Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel
L'affaire de I'Interhandel (exceptions prélinlinaires).hargéen collaboration avec une Commission mixte
entre la Suisseet les Etats-Unis d'Amérique, avait été composéed'un représentantde chacundes quatre gou-
introduite devant la Cour par une requêtedu Gouver- vernements; en cas de désaccord entre la Commission
nement suisse du 2 octobre 1957concernarit un dif- niixte et l'Office de compensation, ou si la partie en
férendsurgiau sujet de la restitution, demandéepar la cause le désirait, l'affairepouvait êtresoumise àune
Suisse aux Etats-Unis d'Amérique, des avoirs de la autorité suisse de recours. D'autre part, le Gouver-
société Interhandel; cette requête invoqua.it 1'Arti- nementdesEtats-Unis devait débloquerlesavoirs suis-
cle 36, paragraphe 2, du Statut de la Couret l'accepta- si:s aux Etats-Unis (art. IV). Enfin, s'il devait s'élever
tionde lajuridictionobligartoiredelaCour par lesEtats- des divergences d'opinions au sujet de l'application ou
Uni:$etpar laSuisse.De soncôté,leGouvernementdes de l'interprétationde l'accord et si elles ne pouvaient
Etats-Unis avait présenté des exceptions préliminaires êtrerésolues autrement, il serait fait appel à l'arbi-
à la compétencede la Cour. tiîag.
La Cour, retenant l'une de ces exceptions, a déclaré Aprèsla conclusion de l'Accord de Washington. les
irrecevable la requêtede la Suisse. d.iscussionsau sujet de I'Interhandel se poursuivirent
sansaboutir à une conclusion. Par décisiondu 5janvier
* 1948,l'Autorité suissede recoursannula le blocagedes
x * tiens de la sociétéen Suisse.Dans une note au Dépar-
Dans sonarrêt,la Cour expose les faitset t'ment d'Etat du 4 mai de la mêmeannée,la Légation
ces qui sont à l'origine du différend. dieSuisse àWashingtoninvoqua cette décisionet l'Ac-
cord de Washingtonpour demanderaux Etats-Unis de
En 1942.le Gouvernement des Etats-Unis avait, en restituera 1'Interhandellesavoirsséquestrésaux Etats-
Vertudu Trudingwiththe EnemyAct, mis SOLiSséques- lJnis. Le Départementd9Etat rejeta cette demande le
tre la presque totalitédes actions de la s0ciét:tenregis-?:6juillet, soutenant que ladécisionde l'Autorité
tréeaux Etats-Unis General Aniline and FilmCorpora- ,le recours étaitsans effeà l'égarddes avoirs séques-
tion (GAF),pour lemotifque ces actionsappartenaient trésaux Etats-Unis. Le 21 octobre, se des
en réalitéàla société1.G. Farben,de Francfort, OU que clispositions du Trclding,,>ithtlze Ene,)1y~ct, ]'Inter-
laGAF étaitsous unefornie ou SOUS uneautrecontrôlée kiandelintroduisait une instance devant les tribunaux
par Cette sociétéennemi,e. 11n'est pas contesté que, clesEtats-Unis. Jusqu'en 1957,ce procèsne fit quepeu
jusclu'en 1940,l'I.G. Farben avait contrôléla GAF par cleprogrèssur le fond. Une note suisse du 9 août 1956
I'inlermédiairede la sociiitéI.G. Chemie,de Bâle. Ce- formula des propositions en vue du règlementdu dif-
pendant. d'après les aiiiégationsdu Gouvernement ferend soit par la voie d'arbitrage ou de conciliation
suisse, les liens entre la sociétéallemande et la sociétéprévuepar le Traitéaméricano-suissede 1931,soit par
suisse avaient étédéfinitivementdénouésen 1940.La la voie d'arbitrage prévuedans l'Accord de Washing-
~0ciiétésuisse avait pris le nom de Sociétéinternatio- ton. Ces propositions furent déclinéespar le Gouver-
nale pour participations industrielles et commerciales riement des Etats-Unis dans une note du 11janvier
S.A..(Interhandel) et le poste le PIUimportant de son 11957D. 'autre part, une aide-mémoirejointàcette note
actifconsistaitdans sa pairticipatiànlaGAF. En 1945, déclaraitque 191nterhandelavait étédéfinitivementdé-
en vertu d'un accord provisoire entre la Suisse, les t)outéde son action devant les tribunaux des Etats-
~tats-unis, la France el le Royaume-Uni, les biens IJnis. C'est alors que leGouvernementsuisseadresse à
en ;Suisseappartenant à des Allemands en Allemagne 1, Cour sa requêteintroductive d'instance.
furent bloqués. L'Officesuisse de compensation fut La constate que de lademande
chargéde la recherche d,eces avoirs; au coiirs de ces t:ssentiellementen deux propositions :ilest demandé à
inv12stigationsl,aquestioriducaractèrede191rlterhandel laCour dedire etjuger, àtitrepr.incipul,que leCbuver-
fut posée l'office, tenant pour démontre: ue cette nement des Etats-Unis est tenu de restituer les avoirs
société libérée dt: ses liens de dépÉ:ndance à de 1'Interhandel et,à titre subsidiaire, que les Etats-
l'égardde la sociétéallemande,nejugea pasriécessaire Unis sont tenus de soumettre le différendà l'arbitrage
de procéder.aublocage de ses biens en s~~~~,D ~e. son
côtC, le Gouvernement des Etats-Unis, estimant que OU à la procédurede
I'Interhandel était toujours contrôlépar 1'I.Ci.Farben, Elle procède alors à l'examen des exceptions préli-
poursuivait ses recherches en vue d'en découvrirla ininaires des Etats-Unis.
preuve. Dans ces conditions, les autorités fédérales L, exception tend à faire déclarerque la
suissesdonnèrent àl'Officedecompensation l'ordre de ,zOur pas compétente pour le motif que le dif-
bloquer provisoirement les avoirs de 1'Intefhandel. irérends'est élevéavantle 26août 1946,date àlaquelle
Le 25 mai 1946,un accord fut conclu à Washington Ii'acceptationdè lajuridiction obligatoirede laCour par
entre les Alliéset la Suisse. La Suisse s'engageait à :iesEtats-Unis est entréeen vigueur.La déclarationdes
pocirsuivre ses recherches et àliquider les biens alle- Etats-Unis se rapporte aux différendsd'ordrejuridique
maildsenSuisse,cedont l'Officedecompensationétait qui "s'élèveront à l'avenir" et le Gouvernement des
61Etats-Unis soutient que le différendsoumis à la Cour soninterprétationrelèvedu droit international.D'autre
remonte au moinsau milieude l'année1945.L'examen part, le Gouvernement des Etats-Unis soutient que,
du dossier permet d'établir que c'est dansla note de la d'aprèsle droitinternational, la saisieet la rétentionde
Légationde Suisse àWashingtondu4rnai 1948qu'aété biens ennemis en temps de guerre relèventde la com-
formulée pourla première fois par la Suisse une de- pétencenationale des Etats-Unis; mais leproblèmeest
mandetendant à larestitutioà I'lnterhandel des avoirs justement de savoir si les avoirs deI'lnterhandel sont
séquestrésaux Etats-Unis. La réponse négative,étant des biens ennemis ou neutres et ce problème doitêtre
du 26juillet 1948,le différend sesitueàcette date et la réijoluà la lumièredes principes et des règlesdu droit
premièreexception doit êtrerejetéeen ce qui concerne international. Dans sa conclusion subsidiaire, le Gou-
la conclusion principale de la Suisse. Dans la conclu- vernement suisse invoquel'AccorddeWashingtonet le
sion subsidiaire, le point en litige esi:l'obligation du Traité d'arbitrage et de conciliation de 1931;I'inter-
Gouvernementdes Etats-Unisde se prêter àl'arbitrage prétation et l'application de ces dispositions compor-
ou à la conciliation. Cette partie du différendn'a pu tent des questions de droit international.La quatrième
s'élever quepostérieurement àcellerelativeàlarestitu- exception préliminairedans sa partie b doit donc être
tion des avoirs deI'Interhandel aux Etats-Unis, parce rejetée.
que la procédure proposéepar la Suisse était conçue ]Lapartie adecetteexception tend àce quelaCour se
comme Linmoyen de réglerle premier différend. De déclare incompétente, pourle motif que la vente ou la
fait, le Gouvernement suisse a présentépour la pre- disposition des actions sous séquestre ont étédéfinies
mièrefoiscette propositiondans sa note du 9août 1956 par les Etats-Unis, en vertu du paragraphe b des ré-
et le Gouvernement des Etats-Unis l'a rejetéepar sa serves attachées à leur acceptation de la juridiction
note du 1ljanvier 1957.La premièreexception ne peut obligatoire des Etats-Unis. comme relevant essentiel-
donc être retenue en ce qui concerne la conclusion lement de leur compétence nationale. 11apparaît à la
subsidiaire de la Suisse. Cour que la partie a de la quatrièmeexception ne s'ap-
plique qu'à la demande du Gouvernement suisse re-
D'après la deri-~ienieesceptiori préliminaire,le dif- lativeà la restitution des avoirs séquestrés et que, eu
férend. même s'ilest postérieur à la déclaration des égard à la décision de la Cour au sujet de la troisième
Etats-Unis, s'est élevé avantle 28 juillet 1948, date exception, elle est sans objet au stade actuel de la
d'entréeen vigueur de la déclaration de la Suisse; la procédure.
déclarationdes Etats-Unis contient une clause limitant
la compétence de la Cour aux différends"qui s'élè- ],a troisième exception préliminairedemande à la
veront à l'avenir". alors qu'iln'existe aucuneclausede Cour de se déclarer incompétente,pour le motif que
ce genre dans la déclarationsuisse. mais le principe de I'Iriterhandeln'a pas utilisé lesrecours internesdont il
réciprocitéexigerait qu'entre lesEtats-Uniset laSuisse disposaitdevant lestribunauxdesEtats-Unis. Bienque
lacompétencedelaCour soit limitée auxdifférendsnés visant la compétence de la Cour, cette exception doit
après le 28juillet 1948.La Cour observe que la réci- êtreconsidéréecommedirigéecontre la recevabilitéde
procitéde déclarationportant acceptationde lajuridic- larequête;eneffet, elledeviendraitsansobjet aucas où
tion obligatoire de la Cour permet à une partie d'in- serait remplie la conditiond'épuisementpréalabledes
voquer une réservequ'elle n'a pas exprimée dans sa recoursinternes. La Cour a indiquédans quellescondi-
propre déclaration mais que l'autre partie a exprimée tionsleGouvernementsuisseavait cm pouvoirdéposer
dans la sienne. Par exemple, la Suisse pourrait, si elle sa requêtedu 2 octobre 1957.Cependant la Cour su-
étaitdéfenderesse, invoquer par réciprocitéla réserve prêmedes Etats-Unis a. depuis lors, réintégré l'Inter-
américainecontre les Etats-Unis siceux-ci tentaientde handel dans sesdroitsde procédure et renvoyél'affaire
porter devant la Cour un différendqui aurait pris nais- devant laDistrict Cozrrt(décisionsdes 14octobre 1957
sance avant le 26 aoùt 1946. Là s'arrêtel'effet de la et 16juin 1958). L'Interhandel peut se prévaloir de
réciprocitée;llene sauraitautoriser unEtat, enl'espèce noiiveau des moyens prévus par le Trading with the
les Etats-Unis, à se prévaloir d'une restriction dont E~zemyAct et son action est actuellement en cours.
l'autre Partie. la Suisse, n'a pas affectésa propre dé- Le Gouvernement suisse ne conteste pas la règlede
claration.La deuxièmeexception doit donc être rejetée l'épuisementdes recours internes, mais il soutientque
encequiconcerne laconclusionprincipale delaSuisse. l'on est en présence d'un cas où une dérogation est
La constatation que le différend relatif à l'obligation autoriséepar la règle elle-même.En premier lieu, la
desEtats-Unis de seprêter àI'arbitrageou àlaconcilia- mesure dirigéecontre I'interhandel a étéprise non pas
tion n'a pris naissance qu'en 1957 conduit à rejeter par une autorité subalterne mais par le Gouvernement
égalementcette exception en ce qui concerne la con- des Etats-Unis: cependant la Cour doit attacher une
clusion subsidiaire. importancedécisiveau fait que lalégislationdesEtats-
La Cour examine alors la qnntriènieexception pré- Unis donne aux intéressés des remèdes adéquats pour
liminaire et tout d'abord la partie b de cette exception, la défense de leurs droits contre le pouvoir exécu-
dans laquelle leGouvernementdesEtats-Unis soutient tif. D'autre part, dans les procédures fondées sur le
que la Cour est incompétente pour connaître de toute Trading with the Enemy Act, les tribunaux des Etats-
question concernant la saisieet la rétentiondesactions Unis ne seraient pas en mesure de statuer selon les
sousséquestre. pourlemotifquecesmesuresrelèvent, règles du droit international; mais la jurisprudence
selonledroitinternational.de lacompétencedesEtats- amhicaine atteste que les tribunaux des Etats-Unis
Unis. En ce qui concerne la conclusion principale, le sont compétentspour appliquerdansleurs décisions le
Gouvernementsuisse invoque l'article IV de l'Accord droitinternational quand ilya lieu. Enfin,laconclusion
de Washington. dont le Gouvernementdes Etats-Unis priricipale de la Suisse se caractérisant comme une
soutient qu'ilest dénuéde toute pertinence; les parties deniande d'exécuterla décisionde l'Autorité suissede
sont en désaccord surla significationdestermes de cet recours du 5janvier 1948,décisionconsidérée parle
article. II suffitla Cour de constater que l'article IV Goiivernement suisse comme décisionjudiciaire inter-
peut êtrepertinent pour la solution du différend etque nationale, il n'y aurait pas de juridictions interneàépuiser. car le dommage a Ctécausé direct1:ment à En conséquence. la Cour rejette la premièreexcep-
I'Etat; la Cour se borneà constater que cet argument tion préliminaire(par 10 voix contre 3, ainsi que la
n'enlève pasau diffCrendqui luiest soumislecaractère seconde (à l'unanimité)et la partie h de la quatrième
d'un différenddans lequel le Gouvernement suisse se (par14 voix contre une); elle dit qu'il n'ya pas lieu de
prése:ntecomme épousantlacause de son ressortissant pi-ononcersur la partie de la quatrième(par 10voix
en vue d'obtenir la restitution d'avoirs séqui:stréset contre 5);elleretient latroisième(par9voixcontre 6)et
que c'est précisément là u.nesituation donnaintlieuà diSclarela requête irrecevable.
l'application de la règle de l'épuisementdes recours
interines. Pour toutes ces raisons, la Cour retient la MM. Basdevant. Kojevnikov, juges, et Carry, juge
troisièmeexception préliminaireen ce qui concerne la atihoc, ontjointà l'arrêtdes déclarations,MM.Hack-
conclusion principale de la Suisse. La Couir estime worth, Cordova, WellingtonKoo et sir Percy Spender,
d'autre part que toute distinction ence qui coricerne laju.ges, y ont joint les exposés de leur opinion indivi-
règle de l'épuisementdes recours internes entre les duelle, M. Zafrulla Khan, vice-président, serallianà
diverses demandes ou entre les diverses juridictions celle de M. Hackworth.
est sans fondement; elle retient donc également la
troisiièmeexception en ce qui concerne la conclusion MM.Klaestad, président,Winiarski, Armand-Ugon,
subsidiaire. sir Hersch Lanterpacht et Spiropoulos,juges, ont joint
à l'arrêt les exposés de leur opinion dissidente
(M. Carry se ralliant dans sa déclaratiànl'opinionde
k1.Klaestad).
Résumé de l'arrêt du 21 mars 1959