Réponse écrite de la France aux questions posées par Mme la juge Cleveland, MM. les juges Tladi et Aurescu et Mme la juge Charlesworth au terme de l'audience tenue le 13 décembre 2024

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187-20241220-OTH-24-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
RÉPONSES DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AUX QUESTIONS DES JUGES CLEVELAND, TLADI, AURESCU ET CHARLESWORTH
20 décembre 2024
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE
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SOMMAIRE
I. Question n° 1 ................................................................................................................. 2
II. Question n° 2 ................................................................................................................. 7
III. Question n° 3 ................................................................................................................. 9
IV. Question n° 4 ............................................................................................................... 10
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1. Par sa résolution 77/276 du 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies a prié la Cour internationale de Justice (ci-après « CIJ » ou « Cour ») de rendre un avis consultatif sur les questions suivantes :
« a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ?
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ? »
2. Les audiences en la présente procédure consultative se sont tenues du 2 au 13 décembre 2024 à La Haye. Au terme de ces audiences, quatre questions ont été posées par quatre juges aux participants à la procédure orale et, par lettre du 13 décembre 2024, la Cour a fixé au 20 décembre 2024 la date d’expiration du délai pour y répondre.
3. La République française a l’honneur de déposer auprès de la Cour les présentes réponses à ces questions.
I. Question n° 1
4. La question posée par Madame la juge Cleveland est la suivante :
« During these proceedings, a number of participants have referred to the production of fossil fuels in the context of climate change, including with respect to subsidies. In your view, what are the specific obligations under international law of States within whose jurisdiction fossil fuels are produced to ensure protection of the climate system and other parts of the environment from anthropogenic emissions of greenhouse gases, if any? ».
5. Selon le dernier rapport du Groupe intergouvernemental sur le climat (ci-après « GIEC »), la plus grande part et la plus forte croissance des émissions de gaz à effet de serre sont dues au dioxyde de carbone provenant de la combustion des combustibles fossiles et des procédés
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industriels1. La question des combustibles fossiles dans le contexte des changements climatiques présente donc un caractère essentiel pour l’appréciation des obligations juridiques des Etats en la matière.
6. La France est attachée à la prise en compte de cette problématique dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques. A ce titre, même si cela ne relève pas directement de la question posée par Madame la juge Cleveland, la France a signé, lors de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après « COP » et « CCNUCC ») de 2021, la déclaration sur le soutien public international à la transition vers une énergie propre, réaffirmant sa volonté de mettre fin aux financements publics à l’étranger de projets d’énergies fossiles dès 20222. La France a confirmé cet engagement dans sa la loi de finances pour 20233 : elle a cessé tout soutien public international aux activités d’exploration, production, stockage, transport, raffinage de pétrole et de gaz, ainsi qu’aux projets de centrales thermiques non équipées de dispositifs d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre fin 2022. En 2024, lors de la COP 29, la France a réitéré son soutien à la sortie des énergies fossiles lors d’une conférence de presse ministérielle de l’Alliance Beyond Oil & Gas et présenté une déclaration conjointe sur la nécessaire mise en oeuvre du Premier bilan mondial de la COP 284. Celui-ci engage les Parties à l’Accord de Paris sur le climat (ci-après « l’Accord de Paris ») à contribuer, entre autres, à « éliminer progressivement et dès que possible les subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui ne permettent pas de lutter contre la pauvreté énergétique ou d’assurer des transitions justes »5.
7. En ce qui concerne directement la question de Madame la juge Cleveland, ni la CCNUCC ni l’Accord de Paris ne prévoient d’obligations d’atténuation incombant aux seuls Etats sous la juridiction desquels sont produits des combustibles fossiles en raison de cette qualité.
1 GIEC, Climate Change 2023: Synthesis Report – Summary for Policymakers, 2023, accessible à [https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf] (ci-après « GIEC, Climate Change 2023: Synthesis Report – Summary for Policymakers »), par. A.1.4.
2 Statement on International Public Support for the Clean Energy Transition, 4 novembre 2021, accessible à [https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/ukgwa/20230313124743/https://ukcop26.org/statement-on-international-public-support-for-the-clean-energy-transition/].
3 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 [https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046845631]
4 Beyond Oil and Gas Alliance COP29 Statement, 21 novembre 2024, accessible à [https://beyondoilandgasalliance.org/wp-content/uploads/2024/11/COP29_Statement_final.pdf].
5 1/CMA.5, Premier bilan mondial, FCCC/PA/CMA/2023/16/Add.1, (ci-après « Premier bilan mondial »), par. 28, h).
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A cet égard, cette catégorie d’Etats n’est pas singularisée par rapport aux autres Parties. En vertu de l’article 4, paragraphe 2, de l’Accord de Paris, tous les Etats ont en effet l’obligation d’établir, communiquer et actualiser une contribution nationale déterminée qui corresponde à leur niveau d’ambition le plus élevé possible compte tenu de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives, et de prendre des mesures internes pour réaliser les objectifs de cette contribution.
8. Les Etats bénéficient d’une marge d’appréciation dans l’application de cette obligation, notamment quant au choix des « mesures internes » attendues pour s’y conformer. Chaque Etat définit le contenu et le rythme de ses mesures d’atténuation en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques et conformément au « principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »6. Cette marge d’appréciation n’est pas pour autant illimitée.
9. Premièrement, lorsqu’il applique l’article 4, paragraphe 2, de l’Accord de Paris, chaque Etat doit tenir compte de l’objectif de limitation de l’élévation de la température de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
10. Le lien entre la production de combustibles fossiles et le respect de l’objectif de limitation des températures est explicitement affirmé par le GIEC. D’une part, il rappelle que les émissions de dioxyde de carbone projetées par les infrastructures existantes de combustibles fossiles, sans réduction supplémentaire, ne permettraient pas de respecter l’objectif des 1,5 °C7. D’autre part, il souligne que l’une des manières d’atteindre la neutralité carbone, en tant que préalable nécessaire au respect de l’objectif de limitation des températures8, est la transition des combustibles fossiles sans captage et stockage du carbone vers des sources d’énergie à très faible teneur en carbone ou à teneur nulle en carbone, telles que les énergies renouvelables9.
11. Il en ressort que tant l’objectif des 1.5°C que son préalable, la neutralité carbone, supposent nécessairement, pour être atteints, d’effectuer une transition en vue de sortir des combustibles fossiles. Ce constat doit être pris en compte par les Parties à l’Accord de Paris,
6 Accord de Paris, article 2, par. 2.
7 GIEC, Climate Change 2023: Synthesis Report – Summary for Policymakers, par. B.5.3.
8 Ibid., par. B.5.
9 Ibid., par. B.6.3.
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en particulier ceux sous la juridiction desquels sont produits des combustibles fossiles, lorsqu’ils déterminent leur contribution nationale et établissent les mesures internes pour la réaliser.
12. Deuxièmement, l’application de l’article 4, paragraphe 2, exige de tenir compte du niveau d’ambition imposé par l’Accord de Paris, lequel doit nécessairement être « le plus élevé possible » et être en constante progression. Le niveau élevé de diligence requise des Etats dans ce cadre est en outre conforté par une interprétation de l’Accord de Paris à la lumière du principe coutumier de prévention.
13. Cette ambition implique que les Etats sous la juridiction desquels sont produits des combustibles fossiles tiennent compte de ces activités particulières lorsqu’ils appliquent l’Accord de Paris. La poursuite de cette ambition peut engendrer « des difficultés particulières » pour les pays, notamment les pays en développement, dont « [l’]économie est particulièrement tributaire de la production, de l’utilisation et de l’exportation de combustibles fossiles »10. Pour atteindre l’objectif de protection du système climatique et des autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, il apparaît cependant nécessaire d’agir sur l’ensemble des activités à l’origine de ces émissions, au premier rang desquelles figure la production de combustibles fossiles. Selon le GIEC, l’expression « émissions anthropiques » renvoie au « [r]ejet de gaz à effet de serre, de précurseurs de gaz à effet de serre et d’aérosols par les activités humaines », lesquelles comprennent « la combustion de matières fossiles, le déboisement, l’utilisation des terres et le changement d’affectation des terres, l’élevage, la fertilisation, la gestion des déchets et les processus industriels »11.
14. Troisièmement, l’article 4, paragraphe 2, de l’Accord de Paris doit être interprété à la lumière des décisions des COP. Dans son exposé écrit, la France souligne que
« bien qu’en principe non-contraignante en tant que telles, les décisions des COP et CMA jouissent d’une valeur juridique certaine, et ce à [notamment deux] égards. Elles permettent, en premier lieu, d’identifier, d’interpréter, de préciser et de consolider les obligations des États en vertu de la CCNUCC ou de l’Accord de Paris. Elles peuvent en
10 CCNUCC, préambule, al. 20 ; art. 4, pars. 8, h) et 10.
11 GIEC, Annexe I : Glossaire, in V. Masson-Delmotte et al., Réchauffement planétaire de 1,5 °C – Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, 2018, accessible à [https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/10/SR15_Glossary_french.pdf] (ci-après, « GIEC, Glossaire »), p. 80 (nous soulignons).
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deuxième lieu refléter un accord ou une pratique ultérieur(e) des États parties au sens des règles d’interprétation des traités reflétées aux articles 31, paragraphe 3, alinéas a) et b), et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités et à ce titre servir de moyens d’interprétation des engagements conventionnels dans le domaine climatique »12.
15. Dans le Premier bilan mondial, la COP 28 a, de façon historique,
« [s]oulign[é] […] la nécessité de réduire nettement, rapidement et durablement les émissions de gaz à effet de serre conformément aux trajectoires conduisant à une augmentation de la température de 1,5 °C, et engag[é] les Parties à contribuer aux efforts mondiaux suivants, selon des modalités déterminées au niveau national, en tenant compte de l’Accord de Paris et de leurs différentes situations, trajectoires et approches nationales : […] Opérer une transition juste, ordonnée et équitable vers une sortie des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, en accélérant l’action pendant cette décennie critique, afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques »13.
16. Si l’objectif de transition vers une sortie des combustibles fossiles énoncé par la COP 28 concerne l’ensemble des Parties à l’Accord de Paris, la réalisation de cet objectif suppose une action spécifique des Etats sous la juridiction desquels lesdits combustibles fossiles sont produits. La France a ainsi adopté, le 20 décembre 2017, une loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures « dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques en application de l’Accord de Paris »14.
17. En conclusion, les Etats sous la juridiction desquels sont produits les combustibles fossiles n’ont pas d’obligation spécifique au titre de l’Accord de Paris. Ils ont cependant l’obligation, comme l’ensemble des Parties à l’Accord, d’en appliquer les dispositions de bonne foi et au regard de l’objectif de l’article 2, du niveau élevé d’ambition exigé par l’Accord de Paris lu à la lumière du principe coutumier de prévention, ainsi que des décisions des COP. Dans ce contexte, la production des combustibles fossiles fait partie des éléments à prendre en compte dans l’appréciation par chaque Etat de la mise en oeuvre de ses obligations au titre de l’Accord.
12 Exposé écrit de la France, par. 38.
13 Premier bilan mondial, par. 28, d) (nous soulignons).
14 Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, accessible à l’adresse : [https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFSCTA000036339403].
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II. Question n° 2
18. La question posée par Monsieur le juge Tladi est la suivante :
« In their written and oral pleadings, participants have generally engaged in an interpretation of the various paragraphs of Article 4 of the Paris Agreement. Many participants have, on the basis of this interpretation, come to the conclusion that, to the extent that Article 4 imposes any obligations in respect of Nationally Determined Contributions, these are procedural obligations. Participants coming to this conclusion have, in general, relied on the ordinary meaning of the words, context and sometimes some elements in Article 31 (3) of the Vienna Convention on the Law of Treaties. I would like to know from the participants whether, according to them, “the object and purpose” of the Paris Agreement, and the object and purpose of the climate change treaty framework in general, has any effect on this interpretation and if so, what effect does it have? ».
19. L’article 31, paragraphe 1, de la Convention de Vienne sur le droit des traités, dont la Cour « a invariablement considéré qu’[il] exprim[e] le droit international coutumier »15, énonce qu’« [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Comme la Cour l’a affirmé, « [c]es éléments d’interprétation — à savoir le sens ordinaire, le contexte, l’objet et le but — doivent être considérés comme un tout »16.
20. Dans ce cadre, il peut être relevé que, dans son préambule, les Parties à l’Accord de Paris « [r]econnaiss[e]nt la nécessité d’une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques en se fondant sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles »17. Dans le même sens, en vertu de l’article 2 de l’Accord de Paris, ce dernier
« vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en […] [c]ontenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » (nous soulignons).
15 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 29, par. 62.
16 Ibid., par. 64.
17 Accord de Paris, préambule, al. 4.
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21. En outre, aussi bien le préambule de l’Accord que son article 2 rappellent la nécessité de tenir compte du principe « des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »18.
22. Les références explicites, dans l’article 4 de l’Accord de Paris, de l’ambition attendue des Parties dans la lutte contre les changements climatiques, de l’objectif global de limitation des températures ainsi que du principe des responsabilités communes mais différenciées, soulignent le rôle particulier de ces éléments dans la mise en oeuvre de cette disposition.
23. L’interprétation de l’article 4 de l’Accord de Paris, de bonne foi, suivant le sens ordinaire de ses termes dans leur contexte et eu égard à l’objet et but du traité conduit à constater qu’il établit une obligation dont la mise oeuvre revêt des aspects à la fois substantiels et procéduraux.
24. Il en va ainsi de l’obligation pour chaque Etat d’établir, de communiquer et d’actualiser sa contribution nationale déterminée qui mêle à la fois des éléments procéduraux – tels que la communication formelle de la contribution – mais également substantiels. Ladite contribution doit en effet être établie en tenant compte d’un certain nombre de paramètres de fond permettant d’atteindre l’objet et le but de l’Accord de Paris. Pour se conformer à l’article 4, paragraphe 2, de cet Accord, un Etat ne peut donc en avoir une lecture strictement procédurale. Comme le rappelle la France dans son exposé écrit,
« pour se conformer à leur obligation, les Parties doivent établir, communiquer et actualiser leur contribution nationale déterminée au regard de trois paramètres essentiels : l’objectif de limitation de l’élévation de la température de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels […] ; la nécessité de tenir compte du principe “des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales”19 […] ; le niveau d’ambition imposé par l’Accord de Paris, lequel doit nécessairement être “le plus élevé possible” et […] [être en constante progression] »20.
25. Par conséquent, la France considère qu’une interprétation de l’article 4 de l’Accord de Paris de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et
18 Accord de Paris, préambule, al. 3 et art. 2, par. 2.
19 Accord de Paris, préambule, al. 4.
20 Exposé écrit de la France, par. 29.
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à la lumière de l’objet et du but de ce dernier, doit conduire à constater que cette disposition contient une obligation qui combine des éléments à la fois substantiels et procéduraux.
III. Question n° 3
26. La question posée par Monsieur le juge Aurescu est la suivante :
« Certains participants ont fait valoir, dans leurs écritures et/ou lors de la phase orale de la procédure, que le droit à un environnement propre, sain et durable existe en droit international. Pourriez-vous expliciter, de votre point de vue, quel est le contenu juridique de ce droit et quelle est sa relation avec les autres droits de l’homme que vous considérez pertinents aux fins du présent avis consultatif ? ».
27. La question relative au contenu du droit à un environnement propre, sain et durable fait l’objet de nombreux travaux intergouvernementaux auxquels la France participe activement, notamment au sein du Conseil de l’Europe. Ces travaux visent à définir les éléments constitutifs de ce droit qui demeurent, encore aujourd’hui, débattus.
28. Le droit à un environnement propre, sain et durable est consacré dans de nombreuses législations nationales, dans quelques accords régionaux et dans divers rapports internationaux. Il est en outre établi qu’il pourrait inclure à la fois des éléments substantiels et procéduraux. Néanmoins, il n’existe pas encore de consensus quant à son contenu exact. Par exemple, selon les rapporteurs spéciaux sur le droit humain à un environnement propre, sain et durable, les éléments de fond de ce droit incluent « les droits à respirer un air pur, à un climat vivable, à des écosystèmes sains et à la biodiversité, à une eau potable en quantité suffisante et à une alimentation saine et durable »21. Le Comité des droits de l’enfant estime, quant à lui, que « [l]es éléments de fond de ce droit […] comprennent l’air pur, un climat sûr et stable, des écosystèmes sains et la biodiversité, l’accès à de l’eau salubre en quantité suffisante, des aliments sains et durables et un environnement non toxique »22.
21 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, A/HRC/49/53, 12 janvier 2022, par. 3. V. aussi, par exemple, Assemblée générale, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le droit humain à un environnement propre, sain et durable, A/79/270, 2 août 2024, par. 14.
22 Comité des droits de l’enfants, Observation générale n° 26 sur les droits de l’enfant et l’environnement, CRC/C/GC/26, 22 août 2023, par. 64.
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29. Quoi qu’il en soit, il demeure que la mise en oeuvre, par les Etats, de leurs obligations en matière environnementale ainsi qu’en matière de droits de l’Homme constitue la condition indispensable d’un environnement propre, sain et durable au bénéfice de tous les êtres humains. Il convient de tenir compte de l’interdépendance de ce droit avec la jouissance de tous les droits de l’Homme. Dans son exposé écrit, la France rappelait déjà que :
« [d]ans sa résolution 48/13 du 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a souligné cette interdépendance et considéré symétriquement que “l’exercice du droit de bénéficier d’un environnement propre, sain et durable est un élément important de la jouissance des droits de l’homme”. Dans sa résolution A/76/300 du 28 juillet 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu le lien entre les changements climatiques et les droits de l’Homme et considéré que “le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains […] lié à d’autres droits et au droit international existant” dont la promotion “passe par l’application pleine et entière des accords multilatéraux relatifs à l’environnement, conformément aux principes du droit international de l’environnement” »23.
IV. Question n° 4
30. La question posée par Madame la juge Charlesworth est la suivante :
« In your understanding, what is the significance of the declarations made by some States on becoming parties to the UNFCCC and the Paris Agreement to the effect that no provision in these agreements may be interpreted as derogating from principles of general international law or any claims or rights concerning compensation or liability due to the adverse effects of climate change? ».
31. Ces déclarations, dont la France a dûment pris note, procèdent d’une logique soutenue par une grande majorité des participants à la présente procédure consultative, dont la France : la CCNUCC et l’Accord de Paris ne constituent pas « des règles spéciales de droit international » au sens de l’article 55 des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite adoptés en 2001 par la Commission du droit international et, de fait, ne font pas obstacle à l’application des règles que ces articles codifient. Ces dispositions n’ont pas le même objet ; elles constituent des règles secondaires du droit international, qui s’appliquent, le cas échéant, en matière de droit de l’environnement, lorsqu’un fait internationalement illicite est avéré.
23 Exposé écrit de la France, 22 mars 2024, par. 127.
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32. La CCNUCC et l’Accord de Paris ont établi des mécanismes financiers, notamment de « pertes et préjudices », mais ceux-ci ne procèdent pas d’un régime de réparation ou d’indemnisation au sens du droit de la responsabilité internationale de l’Etat.
33. La CCNUCC et l’Accord de Paris sont sans préjudice de la question de l’application du régime de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite dans le contexte des dommages causés à raison des changements climatiques. Comme la France l’a encore souligné lors de sa plaidoirie en la présente procédure, « le droit de la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite est susceptible de s’appliquer en matière climatique »24.
34. La nature particulière des changements climatiques, qui découlent de l’accumulation des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, soulève plusieurs questions dans l’application de ce régime. Elles procèdent notamment de la difficulté de s’en tenir à une démarche exclusivement individualisée qui est inhérente à la responsabilité pour fait internationalement illicite, en particulier en ce qui concerne l’établissement du lien de causalité dans le contexte climatique.
35. Ces circonstances obligent les Etats à avoir une vision innovante de ces questions, en conjuguant les mécanismes classiques avec l’approche de l’Accord de Paris, « fondée non pas sur la responsabilité pour fait internationalement illicite, mais sur la solidarité »25. La France l’a rappelé dans sa plaidoirie, les questions relatives à l’applicabilité du régime classique de responsabilité
« ne peu[vent] justifier le refus de faire dès maintenant preuve de solidarité face aux dommages causés au système climatique et aux autres composantes de l’environnement. Il n’est pas envisageable de laisser les pays les plus vulnérables en affronter seuls les conséquences »26.
24 Obligations des Etats en matière de changement climatique, CR 2024/41, p. 14, par. 25.
25 Ibid., p. 16, par. 33.
26 Ibid., par. 31.

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