Résumés des arrêts, avis coDocument non officielnces de la Cour
internationale de Justice
AFFAIRE DELA SENTENCEARBITRALE RENDUE
PARLE ROI D'ESPAGNELl'i~~'DECEMBRE 1906
Arrêt du 18 novembre1960
L'Affaire de la sentence arbitrale rendue par le Roi thalweg du Poteca ou Bodegajusqu'à sajonction avec
d'Espagne le23décembre1906,concernant ladélimita- le (3uineo ou Namasli pour finir au portillo de Teote-
tion de la frontière entre le Honduras et le Nicaragua,cacinte, le sitio du mêmenom demeurant sous lajuri-
avait étéintroduite par le Honduras contre le Nicara- diction du Nicaragua.
gua par voie de requête déposélee lCjruillet 1958.Le
Honduras demandait àla Cour de dire et juger que le IdeMinistre des affaires étrangèresdu Nicaragua a,
Nicaragua est tenud'exécuterlasentence; leNicaragua darisune note du 19mars 1912,contestéla validitéet le
lui demandait de dire et juger que laCcisiondu Roi caractère obligatoire de la sentence. De là est néun
d'Espagne n'a paslecaractère d'une sentencearbitrale différendentre les parties. Après d'infructueuses ten-
obligatoire et qu'elle n'est en tout cas pas susceptibleatives de règlementpar voie de nCgociationsdirectes
d'exécution.Par 14voix contre une, laCour a dit que la ou de mkdiation, l'organisation des Etats américainsa
sentence est valable et obligatoire et que le Nicaraguaétéamenée à se saisirdu différend,que le Honduras et
est tenue del'exécuter. le Nicaragua se sont engagésà soumettre à la Courpar
accord conclu àWashington le 21juillet 1957.
ration;sir ~erci Spender, juge, ajoiàl'arrêt l'exposé
de son opinionindividuelle et M. Urrutia Holguin,juge
ad hoc, l'exposéde son opinion dissidente.
Le Honduras prétend qu'il existe une présomption
du caractère obligatoirede la sentence, attendu qu'elle
présente extérieurement toutes les apparences de la
Dans son arrêt,la Cour constate que le Honduras et régularitéet qu'elleaétCprononcée après que lespar-
le Nicaragua ont conclu le 7 octobre 1894 untraité, ties eurent eu toute liberté d'exposer leurs thèses res-
dénommétraité Gamez-Bonilla, par lequel une Com- pectivesdevant l'arbitre; il soutient que le Nicaragua a
mission mixte des limites était chargée de tracer leur la charge de renverser cette présomptionen apportant
frontière commune(article I), en se conformant à cer- la preuvede la nullitéde la sentence. Le Nicaragua fait
taines règles(article II). Les points que la Commissiondevoird'établir quelapersonne dontémaneladécisionle
ne résoudraitpas seraient soumisàunTribunalarbitral
composé d'un représentant de chacun des deux pays, Ctaitrevêtuede la qualitéd'arbitre et il allègueque le
ainsi qued'un membre du corpsdiplomatique accrkdité Roi d'Espagne n'était pas revêtude cette qualité.
au Guatemala élu par les précédents (articleIII). Au En premier lieu, le Nicaragua soutient que les for-
cas où le représentant diplomatique déclinerait cette malitésprescrites aux articles III et Vdu traitéGamez-
charge, l'électionserait répétée; lmembres du corps Bonilla n'ont pas étéobservées pour la désignation
diplomatique épuisés,ellepourraitporter surtouteper- du ]Roid'Espagne comme arbitre. II ressort du dossier
sonnalitépublique étrangèreou d'Amériquecentrale que les deux arbitres nationaux ont désigné comme
et, sicelaserévélaitimpossible,lespoints controversés troisièmemembre du Tribunal arbitral le Chargé d'af-
seraient soumis au Gouvernementd'Espagne ou, àdé- faires du Mexique en Amérique centrale (1899), puis
faut de celui-ci,tout autregouvernementd'Amérique le Ministre du Mexique en Amériquecentrale (1902),
du Sud (article V). La décision arbitrale serait con- maisqueceux-ciont successivementquittéGuatemala.
sidéréecomme un traité parfait, obligatoire,perpétuel Puis, le 2 octobre 1904,les deux arbitres nationaux se
et sans recours (article VII). Enfin, ce traité devait sont réunis avec le Ministre d'Espagne en Amérique
êtresoumis aux ratifications constitutionnelles (arti- centrale qu'ils ont désigné"pour êtreleur président,
cle VIII) et avoir une durée dedix années (articleXI). afinde seconstituer en séancepréparatoireduTribunal
La Commission mixte a réussi à fixer la frontière arbitral", et, "d'un commun accord, après les forma-
depuis la côte du Pacifiquejusqu'au portillo de Teote- lités prescrites aux articles III et IV du traitéz-
cacinte mais, à partir de ce point jusqu'à la côte de Bonilla", ils ont désigné comme arbitre le Roi d'Es-
l'Atlantique, elle n'a pu que constater son désaccord pagne. La Cour conclut que les formalités prescrites
(1900-1901).Pour cette dernièrepartiede lafrontière,le par letrait6 Gamez-Bonilla, tel qu'ilétaitinterprétépar
Roi d'Espagne a rendu le 23 décembre 1906une sen- lescleuxarbitres nationaux,avaient bien étobservées.
tence arbitrale dont le dispositif définit comme point Par la suite, les Présidents du Honduras et du Nica-
extrême limitrophecommun sur lacôtede l'Atlantique ragua ont expriméleur satisfaction de la désignationdu
l'embouchure du bras principal du fleuve Segovia ou Roi d'Espagne (6 et 7 octobre 1904),l'acceptation de
Coco, entre Hara et l'îlede San Pio ou se trouve le cap celui-ciaétécommuniquéeauxdeux pays le 17octobre
Gracias a Dios; à partir de ce point, la frontière doit 1904et le Ministre des affaires étrangères du Nicara-
suivre le thalweg du Segovia ou Coco vers l'amont gua en a exprimésa reconnaissance au Ministre d'Etat
jusqu'à son confluent avec lePoteca ou Bodega, puis le espagnol par note du 21 décembre 1904.Dans ces con-ditions, la Cour ne peut conclure à l'invaliditéde la dû disposer assez rapidement du texte complet de la
désignationdu Roi d'Espagne comme arbitre. sentence puisque celui-ci a étépublié à son journal
E3nsecond lieu, le Nicaragua allègue qute le traité officiel le 28janvier 1907.Mêmealors, le Nicaragua a
Gainez-Bonilla était arrivéà expiration lorsqi~ele Roia continué à manifester son acceptation. àcette réserve
acceptéla fonction d'arbitre (17 octobre 1904);il sou- prèsqu'il désiraitobtenir l'éclaircissementde certains
tierit que le traité est entré en vigueur à la date de points de manière à faciliter l'exécutionde la sentence
sa signature (7 octobre 1894)et qu'en vertu de son i:messagedu Président duNicaragua àl'Assemblée na-
articleXI il était arrivà expiration le 7 octobre 1904. tionale législative du 1" décembre 1907. rapport du
Le Honduras répondque letraité n'estentréan vigueur :Ministredes affaires étrangères à l'Assemblée natio-
qu'à l'échangedes ratific:ïtions (24décembre 1896)et a nale législativedu 26 décembre 1907, décret de l'As-
donc expiréle 24 décembre 1906.Le traiténe contient !;embléenationale législativedu 14janvier 1908,etc.).
aucune disposition expresse concernant la date de son En fait. le Roi d'Espagne n'a reçu aucune demande
entrée en vigueur, mais,.eu égard à ses dispositions ~J'éclaircissementet ce n'est que le 19mars 1912que le
relativesà l'échangedes ratifications. laCourest d'avis :Ministredes affaires étrangères duNicaragua a déclaré
que:l'intention des parties était de le faire entrer en pour la première foisque la décisionarbitrale ne cons-
vigueur à la date de l'échangedes ratifications. Elle 1:ituaitpas "une sentence claire, vraiment valable, effi-
peu.tdifficilement croire que les parties envisageaient cace et obligatoire".
une interprétation du traité d'après laquelle il devait
cesser d'êtreen vigueur cinq jours après que l'accord De l'avis de la Cour, le Nicaragua a. par ses déclara-
pourdésignerleRoi d'Espagne comme arbitre futinter- tions expresses et par son comportement conformes à
venu (3octobre 1904).Sinon, devant la suggestion de l'article VI1du traitéGamez-Bonilla, reconnu le carac-
proroger le traité faitee:$21 et 24 octobre 1904par le tère valable de la sentence et il n'est plus en droit de
Ministre d'Espagne en Amériquecentrale, omu bien les revenir sur cette reconnaissance; lefait qu'il n'aitémis
deux gouvernements auraient immédiatement pris les dedoute quant à la validitéde la sentenceque plusieurs
mesures appropriées p0u.rle renouveler ou leproroger, annéesaprèsen avoir pris connaissance confirme cette
ou bien ils auraient mis finà toute la procédure d'ar- conclusion. Cependant, mêmes'iln'yavait pas eu de sa
bitrage. La Cour conclut donc que c'est bie.ndans les part desactesrépétésdereconnaissance et mêmesi ses
limiltesde la duréedu traitéque le Roia acceptéd'être ,griefsavaient étprésentésentemps voulu, la sentence
désignécomme arbitre. devrait êtrereconnue comme valable. Le premier grief
Enfin, attendu que le Nicaragua a librement accepté duNicaragua est en effet que leRoi d'Espagne a excédé
la tlésignation du Roi d'Espagne. qu'il n'a soulevé ses pouvoirs par l'inobservation des règles posées à
aucune objection à sa compétence, soit pour le motif l'article II du traité Gamez-Bonilla, mais, ayant soi-
d'irrégularitésdans sa désignation.soitpour lemotif de ,gneusement examiné les allégationsdu Nicaragua, la
l'expiration du traité,et qu'ila pleinement pris partla Cour ne peut en conclure que l'arbitre ait excédéses
pouvoirs. Le Nicaragua soutient aussi que la sentence
pluijendroit d'invoquer l'un ou l'autre des dt:ux motifs est nulle en raison d'erreurs essentielles, mais la Cour
constate que l'appréciation des documents et autres
comme causes de nullitéde la sentence. preuves entrait dans le pouvoir discrétionnaire deI'ar-
bitre et ne saurait êtrediscuté. Un dernier motif de
nullitéserait l'absence ou l'insuffisance de motifs à
l'appuides conclusions de l'arbitre mais, de l'avis de la
L.e Nicaragua soutient que, mêmedans ces condi- 'Cour,ce grief est sans fondement.
tions, la sentence est nulle et le Honduras répondque le
con~portementet l'attitude du Nicaragua proiivent qu'il Le Nicaragua soutient d'autre part que la sentence
a reconnu le caractère obligatoire de lanterice et que, n'est en tout cas pas susceptible d'exécution vu les
de ce fait, commedu fait qu'il n'ya soulevéd'objection lacunes, contradictions et obscurités qui l'affecten:il
qu'après plusieurs années, il n'est plus en1droit de ;allègueque l'embouchure d'un fleuve ne constituant
mettre en question sa validité. :pasun point déterminéne saurait servir de limite com-
L.aCour rappelle tout d'abord que, le 25 décembre mune entre les deux Etats et que cela soulèverait de
1906,le Président du Nicaragua a adresséau Président ,gravesquestions en matière de droits de navigation; il
du Honduras un télégrammepar lequel il le félicitait .Faitvaloir en outre que ledispositif de la sentence laisse
d'avoir gagnéla partie et constatait que l'ennuyeuse unelacune de quelqueskilomètres entre leconfluent du
question de ladélimitationdes frontières seterminait de Poteca ou Bodega avec le Guineo ou Namasli et le
manièresatisfaisante. Le Nicaragua fait valoir que son ,uortillode Teotecacinte. Eu égardau clair énoncé du
présidentne connaissait pas alors la teneurexactede la #dispositifet aux considérants qui lejustifient, la Cour
sentence. mais la Cour relève que, par un télégramme .n'estime pas que la sentence ne soit pas susceptible
du Ministre du Nicaragua à Madrid du 24 décembre d'exécution.
1906,ilavaitappris quel tracélafrontièredevaitsuivre. C'est parces motifs que laCourarrive àlaconclusion
En tout étatde cause, leCiouvernementdu Nikaragua a #énoncép elus haut.
Résumé de l'arrêt du 18 novembre 1960