Déclaration de M. le juge Tomka

Document Number
186-20240719-ADV-01-03-EN
Parent Document Number
186-20240719-ADV-01-00-EN
Date of the Document
Document File

DÉCLARATION DE M. LE JUGE TOMKA
[Texte original en français]
1. Ayant cosigné une opinion commune avec Messieurs les juges Abraham et Aurescu, je souhaite faire quelques observations supplémentaires.
2. La requête pour avis consultatif de l’Assemblée générale des Nations Unies porte sur des questions qui ont été inscrites à son ordre du jour dès le tout début de ses activités, après que le Royaume-Uni eut fait connaître son intention de transférer le mandat pour la Palestine à l’Organisation. Sur la base de la recommandation du Comité spécial des Nations Unies sur la Palestine, établit en mai 1947, l’Assemblée générale a adopté le 29 novembre 1947 la résolution 181 (II) contenant un plan de partage visant la création de deux États indépendants, l’un arabe, l’autre juif, et invitant les habitants de la Palestine à prendre toutes les mesures qui pourraient être nécessaires de leur part, en vue d’assurer l’application de ce plan. Alors que le peuple juif accueillit ce plan et que l’État d’Israël proclama son indépendance le 14 mai 1948, la population arabe de Palestine et les États arabes le rejetèrent. Au lieu de cela, cinq États arabes lancèrent une attaque armée contre l’État naissant d’Israël.
3. Certains dirigeants arabes ont revendiqué l’ensemble du territoire de la Palestine pour un État arabe, rejetant ainsi le partage. S’ils avaient accepté le plan et déclaré un État arabe indépendant dans les territoires comme envisagé dans le plan, la tragédie qui afflige la région depuis lors aurait pu être évitée ; la population arabe de Palestine aurait pu alors exercer son droit à l’autodétermination et établir un État qui lui soit propre.
4. Il apparaît aujourd’hui que c’est Israël, ou du moins les milieux politiques importants au sein de cet État, qui voudrait revendiquer, sinon l’ensemble du territoire de la Palestine, du moins sa plus grande partie, comme son propre territoire. C’est ce que démontrent diverses déclarations de dirigeants israéliens, dont le premier ministre, et la poursuite de la politique de colonisation d’Israël en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Cette politique a été entamée peu après le conflit armé de 1967 (la « guerre des Six Jours »), bien qu’Israël ait été conscient que l’établissement de colonies dans le territoire occupé et le transfert de sa population seraient contraires au sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève1. Depuis lors, Israël n’a eu de cesse d’étendre ses colonies de peuplement en Cisjordanie, bien qu’il se soit engagé à s’abstenir de telles activités au titre de l’accord d’Oslo II. Je suis en plein accord avec l’opinion de la Cour selon laquelle ces colonies sont illégales et doivent être considérées comme une tentative d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie, après l’annexion de jure de Jérusalem-Est en 1980.
5. Le Conseil de sécurité, par sa résolution 478 (1980), a décidé à juste titre que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël qui ont modifié ou visaient à modifier le caractère et le statut de Jérusalem, et en particulier la « loi fondamentale » sur Jérusalem, étaient nulles et non avenues et devaient être abrogées immédiatement.
1 Cet avertissement a été clairement formulé dans l’avis du conseiller juridique du ministère israélien des affaires étrangères soumis le 18 septembre 1967 en tant que document « Top Secret » au secrétaire politique du premier ministre et chef de son bureau, qui l’a transmis au ministre de la justice. Des extraits de cet avis figurent dans Gershom Gorenberg, The Accidental Empire: Israel and the Birth of the Settlements, 1967-1977 (New York, 2006), p. 9.
- 2 -
6. À mon avis, la Cour ne fait pas clairement la distinction entre la nullité, qui affecte l’acte en question, le privant de sa validité en droit international, et la responsabilité qui affecte l’État auteur de l’acte frappé de nullité2.
L’acte en question n’affecte pas le régime juridique de l’occupation et Israël demeure lié par ses obligations en vertu du droit international en tant que puissance occupante.
7. La Cour va cependant trop loin lorsqu’elle estime que la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé (en d’autres termes, l’occupation israélienne) est illicite en tant que telle.
L’illicéité dépend de la manière dont l’occupation a été établie. Celle-ci doit être déterminée à l’aune des règles régissant le recours à la force. Le terme « occupation » décrit une situation de fait à laquelle le droit international attache certaines conséquences juridiques. Selon le droit international coutumier tel que reflété à l’article 42 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye de 19073, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. Il n’a pas été demandé à la Cour de déterminer si le recours à la force par Israël en 1967, qui a abouti à l’occupation de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et de la bande de Gaza, était illicite ou non, et elle n’aurait pas été en mesure de répondre à une telle demande. Malgré tout, la Cour observe que certaines actions ultérieures d’Israël ont « rend[u] » illicite la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé (avis consultatif, par. 261), adoptant là une formule qui semblerait plutôt indiquer que l’occupation résulte d’un acte qui n’était pas illicite.
8. Bien que je ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite, je conviens que tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître la situation découlant de sa présence dans ce territoire et de s’abstenir d’apporter aide ou assistance à Israël dans le maintien de cette situation. Le motif principal expliquant ma position tient de ce que je pense que les États ne devraient pas assister Israël dans son objectif d’annexer une grande partie du Territoire palestinien occupé et de traiter celle-ci comme son propre territoire. Au contraire, les États devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de prêter leur concours à la réalisation de l’objectif global de paix au Moyen-Orient, c’est-à-dire celui de parvenir à une situation dans laquelle l’État d’Israël et l’État de Palestine vivent côte à côte, dans la paix et la sécurité, à l’intérieur de leurs frontières internationalement reconnues.
Pour les mêmes raisons, je souscris également au point de vue selon lequel les Nations Unies, et en particulier le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale, devraient examiner les modalités permettant de mettre fin le plus rapidement possible à la présence de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. Cela ne pourra se faire que lorsque la sécurité sera garantie aux deux États. Je suis convaincu que l’atteinte de cet objectif n’a que trop tardé et que tous les acteurs concernés devraient redoubler d’efforts à cet effet. Il s’agit là d’une responsabilité historique que les Nations Unies doivent encore parachever.
(Signé) Peter TOMKA.
___________
2 Voir sur ce point Joe Verhoeven, « Les nullités du droit des gens », dans Prosper Weil (dir. publ.), Droit international 1 (Paris, Pedone, 1981), p. 102-105.
3 La même disposition figurait déjà dans le règlement annexé à la convention II de La Haye de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, adoptée lors de la conférence de la paix de La Haye.

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de M. le juge Tomka

Order
3
Links