COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
REQUETE POUR AVIS CONSULTATIF DE
L’ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIERE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES
REPONSES DE LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN AUX QUESTIONS DES
JUGES
20 DECEMBRE 2024
Question put by Judge Cleveland
“During these proceedings, a number of participants have referred to the production
of fossil fuels in the context of climate change, including with respect to subsidies. In
your view, what are the specific obligations under international law of States within
whose jurisdiction fossil fuels are produced to ensure protection of the climate system
and other parts of the environment from anthropogenic emissions of greenhouse
gases, if any?”
Réponse du Cameroun
En principe, les États sous la juridiction desquels des combustibles fossiles sont
produits ont des obligations identiques à celles des États sous la juridiction desquels
aucun combustible fossile n'est produit en ce qui concerne le respect des obligations
pertinentes en matière de changement climatique, que ce soit en vertu de l'accord de
Paris, de la CCNUCC ou d'autres traités pertinents ou du droit international
coutumier. Cependant, il existe des obligations de coopération, comme indiqué
explicitement dans l'Accord de Paris et la CCNUCC pour atteindre les objectifs
climatiques pertinents. Comme l'a rappelé le TIDM dans son avis consultatif, ces
obligations s'appliquent également de manière générale (Avis consultatif du TIDM du
21 mai 2024, paras. 296, 321, Pièce 16 du Cameroun). En référence à la réponse du
Cameroun à la question du juge Tladi, tous les États ont l'obligation, en vertu de
l'article 4 de l'Accord de Paris, de ne pas agir d'une manière qui va à l'encontre de
l'objet et du but de l'article 4 et de l'Accord de Paris, c'est-à-dire d'une manière qui
contribue à essayer d'atteindre les objectifs climatiques énoncés à l'article 2. Cela
signifie que les États dans la juridiction desquels des combustibles fossiles sont
produits peuvent devoir accorder une attention particulière à la production de
combustibles fossiles, y compris toute subvention à cette production, afin d'assurer la
protection du système climatique et d'autres parties de l'environnement contre les
émissions anthropiques de gaz à effet de serre. En même temps, des obligations
différenciées s'appliquent dans tous les secteurs de l'économie, tout en rappelant
qu'aucun État ne peut agir d'une manière qui aille à l'encontre de l'objet et du but de
l'Accord de Paris. A ce titre, les pays développés, ou tout État disposant de la
technologie ou du savoir-faire nécessaires, auraient l'obligation de coopérer avec les
États où la production de combustibles fossiles nécessite la technologie et/ou le
savoir-faire nécessaires pour exploiter les combustibles fossiles de la manière la
moins dommageable pour l'environnement et la plus conforme à l'obligation d'assurer
la protection du système climatique et d'autres parties de l'environnement contre les
émissions anthropogéniques de gaz à effet de serre. Les États qui disposent de ces
technologies ou qui sont en mesure d'en assurer l'application auraient l'obligation de
le faire. Des obligations similaires d’assistance technique existent en ce qui concerne
la pollution en milieu marin causée par les émissions de GES anthropogéniques
(Avis consultatif du TIDM du 21 mai 2024, para. 339, Pièce 16 du Cameroun).
Question put by Judge Tladi
“In their written and oral pleadings, participants have generally engaged in an
interpretation of the various paragraphs of Article 4 of the Paris Agreement. Many
participants have, on the basis of this interpretation, come to the conclusion that, to
the extent that Article 4 imposes any obligations in respect of Nationally Determined
Contributions, these are procedural obligations. Participants coming to this
conclusion have, in general, relied on the ordinary meaning of the words, context and
sometimes some elements in Article 31 (3) of the Vienna Convention on the Law of
Treaties. I would like to know from the participants whether, according to them, “the
object and purpose” of the Paris Agreement, and the object and purpose of the
climate change treaty framework in general, has any effect on this interpretation and
if so, what effect does it have?”
Réponse du Cameroun
Si un État ayant signé un traité ne peut agir d'une manière qui va à l'encontre de son
objet et de son but avant son entrée en vigueur, les obligations d'un traité qui est
entré en vigueur ne peuvent pas non plus être interprétées ou appliquées d'une
manière qui va à l'encontre de l'objet et du but en question. Ainsi, que l'article 4 de
l'Accord de Paris contienne des obligations purement procédurales, ou plutôt des
obligations de due diligence, comme le souligne le Cameroun dans ses observations
écrites, ces obligations ne peuvent être purement procédurales si les contributions
définies au niveau national sont adoptées et mises en oeuvre d'une manière qui va à
l'encontre de l'objet et du but de l'Accord de Paris et de son article 4. L'objet et le but
de l'Accord de Paris, ainsi que le contexte pertinent, qui comprend l'article 2 relatif
aux objectifs climatiques, doivent être pris en compte dans l'interprétation de l'article
4. Cela signifie qu'aucun État ne peut agir, lors de l'adoption et de la mise en oeuvre
de ses contributions définies au niveau national, d'une manière allant à l'encontre de
l'objet et du but de l'accord.
Question put by Judge Aurescu
“Some participants have argued, during the written and/or oral stages of the
proceedings, that there exists the right to a clean, healthy and sustainable
environment in international law. Could you please develop what is, in your view, the
legal content of this right and its relation with the other human rights which you
consider relevant for this advisory opinion?”
« Certains participants ont fait valoir, dans leurs écritures et/ou lors de la phase orale
de la procédure, que le droit à un environnement propre, sain et durable existe en
droit international. Pourriez-vous expliciter, de votre point de vue, quel est le contenu
juridique de ce droit et quelle est sa relation avec les autres droits de l'homme que
vous considérez pertinents aux fins du présent avis consultatif ? »
Réponse du Cameroun
Tel qu’indiqué aux paragraphes 83-86 des secondes observations écrites du
Cameroun, il existe en droit international un droit à un environnement propre, sain et
durable, ou à tout le moins la Cour devrait le reconnaître.
En ce qui concerne son contenu, le droit à un environnement propre, sain et durable
donne à tous les peuples le droit à un environnement général satisfaisant et
favorable à leur développement. En outre, le droit à un environnement propre et sûr
est étroitement lié aux droits économiques et sociaux, car l'environnement influe sur
la qualité de vie et la sécurité de l'individu. Le droit à un environnement propre, sain
et durable possède aussi un lien fondamental avec le droit à la vie, de chaque
personne, ainsi que des générations présentes et futures.
Tel que l’a rappelé la Commission Africaine des Droits Humains et des Peuples dans
l’affaire Le centre d'action pour les droits sociaux et économiques et le centre pour
les droits économiques et sociaux (Pièce 11 du Cameroun), le droit à un
environnement propres, sain et durable exige des États qu'ils prennent des mesures
raisonnables et autres pour prévenir la pollution et la dégradation écologique, pour
promouvoir la conservation et pour assurer un développement et une utilisation
écologiquement durables des ressources naturelles. Ce droit à un environnement
propre, sain et durable exige que les États ordonnent ou au moins autorisent une
surveillance scientifique indépendante des environnements menacés, exigent et
rendent publiques des études d'impact environnemental et social avant tout
développement industriel majeur, entreprennent une surveillance appropriée et
fournissent des informations aux communautés exposées à des matières et activités
dangereuses et offrent aux individus des possibilités significatives d'être entendus et
de participer aux décisions de développement qui affectent leurs communautés.
Aussi, dans la mesure de leurs capacités respectives, les Etats ont l’obligation d’agir
tel que la rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Verein
KlimaSeniorinnen Schweiz et autres (Pièce 23 du Cameroun), c’est-à-dire :
le devoir primordial de l’État est d’adopter, et d’appliquer effectivement et
concrètement, une réglementation et des mesures aptes à atténuer les effets
actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique.
Cette obligation découle du lien de causalité existant entre le changement
climatique et la jouissance des droits garantis par la Convention […] le respect
effectif des droits protégés [...] exige de chaque État contractant qu’il prenne
des mesures en vue d’une réduction importante et progressive de ses niveaux
d’émission de GES, aux fins d’atteindre la neutralité nette.
Le droit à un environnement propre, sain et durable est une norme impérative de
droit international. L’Accord de Paris et la CCNUCC sont des moyens de respecter
cette norme impérative de droit international. Les Etats doivent coopérer pour mettre
fin, par moyens licites, à toute violation grave d’une telle norme impérative. Aucun
État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une telle violation grave,
ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation.
Tel qu’indiqué dans ses plaidoiries écrites et orales, une violation grave du droit à un
environnement propre, sain et durable, qui peut porter atteinte autant au droit des
personnes que des peuples, ou à l’intégrité territoriale d’États, peut être qualifié
d’écocide et requiert la coopération de tous les États au sens indiqué et requis par la
coutume internationale.
Question put by Judge Charlesworth
“In your understanding, what is the significance of the declarations made by some
States on becoming parties to the UNFCCC and the Paris Agreement to the effect
that no provision in these agreements may be interpreted as derogating from
principles of general international law or any claims or rights concerning
compensation or liability due to the adverse effects of climate change?”
Réponse du Cameroun
Ces déclarations rappellent les positions de ces États ainsi que l'état du droit. Elles
rappellent également que la CCNUCC et l'Accord de Paris ne constituent pas lex
specialis au sens où ces traités excluent l'application du droit international général, y
compris sur la responsabilité de l'État, lorsqu'il est pertinent et applicable.
Fait à Yaoundé, Cameroun, ce 20 décembre 2024.
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Dr. Mougnal Sidi
Ministre Plénipotentiaire
Directeur des Affaires Juridiques et des Engagements Internationaux de l’État
Ministère des Relations Extérieures
République du Cameroun
Réponse écrite du Cameroun aux questions posées par Mme la juge Cleveland, MM. les juges Tladi et Aurescu et Mme la juge Charlesworth au terme de l'audience tenue le 13 décembre 2024