le territoire de Moresnet-neutre 3.

Cass. (ch. civ.)19 mars 1842,Mnrshnllc. d'Arenberg,Pa., 1842,I, 122,p. 133.
Cass. (2ech.) 26juin 1846,DlrcdlAtlrnnlec.Etat Belge,Pas., 1846,I, 417, p. 432.

Cass. (2e ch.), 13février1911,Wnlch,Pm., 1911,I, 125,p. 126.
Cass. (ch. civ.), 31 décembre 1840,Ministre des Finnncesc.lamarre, Pas., 1841, 1,155, p.
160.Voy. aussi : Cass. (ch. civ.), 18mars 1841,Administration des Finances c. Richnrd, Pas.,
1841,If 163.Chacundes deux arrêtsa casséla décisionattaquéepour violation des articles
des traités internationaux viséspar le pourvoi. Voir encore: (ch. civ.), 2 décembre 1841,
Adm. des doinainesc. la Ville de Liègeet Toussnint-Snuvellr,Pns., 1842, 1,60; (ch. civ.), 17
février 1842,Adm. des domainesc. Ville de Liège,Pas., 1842, 1,98. Les mêmesarrêtsont

souverainement interprété les dispositions des traitésde paix, en ce qui concerne la non-
succession de la Belgique à certaines dettes de l'Empire français. L'arrêtdu 20 mai 1842
(ch. civ.,dm. des Financesc.Moçselman,Pas., 1842,1,347) a aussi interprétél'article 13,
paragraphe le', du traitédu 19avril 1839entre ta Belgique et les Pays-Bas.
Cass. (lre ch.), 22 mai 1925,pp etCS.Pas., 1925,1,253. Selon l'arrêt,il s'agit de la simple
reconnaissance d'un état de droit antérieur: Moresnet neutre, actuellement La
Calamine, doit, dès lors, êtreconsidéré commeayant fait partie depuis 1815des Pays-Bas

et depuis 1830 de la Belgique ))(p. 255). La cassation de l'arrêt attaqué est, en
conséquence, prononcée.B. L'application et l'interprétation du droit international coutumier

25. Bien que la coutume, comme source de droit interne n'occupe pas une
place très considérable dans l'ordonnancement belge régi par la prépondérance
des sources formelles de droit écrit, les cours et tribunaux n'ont pas laissé
d'appliquer les dispositions pertinentes de la coutume internationale. C'est à

leur égard que la Cour de cassation a affirméqu'à des degrés divers « le Droit
des gens forme partie du Droit respectif des Nations »'. On aura reconnu ici la
traduction du dictum célèbrede Blackstone :Internationallaw ispartofthelawof
the land. 2

Les circonstances de l'espèceétaient particulières car dans l'instance qui
opposait le roi Léopold II àses trois filleslors du règlement de la succession de
la feue Reine l'une des questions mises en discussion était la nature des
conventionsmatrimoniales du duc et de la duchesse de Brabant. La Cour admit

l'usage reconnu aux princes des maisons souveraines de régler leur régime
matrimonial en la forme d'un traité, pardérogation aux normes du droit civil et
du droit international privé.

26. Mais il existe d'autres applications du devoir des juges d'appliquer la
coutume internationale. Il en fut ainsi pour la vérification des conditions
auxquelles l'Étatfrançais restitua au duc d'Arenberg une partie de ses biens 3et
des effets de l'incorporation du Duchéde Bouillon dans le territoirefrançais 4.

La Cour de cassation détermineaussi selon les exigences du « droit public
international » la non-validité de l'annexion d'une partie du territoirebelge par
une décisionunilatérale de l'Allemagne le 18mai 1940 5.
Suivant sur ce point les conclusions de l'organe du ministère public, la Cour a

rejetéle pourvoi dirigé contre un arrêtayant donné aux termes de « violation

Cass., 25janvier1906, SuccessiodeS.M.Marie-HenrietteR , einedesBelges,Pas.,1906,1,95,
p. 109.Et la Cour de citerà l'appui de cette affirmation Blackstone et la jurisprudence
américaine.
William Blackstone, Commentarieo sn thelnzusof Englnn(14thwith the last corrections of
the author, London, Straham, 1803) ,.IV, Bk 4th,Chap. V, p.66 :butsince inEnglnndno
roynlpozoercnnintrodzicea nezolaw,orsuspendthe executionof theold,thereforethelnwof
nature (rohereveany questiongrisesrohichis properlythe objectof it'sjiirisdiction)is here
adoptedinit'sfiillextentbythecornmolazo,and isheldtobeapnrtofthelawoftheland.
Telle qu'elle est présentéepar Blackstone,l'affirmation relèvedu droit constitutionnel non
écritqui régit leroyaume et interdit au pouvoir royal de transgresser la loi de la nature

laquelle est assimiléellnzvofNatioizs.
Cass. (ch.civ.), 19mar1842 M,nrshrrll.d'ArenbergP, as1842,11,22.
Cass.,(Zech.)26 juin1846 ,eDucdfAllrnnlec.1'Etntbelge,Pas1846,1,417.
Cass. (Zech.), 16 juin1947,Bindels c.AdministrntiondesFinances, Pas.,1947,1,268. Les
conclusions du premier avocat général Hayoitde Termicourt reproduites en têtede l'arrêt
contiennent une analyse exhaustive de la doctrine du droit international en la matière.
Dans le mêmesens :Cass. (2' ch.), 26janvie1948,DeneffeccAdministrationdesFinances,
Pm., 1948,1,52.des lois et coutumes de la guerre », <une portéeconciliable avec leur sens usuel
en droit public international >>1.

Le dernier exemple est évidemment le plus significatif. Il concernait les
poursuites exercées après la fin de la Seconde Guerre mondiale contre des
personnes accuséesd'infractions à la loi pénalebelge commises en violation des
lois et coutumes de la guerre. Un premier moyen de cassation fut écartécar il

s'appuyait sur la contravention au Statut du Tribunal militaire international
auquel la Belgique n'avait pas étépartie. Mais un second moyen fut accueilli,
les dispositions du Traité de Londres étant applicables non en raison de leur
nature conventionnelle, le traité n'ayant pas reçu - et ne pouvant recevoir -

l'assentiment des Chambresmais <<envisagécomme élément d'appréciationde
l'état actueldu droit public international >2.
La Cour de cassation est allée très loin dans «l'application directe >>des
règles contenuesdans des traités ayant cependant une nature politique.

Évoquant l'engagement de s'abstenir de touteguerre d'agression contenue dans
le Pacte Briand-Kellogg du 27 avril 1928, le procureur général Hayoit de
Termicourt (alors premier avocat général) conclut :

<<C'est donc en violation d'une obligation certaine que l'Allemagne et ses

ressortissantsontmené contrela Belgiqueune guerre d'agression >>3.

Dans un arrêtlégèrementultérieur, la Cour affirme :

N Que les lois et coutumes de la guerre n'ont pas, en droit public international,

pour seul objet d'établir des règles et de tracer des limites applicables à la
conduite des opérationsmilitaires entre armées belligérantes ;que notamment
ellesétablissentdes règles ettracent des limitesapplicables àtoute autorité d'un
État belligérantdans ses rapports avec les ressortissants civils de l'Étatavec
lequelilesten guerre >>4.

$j2. Leconflit entreune loi belge etla disposition directement

applicable d'untraitéinternational régulièremene tntréen vigueur
en Belgique

27. La solution à donner au conflit traité-loiinterneest la pierre de touche du
choix entre les doctrines dualistes ou le monisme avec prépondérance du droit
interne, d'une part, et, d'autre part, le monisme avec prépondérance du droit

Cass. (2ch.)27,novembre 1950,KoppeltnanP n,s.,1951,1,180,.185.Lesconclusions du
procureurgénéra (àcetteépoquepremier avocatgénéra Hlayoit de Termicourt ont été
reproduitespp.181-184.

Conclusionsdu premieravocatgénéra Hlayoitde Termicourtprécédan Ctass.(2ech.), 27
novembre1950,Koppelmann P,as.,1951',80,p.184.Voir déjàdans le même sens :Cass.
(2ech.),1juill1949M, ltlle, as.,1949,506.
Cass.(2ech.), 4 juillet 1Muller,Pas.,1949'1 ,06,p.509.Les italiqueont étéajoutées
au texte.
Cass. (2ech.), 27 novemb1950, Koppelrnann,as.,1951'1,80,p.185.international. Pour les premiers, le juge national est tenu d'obéir à la loi interne,
mêmesi celle-ci a été priseen contradiction avec une obligation internationale
de l'État. Selon la seconde théorie, expressément enseignée par le procureur

général Velu (à cette époque premier avocat général), la doctrine faisant
prévaloir la norme directement applicable d'un traitéinternational sur une loi
nationale mêmepostérieure résulte « d'une visionmoniste du droit » 1.

28. Le ralliement de la Cour de cassation de Belgique à pareille « vision
moniste » n'a pas étéimmédiat. Sans doute, l'idée selon laquelle le droit
international public « prime le droit interne » avait déjàété avancée en 1916par

le Procureur généralTerlinden 2.Ellefut reprise par la Cour pour faire prévaloir
une disposition du traité de Versailles sur la loi du 25 mai 1854 3. Mais il
s'agissait d'un conflit entre une loi déjà ancienne et un traité récent. Dans
l'hypothèse inverse, celle de la loi postérieure au traité, la conception dualiste

l'a longtemps emporté, sous une importante réserve très tôt exprimée par la
Cour suprême des États-unis : le devoir du juge national est de donner à la
disposition législative une interprétation permettant de la concilier avec

l'obligation internationale de l'État.C'est ce que fit la Cour de cassation dans un
premier arrêt relatif à l'incompatibilité alléguéeentre la loi du 17 novembre
1921 sur les séaue1tres et les articles 297 et suivants du traité de Versailles 4.
Quelques mois plus tard, la Cour ne réussit pas à concilier les deux sources de

droit, la volonté du législateur de s'écarter des dispositions du traité de
Versailles ayant été expriméedans l'exposédes motifs du projet de loi 5.
Pareille phase intermédiaire dans l'évolution .dela jurisprudence belge se

caractérise par l'assimilation du traité régulièrement entré dans l'ordre
juridique interne à la loi. Selon le procureur général Terlinden les dispositions
d'un traité approuvé par les Chambres législatives «fait partie de notre
législationnationale » 6ou « par l'approbation des Chambres, le traité de nation

Jacques Velu, «Contrôle de constitutionnalité et contrôle de compatibilité avec les
traités»,discours prononcé à l'audience solennelle de rentréede la Cour de cassation, le

ler septembre 1992 ,oitrnadesTribtuznux 1,992pp. 729-741 ,p. 749-761 ,o 38,p. 758.La
profession de foi moniste n'est pas moins marquée dans les« considérations finales du
mêmediscours »(no42, p.761).
Conclusions précédant Cass. (Irech.), 20 mars1916,2 espèces,Pas.,1915-1916 1,,375p.
384, pp. 389-390 , .399. II s'agit d'un arrêt ayant rejeté le pourvoi dirigé contre une
décision qui avait appliqué un arrêtédu pouvoir occupant durant la Première Guerre
mondiale, pour le motif qui cet arrêtén'excédait pas les pouvoirs reconnus en cas
d'occupation militaire par la troisième Convention de la Haye concernant les lois et
coutumes de la guerre.

Cass. (Ire ch.), 27 m1927, DelplnnqtletCS c.Etat belgeP,as.1927, 1,240 :(le droit des
gens prime le droit privénational,p.241).
Cass. (Irech.)8janvier1925, CieOsrarnc.Prociire~grénér prèsInCotlrdilppelde Brz4xelles,
Pas.,1925,I,101.
Cass. (Ire ch.), 26 novembre 1925,SchiebleProczirezr énér halBnixellePas.,1926,I, 76.
L'exposé des motifs du gouvernement a été publiédans Doclimentsparlementaires,
Chambre des Représentants, session1919-1920 no,67,p. 264.
Conclusions précédant Cass.(lrech. )0mai 1916 ,m.,1915-16,I p.384.à nation est devenu une loi de l'État >>1. Le procureur général Hayoit de

Termicourt adopta une expression plus nuancée : pareil traité est un « acte
équipollent à la loi »2. Pareilles formules ne sauraient réussir à faire prévaloir
les dispositions d'un traité international sur une loi interneplus récente.

29. Aujourd'hui doctrinalement entérinéepar le procureur général Velu, la
« vision moniste du droit » 3 a été préparée par deux de ses prédécesseurs, à
l'occasion également des discours qu'ils ont prononcés à l'audience solennelle

de rentrée de la Cour de cassation, en 1963par le procureur général Hayoit de
Termicourt 4,et en 1968 et en 1969 par le procureur généralGanshof van der
Meersch 5.

Alors que les discours de rentrée des procureurs généraux constituent un
moyen terme entre une Œuvre de pure doctrine et l'exercice d'une fonction
judiciaire, les arrêts prononcés par la Cour et les conclusions de l'organe du
ministère public qu'elle entérine sont une expression incontestée du droit

positif. Ce résultat fut atteint dans l'arrêtdu 27 mai 1971 prononcé sur les
conclusions du procureur généralGanshof van der Meersch et conformément à
celles-ci 6.
On détachera de cet arrêtreproduit en annexe l'attendu suivant :

« Attendu que, lorsque le conflit existeentre une norme de droit interne et une
norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique
interne, la règle établie parletraitédoit prévaloir ;quela prééminence de celle-ci
résulte dela nature mêmedu droit internationalconventionnel » 7

5 3. Le conflit entre uneloi belge et une disposition de la coutume
internationale

30. Mêmesi la jurisprudence récentea été surtout attentive au conflit traité-loi
interne, il n'est pas moins conforme à la« vision moniste du droit » telle qu'elle
est mise en Œuvre par la Cour de cassation, de faire prévaloir sur la loi interne

Ibid.p.390.
Conclusions précédantCass. (2e ch.),27novembre 1950,KoppelmanP n,s.,1951'11,80,p.
182.

Sous cette expression raccourcie, il faut évidemment entendre le monisme avec
prépondérance du droit international.
R. Hayoit de Termicourt, (Le conflit 'Traité-Loiinterne>)mercuriale du 2 septembre
1963,Journaldes Tribunaux1,963p, p.481-486.
W.-J.Ganshof van der Meersch, « Réflexionssur le droit internatioet larévisionde la
Constitution D,mercuriale du 2 septembre 1968,Jor~rnnlesTribtl?ratlx, 68pp. 485-496;
« Le jugebelge à l'heuredu droit internationaet du droit communautaire »,mercuriale
du le' septembre 1969 ,ournaldesTribrinaux1,969, p.537-551.

Cass. (lTch.), 27 mai1971,Etat belgc.SA FrornageriFerflnco-SiliLeSki »,Pas.1971,1,
886 ;JournaldesTribl~naux 1,971,460.
lottrnal desTribunaux, 197pp.473-474.les dispositions directement applicables dans l'ordre interne de la coutume

internationale '.
Les règles traditionnelles gouvernant les immunités des diplomates, des
chefs d'État étrangers et des personnes qui leur sont assimilées évincent,de par

leur nature même, les dispositions de droit interne qui gouvernent la
compétence des tribunaux en matière civile et, à plus forte raison, en matière
pénale. Pareilles immunités ont pour principal sinon pour seul effet de faire
exception aux règles usuelles de compétence et de procédure. Alors que le

législateur a expressément prévu les immunités de droit interne, notamment
celles du Roi 2,des ministres 3,des parlementaires 4, le privilège de juridiction
de la plupart des magistrats5 et les règles de compétence propres aux
militaires h, elle ne contient rien sur celles qui sont prévues par le « droit des

gens), : non seulement parce que, comme l'a écrit Portalis, «Ce qui regarde les
ambassadeurs appartient au droit des gens. Nous n'avions pas à nous en
occuper dans une loi qui n'est que de régimeintérieur» 7,mais toute disposition

de droit interne en la matière, superflue et par conséquent nocive, serait
soumise à la vérification de sa conformité à la coutume internationale, ainsi
qu'on le verra plus loin àpropos de la loi du 16juin 1993.

l En ce sens, voy.J.Verhoeven, Droit internationapublic,Précisde la Facultéde droit de
l'universitécatholique de Louvain, Larcier, 2000,p. 455.
Constitution, article : «Lapersonn euRoiestinviolable..D.Ce principe de l'inviolabilité
royale a été appliquépar l'arrêtdu 25 janvier 1906relatif à la succession de la Reine
Marie-Henriette, qui ordonne la suppression des exploits d'huissier adressés au Roi

personnellement (Pas.,1906,1, p. 111).
"onstitution, article 103.
Constitution, article 59.
Article 479du Coded'instruction criminelle.
Loi du 15 juin 1899 contenant le Titre le' du Code de procédure pénale militaire,
notamment art. le'et 21.

Discours de M. Portalis, orateur du gouvernement, prononcé dans la séancedu corps
législatif du 23 primaire anX (14 décembre 1801), no 25 (indiqué comme 52 par suite
d'une erreur d'impression), reproduit dans Législationcivile,commercialet criminellolc
cornrnentairet co~npléme nut codfrançais,par M. le baron Locré (Bruxelles, Librairie de
jurisprudence de H. Tarlier, 1836)1,p. 261. ChapitreIII.
DÉTERMINATIONDE LA PORTÉEDE LA LOIDU 16JUIN 1993
ET VÉRIFICATION DESA CONFORMITÉ
AU DROIT INTERNATIONAL

1. Larépressioninternede crimesde droitinternational

31. La loi du 16juin 1993relative à la répression des violations graves de droit
international humanitaire1 énumère une longue série d'infractions que le

législateur belge qualifie de«crime dedroit international ».L'articlele'contient
cette énumération, tandis que l'article 2 fixe les peines qui y sont applicables.
On n'insistera pas sur la méprisecommise par le législateur interne en érigeant
lui-même certaines infractions en <crime de droit international ». Tel l'article

ler, paragraphe le: à propos du crime de génocide (a Constitue un crime de
droit international et est réprimé conformémentaux dispositions de la présente
loi...n).

La même terminologie est reprise dans le paragraphe 2 du mêmearticle
ayant pour objet « le crime contre l'humanité » et dans le paragraphe 3 relatif
aux infractions graves de droit international humanitaire. La qualification de
« crime de droit international »,relèvedu droit international, elle ne saurait être
« constituée » par un législateur interne qui doit se borner à prévoir les peines

qui doivent y être appliquéesparles cours et tribunaux.

5 2. Lesrègles decompétenceinternationale applicables

àpareille répression

32. L'administration de la justice pénale est, en principe, territoriale. Pareil
qualificatif a deux acceptions. Selon la première, de nature formelle, les

juridictions pénales siègent, sauf exceptions qu'il n'y a pas lieu de considérer
ici, sur le territoire de l'État qui a instituées. Selon l'acception matérielle,le
pouvoir de punir de l'État a pour principal objet les faits punissables qui se
localisent sur son territoire. Rien n'empêche cependant l'État d'étendre la
compétence pénale de ses tribunaux à des faits commis en dehors de son

territoire. Pareille extension de la compétenceétatique n'excède pas les limites
que le droit international impose à l'Étatà condition qu'il n'enfreigne pas une
règle prohibitive de ce droit2.
Le principe de territorialité (au sens matériel) a traditionnellement été

complétédu principe de personnalité qui comprend lui-même deux faces, soit

Cette loi a été modifiéear la loi d10février1999 qui en a modifié l'intituléet a
introduitun paragraphe sous l'article5.
Cour permanentede Justiceinternationale,Affair(<Lotus))Francec.Tiirqrt,rrêdtu
7 novembre 1927, CPII,SérieA, no 10. Voir notamme:F. Rigaux, Droit pirblicet droit
privédans lesrelations internatsaris,Pedone,1977),pp. 136-138.la nationalité de l'accusé,soit la nationalité de la victime. De plus les crimes et

délits qui intéressent directement la« souveraineté D de l'État, atteintes à la
sûreté de l'État, trahison, fausse monnaie, font l'objet d'une forme de
compétence «universelle», indépendante du double critère de territorialité et de
nationalité mais restreinte par le lien entre l'infraction et un intsupérieur de
l'État.

33. La loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de
procédure pénale met en Œuvre les principes qui viennent d'être rappelés. Le
chapitre II de cette loi est intituléDe l'exercice de l'action publique à raison
des crimes ou des délits commis hors du territoire du Royaume 9.Les articles6

et 10 énumèrent les crimes rattachés à l'État belge par un lien exclusif des
critères traditionnels de territorialité et de personnalité. L'article 7 soumetla
condition de la double incrimination la répression d'une infraction commise par
un Belge à l'étranger. L'article 10, Solétend la compétence pénale aux crimes
commis contre un ressortissant belge (principe de personnalité passive). Dans
tous les cas et sauf exception, les poursuites ne peuvent avoir lieu que si

l'inculpéest trouvé en Belgique (art. 12).

34. Les règles de compétence contenues dans la loi du 16juin 1993dérogent à
toutes les règles de droit commun de la loi du 17 avril 1878. La compétence
pénale que la Belgique s'est arrogée peut être qualifiée d'«universelle»
puisqu'elle est totalement détachée du critère de territorialité (article 7, alinéa

1") et exclut, parfois explicitement (art7, al. 2), 1e.plus souvent implicitement
les autres critères de rattachement traditionnels (personnalitéactive ou passive)
mais aussi les conditions d'application qui tempèrent l'exercice d'une

compétence non territoriale, telle la condition que l'inculpé ait ététrouvé en
Belgique (art. 12 de la loi de 1878) ou l'avis officiel donné par une autorité
étrangère (art. 10,3°, al. 2 de la mêmeloi). Le législateur a donc voulu conférer
un statut totalement autonome aux règles de compétence universelledes lois de
1993et de 1999.

35. La circonstance que certaines victimes des crimes faisant l'objet de
l'accusation auraient la nationalité belge ne saurait être priseen considération.
On ne peut combiner les règles de droit commun de la loi de 1878et le régime
d'exception de la loi de 1993modifiée par la loi de 1999.En effet, la nationalité
de la victime ne suffitpasà elle seuleà asseoir la compétenceinternationale des

tribunaux belges. Il faut encore que l'inculpéait été trouvéen Belgique (loi du
17 avril 1878,art.0,5°, et 12,al. 1").

53. L'interprétation de l'article5 de la loi du 16juin 1993

modifiéeparla loi du 10 février199936. La disposition de la loi du 16 juin 1993 la plus pertinente pour
l'application de cette loi au ministre des Affaires étrangèresd'un État étranger

est l'article 5, paragraphe 3, rédigédans les termes suivants :

«§ 3 - L'immunité attachée à laqualitéofficielled'une personnen'empêche pas
l'applicationde laprésente loiB.

Une lecture rapide de ce paragraphe - c'est la lecture que semble faire en
l'espèce le Gouvernement belge - signifierait que le législateur a entendu

évincer les immunités du droit international.
Pour répondre à cette question, il y a lieu de distinguer deux problèmes: le
législateur pouvait-il le faire? A-t-il voulu le faire?

A la première question une réponse a déjà étédonnée : les règles
37.
coutumières de droit international sur la protection des immunités sont
supérieures au droit interne des États et selon la pratique belge largement
attestée par la Cour de cassation, il est du devoir des tribunaux de les faire
prévaloir sur les commandements du législateurnational.

38. La seconde question n'est néanmoins pas dénuée de pertinence. La
disposition de l'article 5, paragraphe 3, est de nature à recevoir au moins deux
interprétations. Elles se séparent l'une de l'autre par la détermination du

moment auquel « la qualité officielle»doit êtrevérifiée. Est-ce au moment où le
crime allégué aurait étécommis, est-ce au moment où les poursuites sont
exercées ?
Compte tenu de la nature pénale de la disposition et du rapprochement
avec l'article 5, paragraphe 2,' qui ne peut viser que des faits concomitants à la

perpétration du crime, la première interprétation de la loi paraît la plus
raisonnable. Le droit pénal se préoccupe de l'imputabilité d'un fait punissable.
Celle-ci doit être déterminéeau moment où le fait alléguéaurait étécommis. La
«qualité officielle »ultérieurement acquise par l'accuséest sans pertinence sur

l'application de la loi pénale. Elle concerne un problème différent, celui de la
compétence d'attribution de l'autorité judiciaire, qui se pose au moment où
l'acte de poursuite est accompli.
Selon l'interprétation qu'on lui donne, l'article 5, paragraphe 3, peut dès
lors, êtreparfaitement compatible avec le maintien des règles coutumières sur

les immunités auxquelles le législateur n'a pas voulu déroger, auxquelles il
savait ne pouvoir déroger.

1 <<Art5.,§2: Le fait que l'accuséa agi sur l'ordre de son gouvernement ou d'un supérieur
hiérarchique ne dégage pas sa responsabilité si, dans les circonstancestes, l'ordre
pouvait manifestement entraîner la perpétration d'un crime de génocide ou d'un crime
contre l'humanité, tels que définis par la présente loi, d'une infraction grave aux
Conventions de Genève du 12août 1949età leur premier Protocole additionnel du 8juin
1977.))39. La lecture des travaux préparatoires de la loi du 10 février 1999 ne révèle
pas avec certitude à laquelle de ces deux interprétations le législateur s'est
rallié.La loi précitéea pour origine une initiative parlementaire, la Proposition

de loi relative à la répression du crime de génocide, en application de la
Convention internationale pour la prévention et la répression du crime dé
génocide du 9 décembre 1948'. Elle ne devaitpas, comme telle, êtresoumise à
l'avis de la section de législationdu Conseil d'Etatmais le président de chacune

des deux assemblées législatives aurait pu solliciter un tel avis aux conditions
de l'article 2 des lois coordonnées sur le Conseil d'État (ce qui ne fut pas fait).
Aux termes des développements de la proposition de loi, l'une des
inspirations de celle-ci aurait été une méfiance à l'égard de la justice

internationale (ensuite récusée par le Gouvernement durant les travaux
préparatoires) et la crainte que la Belgique n'apparaisse « aux yeux des
génocidaires rwandais comme un lieu de refuge privilégié » 2. Pareille
considération exclut l'idée qu'une personne bénéficiant encore d'une qualité

officielle vienne chercher refuge en Belgique.
La proposition initiale fut modifiée à la suite d'amendements déposés par
le Gouvernement et selon le rapport fait au nom de la commission de la
justice 4,«le ministre déclare que cette disposition (l'article 5, paragraphe 3,

nouveau) n'est pas motivéepar les frictions liées àla demande d'extradition du
généralchilien et sénateur à vie Pinochet, introduite par l'Espagne. Il s'agit
uniquement de la transposition d'une règlede droit humanitaire international,
récemment confirmée par l'article 27 du statut de la Cour pénale

internationale B.
Quelle que soit la portéede L'article27précitien ce qui concerne l'étatdu
droit international humanitaire général (cfr. infra,§70),on notera une différence
rédactionnelle considérable entre cet article et la disposition de la loi belge.

L'article 27 du statut de Rome est diviséen deux alinéas, le premier visant la
qualité officielle qui n'exonère pas de la responsabilité, le second qui lève
explicitement «les immunités ou règles de procédure spéciale qui peuvent
s'attacher àla qualitéofficielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du

droit international ».
Le législateur belge n'a pas expressément précisés'il entendait écarter les
immunités prévues par le droit international.

40. S'ildevait même existerun doute sur l'interprétation à donner à l'article 5,

paragraphe 3, de la loi précitée, ilfaudrait, selon une méthode d'interprétation

Sénat de Belgique, session de 1997-1998, Doc. 1-749/1 du 16 octobre 1997. Voir
notamment :Pierre d'Argent,«La loi du 10 février 1999 relatiàela répression des
violations graves du droit international humanitP,lolirnndesTribrtnalix, 19pp.
549-555.

Sénatde Belgique, session de97-1998,Doc. 1-749/1, développementp.2.
Sénatde Belgique,session de 1998-1999,Doc.1-749/2.
Sénatde Belgique,session de 1998-1999,Doc. 1-749/3.éprouvée, retenir celle des deux interprétations qui est compatible avec le
respect des obligationsinternationales de l'État.

Il s'agit d'une règle d'interprétation déjà appliquée il y a presque deux
sièclespar la Cour suprêmedes États-unis :

«anactofCongress oughtneverfobeconsfruedtoviolafethe lawofnationsifanyother

possiblconstrtlctionremains» '.

Il s'agit d'une méthode d'interprétation à laquelle la Cour de cassation de
Belgique s'est, elleaussi, ralliée (supra,528).

41. Le moment à prendre en considération pour déterminer la qualité prévue
par les règles de compétencepénale ne coïncide pas dans l'ordre interne et dans
l'ordre international. Le droit pénal vérifie les conditions d'imputation du fait
punissable au moment où le fait allégué est commis. Le droit international

protège par une immunité spéciale les détenteurs d'une qualité qu'il estime
digne de sauvegarde. La détermination de cette qualité doit êtreopérée au
moment où l'acte de poursuite, qui est toujours un acte de contrainte, est
accompli. Citer devant le tribunal, décerner un mandat d'arrêt sont des actes

coercitifs dont l'État doit s'abstenir par égard à la qualité de l'étranger revêtu
d'une immunité.

42. Les parallèles tracés avec l'exercice de la justice pénale internationale

contre les personnes accuséesd'un crime de droit international sont trompeurs
pour plusieurs motifs.
Le premier de ces motifs est que l'État ne peut prétendre s'arroger à
l'égard d'un chef d'État étranger ou d'une personne qui y est assimilée une

compétence juridictionnelle s'inspirant de celle qui est prévue ou autorisée par
une sourcede droit international.
Le second motif se laisse dégager de la pratique postérieure à la Seconde
Guerre mondiale. Les responsables du Troisième Reich qui, à l'exception du

dictateur lui-même, ont comparu devant le Tribunal militaire international de
Nuremberg avaient à ce moment perdu toute qualité officielle. Le Tribunal a pu
décider que cette qualité ou les ordres d'un supérieur ne suffisaient pas à
exonérer l'accuséde sa responsabilité pénale. Il n'aurait pu se prononcer sur
l'immunité prétendue d'une qualité officielle qui avait été perdue. Si l'on

remonte plus haut dans le temps, on trouve l'article 227 du traité de Versailles
par lequel « les Puissances alliéeset associéesmettent en accusation publique
Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d'Allemagne.. .».L'idéede mettre
en accusation le souverain régnant d'un État étranger n'a jamais étéavancéepar

personne 2.Le cas du président Milosevic est l'exception qui confirme la règle
- - - - --

The Chnrtning Betsy, 2 Cranch 64, 117-118 , L Ed 208 (1804),selon le Chief Justice
Marshall.
Le Gouvernement néerlandais a refusé d'extrader l'ex-empereur, pour le motif qu'il
n'avait pas été partieau traité de Versailles, mais pareille extradition ne fut jamaispuisque l'acte de poursuite exercé par le procureur du Tribunal pénal

international sur l'ex-Yougoslavie apour fondement une décisiondu Conseil de
Sécuritédes Nations Unies.
Le troisième motif de mise en garde avec les parallèles empruntés à la

pratique internationale peut être trouvé dans les conditions très limitatives
auxquelles le Statut de Rome de la Cour pénale internationale permanente
subordonne l'exercice de l'action publique. Il est incontestable que l'article 27,
paragraphe 2, du Statut lève toutes les immunités traditionnelles «en vertu du

droit interne ou du droit international ».Mais la compétence de la Cour est
limitéeaux personnes ayant la nationalité d'un État partie au Statut ou aux faits
commis sur le territoire d'un tel État. Bien loin de soutenir l'idée d'une
compétence «universelle», assortie de la dérogation aux immunités du droit

international, le Statut de Rome maintient le principe selon lequel chaque État
est maître de ses compétences répressives exercées selon les critères
traditionnels de territorialité etde personnalité.

43. Le juge d'instruction qui a décernéle mandat litigieux semble avoir été
conscient des obstacles que le respect du droit international opposait à
l'exécution de sa décision. Il subordonne, en effet, l'exécution du mandat à un
«principe généralde loyauté » qui interdirait aux autorités belges d'adopter

une mesure coercitive à l'encontre du ministre des Affaires étrangères d'un
pays étranger se présentant en cette qualité sur le territoire belge'. Pareil
mandat contient une contradiction dans les termes puisqu'il est avoué

inexécutoire dans le pays auquel appartient l'autorité judiciaire qui l'a émis.
Non moins étonnante apparaît l'affirmation faite à l'audience publique du 21
novembre 2000 et selon laquelle si le mandat devait recevoir exécution dans un
État tiers, ce serait cet État, et non la Belgique qui aurait porté atteinte à

l'immunité de l'intéressé. Comme si dans la chaîne causale, l'acte initial
générateur de la responsabilité internationale n'émanait pas d'une juridiction
belge (sur ces arguments, voy. infr 93,54et 55).

formellement requise par les puissances alliées. Voir notamme:M. Cherif Bassiouni,
(From VersaillestoRwanda in Seventy-FiveYears :The Need toEstablisha Permanent
International Criminal CourD,10HamardHutnan RightsJot~rnal(1997)1~1-62/18;James F.

WillisProloguetu Nuremberg. ThePoliticsand Diplomacyof Plinishing War Crirninalsof the
First World War (Greenwood Press,Wesport,COM.London, 1982)'pp. 99-112; Quincy
Wright, «The LegalLiability ofthe Kaiser »,13 The Ainerican Political ScienceReuieru
(1919),120-128.Voiraussi,F.Rigaux, « La répressiondes crimes de droit internatioàal
Nuremberg et àTokyo »,Bulletin de laClassedesLettresdel'AcadémieroyaledeBelgiqilc:6e
série,. IX,7-12(1998)pp.501-539.
Mandat d'arrêt ,.23, cité par le professeur EriDavid, compte-rendu de l'audience
publique du 21novembre 2000. ChapitreIV.
LEDEVOIRDU JUGED'INSTRUCTION SAISIPARL'EFFET
D'UNECONSTITUTIONDE PARTIE CIVILE
DE VÉRIFIERSON TITRE DECOMPÉTENCE

44. Les articles 63 à 70 du Code d'instruction criminelle permettent au
plaignant qui se constitue partie civile devant le juge d'instruction de

déclencher l'action publique. Cela ne signifiepas que le juge ainsi saisi a perdu
le pouvoir de vérifiersa compétence.L'article 69 du Code prévoit que si le juge
ayant reçu la constitution de partie civile n'est pas compétentratione lociil doit
transmettre la plainte au juge d'instruction qui pourrait en connaître. Le Code
ne contient aucune disposition sur les nombreuses hypothèses dans lesquelles

le juge ne peut instruire la plaintei,à plus forte raison, décerner un mandat à
charge de l'accusé. Le droit interne belge contient au moins cinq règles de
compétence, les unes qui prévoient une immunité, les autres qui soustraient
toute compétenceau juge d'instruction (supra, 530).Les cas les plus simples sont
ceux du militaire ou du magistrat pouvant se prévaloir d'un privilège de

juridiction. Le juge d'instruction saisi d'une plainte avec constitution de partie
civile ne peut poursuivre ses investigations en violation d'une compétence
attribuée à une autre autorité judiciaire.

<La constitution de partie civile entre les mains du juge d'instruction dirigée
contre un militaire seul, contre une personne jouissant d'un privilège de

juridictionou d'uneimmunitédiplomatiquen'estpas recevable » 1.

Face à l'immunité de juridiction de la personne contre laquelle la plainte
avait étédirigée, lejuge d'instruction avait, dès lors, le devoir de s'abstenir de
tout acte d'instruction.

Henry-D. Boslyet DamienVandenneersch ,roitdeInprocédleénnle(LaCharte, 1999p.
357. TroisièmePartie :
LESRÈGLES DEDROIT INTERNATIONAL

APPLICABLES AU DIFFÉRENDENTRELESPARTIES:
L'atteinte portéeà l'inviolabilitéet l'immunitépénaleabsolues du
ministre desAflaires étrangères
et violation des droitssouverains de la R.D.C.

Chapitre Ier.
M. ABDOULAYE YERODIA EST MINISTRE DESAFFAIRES
ÉTRANGÈRES DE LAR.D.C.AU MOMENTDE LADÉLIVRANCEET
DE LADIFFUSIONINTERNATIONALE DU MANDAT D'ARRÊT DU

11AVRIL 2000

45. Il n'est pas contesté que Monsieur Abdoulaye Yerodia a exercéde manière
ininterrompue les fonctions de ministre des Affaires étrangères de la
République démocratique du Congo depuis le 15 mars 1999, date du décret loi
no 208 portant nomination desmembres du Gouvernement de salut public,
jusqu'au 20 novembre 2000, date du remaniement ministériel déjàionné et
de sa désignationàla charge de ministre de l'éducation nationale. Il n'est pas

plus contesté que Monsieur Abdoulaye Yerodia a exercé de manière
ininterrompue cette dernière fonction ministérielle jusqu'au 152001. Le
mandat d'arrêtdu 11 avril 2000 fut donc délivréet diffàsun moment où
Monsieur Abdoulaye Yerodia était le ministre des Affaires étrangères de la
R.D.C..
Durant la période où ilersait ses fonctions de ministre des Affaires de la
R.D.C. et jusqu'à ce que le mandat d'arrêt fut rendu public, Monsieur

Abdoulaye Yerodia rencontra plusieurs fois son homologue belge. Ce dernier
ne cessa pas de considérer que Monsieur Abdoulaye Yerodia étaiteffectivement
le ministre des Affaires étrangèresde la R.D.C. jusqu'au 20 novembre 2000,date
à laquelle il devint ministre l'éducation nationale, même s'il refusa de le
rencontrer après la divulgation du mandat d'arrêtlitigieuxg52). Chapitre II.
LEDROIT INTERNATIONAL COUTUMIERACCORDE UNE
INVIOLABILITÉ ET UNE IMMUNITÉ PÉNALE ABSOLUES AUX
MINISTRESDES AFFAIRESÉTRANGÈRES EN FONCTIONETASSIMILE,
DE CEPOINT DE VUE, LEURSTATUT À CELUIDES CHEFSD'ÉTATEN

EXERCICE

46. La doctrine s'accorde à bon droit pour reconnaître que les ministres des
Affaires étrangères en fonction bénéficient, en vertu du droit international
coutumier et devant les fors étrangers, de la mêmeinviolabilité et la même

immunité pénaleabsolues que celles dont jouissent les chefs d'États (souverains
ou présidents) en exercice 1.Cette doctrine reflète une pratique internationale
constante et séculaire, ainsi que la Cour ne l'ignore pas. Par exemple, dans un
afidavit transmis à la District Court for the Northern District of Ohio, Eastern
Division, saisied'une actiondirigée contre le Prince de Galles, l'Assistant United

StatesAttorney exprima l'opinion suivant laquelle:

«Under customary rules of international law, recognized and applied in the
United States, the head of a foreign governrnent, itsforeignministerand other
diplomatic representatives, including senior officials on specific diplomatic
missions,are immune from the jurisdiction ofUnited States,Federal and States
courts.»2.

Il ressort de cette doctrine et de cette pratique que la condition

internationale du ministre des Affaires étrangèresest assimilée,du point de vue
de l'immunité et de l'inviolabilité,à celle du chef d'État étranger. Ce principe
d'assimilation n'estguère contestable, et ne semble d'ailleurs pas contestéparla
Belgique, dès lors que, du fait mêmede ses fonctions, le ministre des Affaires
étrangèresest appelé à voyager et àreprésenter l'État àl'étrangerau mêmetitre

que le chef d'État. Pour justifier ce principe élémentaire,Sir A. Watts écrit:

«A head of governrnent or a foreign minister who, while on an officia1visit to
another State was subjectto legal proceedings inthat Statewould be likelyto
find his ability to carry outs functionsseriouslyimpaired. Evmtheriskthat by
visiting another State he might be opening the wayfor the institution of legal

l Ph. Cahier,Ledroitdiplomatique contemporP aib,licationde l'Institutuniversitairedes
Hautesétudesinternationales,2e édition,Droz, Genève1 ,964,pp. 359-360;.Salmon,
Manilelde droitdiplomatique,ruylantBruxelles, 1994, no6pp.539-540 B.S.Murty,The
internationlazoof Diplomncy M, artinusNijhofDordrecht/Boston/London, 1989,pp.
334-335S;iA. Watts,«Thelegalpositionin internationlawofHeads ofStates,Headsof
Govemments andForeign MinistersnR, ecuelescoursdel'Académ deedroitintenzatiot.l,
247, 1994,III,pp. 106-108;1. Brownlie,«Contemporaryproblems concerning the
jurisdictionalimmunity ofStates»,rapportàl'Institde DroitInternationalSessiondu
Caire,Ann.I.D.I.,vol.62-1,198p,p13et S(spécialementp 2.).

Nous soulignonss;uiventdesréférenco emisesiciKilroyv.Windsoro,pinion suiviepalra
DistrictColidans sonjugementdu 7 décembre 1978,I.L.Rvol81,pp.605-607. proceedingsagainsthimcoulddeterhimfrommakingthevisitat all,totheprejudiceof
hiscondtlctoftheinternationalaffnirsofhisState»'.

L'inviolabilitéet l'immunitésont en effet fonctionnelles, en ce sens qu'elles
47.
sont accordéesautomatiquement par le droit international général àla personne
qui en bénéficieen conséquence des fonctions officielles que celle-ci exerce et
afin de permettre leur bon accomplissement par leur protection contre toute
ingérence étrangère non autorisée par l'État que cette personne représente. Il

importe en conséquence peu que les paroles reprochées au ministre Yerodia ont
été prononcéesalors qu'il était Directeur de Cabinet de la Présidence, soit avant
son entrée en fonction comme ministre des Affaires étrangères de la R.D.C.. Il
importe peu, pour la mêmeraison, que les faits incriminés aient été commispar
le ministre Yerodia àtitre privéou à titre officiel.

48. Certaines règles de droit conventionnel témoignent de ce principe de
l'assimilation du statut du ministre des Affaires étrangères à celui du chef
d'État. Ainsi, le ministre dispose de la mêmeprésomption de plénitude de
compétence pour engager l'Étatpar voie de traitéque le chef de l'État, sans qu'il

ait à produire une lettre de pleins pouvoirs pour ce faire 2. Par ailleurs,
rappelant à la fois l'existence des immunités coutumières et le principe de
l'assimilation souligné ci-avant, la Convention du 8 décembre 1969 sur les
missions spéciales dispose en son article 21/52 que:

«Le chef de gouvernement, le ministre des affaires étrangèreset les autres
personnalités de rangélevéq ,uand ils prennent part à une mission spécialede
l'Étatd'envoi,jouissent, dans l'Étatde réceptionou dans un État tiers,enplus de
cequi est accordépar laprésenteConvention,desfacilitésp ,rivilègestimmunités
reconnuspar ledroitinternational)3.

49. En vertu du principe de l'assimilation de la condition internationale du

ministre des Affaires étrangères en fonction à celle du chef d'État étranger en
exercice quant au point de leur inviolabilité et deleur immunité pénale,le juge
d'instruction Vandermeersch aurait dû reconnaître au ministre Yerodia une
inviolabilité et une immunité pénale absolues, et en conséquence refuser de
délivrer et de diffuser internationalement le mandat d'arrêt litigieux (supra,

$44). On s'étonned'autant plus qu'il ne l'apas fait que, dans l'ordonnance du 6
novembre 1998 qu'il a rendue à l'encontre de l'ancien chef d'État chilien, A.
Pinochet, le juge d'instruction Vandermeersch, citant le Professeur Salmon, a

Sir A. Watts, «The legal position in international laof Heads of States, Heads of
Governments and ForeignMinistersb,Recueildescolirsdel'Académeedroitinternationa.,
247,1994, IIIp. 106-108.Nous soulignons.
Voy. l'article 7, €jde la Conventionde Vienne sur le droit des traitésdu 23 1969,
ratifiépar laBelgique - loi d'assentiment d10 juin1992,Monitezrrbelge,5 décembre
1993.

Vous soulignons.considéréà bon droit qu'«un chef d'État étranger en fonction bénéficied'une
immunité dejuridiction et d'exécutionabsolue» 1.

Chapitre III.
LA PORTÉEDE L'INVIOLABILITÉETDE L'IMMUNITÉPÉNALE
ABSOLUES DU MINISTRE DES AFFAIRESÉTRANGÈRES ETLEUR
VIOLATION PAR L'ÉMISSIONETLADIFFUSION INTERNATIONALE

DU MANDAT D'ARRÊT DU 11 AVRIL 2000

5 1. Portéede l'inviolabilitéet de l'immunitépénales absolues

50. L'inviolabilitédu ministre des Affaires étrangères en exercice interdit à
toute autorité publique étrangère de l'arrêter,ou de porter atteinte à sa
personne, ou, par quelque mesure de contrainte que ce soit, de limiter sa liberté
de déplacement dans le territoire de l'État étranger dont l'accès lui a été
autorisé. L'immunité wénaleabsolue dont est titulaire le ministre des Affaires

étrangères empêchequ'une action publique soit dirigée contre lui ou qu'une
instruction pénale soit ouverte à son encontre à l'étranger, ou qu'il soit
poursuivi ou jugé par une juridiction répressive étrangère, ou encore extradé
vers un autre tribunal répressifnational.

fj2. Violation de l'inviolabilité et de l'immunitépénales absolues

51. Il importe de souligner une fois encoreque la simple émission du mandat
d'arrêtdu 11 avril 2000 constitue, alors mêmequ'il n'a pas étéexécuté,un acte

de contrainte dirigé contre la personne du ministre Yerodia incompatible avec
l'inviolabilitéet l'immunitépénale absolues dont il est, en tant que ministre des
Affaires étrangèresde la R.D.C.,titulaire. Le mandat d'arrêt, en ce qu'il ordonne
à tout agent de la force publique de prêter son assistance à l'exécution du

prescrit qu'il contient, suffit par lui-même à réaliser cette violation du droit
international coutumier, les agents en question n'ayant pas la libertéde refuser
d'ydonner suite. La délivrance du mandat d'arrêt n'aen effet de sensque dans
la perspective de l'arrestation de la personne qui y est mentionnée, et il ne faut
point attendre que celle-ci soit réalisée pour considérer que l'atteinte à

l'immunité pénale du dignitaire étranger a lieu. Celle-ci est parfaitement
réaliséepar l'actede contrainteque constitueintrinsèquement le mandat d'arrêt,
lequel manifeste la volonté d'obtenir l'arrestation physique de la personne visée
dans le mandat 2.

1 IoltrtzndesTribltnaux,1999, p. 308 et note crit-qumais pas sur ce poin- de J.
Verhoeven,(<MP.inochet,lacoutume internationaleet la compétenceuniverselle)).
Voy. les précisions apportées qutux effets du mandat d'artar défaut, selonqu'il
est signifié avantla fin de l'instructionou H.Bosly et D. Vandermeerscop.cit.,
pp. 515-516.5 3. Préjudicescausésà la R.D.C.

A. Position de laR.D.C.

52. La diffusion internationale du mandat d'arrêtdu 11 avril 2000 procède de
la violation des mêmes règles coutumières, en plus d'aggraver le préjudice
moral subi par la R.D.C. suite à l'opprobre public et international qui est ainsi
jetésur l'un des membres les plus éminents de son gouvernement. La diffusion

internationale du mandat d'arrêta porté fondamentalement atteinte aux droits
souverains du Congo en ce qu'elle a limité considérablement le libre et plein
exercice, par le ministre Yerodia, des fonctions de négociation et de
représentation internationales dont il s'était vu confier la charge par feu le
président Laurent Désiré Kabila. La simple crainte de l'exécution du mandat

d'arrêtest en effet de nature à limiter les déplacements à l'étrangerdu ministre
mis en cause, portant ainsi préjudice à la bonne conduite des relations
internationales de son État que les principes d'inviolabilité et d'immunité ont
pour finalitéde sauvegarder.
Le préjudice ainsi causé à la R.D.C. est d'autant plus grave et manifeste

que la situation de guerre internationale au Congo-Kinshasa, et l'occupation du
territoire de la R.D.C. par des armées étrangères venant en aide à des rebelles,
n'était pas inconnue des autorités belges. Cette situation nécessitait en effet,
plus encore sans doute qu'en temps normal, que le ministre des Affaires

étrangères de la R.D.C. puisse jouir de l'entière liberté de mouvement qui est la
sienne, et que ses partenaires étrangers ne soientpas découragés ou inhibés,par
l'existence et la diffusion du mandat d'arrêt international, de le considérer
comme un interlocuteur légitime 1.Dès la divulgation publique de ce mandat
d'arrêt,il est significatif que c'est l'actuel ministre des Affaires étrangères de la
R.D.C., Monsieur Léonard She Okitundu, alors ministre en charge des droits

humains, qui fut chargé des relations avec Bruxelles, et que le ministre des
Affaires étrangères belge refusa, à partir de ce moment, de rencontrer son
homologue congolais. Ce fait ne saurait toutefois êtreinterprété comme la
preuve que le Congo n'aurait subi aucun préjudice dans la conduite de ses

affaires étrangères ou dans son honneur du fait de la délivrance du mandat
d'arrêt. On ne peut ainsi écarter les difficultés suscitées par l'existence du

1 11est certain que la délivrance du mandat d'arrêt litigieux a pu servir d'argument aux
opposants du régime du Président Kabila pour faire pressionsur différents
gouvernements étrangers afin qu'ils ne reçoivent plus le ministre Yerodia, en invoquant
la manière d'opprobrequi s'attachenaturellement à un mandat d'arrêt. Il n'est mêmepas
certain que l'existence de telles pressions des opposants au gouvernement légitimede la
R.D.C. aient éténécessairespour que des gouvernements étrangerscessent de traiter avec
le ministre des Affaires étrangères Yerodia. Dans certains pays, la simple pression de
l'opinion publique a pu suffire. En Belgique notamment, il fut vivement reproché au
ministre des Affaires étrangèresLouis Michel d'avoir rencontré le ministre Yerodia après
le11 avril 2000, mais avant la divulgation pubdu mandat d'arrêt, dès lors qu'une
partie de l'opinion publique considéra qu'il n'étaitpas possible que le ministre fut resté
dans l'ignorance de l'existencedu mandat d'arrêt.mandat d'arrêtet les violations des droits souverains du Congo qu'il emporte
en soutenant quelque peu naïvement, comme le conseil de la Belgique le fit lors
des plaidoiries du 21 novembre 2000,qu'<cie lst dès lors correct de dire que rien
n'empêche le Congo de poursuivre sa politique extérieure avec un autre
représentant de son choix»1:une telle affirmation non seulement nie l'atteinte à
la dignité du Congo qui découle de la mise en accusationpublique d'unde ses

plus éminents représentants, mais minimise encoreabusivement l'incontestable
atteinte portée au libre exercice des fonctions ministérielles et au choix
souverain par le Congo de son représentant. Il n'appartient en toute hypothèse
pas à la Belgique de considérer que la politique étrangèrede la R.D.C. est mieux
servie par telle ou telle personne, pas plus que de juger de la nécessitéou de

l'opportunité de tel ou tel déplacement du ministre des Affaires étrangères
congolais.
S'il est vrai que le ministre Yerodia continua, même après la diffusion
internationale du mandat d'arrêtlitigieux, d'effectuer certains déplacements à
l'étranger, il faut souligner que ceux-ci furent en nombre réduit par rapport à
ceux qu'il aurait autrement pu entreprendre et qu'ils ne furent pas entamés sans

avoir préalablement obtenu certaines assurances de la part des autorités des
États invitants quant à la non-exécution du mandat litigieux, ce qui, la Cour
l'imagine sans peine, n'est pas sans susciter certainsembarras peu conformes au
commerce qu'entretiennent normalement des États souverains. En outre,
l'existence du mandat d'arrêt litigieux obligea le ministre Yerodiaà emprunter

des voies parfois moins directes pour voyager, ce qui emporta des débours
supplémentaires à la R.D.C. du détail desquels elle fait ici grâce à la Cour,
puisqu'elle renonce à en obtenir le remboursement àcharge de la Belgique au
titre de la réparation du dommage matérielcausépar sesfaits illicites.

53. Au-delà du préjudice infligéde la sorte àla R.D.C., il est clair que l'action

dont la Cour est saisieporte sur une question qui dépasse le cadre des relations
belgo-congolaises. La question du respect scrupuleux des immunités conférées
par le droit international est en effet d'intérêtgénéralpour la communauté
internationale dans son ensemble. Les relationsinternationales ne sauraient en
effet se conduire sereinement et librement s'il était permis à chaque État
d'accuser et d'attraire devant ses juges des personnes dont les fonctions

consistentprécisément à participer au commerce interétatique. Ceci est vrai que
ces personnes soient en charge de la représentationinternationale d'un État, ou
qu'elles exercent des fonctions d'intérêtcommun au sein d'une organisation
internationale et se voient pour cette raison conférer des immunités
juridictionnelles (Secrétairegénéralde llO.N.U.,juges de la Cour...). On imagine

en effet mal que ces fonctions puissent être paralysées par l'actionunilatérale
d'un juge national. Par leur caractère fonctionnel, les immunités entendent
prévenir une telle paralysie, laquelle est hautement préjudiciable tous et non
seulement à l'État ou l'organisation qui, plus concrètement, subit cette entrave.
Il importe donc de réaffirmer l'importance du respect scrupuleux des

Compte-rendu de l'audience du 21novembre 2000,5 26,perE. David.immunités, sans lequelles l'ordre et le dialogue ne sauraient exister dans les

relations internationales. Nul doute que ceux-ci sont d'autant plus nécessaires à
une époque de «mondialisation» où le multilatéralisme est la règle (voy.encore
infia, 573).

B. Arguments de la Belgique

i) L'invitationfaite au ministre

54. Lors de la phase orale de la procédure en indication de mesures
conservatoires, la Belgique a soutenu que l'émission et la diffusion
internationale du mandat d'arrêt litigieux ne porteraient pas atteinte au bon et
libre exercice par le ministre Yerodia de ses fonctions internationales, dès lors

que s'ilétaitofficiellement invitéen Belgique, il bénéficieraitsans conteste dans
cet État d'une inviolabilité et d'une immunitépénale,et qu'il ne serait pas donné
exécutionaumandat d'arrêt.
L'argument, qui est repris dans le texte du mandat d'arrêtlitigieux et a
déjà étéévoqué (supra, §43), ne laisse pas de surprendre. D'une part,
intrinsèquement contradictoire, il fait fi, ce qui est tout de mêmeétonnant, du

principe de la séparation des pouvoirs, pourtant consacré par la Constitution
belge. Il ne faut sans doute pas s'y attarder davantage, sauf pour souligner que
la Belgique avance ainsi une prétendue échappatoire que son ordre juridique
interne ne lui permet pas de pratiquer. On rappellera seulement que le
gouvernement belge s'est bien gardé de mettre en oeuvre cette voie qu'il a
proposé en plaidoiries, ce qui est probablement la preuve de son illégalité

interne, et que le ministre Michel n'a plus entendu traiter avec son homologue
congolais Yerodia suite àla divulgation du mandat d'arrêtdu 11avril 2000.
D'autre part, l'argument passe sous silence le fait que la diffusion
internationale du mandat d'arrêtfait automatiquement échapper au contrôle
des autoritésbelges l'exécution de celui-ci. L'argument est en ce sens insuffisant,
puisque l'entrave au libre exercice des fonctions internationales du ministre que

constitue la crainte d'une arrestation demeure entière hors de la Belgique - à
supposer même qu'ellepuisse êtrelevéede cette manière en Belgique.
Ensuite, et plus fondamentalement, l'argument témoigne de la mauvaise
compréhension qu'ont les autorités belges de ce qu'est l'inviolabilité et
l'immunité pénale absolues des hauts représentants des États étrangers.
L'argument donne en effetà penser que ce serait la Belgique qui, en quelque

sorte, "distribuerait",accorderaices privilèges d'inviolabilitéet d'immunitéaux
hauts dignitaires étrangers invités. Rien ne saurait êtreplus erroné s'agissant
des hauts représentants étrangers dont le statut est, s'agissant de l'inviolabilité
et de l'immunité, assimilé à celui du chef d'État étranger. Il est certes vrai
qu'aucun étranger, même pas le chef d'État étranger, ne peut pénétrer,sauf
disposition conventionnelle contraire, sur le territoire d'un souverain sans son
consentement. Là n'est toutefois pas la question, et la R.D.C. n'a jamais

prétendu que l'inviolabilité et l'immunité de ses hauts représentants leur
permettait de voyager à l'étranger- ou singulièrement en Belgique - sans leconsentement des autorités compétentes. Il est tout aussi vrai que l'acceptation
de la venue sur le territoire national d'une mission spéciale étrangère peut
emporter, dans le chef des autorités de l'Étatinvitant, l'obligation de reconnaître
certains privilèges à certains membres de la mission qui en sont autrement
dépourvus, et cela pour la durée de la présence de cette mission'. Cela étant,il
n'empêche que l'inviolabilité et l'immunité pénale absolues que le droit

international coutumier reconnaît, comme on l'a montré ci-avant, aux chefs
d'État, Premier ministres, ministres des Affaires étrangères et autres
représentants éminents d'États, découle automatiquement de leur entrée et de
leur maintien en fonction, qu'elles ont pour finalitéde protéger. L'existence de
ces privilèges ne dépend nullement du consentement qui serait donné par une

autorité étrangère à leur déplacement dans cet État, à l'inverse de ce qui est le
cas lors de l'accord donné par l'État accréditaire à l'envoi de diplomates par
l'État accréditant. La véritéest que tout État invitant un chef d'État, un Premier
ministre, un ministre des Affaires étrangères ou tout autre haut représentant
d'un État étranger assimilé est tenu de respecter l'inviolabilité et l'immunité
pénale absolues qui est la leur en droit international coutumier.Cette obligation

ne naît pas avec l'invitation qui leur est adressée, elle n'est pas créée parcelle-ci;
elle existe en droit international général et l'accord qui est donnéàla présence
sur le territoire national des hauts représentants étrangers n'est que l'une des
occasions du respect de cette obligation coutumière. Il est donc parfaitement
inutile de souligner, comme le fait la Belgique, que la bonne foi serait surprise

s'ilen allait autrement.
Enfin, l'argument emporte une contradiction.intrinsèque dans la défense
de la Belgique, car on ne pourrait comprendre comment la Belgique (ou tout
autre pays), par une invitation accordée à un ministre étranger, pourrait lui
conférerune immunité alors qu'elle prétend qu'il en serait radicalement et "par
nature" dépourvu vu la gravité des crimes qui lui sont reprochés, et que cette

privation d'immunité serait, selon la Belgique, une conséquence logique du
caractère impératif des violations du droit dont il se serait supposément rendu
coupable. On comprend mal que la Belgique puisse unilatéralement accorder ce
que le jus cogens, selon elle, prohiberait. Comme on le montrera ci-après,
l'argument belge de l'absence d'immunité du ministre des Affaires étrangères
en exercice en cas d'accusation de crimes de droit international est tout autant

mal fondé.

ii) L'exécutiondu mandat d'arrêt parun tiers

55. Durant la phase orale de la procédure en indication de mesures
conservatoires, la Belgique a soutenu que l'atteinteà l'immunité pénale du

ministre Yerodia ne serait pas réalisée par l'émission et la diffusion
internationale du mandat d'arrêtdu 11 avril 2000,mais uniquement par la suite
qui y serait donnée par une autorité étrangère requise collaborant avec la
Belgique.

1
Voy. la Convention du 8 décembre1969sur les missions spéciales. L'argument, déjà évoqué (supra, 543) ne laisse pas, ici encore, de
surprendre. On ne sait au juste s'il entend indiquer que le fait illicite reproché

par la R.D.C. à la Belgique ne se serait pas encore réalisé,ou s'il entend
contester l'imputation de ce fait illiciteÉtatbelge.
S'agissant de la premièrebranche de l'alternative, il fut montré suffisance
ci-dessus qu'elle n'est pas tenablet que la violation des droits souverains de la
R.D.C. fut réaliséedès l'émission du mandat d'arrêt à l'encontre du ministre

Yerodia, et en quelque sorte aggravée par la diffusion internationale de ce
mandat d'arrêt.
S'agissant de la deuxièmebranche de l'alternative, elle doit tout autant être
rejetée.Il est en effet certain que l'émission et la diffusion internationale du
mandat d'arrêt litigieux sont le fait de l'État belgel'intermédiaire d'un de ses
organes, à savoir le vice-président du Tribunal de première instance de
Bruxelles, exerqant les fonctions de magistratinstructeur. Ilest tout aussi certain

que ce mandat d'arrêt oblige tous les agents de la force publique dans l'ordre
juridique belge, tant qu'il n'y a pas été mis à néant. Dès l'instant où c'est
l'existencemême du mandat d'arrêt du 11 avril 2001 qui réaliseles faits illicites
reprochés à la Belgique, celle-ci ne peut échapper à sa responsabilité en
avançant le fait que des autorités tierces, donnant effet à ce mandat à sa

demande, commettraient à leur tour une violation du droit des gensàl'encontre
de la R.D.C.. Le comportement de ces autorités tierces ne serait en effet jamais
que la suite logique de la délivrance du mandat d'arrêt, que la Belgique sollicite
par la diffusion internationale qui en est faite. En d'autres termes, le mandat
d'arrêtdu 11 avril 2000 demeure en toute hypothèse la cause du fait illicite
complémentaire et distinct que réaliserait un Etat tiers par la collaborationque

pourrait apporter certains de ses organes et agents à l'exécutionde ce mandat
d'arrêt(supra, 543). Aucun État n'ayant à ce jour donné suite à ce mandat
d'arrêt,il ne faut pas s'interroger plus avant sur la responsabilitéspécifiquequi
pourrait en résulter dans le chef de l'État qui l'exécute,ni sur la manière dont
celle-ci devrait s'articuler par rapportà celle, en quelque sorte originaire,de
l'Étatbelge. Le fait qu'aucun Étatn'a àcejour donnésuite au mandat d'arrêtdu

11 avril 2000 est toutefois le signe de l'opiniojuris dominante suivant laquelle
tout ministre des Affaires étrangèresen exercice bénéficied'une inviolabilitéet
d'une immunité pénale absolues, ainsi qu'il fut rappelé ci-avant. Il importe
toutefois, et c'est tout le sens de la saisine de la Cour par la R.D.C., que ce
principe demeure clairement affirmé et qu'aucun doute ne puisse exister à cet
égard, nonobstant la qualification pénale des faits reprochés au dignitaire

étranger visé par le mandat d'arrêt. iii)Lesrecoursjudiciaires

56. Il ne saurait pas plus êtrecontesté que le mandat d'arrêt du 11 avril 2001
porte atteinte à l'inviolabilité et l'immunité pénale absolues du ministre des

Affairesétrangères de la R.D.C., et par là viole les droits souverains de cet État,
en arguant du fait qu'il pourrait êtremis à néant par une juridiction supérieure
dans l'ordre juridique belge à l'aide des principes de primauté du droit
international en droit belge et de l'interprétation de la loi rappelés ci-avant
(supra, Deuxième Partie, Chap. II et III). L'argument ferait ainsi référenceà une

manière d'exigence d'épuisement préalable des voies de recours internes; il doit
tout autant être écarté. Il est en effet certain que la R.D.C. n'a pas saisi la Cour
dans l'exercice de son droit de protection diplomatique. En délivrant et
diffusant internationalement le mandat d'arrêt litigieux, la Belgique a
directement porté atteinte aux droits de la R.D.C., puisque l'immunité est le

droit de l'État et non de la personne par laquelle il est représenté. Il ne saurait
donc être question d'attendre une confirmation du mandat d'arrêtpar une
juridiction supérieure pour considérer que le fait illicite reprochéà la Belgique a
été commis.
Par ailleurs, l'argument fait référenceàune possibilitéinexistante,dès lors

qu'aucune voie de recours interne n'est ouverte en droit belge à la R.D.C. pour
contester lemandat d'arrêtdélivré àl'encontre de son ministre. Seul ce dernier,
personnellement visé par l'acte litigieux, dispose de recours en droit belge.
Encore faut-il constater que ces recours sont limités - contrairement à ce que le
conseil de la Belgique a soutenu lors des plaidoiries du 21 novembre 2000 1 -,
en ce sensqu'il n'existe pas de recours directcontre lemandat d'arrêt tant que la

personne qui y est visée n'est pas arrêtéeet incarcérée. Dans le droit de la
procédure pénale belge, la seule possibilité de contester le mandat d'arrêt avant
l'arrestation de la personne qui y est viséeest de solliciter du juge d'instruction
puis, en cas de refus, d'une juridiction d'instruction supérieure, un nouvel acte

d'instruction après avoir pris connaissance du dossier d'instruction. Toutefois,
le simple accès à ce dossier fut refusé par le juge Vandermeersch à Monsieur
Yerodia par ordonnance du 12 octobre 2000. Cette ordonnance fut confirmée
par l'arrêtdu 12mars 2001prononcépar la Chambre des mises en accusation de
la Cour d'appel de Bruxelles 2,sur conclusions conformes du Premier Avocat
général. Il est donc clair que, du point de vue de toutes les autorités judiciaires

belges, le mandat d'arrêtne pourrait pas êtrelevéet serait conforme au droit
international, ce qu'a d'ailleurs soutenu la Partie défenderesse lors des
plaidoiries relativesà la demande d'indication de mesures conservatoires.

Compte-rendu de l'audience du 21novembre 2000,5 4perE.David.
*
Cette confirmation fut motivéepar le fait qégardeàla nature des faitsreprocàla
partie requérant(..il peut êtrecraint que l'accèsau dossier puisse, par une diffusion de
l'information auprès d'autres personnes proches de l'entourage du requérant, susciter des
représailleàl'encontre des plaignants et des personnes entendues en cours d'instruction
ou encore de membre de leur famille qui résident en République démocratique du
Congo».C. Lesfaits qui sont àla base de l'accusation

57. Il faut enfin relever le caractère ténu de l'accusation dont fait l'objet le
ministre Yerodia. Les paroles qu'il a notamment prononcées le 28 août 1998
n'ont fait l'objet de la part des autorités publiques belges d'aucune mise en
contexte, ni historique ni culturelle. Elles ont été abusivement interprétées par
celles-ci comme un appel, une incitation, à commettre des crimes de droit

international, alors que le lien de causalité entre ces paroles et certains actes
inqualifiables de violence dirigés contre la minorité Tutsie par une population
assiégéeest loin d'êtreclairement établi.

Chapitre IV.

ILN'YA PAS D~EXCEPTIONCOUTUMIÈRE À L~INVIOLABILITÉ ETÀ
L'IMMUNITÉPÉNALEABSOLUESDES MINISTRESDES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES DEVANT LESFORSNATIONAUX EN CAS
D'ACCUSATION DE CRIME DE DROIT INTERNATIONAL

5 1. Précisions liminaires

58. Le point de divergence le plus fondamental entre la R.D.C. et la Belgique
porte sur la question de savoir s'il existe, en droit international, une exception
aux règles coutumières de l'inviolabilité et de l'immunité pénale absolues des
chefs d'État étrangers en fonction et personnes assimilées (Premier ministres,

ministres des Affaires étrangères ...) devant les fors nationaux lorsqu'il sont
accusés d'avoir commis ou incité à commettre un crime de droit international
(notamment crime de guerre, crime de génocide ou crime contre l'humanité).
D'emblée, il importe de souligner que la charge de la preuve incombe àcet
égard à la Belgique, puisqu'elle entend se prévaloir d'une prétendue exceptàon
un régimecoutumier qu'elle ne paraît pas, en son principe,mettre en cause.

59. Malgréle fait que la charge de la preuve revient sur ce poiàla Belgique,
la R.D.C. entend ici démontrer que l'assertion de la Belgique est sans fondement
en droit international. Pour ce faire, il importe de distinguerouveau (supra,
538)entre deux difficultés:la première est celle de la qualité officielle de l'accusé
comme cause d'exonération de la responsabilité pénale ou de motif de
réduction de la peine; la deuxième est celle de l'immunité de juridiction pénale

qui est attachée,en droit international,a qualitéofficielle d'une personne. Ces
deux difficultés, ainsi qu'on l'a montré (supra, §39),sont confondues dans
l'interprétation que la Belgique fait de sa loi, dont l'article3, indique que
«l'immunité attachée à la qualité officielle d'une personne n'empêche pas
l'application de la présenteoi» et dont les travaux préparatoires indiquque,
ce faisant, le législateur a entendu «transposer une règle de droit humanitaireinternational (...)rappelée récemment de façon absolue à l'article 27 du Statut de

Rome» 1,alors que les paragraphe 1 et2 de cet article reflètent cette distinction.
Comme on l'a souligné, une interprétation de la loi belge conforme au droit
international consisterait à considérer que son article 5, 53, ne signifie rien
d'autre que la qualité officielle de l'accusé ne peut pas constituer une cause
d'exonération de la responsabilitépénale ou un motif de réduction de la peine.

On sait toutefois que ce n'est pas cette interprétation que retint le juge
Vandermeersch lorsqu'il décida de délivrer et de diffuser le mandat d'arrêt
litigieux.Il considéraplutôt, comme le conseil de la Belgique le soutint lors des
plaidoiries relatives à la demande d'indication de mesures conservatoires, que
l'immunitépénaledont bénéficientcoutumièrement les chefs d'État étrangers et

les personnes assimilées connaîtrait une exception lorsqu'ils sont accusés
d'avoir perpétré descrimes de droit international.

60. Avant de discuter et de réfuter les arguments de la Belgique sur ce point,
deux précisions doivent êtrefaites.
D'une part, la R.D.C. ne conteste pas qu'est un principe de droit

international pénal, notamment forgépar les jurisprudences de Nuremberg et
de Tokyo, la règle suivant laquelle la qualitéofficielle de l'accusé au momentdes
faitsne peut pas constituer une cause d'exonération de sa responsabilité pénale
ou un motif de réduction de sa peine lorsqu'il est jugé, que ce soit par une
juridiction interne ou une juridiction internationale. Sur ce point, aucune
divergence n'existeavecl'État belge.

D'autre part, il importe de souligner qu'en in~oquant une exception - en
réalité inexistante - au régime des immunités pénales des chefs d'État
étrangers et des personnes assimilées, la Belgique tout à la fois confirme
l'existence de principe de ces immunités *et affaiblit considérablement son
argument - développélors des plaidoiries relatives à la demande d'indications

conservatoires - selon lequel, en toute hypothèse, le mandat d'arrêtdu 11 avril
2000 ne serait pas un acte de contrainte et sa délivrance et sa diffusion
internationale n'auraient pas porté atteinte aux droits souverains de la R.D.C. Il
est en effet clair que si le mandat d'arrêt neconstituaitpas un acte de contrainte
intrinsèquement susceptible de violer l'immunité pénale de Monsieur Yerodia,
il ne serait pas nécessaire de tâcher de démontrer que cette immunité

n'existerait prétendument pas de par le fait de la gravité des actes dont il est
accusé.

Doc.Parl., Sénat, sess.1998-1999,l-749/2 et 3.
2
Ainsi que la Cour l'asouligné:
«Si un État agit d'une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais
défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle
elle-même,il en résulteune confirmation plutôt qu'un affaiblissement de la règle, et cela
que l'attitude de cet État puisse ou non se justifier en fait sur cette base» (Affniredes
activitéstnilifaireset paratnilitniresazetcontrecelui-ci,arrêtdu 27juin 1986,Rec.,
1986,p. 98,s 186).
A fortiori en est-il de mêmelorsque l'exception est en réalité inexistante, et n'est pas
contenue dans la règle elle-même.§ 2. Ledroit positif

61. L'inviolabilité et l'immunité pénale absolues du ministre des Affaires
étrangères subsistent, devant les juridictions nationales, alors même qu'ils sont
accusés d'avoir commis des crimes de droit international, en l'espèce l'incitation
à commettre des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.Rien, ni dans

la doctrine, quasi-unanime, ni dans la pratique internationale ne consacre, dans
un cas comparable à celui-ci (c'està dire la poursuite devant une juridiction
pénale interne du ministre des Affaires étrangères enfonction d'un État étranger),
une exception àl'immunitépénale absolue de la personne qui en est titulaire en

cas d'accusation de crime de droit international.

A. Jurisprudence, pratique et doctrine récentes

62. La jurisprudence la plus récente confirme, à la lumière de précédentsbiens

établis 1, qu'un chef d'État en exercice bénéficie d'une inviolabilité et d'une
immunité pénale absolues, même en cas d'accusation de crime de droit
international. En vertu de la règle, rappelée ci-dessus, de l'assimilation de la
condition internationale du ministre des Affaires étrangèreset des autreshauts

représentants de l'État à celle du chef d'État sur ce point, les enseignements de
cettejurisprudence sont mutatismutandis applicables au cas d'espèce.

i) Les arrêts«Pinochet» de la House of Lords .

63. Ainsi, dans l'arrêt «Pinochet» rendu par la HouseofLords le 25 novembre
1998, Lord Nicholls, pourtant favorable à la poursuite de la procédure pénale
contre l'ancien chef d'État chilien, déclara très succinctement mais fermement,
afin que l'arrêtde la Haute juridiction ne soitpas mal interprété:

«Ihave no doubt that a currenthead of state is immune from criminal process
under customary internationallaw»*.

De manière comparable, dans l'arrêt subséquent rendu par la même
juridiction dans la mêmeaffaire le 24 mars 1999, Lord Browe-Wilkinson, dont

l'opinion forma la majoritéde la Cour, s'exprima en ces termes:

«Itisa basic principleof international law that one sovereign state (the forum
state)does not adjudicate on the conduct ofa foreignstate. The foreign state is
entitledto procedural immunity from the processes of the forum state. This
immunity extends to both criminal and civil liability.Stateimrnunity probably
grew fromthe historical immunity of the person of themonarch. In any event,

Cass. it., 20 fév.19BncchellicCornllndiBologna,IYIL, 1978-7p. 137note L.C.;BGH,
14 déc.1984, Honecker,ILR, t. p.,366;Cass. it., 28 juin 1985,Ric. Aeaaltro, Foroit.,
1986,IIp.279 ;Trib. féd.suisse, 1déc.1989,Marcos, ILR,t. p.201.
2 Nous soulignonh sttp://parliament.the-stationary-office.co.uk such persona1immunity ofthehead ofstate persists to the present day: the head
of state is entitled to theame immunity as the state itself. The diplomatic
representative of the foreign state in the forum state is also afforded the same
immunity in recognition of the dignity of the state which he represents. This
immtlnityenjoyed byaheadofstateinpowerandanambassado inpostisacomplete
immunityattached tothepersonoftheheadofstateorambassado arndrenderinghim
immunefiorn al1actionsorprosecutionw shetherornot theyrelatetomatfersdone for
thebenejtofthestate.Such immunity is said to be granted ratione personae1.

Dans cet extrait, Lord Browe-Wilkinson assimile clairement la condition
du chef d'État en fonction et celle de l'ambassadeur en poste, ce qui, afortiori,
confirmele bien-fondé du principe de l'assimilation de la condition du ministre
des Affaires étrangères en fonction àcelle du chef d'État étranger, puisque l'on
ne pourrait pas comprendre que le chef de la diplomatie d'un État soit moins
bien protégé par le droit international que les plus hauts- fonctionnaires

(ambassadeurs) du ministère qu'il dirige.

ii) L'arrêt&hadafi» de la Cour de cassation de France

64. Plus récemment encore, la Cour de cassation de France cassa et a~ula en
toutes ses dispositions l'arrêt de la chambre d'accusation de la Cour d'appel de

Paris ayant confirmé l'ordonnance du juge d'instruction disant y avoir lieu à
informer à l'encontre de Monsieur Mouammar Khadafi, chef d'État en exercice
de la Jamahiriya Arabe Libyenne, du chef de complicité de destruction d'un
bien par l'effet d'une substance explosive ayant entraîné la mort d'autrui, en
relation avec une entreprise terroriste. L'arrêt de la Cour de cassation se lit
comme suit:

«Sur le moyen uniquedecassationp , ris de la violationdu droitpénalcoutumier
internationarelatifàl'immtinidejuridictioreconnue auxchefsd'Étatétrangers

Vu lesprincipes généraux du droit international;
Attendu que la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en
exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires
s'imposant aux parties ,concernées, faire l'objet de poursuites devant les
juridictions pénalesd'unEtatétranger;
Attendu que l'associationSOSAttentats et BéatriceCastelnau dlEsnault ontporté
plainte avec constitution de partie civile du chef de complicitéde destruction
d'unbien par l'effetd'une substanceexplosive ayant entraîné lamort d'autrui, en
relation avec une entreprise terroriste,contre Mouamrnar Khadafi, chef d'Étaten
exercicede la Jamahiriya Arabe Libyenne, à qui elles reprochent son implication
dans l'attentat commis le 19 septembre 1989 contre un avion DC 10 de la
compagnie UTA, lequel, en explosant au-dessus du Niger, a causéla mort de 170
personnes, plusieurs d'entreellesétantde nationalitéfrançaise;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction disant y avoir
lieuà informer, nonobstant les réquisitionscontraires du ministère public, les
juges du second degré retiennent que, si l'immunité deschefs d'État étrangers a
toujours été ad--separ la sociétéinternationale, y compris la France, aucune

Itiid.Nous soulignons. immunité ne saurait couvrir les faitde complicitéde destruction d'un bien par
l'effet d'unesubstance explosive ayant entraînélamort d'autrui,en relation avec
une entreprise terroriste;

Maisattendu qu'enprononçant ainsi, alors qu'enl'étatdu droit international, le
crime dénoncé, quellequ'en soit lagravité,ne relève pas des exceptions au
principe de l'immunitéde juridiction des chefs d'Etatétrangersen exercice,la
chambred'accusation améconnu leprincipe susvisé;
(dispositifonformeaux motifs)» l.

65. Cet arrêt appelle différentes remarques. La première est de rappeler que
son enseignement vaut mutatis rzzutandis pour les ministres des Affaires
étrangères et autre personnes de rang élevé assimilées,du point de vue de
l'immunitépénale,au chef d'État.

66. Ensuite, il faut souligner que la Cour de cassation de France a considéré
que la simple décision de mise à informer,mesure d'instruction préalable à la
délivrance d'un mandat d'arrêt, était une mesure de contrainte suffisantepour
violer le principe coutumier de l'immunité de juridiction des chefs d'État

étrangers. Afortiori, ceci vient confirmer ce qui a été soutenu ci-avant et qui est
niécontre toute évidence par la Partie défenderesse, à savoir que l'émissionet la
diffusion internationale du mandat d'arrêtdu 11 avril 2000 constituent bien des
mesures de contrainte incompatibles avec l'inviolabilité et l'immunité pénale
absolues du ministre Yerodia.

67. Enfin, l'arrêt dela Cour de cassation confirme qu'il n'y a pas d'exception
coutumière à l'immunité de juridiction pénale des Chefs d'État étrangers, en ce
qu'il souligne que «en l'absence de dispositions internationales contraires
s'imposant aux parties concernées», la coutumeinternationale s'oppose à ce que
des chefs d'État en exercice puissent faire l'objet de poursuites pénales à

l'étranger. Ces termes font nécessairement référence à une exception
conventionnelle, et non coutumière, à l'immunité des chefs d'État, sinon il
aurait étéinutile de préciser que les dispositions portant exception doivent
«slimpos[er] aux parties concernées)) 2, ce qui fait immanquablement allusion à
l'effetrelatif des conventions internationales. Ce faisant, la Cour confirme ce qui

a déjà été affirmé ci-avant (supra, §§42 et 60), à savoir que les précédents de
Nuremberg et de Tokyo ne peuvent servir d'exemples d'une pratique
coutumière relative à l'absenced'immunité des chefs d'États ethauts dignitaires
en exercice, puisque les personnes jugées par ces tribunaux avaient cessé,à ce
moment, d'exercer leurs fonctions officielles. La Partie défenderesseseraitbien
en peine de rapporter un seul précédent judiciaire pertinent où une juridiction

nationale aurait valablementmis en accusation et jugé un chef d'État étrangeren
exercice, ou tout autre ministre assimilé.

Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêtno 1414 du 13 mars 2001, disponible sur
Internet htt//www.courdecassation.fr
C'estàdire l'Étatpoursuivant et l'État représentépar la personne poursuivie. La Cour de cassation indique encore qu'une exception à l'immunité de
principe des chefs d'État ne peut pas plus se déduire, par une fausse manière de
nécessitélogique, de la seule «gravité» du crime dénoncé,et constate que celui-

ci <(nerelève pas des exceptions au principe de l'immunité des chefs d'État en
exercice».

68. Dans la pratique internationale récente, on peut encore relever que le
Sous-Secrétaire d'État américain Thomas R. Pickering a considéréqu'un major
de l'armée péruvienne bénéficiant d'un statut diplomatique aux États-unis
devait y êtresoustrait à toute mesure de poursuite pénale, quelque soit la
gravitédes faits de torture commis dans son pays qui lui étaientreprochés 1.

69. La doctrine la plus autorisée approuve en tous points cettejurisprudence
et cette pratique 2.

B. L'argument déduit de l'article 27 du Statut de la C.P.I.

70. Existe-t-il une exception conventionnelle permettant de justifier le
comportement de la Belgique? On est bien en peine d'en découvrir une seule

parmi tous les instruments citéspar la Belgique lors des plaidoiries du mois de
novembre 2000. À vrai dire, les seules exceptions existantes à ce jour sont
consacrées au bénéficedes juridictions pénales internationales instituées par le
Conseil de sécurité,ou de la future Cour pénale internationale. Le cas du

président Milosevic, on l'adéjàsouligné (supra, §42) est sur ce point l'exception
qui confirme la règle, puisque la levée de son immunité coutumière est le
résultat d'un acte du Conseil de sécurité des Nations Unies liant tous les États
membres. Par ailleurs, la levée des immunités qu'entend réaliser l'article 27,

paragraphe 2, du Statut de la future Cour pénale internationale ne trouve à
s'appliquer que dans les cas où celle-ci est compétente (supra, s42). L'article 27,
paragraphe 2, du Statut de la C.P.I. se contente de rappeler la règle, élémentaire,
qui déclare inapplicable devant un juge international l'immunité qui soustrait à

la connaissance d'un juge nationalles actions introduites contre un État étranger,
ou ses représentants, sans son consentement. On ne saurait partant déduire de
cet article que le bénéfice des immunités du droit international cesserait
d'exister devant lesjuridictions internes dès l'instant où une accusation de crime

de droit international est formulée à l'égardde la personne qui en est titulaire.
Le Statut de Rome confirme d'ailleurs lui-même que l'accusation,formulée par
la Cour pénale internationale, d'avoir commis des crimes relevant de sa

Voy. ContemporarypracticeoftheUnitedStates,A.I.1.2000,pp. 535-536.

D. Alland (dir.), Droitinternntilublic,2000,p.15;Ph. Cahier,op.cit.p.338 ;G. Dahm,
Volkerrecht,t. 1,1958,p. 3;Damian, Stnnntenimmilnitii~indGerichtszzuang,1985,pp.76-
77 ;JSalmon, op.cit.,pp. 596,59;Satow'sGtiidetoDiplornnticPractice,5eéd.,ch. 2/55 2.2,
2.3, 2.;A. Verdross et B.Simma, UniversellesVolkerrecht,3e éd.,1984, pp. 640 et;A.
Watts, op. cit., RCADI, t. 217,p. ;R. Wedgwood, «International Criminal Law and
Augusto Pinochet >,Virg.]IL,2000,p. 838.compétence ne dispense pas les autorités étatiques, en ce compris les
juridictions, de respecter scrupuleusement les immunités dont sont titulaires, en
droit international, certaines personnes vu les fonctions éminentes qu'elles
exercent. C'estainsique l'article98, paragraphe 1, du Statut dispose que:

.La Cour ne peut présenterune demande d'assistance qui contraindrait l'État
requis à agir de façon incompatible avec les pbligations qui lui incombent en
droit internationalen matièred'imqunitédes Etats ou d'immunitédiplomatique
d'une personne ou de biens d'un Etat tiers, à moins d'obtenir au préalablela
coopération de cet État tieen vue de lalevéede l'immunité».

Mêmesi certains auteurs 1 ont estimé qu'il étaitdifficile de déterminer le
rapport qui existe entre l'article 27, paragraphe 2, et l'article 98, paragraphe 1, il

est clair qu'il n'y aurait eu aucun sens à insérer dans le Statut l'article 98,
paragraphe 1, si, comme le soutient à tort la Belgique, il n'existait pas
d'immunitéde droit international, devant lesjuridictions nationales, au bénéfice
de certains dignitaires ou fonctionnaires de haut rang en exercice en cas
d'accusation de crime de droitinternational.

71. Pour ces motifs, et outre le fait que le Statut de la C.P.I. n'est pas en
vigueur, on ne peut pas faire droit à l'argument développé lors de l'audience du
23 novembre 2000 par le conseil de la Belgique. Ce dernier a soutenu, à propos

de l'article 27 du Statut de la future Cour pénale internationale qu'«une lecture
attentive de cette disposition (...)montre (...)que l'immunitéest refusée,non au
regard de la seule Cour pénaleinternationale, mais au regard de l'ensemble du
Statut de la Cour. Or, dans la mesure où le Statut prévoit lui-mêmela juridiction
prioritaire des tribunaux internes pour les crimes viséspar le Statut et dans la

mesure où le Statut "rappell(e)qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à
sa juridiction criminelle les responsables de crimesinternationaux", on peut en
déduire trèslogiquement que le refus d'immunité visépar le Statuts'applique à
tout procès organisé devant desjuridictions des États parties au Statut dès lors
qu'il s'agit d'un crime prévu par le Statut» 2.Aucune logique ne justifie ce

raisonnement, qui entend démontrer ce qu'il suppose et qui n'est pas établi,à
savoir qu'il existerait- quodnon - une exception coutumière en cas de crime
international à l'immunité pénale dont sont titulaires, en droit international
général,les chefs d'État étrangers en exercice et autres hauts représentants

assimilés.

P. Saland, «International criminal princiinR.,S.LEE (ed.)ThebiternntionnlCrirninnl
Colirt,Thetruikingof theRotneStntute.lssties,Negotintions,UNITAR in cooperation
with The project on International courts and tribunals, Kluwer, 1999,p. 202, note 25.
Compte-rendu de l'audience du 23 novembre 2000, §perE.David.5 3. Sens et importance des immunitéspour l'ordrejuridique
international

72. Delegelata, l'étatactuel du droit international est donc clair et il devrait

conduire la Cour à refuser de faire droit aux arguments de la Partie
défenderesse. Sans s'arrêter donc davantage à rapporter l'état actuel du droit
international, la Partie demanderesse voudrait brièvement indiquer à la Cour
en quoi elle estime hasardeux les arguments avancés delegeferenda par la
Belgique. Faisant cela, la R.D.C. n'entend en aucun cas justifier la commission

de violations inacceptables du droit international humanitaire, ni relativiser la
souffrance de ceux qui en sont les victimes et le besoin qu'il y a à leur rendre
justice en assurant une répression effective de ces crimes, en ce compris au sein
de son propre ordre juridique.

73. L'immunité pénale des hauts représentants étrangers (chefs d'État,
Premier ministres, ministres des Affaires étrangères ...) en exercice est souvent
critiquée par l'opinion publique en ce qu'il en résulterait une impunité
intolérable s'agissant de crimes heurtant la conscience de tout être humain.

Pourtant, immunité et impunité ne sont pas synonymes et ne vont pas de pair.
L'immunité entend seulement prévenir d'inutiles frictions dans les relations
internationales et protéger le libre exercice de fonctions étatiques (ou
internationales) essentielles et d'intérêtgénéral,ce qui paraît d'autant plus
impératif que, comme en l'espèce, l'entrave mise à ces fonctions résulte de
simples accusations dont le fondement et la preuve demeurent singulièrement

sujetsà caution. L'immunité reconnue àun représentant étranger ne préjugeni
de la licéité, ni même de la validité, d'un acte donné. Il est donc erroné de
prétendre que son maintien emporterait une contradiction interne au système
juridique international, en ce que des actes qui seraient contraires à ses

fondements permettraient d'être «couverts» à son intermédiaire. Il est certes
vrai que «thelawcannotrecognise asvalidanactwhich isdirected againstifsvey
foundation» 1. Les immunités n'effacent toutefois aucune illicéité,ne relèvent
aucune nullité, et ne rendent pas conforme au droit ce qui le contredit. Elles ne
sont pas un droit injustifié qui naîtrait illogiquement de la commission de

l'illiciteElles empêchent seulement àun acteur étatique (un juge) de constater

A. Bianchi, «Overcoming the hurdle of State immunity in the domestic enforcement of
internationaluman rights)), in B. Confo&tF. Francioni, Enforcing intertzntiotznlhurnnn
rights in domesticcourts, Martinus Nijhoff, 1997, p. 415 (ce texte reproduit un article du
même auteur ~Denying State Immunity to violators of human rights),, Azistr./l'IL, 1994,
pp.195-229).Voy. encore A. Bianchi, «Violazioni del diritto internazionale ed immunità

degli Stati dalla giurisdizione civile negli StatiUniti: il cRiu.it. dir. int., 1989,
pp. 546 et.Ces propos sont tenus s'agissant de l'immunitéde juridiction des États, etnon
de leurs représentants, mais selocet auteur, la même"logique" devrait conduire
l'abandon de l'une et de l'autre en cas de violation du jus cogens: A.yBianchi,
(~Immunityversus Human rights: The Pinochetcase», E.I.I.L.,1999,pp. 237-277.
La référence l'adage ex injuria jus non oritrlrest en ce sens erronée.En toute hypothèse, si
cet adage avait du sens par rapport aux immunités, on ne voit pas pourquoi sonl'éventuelle contrariété au droit du comportement du représentant d'un État
étranger, protégeant ainsi cet État d'une fâcheuseparalysie. On ne saurait y voir

le signe que l'ordre juridique international viendrait à tolérer la commission
d'illicéités(graves). Il faut plutôt comprendre que les immunités témoignent de
ce que ce même systèmeentend confier leur sanction à d'autres autorités, selon
d'autres mécanismes. L'effectivitéde cette sanction est d'autant moins sujette à

caution que l'immunité des représentants étrangers est fonctionnelle et que les
crimes de droit international dont il est ici question sont imprescriptibles. En ce
sens, les immunités ne font pas que protéger des souverainetés d'ingérences
étrangères: elles ont, très profondément, une fonction systémique pour l'ordre

juridique international. Il faut donc dépasser tout à la fois l'acception
traditionnelle qui les justifiait, et leur critique fondée sur la prétendue
obsolescence de la souveraineté - les immunités ne sont pas tant faites pour
protéger des États que l'on dit souverains; elles servent sans doute d'abord

l'ordonnancement d'un système; elles sont en ce sens sytémiques. Il s'enfaut de
beaucoup pour penser qu'un système plus juste et adéquat pourrait naître de
l'abandon des immunités en cas de violation du jus cogens. La nouvelle
construction qui en résulterait risque en effet d'apporter plus de troubles et

d'injustices que celle qu'elle est censée remplacer. Comme le souligne C.
Tomuschat,

«to create an opening in the wall of sovereign immunity would be a fruitless
exercise, benefitting international lawyers but hardly their clients (...) to
introduce a legaldeviceaccording towhich any country of the world should be

competent to adjudicateclairnsbrought by any ptivate person against any third
State would be utterly unreasonable (...A world full of self-appointed human
rights vigilantesiscertainlymore atrauma thanavision ofparadise (...)1.

Le propos concerne l'immunité de juridiction des États, que d'aucuns 2,

contre une pratique dominante 3,entendent aussi voir céderen cas de violations

application devrait êtrelimitée auxseules violationsgraves du droit international(jus
cogens) ,t pourquoi elle n'engloberapas tous lefaitilliciteNul ne va jusqu'àsoutenir
une telleproposition ,ui reviendraià abandonner pour le tout le régime des immunités.
Celui-ci n'a en effet d'inttru'enrapport avec des faitillicitel'officedjugeétranger
n'ayant autrement pasà s'exercer.

C. Tomuschat, «Individual reparation claims in instances of grave human rights
violations: theposition under general internationallaw),, in A. Randelzhofer & C.
Tomuschat, Stateresponsibilityand theindividuReparatio in instanceofgrave violationof
htmnnrights, Martinus Nijhoff, 1999,pp. 1-25(pp.16-18) . oy. encoreC.Schreuer, State
immiinity:some recentdeveloptnentCs,ambridge,Grotius,1988,p. 200, qui craint "the
pursuit ofpartisan political end(p.60).
Voy.not. les référencescitéesen note p.45.
La jurisprudence des plus hautes juridictions est manifestement fixée dans le sens du
maintien de l'immunitéde juridiction des Étaétrangers m,êmeen cas de violation dujus
cogens :U.S. Court of Appeals,D.C.Circuit,1 July 1994, Princz v. Federal Reprtblicof
Gertnany1 ,03 ILR-604 (p.611),cert.denied1, 1S. Ct.923 (1995)U; .S.Court of Appeals,
Ninth Circiii, 2May 1992,Sidennnn de Blnkeand Othersv.Republicof Argentinaetal.,103
ILR 455, Cert.denied507U.S. 1017 (1993);U.S.Supreme Court, 23 January 1989A, rgentinegraves du droit international. Il est certain toutefois qu'il estnzutatismutandis

pertinent s'agissant de l'immunité pénaledes représentants étrangers, et que, la
Cour ne l'ignore pas, la mise en cause de celle-ci n'est bien souvent considérée
par ses opposants 1que comme une étape permettant de forger une prétendue
exception àl'immunité de juridiction des États en cas de violation du jus cogens.

Chapitre V.
INEXISTENCED'UNE OBLIGATION D'EXERCER UNE COMPÉTENCE

PÉNALE«UNIVERSELLE» AUSSI LARGE QUECELLE MISEEN OEUVRE
IN CASU

74. C'est en vain que la Partie défenderesse tenterait de justifier la violation
des droits souverains de la R.D.C. démontrée ci-dessus en invoquant
l'obligation 2dans laquelle est se trouverait d'exercer une compétence pénale
«universelle». Après avoir tout d'abord rappelé précisémentla spécificité dela

compétence mise en oeuvre en l'espèce par la Belgique, la démonstration de la
R.D.C. se fera en trois temps:

Republicv.AmeradaHessShippingCorporationet al., 81 ILR658,réformant lte la Court
of Appeals, Second Circuit, 11 September 1987, 79 ILR 8; U.S. Supreme Court, 23 March
1993,SaudiArabinand othersv.Nelson,100ILR545,réformant l'arte la CourtofAppeals,
EleventhCircuit, 21 February 1991,88 ILR 189.Pour une affaire plus récente,voy. encore
U.S. District Court, SouthernDistrict, New York,8 April 1997,Hirsch v. State of Israeland
StateofGermnny,113ILR543.
Voy. encore, s'agissant du Royaume-Uni: England, High Court,Qtieen'sBenchDivision,15

March 1995, Al-Adsaniv. Governmentof Kuwait and others, 103 ILR 420, réformant la
décisionde la Court ofAppenl(21January 1994,100 ILR465)qui autor-scontrairement
au premier jug- le demandeur à poursuivre son action contre le Koweit nonobstant les
termes du SIA.La décisiondu 15mars 1995de la High Courtfut confirméepar la Courtof
Appenlpar un arrêtdu 12mars 1996(107ILR536).La Cour y souligne que, bien qu'elle est
contraire au droit international, ltorture n'emporte pas d'elle-même l'absence
d'immunitéde l'Étatdéfendeur.
La pratique internationale confirme que les États n'entendent pas se priver mutuellement
de leurs immunités souveraines en cas d'accusation d'atteintes graves portées aux
particuliers. Ainsi, l'accord conclu entre les États-uet la République fédérale

d'Allemagne à l'occasion de la création, en juillet 2000, de la Fondation ~Erinneritng,
Verantzoortungund Zukunft),(visaàtcompenser les préjudicessubis par les personnes
détenues en camps de concentration et ayant été forcées de travailler) consacre
l'engagement des Etats-Unis de
4nkenppraprintestepsto oppanychallengetothesovereignitnmlinityoftheFedernl
RepliblofGermany withrespecttonnyclnimthntmaybeassertedagainsttheFederal
Repl~blcfGermanyconcerningtheconsequenceoftheNationnlSocinlisteraand World
WarII),(Agreement between the Govemment of the United States of America and
the Government of the Federal Republic of Germany concerning the Foundation
"Remembrance, Responsibility and the Future", Berlin, 17.7.2000,art. 3,s 4).
' A. Bianchi,~Immunity versus Human righ..»,op.cit.,pp. 262-266.

Voy. le Compte-rendu de l'audiencedu 21novembre 2000,11 etS.per E.David.i) il n'existepas d'obligation internationale imposant à la Belgique, ni au titre
de droit conventionnel, ni au titre du droit coutumier, ni sur base des
résolutions du Conseil de sécurité,de mettre en oeuvre une compétence

pénale «universelle» aussi large que celle qu'elle prétend devoir exercer en
l'espèce;
ii) il n'est pas certain que le droit international laisse la Belgique parfaitement
libre de faire ce qu'elle fait;
iii) en toute hypothèse, l'exercice par la Belgique de cette compétence

«universelle» viole les droits souverains de la R.D.C.

51. Spécificitéde la compétence«universelle» belge

75. Quelle est précisément la portée de la compétence "universelle" que
prétend devoir exercer la Belgique? Les traits spécifiques de cette compétence
doivent êtreclairement dessinés ici car, ainsi qu'il apparaîtra à la Cour, la
Belgique se distingue à cet égard de tous les autres Etats - ce dont elle ne

semble pas s'étonner.
Pas plus que sa prétention à s'appliquer à des faitsantérieurs à son entrée
en vigueur, la définition exacte des infractions visées par la loi n'est ici
directement en cause, le législateur ayant utilisé à cet égard les termes des
principaux instruments internationaux pertinents en la matière: conventions de

Genève de 1949 et Premier protocole additionnel de 1977, convention de 1948
relative à la prévention et la répression du crime de génocide et Statut de la
future Cour pénaleinternationale '.Ce qu'ilimporte plutôt de relever, c'estque
la loi belge permet d'attraire devant les juridictions pénales du Royaume toute

personne, quelle que soit sa nationalité, ayant commis l'une des infractions
relevant de son champ d'application rationemateriae L.'article 7 de la loi stipule
en effet:

«Les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions
prévues à la présente loi, indépendamment du lieu où celles-ci auront été
commises. Pour les infractions commises à l'étrangerpar un Belgecontre un
étranger, laplainte de l'étrangerou de sa familleou l'avisofficielde l'autorité
du pays où l'infraction a étécommise n'est pas requis».

Ce Statut est utilisépour définir les crimes contre l'humanité. La loi reprend toutes les
incriminations énoncéesce titre par le traitéde Rome de 1998,à i'exception de trois actes
énumérés par l'article 7 du Statut,constitutifs de crimes contre l'humanité lorsqu'ils sont
commis, comme les autres actes mentionnés, «dans le cadre d'une attaque généoulisée

systématique lancéecontreune population civile et en connaissance de cette attaque)). Ces
trois actes sont: ((disparitions forcées),;(<apartheid»;«autres actes inhumains de caractère
analogue causant intentionnellemende grandes souffrances ou des atteintes graves
l'intégritéphysique àula santémentale),. Les travaux préparatoires ne relèvent pas cette
omission et n'en donnent aucune justification. Il semble bien qu'elle s'explique seulement
par le fait que ces incriminations figuraiau verso d'une des pages des travaux
parlementaires, et que les députéset sénateurs ont, dans la précipitation et la manière
d'euphorie unanimiste qui présàdl'adoption de la loi, oubliéd'yporter leur a...ntion Rafionepersonae,il importe donc peu que la personne accusée ait ou non la
nationalité belge, qu'elle ait commis l'un de ces crimes sur le territoire national
ou àl'étranger, que ses victimessoient Belges ou étrangères,qu'elle soittrouvée

sur le territoire du Royaume ou qu'elle réside à l'étranger. Les travaux
préparatoires de la loi de 1993 indiquent que les tribunaux belges sont
compétents «mêmedans le cas où l'auteur présumé de l'infraction n'est pas
trouvé sur le territoire belge»1.C'est assurément ce dernier point, c'est-à-dire le
fait qu'il ne soit pas nécessaire que la personne accusée soit trouvée sur le

territoire belge, qui constitue la particularité la plus singulière de la loi. C'est
cette particularité qui explique que la compétence répressive belge entend, en
quelque sorte "s'exporter", par la délivrance et la diffusion internationale de
mandats d'arrêts, comme en l'espèce. On soulignera que le cas concernant le
ministre Yerodia n'est pas le seul dont le juge Vandermeersch a été saisi au-delà

des frontières du Royaume au titre de la loi, et que, selon la presse, il a
notamment reçu entre ses mains des plaintes et des constitutions de parties
civilesdirigées contre le président en exercice du Rwanda, Monsieur Kagame,
l'ancien président de la République islamique d'Iran, Monsieur Rafsanjani,
l'ancien président tchadien Hissène Habré,un ancien ministre de l'Intérieurdu

roi Hassan I...et qu'il a même,avant la promulgation de la loi de 1999 et au
titre d'une prétendue "coutumeinternationale", lancéun mandat international à
l'encontre de l'ancien chef d'État chilien, Monsieur Pinochet 2.
La question qui se pose dès lors est de savoir si l'État belge est tenu, en
droit international, d'exercer une compétencepénale «universelle»aussi élargie,

c'est à dire une compétence prétendant s'exercer même à l'encontre de
personnes qui ne se trouveraient pas sur le territoire national. Il ne saurait être
question, dans le cadre du litige dont est saisi la Cour, de s'interroger de
manière plus généralesur l'existence d'une éventuelleobligationinternationale
de poursuivre les personnes accusées de crimes de droit international et

trouvées sur le territoire national. Ce cas de figure ne relève en effet pas des
faitsqui sont àl'origine du différend dont elle est saisie.

132. Inexistence d'obligation conventionnelle d'exercer une compétence

«universelle» aussi élargie

A. Crimes de guerre

76. S'agissant des crimes de guerre commis lors d'un conflit armé

international, le fondement de l'exercice obligatoire d'une compétence
universelle serait à rechercher dans les articles 49/50/129/146 des conventions
de Genève de 1949 3,qui stipulent:

Doc.Pnrl.,Sénat, sess.1990-91, 1317-1,p. 16.
Civ. Bruxelles, ordonnance du 6 novembre 1998,et note critiquJ.Verhoeven,«M.
Pinochet, la coutume internationale et la compétenceuni\~erselle»,Journnl des Tribunnilx,
1999,pp. 308-315.
En ce sens, E. David, Principesdedroit desnrmés2eéd.,Bruylant, Bruxelles, no4.112 «Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes
prévenuesd'avoircommis,ou d'avoirordonné de commettrel'uneou l'autre de
ces infractions, et elledevra les déféreà ses propres tribunaux, quelleque soit
leur nationalité)).

S'iln'est pas contestable que ce texte emporte une obligation de réprimer
pénalement les crimes énoncés par ces conventions, indépendamment de la
nationalité de leur auteur, il est cependant difficile de considérer que cette
obligation ne serait pas limitée aux cas où les personnes accusées seraient
trouvées sur le territoire des l'État ainsi obligé. On comprendrait mal en effet

que l'obligation de «rechercher» ces personnes, en vue de les punir, puisse être
mise en oeuvre en-dehors du territoire national de chaque Partie contractante.
Une telle interprétation serait contraire au sens habituel des mots utilisés, qui ne
peuvent assurément pas être interprétéscomme signifiant que chaque Partie

aux conventions de Genève y trouve le fondement d'une autorisation qui lui
serait donnée de mener sur le territoire de toutes les autres Parties les
«recherches»judiciaires qu'appellerait une sanction effective des crimes qui y
sont prohibés. Rien, dans les négociations de ces conventions ou dans leur
application, ne suggère un tel sens, contraire aux termes non ambigus utilisés.

La version anglaise de ces conventions utilise le verbe «to searchfor», ce qui
indiquebien l'opération physique, et non pas intellectuelle, de «rechercher» sur
le territoire national les personnes suspectéesd'avoir commis de tels crimes. «To
search for» est tout autre chose que «to do research about» et renvoit

nécessairement, s'agissant d'autorités étatiques,au cadre spatial qui estle leur.
Seuls les États sur les territoires desquels les personnes accusées d'avoir
commis des crimes de guerre se trouvent sont donc obligés, par cet article
commun, de les y «rechercher» afin de les traduire devant leurs juridictions
répressives. Aucune obligation d'assurer la répression de ces crimes n'existe

dans le chef des États sur les territoires desquels ces personnes ne sont pas
présentes. Ceci est confirmé par la suite de l'article commun aux quatre
conventions, qui indique que chaque Partie contractante

«(...pourra aussi, si ellle préfère ,tselonles conditionsprévuespar sa propre
législation,lesremettre pour jugement à une autre Partiecontractanteintéressée
à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante aitretenu contre
lesditespersonnes des chargessuffisantes.))

Le fait que l'autorisation d'extrader la personne accusée vers une autre
Partie contractante ayant prinzafacie compétence soit donnée à l'État l'ayant
effectivement arrêtée, indique que les Parties contractantes eurent conscience

que les tribunaux de l'État sur le territoire duquel l'accuséfut arrêtén'étaient
pas nécessairement, et malgré l'obligation formulée, les mieux placés pour le
juger. Cette recherche d'un forunz conveniens n'en rappelle pas moins que

- -
et 4.196 eS.Voy. encore l'article 891, du Premier Protocoladditionnel de 1977qui
étend l'application de l'article commun de 1949aux infractions qu'il énonce.l'obligation de <<rechercher>>d,arrêteret de juger ne peut peser que sur l'État sur
le territoire duquel l'accusé se trouve, l'extradition supposant d'abord que la
personne soit arrêtée sur le territoire de la Partie qui a l'obligation de l'y
«rechercher». Les commentaires de cet article commun par le C.I.C.R.

soulignent que le verbe «rechercher» «impose une attitude active», mais
seulement dans le chef de la Partie contractante qui «a connaissance du fait qu'il
se trouve sur son territoire une personne ayant commis une telle infraction» 1.

77. S'agissant des infractions craves commises à l'occasion d'un conflit armé
non international, aucune obligation comparable n'est explicitement formulée.

On remarquera pourtant que la loi du 16 juin 1993 étend la compétence des
juridictions belges, même en l'absence des accuséssur le territoirenational, aux
crimes interdits durant les conflits armés internes. Cette extension de
compétence ne répond toutefois à aucune obligation conventionnelle
particulière.

B. Crime de génocide

78. S'agissant du crime de génocide, l'article VI de la Convention du 9
décembre 1948 relative à la prévention et la répression du crime de génocide

dispose:

«Lespersonnes accuséesde génocideou de l'un quelconque des autres actes
énumérés à l'article III seront traduites devant les tribunaux compétents de
l'Étatsur le territoire duquel l'acteté commiso ,u devant la cour criminelle
internationale qui sera compétenteà l'égard decellesdes Partiescontractantes
qui en auront reconnu lajuridiction».

Comme l'a rappelé le sénateur - et éminent internationaliste - Henri
Rolin à l'occasion de l'assentiment parlementaire donné en Belgique à la

convention de 1948,cet articleimpose à l'Étatlocidelicti,eà lui seul,l'obligation
de poursuivre les auteurs du crime de génocide, sans toutefois interdire aux
autres pays d'en faire autant 2.Si cet État n'est pas celui sur le territoire duquel
les personnes accusées se trouvent, il doit en requérir l'extradition. L'Etat
requis, sur le territoire duquel les personnes accusées se trouvent, doit en
principe donner suite à cette demande, étant entendu que les Parties

contractantes se sont entendues pour considérer que les crimes visés dans la
convention de 1948 ne sont pas «des crimes politiques pour ce qui est de
Ifextradition>>(article VII).Cet État, qui n'est pas celui sur le territoire duquel le
génocide a étécommis, n'est toutefois pas tenu, à lire les termes de la
convention de 1948, de soumettre àla compétence de ses tribunaux internes les

personnes accusées d'avoir commis l'un des actes qui y sont visés,alors même
qu'il serait en mesure de les juger.

C.I.C.RCornmentairdela ConventioIV,article 146, alinp.634.Nous soulignons.
Rapport du sénateurH. Rolin, DocPnrl,Sénat,sess. 1950-51,no286 et avis du Conseil
d'Etat annexé. La Cour n'a, semble-t-il, pas interprété différemment la convention de
1948.Son arrêtdu Il juillet 1996indique en effet:

((S'agissanenfin des problèmes territoriauxliéàl'applicationde la convention,
laCour relèvera quelaseuledisposition pertinente à ce propos, l'articleVI,se
contente de prévoirque lespersonnesaccuséesde l'undes actes prohibés parla

convention "seront traduites devant les tribunaux compétentsde l'Étatsur le
territoire duquel l'acteté commis..." ».

Il est vrai que, après avoir rappelé l'enseignement de son avis du 28 mai
1951relativement à l'objetet au but de la convention, la Cour écrit encore:

«Il enrésulteque les droits et obligations consacrpar laconvention sont des
droits et obligationserga omnes. La Cour constate que l'obligation qu'a ainsi
chaque État de préveniret de réprimerle crime de génociden'est pas limitée

territorialementpar la convention»2.

Ces termes ne peuvent toutefois pas être interprétés comme signifiant que
tout État, mêmenon locidelicti, aurait l'obligation de déférer à la compétence de
ses tribunaux pénaux toutes les personnes accusées d'avoir commis l'un des

actes visés dans la convention. Ils doivent en effet êtrelus au regard du passage
de l'avis du 28 mai 1951, rappelé par la Cour, et de la première phrase de
l'extrait de son arrêtdu 11 juillet 1996.La Cour y souligne en effet chaque fois,
notamment par le recours à la notion de droits et d'obligations erga omnes,que
tous les États, mêmenon parties à la convention de 1948, sont obligés par les

principes qui sont à la base de celle-ci, et que la condamnation universelle du
génocide qu'elle véhicule les obligetous à coopérerpour prévenir et réprimer ce
crime. Ceci ne saurait toutefois signifier que tous les États auraient
indistinctement la même obligation de punir les auteurs d'un génocide. La
ré~ression effective de celui-ci est en effet assuréepar l'obligation qui est faità

1'Etatlocidelict- età luiseul - d'en punir les responsables et par l'interdiction
faite aux États sur les territoires desquels les personnes accusées d'avoir commis
ce crime se trouvent de refuser leur extradition pour des motifs politiques. C'est
en ce sens, comme le souligne justement la Cour, que l'obligation de prévenir et
de réprimer le génocide «n'estpas limitéeterritorialement par la convention»:la

correcte application des principes énoncésdans la convention emporte que les
personnes accuséesde ce crime ne sont nulle part, en aucun territoire étatique, à
l'abri de poursuites pénales dirigéescontre elles à l'initiative de l'État locidelicti,
ou de la cour criminelle internationale dont la convention de 1948 envisageait
déjàl'institution.

C. Crimes contre l'humanité

C.I.J.IArrêtdu Il juillet 1996,Affcrireàl'applicationdelnconventionpoitrlnprhention
et ln répression du crime de génocide, (Bosnie-Herzégoe. Yougoslavie), Exceptions
préliminaires, Rec.,1996,pp. 615-616,s 31.Nous soulignons.
Ibid. 79. S'agissant des crimes contre l'humanité, aucune disposition
conventionnelle spécifique n'existe à propos du point évoqué. Certes, le
préambule du Statut de Rome de la future Cour pénale internationale indique,
'
en son sixième considérant, «qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à
sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux». Cette
disposition, énoncée sous forme d'un «rappel», ne saurait toutefois servir de
preuve à l'existence d'une obligation qui pèserait indistinctement sur tout État

de réprimer ces crimes, mêmelorsque les personnes qui sont accusées d'en
avoir commis ne se trouvent pas sur son territoire. Nonobstant le fait que ce
traité n'est pas encore entré en vigueur, il suffit pour s'en convaincre de
constater qu'il utilise la notion d'«État ayant compétence en l'espèce» (article
17). Cette notionn'est nulle part définie par le Statut. Il est clair toutefois qu'il

n'y aurait aucun sens à s'y référersi tous les États avaient l'obligation de se
déclarer universellement compétents pour réprimer les crimes définis par le
Statut de la Cour.

80. S'agissant de la torture, l'article 5 de la convention du 10 décembre 1984

contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants - à laquellela Belgiquen'a adhéréqu'aprèsla loi du 10février 1999
- stipule:

<cl. Tout Étatpartie prend les mesures nécessairespour établir sa compétence
aux finsde connaîtredes infractionsvisées àl'articl4 dans les cassuivants:
a) quand l'infractiona été commise sur tout teriitoire sous la juridiction dudit
Étatou à bord d'aéronefou de navires immatriculésdanscet État;
b) quand l'auteurprésumé de l'infractionesun re,ssortissantdudit État;
c) quand la victime est un ressortissant dudit Etat et que ce dernier le juge

approprié.,
2. Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établirsa
compétenceaux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur
présumé decelles-cise trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit
Etat ne l'extrade pas conformément à l'article8 vers l'un des États visésau
paragraphe ler du présent article.
3. La présente Convention n'écarte aucune compétence pénale exercée
conformémentaux loisnationales.»

Outre la recherche d'un certain forum convmiens, il ressort clairement de ce
texte que, sauf les critères classiques de territorialité, de nationalité active et de
nationalité passive (ici laissé à l'appréciation de chaque État 2)énoncésau

paragraphe 1, la convention entend limiter l'obligationqu'ont les États parties à
exercer une compétence «universelle» au seul cas où la personne accusée «se
trouve sur tout territoire sous [leur] juridiction». Encore faut-il constater que
cette obligation de juger n'existe que pour autantque l'Étaten question a décidé

' Voy. la loi d'assentiment du 9juin 1Monitairbelge,28octobre 1999p.40677.
Rappelons que le droit belge subordonne en ce cas lacompétence des juridictions
nationales au fait l'inculpéait éttrouvéenBelgique :uprrr,35.de ne pas extrader l'accusé vers l'un des États ayant compétence en vertu des
critères classiques rappelés au paragraphe 1. On ne peut donc se fonder sur
cette disposition pour justifier l'obligation dans laquelle se trouverait
prétendument la Partie défenderesse de faire ce qu'elle fait in casu, c'està dire
d'étendre l'exercice de sa compétence pénale à une personne qui ne se trouve

pas sur son territoire. Certes, les termes du paragraphe 3 de cet article ne
paraissent pas interdire l'affirmation d'une telle compétence pénale. On
reviendra plus loin sur cette apparente liberté.

81. L'article5 de la convention de 1984 contre la torture est l'occasion de
rappeler, ainsi que l'ont souligné dans leur déclaration commune les Juges

Evensen, Tarassov, Guillaume et Aguilar Mawdsley sous l'ordonnance du 14
avril 1992 rendue dans l'affaire de Lockerbie, qu'«il n'existe pas en droit
international général d'obligation de poursuite à défaut d'extrader» 1. En
d'autres termes, la demande d'extradition qui pourrait être formulée par la
Belgique ne ferait en rien naître dans le chef de la R.D.C. une obligation de
poursuivre devant ses tribunaux les personnes visées par cette demande si elle

décidait de la décliner. Cette obligationne pourrait découler que d'obligations
préexistantes à charge de la R.D.C.. Plus fondamentalement, l'obligation
conventionnelle aut dedere auf judicare, incorporée dans «une dizaine de
conventions internationales conclues depuis 1970 sous l'égide des Nations
Unies» 2,rappelle que l'obligation de juger les personnes accusées d'avoir
commis les infractions qui y sont visées ne saurait exister, hors les critères

classiques de la compétence pénale, que dans le chef de l'État sur le territoire
duquel elles se trouvent et que pour autant que ledit État ait décidé dene pas
procéder à leur extradition vers l'un des États ayant compétenceen l'espèceen
vertu de l'un de ces critères classiques (territorialité, personnalité
active/passive). Il est clair qu'aucune obligation de poursuivre ne peut existerà
charge de l'État sur le territoire duquel les accusésne se trouvent pas, dès lors

que la question de leur extradition ne se pose qu'après qu'ils aient été
appréhendés sur un territoire national et que l'obligation de les juger ne naît
pour l'Étatdu for que pour autant que leur extradition a été refusée.La règle nut
dedere aut judicare ne donne donc un titre de compétence pénale obligatoire,
dérogatoire au droit commun, qu'au seul État sur le territoire duquel les accusés

furent trouvés et à la condition qu'ils ne soient pas extradés par ce même État
vers un for plus convmiens.

' Déclaration commune de MM. Evensen, Tarassov, Guillaume et Aguilar MawdslRec.,
1992p.136,F,2.
Ibid.,F,3.§3: Inexistence d'obligation coutumière d'exercer une compétence
«universelle» aussi élargie

82. La prétendue obligation internationale à laquelle la Partie défenderesse
estime dortner exécutiondans le casd'espèce existerait-elle en droit coutumier? Le
droit conventionnel analysé ci-dessus n'est à l'évidence d'aucun secours pour

établirla preuve d'une pratique généraleet constante acceptéecomme étantde
droit à cet égard,puisque, on vient de le montrer, ce droit ne consacre pas une
obligation aussi large. Les textes visant, comme le projet de code des crimes
contre la paix et la sécuritéde l'humanitéadopté en 1996par la Commission du
droit international, à codifier le droit international généralrappellent les

solutions présentées ci-avant: l'obligation d'arrêter et de juger les individus
accusésd'avoir commis certains crimes internationaux n'existe qu'à charge de
l'Étatsur le territoire duquel ceux-ci sont appréhendés, et dans la mesure où cet
État renonce à les extrader vers un for ayant compétence en vertu des critères

classiques de l'exercice de la compétence pénale (territorialité, personnalité
active, voire passive) l.Il est clair que l'extradition doit se faire en ces cas vers
un État enormalement>>compétent.

83. L'affaire Eichmann, qui ne fut pas sans susciter certaines frictions

diplomatiques de par les circonstances de l'enlèvementenArgentine de l'ancien
officier nazi, paraît insuffisante pour donner naissance à une coutume
internationale qui obligerait tous les États à poursuivre les étrangers ne se
trouvant pas sur leur territoire et n'y ayant pas commis les crimes de droit

internationalqui leur sont reprochés. Il est clair que ce cas, qui demeure isolé,
répond à une situation historique tout à fait particulière et que l'État d'Israël
constituaitincontestablement un forum conveniens.

84. Enfin, la compétence«universelle» existant en cas depiraterie n'affaiblit en

rien ce qui vient d'êtresouligné,puisque si tout État peut saisir en haute mer un
navire pirate, seuls les tribunaux de l'État qui a opérécette <<saisiepeuvent se
prononcer sur la peine àinfliger» *.

1
Voy. l'article9 du projet de code des crimes contre la paix et la sécuritéde l'humanité
adoptéen 1996par la C.D.I., citépar la Partie défenderesse lors de ses plaidoiries sur la
demande d'indication de mesures conservatoires (Compte-rendude l'audience du 21
novembre 2000,55 11 eS.,pu E. David). Le commentaire de cet article indique bien que
l'obligationformuléen'existequ'à charge«custodinlStntn'extradant pas.
Article105de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre
1982.54: Inexistence d'obligation déduite des résolutions du Conseil de
sécuritéd'exercer une compétence «universelle» aussi élargie

85. Les différentes résolutions et déclarations du Président du Conseil de
sécurité invoquées par la Partie défenderesse lors des plaidoiries relativesà la
demande d'indication de mesures conservatoires et reproduites dans son
dossier de pièces déposé à cette occasion condamnent les violations du droit
international humanitaire commises par les différentesparties impliquées dans

le conflit armé international se déroulant en République démocratique du
Congo, leur demandent de respecter ce droit et de permettre qu'une enquête
internationale soit menéesur certains événements afin que les responsables de
ceux-ci soient traduits en justice. On ne saurait toutefois déduire de ces
résolutions l'existence d'une obligation, dans le chef de la Belgique, de lancer,
comme elle l'a fait en l'espèce,un mandat d'arrêtinternational àl'encontre du

ministre Yerodia afin de le traduire devant ses tribunaux. La demande de
traduire les responsables de ces crimes devant les tribunaux qui est formulée
par ces résolutions est en effet adressée aux États de la régionimpliqués dans le
conflit, et uniquement à eux. Il faut rappeler ici que la Partie demanderesse n'a
jamais contesté devoir procéder à l'inculpation et au jugement de ses

ressortissants soupçonnés d'avoir commis des violations du droit international
humanitaire.

§5. La Belgique est-elle libre d'affirmer et d'exercer une compétence
«universelle»aussilarge?

86. Dèslors qu'aucune obligationinternationale n'oblige la Belgique àfaire ce
qu'elle a fait en l'espèce, peut-on pour autant considérer que le droit
international lui laisseàcet égard toute liberté d'action? À la lumière de l'arrêt
Lotus prononcé par la Cour permanente de Justice internationale 1,on peut a

prior le penser, dès lors que le droit international général ne paraît pas
formellement interdire une telle affirmation de compétence «universelle»aussi
élargie,Le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention de 1984contre la torture
citéeci-avant le donne notamment à penser. Au mieux, les lois de 1993 et de
1999 pourraient donc être considérées comme des manifestations

hypertrophiques de la souveraineté de la Partie défenderesse. Ceci ne laisse pas
d'êtrequelque peu paradoxal dès lors que le législateur belge eut l'intention,
par ces lois exorbitantes, de, pourrait-on dire, «percer le voile» de la
souveraineté d'États étrangers derrière laquelle se seraient, selon lui, protégés
abusivement les auteurs crimes internationaux. En réalité,au lieu de combattre

C.P.J.I., arrêtn09, 7 septembre 1927, sérieA: «Loin de défendre d'une manière générale
aux États d'étendre leurs lois et leur juridictionsonnes, des biens et des actes
hors du territoire, ilroit international] leur [aux Étatàcet égard, une large
liberté,qui n'est limitéequedans quelques cas par des règles prohibitives; pour les autres
cas, chaque État reste libre d'adopter les principes qu'il juge les meilleurs et les plus
convenables)) (p. 19).les abus d'une souveraineté, ces lois entendent substituer celle de la Belgique à
celle de l'État <matUrellement>h >abilité à juger les auteurs de ces crimes.

87. En cela, on peut douter de la parfaite licéitéde principe d'une telle
prétention à attraire devant ses juridictions répressives des ressortissants
étrangers ayant commis à l'étranger des violations du droit international

humanitaire lorsque ces personnes ne se trouvent pas sur le territoire de l'État
poursuivant. Une telle prétentionparaît en effet contraire àla fois

i)à l'opinio juris qui se dégage des différentes législations nationales

permettant de poursuivre les auteurs étrangers des crimes de droit
international commis à l'étranger,et
ii)à l'obligation qui s'impose à la Belgique, État ayant signé et ratifié le

Statut de Rome portant créationde la Cour pénale internationale, de s'abstenir
d'actesquiprivent ce traitédeson objet et de son but.

A. L'OpinioJuris se dégageant d'autres législations

88. Ainsi que la R.D.C. l'a soutenu devant la Cour lors de sa plaidoirie du 20
novembre 2000, le droit français subordonne la poursuite et le jugement en

France des personnes accusées d'avoir commis des crimes réprimés par
certaines conventions internationales, dont la convention de 1984 contre la
torture citée ci-dessus (supra, @O), ou d'avoir commis des crimes pouvant
relever de la compétence des Tribunaux pénaux internationaux institués par le

Conseil de sécurité, à la circonstance que ces personnes soient trouvées en
France 1. Il n'est pas sans importance de relever que cette circonstance, de pur
bon sens, fut expressément retenue par les lois 95-1 et 96-432 alors qu'un

amendement parlementaire tendit à supprimer cette condition. Le rejet de cet
amendement manifeste l'opiniojuri du législateur français qui tient l'exercice
d'une compétence «universelle» en l'absence de la présence de l'accusésur le
territoire national pour abusive.

89. Le Canada, État égalementtrès actif dans ce secteur du droit international,
s'estrécemment doté d'une «loi sur les crimes contre l'humanitéet les crimes de

guerre» 2. Aux termes de l'article8 de la loi, l'auteur d'une des infractions visées
par cette loi et commise àl'étrangerpeut être poursuivipour cette infraction au
Canada «sil'une des conditions suivantes est remplie»:

- - - - - - -
Voy. le Compte-rendu de l'audience du 20 novembre 2000,per Me J. Vergès, p. 24 et S.,
citant l'article 689-1 du Code de procédure pénale et les lois 95-1 et 96-432 relatives à
l'adaptation de la législation francaise aux dispositions des résolutions 827 et 955 du
Conseil de sécurité instituantles Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie

et pour le Rwanda. Voy. sur la loi 95-1 et le rejet de l'amendement dont question ci-
dessous:Cl. Lombois, ((Dela compassion territoriaRm.,SC.crim., 1995,pp. 399-403.
Gazette du Canada, PartieI,9 août 2000,vol. 23,n03.Voy. les documents déposés. «a) àl'époque:
(i) soit lui-même est citoyen canadien ou employé au service du
Canada à titre civil ou militaire,

(ii)soit lui-même est citoyen d'un État participant à un conflit armé
contre le Canada ou employé au service d'un tel État à titre civil ou
militaire,
(iii) soit la victimeest citoyen canadien,
(iv) soit la victime est un ressortissant d'un État alliédu Canada dans
un conflit armé;

b) après la commission présumée de l'infraction, l'auteur se trouve au
Canada» 1.

Ceci confirme, si besoin en était, que le Canada - pas plus que la France
d'ailleurs - ne se considère, comme le soutient à tort la Partie défenderesse

pour sa part, obligépar une prétendue règle de droit international d'exercer une
compétence répressive dans ces matières lorsque l'auteur étranger de crimes
internationaux commis à l'étranger se trouve à l'étranger. Cette loi confirme
bien au contraire que les États considèrent qu'ils ne peuvent soumettre à la
compétence de leurs tribunaux pénaux les auteurs de tels crimes commis à
l'étrangerquepour autant qu'ils se trouvent sur leur territoire national.

90. Une telle opinio juris, partagée par le Secrétaire généralde 1'O.N.U. * et
dont témoignent encore d'autres législations nationales qu'il est inutile de
rapporter ici, se comprend sans peine. D'une part,.elle est conforme aux règles
habituelles des pays de common law où le procès par défaut et la condamnation

par contumace sont inconnus. Iln'est pas sans importance de relever que les
Tribunaux pénaux internationaux institués par le Conseil de sécurité,ainsique
la future Cour pénale internationale,sont régispar les mêmes principes. Ainsi,
la circonstance que le droit belge n'interdit pas le procès par défautet permet la
condamnation par contumace rend d'autant plus difficilement acceptable la

prétention véhiculéepar les lois de 1993et 1999d'attraire devant les juridictions
pénales du Royaume des étrangers se trouvant à l'étranger puisque l'insuccès
des démarchesvisant àobtenirleur extraditionn'interdit pas de les condamner.
D'autre part, cette opiniojuris reflète le souci des États d'établir entre eux un
certain ordre entre leurs compétences répressives, qui réfléterait le plus

Nous soulignons.
Rapport du Secrétairegénéralsur «Lesenfants et les conflits armés),,19juillet 2000,
A/55/163-S/2000/712:
«§63. En outre, et cela est aussi important, par suite d'une évolution récentedu droit
international, les États sont désormais habilitésr leur compétencejuridictionnelle
sur les personnes soupçonnées de crimes graves au regard du droit international
trouvent sur leur territoire, quels que soient l'endroit où les crimes ont été commiset la
nationalité du suspect ou des victim-set ily sont parfois obligés.Les crimes pour
lesquels cette compétence universelle peut êtreinvoquée sont notamment les violations
graves des Conventions de Genève et les violations de la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants)).Nous soulignons.certain ordre entre leurs compétences répressives, qui réfléterait le plus

adéquatement possible la recherche d'un forum conveniens. Il est clair en effet
que, en l'absence de règles de conflits de juridictions, de connexité et de
litispendance internationales en matière pénale, la multiplication des «prises»
de compétences <<universelles>> aussi larges que celle prévue en droit belge
conduirait à une «monstrueuse cacophonie» 1. Ce désordre ne peut être

prévenu que par l'exigence de la présence de l'accusésur le territoire de l'État
poursuivant. Cette condition à l'exercicede la justice pénale d'un État n'est pas
seulement, répétons-le, de pur bon sens. C'est aussi la seule susceptible de
permettre à tous d'exercer effectivement leur compétence «universelle». En
outre, c'est la seule condition qui soit nécessaire pour assurer la répression

effective des crimes internationaux. La Partie demanderesse soutient que le
respect de cettecondition est une exigence de l'ordre juridique international.

B. Obligation de ne pas priver le Statut de la C.P.I. de son objet et de
son but

91. Telle qu'elle est formulée par sa législation, la compétence <<universelle>>
de la Belgique est incompatible avec l'obligation qui s'impose à elle, en tant
qu'État ayant signé et ratifié le Statut de Rome portant création de la Cour
pénale internationale, de s'abstenird'actesqui priveraient ce traitéde son objet
et de son but (article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités).Il

est en effet clair que la <<prisee>t l'exercice d'une telle compétence répressive
aussi large rend inutile l'institution d'une juridiction pénale internationale
permanente. Dès lors que, pour reprendre les mots utilisés par l'article 17 du
Statut déjàcité,la Belgique serait toujours, vu sa législation, un <<Étatayant
compétence en l'espèce,>,la Cour pénale internationale ne pourrait jamais

exercer sa compétence pénale. Il faut en effet rappeler que celle-ci est, selon le
préambule et l'article ler de son Statut, «complémentaire» (en anglais:
<<complementnry> d)s juridictions pénales nationales 2.Cette complémentarité
suppose nécessairement que la future Cour pénale internationale soit en mesure
de juger des personnes que les juridictions des États parties au Statut ne

peuvent pas juger (problème de l'immunité exposé ci-avant) ou à l'égard
desquelles elles n'ont pas de compétence. Si un seul de ces États parties estime
être compétent en toutes circonstances, cette complémentarité devient
inexistante et l'institution de la Cour pénale internationale perd tout sens et
toute utilité.
La Partie défenderesse s'étonnera sans doute de cet argument, alors qu'elle

a activement participé à la négociation du Statut de Rome et qu'elle a eu
l'intention, par la loi du 10 février 1999, de se conformer par avance aux
obligations qui découleront pour elle de l'entréeen vigueur de ce Statut. Il faut

.J. VERHOEVEN, «M. Pinochet, la coutume internationet la compétence universelle^^,
JI, 1999,p.315.
Tandis que les Tribunaux pénaux institués par le Conseil de sécuritéont la primauté sur
lesjuridictions nationales. La Partie défenderesse s'étonnera sans doute de cet argument, alors qu'elle

a activement participé à la négociation du Statut de Rome et qu'elle a eu
l'intention, par la loi du 10 février 1999, de se conformer par avance aux
obligations qui découleront pour elle de l'entréeen vigueur de ce Statut. Il faut
craindre toutefois que le rôle «complémentaire» de la C.P.I. par rapport aux

juridictions nationales fut profondément mal compris par le législateur belge.
Tant les travaux préparatoires de la loi du 10février1999dont il est ici question
que de la loi du 25 mai 2000 'portant assentiment au Statut de la C.P.I.
indiquent en effet que, selon le législateur belge, la future Cour pénale
internationale ne serait pas «complémentaire» mais «subsidiaire» par rapport

aux juridictions nationales 2.La méprise est d'autant plus manifeste que ces
deux termes sont parfois utilisés alternativement dans ces travaux
préparatoires, comme s'ils étaient synonymes 3. Il tombe pourtant sous le sens
que le caractère prétendument «subsidiaire» de la C.P.I. par rapport aux

juridictions pénales nationales est tout autre chose que le rôle
«complémentaire»que lui assigne le Statut. Si la Cour devait être «subsidiaire»
et non <<complémentaire»,son rôle serait limitéaux cas dont les États parties,
étant en toutes hypothèses compétents, décideraient de se désintéresser. .. ce

qui ne manquerait pas d'être contradictoire avec le prétendu «devoir» qui serait
le leur de réprimer «universellement» de manière aussilarge les crimes de droit
international. Le caractère «complémentaire» de la Cour signifie par contre
qu'elle est là pour faire ce que les États ne peuvent pas faire, n'ont pas vocation

à faire ou ne font pas bien. La méprise du législateur belge, aussi contraire à
l'objet et au but du Statut de la C.P.I. qu'elle soit, se comprend toutefois
aisément vu la portée qu'ilentend assigner à sa compétence«universelle»: dans
sa «logique», il est clair que la future Cour ne pourrait en effet qu'avoir un rôle

parfaitement «subsidiaire» par rapport aux juridictions nationales 4. Cette
«logique» n'étant manifestement pas celle du traitéde Rome que la Belgique a
signéet ratifié,il importe de constater que la Belgique est en devoir, au sens de
l'article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, de s'abstenir

d'actes qui privent ce traité de son objet et de son but, dans l'attente de son

Moniteur bels ler décembre2000,p. 40367.
Voy. not.Doc.Parl.,Sénat, sess. 1999-2000,2-329/Exposédesmotifs,§7:«L'objectifde la
Convention est d'instituer une Cour permanente chargée de la répression des violations
les plus graves du droit international humanitaire commises par des personnes
physiques. La juridiction de la Cour aura un caracts~lbsidinpar rapport àcelle des
juridictions répressives nationales»; 520 «Ce sont notamment ces articles [ndlr: il s'agit

des articles17 19du Statut] qui soulignent le caracsllbsidiaide la Cour par rapport
aux juridictions nationales». Nous soulignons.
Ibid.521:41 découledu caractère slibsidinde la Cour que le Statut invite indirectement
les États partieà modifier leur droit interne afin de rendre leurs juridictions pénales
compétentes pour connaître des faits relevant de la compétence de la Cour elle-même.Il
ne s'agit toutefois pas d'une obligation, mais d'une conséquencelogique de la règlede la
complérnn~tnr iéla Cour par rapport aux tribunaux intemes». Nous soulignons.
En ce sens, P. d'Argent, ov. cit.,p. 555.entréeen vigueur. Il faut souligner que la R.D.C. a signéle Statut de Rome le 8
septembre 2000.

§6. L'exerciceillicite d'uneprétendueliberté

92. En toute hypothèse, mêmesi l'on considère que la Belgique, tout en n'étant
pas obligée de mettre en oeuvre une compétence pénale «universelle» aussi
large, demeure libre d'affirmer une telle compétence, encore faudrait-il
constater que la manière dont elle exerce cette compétence emporte in casu une
violation flagrante du droit international au détriment de la R.D.C., à savoir
l'atteinte portéeà l'inviolabilité et l'immunité pénale absolues de son ministre
des Affaires étrangères(supra, $551 et S.). QuatrièmePartie :

PRÉCISIONSRELATIVESÀ

L'OBJETDE LADEMANDE

93. Ainsi qu'il a étéprécisédès l'introduction de ce mémoire (supra,§7),la
R.D.C. demande à la Cour de dire et juger:

- qu' en émettant et en diffusant internationalement le mandat d'arrêt du 11
avril 2000 délivré à charge de Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi, la
Belgique a violé, à l'encontre de la R.D.C., la règle de droit international
coutumier relative à l'inviolabilitéet l'immunitépénale absolues des ministres

des Affaires étangèresen fonction;

- que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce fait
constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparerle dommage
moral qui en découledans le chef de la R.D.C.;

- que la violation du droit international dont procèdent l'émissionet la diffusion

internationale du mandat d'arrêt du 11 avril 2000 interdit à tout État, en ce
compris la Belgique, d'y donner suite;

- que la Belgique est tenue de retirer et mettrà néant le mandat d'arrêtdu 11
avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles ledit
mandat fut diffusé qu'elle renonce à solliciter leur coopération pour l'exécution
de ce mandat illicite suite l'arrêtde la Cour.

94. Il n'est pas nécessaire de s'étendrelonguement sur la demande relative àla
constatation solennelle par la Cour du fait illicite reproché àla Belgique. Cette
forme de satisfaction, mode de réparation du préjudice moral causé à la
souveraineté de la R.D.C., est en effetbien connue en droit international.

95. 11est par contre utile de s'arrêterun instant sur les demandes relativesà
l'incidence du fait illicite reprocàéla Belgique sur le mandat d'arrêtlitigieux.
L'illicéitéflagrante dont procèdent son émission et sa diffusion internationale
entache irrémédiablement de nullitéle mandat d'arrêtdu 11 avril 2000, de telle
manière qu'aucune suite ne peut lui êtredonnée, ni par la Belgique, ni par
aucun État. Il en découle logiquement que la Belgique doit mettre à néant cet

acte illicite et informer les États dont elle a sollicitéla collaboration àuson
exécution que celle-ci ne leur est plus demandée. La demande vise donc àfaire
disparaître complètement le fait illicite et ses conséquences, ainsi qu'à remettre
les choses dans leur pristin état,ce que la satisfaction sollicitéepar ailleurs ne
suffit pas réaliser. Il ne saurait être soutenu que le changement puis la fin des fonctions
ministérielles de Monsieur Yerodia emporterait par lui-mêmela cessation du

fait illicite de la Belgique, de telle manière que le mandat litigieux ne serait plus
actuellement illicite et que, dèslors, il n'y aurait pas lieu de le mettre ànéantet
d'en informer les autorités étrangèresdont la collaboration fut sollicitéequant à
son exécution. Il demeure en effet qu'au moment où il fut émis et diffusé, le
mandat d'arrêtprocédait d'une violation flagrante d'une règle élémentairedu

droit des gens. Cette illicéitéétant inhérente à l'acte, elle ne saurait disparaître
tant que celui-ci demeure. En outre, la questionn'est pas tant de savoir si le fait
illicite perpétrépar la Belgique est continu et doit cesser, mais de déterminer
les mesures concrètes qui s'imposent au débiteur de responsabilité pour rétablir

la situation qui aurait existési son fait illicite n'avait pas été commis.Il est clair
à cet égard que les conséquences du fait illicite de la Belgique ne seraient pas
dûment effacéessi le mandat d'arrêt,intrinsèquement illicite, n'était pas retiré
et mis à néant, et si les autorités étrangères dont la coopération fut sollicitée
n'étaientpas informéespar la Belgique du fait qu'elle renonce à leur demander

d'exécuterle mandat litigieux, vu son illicéité constatéepar la Cour.

96. La Partie demanderesse se réserve le droit de faire valoir tout moyen de
droit et argument supplémentaires à l'occasion des plaidoiries orales. Elle
entend aussi se réserver le droit de saisir à nouveau la Cour de tout nouveau
litige qui pourrait naître entre elle et la Belgique quant à l'émission et la

diffusion internationale éventuelles d'un nouveau mandat d'arrêt à charge de
Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi.

Mêmesi, comme l'a souligné Monsieur le Juge Francisco Rezek dans son Opinion
dissidente joinàl'ordonnance du 8 décembre2000 et qui ne semble pas contredit sur ce point
par la majoritéde la Cour, la délivrancedu mandat d'arrêt<<elt'aideque le Gouvernement belge
apporteà son exécution,constitue une restriction continueet permanente au plein exercice de la
fonction publique de la personne en cause, ainsi qu'une atteinte vexatoire, elle aussi continue et
permanente, àla souveraineté de l'Étatdemandeur)). CONCLUSIONS

97. À la lumière des faits et des arguments exposés ci-dessus, le
Gouvernement de la République démocratique du Congo prie la Cour de dire

et juger:

1. Qu'en émettant et en diffusant internationalement le mandat d'arrêtdu 11
avril 2000 délivré à charge de Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi, la
Belgique a violé, à l'encontre de la R.D.C., la règle de droit international
coutumier relative à l'inviolabilitéet l'immunitépénale absolues des ministres

des Affaires étangèresen fonction;

2. Que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce fait
constitueune forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le dommage
moral qui en découledans le chef de la R.D.C.;

3. Que la violation du droit international dont procèdent l'émission et la
diffusion internationale du mandat d'arrêtdu 11 avril 2000interdità tout État,
en ce compris la Belgique, d'y donner suite;

4. Que la Belgique est tenue de retirer et mettre à néantle mandat d'arrêt du 11
avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles ledit

mandat fut diffusé qu'ellerenonce à solliciter leur coopération pour l'exécution
de ce mandat illicite suitel'arrêtde la Cour.

(Signé )acques MASANGU-a-Mwanza

Agent du Gouvernement de la République
démocratique du Congo

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Document Long Title

Mémoire de la République démocratique du Congo

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