19 JULY 2024
ADVISORY OPINION
LEGAL CONSEQUENCES ARISING FROM THE POLICIES AND PRACTICES OF ISRAEL IN THE OCCUPIED PALESTINIAN TERRITORY, INCLUDING EAST JERUSALEM
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CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
19 JUILLET 2024
AVIS CONSULTATIF
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-21
I. COMPÉTENCE ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE 22-50
A. Compétence 23-29
B. Pouvoir discrétionnaire 30-49
1. Point de savoir si la demande concerne un différend entre deux parties, dont l’une n’a pas consenti à la compétence de la Cour 33-35
2. Point de savoir si l’avis de la Cour aiderait l’Assemblée générale à exercer ses fonctions 36-37
3. Point de savoir si l’avis de la Cour pourrait compromettre le processus de négociation entre Israël et la Palestine 38-40
4. Point de savoir si un avis consultatif aurait une incidence négative sur les travaux du Conseil de sécurité 41-43
5. Point de savoir si la Cour dispose d’informations suffisantes lui permettant de donner un avis consultatif 44-47
6. Point de savoir si la formulation des questions est biaisée 48-49
II. CONTEXTE GÉNÉRAL 51-71
III. PORTÉE ET SENS DES QUESTIONS POSÉES PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 72-83
IV. DROIT APPLICABLE 84-102
V. POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ 103-243
A. Question de l’occupation prolongée 104-110
B. Politique de colonisation 111-156
1. Vue d’ensemble 111-114
2. Transfert de la population civile 115-119
3. Confiscation ou réquisition de terres 120-123
4. Exploitation des ressources naturelles 124-133
5. Extension de la législation israélienne 134-141
6. Déplacement forcé de la population palestinienne 142-147
7. Violence contre les Palestiniens 148-154
8. Conclusion concernant la politique israélienne de colonisation 155-156
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C. Question de l’annexion du Territoire palestinien occupé 157-179
1. Notion d’annexion 158-161
2. Actes accomplis par Israël qui équivalent à une annexion 162-173
3. Interdiction de l’acquisition de territoire par la force 174-179
D. Question des lois et mesures discriminatoires 180-229
1. Portée de la question a) 180-184
2. Notion de discrimination 185-191
3. Politique relative aux permis de résidence 192-197
4. Restrictions à la liberté de circulation 198-206
5. Démolition de biens 207-222
a) Démolitions punitives 208-213
b) Démolitions pour défaut de permis de construire 214-222
6. Conclusion concernant les lois et mesures discriminatoires adoptées par Israël 223-229
E. Question de l’autodétermination 230-243
VI. EFFETS DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL SUR LE STATUT JURIDIQUE DE L’OCCUPATION 244-264
A. La portée de la première partie de la question b) et le droit applicable 244-251
B. La manière dont les politiques et pratiques israéliennes influent sur le statut juridique de l’occupation 252-258
C. La licéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé 259-264
VII. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL ET DE L’ILLICÉITÉ DE LA PRÉSENCE D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ 265-283
A. Conséquences juridiques pour Israël 267-272
B. Conséquences juridiques pour les autres États 273-279
C. Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies 280-283
DISPOSITIF 285
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
19 juillet
Rôle général
no 186
19 juillet 2024
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
Compétence de la Cour pour donner l’avis consultatif demandé.
Paragraphe 1 de l’article 65 du Statut — Paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte — Pouvoir de l’Assemblée générale de solliciter des avis consultatifs — Demande ayant été soumise conformément à la Charte — Questions portées devant la Cour revêtant un caractère juridique.
Cour ayant compétence pour donner l’avis consultatif demandé.
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Pouvoir discrétionnaire de la Cour de décider s’il échet de donner un avis.
Paragraphe 1 de l’article 65 du Statut — Seules des « raisons décisives » pouvant conduire la Cour à refuser d’exercer sa fonction judiciaire.
Affirmation selon laquelle la demande concerne un différend entre deux parties dont l’une n’a pas consenti à la compétence de la Cour — Question qui fait l’objet de la demande de l’Assemblée générale n’étant pas seulement une question bilatérale entre Israël et la Palestine — Question intéressant et préoccupant particulièrement l’Organisation des Nations Unies — Fait pour la Cour de donner l’avis sollicité ne reviendrait pas à contourner le principe du consentement au règlement judiciaire.
Affirmation selon laquelle la réponse de la Cour n’aiderait pas l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions — Appréciation de l’utilité de l’avis appartenant à l’organe dont émane la demande.
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Affirmation selon laquelle l’avis de la Cour pourrait compromettre le processus de négociation entre Israël et la Palestine — Question de l’effet préjudiciable éventuel relevant de la conjecture — Cour ne pouvant se perdre en supputations sur les effets de son avis.
Affirmation selon laquelle un avis consultatif aurait une incidence négative sur les travaux du Conseil de sécurité — Responsabilité principale du Conseil de sécurité s’agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales n’étant pas nécessairement exclusive — Assemblée générale ayant compétence pour traiter de questions relatives à la paix et à la sécurité internationales, telles que celles que soulèvent les questions posées à la Cour.
Affirmation selon laquelle la Cour ne dispose pas d’informations suffisantes lui permettant de donner un avis consultatif — Cour considérant qu’elle possède suffisamment d’informations sur les faits.
Affirmation selon laquelle la formulation des questions est biaisée — Appréciation et évaluation du caractère approprié de la formulation des questions revenant à la Cour — Cour ayant le pouvoir de déterminer elle-même la portée et le sens des questions.
Absence de raisons décisives devant conduire la Cour à refuser de donner l’avis demandé par l’Assemblée générale.
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Portée et sens des questions posées par l’Assemblée générale.
Portée matérielle — Question a) visant trois types de comportements qui, selon la question b), constituent les politiques et pratiques d’Israël — Libellé de la question a) partant du principe que ces politiques et pratiques sont contraires au droit international — Cour étant toutefois tenue de déterminer la licéité des politiques et pratiques mentionnées par l’Assemblée générale — Modes de preuve appliqués par la Cour — Cour n’ayant pas à formuler des conclusions factuelles concernant des incidents précis.
Portée territoriale — Territoire palestinien occupé depuis 1967 comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza — « Territoire palestinien occupé » constituant, du point de vue juridique, une seule et même entité territoriale.
Portée temporelle — Rien n’empêchant la Cour de tenir compte de faits antérieurs à l’occupation — Politiques et pratiques visées dans la demande n’incluant pas le comportement adopté par Israël dans la bande de Gaza en réaction à l’attaque menée le 7 octobre 2023.
Première partie de la question b) invitant la Cour à déterminer quelle est l’incidence des politiques et pratiques d’Israël sur le statut juridique de l’occupation et, partant, sur la licéité de la présence continue d’Israël, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé.
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Droit applicable.
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Statut du Territoire palestinien occupé — Cisjordanie et Jérusalem-Est étant des territoires occupés dans lesquels Israël a le statut de puissance occupante — Examen du statut de la bande de Gaza — Obligations d’Israël dans la bande de Gaza étant proportionnées au degré de son contrôle effectif.
Pertinence de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la menace ou l’emploi de la force et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes — Pertinence particulière du droit international humanitaire — Quatrième convention de Genève étant applicable dans le Territoire palestinien occupé — Règlement de La Haye s’imposant à Israël — Droit international relatif aux droits de l’homme — Israël étant lié par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels — Israël devant se conformer à la CIEDR — Question des accords d’Oslo — Accords d’Oslo ne pouvant être interprétés comme limitant d’une quelconque manière les obligations incombant à Israël au regard des règles de droit international pertinentes applicables dans le Territoire palestinien occupé.
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Politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
Question a) portant en partie sur les conséquences juridiques découlant de l’« occupation prolongée » par Israël du Territoire palestinien occupé — Puissance occupante étant tenue d’administrer le territoire dans l’intérêt de la population locale — Nature et portée des pouvoirs et responsabilités de la puissance occupante reposant toujours sur le postulat que l’occupation est une situation temporaire répondant à une nécessité militaire — Occupation ne pouvant donner lieu à un transfert de titre à la puissance occupante — Fait qu’une occupation se prolonge pouvant avoir une incidence sur la justification, au regard du droit international, de la présence continue de la puissance occupante dans le territoire occupé — Cour devant examiner les politiques et pratiques d’Israël, ainsi que sa présence continue dans le Territoire palestinien occupé, dans ce contexte.
Politique de colonisation.
Israël ayant, depuis le retrait de ses colonies de la bande de Gaza en 2005, poursuivi sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est — Cour devant limiter son analyse à la politique de colonisation qu’Israël continue de mettre en oeuvre dans ces territoires.
Transfert par Israël de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et maintien de leur présence étant contraires au sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève — Expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est reposant sur la confiscation ou la réquisition de vastes étendues de terre — Politiques foncières d’Israël n’étant pas conformes aux articles 46, 52 et 55 du règlement de La Haye.
Exploitation des ressources naturelles — Puissance occupante ayant uniquement un rôle d’administrateur et d’usufruitier des ressources naturelles du territoire occupé et étant tenu de sauvegarder le fonds de ces ressources — Puissance occupante ne pouvant utiliser les ressources naturelles que dans la limite de ce qui est nécessaire aux fins de l’occupation — Puissance occupante ayant l’obligation continue de veiller à ce que la population locale dispose d’un accès adéquat à la nourriture, y compris l’approvisionnement en eau — Utilisation des ressources naturelles du territoire occupé devant être durable — Éléments attestant qu’Israël exploite les ressources naturelles de la zone C au profit de sa propre population, en lésant la population palestinienne locale — Usage que fait Israël des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé n’étant pas conforme aux obligations que lui impose le droit international.
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Extension de la législation israélienne à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est — Article 43 du règlement de La Haye prévoyant que la puissance occupante doit, de manière générale, respecter, sauf empêchement absolu, le droit en vigueur dans le territoire occupé — Exceptions énoncées au deuxième alinéa de l’article 64 de la quatrième convention de Genève — Extension du droit israélien à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est n’étant pas justifiée au regard de la disposition pertinente de la quatrième convention de Genève — Autorité réglementaire étant exercée par Israël d’une manière non conforme à la règle reflétée à l’article 43 du règlement de La Haye et à l’article 64 de la quatrième convention de Genève.
Déplacement forcé de la population palestinienne — Confiscation à grande échelle des terres et de l’accès aux ressources naturelles et mesures prises par les forces armées israéliennes entraînant le départ de la population palestinienne de la zone C — Politiques et pratiques d’Israël étant contraires à l’interdiction du transfert forcé de la population protégée au regard du premier alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève.
Violence contre les Palestiniens — Fait qu’Israël manque systématiquement de prévenir ou de punir les attaques des colons portant atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des Palestiniens et usage excessif de la force auquel il se livre contre ces derniers étant incompatibles avec les obligations que lui imposent l’article 46 du Règlement de La Haye, le premier alinéa de l’article 27 de la quatrième convention de Genève, ainsi que l’article 6, paragraphe 1 et l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et régime qui leur est associé ayant été établis et étant maintenus en violation du droit international.
Question de l’annexion du Territoire palestinien occupé.
Comportement de la puissance occupante qui traduit une intention d’exercer un contrôle permanent sur le territoire occupé pouvant constituer un acte d’annexion — Politiques et pratiques d’Israël, notamment à Jérusalem-Est et dans la zone C de la Cisjordanie, étant destinées à rester en place indéfiniment et à créer sur le terrain des effets irréversibles — Politiques et pratiques d’Israël équivalant à une annexion de vastes parties du Territoire palestinien occupé — Interdiction de l’emploi de la force dans les relations internationales et son corollaire, le principe de non-acquisition de territoire par la force.
Question des lois et mesures discriminatoires.
Notion de discrimination — Cour devant déterminer si les lois et les mesures adoptées par Israël établissent des distinctions fondées, notamment, sur la race, la religion ou l’appartenance ethnique entre les Palestiniens et les membres d’autres groupes en ce qui concerne leur jouissance des droits de l’homme — Point de savoir si cette différence de traitement est néanmoins justifiée, en ce qu’elle est raisonnable et objective et répond à un objectif légitime d’intérêt public.
Politique d’Israël relative aux permis de résidence constituant une discrimination prohibée au regard des articles 2, paragraphe 2, 23 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des articles 2, paragraphe 2, et 10, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels — Restrictions imposées par Israël à la liberté de circulation des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé constituant une discrimination prohibée — Pratique d’Israël consistant à détruire des biens palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, y compris les démolitions punitives et les démolitions pour défaut de permis de construire, constituant une discrimination prohibée — Lois et mesures d’Israël imposant et permettant de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes — Lois et mesures d’Israël emportant violation de l’article 3 de la CIEDR.
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Question de l’autodétermination.
Effets des politiques et pratiques d’Israël sur l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination — Droit à l’autodétermination constituant, en cas d’occupation étrangère, une norme impérative de droit international — Obligation incombant à Israël, en tant que puissance occupante, de ne pas entraver l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination — Politique de colonisation d’Israël et annexion par lui de vastes portions du Territoire palestinien occupé emportant violation de l’intégrité de celui-ci — Politiques et pratiques d’Israël faisant obstacle au droit du peuple palestinien de déterminer librement son statut politique et d’assurer librement son développement économique, social et culturel — Caractère prolongé des politiques et pratiques illicites d’Israël aggravant la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
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Effets des politiques et pratiques d’Israël sur le statut juridique de l’occupation.
Portée de la première partie de la question b) et droit applicable.
Première partie de la question b) ayant trait à la manière dont les politiques et pratiques d’Israël influent sur le statut juridique de l’occupation et, par là même, sur la licéité de la présence continue d’Israël, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé — Pertinence du jus ad bellum et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Manière dont les politiques et pratiques d’Israël influent sur le statut juridique de l’occupation.
Affirmation par Israël de sa souveraineté sur certaines parties du Territoire palestinien occupé et annexion de celles-ci constituant une violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force — Israël n’ayant pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé et n’étant pas fondé à y exercer des pouvoirs souverains — Préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne pouvant l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force — Israël entravant l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination — Violation de principes fondamentaux du droit international — Impact direct sur la licéité de la présence continue d’Israël, en tant que puissance occupante — Présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé étant illicite — Illicéité s’appliquant à l’intégralité du Territoire palestinien occupé par Israël en 1967 — Pas d’exception en raison des accords d’Oslo — Illicéité de sa présence ne libérant pas Israël des obligations et responsabilités que le droit international lui impose.
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Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël et de l’illicéité de la présence continue de celui-ci dans le Territoire palestinien occupé.
Conséquences juridiques pour Israël.
Israël ayant l’obligation de mettre fin à sa présence dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais — Obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de
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colonisation — Obligation d’abroger toutes lois et mesures créant ou maintenant la situation illicite, y compris celles qui sont discriminatoires à l’égard du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que toutes mesures destinées à modifier la composition démographique de quelque partie de ce territoire — Obligation de réparer intégralement les dommages causés par les faits internationalement illicites d’Israël à toutes les personnes physiques ou morales concernées — Israël demeurant tenu d’observer l’obligation qui lui incombe de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ainsi que les obligations que lui imposent le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits de l’homme.
Conséquences juridiques pour les autres États.
Tous les États devant coopérer avec l’Organisation des Nations Unies en vue de donner effet aux modalités requises pour veiller à ce qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et à ce que le peuple palestinien exerce pleinement son droit à l’autodétermination — Tous les États étant tenus de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé — Obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé — Obligation de distinguer, dans les rapports avec Israël, entre le territoire de celui-ci et le Territoire palestinien occupé.
Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies.
Obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé — Obligation de distinguer, dans les rapports avec Israël, entre le territoire de celui-ci et le Territoire palestinien occupé — Question des modalités précises pour qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé devant être traitée par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité.
AVIS CONSULTATIF
Présents : M. SALAM, président ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente ; MM. TOMKA, ABRAHAM, YUSUF, Mme XUE, MM. BHANDARI, IWASAWA, NOLTE, Mme CHARLESWORTH, MM. BRANT, GÓMEZ ROBLEDO, Mme CLEVELAND, MM. AURESCU, TLADI, juges ; M. GAUTIER, greffier.
Sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est,
LA COUR,
ainsi composée,
donne l’avis consultatif suivant :
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1. Les questions sur lesquelles un avis consultatif est demandé à la Cour sont énoncées dans la résolution 77/247 que l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ci-après l’« Assemblée générale ») a adoptée le 30 décembre 2022. Par lettre datée du 17 janvier 2023 et reçue au Greffe le 19 janvier 2023, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a officiellement communiqué à la Cour la décision prise par l’Assemblée générale de lui soumettre ces questions pour avis consultatif. Des copies certifiées conformes des versions française et anglaise de la résolution étaient jointes à cette lettre. Le paragraphe 18 de cette résolution se lit comme suit :
« L’Assemblée générale,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18. Décide, conformément à l’Article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article 65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
2. Par lettres en date du 19 janvier 2023, le greffier a notifié la requête pour avis consultatif à tous les États admis à ester devant la Cour, conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du Statut.
3. Par ordonnance en date du 3 février 2023, la Cour a décidé, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut, que l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine, étaient jugés susceptibles de fournir des renseignements sur les questions qui lui étaient soumises pour avis consultatif, et fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur les questions pourraient lui être présentés et au 25 octobre 2023 la date d’expiration du délai dans lequel les États ou organisations qui auraient présenté un exposé écrit pourraient présenter des observations écrites sur les autres exposés écrits.
4. Par lettres en date du 6 février 2023, le greffier a informé l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine, des décisions de la Cour et leur a fait tenir copie de l’ordonnance.
5. Statuant sur des demandes présentées ultérieurement par la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, la Cour a décidé, conformément à l’article 66 de son Statut, que ces trois organisations internationales étaient susceptibles de fournir des renseignements sur les questions dont la Cour est saisie, et qu’en conséquence elles pourraient le faire dans les délais fixés par la Cour.
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6. Conformément au paragraphe 2 de l’article 65 du Statut, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a, sous le couvert d’une lettre du conseiller juridique de l’Organisation datée du 31 mai 2023 et reçue au Greffe le 1er juin 2023, communiqué à la Cour la première partie d’un dossier de documents pouvant servir à élucider les questions formulées par l’Assemblée générale. La seconde partie de ce dossier a été reçue au Greffe le 23 juin 2023, sous le couvert d’une lettre du conseiller juridique de l’Organisation datée du 22 juin 2023. Les États Membres des Nations Unies, l’État observateur de Palestine, la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine ont été informés de ces deux communications les 2 et 26 juin 2023, respectivement.
7. Dans le délai tel que fixé par la Cour dans son ordonnance du 3 février 2023, des exposés écrits ont été déposés au Greffe, selon l’ordre de réception, par la Türkiye, la Namibie, le Luxembourg, le Canada, le Bangladesh, la Jordanie, le Chili, le Liechtenstein, le Liban, la Norvège, Israël, l’Algérie, la Ligue des États arabes, la République arabe syrienne, la Palestine, l’Organisation de la coopération islamique, l’Égypte, le Guyana, le Japon, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Suisse, l’Espagne, la Fédération de Russie, l’Italie, le Yémen, les Maldives, les Émirats arabes unis, Oman, l’Union africaine, le Pakistan, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Hongrie, le Brésil, la France, le Koweït, les États-Unis d’Amérique, la Chine, la Gambie, l’Irlande, le Belize, la Bolivie, Cuba, Maurice, le Maroc, la Tchéquie, la Malaisie, la Colombie, l’Indonésie, le Guatemala, Nauru, Djibouti, le Togo et les Fidji.
8. Par une communication en date du 28 juillet 2023, le Greffe a fait connaître aux États Membres des Nations Unies ayant déposé des exposés écrits, à l’État observateur de Palestine ainsi qu’à la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, la liste des participants ayant soumis des exposés écrits en l’espèce et leur a indiqué que ceux-ci pouvaient être téléchargés depuis un portail en ligne dédié géré par le Greffe.
9. La présidente de la Cour a autorisé, à titre exceptionnel, le dépôt de l’exposé écrit du Sénégal le 1er août 2023 et de celui de la Zambie le 4 août 2023, après l’expiration du délai pertinent.
10. Par une lettre en date du 7 août 2023, le greffier a informé l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres non déposants que des exposés écrits avaient été déposés au Greffe.
11. Par lettres en date du 18 octobre 2023, le greffier a informé l’Organisation des Nations Unies, ses États Membres et l’État observateur de Palestine, ainsi que la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, que la Cour avait décidé qu’une procédure orale aurait lieu sur la demande d’avis consultatif, laquelle s’ouvrirait le 19 février 2024. Il était précisé que, au cours de ladite procédure, des exposés et observations pourraient être présentés oralement par l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres (qu’ils aient ou non déposé des exposés écrits et, le cas échéant, des observations écrites), l’État observateur de Palestine, ainsi que la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine. Le greffier leur a par ailleurs demandé de bien vouloir indiquer au Greffe, le 15 décembre 2023 au plus tard, s’ils entendaient prendre part à la procédure orale.
12. Par lettres en date du 31 octobre 2023, le greffier a fait savoir aux États Membres des Nations Unies, à l’État observateur de Palestine, ainsi qu’à la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, que le Secrétariat de l’Organisation des
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Nations Unies avait communiqué à la Cour de nouveaux documents et la traduction de documents préalablement soumis, en complément du dossier présenté conformément au paragraphe 2 de l’article 65 du Statut.
13. Dans le délai tel que fixé par la Cour dans son ordonnance du 3 février 2023, des observations écrites ont été déposées au Greffe par, selon l’ordre de réception, la Jordanie, l’Organisation de la coopération islamique, le Qatar, le Belize, le Bangladesh, la Palestine, les États-Unis d’Amérique, l’Indonésie, le Chili, la Ligue des États arabes, l’Égypte, l’Algérie, le Guatemala et la Namibie.
14. Dès réception de ces observations écrites, le greffier a, par communications en date du 30 octobre 2023, informé les États Membres des Nations Unies, l’État observateur de Palestine et les organisations internationales ayant présenté des exposés écrits, que des observations écrites avaient été présentées et que ces observations pouvaient être téléchargées depuis un portail en ligne dédié géré par le Greffe.
15. La présidente de la Cour a autorisé, le 2 novembre 2023, à titre exceptionnel, le dépôt des observations écrites du Pakistan, après l’expiration du délai pertinent. Les États Membres des Nations Unies et organisations internationales ayant présenté des exposés écrits, ainsi que l’État observateur de Palestine, en ont été informés par une communication en date du même jour.
16. Par des communications en date du 2 novembre 2023, le greffier a indiqué à l’Organisation des Nations Unies ainsi qu’à ses États Membres qui n’avaient pas pris part à la procédure écrite que les exposés écrits et les observations écrites soumis dans le cadre de la présente procédure pouvaient être téléchargés depuis un portail en ligne dédié géré par le Greffe.
17. Par des communications en date du 20 novembre 2023, le greffier a informé l’Organisation des Nations Unies, ses États Membres et l’État observateur de Palestine, ainsi que la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, que des organisations non gouvernementales avaient présenté, de leur propre initiative, des exposés écrits dans le cadre de la présente procédure consultative, en application de l’instruction de procédure XII, et que ces exposés avaient été mis à leur disposition sur un portail en ligne dédié géré par le Greffe.
18. Par lettres en date du 9 janvier 2024, le greffier a communiqué aux États Membres des Nations Unies prenant part à la procédure orale et à l’État observateur de Palestine, ainsi qu’à la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, la liste des participants à la procédure orale et y a joint le calendrier détaillé de celle-ci. Il les a également, par mêmes courriers, informés de certaines modalités pratiques concernant l’organisation de ladite procédure orale.
19. Par lettres en date du 15 janvier 2024, le greffier a communiqué à l’Organisation des Nations Unies et à ses États Membres ne prenant pas part à la procédure orale la liste des participants à la procédure orale et y a joint le calendrier détaillé de celle-ci.
20. Conformément à l’article 106 de son Règlement, la Cour a décidé que le texte des exposés écrits et des observations écrites qui lui ont été présentés serait rendu accessible au public après
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l’ouverture de la procédure orale. Le texte des exposés écrits et observations écrites des États ne prenant pas part à la procédure orale serait rendu accessible au public le premier jour des audiences. Celui des exposés écrits et observations écrites des États et organisations prenant part à la procédure orale le serait à la fin de la journée au cours de laquelle lesdits États et organisations seraient intervenus.
21. Au cours de la procédure orale qui s’est tenue les 19, 20, 21, 22, 23 et 26 février 2024, la Cour a entendu en leurs exposés oraux et dans l’ordre suivant :
pour l’État de Palestine :
S. Exc. M. Riad Malki, ministre des affaires étrangères et des expatriés de l’État de Palestine,
M. Andreas Zimmermann, LLM (Harvard), professeur à l’Université de Potsdam, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
M. Paul S. Reichler, avocat au cabinet 11 King’s Bench Walk, membre du barreau de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique,
S. Exc. Mme Namira Negm, PhD, ambassadrice,
M. Philippe Sands, KC, professeur de droit à l’University College London, avocat au cabinet 11 King’s Bench Walk,
M. Alain Pellet, professeur émérite de l’Université Paris Nanterre, ancien président de la Commission du droit international, membre et ancien président de l’Institut de droit international,
S. Exc. M. Riyad Mansour, ministre, représentant permanent de l’État de Palestine auprès de l’Organisation des Nations Unies (New York) ;
pour la République sud-africaine :
S. Exc. M. Vusimuzi Madonsela, ambassadeur de la République sud-africaine auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Pieter Andreas Stemmet, conseiller juridique principal de l’État par intérim (droit international), ministère des relations et de la coopération internationales ;
pour la République algérienne démocratique et populaire :
M. Ahmed Laraba, juriste, membre de la Commission du droit international ;
pour le Royaume d’Arabie saoudite :
S. Exc. M. Ziad Al Atiyah, ambassadeur du Royaume d’Arabie saoudite auprès du Royaume des Pays-Bas ;
pour le Royaume des Pays-Bas :
M. René Lefeber, conseiller juridique, ministère des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas, représentant du Gouvernement du Royaume des Pays-Bas ;
pour la République populaire du Bangladesh :
S. Exc. M. Riaz Hamidullah, ambassadeur de la République populaire du Bangladesh auprès du Royaume des Pays-Bas ;
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pour le Royaume de Belgique :
M. Piet Heirbaut, jurisconsulte, directeur général des affaires juridiques, service public fédéral, affaires étrangères, commerce extérieur et coopération au développement du Royaume de Belgique,
M. Vaios Koutroulis, professeur de droit international, Université libre de Bruxelles ;
pour le Belize :
S. Exc. M. Assad Shoman, ambassadeur, envoyé spécial du premier ministre du Belize chargé des questions de souveraineté,
Mme Philippa Webb, professeure de droit international public au King’s College London, membre des barreaux du Belize et de l’État de New York ainsi que du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, cabinet Twenty Essex,
M. Ben Juratowitch, KC, membre des barreaux du Belize et de Paris ainsi que du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Essex Court Chambers ;
pour l’État plurinational de Bolivie :
S. Exc. M. Roberto Calzadilla Sarmiento, ambassadeur de l’État plurinational de Bolivie auprès du Royaume des Pays-Bas ;
pour la République fédérative du Brésil :
Mme Maria Clara de Paula Tusco, conseillère ;
pour la République du Chili :
Mme Ximena Fuentes Torrijo, représentante spéciale de la République du Chili ;
pour la République de Colombie :
Mme Andrea Jiménez Herrera, ministre conseillère, cheffe du groupe chargé des affaires portées devant la Cour internationale de Justice, ministère des affaires étrangères de la République de Colombie ;
pour la République de Cuba :
S. Exc. Mme Anayansi Rodríguez Camejo, vice-ministre des affaires étrangères ;
pour la République arabe d’Égypte :
Mme Jasmine Moussa, conseillère juridique, cabinet du ministre des affaires étrangères, ministère des affaires étrangères de la République arabe d’Égypte ;
pour les Émirats arabes unis :
S. Exc. Mme Lana Nusseibeh, ministre déléguée aux affaires politiques, représentante permanente des Émirats arabes unis auprès de l’Organisation des Nations Unies ;
pour les États-Unis d’Amérique :
M. Richard C. Visek, conseiller juridique par intérim, département d’État des États-Unis d’Amérique ;
pour la Fédération de Russie :
S. Exc. M. Vladimir Tarabrin, ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Royaume des Pays-Bas ;
pour la République française :
M. Diégo Colas, jurisconsulte, directeur des affaires juridiques, ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;
pour la République de Gambie :
l’honorable Dawda A. Jallow, Attorney General et ministre de la justice ;
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pour la République coopérative du Guyana :
M. Edward Craven, avocat au cabinet Matrix Chambers (Londres) ;
pour la Hongrie :
M. Attila Hidegh, secrétaire d’État adjoint à la coopération internationale, ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur de la Hongrie,
M. Gergő Kocsis, chef du département des Nations Unies ;
pour la République populaire de Chine :
S. Exc. M. Ma Xinmin, conseiller juridique du ministère des affaires étrangères, directeur général, département des traités et du droit, ministère des affaires étrangères ;
pour la République islamique d’Iran :
S. Exc. M. Reza Najafi, vice-ministre des affaires étrangères chargé des affaires juridiques et internationales, ministère des affaires étrangères ;
pour la République d’Iraq :
S. Exc. M. Hayder Albarrak, chef du département juridique, ministère des affaires étrangères ;
pour l’Irlande :
M. Rossa Fanning, SC, Attorney General ;
pour le Japon :
M. Tomohiro Mikanagi, conseiller juridique, directeur général du bureau des affaires juridiques internationales, ministère des affaires étrangères du Japon,
M. Dapo Akande, professeur de droit international public (chaire Chichele) à l’Université d’Oxford, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Essex Court Chambers ;
pour le Royaume hachémite de Jordanie :
S. Exc. M. Ayman Safadi, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères et des expatriés du Royaume hachémite de Jordanie,
S. Exc. M. Ahmad Ziadat, ministre de la justice du Royaume hachémite de Jordanie,
Sir Michael Wood, KCMG, KC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, cabinet Twenty Essex (Londres) ;
pour l’État du Koweït :
S. Exc. M. Ali Ahmad Ebraheem S. Al-Dafiri, ambassadeur de l’État du Koweït auprès du Royaume des Pays-Bas, agent de l’État du Koweït,
S. Exc. M. Tareq M. A. M. Al-Banai, représentant permanent de l’État du Koweït auprès de l’Organisation des Nations Unies,
S. Exc. Mme Tahani R. F. Al-Nasser, ministre déléguée aux affaires étrangères de l’État du Koweït chargée des affaires juridiques ;
pour la République libanaise :
S. Exc. M. Abdel Sattar Issa, ambassadeur de la République libanaise auprès du Royaume des Pays-Bas ;
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pour l’État de Libye :
M. Ahmed El Gehani, représentant de l’État de Libye auprès de la Cour pénale internationale,
M. Nasser F. O. Algheitta, conseiller juridique, mission permanente de l’État de Libye auprès de l’Office des Nations Unies à Genève ;
pour le Grand-Duché de Luxembourg :
M. Alain Germeaux, directeur des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères et européennes du Grand-Duché de Luxembourg ;
pour la Malaisie :
S. Exc. Dato’ Seri Utama Haji Mohamad Haji Hasan, ministre des affaires étrangères de la Malaisie ;
pour la République de Maurice :
S. Exc. M. Jagdish D. Koonjul, représentant permanent de la République de Maurice auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York,
M. Pierre Klein, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles ;
pour la République de Namibie :
l’honorable Yvonne Dausab, ministre de la justice,
Mme Phoebe Okowa, professeure de droit international public à l’Université de Londres, conseillère juridique de la Namibie ;
pour le Royaume de Norvège :
M. Kristian Jervell, directeur général du département des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères,
S. Exc. M. Rolf Einar Fife, ambassadeur en mission spéciale, ministère des affaires étrangères ;
pour le Sultanat d’Oman :
S. Exc. le cheikh Abdullah bin Salim bin Hamed Al Harthi, ambassadeur du Sultanat d’Oman auprès du Royaume des Pays-Bas ;
pour la République islamique du Pakistan :
S. Exc. M. Ahmed Irfan Aslam, ministre d’État au droit et à la justice de la République islamique du Pakistan ;
pour la République d’Indonésie :
S. Exc. Mme Retno L. P. Marsudi, ministre des affaires étrangères de la République d’Indonésie ;
pour l’État du Qatar :
S. Exc. M. Mutlaq Bin Majed Al-Qahtani, ambassadeur de l’État du Qatar auprès du Royaume des Pays-Bas ;
pour le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord :
Mme Sally Langrish, représentante du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord devant la Cour internationale de Justice, conseillère juridique et directrice générale des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement,
M. Dan Sarooshi, KC, professeur de droit international public à l’Université d’Oxford, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Essex Court Chambers ;
pour la République de Slovénie :
M. Helmut Hartman, conseiller juridique, ambassade de la République de Slovénie au Royaume des Pays-Bas,
M. Daniel Müller, associé fondateur du cabinet FAR Avocats, avocat au barreau de Paris ;
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pour la République du Soudan :
M. Marwan A.M. Khier, chargé d’affaires à l’ambassade de la République du Soudan au Royaume des Pays-Bas,
M. Fabián Raimondo, professeur associé de droit international public à l’Université de Maastricht, membre du barreau de la ville de La Plata (Argentine) ;
pour la Confédération suisse :
S. Exc. M. Franz Perrez, directeur, direction du droit international public, département fédéral des affaires étrangères ;
pour la République arabe syrienne :
M. Ammar Al Arsan, chef de la mission permanente de la République arabe syrienne auprès de l’Union européenne à Bruxelles ;
pour la République tunisienne :
M. Slim Laghmani, professeur de droit international public (à la retraite) ;
pour la République de Türkiye :
S. Exc. M. Ahmet Yıldız, vice-ministre des affaires étrangères de la République de Türkiye ;
pour la République de Zambie :
M. Marshal Mubambe Muchende, State Counsel et Solicitor-General de la République de Zambie ;
pour la Ligue des États arabes :
M. Abdel Hakim El Rifai, chargé d’affaires par intérim, mission permanente de la Ligue des États arabes à Bruxelles,
M. Ralph Wilde, conseil principal et avocat ;
pour l’Organisation de la coopération islamique :
S. Exc. M. Hissein Brahim Taha, secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique,
Mme Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques à l’Université Paris Diderot, conseil ;
pour l’Union africaine :
Mme Hajer Gueldich, conseil juridique de l’Union africaine,
M. Mohamed Helal, professeur de droit au Moritz College of Law de l’Université de l’État de l’Ohio, membre de la Cour permanente d’arbitrage, membre de la Commission de l’Union africaine sur le droit international ;
pour le Royaume d’Espagne :
Mme Andrea Gavela Llopis, avocate principale de l’État, ministère des affaires étrangères du Royaume d’Espagne,
M. Emilio Pin Godos, chef adjoint du bureau du droit international, ministère des affaires étrangères du Royaume d’Espagne,
M. Santiago Ripol Carulla, chef du bureau du droit international, ministère des affaires étrangères du Royaume d’Espagne ;
pour la République des Fidji :
S. Exc. M. Filipo Tarakinikini, représentant permanent de la République des Fidji auprès de l’Organisation des Nations Unies (New York) ;
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pour la République des Maldives :
S. Exc. Mme Aishath Shaan Shakir, ambassadrice de la République des Maldives auprès de la République fédérale d’Allemagne,
Mme Amy Sander, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
Mme Naomi Hart, Essex Court Chambers, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles.
I. COMPÉTENCE ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
22. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, la Cour doit commencer par déterminer si elle a compétence pour donner l’avis sollicité et, dans l’affirmative, s’il existe une quelconque raison pour elle, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser de répondre à la demande (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif (ci-après l’« avis consultatif sur le Mur »), C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 13 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 111, par. 54).
A. Compétence
23. La Cour tient sa compétence consultative du paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, aux termes duquel elle « peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis ».
24. La Cour relève que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte, l’Assemblée générale « peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique ».
25. Conformément à la condition énoncée à l’article 96 de la Charte et à l’article 65 de son Statut, la Cour doit s’assurer que la question sur laquelle elle est priée de donner son avis est une « question juridique ».
26. Tous les participants qui ont abordé ce point ont jugé que la Cour avait compétence pour donner l’avis consultatif sollicité et que les questions contenues dans le paragraphe 18 de la résolution 77/247 étaient des questions juridiques.
27. En la présente espèce, l’Assemblée générale a posé deux questions à la Cour (voir le paragraphe 1 ci-dessus). Ces questions concernent, premièrement, les conséquences juridiques découlant de certaines politiques et pratiques d’Israël en tant que puissance occupante dans une situation d’occupation de guerre depuis 1967 et, deuxièmement, l’incidence de ces politiques et pratiques sur le statut juridique de l’occupation au regard de certaines règles et de certains principes du droit international ainsi que les conséquences juridiques qui découlent de ce statut. La Cour considère que ces questions constituent des questions juridiques.
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28. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la demande a été soumise conformément aux dispositions de la Charte et de son Statut et qu’elle a, par conséquent, compétence pour donner l’avis sollicité.
29. Les participants à la présente procédure ont toutefois exprimé des vues divergentes quant au point de savoir si les questions posées étaient formulées de manière claire et précise. Si certains considèrent que tel est le cas, d’autres estiment en revanche que les différents aspects de ces questions ne sont pas tous présentés clairement. À cet égard, la Cour fait observer qu’un « manque de clarté dans le libellé d’une question ne saurait [la] priver … de sa compétence. Tout au plus, du fait de ces incertitudes, … devra-t-elle préciser l’interprétation à donner à la question, ce qu’elle a souvent fait. » (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153-154, par. 38.) En la présente espèce, la Cour ne voit aucune raison de reformuler les questions qui lui sont posées. Néanmoins, elle précisera l’interprétation qu’elle en fait chaque fois que des éclaircissements pourraient être nécessaires.
B. Pouvoir discrétionnaire
30. Le fait que la Cour ait compétence pour donner un avis consultatif ne signifie pas qu’elle soit tenue de l’exercer. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut dispose qu’elle « peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis ». Ainsi que la Cour l’a maintes fois souligné, cette disposition « dev[r]ait être interprété[e] comme [lui] reconnaissant … le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même lorsque les conditions pour qu’elle soit compétente sont remplies » (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29). Toutefois, compte tenu de ses fonctions en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, la Cour considère que sa réponse à une demande d’avis consultatif « constitue [sa] participation … à l’action de l’Organisation et, en principe, … ne devrait pas être refusée » (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 65).
31. Conformément à la jurisprudence de la Cour, seules des raisons décisives peuvent conduire celle-ci à opposer un refus à une demande d’avis relevant de sa compétence (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 65). Étant donné que certains participants à la présente procédure ont fait valoir que de telles raisons existaient, la Cour examinera leurs arguments ci-après.
32. Les arguments avancés par ces participants peuvent être catégorisés comme suit : 1) la demande d’avis consultatif concerne un différend entre deux parties, dont l’une n’a pas consenti à la compétence de la Cour ; 2) l’avis n’aiderait pas l’Assemblée générale ; 3) l’avis pourrait compromettre le processus de négociation israélo-palestinien ; 4) un avis consultatif aurait une incidence négative sur les travaux du Conseil de sécurité ; 5) la Cour ne dispose pas d’informations suffisantes lui permettant de donner un avis consultatif ; et 6) la formulation des questions est biaisée. La Cour examinera tour à tour chacun de ces arguments.
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1. Point de savoir si la demande concerne un différend entre deux parties, dont l’une n’a pas consenti à la compétence de la Cour
33. Certains participants à la présente procédure ont soutenu que la Cour devrait refuser de donner un avis consultatif au motif que la demande concerne un différend bilatéral entre la Palestine et Israël, et que ce dernier n’a pas consenti à la compétence de la Cour pour régler ce différend, comme en attestent son vote contre la résolution 77/247 et son exposé écrit en la présente procédure. La majorité des participants a toutefois considéré que la Cour ne contournerait pas le principe du consentement en rendant un avis consultatif car les questions qui lui sont soumises ne portent pas essentiellement sur un différend bilatéral. La plupart d’entre eux estiment que la demande de l’Assemblée générale, bien qu’elle concerne Israël et la Palestine, a trait aux responsabilités des Nations Unies et à des questions plus générales relatives à la paix et à la sécurité internationales, ainsi qu’à certaines obligations erga omnes incombant aux États.
34. La Cour rappelle qu’elle aurait une raison décisive de refuser de donner un avis consultatif dans l’hypothèse où un tel avis « aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant » (Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33 ; voir aussi Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 117, par. 85). Cependant, le fait que, dans l’énoncé de ses motifs, et pour répondre aux questions qui lui sont soumises, la Cour puisse avoir à se prononcer sur des questions juridiques au sujet desquelles des vues opposées ont été exprimées par la Palestine et Israël ne suffit pas à transformer la présente procédure en un différend bilatéral (voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 34).
35. La Cour ne considère pas que la question faisant l’objet de la demande de l’Assemblée générale en la présente espèce soit seulement une question bilatérale entre Israël et la Palestine. Les questions relatives à la Palestine sont inscrites à l’ordre du jour des organes de l’Organisation des Nations Unies, et auparavant de la Société des Nations, depuis le régime des mandats (voir les paragraphes 51-52 ci-dessous). Depuis qu’elle a adopté la résolution 181 (II) relative au plan de partage de la Palestine en 1947, l’Assemblée générale est restée saisie de la question palestinienne, au sujet de laquelle des résolutions ont été examinées, débattues et adoptées en son sein presque chaque année. Cette question intéresse et préoccupe donc particulièrement l’Organisation des Nations Unies et, à cet égard, l’Assemblée générale a déclaré que l’Organisation avait « une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de la Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale » (résolution 57/107 de l’Assemblée générale en date du 3 décembre 2002). La Cour considère par conséquent que les points soulevés par la demande relèvent de la question palestinienne, et notamment du rôle de l’Assemblée générale en la matière (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159, par. 50 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 118, par. 88). Elle ne saurait donc, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner l’avis sollicité au motif que cela reviendrait à contourner le principe du consentement au règlement judiciaire.
2. Point de savoir si l’avis de la Cour aiderait l’Assemblée générale à exercer ses fonctions
36. L’un des participants à la présente procédure a soutenu que la Cour devrait refuser de répondre aux questions qui lui sont soumises au motif que l’Assemblée générale l’invite non pas à donner son avis sur un point au sujet duquel elle a besoin d’aide, mais à confirmer des conclusions
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juridiques particulières qui sont pertinentes aux fins du règlement d’un différend bilatéral entre la Palestine et Israël. D’autres participants ayant examiné cette question ont estimé que la Cour ne devrait pas refuser de donner son avis pour ce motif, étant donné que la présente demande a pour objet et pour but d’obtenir un avis consultatif qui aidera l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions. Ils ont fait valoir que les questions à l’examen revêtaient de longue date une grande importance pour les travaux de l’Assemblée générale, laquelle tirera dès lors parti de l’avis de la Cour sur certaines questions juridiques.
37. Ainsi que la Cour l’a fait observer par le passé,
« il n[e lui ] appartient pas … de prétendre décider si l’Assemblée a ou non besoin d’un avis consultatif pour s’acquitter de ses fonctions. L’Assemblée générale est habilitée à décider elle-même de l’utilité d’un avis au regard de ses besoins propres. » (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16.)
La Cour ne peut substituer sa propre appréciation de la nécessité d’un tel avis à celle de l’organe qui le sollicite (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 163, par. 62). Ainsi que cela ressort de sa jurisprudence constante, « les avis consultatifs servent à fournir aux organes qui les sollicitent les éléments de caractère juridique qui leur sont nécessaires dans le cadre de leurs activités » (ibid., p. 162, par. 60). En l’espèce, la demande est présentée par l’Assemblée générale à propos de ses propres responsabilités et fonctions s’agissant de la question du Territoire palestinien occupé (voir A/RES/77/247). Par conséquent, la Cour ne considère pas qu’il existe une raison décisive devant l’amener à refuser de donner son avis au motif que celui-ci n’aiderait pas l’Assemblée générale à exercer ses fonctions.
3. Point de savoir si l’avis de la Cour pourrait compromettre le processus de négociation entre Israël et la Palestine
38. Certains participants ont avancé que la Cour devrait refuser de répondre aux questions qui lui sont soumises au motif qu’un avis consultatif entraverait le processus de négociation israélo-palestinien prévu par le cadre établi dans la déclaration de principes de 1993 sur des arrangements intérimaires d’autonomie (ci-après l’« accord d’Oslo I ») et dans l’accord intérimaire de 1995 sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (ci-après l’« accord d’Oslo II »), et pourrait aggraver le désaccord israélo-palestinien, compromettant ainsi l’issue de ces négociations.
39. Selon d’autres participants, un avis consultatif de la Cour n’entraverait pas le processus de négociation et la Cour ne devrait pas refuser de donner son avis pour ce motif. Ces participants ont au contraire estimé que le fait que les négociations israélo-palestiniennes étaient au point mort depuis de nombreuses années rendait un avis de la Cour d’autant plus nécessaire.
40. Dans les circonstances présentes, le point de savoir si l’avis de la Cour serait préjudiciable au processus de négociation relève de la conjecture. La Cour ne saurait se perdre en supputations sur les effets de ses avis. En réponse à un argument semblable avancé dans une autre procédure, elle a précisé ce qui suit :
« Il a … été soutenu qu’une réponse de la Cour en l’espèce pourrait être préjudiciable aux négociations sur le désarmement et serait, en conséquence, contraire à l’intérêt de l’Organisation des Nations Unies. La Cour sait que, quelles que soient les
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conclusions auxquelles elle pourrait parvenir dans l’avis qu’elle donnerait, ces conclusions seraient pertinentes au regard du débat qui se poursuit à l’Assemblée générale, et apporteraient dans les négociations sur la question un élément supplémentaire. Mais, au-delà de cette constatation, l’effet qu’aurait cet avis est une question d’appréciation. Des opinions contraires ont été exposées devant la Cour et il n’est pas de critère évident qui permettrait à celle-ci de donner la préférence à une position plutôt qu’à une autre. » (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 17.)
À la lumière de ce qui précède, la Cour ne saurait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale.
4. Point de savoir si un avis consultatif aurait une incidence négative sur les travaux du Conseil de sécurité
41. Certains participants ont soutenu que la Cour devrait user de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de répondre aux questions qui lui sont soumises, tandis que d’autres ont estimé que, même si elle devait y répondre, il lui faudrait veiller à ce que ses réponses n’entravent pas le cadre de négociation établi, étant donné que les questions relatives au conflit israélo-palestinien relèvent au premier chef du Conseil de sécurité, et non de l’Assemblée générale. Selon ces participants, un avis consultatif rendu par la Cour pourrait nuire ou faire entrave au cadre de négociation mis en place par le Conseil aux fins du règlement du différend. D’autres participants ayant abordé ce point ont estimé que l’avis de la Cour n’aurait pas d’incidence négative sur les travaux du Conseil de sécurité. Selon eux, la Charte ne confère pas à ce dernier la responsabilité exclusive du maintien de la paix et de la sécurité internationales, puisque l’Assemblée générale peut aussi traiter en parallèle de questions de cet ordre.
42. Cet argument est analogue à celui qui a été examiné dans la section 3 ci-dessus en ce qui concerne le cadre de négociation, mais il a également trait aux compétences respectives du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. À cet égard, la Cour a, dans son avis consultatif sur le Mur, indiqué que, « [e]n vertu de l’article 24 de la Charte, le Conseil de sécurité a[vait] “la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales” » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 148, par. 26). Elle a toutefois souligné que « l’article 24 fai[sai]t mention d’une compétence principale, mais pas nécessairement exclusive » (ibid.). L’Assemblée générale a notamment le pouvoir, en vertu de l’article 14 de la Charte, de « recommander les mesures propres à assurer l’ajustement pacifique de toute situation ». En outre, la Cour a relevé « l’existence d’une tendance croissante à voir l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité examiner parallèlement une même question relative au maintien de la paix et de la sécurité internationales », et estimé que cette « pratique acceptée de l’Assemblée générale, telle qu’elle a[vait] évolué, [étai]t compatible avec le paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte » (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 149-150, par. 27-28). De fait, tel est le cas en ce qui concerne certains aspects de la question palestinienne.
43. La Cour rappelle également que l’article 10 de la Charte confère à l’Assemblée générale une compétence à l’égard de « toutes questions ou affaires » entrant dans le cadre de la Charte, et que le paragraphe 2 de l’article 11 lui confère spécifiquement compétence pour « discuter toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l’une quelconque des Nations Unies ». Tel est le cas des questions posées par l’Assemblée générale dans la présente procédure. Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué,
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« [l]orsque, comme en la présente espèce, la réponse à une question peut légitimement intéresser l’Assemblée générale, le fait qu’elle puisse avoir en partie trait à une décision du Conseil de sécurité ne suffit pas à justifier un refus de la Cour de donner son avis à l’Assemblée générale » (Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 423, par. 47).
Comme cela est relevé au paragraphe 40 ci-dessus, le point de savoir si l’avis de la Cour aurait un effet préjudiciable sur le cadre des négociations relève de la conjecture et la Cour ne saurait se perdre en supputations. En outre, étant donné que l’Assemblée générale a compétence pour traiter de questions relatives à la paix et à la sécurité internationales, telles que celles que soulèvent les questions qu’elle a posées à la Cour, il n’existe pas de raison décisive pour que celle-ci refuse de donner l’avis sollicité.
5. Point de savoir si la Cour dispose d’informations suffisantes lui permettant de donner un avis consultatif
44. Certains participants ont avancé l’argument selon lequel la Cour devrait refuser de donner un avis au motif qu’elle ne dispose pas d’informations suffisantes et qu’elle devrait s’engager dans une mission d’établissement des faits couvrant une période de plusieurs décennies pour répondre aux questions qui lui sont soumises par l’Assemblée générale.
45. D’autres participants ont, au contraire, estimé que le dossier de la présente procédure et les informations accessibles au public contenaient suffisamment de renseignements et éléments de preuves pour permettre à la Cour de procéder à une juste appréciation des questions de fait pertinentes et nécessaires afin d’apporter une réponse aux questions juridiques dont elle est saisie. À cet égard, ils ont évoqué le dossier soumis à la Cour par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ainsi que les exposés écrits et oraux des participants à la présente procédure.
46. Dans son avis sur l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie (première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72), puis dans son avis au sujet du Sahara occidental, la Cour a clairement indiqué que ce qui était décisif dans ces circonstances était de savoir si elle disposait de renseignements suffisants « pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une manière conforme à son caractère judiciaire » (Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28-29, par. 46). La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour protéger l’intégrité de sa fonction judiciaire, et c’est à elle qu’il appartient d’apprécier, dans chaque cas, la nature et l’étendue des informations nécessaires à l’exercice de cette fonction.
47. En la présente procédure, plus de 50 États et organisations internationales ont soumis des informations pertinentes aux fins des réponses à apporter aux questions posées par l’Assemblée générale à la Cour. La Cour relève en particulier que l’exposé écrit d’Israël, bien que portant principalement sur des questions de compétence et d’opportunité judiciaire, contient des informations sur d’autres sujets, notamment les préoccupations de cet État en matière de sécurité. Elle a également examiné un volumineux dossier soumis par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, rassemblant de très nombreuses informations sur la situation dans le Territoire palestinien occupé. Il appartient à la Cour de déterminer si les informations dont elle dispose sont suffisantes. En l’espèce, elle considère qu’elle possède suffisamment d’informations pour se prononcer sur des questions juridiques d’une manière conforme à sa fonction judiciaire. Il n’y a donc pas de raison décisive justifiant qu’elle refuse de donner l’avis sollicité pour ce motif.
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6. Point de savoir si la formulation des questions est biaisée
48. Certains participants ont fait valoir que les questions soumises à la Cour étaient présentées de manière biaisée en ce qu’elles présupposent l’existence de violations du droit international par Israël. Ils soutiennent donc que la Cour devrait refuser d’y répondre. D’autres ont réfuté l’argument selon lequel les questions étaient biaisées ou déséquilibrées.
49. La Cour rappelle en premier lieu qu’elle a le pouvoir d’interpréter et, le cas échéant, de reformuler les questions qui lui sont posées (voir le paragraphe 29 ci-dessus). C’est donc à elle qu’il revient d’apprécier et d’évaluer le caractère approprié de la formulation des questions. La Cour peut aussi déterminer elle-même, si nécessaire, la portée et le sens des questions qui lui sont soumises. En la présente procédure, elle ne considère pas que l’Assemblée générale ait eu l’intention de poser des limites à sa liberté de se prononcer sur ces questions. La Cour établira elle-même si les politiques et pratiques d’Israël emportent violation des règles et principes de droit international applicables, avant de déterminer quelles sont les conséquences juridiques de ces éventuelles violations. En conséquence, elle ne saurait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner son avis au motif que les questions qui lui sont posées sont biaisées ou déséquilibrées.
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50. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’existe pas de raisons décisives justifiant qu’elle refuse de donner l’avis sollicité par l’Assemblée générale.
II. CONTEXTE GÉNÉRAL
51. La Palestine avait fait partie de l’Empire ottoman. À l’issue de la première guerre mondiale, un mandat « A » pour la Palestine fut confié à la Grande-Bretagne par la Société des Nations en application du paragraphe 4 de l’article 22 du Pacte de cette dernière, qui disposait que
« [c]ertaines communautés, qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules ».
Les limites territoriales de la Palestine sous mandat furent fixées par divers instruments, notamment en ce qui concerne sa frontière orientale, par un mémorandum britannique du 16 septembre 1922 et le traité anglo-transjordanien du 20 février 1928.
52. En 1947, le Royaume-Uni fit connaître son intention de procéder à l’évacuation complète du territoire sous mandat pour le 1er août 1948, date qui fut par la suite avancée au 15 mai 1948. Dans l’intervalle, le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale avait adopté une résolution 181 (II) sur le gouvernement futur de la Palestine, résolution qui « [r]ecommand[ait] au Royaume-Uni, … ainsi qu’à tous les autres États Membres de l’Organisation des Nations Unies, l’adoption et la mise à exécution … du Plan de partage » du territoire, prévu dans la résolution, entre deux États indépendants, l’un arabe, l’autre juif, ainsi que la mise sur pied d’un régime international particulier pour la ville de Jérusalem. La résolution prévoyait que « [l]es États indépendants arabe et
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juif … commencer[aie]nt d’exister en Palestine deux mois après … l’évacuation … de la Puissance mandataire ». Si la population juive accepta le plan de partage, la population arabe de Palestine et les États arabes rejetèrent pour leur part ce plan, affirmant, entre autres, qu’il était déséquilibré.
53. Le 14 mai 1948, Israël proclama son indépendance en se référant à la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale ; un conflit armé éclata alors entre Israël et plusieurs États arabes, et le plan de partage ne fut pas appliqué.
54. Par sa résolution 62 (1948) du 16 novembre 1948, le Conseil de sécurité décida qu’« il sera[it] conclu un armistice dans tous les secteurs de la Palestine » et invita les parties directement impliquées dans le conflit à rechercher un accord à cette fin. Conformément à cette décision, des conventions générales d’armistice furent conclues en 1949 à Rhodes entre Israël et les États voisins grâce à la médiation des Nations Unies, conventions qui fixèrent les lignes de démarcation entre les forces israéliennes et les forces arabes (souvent appelées par la suite, dans leur ensemble, « Ligne verte » du fait de la couleur retenue pour la tracer sur les cartes, et qui sera ainsi dénommée ci-après). Les lignes de démarcation étaient susceptibles de subir des ajustements par accord entre les parties.
55. Le 29 novembre 1948, invoquant la résolution 181 (II), Israël présenta une demande d’admission comme Membre des Nations Unies. Le 11 mai 1949, lorsqu’elle admit Israël comme Membre des Nations Unies, l’Assemblée générale rappela la résolution 181 (II) et prit acte des déclarations d’Israël « en ce qui concerne la mise en oeuvre de[ la]dite[] résolution[] » (résolution 273 (III) de l’Assemblée générale).
56. En 1964 fut créée l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour représenter le peuple palestinien.
57. En 1967, un conflit armé (connu sous le nom de « guerre des Six Jours ») éclata entre Israël et trois de ses pays voisins, l’Égypte, la Syrie et la Jordanie. Lorsque les hostilités prirent fin, les forces armées israéliennes occupaient l’ensemble des territoires de la Palestine sous mandat britannique au-delà de la Ligne verte (voir le paragraphe 54 ci-dessus).
58. Le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité adopta à l’unanimité la résolution 242 (1967) qui « [s]ouligna[i]t l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre » et appelait au « [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit », à la
« [c]essation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et [au] respect et [à la] reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ».
Y était également affirmée « la nécessité … [d]e réaliser un juste règlement du problème des réfugiés » et « [d]e garantir l’inviolabilité territoriale et l’indépendance politique de chaque État de la région, par des mesures comprenant la création de zones démilitarisées ».
59. À partir de 1967, Israël a commencé à établir ou à soutenir des colonies dans les territoires qu’il occupait et a pris diverses mesures tendant à modifier le statut de la ville de Jérusalem. Le Conseil de sécurité, après avoir rappelé à plusieurs reprises que « le principe que l’acquisition d’un territoire par une conquête militaire est inadmissible », a condamné ces mesures et a, par sa résolution 298 (1971) du 25 septembre 1971, confirmé que
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« toutes les dispositions législatives et administratives prises par Israël en vue de modifier le statut de la ville de Jérusalem, y compris l’expropriation de terres et de biens immeubles, le transfert de populations et la législation visant à incorporer la partie occupée, sont totalement nulles et non avenues et ne peuvent modifier le statut de la ville ».
60. En octobre 1973, un autre conflit armé a éclaté entre l’Égypte, la Syrie et Israël.
61. Par sa résolution 338 du 22 octobre 1973, le Conseil de sécurité a appelé les parties au conflit à mettre fin à toute activité militaire et à commencer immédiatement après le cessez-le-feu l’application de la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité dans toutes ses parties ; il a également décidé que, « immédiatement et en même temps que le cessez-le-feu, des négociations commencer[aie]nt entre les parties en cause ».
62. Le 14 octobre 1974, l’Assemblée générale a, par la résolution 3210 (XXIX), reconnu que l’OLP représentait le peuple palestinien. Par la résolution 3236 (XXIX) du 22 novembre 1974, elle a reconnu « que le peuple palestinien d[eva]it jouir du droit à l’autodétermination conformément à la Charte des Nations Unies ».
63. Le 17 septembre 1978, Israël et l’Égypte ont signé les « accords de Camp David », qui ont conduit, l’année suivante, à un traité de paix entre les deux pays. Par la suite, un traité de paix est intervenu le 26 octobre 1994 entre Israël et la Jordanie. Ce traité fixe la frontière entre les deux États conformément aux limites définies dans le mandat pour la Palestine (voir le paragraphe 51 ci-dessus), mais prévoit que, en ce qui concerne « le territoire passé sous le contrôle du gouvernement militaire israélien en 1967 », la frontière avec la Jordanie sera considérée comme la « frontière administrative ».
64. Le 15 novembre 1988, se référant à la résolution 181 (II) « recommandant le partage de la Palestine en deux États, l’un arabe et l’autre juif », l’OLP a « proclam[é] l’établissement de l’État de Palestine ».
65. En 1993 et 1995, Israël et l’OLP ont signé les accords d’Oslo I et II. Dans un échange de lettres du 9 septembre 1993, l’OLP reconnaissait le droit d’Israël à vivre en paix et dans la sécurité, et Israël reconnaissait l’OLP comme le représentant légitime du peuple palestinien. L’accord d’Oslo I établissait les lignes directrices générales relatives aux négociations devant être conduites entre Israël et la Palestine. L’accord d’Oslo II divisait notamment la Cisjordanie sous occupation israélienne en trois zones administratives (A, B et C), la zone C, qui couvre plus de 60 % de la Cisjordanie, étant exclusivement administrée par Israël.
66. En vertu des accords d’Oslo, Israël devait notamment transférer à des autorités palestiniennes certains pouvoirs et responsabilités exercés dans les zones A et B de la Cisjordanie par ses autorités militaires et son administration civile. Lorsque de tels transferts, qui sont restés limités et partiels, ont eu lieu, Israël a conservé un important contrôle en ce qui concerne les questions de sécurité.
67. À la suite d’une recrudescence d’actes de violence au début des années 2000, Israël a entrepris la construction d’une « clôture continue » (ci-après le « mur »), en grande partie en
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Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Aux termes d’un rapport du Secrétaire général, « [d]epuis 1996, le Gouvernement israélien examine des plans qui visent à enrayer les infiltrations en Israël à partir du centre et du nord de la Cisjordanie » (Nations Unies, « rapport du Secrétaire général établi en application de la résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale », 24 novembre 2003, doc. A/ES-10/248, par. 4). Un plan de ce type a été approuvé pour la première fois par le Gouvernement israélien en juillet 2001. Celui-ci a ensuite pris plusieurs décisions relatives à la construction du mur et la première partie des travaux y relatifs a été déclarée achevée le 31 juillet 2003. En dépit de l’avis de 2004, dans lequel la Cour avait conclu que « [l]’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, [étai]t en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui [étai]t associé, [étaie]nt contraires au droit international » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 201, par. 163), la construction du mur s’est poursuivie, ainsi que l’expansion des colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé.
68. Selon certains rapports, en 2005, les colons vivant dans 21 colonies de la bande de Gaza et 4 colonies du nord de la Cisjordanie ont été évacués, conformément à un « plan de désengagement » israélien (voir Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/HRC/22/63, par. 27, et le paragraphe 88 ci-dessous). En 2023, environ 465 000 colons résidaient en Cisjordanie, répartis dans quelque 300 colonies et avant-postes, tandis que près de 230 000 résidaient à Jérusalem-Est (voir Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, doc. A/HRC/55/72, 1er février 2024, par. 9). Les personnes habitant les colonies et les « avant-postes » dans le Territoire palestinien occupé (« colons ») sont majoritairement des Israéliens, ainsi que des Juifs non israéliens qui remplissent les conditions pour obtenir la nationalité israélienne selon la législation israélienne.
69. Le 19 novembre 2003, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1515 (2003), par laquelle il « [a]pprouv[ait] la Feuille de route axée sur les résultats en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États, établie par le Quatuor ». Le quatuor est composé de représentants des États-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, de la Fédération de Russie et de l’Organisation des Nations Unies. La résolution « [d]emand[ait] aux parties de s’acquitter des obligations … leur incomb[a]nt en vertu de la Feuille de route, en coopération avec le Quatuor, et de concrétiser la vision de deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ».
70. Le 29 novembre 2012, l’Assemblée générale, rappelant notamment la résolution 181 (II), a accordé à la Palestine le statut d’État non membre observateur auprès de l’Organisation des Nations Unies (résolution 67/19).
71. En 2016, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2334 (2016), dans laquelle il préconisait vivement
« l’intensification et l’accélération des efforts diplomatiques entrepris et de l’appui apporté aux niveaux international et régional en vue de parvenir sans tarder à une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient, sur la base des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies, du mandat de la conférence de Madrid, y compris le principe de l’échange de territoires contre la paix, de l’Initiative de paix arabe et de la Feuille de route du Quatuor, et de mettre fin à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 ».
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Le 10 mai 2024, l’Assemblée générale a adopté la résolution ES-10/23, dans laquelle elle « [c]onstate que l’État de Palestine remplit les conditions requises pour devenir membre de l’Organisation des Nations Unies conformément à l’Article 4 de la Charte des Nations Unies et devrait donc être admis à l’Organisation ».
Le 10 juin 2024, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2735 (2024), par laquelle il réaffirmait
« son attachement sans faille à la vision de la solution des deux États où deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte en paix, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, conformément au droit international et aux résolutions pertinentes des organes de l’ONU et, à cet égard, soulign[ait] l’importance d’unifier la bande de Gaza avec la Cisjordanie, sous l’Autorité palestinienne ».
III. PORTÉE ET SENS DES QUESTIONS POSÉES PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
72. La Cour examinera à présent la portée et le sens des deux questions posées par l’Assemblée générale et rappelle qu’elles sont formulées comme suit :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
73. La Cour relève que les questions définissent la portée matérielle, territoriale et temporelle de l’analyse à laquelle elle doit procéder.
74. S’agissant de la portée matérielle, la question a) vise trois types de comportements qui, selon la question b), constituent « les politiques et pratiques d’Israël » : premièrement, « la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination » ; deuxièmement, « [l’]occupation, [l]a colonisation et [l’]annexion prolongées [par Israël] du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment [l]es mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem » ; troisièmement, « l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ». La Cour déterminera plus loin la portée spécifique de ces différents types de politiques et pratiques, dans le cadre de l’analyse qu’elle fera successivement de chacun d’eux. À ce stade, elle se bornera à souligner une caractéristique qui leur est commune, à savoir que le libellé de la question a) part du principe que ces politiques et pratiques sont contraires au droit international. Ainsi, le comportement d’Israël est présenté comme étant constitutif de violation, et les lois et mesures qu’il adopte, qualifiées de discriminatoires. La Cour est toutefois tenue, de par sa fonction judiciaire, de déterminer elle-même la licéité des politiques et pratiques mentionnées par l’Assemblée générale (voir Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 424, par. 52-53). Dans son avis consultatif sur le Mur, elle a jugé que l’appréciation des conséquences
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juridiques d’une action impliquait de déterminer si celle-ci « viol[ait] ou non certaines règles et certains principes de droit international » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39). En la présente espèce, ainsi que cela a été indiqué ci-dessus, elle considère, de même, que la question a) suppose d’apprécier la conformité au droit international des politiques et pratiques d’Israël visées dans la demande (voir le paragraphe 49).
75. Pour s’acquitter de cette tâche, la Cour doit examiner les principales caractéristiques des politiques et pratiques d’Israël, telles que mentionnées dans la demande. Ce faisant, elle tiendra compte des informations contenues dans le dossier soumis par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (voir le paragraphe 6 ci-dessus). La Cour prendra également en considération les autres éléments fournis par les participants à la procédure.
76. En ce qui concerne les modes de preuve, la Cour rappelle que, dans l’exercice de sa compétence contentieuse, elle a tenu compte des éléments de preuve contenus dans certains documents de l’Organisation des Nations Unies, « dans la mesure où ils [avaie]nt une valeur probante et [étaie]nt corroborés, si nécessaire, par d’autres sources crédibles » (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 239, par. 205). Elle apprécie la valeur probante des rapports émanant d’organes officiels ou indépendants en se fondant notamment sur les critères suivants :
« 1) … la source de l’élément de preuve (par exemple, la source est-elle partiale ou neutre ?), 2) … la manière dont il a été obtenu (par exemple, est-il tiré d’un rapport de presse anonyme ou résulte-t-il d’une procédure judiciaire ou quasi judiciaire minutieuse ?) et 3) … sa nature ou … son caractère (s’agit-il de déclarations contraires aux intérêts de leurs auteurs, de faits admis ou incontestés ?) » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 135, par. 227 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), arrêt du 31 janvier 2024, par. 175).
Lorsqu’elle a cherché à en établir la valeur probante, la Cour a attaché de l’importance au soin avec lequel le rapport à l’examen avait été établi, à la diversité de ses sources et à l’indépendance des personnes chargées de son élaboration (voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 137, par. 230). Elle appliquera ces critères dans le cadre de son appréciation de la valeur probante des rapports produits en la présente procédure.
77. Dans la présente procédure, la Cour considère que l’Assemblée générale, par sa demande, n’attend pas d’elle qu’elle détermine les caractéristiques factuelles détaillées des politiques et pratiques d’Israël. Les questions que celle-ci lui a posées visent à ce qu’elle précise la qualification juridique de ces politiques et pratiques. Pour donner un avis consultatif en la présente espèce, la Cour n’a donc pas à formuler des conclusions factuelles concernant des incidents précis qui seraient contraires au droit international. Il lui faut seulement déterminer les principales caractéristiques des politiques et pratiques d’Israël et, sur cette base, apprécier la conformité de ces politiques et pratiques au droit international. La Cour a déjà conclu qu’elle disposait des éléments nécessaires pour lui permettre de s’acquitter de cette tâche (voir le paragraphe 47 ci-dessus).
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78. En ce qui concerne la portée territoriale de la question a), celle-ci renvoie au « territoire palestinien occupé depuis 1967 », qui comprend la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. La Cour relève que les divers organes et organismes des Nations Unies font souvent expressément référence aux différentes parties du Territoire palestinien occupé. Elle en fera autant dans le présent avis consultatif, selon qu’il conviendra. La Cour rappelle toutefois que, du point de vue juridique, le Territoire palestinien occupé constitue une seule et même entité territoriale, dont l’unité, la continuité et l’intégrité doivent être préservées et respectées (résolution 77/247 de l’Assemblée générale, par. 12 ; article XI de l’accord d’Oslo II ; résolution ES-10/20 (2018) de l’Assemblée générale, seizième alinéa du préambule ; résolution 1860 (2009) du Conseil de sécurité, deuxième alinéa du préambule ; résolution 2720 (2023) du Conseil de sécurité, quatrième alinéa du préambule). Par conséquent, dans le présent avis, toute référence au Territoire palestinien occupé renvoie à cette même unité territoriale.
79. La Cour fait également observer que la question mentionne des mesures relatives à « la ville sainte de Jérusalem ». Dans son sens ordinaire, cette expression est ambiguë : elle peut renvoyer à l’intégralité de la ville de Jérusalem, dans les limites définies par la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale adoptée le 29 novembre 1947 ; elle peut aussi renvoyer à l’une ou l’autre des deux parties de la ville telles qu’établies après la convention générale d’armistice de 1949 entre Israël et la Jordanie (voir le paragraphe 54 ci-dessus) ; enfin, elle peut renvoyer à une zone géographique plus vaste. Bien que le sens ordinaire du terme puisse faire l’objet de nombreuses interprétations, le contexte fournit en l’espèce des précisions utiles. Comme la Cour l’a indiqué plus haut, la portée de la question est déjà limitée, sur le plan géographique, au Territoire palestinien occupé. En outre, le titre et le libellé de la résolution font spécifiquement référence à Jérusalem-Est, et ce, à plusieurs reprises. À la lumière de ce contexte, la Cour considère que la question posée par l’Assemblée générale concernant la « ville sainte de Jérusalem » se limite aux mesures adoptées par Israël à Jérusalem-Est.
80. En ce qui concerne la portée temporelle de la question a), il est demandé à la Cour de prendre en considération les mesures adoptées par Israël dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967. Rien n’empêche cependant la Cour de tenir compte de faits antérieurs à l’occupation, dans la mesure où cela est nécessaire pour lui permettre de s’acquitter de sa fonction judiciaire.
81. La Cour relève que la demande d’avis consultatif a été adoptée par l’Assemblée générale le 30 décembre 2022 et qu’elle invitait la Cour à traiter des politiques et pratiques d’Israël « persistantes » ou qui « continu[eraient] d’être mises en oeuvre » (voir résolution 77/247, vingt-huitième et vingt-neuvième alinéas du préambule, et paragraphe 18 a)). La Cour estime donc que les politiques et pratiques visées dans la demande de l’Assemblée générale n’incluent pas le comportement adopté par Israël dans la bande de Gaza en réaction à l’attaque menée contre lui par le Hamas et d’autres groupes armés le 7 octobre 2023.
82. La question b) comporte deux parties. Par la première, la Cour est priée de déterminer l’« incidence » des politiques et pratiques d’Israël mentionnées par l’Assemblée générale « sur le statut juridique de l’occupation ». La Cour constate que l’emploi du terme « incidence » évoque la possibilité que ces politiques et pratiques aient pour effet de modifier le « statut juridique ». Toutefois, la portée de la première partie de la question dépend du sens de l’expression « statut juridique de l’occupation » dans le contexte général de la question b). Dans son sens ordinaire, l’expression « statut juridique » renvoie au caractère que le droit attribue à une entité, une personne ou un phénomène. Dans le présent contexte, la Cour est d’avis que la première partie de la question b) l’invite à déterminer quelle est l’incidence des politiques et pratiques d’Israël sur le statut juridique de l’occupation et, partant, sur la licéité de la présence continue d’Israël, en tant que puissance
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occupante, dans le Territoire palestinien occupé. Le point de savoir si lesdites politiques et pratiques ont, de fait, une incidence sur le statut juridique de l’occupation sera traité dans la partie introductive de la réponse à la question b) ci-après, où la Cour reviendra plus longuement sur la portée de la question, à la lumière de sa réponse à la question a) de l’Assemblée générale (voir les paragraphes 244-250 ci-dessous).
83. La Cour observe que la question a) et la deuxième partie de la question b) l’invitent à déterminer les conséquences juridiques découlant, pour la première, des politiques et pratiques d’Israël, et pour la seconde, de la présence continue de cet État, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé. Dans l’hypothèse et dans la mesure où elle conclurait que l’une quelconque des politiques et pratiques d’Israël, ou la présence continue de cet État, dans ce territoire sont contraires au droit international, la Cour examinera les conséquences juridiques découlant d’une telle conclusion pour Israël, pour les autres États et pour l’Organisation des Nations Unies.
IV. DROIT APPLICABLE
84. Ayant défini la portée et le sens des questions qui lui ont été posées par l’Assemblée générale, la Cour doit déterminer le droit applicable. Dans la demande qu’elle lui a adressée, l’Assemblée générale mentionne
« [l]es règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 ».
85. L’applicabilité de certaines règles de droit international dans le territoire concerné dépend du statut de celui-ci en vertu dudit droit. La Cour déterminera d’abord le statut du Territoire palestinien occupé au regard du droit international. Elle dira ensuite quelles règles de droit international sont pertinentes pour répondre aux questions qui lui ont été posées par l’Assemblée générale.
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86. Les questions posées par l’Assemblée générale reposent sur le postulat que le Territoire palestinien occupé se trouve sous occupation israélienne. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour a précisé les circonstances dans lesquelles une situation d’occupation est établie :
« [S]elon le droit international coutumier tel que reflété … à l’article 42 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye du 18 octobre 1907 … , un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie, et l’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78 ; voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 229, par. 172.)
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87. Dans le même avis consultatif, la Cour a observé que, lors du conflit armé de 1967, les territoires situés entre la Ligne verte et l’ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat britannique, c’est-à-dire la Cisjordanie et Jérusalem-Est, avaient été occupés par Israël (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78). Elle a constaté que les événements survenus ensuite n’avaient pas modifié le statut de territoires occupés des territoires en question, ni le statut de puissance occupante d’Israël (ibid.).
88. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour ne s’est pas prononcée sur le statut juridique de la bande de Gaza, la construction du mur n’ayant pas d’incidence sur cette dernière. La bande de Gaza fait partie intégrante du territoire qui a été occupé par Israël en 1967 (voir le paragraphe 78 ci-dessus). Après le conflit armé de 1967, Israël a, en tant que puissance occupante, placé la bande de Gaza sous son contrôle effectif. En 2004, il a cependant annoncé un « plan de désengagement », selon lequel il devait mettre fin à sa présence militaire dans la bande de Gaza et dans plusieurs secteurs de la partie nord de la Cisjordanie (ministère israélien des affaires étrangères, « The Cabinet Resolution Regarding the Disengagement Plan » (6 juin 2004) ; voir aussi « Prime Minister Ariel Sharon’s Address to the Knesset The Vote on the Disengagement Plan » (25 octobre 2004)). En 2005, Israël avait achevé le retrait de son armée et des colonies de la bande de Gaza.
89. Néanmoins, selon la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël (ci-après la « Commission d’enquête internationale indépendante »), Israël conserve le contrôle,
« entre autres, sur [l’]espace aérien et [l]es eaux territoriales [de Gaza], ainsi que sur les postes frontière terrestres, les infrastructures civiles, notamment l’approvisionnement en eau et en électricité, et des fonctions administratives clés telles que la gestion des registres de l’état civil de la population palestinienne » (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 19).
Cela est étayé par les conclusions antérieures de la Commission indépendante d’enquête créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme, selon lesquelles
« [l]es faits observés depuis le désengagement de 2005, parmi lesquels les patrouilles permanentes de la marine israélienne dans la mer territoriale adjacente à Gaza et les vols de surveillance constants qu’effectuent les aéronefs [des forces de défense israéliennes], en particulier des aéronefs téléguidés, montrent qu’Israël continue d’exercer un contrôle exclusif sur l’espace aérien et les zones maritimes de Gaza, que les Palestiniens ne sont pas autorisés à utiliser, sauf pour des activités de pêche limitées. Depuis 2000, les [forces de défense israéliennes] imposent en outre de manière continue à Gaza une zone d’accès interdit s’étendant, sur une profondeur variable, tout le long de la clôture qui suit la Ligne verte. Même en dehors des périodes d’hostilités actives, les [forces de défense israéliennes] y mènent régulièrement des opérations, notamment des travaux de nivellement de terrain. Israël réglemente le marché monétaire local, basé sur la devise israélienne, et perçoit les droits de douane. Dans le cadre du mécanisme pour la reconstruction de Gaza, Israël continue d’exercer un degré élevé de contrôle sur le secteur du bâtiment dans cette zone. Les plans des projets publics et privés de grande envergure, ainsi que les volumes nécessaires de matériaux de construction, doivent être approuvés par le Gouvernement israélien. Israël contrôle également le registre de la population palestinienne, qui est commun à la Cisjordanie et à Gaza, les cartes d’identité palestiniennes ne pouvant être délivrées ou modifiées qu’avec l’approbation des autorités israéliennes. C’est également lui qui administre l’ensemble des points de
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passage permettant d’accéder à Gaza ou d’en sortir. Le point de passage de Rafah, bien que sous l’autorité de l’Égypte, demeure, dans une large mesure, sous le contrôle d’Israël, puisque, pour pouvoir le franchir, les Palestiniens doivent être détenteurs d’un passeport, et que seules les personnes inscrites sur le registre de population tenu par Israël peuvent se voir délivrer un passeport. » (« Report of the detailed findings of the independent commission of inquiry established pursuant to Human Rights Council resolution S-21/1 », UN doc. A/HRC/29/CRP.4 (24 juin 2015), par. 29.)
90. Dans ces conditions, la Cour doit déterminer si le fait qu’Israël a mis fin à sa présence militaire physique sur le terrain dans la bande de Gaza en 2004-2005 a eu une incidence sur les obligations incombant à cet État au regard du droit de l’occupation dans cette zone et, dans l’affirmative, de quelle manière. Ainsi qu’elle l’a fait observer ci-dessus (voir le paragraphe 86 ci-dessus), un territoire est occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. Un État occupe un territoire qui n’est pas le sien si, et dans la mesure où, il exerce un contrôle effectif sur celui-ci. Un État ne peut donc être considéré comme une puissance occupante que s’il a placé un territoire qui n’est pas le sien sous son contrôle effectif (voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 230, par. 173).
91. Lorsqu’un État a placé un territoire sous son contrôle effectif, il peut être en mesure de conserver ce contrôle et de continuer à exercer son autorité même en l’absence de présence militaire physique. Il ne doit pas nécessairement y avoir une présence militaire physique sur le terrain dans le territoire occupé pour qu’un État y exerce un contrôle effectif, dès lors que celui-ci est en mesure d’imposer son autorité, y compris en manifestant sa présence physique dans un délai raisonnable (par exemple, voir United States Military Tribunal, USA v. Wilhelm List and others (Hostage case) (19 February 1948), Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10, vol. XI, p. 1243 ; Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Mladen Naletilić et Vinko Martinović, affaire n° IT-98-34-T, jugement, 31 mars 2003, par. 217).
92. Il ressort de l’analyse qui précède que, pour déterminer si un territoire demeure occupé au regard du droit international, le critère décisif n’est pas de savoir si la puissance occupante y maintient en toutes circonstances une présence militaire physique, mais celui de savoir si l’autorité de l’État en question « est établie et en mesure de s’exercer » (article 42 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye du 18 octobre 1907 ; ci-après le « règlement de La Haye »). Lorsqu’une puissance occupante ayant établi son autorité dans le territoire occupé met partiellement ou totalement fin à sa présence physique, elle peut demeurer liée par les obligations découlant du droit de l’occupation dans la mesure où elle conserve la faculté d’exercer, et continue d’exercer, des prérogatives à la place du gouvernement local.
93. Au vu des informations dont elle dispose, la Cour considère qu’Israël avait conservé la faculté d’exercer, et continuait d’exercer, certaines prérogatives essentielles sur la bande de Gaza, notamment le contrôle des frontières terrestres, maritimes et aériennes, l’imposition de restrictions à la circulation des personnes et des marchandises, la perception des taxes à l’importation et à l’exportation, et le contrôle militaire sur la zone tampon, et ce, en dépit du fait que cet État a mis fin à sa présence militaire en 2005. Cela est encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023.
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94. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est d’avis que le retrait d’Israël de la bande de Gaza n’a pas totalement libéré cet État des obligations que lui impose le droit de l’occupation. Les obligations d’Israël sont demeurées proportionnées au degré de son contrôle effectif sur la bande de Gaza.
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95. La Cour en vient à présent aux règles et principes pertinents aux fins de sa réponse aux questions qui lui ont été posées. Il s’agit notamment de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la menace ou l’emploi de la force et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui sont consacrés dans la Charte des Nations Unies et font également partie du droit international coutumier. La Cour examinera ci-après ces règles et principes, lorsqu’elle analysera les différents aspects des questions qui lui sont posées.
96. En outre, le droit international humanitaire est particulièrement pertinent. Les pouvoirs et devoirs d’Israël dans le Territoire palestinien occupé sont régis par la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 (ci-après la « quatrième convention de Genève ») et par le droit international coutumier. Ainsi que la Cour l’a relevé dans son avis consultatif sur le Mur, « la quatrième convention de Genève est applicable dans tout territoire occupé en cas de conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs parties contractantes » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 177, par. 101). L’Égypte, Israël et la Jordanie étaient tous trois parties à cet instrument lorsque le conflit armé a éclaté en 1967. La quatrième convention de Genève est donc applicable dans le Territoire palestinien occupé. Un grand nombre des règles qui y sont énoncées sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des considérations élémentaires d’humanité qu’elles « s’imposent … à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier » (voir ibid., p. 199, par. 157, citant Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79). Ces règles incorporent des obligations revêtant par essence un caractère erga omnes (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 157). En application de l’article 154 de la quatrième convention de Genève, cet instrument vient compléter les règles énoncées dans les sections II et III du règlement de La Haye. Ainsi que la Cour l’a observé, le règlement de La Haye a acquis un caractère coutumier (ibid., p. 172, par. 89), et s’impose donc à Israël.
97. En ce qui concerne le droit international relatif aux droits de l’homme, la Cour observe qu’Israël est partie à plusieurs instruments juridiques énonçant des obligations en la matière, notamment la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (ci-après la « CIEDR »), ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté le 16 décembre 1966 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 19 décembre 1966.
98. De nombreux participants soutiennent que le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international humanitaire trouvent l’un et l’autre à s’appliquer dans une situation de conflit armé ou d’occupation. Ils font en outre valoir que le champ d’application du droit international relatif aux droits de l’homme ne dépend pas uniquement des limites territoriales de l’État et que ce droit est applicable aux actes d’un État agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire. Selon ces participants, les obligations relatives aux droits de l’homme complètent celles qui découlent du droit de l’occupation.
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99. La Cour rappelle à cet égard que « les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme [so]nt applicables “aux actes d’un État agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire”, particulièrement dans les territoires occupés » (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 243, par. 216, citant Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 178-181, par. 107-113). La Cour rappelle également que la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé ou d’occupation (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 178, par. 106). Certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire ; d’autres peuvent relever exclusivement des droits de l’homme ; d’autres enfin peuvent relever de ces deux branches du droit international à la fois (ibid.).
100. La Cour observe qu’Israël demeure lié par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en ce qui concerne son comportement touchant au Territoire palestinien occupé (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 180-181, par. 111-112).
101. S’agissant de la CIEDR, la Cour relève que cette convention ne contient aucune disposition limitant expressément son champ d’application territorial. En revanche, plusieurs de ses dispositions imposent aux États parties des obligations applicables « sur les territoires relevant de leur juridiction » (article 3) ou à l’égard de « toute personne soumise à leur juridiction » (article 6 ; voir aussi les paragraphes 1 et 2 de l’article 14). Il s’ensuit que cet instrument est également applicable au comportement d’un État partie qui a des effets hors de son territoire. En ce qui concerne le Territoire palestinien occupé en particulier, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après le « Comité de la CIEDR ») a estimé que ladite convention était applicable aux actes commis par Israël à l’égard des personnes se trouvant sur ce territoire (Nations Unies, Comité de la CIEDR, « observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques », 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 9-10 ; Nations Unies, Comité de la CIEDR, « examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la convention : conclusions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale : Israël », 30 mars 1998, doc. CERD/C/304/Add.45, par. 12). Selon la Cour, Israël doit se conformer aux obligations que lui impose la CIEDR lorsqu’il exerce sa juridiction en dehors de son territoire.
102. Plusieurs participants à la présente procédure ont exprimé des vues divergentes quant à la pertinence, d’une manière générale, des accords d’Oslo (voir le paragraphe 65 ci–dessus). Les parties aux accords d’Oslo sont convenues d’« exerce[r] leurs pouvoirs et responsabilités conformément » auxdits accords, « en tenant dûment compte des normes et principes internationalement reconnus en matière de droits de l’homme et de primauté du droit » (accord d’Oslo II, art. XIX). La Cour rappelle que les « droits légitimes » du peuple palestinien reconnus dans les accords d’Oslo couvrent le droit à l’autodétermination (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 183, par. 118). Les accords d’Oslo ont en outre interdit aux parties d’« entreprend[re ou de] prend[re] de[s] mesure[s] à même de modifier le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza avant que les négociations sur le statut permanent n’aboutissent » (accord d’Oslo II, art. XXXI, par. 7). La Cour observe que, aux fins de l’interprétation des accords d’Oslo, il est nécessaire de tenir compte de l’article 47 de la quatrième convention de Genève, qui prévoit que la population protégée « ne ser[a pas] privée[] » du bénéfice de la convention « par un accord passé entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante ». Pour l’ensemble de ces raisons, la Cour considère que les accords d’Oslo ne sauraient être interprétés comme limitant d’une quelconque manière les obligations
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incombant à Israël au regard des règles de droit international pertinentes applicables dans le Territoire palestinien occupé. Gardant ces points à l’esprit elle tiendra compte des accords d’Oslo selon que de besoin.
V. POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ
103. La Cour évaluera à présent la conformité des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, telles que définies dans la question a), avec les obligations incombant à cet État au regard du droit international. En particulier, elle examinera tour à tour, dans le cadre de cette analyse, les questions de l’occupation prolongée, de la politique de colonisation d’Israël, de l’annexion du Territoire palestinien occupé depuis 1967, ainsi que de l’adoption par Israël de lois et de mesures connexes qui seraient discriminatoires. Une fois cet examen effectué, la Cour recherchera si les politiques et pratiques d’Israël portent atteinte au droit du peuple palestinien à l’autodétermination et, le cas échéant, de quelle manière.
A. Question de l’occupation prolongée
104. La question a) porte en partie sur les conséquences juridiques découlant de l’« occupation … prolongée » par Israël du Territoire palestinien occupé. À cet égard, la Cour constate que l’occupation israélienne dure depuis plus de 57 ans. Pour répondre à cet aspect de la question, il lui faut examiner la relation entre Israël, en tant que puissance occupante, et la population protégée du territoire occupé, relation qui est régie par le droit de l’occupation.
105. L’État agissant en tant que puissance occupante détient, de par cette qualité, un ensemble de pouvoirs et de responsabilités à l’égard du territoire sur lequel il exerce un contrôle effectif. Dans ce contexte, la puissance occupante est tenue d’administrer le territoire dans l’intérêt de la population locale. Rien dans la quatrième convention de Genève ni dans le droit international coutumier ne permet de penser que la nature et la portée des pouvoirs et responsabilités de la puissance occupante dépendent des circonstances qui ont entraîné l’occupation. La nature et la portée de ces pouvoirs et responsabilités reposent au contraire toujours sur le même postulat, à savoir que l’occupation est une situation temporaire répondant à une nécessité militaire, et qu’elle ne peut donner lieu à un transfert du titre de souveraineté à la puissance occupante.
106. Ce postulat sous-tend plusieurs règles du droit de l’occupation. Aux termes de l’article 64 de la quatrième convention de Genève et de la règle énoncée à l’article 43 du règlement de La Haye, par exemple, la puissance occupante a, en principe, l’obligation de respecter les lois en vigueur dans le territoire occupé. De même, aux termes du cinquième alinéa de l’article 50 de la quatrième convention de Genève, la puissance occupante ne doit pas entraver l’application des mesures préférentielles adoptées avant l’occupation et, aux termes du premier alinéa de l’article 54, il lui est interdit de modifier le statut des fonctionnaires ou des magistrats du territoire occupé. En outre, la règle énoncée à l’article 55 du règlement de La Haye ne confère à la puissance occupante que le statut d’administrateur et d’usufruitier des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles dans le territoire occupé. Ces dispositions soulignent que l’occupation est conçue comme une situation provisoire, durant laquelle l’exercice, par la puissance occupante, de l’autorité sur un territoire étranger est toléré dans l’intérêt de la population locale.
107. Le même postulat explique aussi la dimension temporelle des pouvoirs et responsabilités qui sont ceux de la puissance occupante en application du droit de l’occupation. La Cour relève à cet
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égard que le troisième alinéa de l’article 6 de la quatrième convention de Genève limite dans le temps les obligations auxquelles un État est tenu en sa qualité de puissance occupante. Cette limite à l’application de certaines des dispositions de cet instrument ne visait pas à libérer les États des obligations leur incombant au regard de la convention dans les situations d’occupation prolongée. Les travaux préparatoires de la quatrième convention de Genève indiquent en réalité que cette limite reposait sur l’idée que, dans un délai d’un an après la fin des opérations militaires, les autorités locales du territoire occupé auraient largement recommencé à exercer des fonctions gouvernementales. Dès lors, la puissance occupante n’aurait pas à continuer d’exercer ces fonctions (Acte final de la Conférence diplomatique de Genève, 1949, tome II, section A, Commission III, rapport à l’Assemblée plénière, p. 799). Toutefois, dans le cas où les autorités locales n’auraient pas repris leurs fonctions gouvernementales, la puissance occupante n’est pas libérée des obligations découlant de son contrôle effectif continu sur le territoire occupé. Son devoir fondamental d’administrer le territoire dans l’intérêt de la population locale demeure, tout comme l’ensemble des obligations particulières qui en découlent. Toute autre conclusion serait contraire à l’objet et au but de la convention et priverait la population soumise à une occupation prolongée de la protection dont elle jouit en vertu du droit international humanitaire. En conséquence, la Cour considère que, si les autorités locales du territoire occupé n’ont pas recommencé à exercer des fonctions gouvernementales un an après la fin des opérations militaires, les obligations de la puissance occupante au regard de la quatrième convention de Genève restent en vigueur, nonobstant le troisième alinéa de l’article 6. La Cour note également qu’il n’existe pas de limite temporelle à l’application des obligations incombant à une puissance occupante en vertu du règlement de la Haye.
108. Par ailleurs, il ne découle pas de l’article 6 de la quatrième convention de Genève que, dans les cas d’occupation prolongée, la puissance occupante acquière au fil du temps des pouvoirs supplémentaires. Le fait de l’occupation ne peut donner lieu à un transfert de titre, et ce, quelle qu’en soit la durée. Par conséquent, le passage du temps ne libère pas la puissance occupante des obligations qui lui incombent, notamment celle de s’abstenir d’accomplir des actes de souveraineté, pas plus qu’il n’étend les pouvoirs limités et définis que le droit international humanitaire confère à la puissance occupante.
109. Le fait qu’une occupation se prolonge ne modifie pas en soi son statut juridique au regard du droit international humanitaire. Bien qu’il soit fondé sur le caractère temporaire de l’occupation, le droit qui la régit ne fixe pas de limites temporelles qui pourraient, en tant que telles, modifier le statut d’une occupation. La licéité de la présence de la puissance occupante dans le territoire occupé doit plutôt être appréciée à l’aune d’autres règles. En particulier, l’occupation se traduit par l’exercice, par un État, d’un contrôle effectif dans un territoire étranger (voir les paragraphes 91-92 ci-dessus). Pour être autorisé, cet exercice d’un contrôle effectif doit donc être à tout moment conforme aux règles relatives à l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force, notamment l’interdiction de l’acquisition de territoire résultant du recours à la menace ou à l’emploi de la force, ainsi qu’au droit à l’autodétermination. Par conséquent, le fait qu’une occupation se prolonge est susceptible d’avoir une incidence sur la justification, au regard du droit international, de la présence continue de la puissance occupante dans le territoire occupé. La Cour examinera ces questions plus loin (voir les paragraphes 157-179 et 230-243).
110. C’est dans ce contexte que les politiques et pratiques d’Israël, ainsi que sa présence continue dans le Territoire palestinien occupé, doivent être analysées. La Cour va maintenant passer à l’examen de ces politiques et pratiques, en commençant par la politique de colonisation d’Israël.
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B. Politique de colonisation
1. Vue d’ensemble
111. La question a) posée par l’Assemblée générale porte notamment sur les conséquences juridiques découlant de la politique de colonisation menée par Israël. La Cour relève que le terme anglais « settlement », tel qu’il est employé dans la résolution de l’Assemblée générale et dans d’autres textes, présente une certaine ambiguïté. Ce terme peut être interprété comme faisant référence aux quartiers d’habitation établis ou soutenus par Israël dans le Territoire palestinien occupé ; il peut également être interprété comme englobant l’ensemble des processus et structures physiques et autres qui constituent, permettent et encouragent l’établissement, l’expansion et le maintien de ces quartiers d’habitation. En français, l’emploi des mots « colonie » et « colonisation » permet de distinguer ces deux notions. Dans la version française de la résolution, c’est le mot « colonisation » qui a été utilisé, ce qui indique que la Cour est appelée à examiner de manière complète la politique israélienne relative aux colonies. Le fait que la question b), qui fournit le contexte dans lequel il convient d’interpréter la question a), renvoie à la colonisation en tant que politique ou pratique confirme cette interprétation.
112. La Cour a conscience de la distinction qui est parfois faite entre, d’une part, les « colonies » et, d’autre part, les « avant-postes », établis en violation du droit interne israélien. De l’avis de la Cour, cette distinction importe peu aux fins de l’appréciation de la question de savoir si les zones de peuplement en question s’inscrivent dans la politique israélienne de colonisation. Ce qui compte, c’est de déterminer si elles sont établies ou maintenues avec l’appui d’Israël. À ce propos, la Cour note que celui-ci prend régulièrement des mesures pour légaliser rétroactivement des avant-postes et qu’il fournit les infrastructures nécessaires à leur maintien (voir Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 15-20 ; Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 14-15).
113. La Cour rappelle qu’Israël a mis en oeuvre une politique de colonisation tout au long de son occupation du Territoire palestinien occupé (voir les paragraphes 59 et 68 ci-dessus). Elle observe en outre que la question des colonies israéliennes a été amplement examinée par divers organes et organismes des Nations Unies. À titre d’exemple, le Conseil des droits de l’homme a, par sa résolution 19/17, créé une mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est (ci-après la « mission internationale indépendante d’établissement des faits »). Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme publient régulièrement des rapports attestant les faits relatifs à l’établissement et à l’extension par Israël des colonies de peuplement. La question des activités de colonisation d’Israël et de leurs effets est également examinée dans les rapports de la Commission d’enquête internationale indépendante, ainsi que dans ceux de rapporteurs spéciaux, y compris du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Ces rapports utilisent des données émanant de nombreuses sources, notamment des informations de première main, pour fournir une analyse factuelle circonstanciée de la politique israélienne de colonisation.
114. La Cour relève en outre que, entre 1967 et 2005, la politique israélienne de colonisation a été menée en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Depuis que les colonies israéliennes ont été retirées de la bande de Gaza en 2005 (voir le paragraphe 88 ci-dessus), Israël a
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poursuivi cette politique en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ; la Cour limitera par conséquent son analyse à la politique de colonisation qu’il continue de mettre en oeuvre dans ces territoires. Elle fait toutefois observer que la politique israélienne de colonisation menée dans la bande de Gaza jusqu’en 2005 n’était pas fondamentalement différente de celle qui se poursuit aujourd’hui en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
2. Transfert de la population civile
115. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour a jugé que la politique israélienne de colonisation emportait violation du sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève, qui dispose que « [l]a Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 183, par. 120). Ainsi que la Cour l’a relevé dans ledit avis consultatif, cette disposition
« prohibe non seulement les déportations ou transferts forcés de population tels qu’intervenus au cours de la seconde guerre mondiale, mais encore toutes les mesures que peut prendre une puissance occupante en vue d’organiser et de favoriser des transferts d’une partie de sa propre population dans le territoire occupé » (ibid.).
De fait, rien dans les termes ou le contexte de cette disposition, ni encore dans l’objet et le but ou l’histoire rédactionnelle de la quatrième convention de Genève, n’indique que ladite disposition ne prohibe que le transfert forcé d’une partie de la population civile de la puissance occupante dans le territoire occupé. Dans la présente procédure, de nombreux éléments attestent la politique d’Israël consistant à encourager, par des mesures incitatives, l’installation des personnes et des entreprises israéliennes en Cisjordanie, et le développement industriel et agricole de celle-ci par les colons (voir, par exemple, Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé, 14 juillet 1998, doc. A/53/163-E/1998/79, par. 21 ; Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la base de données de toutes les entreprises impliquées dans les activités décrites au paragraphe 96 du rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 1er février 2018, doc. A/HRC/37/39, par. 43-45 ; Nations Unies, « rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé », 20 septembre 2021, doc. TD/B/EX(71)/2, par. 40-41).
116. Ainsi que cela est relevé plus haut, Israël légalise régulièrement des avant-postes établis en violation de sa législation nationale (voir le paragraphe 112). En février 2023, Israël a par exemple annoncé qu’il avait décidé de légaliser dix avant-postes dans la zone C en Cisjordanie (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 17). La Cour estime que, en poursuivant ces pratiques, Israël encourage le transfert d’une partie de sa population civile dans des avant-postes situés en Cisjordanie, en violation du sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève.
117. En outre, l’implantation par Israël de colonies de peuplement s’accompagne d’infrastructures civiles spécialement conçues à cet effet en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, qui intègrent les colonies au territoire d’Israël. Selon le secrétariat de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), Israël
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« a dépensé des milliards de dollars pour construire des infrastructures modernes et encourager l’expansion des colonies, notamment des routes, des réseaux d’eau et d’égouts, des systèmes de communication et d’alimentation électrique, des systèmes de sécurité et des établissements d’enseignement et de soins de santé » (Nations Unies, « rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé », 20 septembre 2021, doc. TD/B/EX(71)/2, par. 40).
La Commission d’enquête internationale indépendante ajoute que l’expansion continue des colonies et des infrastructures connexes israéliennes contribue activement à asseoir l’occupation (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 51). Comme l’a relevé le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, la population des colonies israéliennes a rapidement augmenté du fait de la mise en place d’infrastructures israéliennes (Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 10). En outre, Israël soumet l’utilisation des infrastructures et du réseau de transport de la Cisjordanie à des conditions particulières (voir les paragraphes 198-206 ci-dessous).
118. La Cour relève encore que l’interdiction du transfert de la population civile de la puissance occupante, figurant au sixième alinéa de l’article 49, n’est pas subordonnée au déplacement forcé subséquent de la population locale. Le transfert de membres de la population civile de la puissance occupante dans le territoire occupé est prohibé, qu’il entraîne ou non le déplacement de la population locale. En tout état de cause, comme la Cour l’exposera plus loin, le transfert de la population civile israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est entraîne le déplacement des Palestiniens qui y vivent (voir les paragraphes 142-147 ci-dessous).
119. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le transfert par Israël de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que le maintien par cet État de leur présence, est contraire au sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève.
3. Confiscation ou réquisition de terres
120. L’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est repose sur la confiscation ou la réquisition de vastes étendues de terre. Selon la Commission d’enquête internationale indépendante, plus de deux millions de dounoums (environ 2 000 kilomètres carrés) ont été expropriés dans la seule zone C depuis 1967, ce qui représente plus d’un tiers de la Cisjordanie (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 39). Les terres expropriées comprennent de vastes zones qui devraient être considérées comme des biens privés mais ont été enregistrées par Israël comme terres domaniales — soit destinées à l’usage public — en s’appuyant sur une interprétation sélective du droit qui était en vigueur au moment de l’occupation (ibid., par. 33 ; Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 63). Le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme rapporte que la quasi-totalité de ces terres domaniales a été allouée au profit des colonies israéliennes (Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 8).
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121. À Jérusalem-Est où, comme la Cour l’exposera plus loin (voir le paragraphe 138 ci-dessous), le droit interne israélien s’applique intégralement, la confiscation de terres palestiniennes est rendue possible par l’application de la loi de 1950 sur les biens des absents. Cette loi autorise la confiscation de biens dont les propriétaires se trouvaient hors de la zone après le 27 novembre 1947.
122. Selon l’article 46 du règlement de La Haye, la propriété privée doit être respectée et ne peut être confisquée. La Cour observe que cette interdiction de la confiscation des biens privés est inconditionnelle : elle ne souffre aucune exception, que ce soit au titre d’impératifs militaires ou pour tout autre motif (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 192, par. 135). En outre, l’article 52 dudit règlement précise que des réquisitions en nature ne peuvent être réclamées aux habitants que pour les besoins de l’armée d’occupation. Les biens immobiliers publics, quant à eux, doivent être administrés par la puissance occupante conformément aux règles de l’usufruit en application de l’article 55 du règlement de La Haye. De l’avis de la Cour, il en découle que la puissance occupante a le devoir d’administrer les biens publics dans l’intérêt de la population locale ou, à titre exceptionnel, pour répondre aux besoins de l’armée d’occupation. Or, dans la présente procédure, les biens publics confisqués ou réquisitionnés pour le développement des colonies israéliennes profitent à la population civile des colons, au détriment de la population palestinienne locale. La Cour conclut par conséquent que ces politiques foncières d’Israël ne sont pas conformes aux articles 46, 52 et 55 du règlement de La Haye.
123. La Cour relève que cette conclusion va dans le sens de celle à laquelle elle était parvenue dans son avis consultatif sur le Mur. Dans cette procédure, elle avait examiné les conséquences juridiques de la pratique d’Israël consistant à confisquer et à réquisitionner des terres palestiniennes, dans la mesure où cette pratique était associée à l’édification par celui-ci du mur dans le Territoire palestinien occupé. Au vu des informations dont elle disposait, elle avait alors conclu que la construction du mur avait entraîné la destruction ou la réquisition de propriétés dans des conditions contraires aux prescriptions des articles 46 et 52 du règlement de La Haye (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 189, par. 132). Ainsi que la Cour l’a observé dans cet avis, le tracé sinueux du mur avait été fixé de manière à inclure à l’intérieur de ses limites la plus grande partie des colonies de peuplement installées par Israël dans le Territoire palestinien occupé (ibid., p. 183, par. 119). La construction du mur faisant partie intégrante de la politique israélienne de colonisation, la Cour estime que la conclusion à laquelle elle était parvenue dans son avis consultatif sur le Mur en ce qui concerne la confiscation ou la réquisition de terres aux fins de cette construction est aussi applicable à la confiscation ou à la réquisition de terres à toutes fins susceptibles de favoriser la poursuite de la politique israélienne de colonisation. Cela inclut les terres utilisées pour l’établissement de colonies israéliennes, ainsi que les zones dites « de jointure » (qui s’étendent entre le mur et la Ligne verte de 1949), les zones de sécurité spéciale à proximité des colonies et les zones de tir militaires fermées.
4. Exploitation des ressources naturelles
124. La Cour rappelle que, conformément au principe de droit international coutumier énoncé à l’article 55 du règlement de La Haye, l’État occupant ne doit se considérer que comme administrateur et usufruitier des ressources naturelles du territoire occupé, y compris, mais pas uniquement, les forêts et exploitations agricoles, et il est tenu de « sauvegarder le fonds » de ces ressources. En conséquence, il ne peut utiliser les ressources naturelles que dans la limite de ce qui est nécessaire aux fins de l’occupation. À cet égard, la Cour observe que la puissance occupante a l’obligation continue de veiller à ce que la population locale dispose d’un accès adéquat à la nourriture, y compris l’approvisionnement en eau (article 55 de la quatrième convention de Genève). L’utilisation des ressources naturelles du territoire occupé doit par ailleurs être durable et éviter de causer des dommages à l’environnement. C’est ce qu’indique le principe 23 de la déclaration de Rio
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de 1992 sur l’environnement et le développement, selon lequel « [l]’environnement et les ressources naturelles des peuples soumis à … occupation doivent être protégés » (voir aussi Nations Unies, projet de principes de la Commission du droit international sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés et commentaires y relatifs (2022), doc. A/77/10, principe 20).
125. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), la Cour a relevé l’importance du principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles au regard du droit international coutumier (C.I.J. Recueil 2005, p. 251, par. 244). Dans cette instance, elle a conclu que, bien que plusieurs officiers et soldats des Forces de défense du peuple ougandais eussent participé au pillage et à l’exploitation des ressources naturelles de la République démocratique du Congo, elle ne disposait pas d’éléments de preuve crédibles permettant d’établir que l’Ouganda, en tant que puissance occupante, menait une politique gouvernementale visant à l’exploitation des ressources naturelles de la République démocratique du Congo (ibid., par. 242). Elle a considéré que, dans ces circonstances, le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles n’était pas applicable (ibid., par. 244). Lorsque, en revanche, une puissance occupante mène dans le territoire occupé une politique d’exploitation des ressources naturelles contraire au droit de l’occupation, cette politique peut aller à l’encontre dudit principe.
126. La Cour relève que la zone C est riche en ressources naturelles (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 30 juin 2023, doc. A/78/127-E/2023/95, par. 61 ; World Bank, Area C and the Future of the Palestinian Economy (2013), p. 21-25). Des éléments attestent qu’Israël exploite ces ressources naturelles, notamment l’eau et les minéraux, au profit de sa propre population, en lésant la population palestinienne locale, voire en la privant totalement desdites ressources.
127. Selon les informations dont dispose la Cour, Israël a placé les ressources en eau du Territoire palestinien occupé sous son contrôle militaire après le début de l’occupation en 1967 ; par la suite, en 1982, il a transféré le contrôle des ressources hydriques de Cisjordanie et de Jérusalem-Est à Mekorot, sa compagnie nationale des eaux (Nations Unies, rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, 15 octobre 2021, doc. A/HRC/48/43, par. 18).
128. Des rapports de l’Organisation des Nations Unies confirment qu’Israël donne la priorité à ses colonies pour l’approvisionnement en eau, au détriment des communautés palestiniennes, qui subissent de longues et fréquentes pénuries (Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 83-85). Israël interdit aux Palestiniens de construire de nouvelles installations d’approvisionnement en eau ou d’entretenir celles qui existaient déjà sans autorisation militaire, et les empêche d’avoir accès aux eaux du Jourdain et d’y puiser (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 30 juin 2023, doc. A/78/127-E/2023/95, par. 62-63). En pratique, les Palestiniens n’ont donc guère la capacité d’assurer l’accès à l’eau dans d’importantes parties de la Cisjordanie, de sorte qu’ils doivent en acheter des quantités importantes à Israël à un prix élevé (Nations Unies, rapport de la
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Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, 15 octobre 2021, doc. A/HRC/48/43, par. 30 et 43).
129. En conséquence du contrôle et de la gestion qu’exerce Israël sur les ressources hydriques de Cisjordanie, l’eau à laquelle les Palestiniens ont accès est bien en deçà des niveaux minimums recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé, tant en qualité qu’en quantité (Nations Unies, rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, 15 octobre 2021, doc. A/HRC/48/43, par. 26). Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a constaté avec inquiétude l’incidence de la politique israélienne de colonisation sur l’accès des Palestiniens à l’eau (Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël », 12 novembre 2019, doc. E/C.12/ISR/CO/4, par. 46).
130. Selon la Commission d’enquête internationale indépendante et la CNUCED, les politiques israéliennes relatives à la gestion de l’eau et des terres ont entraîné une réduction de la superficie des terres disponibles pour l’agriculture, passée de 2,4 millions de dounoums (soit à peu près 2 400 kilomètres carrés) en 1980 à environ 1 million de dounoums (à peu près 1 000 kilomètres carrés) en 2010, tandis que la part de l’agriculture dans le produit intérieur brut du Territoire palestinien occupé, égale à 35 % en 1972, n’était plus que de 12 % en 1995, et atteignait moins de 4 % en 2020. De plus, l’expansion des colonies et des zones industrielles contribue à la pollution des cours d’eau douce et des eaux souterraines. La diminution des ressources hydriques et la dégradation de l’environnement qui l’accompagne ont gravement nui au secteur agricole palestinien, réduisant les possibilités d’emploi (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 72 ; Nations Unies, « rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé », 5 août 2020, doc. TD/B/67/5, par. 31).
131. La mission internationale indépendante d’établissement des faits a indiqué que 86 % de la vallée du Jourdain et de la mer Morte, régions riches en minéraux, relevaient, en pratique, de la juridiction des conseils régionaux des colonies israéliennes et que les colonies extrayaient les minéraux et cultivaient les terres agricoles fertiles aux dépens des Palestiniens (Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 36). Selon la Commission d’enquête internationale indépendante, Israël a accordé des concessions minières portant sur des carrières qu’il exploite dans la zone C ; la plus grande part des matières premières extraites est transférée vers son territoire (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 37). Israël n’aurait en revanche délivré aucun permis d’extraction à des entreprises palestiniennes dans la zone C depuis 1994 (Nations Unies, « répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé », 13 mai 2019, doc. A/74/88-E/2019/72, par. 86).
132. La Cour note que le Conseil de sécurité a souligné l’importance qu’il y avait à assurer la protection des ressources en eau des territoires occupés (résolution 465 (1980) du Conseil de sécurité,
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adoptée le 1er mars 1980, par. 8). L’Assemblée générale a exigé à maintes reprises qu’Israël « cesse d’exploiter, d’altérer, de détruire, d’épuiser et de mettre en péril les ressources naturelles du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » (voir, par exemple, résolution 78/170 de l’Assemblée générale du 19 décembre 2023, par. 2).
133. Au vu des éléments de preuve dont elle dispose, la Cour considère que l’usage que fait Israël des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé n’est pas conforme aux obligations que lui impose le droit international. En détournant une grande part des ressources naturelles au profit de sa propre population, notamment des colons, Israël manque à son obligation d’agir en tant qu’administrateur et usufruitier. À cet égard, la Cour rappelle que le transfert par Israël de sa propre population dans le Territoire palestinien occupé est contraire au droit international (voir le paragraphe 119 ci-dessus). Elle estime par conséquent que l’utilisation des ressources naturelles du territoire occupé ne peut être justifiée par les besoins de cette population. La Cour considère encore que, en restreignant gravement l’accès de la population palestinienne à l’eau disponible dans le Territoire palestinien occupé, Israël agit de manière contraire à l’obligation qu’il a d’assurer un approvisionnement en eau qui soit approprié sur le plan de la quantité autant que de la qualité (article 55 de la quatrième convention de Genève). Elle relève que, si l’accord d’Oslo II encadre l’utilisation de l’eau et des systèmes de traitement des eaux usées dans le Territoire palestinien occupé (article 40 de l’appendice I de son annexe III), cet accord ne saurait être interprété comme limitant les obligations incombant à Israël au regard du droit international humanitaire d’assurer un approvisionnement en eau approprié sur le plan de la quantité et de la qualité (voir le paragraphe 102 ci-dessus). Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut également que la politique d’exploitation des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé mise en oeuvre par Israël est contraire à l’obligation qu’il a de respecter le droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.
5. Extension de la législation israélienne
134. Conformément à l’article 43 du règlement de La Haye la puissance occupante doit, de manière générale, respecter, sauf empêchement absolu, le droit en vigueur dans le territoire occupé. À cette disposition s’ajoute le deuxième alinéa de l’article 64 de la quatrième convention de Genève qui autorise, à titre exceptionnel, la puissance occupante à
« soumettre la population du territoire occupé à des dispositions qui sont indispensables pour lui permettre de remplir ses obligations découlant de la [quatrième c]onvention [de Genève], et d’assurer l’administration régulière du territoire ainsi que la sécurité soit de la Puissance occupante, soit des membres et des biens des forces ou de l’administration d’occupation ainsi que des établissements et des lignes de communications utilisés par elle ».
En principe, le droit de l’occupation ne prive donc pas les institutions civiles de la population locale du territoire occupé de l’autorité réglementaire qu’elles sont susceptibles d’avoir, mais confère à la puissance occupante un ensemble de pouvoirs de réglementation à titre exceptionnel et pour des motifs spécifiques clairement définis.
135. En l’espèce, Israël a étendu l’application de sa législation à la Cisjordanie. Comme l’expose la Commission d’enquête internationale indépendante :
« Depuis le début de l’occupation, Israël a étendu l’application de sa législation à la Cisjordanie, d’où des modifications profondes du droit applicable et, dans la pratique, la coexistence de deux législations applicables : la législation militaire et la
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législation interne israélienne, qui est appliquée extraterritorialement aux seuls colons israéliens. Cette extension, qui a été opérée au moyen d’ordonnances militaires, de dispositions législatives et de décisions de la Cour suprême, concerne le droit pénal, la législation nationale relative à l’assurance maladie, le droit fiscal et des lois électorales. Il existe en outre des systèmes juridiques distincts pour ce qui est de l’application du code de la route, et on peut constater un dédoublement institutionnel et législatif du régime de l’aménagement et de la construction. » (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 46.)
136. Israël a substitué dans une large mesure son droit militaire au droit local qui était en vigueur dans le Territoire palestinien occupé au début de l’occupation, en 1967. Les auteurs d’actes considérés comme des infractions au regard du droit militaire d’Israël sont jugés par des tribunaux militaires, et non par des juridictions civiles ou pénales locales. En outre, dans la pratique, les autorités militaires israéliennes compétentes appliquent aux colons le droit applicable aux civils en Israël, ainsi qu’aux juifs non israéliens présents en Cisjordanie. Par conséquent, les colons vivant en Cisjordanie jouissent des droits et privilèges conférés par la citoyenneté israélienne, ainsi que des protections prévues par le droit interne d’Israël et des prestations sociales offertes par celui-ci. Les colons sont, de plus, jugés non pas par les tribunaux militaires mais par les juridictions civiles d’Israël. Les Palestiniens de Cisjordanie sont donc soumis au droit militaire et jugés par des tribunaux militaires, tandis que les colons bénéficient du droit pénal et du système de justice pénale applicables aux civils en Israël.
137. De plus, les colonies de Cisjordanie relèvent de la juridiction de facto des conseils régionaux et locaux de colonies (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 18 septembre 2012, doc. A/67/375, par. 11-13). Depuis la fin de l’année 2022, le pouvoir de décision en matière civile dans la zone C, jusqu’alors détenu par l’armée, relève d’un ministre civil dépendant du ministère de la défense d’Israël (voir le paragraphe 156 ci-dessous).
138. À Jérusalem-Est, le droit interne israélien a été appliqué dès le début de l’occupation en 1967. Par son ordonnance du 28 juin 1967 sur la législation et l’administration (no 11), 5727-1967, Israël a repoussé les limites géographiques de Jérusalem-Est et déclaré que celle-ci relevait de son droit interne, de sa juridiction et de son administration. En 1980 a été adoptée une loi fondamentale qui a fait de « Jérusalem, entière et unifiée », la capitale d’Israël et le siège de son gouvernement (« Loi fondamentale : Jérusalem, capitale d’Israël », 5740-1980). Cette même loi interdit la délégation de tout pouvoir concernant Jérusalem à « une puissance politique ou gouvernante étrangère, ou à toute autre autorité étrangère analogue, que ce soit à titre permanent ou pour une période donnée ». La Cour examinera plus loin les politiques menées par Israël à Jérusalem-Est, ainsi que leur conformité au droit international (voir les paragraphes 163-165). Il suffit ici de relever que, du point de vue du droit interne, Israël traite Jérusalem-Est comme son propre territoire national, en y appliquant pleinement le droit israélien, à l’exclusion de tout autre système juridique interne.
139. Dans la présente procédure, la Cour n’est pas convaincue que l’extension du droit israélien à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est soit justifiée par l’un quelconque des motifs énoncés au deuxième alinéa de l’article 64 de la quatrième convention de Genève. À cet égard, elle rappelle que le transfert par Israël de sa population civile en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est contraire à cette convention (voir le paragraphe 119 ci-dessus) ; il s’ensuit qu’Israël ne peut invoquer un tel transfert pour justifier la réglementation qu’il impose dans ces territoires. En outre, le fait que le droit israélien
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s’applique intégralement à Jérusalem-Est, et qu’il s’applique à l’égard des colons dans toute la Cisjordanie, ne peut être considéré comme relevant de dispositions « indispensables » à l’une quelconque des fins énumérées au deuxième alinéa de l’article 64 de la quatrième convention de Genève.
140. Les arrangements convenus entre Israël et l’OLP dans les accords d’Oslo vont dans le même sens. En particulier, la Cour relève que le paragraphe 4 de l’article X de l’accord d’Oslo II disposait qu’« Israël continuera[it] d’assumer la responsabilité de la sécurité extérieure, ainsi que la responsabilité de la sécurité générale des Israéliens en vue de préserver leur sécurité intérieure et l’ordre public ». Il était en outre prévu, à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article XIII du même accord, qu’« Israël assumera[it] la responsabilité absolue de la sécurité pour ce qui est de protéger les Israéliens et de faire face aux menaces terroristes ». L’alinéa b) du paragraphe 4 de l’article XVII précise que, s’agissant des zones qui ne relèvent pas de la compétence territoriale du Conseil palestinien établi par l’accord, « les autorités militaires israéliennes restent dotées des pouvoirs et responsabilités législatifs, judiciaires et exécutifs nécessaires, conformément au droit international ». Rien dans ces dispositions n’indique que les pouvoirs définis dont Israël est investi au regard du droit de l’occupation seraient étendus. En précisant que ce dernier « continuera » d’assumer des obligations et « reste[ra] doté » de pouvoirs, elles visent clairement à préserver certains des pouvoirs qui lui sont conférés par le droit de l’occupation, et non pas à lui en accorder d’autres. Cela est confirmé par le fait que ces dispositions reconnaissent les pouvoirs d’Israël fondés sur des motifs liés à la sécurité et à l’ordre public, soit des motifs déjà reconnus par le droit de l’occupation comme autorisant la puissance occupante à assurer une réglementation. Enfin, l’article XVII de l’accord d’Oslo II indique expressément, à l’alinéa b) de son paragraphe 4, qu’Israël ne conserve que les pouvoirs « nécessaires » et, en tout état de cause, « conformément au droit international », notamment le droit de l’occupation. Il en découle qu’Israël ne saurait se fonder sur les accords d’Oslo pour exercer sa juridiction dans le Territoire palestinien occupé d’une manière qui dérogerait aux obligations que lui impose le droit de l’occupation (voir également le paragraphe 102).
141. Pour ces raisons, la Cour considère qu’Israël a exercé l’autorité réglementaire qu’il a en tant que puissance occupante d’une manière qui n’est pas conforme à la règle reflétée à l’article 43 du règlement de La Haye et à l’article 64 de la quatrième convention de Genève.
6. Déplacement forcé de la population palestinienne
142. La Cour en vient à présent aux effets de la politique de colonisation d’Israël sur le départ de la population palestinienne. À cet égard, elle rappelle l’observation qu’elle avait formulée dans son avis consultatif sur le Mur, à savoir que cette politique occasionnait le départ de populations palestiniennes de certaines zones de Cisjordanie et de Jérusalem-Est (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122).
143. La Cour observe que, du fait de la confiscation à grande échelle des terres et de l’accès aux ressources naturelles, la population locale, privée de ses moyens de subsistance fondamentaux, est poussée au départ. En outre, une série de mesures prises par les forces armées israéliennes ont exacerbé les pressions exercées sur les Palestiniens pour les contraindre à quitter certaines parties du Territoire palestinien occupé (voir les paragraphes 180-229 ci-dessous). Des rapports du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et d’autres organes des Nations Unies attestent que des centaines de Palestiniens du Territoire palestinien occupé se voient chaque année expulsés ou déplacés par Israël, souvent en conséquence de la démolition de leurs biens ou des politiques de zonage et d’aménagement et des plans de réinstallation qui leur sont associés. Ainsi, selon le Secrétaire général de l’Organisation des
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Nations Unies, plus d’un millier de Palestiniens ont été déplacés entre juin 2022 et mai 2023 à la suite de la démolition, de la confiscation ou de la mise sous scellés de leurs biens par les autorités israéliennes (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 31). Par ailleurs, entre avril 2021 et mars 2022, plus de 700 Palestiniens ont été déplacés en raison de démolitions (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 8 juin 2022, doc. A/77/90-E/2022/66, par. 43). De plus, en mai 2022, la Haute Cour de justice d’Israël a rejeté des recours introduits contre des ordres d’expulsion visant quelque 1 150 Palestiniens qui résidaient dans une région désignée par Israël comme une zone de tir (HCJ 413/13 Abu ‘Aram v. Minister for Defence (2022) ; voir aussi Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 52-53). Ces pratiques exposent davantage de Palestiniens au risque futur d’une expulsion forcée.
144. La Cour rappelle que, aux termes du premier alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève, « [l]es transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif ». Le libellé de cette disposition opère une distinction entre, d’une part, les « transferts » et, d’autre part, les « déportations … hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre État ». Selon le sens ordinaire de ces termes, tous les transferts forcés de personnes protégées sont interdits, y compris les transferts à l’intérieur du territoire occupé. Cette interprétation est confirmée, premièrement, par le contexte dans lequel la disposition s’inscrit, notamment le deuxième alinéa de l’article 49, qui prévoit une exception limitée à la règle énoncée au premier alinéa. Selon cette exception, sur laquelle la Cour reviendra plus loin (voir le paragraphe 146), l’évacuation d’une zone déterminée peut être autorisée, mais elle « ne p[eu]t entraîner le déplacement de personnes protégées qu’à l’intérieur du territoire occupé, sauf en cas d’impossibilité matérielle ». De surcroît, l’évacuation ne peut être ordonnée que dans deux cas exceptionnels, soit lorsque la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent. La présence de l’alinéa 2, qui énonce les conditions autorisant, à titre exceptionnel, le déplacement interne de la population locale, indique que, en règle générale, pareil déplacement tombe sous le coup de l’interdiction. Si, au contraire, le déplacement interne était autorisé en toutes circonstances, l’exception inscrite à l’alinéa 2 de l’article 49 serait redondante. Cette interprétation est confirmée par le but de l’interdiction, à savoir préserver les liens familiaux et sociaux des personnes protégées. De tels liens sont menacés quelle que soit la destination du transfert.
145. De l’avis de la Cour, il ressort également du but de l’interdiction que la disposition protège une population occupée contre tout transfert de caractère involontaire. Les travaux préparatoires de la quatrième convention de Genève confirment que le mot « forcés » visait à exclure du champ de l’interdiction les transferts susceptibles d’être effectués avec le consentement des personnes protégées (voir Acte final de la conférence diplomatique de Genève de 1949, tome II, section A, Commission III, rapport à l’Assemblée plénière, p. 827). En conséquence, un transfert peut être « forcé » — et, partant, interdit par le paragraphe 1 de l’article 49 — non seulement lorsqu’il est obtenu par l’emploi de la force physique, mais aussi lorsque les personnes concernées n’ont d’autre choix que de s’en aller (voir Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le procureur c/ Milomir Stakić, affaire n° IT-97-24-A, Arrêt, 22 mars 2006, par. 279). Il s’ensuit que l’absence de recours à la force physique n’exclut pas la possibilité que le transfert en question soit un transfert forcé.
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146. En outre, ainsi que la Cour l’a mentionné plus haut, l’évacuation d’un secteur est autorisée à titre exceptionnel si, comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 49, « la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent ». En pareil cas, les personnes évacuées doivent cependant, conformément au deuxième alinéa, « [être] ramenée[s] dans [leur]s foyers aussitôt que les hostilités dans ce secteur []ont pris fin ». Cela indique que les évacuations s’entendent comme une mesure temporaire, à laquelle il convient de mettre fin dès que disparaissent les impérieuses raisons militaires. Les évacuations de nature permanente ou de durée indéterminée enfreignent quant à elles l’interdiction des transferts forcés. Elles ne relèvent donc pas de l’exception énoncée au deuxième alinéa de l’article 49.
147. La Cour considère que, en raison des politiques et pratiques israéliennes, qu’elle examinera plus en détail ci-après (voir les paragraphes 180-229 ci-dessous), et notamment des expulsions forcées, des nombreuses démolitions d’habitations et des restrictions en matière de résidence et de liberté de circulation, les membres de la population palestinienne vivant dans la zone C n’ont souvent guère d’autre choix que de quitter leur lieu de résidence. La nature des actes d’Israël, notamment le fait que, lorsque des biens palestiniens sont démolis, les terres sont souvent confisquées pour être réaffectées à des colonies israéliennes, indique que les mesures qu’il met en oeuvre ne revêtent pas un caractère temporaire et ne peuvent donc être considérées comme des évacuations autorisées. La Cour estime que les politiques et pratiques d’Israël sont contraires à l’interdiction du transfert forcé de la population protégée au regard du premier alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève.
7. Violence contre les Palestiniens
148. La Cour relève que la politique de colonisation menée par Israël donne lieu à des actes de violence commis contre les Palestiniens par les colons et les forces de sécurité israéliennes.
149. À cet égard, la Cour rappelle que le droit à la vie des personnes protégées du territoire occupé est garanti par la règle énoncée à l’article 46 du règlement de La Haye. Cette règle est complétée par le premier alinéa de l’article 27 de la quatrième convention de Genève, qui dispose que les personnes protégées doivent être traitées avec humanité et protégées contre tout acte de violence ou d’intimidation. En outre, les droits à la vie et à la protection contre la violence sont garantis par l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
150. Selon différents rapports émanant d’organismes des Nations Unies, les colons soumettent souvent les Palestiniens du Territoire palestinien occupé à de nombreux actes de violence, que les autorités israéliennes manquent de prévenir ou de punir (voir, par exemple, Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 45-74 ; Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 1er février 2024, doc. A/HRC/55/72, par. 16-33).
151. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a régulièrement établi que la fréquence et la gravité des attaques commises par les colons contre les Palestiniens allaient en s’accentuant (par exemple, Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 23 septembre 2021, doc. A/76/336, par. 17). Des informations évoquent aussi
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l’absence de réaction des autorités israéliennes face à pareils actes de violence. La Commission d’enquête internationale indépendante souligne que, bien qu’Israël semble reconnaître sa responsabilité en matière de prévention et de punition de telles attaques, l’armée israélienne s’abstient souvent d’intervenir lorsque des colons s’en prennent à des Palestiniens (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 64). D’autres rapports émanant d’organismes des Nations Unies font état d’agressions commises dans des communautés palestiniennes par des colons armés, parfois à proximité des forces de sécurité israéliennes, qui n’interviennent pas, voire viennent prêter main-forte aux colons (par exemple, Nations Unies, rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 28 avril 2022, doc. A/HRC/49/85, par. 13). De plus, il a été constaté que la probabilité qu’un Israélien auteur d’une agression en Cisjordanie soit inculpé était nettement moins élevée lorsque la victime était palestinienne (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 3 octobre 2022, doc. A/77/493, par. 41). Selon le Conseil des droits de l’homme, le fait que les victimes aient difficilement accès à la justice et à des recours efficaces favorise un « climat général d’impunité » s’agissant des violences commises par les colons contre les Palestiniens (voir Nations Unies, observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 24).
152. Il ressort des éléments dont dispose la Cour que les forces de sécurité israéliennes font un usage injustifié ou disproportionné de la force contre les Palestiniens ripostant aux attaques des colons ou protestant contre l’expansion des colonies. La Commission d’enquête internationale indépendante a fait état de plusieurs cas dans lesquels les forces de sécurité israéliennes avaient tiré à balles réelles en vue de réprimer des manifestations de Palestiniens, faisant des centaines de morts et de blessés (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 5 septembre 2023, doc. A/78/198, par. 12-21 ; Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 68). Dans un rapport de 2023, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a recensé une série de cas dans lesquels
« les forces de sécurité israéliennes appliquaient des tactiques militaires aux opérations de maintien de l’ordre en Cisjordanie [] … Les forces de sécurité israéliennes semblent ne pas avoir pris de mesures pour désamorcer les situations d’affrontement ou pour veiller à ce qu’une force potentiellement létale ne soit employée qu’en dernier recours, lorsque cela est strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice grave face à une menace imminente. » (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 2 octobre 2023, doc. A/78/502, par. 14.)
Selon le même rapport, le nombre de Palestiniens tués en Cisjordanie et à Jérusalem-Est a été plus élevé en 2022 qu’au cours de n’importe quelle autre année depuis 2005 (ibid., par. 13).
153. Il est en outre signalé que les femmes et les filles palestiniennes subissent des violences fondées sur le genre qui se manifestent par un usage excessif de la force et des sévices tels que des violences physiques, psychologiques et verbales et des actes de harcèlement sexuel commis par les membres des forces de sécurité israéliennes et les colons (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 59).
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154. La Cour considère que les violences commises par les colons contre les Palestiniens, le fait qu’Israël manque de prévenir ou de punir de manière effective ces violences, ainsi que l’usage excessif de la force auquel il se livre contre les Palestiniens contribuent à créer et à maintenir un environnement coercitif à l’égard de ces derniers. Dans la présente procédure, la Cour est d’avis, au vu des éléments dont elle dispose, que le fait qu’Israël manque systématiquement de prévenir ou de punir les attaques des colons portant atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des Palestiniens, ainsi que l’usage excessif de la force auquel il se livre contre ces derniers, sont incompatibles avec les obligations visées au paragraphe 149 ci-dessus.
8. Conclusion concernant la politique israélienne de colonisation
155. À la lumière de ce qui précède, la Cour réaffirme que les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et le régime qui leur est associé ont été établis et sont maintenus en violation du droit international (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 120).
156. La Cour prend note avec une profonde inquiétude des informations indiquant que la politique de colonisation menée par Israël s’est accentuée depuis qu’elle a donné son avis consultatif sur le Mur. En particulier, le Parlement israélien a, en décembre 2022, approuvé la création, au sein du ministère de la défense, d’un poste de ministre supplémentaire investi de pouvoirs d’administration en Cisjordanie, notamment en ce qui concerne l’affectation des terres, l’aménagement du territoire et la coordination des démolitions, ce qui permettrait d’accélérer la procédure d’approbation de nouvelles colonies. En outre, les colonies israéliennes existantes ont enregistré, entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023, une croissance soutenue, la construction d’environ 24 300 nouvelles unités d’habitation ayant été mise en oeuvre ou approuvée dans ces colonies de Cisjordanie, dont 9 670 à Jérusalem-Est (Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 1er février 2024, doc. A/HRC/55/72, par. 7 et 10).
C. Question de l’annexion du Territoire palestinien occupé
157. La Cour observe que la question posée par l’Assemblée générale fait en partie référence aux conséquences juridiques découlant de l’annexion alléguée du Territoire palestinien occupé par Israël. Afin de répondre à cet aspect de la question, elle doit d’abord analyser la notion d’« annexion ». Elle examinera ensuite les politiques et pratiques d’Israël en vue de déterminer si celles-ci constituent une annexion. Enfin, elle traitera de la licéité desdites politiques et pratiques (voir le paragraphe 74 ci-dessus).
1. La notion d’annexion
158. Par le mot « annexion », la Cour entend, dans le présent contexte, le fait, pour la puissance occupante, d’acquérir par la force le territoire qu’elle occupe, c’est-à-dire de l’intégrer au sien. L’annexion présuppose donc l’intention de la puissance occupante d’exercer un contrôle permanent sur le territoire occupé.
159. La Cour rappelle à cet égard que, au regard du droit de l’occupation, le contrôle du territoire occupé par la puissance occupante doit revêtir un caractère temporaire. Le droit repose donc sur le principe selon lequel la puissance occupante doit préserver le statu quo ante dans le territoire occupé. Cela est attesté, en particulier, par la portée limitée des pouvoirs que le droit de l’occupation
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confère à la puissance occupante, dont certains ont été examinés plus haut (voir les paragraphes 104-110 et 134). Quelles que soient les circonstances qui ont donné lieu à l’occupation, le seul fait de l’occupation ne peut conférer un titre de souveraineté à la puissance occupante. En conséquence, le comportement de la puissance occupante qui traduit une intention d’exercer un contrôle permanent sur le territoire occupé peut constituer un acte d’annexion.
160. La revendication par la puissance occupante du contrôle permanent du territoire occupé peut se manifester de diverses manières. À cet égard, la Cour relève qu’une distinction est parfois établie entre l’annexion « de jure » et l’annexion « de facto », ainsi que cela a été fait par certains des participants à la présente procédure. Selon cette distinction, l’annexion de jure correspond à la déclaration formelle par laquelle la puissance occupante revendique la souveraineté sur le territoire occupé, l’annexion de facto renvoyant, quant à elle, à d’autres actes ayant pour effet de créer sur le terrain un « fait accompli » et d’asseoir le contrôle permanent de la puissance occupante sur le territoire occupé. Ces deux types d’annexion, s’ils diffèrent par les moyens mis en oeuvre, répondent toutefois au même objectif consistant à imposer un contrôle permanent sur le territoire occupé.
161. Dans ce contexte, la Cour doit rechercher si, par son comportement, Israël établit son contrôle permanent sur le Territoire palestinien occupé d’une manière qui équivaudrait à une annexion.
2. Actes accomplis par Israël qui équivalent à une annexion
162. La grande majorité des participants ont estimé que les politiques et pratiques d’Israël équivalaient à une annexion pour une partie au moins du Territoire palestinien occupé. À cet égard, la plupart des participants ont fait référence à la poursuite de l’édification du mur en Cisjordanie ainsi qu’à l’établissement de colonies et d’avant-postes et à la construction d’infrastructures connexes. Certains participants ont également avancé que des déclarations faites par des représentants israéliens depuis plusieurs décennies révélaient qu’Israël avait l’intention d’exercer une souveraineté permanente sur d’importantes parties du Territoire palestinien occupé et qu’il ne considérait pas son occupation comme étant temporaire.
163. La Cour commencera par examiner les politiques et pratiques israéliennes relatives à Jérusalem-Est. Ainsi qu’elle l’a relevé plus haut, Israël y applique son droit interne depuis le début de son occupation, en 1967. En 1980, il a promulgué une législation nationale, sous la forme d’une loi fondamentale, faisant de Jérusalem-Est une partie de sa capitale (voir le paragraphe 138 ci-dessus). Une autre loi fondamentale, intitulée « Israël — L’État-nation du peuple juif » et promulguée en 2018, énonce que « Jérusalem entière et unifiée est la capitale d’Israël ». Celui-ci a affirmé que Jérusalem-Est faisait partie de son territoire, comme l’atteste la notification envoyée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le Gouvernement israélien, selon laquelle « [a]ucune partie de Jérusalem n’est un territoire occupé ; Jérusalem est la capitale souveraine de l’État d’Israël » (Nations Unies, « rapport présenté au Conseil de sécurité par le Secrétaire général conformément à la résolution 672 (1990) », 31 octobre 1990, doc. S/21919, par. 3). La loi de 1950 sur les biens des absents (voir le paragraphe 121 ci-dessus) a facilité la confiscation des « biens appartenant à des personnes absentes » et leur utilisation aux fins de l’expansion des colonies israéliennes à l’intérieur des limites historiques de la ville et au-delà. La Commission d’enquête internationale indépendante rapporte que « [p]lus d’un tiers de la superficie de Jérusalem-Est a été expropriée pour la construction de colonies israéliennes, seulement 13 % de la zone annexée étant actuellement affectée à la construction de bâtiments palestiniens » (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 14). Elle ajoute que quelque 230 000 personnes vivent dans 14 colonies établies à Jérusalem-Est (ibid., par. 15).
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164. Israël a pris des mesures visant à intégrer les infrastructures de Jérusalem-Est à celles de Jérusalem-Ouest, notamment par la construction d’un réseau de transport public unique. En parallèle, d’autres mesures entraînent la séparation de Jérusalem-Est de la Cisjordanie. La plus importante d’entre elles est la construction du mur, dont la Cour a déjà examiné les conséquences juridiques (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122). Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, la mission internationale indépendante d’établissement des faits et le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme s’accordent à dire que le mur et le régime de colonisation qui lui est associé, tels qu’ils sont mis en oeuvre à Jérusalem-Est, entraînent le détachement de celle-ci de la Cisjordanie (voir Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 11 ; Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 34 ; Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 6).
165. Selon la Cour, les mesures prises par Israël à Jérusalem-Est créent un environnement inhospitalier pour la population palestinienne. Étant donné qu’il traite Jérusalem-Est comme son propre territoire, Israël considère les Palestiniens qui y résident comme des étrangers, et leur impose de détenir un permis de résidence en cours de validité (voir les paragraphes 192-197). En outre, le droit israélien a mis en place un régime de permis de construire, dont la violation entraîne la démolition du bien au terme d’une procédure accélérée, ainsi que de lourdes amendes (voir les paragraphes 214-217 ci-dessous). En 2019, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a précisé qu’au moins un tiers de toutes les habitations palestiniennes à Jérusalem-Est avaient été construites sans permis, et que plus de 100 000 résidents couraient ainsi le risque de voir leur logement détruit et d’être transférés de force (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 20 septembre 2019, doc. A/74/357, par. 31). En 2018, Israël a en outre lancé un processus de règlement des titres fonciers à Jérusalem-Est, dans le cadre duquel les revendications concernant la propriété foncière sont examinées et définitivement enregistrées auprès du cadastre d’État israélien. Selon le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Israël mène ce processus d’enregistrement de la propriété foncière dans les zones où il étend ses colonies, ce qui accroîtrait la partie de Jérusalem-Est sous son contrôle (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 22). Toutes ces mesures poussent les Palestiniens de Jérusalem-Est à quitter la ville.
166. En ce qui concerne la politique israélienne de colonisation en Cisjordanie, la Cour fait observer que, conformément à la loi fondamentale de 2018 (voir le paragraphe 163 ci-dessus), l’État d’Israël « considère la mise en place de colonies de peuplement juives comme une valeur nationale et … prend des mesures pour encourager et faciliter leur création et leur consolidation ». Comme cela a été relevé plus haut, de vastes zones ont déjà été déclarées terres domaniales et allouées au profit des colonies israéliennes (voir le paragraphe 120). Les constructions palestiniennes sont totalement interdites dans 70 % de la zone C, et strictement limitées dans les 30 % restants ; moins de 1 % de la zone C est mise à la disposition des Palestiniens aux fins de la construction de logements et d’infrastructures (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 39 et 42). L’expansion des colonies israéliennes s’est constamment accélérée (voir le paragraphe 156 ci-dessus). Le taux de croissance de la population de
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colons en Cisjordanie semble être nettement plus élevé que celui de la population en Israël et celui de la population palestinienne en Cisjordanie (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 9 mai 2022, doc. A/HRC/50/21, par. 34).
167. La Cour observe que l’expansion continue des colonies dans la zone C accroît la présence civile et militaire d’Israël dans le territoire et repousse la population palestinienne vers d’autres zones de la Cisjordanie, ce qui, conjugué au régime des infrastructures associé aux colonies, favorise l’intégration dans le territoire israélien de vastes zones de la Cisjordanie. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour a pris note du risque que le mur, qui était alors en cours de construction et a, depuis, été prolongé, puisse préjuger la frontière future entre Israël et la Palestine, et aider Israël à intégrer les colonies (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121). La Cour est d’avis qu’il en va de même de la politique d’Israël consistant à intégrer aux siennes les infrastructures de la Cisjordanie, notamment le réseau routier qui a pour effet de relier indissociablement les colonies de Cisjordanie à Israël en une zone d’un seul tenant, et de fragmenter le reste du territoire de la Cisjordanie (voir le paragraphe 200). Ces mesures sont destinées à s’appliquer indéfiniment, comme l’atteste le fait qu’elles ne sont pas aisément réversibles.
168. À cet égard, la Cour prend acte du rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, qui, en 2022, observait ce qui suit :
« Israël considère l’occupation comme une situation permanente et … a à toutes fins utiles annexé des parties de la Cisjordanie, tout en invoquant pour se justifier le caractère temporaire de la situation, lequel n’est qu’une fiction. Israël a pris des mesures qui sont constitutives d’une annexion de facto, à savoir notamment : l’expropriation de terres et de ressources naturelles, l’établissement de colonies et d’avant-postes, l’application aux Palestiniens d’un régime d’aménagement et de construction restrictif et discriminatoire et l’application extraterritoriale de la législation israélienne aux colons israéliens en Cisjordanie » (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 76).
169. Le déplacement de la population locale hors du territoire occupé, qui favorise la politique israélienne de colonisation, facilite en outre l’intégration du territoire. Comme la Cour l’a examiné plus haut (voir les paragraphes 142-147), les politiques et pratiques d’Israël entraînent le départ de la population palestinienne de certaines parties du Territoire palestinien occupé, notamment de Jérusalem-Est et de la zone C de la Cisjordanie. Cela permet à Israël de poursuivre sa politique d’extension des colonies et d’intégrer aisément le territoire palestinien au sien. La Cour rappelle en outre que la pratique d’Israël consistant à exploiter les ressources naturelles présentes en Cisjordanie va à l’encontre du droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur lesdites ressources (voir le paragraphe 133 ci-dessus).
170. L’extension par Israël de son droit interne en Cisjordanie, notamment dans les colonies et à l’égard des colons (voir les paragraphes 134-141 ci-dessus), conjuguée au fait qu’il s’arroge des pouvoirs de réglementation plus larges en vertu du caractère prolongé de l’occupation, renforce son contrôle sur le territoire occupé. Israël a en outre pris des mesures visant à incorporer la Cisjordanie dans son propre territoire. À cet égard, la Cour prend note du fait qu’il a, en 2023, transféré certains pouvoirs, notamment en matière d’affectation des terres, d’aménagement du territoire et de coordination des démolitions, à une administration civile relevant du ministère de la défense (voir aussi le paragraphe 156 ci-dessus). Cela est conforme aux principes directeurs établis en 2022 par le
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Gouvernement israélien, annonçant l’élaboration et la promotion d’une politique d’« application de la []souveraineté » en Cisjordanie (« A coalition agreement to establish a national government » (28 décembre 2022), par. 118).
171. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, dans le rapport sur les colonies israéliennes qu’il a présenté à l’Assemblée générale en 2023, a indiqué que
« les gouvernements israéliens successifs n’[avaie]nt cessé de promouvoir et de mettre en oeuvre des politiques d’expansion des colonies et d’accaparement des terres palestiniennes.
À cet égard, le Gouvernement en place a plus que jamais aligné ses politiques sur les objectifs du mouvement des colons israéliens visant à étendre le contrôle à long terme sur la Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est et, dans la pratique, à intégrer encore davantage ces zones au territoire de l’État d’Israël. » (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 4-5.)
172. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour a traité la question de savoir si l’édification du mur dans le Territoire palestinien occupé était constitutive d’un acte d’annexion dans les termes suivants :
« Tout en notant l’assurance donnée par Israël que la construction du mur n’équivaut pas à une annexion et que le mur est de nature temporaire …, la Cour ne saurait pour autant rester indifférente à certaines craintes exprimées devant elle d’après lesquelles le tracé du mur préjugerait la frontière future entre Israël et la Palestine, et à la crainte qu’Israël pourrait intégrer les colonies de peuplement et les voies de circulation les desservant. La Cour estime que la construction du mur et le régime qui lui est associé créent sur le terrain un “fait accompli” qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto. » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121.)
En effet, les politiques, pratiques ou autres mesures de nature à placer le territoire occupé sous le contrôle permanent de la puissance occupante constituent des actes d’annexion.
173. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est d’avis que les politiques et pratiques d’Israël, notamment le maintien et l’extension des colonies, la construction d’infrastructures connexes, y compris le mur, l’exploitation des ressources naturelles, la proclamation de Jérusalem en tant que capitale d’Israël, ainsi que l’application intégrale du droit interne israélien à Jérusalem-Est et son application étendue en Cisjordanie, renforcent le contrôle d’Israël sur le Territoire palestinien occupé, et en particulier Jérusalem-Est et la zone C de la Cisjordanie. Ces politiques et pratiques sont destinées à rester en place indéfiniment et à créer sur le terrain des effets irréversibles. En conséquence, la Cour estime qu’elles équivalent à une annexion de vastes parties du Territoire palestinien occupé.
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3. L’interdiction de l’acquisition de territoire par la force
174. De nombreux participants ont avancé qu’une occupation de guerre ne saurait en aucun cas fonder l’acquisition d’un territoire ; pareille occupation ne confère à la puissance occupante aucun titre sur le territoire occupé, et n’a pas davantage pour effet de faire disparaître le titre légitime.
175. L’annexion par une puissance occupante d’un territoire occupé est illicite. Aux termes du principe consacré au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies,
« [l]es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
Dans la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », il est souligné, au sujet de ce principe, que « [n]ulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale » (résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, annexe, premier principe). Ainsi que la Cour l’a confirmé, l’interdiction de toute acquisition de territoire ainsi obtenue, en tant que corollaire de l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force, est un principe de droit international coutumier (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 171, par. 87).
176. À cet égard, la Cour observe que l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force a été mise en avant dans la résolution 242 (1967) adoptée le 22 novembre 1967 par le Conseil de sécurité (voir le paragraphe 58 ci-dessus). Celui-ci a énoncé cette interdiction dans sa résolution 252 (1968), adoptée le 21 mai 1968, dans laquelle il a en outre déclaré que « toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tend[ai]ent à modifier le statut juridique de Jérusalem [étaie]nt non valides et ne p[ouvai]ent modifier ce statut ». Le Conseil de sécurité a depuis réaffirmé ce même principe dans plusieurs résolutions ayant trait à l’annexion qu’Israël entend faire des territoires arabes et palestiniens (par exemple, résolutions 267 (1969), adoptée le 1er avril 1969, 298 (1971), adoptée le 25 septembre 1971, et 478 (1980), adoptée le 20 août 1980, du Conseil de sécurité). Plus récemment, il a, dans sa résolution 2334 (2016) adoptée le 23 décembre 2016, affirmé que
« la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a[vait] aucun fondement en droit et constitu[ait] une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable » (par. 1).
Dans cette même résolution, le Conseil de sécurité a souligné qu’« il ne reconnaîtra[it] aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie de négociations ».
177. Le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force a également été réaffirmé par l’Assemblée générale dans plusieurs résolutions adoptées au sujet de la situation dans le Territoire palestinien occupé. Ainsi, dans sa résolution 77/126 (2022), adoptée le 12 décembre
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2022, celle-ci souligne que « l’occupation d’un territoire doit être un état de fait provisoire, par lequel la Puissance occupante ne peut ni revendiquer la possession de ce territoire ni exercer sa souveraineté sur le territoire qu’elle occupe ». Elle rappelle aussi à cet égard que
« le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force et donc le caractère illégal de l’annexion de toute partie du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui constitue une violation du droit international, compromet la viabilité de la solution des deux États et remet en cause les perspectives d’un règlement pacifique, juste, durable et global » (par. 7).
178. La Cour note l’argument avancé par deux participants à la présente procédure selon lequel la formulation même de la question fait abstraction des « liens historiques profonds » d’Israël avec le territoire qu’il occupe actuellement et de ses propres prétentions légitimes sur celui-ci. Elle observe, premièrement, qu’il ne lui est pas demandé de se prononcer sur des revendications historiques concernant le Territoire palestinien occupé et, deuxièmement, qu’il ne lui a été présenté aucun élément susceptible de fonder de telles revendications. En tout état de cause, l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force implique que l’emploi de la force ne saurait être un moyen de trancher des revendications de souveraineté.
179. La Cour a conclu que les politiques et pratiques israéliennes équivalaient à l’annexion de vastes parties du Territoire palestinien occupé. Elle estime que le fait de tenter d’acquérir la souveraineté sur un territoire occupé, ainsi que cela ressort des politiques et pratiques adoptées par Israël à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, est contraire à l’interdiction de l’emploi de la force dans les relations internationales et à son corollaire, le principe de non-acquisition de territoire par la force. L’incidence de l’annexion sur le statut juridique de l’occupation et, partant, sur la licéité du maintien de la présence continue d’Israël sera examinée ci-après (voir les paragraphes 252-254).
D. Question des lois et mesures discriminatoires
1. Portée de la question a)
180. Un autre aspect de la question a) posée par l’Assemblée générale porte sur les conséquences juridiques de « l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ». Ainsi que cela a été relevé plus haut (voir le paragraphe 74), la Cour doit déterminer elle-même si les lois et mesures auxquelles il est fait référence dans la question de l’Assemblée générale sont discriminatoires. Les termes dans lesquels cet aspect de la question a été formulé, lus dans leur contexte, ne portent pas à croire que l’Assemblée générale sollicite le point de vue de la Cour sur toutes les violations des droits de l’homme qui seraient commises dans le Territoire palestinien occupé. En réalité, la demande de l’Assemblée générale a une portée limitée, et ce, à quatre égards.
181. Premièrement, la question ne concerne les lois et mesures adoptées par Israël que pour autant qu’elles se rapportent aux politiques et pratiques examinées plus haut. Aux termes de la question a), la Cour limitera donc son analyse aux lois et mesures qui sont étroitement liées auxdites politiques et pratiques.
182. Deuxièmement, la question ne concerne les lois et mesures adoptées par Israël que dans la mesure où elles s’appliquent au Territoire palestinien occupé. La Cour n’est donc pas appelée à se prononcer sur la question de savoir si les lois et mesures appliquées par Israël en dehors du Territoire palestinien occupé, et notamment sur son propre territoire, sont discriminatoires.
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183. Troisièmement, la question porte exclusivement sur le caractère potentiellement discriminatoire des lois et mesures adoptées par Israël. Ainsi, la tâche de la Cour consiste à examiner si des lois et mesures adoptées par Israël dans le cadre des politiques et pratiques visées ci-dessus donnent lieu à une discrimination. La Cour exposera plus bas le sens qu’elle donne à la notion de discrimination aux fins du présent avis consultatif (voir les paragraphes 185-191).
184. Quatrièmement, ainsi que cela est relevé plus haut, la question ne revient pas à demander à la Cour d’examiner dans le détail chacune des lois et mesures adoptées par Israël, ni de se prononcer sur la question de savoir si l’application qui en a été faite dans les cas particuliers depuis le début de l’occupation en 1967 revêt un caractère discriminatoire (voir le paragraphe 77). La Cour considère que la tâche qui lui incombe, conformément à la question qui lui a été posée, est d’examiner si Israël a adopté ou pris des lois ou des mesures discriminatoires de nature systémique.
2. Notion de discrimination
185. La Cour observe que l’interdiction de la discrimination dans la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales fait partie des buts de l’Organisation des Nations Unies. Aux termes du paragraphe 3 de l’article 1 de la Charte des Nations Unies, l’un de ces buts consiste à « [r]éaliser la coopération internationale … en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». La déclaration universelle des droits de l’homme prévoit également que
« [c]hacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté. » (Article 2.)
186. Certaines formes de discrimination sont prohibées au titre du droit international humanitaire. Ainsi, le troisième alinéa de l’article 27 de la quatrième convention de Genève dispose comme suit :
« Compte tenu des dispositions relatives à l’état de santé, à l’âge et au sexe, les personnes protégées seront toutes traitées par la Partie au conflit au pouvoir de laquelle elles se trouvent, avec les mêmes égards, sans aucune distinction défavorable, notamment de race, de religion ou d’opinions politiques. »
187. Plusieurs instruments relatifs aux droits de l’homme applicables en la présente espèce interdisent la discrimination.
Au paragraphe 1 de son article 2, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit ce qui suit :
« Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
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L’article 26 de ce même instrument dispose que
« [t]outes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
L’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques autorise les États parties, sous diverses conditions, à prendre des mesures dérogeant à certaines des obligations qui leur incombent en application de cet instrument. Il précise toutefois que les mesures en question ne doivent pas entraîner une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale.
Le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, se lit, pour sa part, comme suit :
« Les États parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
188. Au paragraphe 1 de son article premier, la CIEDR fournit une définition de la discrimination fondée sur des motifs particuliers :
« Dans la présente Convention, l’expression “discrimination racialeˮ vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »
189. Les dispositions citées ci-dessus donnent effet au principe d’interdiction de la discrimination, qui fait aujourd’hui partie du droit international coutumier.
190. Toutes ces dispositions ont en commun la notion de traitement différencié entre les personnes selon qu’elles appartiennent à tel ou tel groupe. La Cour observe, à cet égard, que l’existence du peuple palestinien ne saurait plus faire débat. Ainsi, de son point de vue, le traitement différencié réservé aux Palestiniens peut donner lieu à une discrimination. La Cour garde à l’esprit que tous les membres du groupe des Palestiniens pourraient ne pas subir de la même manière le traitement différencié, et que certains d’entre eux pourraient y être soumis sur le fondement de motifs multiples.
191. La Cour déterminera tout d’abord si les lois et les mesures adoptées par Israël établissent des distinctions fondées, notamment, sur la race, la religion ou l’appartenance ethnique entre les Palestiniens et les membres d’autres groupes en ce qui concerne leur jouissance des droits de l’homme, au sens des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article premier de la CIEDR. Toutes les différences de traitement ne sont
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toutefois pas constitutives de discrimination. En conséquence, la Cour, lorsqu’elle reconnaît l’existence d’un traitement différencié, doit, dans un second temps, rechercher si cette différence de traitement est néanmoins justifiée, c’est-à-dire si elle est raisonnable et objective, et répond à un objectif légitime d’intérêt public.
3. Politique relative aux permis de résidence
192. La Cour examinera tout d’abord les effets de la politique d’Israël relative aux permis de résidence à Jérusalem-Est sur les Palestiniens du Territoire palestinien occupé.
193. La Cour rappelle qu’Israël traite Jérusalem-Est comme son propre territoire et qu’il y applique son droit interne (voir le paragraphe 138 ci-dessus). En vertu dudit droit interne, un droit de résidence à Jérusalem-Est est accordé sans restriction aux citoyens israéliens et aux juifs non israéliens (loi relative au retour, 5710-1950, art. 1-3 ; loi sur l’entrée en Israël, 5712-1952, art. 1). Le droit interne israélien considère en revanche tous les autres résidents de Jérusalem-Est, y compris les Palestiniens qui ne sont pas citoyens israéliens, comme des étrangers vivant sur le territoire d’Israël, et ne les autorise à résider à Jérusalem-Est que s’ils disposent d’un permis de résidence en cours de validité. Depuis 1995, les Palestiniens doivent, pour pouvoir conserver leur permis de résidence, prouver que leur « lieu de vie principal » est demeuré à Jérusalem-Est pendant les sept dernières années. Des modifications apportées à la législation depuis 2008 ont conféré au ministre de l’intérieur un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de révoquer les permis de résidence, les révocations des permis accordés à des Palestiniens pouvant avoir de multiples motifs, et notamment un « manquement à l’obligation de loyauté » due à Israël (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 2 octobre 2023, doc. A/78/502, par. 59). Selon le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, plus de 14 500 Palestiniens de Jérusalem-Est ont été déchus de leur statut de résident depuis 1967 (Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem Est, et le Golan syrien occupé, 6 mars 2018, doc. A/HRC/37/43, par. 55 ; ou encore, Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 8 juin 2022, doc. A/77/90-E/2022/66, par. 44).
194. La Cour considère que, au moins dans la mesure où elle s’applique à Jérusalem-Est, la politique d’Israël relative aux permis de résidence entraîne un traitement différencié des Palestiniens en ce qui concerne leur droit de vivre à Jérusalem-Est, tel que garanti par l’alinéa i) de la litt. d) de l’article 5 de la CIEDR et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle observe que le Comité de la CIEDR et le Comité des droits de l’homme ont estimé que la politique d’Israël en matière de permis de résidence était contraire aux obligations que la CIEDR et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques imposent respectivement à celui-ci (Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, « observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques », 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 15 ; Nations Unies, Comité des droits de l’homme, « observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël », 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 18).
195. La Cour note en outre que, au regard de la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël, il est, en principe, interdit aux habitants de Cisjordanie qui ne sont pas des colons de résider à
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Jérusalem-Est, les permis de résidence ne leur étant octroyés que dans des conditions très limitées et toujours à la discrétion du ministre de l’intérieur. Cette politique a un effet préjudiciable sur le regroupement des familles dont un membre est résident permanent de Jérusalem-Est et l’autre, résident de Cisjordanie sans être un colon. Ces familles doivent choisir entre vivre séparément, vivre ensemble hors de Jérusalem-Est, auquel cas l’un des conjoints risque de perdre sa citoyenneté israélienne ou son statut de résident permanent, et vivre ensemble à Jérusalem-Est, auquel cas l’autre conjoint doit demander un permis annuel (Nations Unies, Comité des droits de l’homme, « observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël », 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 44 ; Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, « observations finales concernant le sixième rapport périodique d’Israël », 17 novembre 2017, doc. CEDAW/C/ISR/CO/6, par. 40 b)). Les restrictions imposées par le choix entre ces options ne s’appliquent pas aux colons. La Cour observe en outre qu’un effet préjudiciable de la politique d’Israël est subi avec une acuité particulière par les femmes palestiniennes, dont le statut de résident dépend en général de leur conjoint (Nations Unies, Comité des droits de l’homme, « observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël », 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 44 ; Nations Unies, rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, 11 février 2021, doc. A/HRC/46/63, par. 45). La Cour est en conséquence d’avis que la politique d’Israël relative aux permis de résidence soumet les Palestiniens à un traitement différencié en ce qui concerne leur droit à une vie de famille, tel que garanti par l’article 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
196. Du point de vue de la Cour, le traitement différencié imposé par la politique d’Israël relative aux permis de résidence à Jérusalem-Est n’est pas justifié car il ne répond pas à un objectif légitime d’intérêt public. En particulier, le système de permis est mis en oeuvre en conséquence et aux fins de l’annexion par Israël de Jérusalem-Est, dont la Cour a déjà constaté le caractère illicite (voir le paragraphe 179 ci-dessus). La Cour estime ainsi qu’un traitement différencié ne saurait en aucun cas être justifié par la volonté de soutenir la politique de colonisation ou la politique d’annexion menées par Israël.
197. À la lumière de ce qui précède, la Cour est d’avis que la politique d’Israël relative aux permis de résidence constitue une discrimination prohibée au regard des articles 2, paragraphe 2, 23 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des articles 2, paragraphe 2, et 10, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
4. Restrictions à la liberté de circulation
198. La Cour en vient maintenant aux restrictions imposées par Israël à la liberté de circulation des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé.
199. Ainsi que la Cour l’a noté ci-dessus, la quasi-totalité des terres de la zone C ont été affectées aux colonies ou désignées comme zones militaires d’accès réglementé et réserves naturelles (voir le paragraphe 120). Si ces zones sont ouvertes à tous les colons et tous les titulaires d’une autorisation d’entrée en Israël, y compris les juifs non israéliens, les Palestiniens du Territoire palestinien occupé doivent en revanche disposer d’un permis spécial pour y accéder.
200. Israël a en outre construit des infrastructures dans la zone C, notamment un large réseau routier reliant les colonies de peuplement entre elles et au territoire israélien (voir le paragraphe 117).
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Ces routes, bien qu’elles s’étendent dans l’ensemble de la zone C et passent souvent à proximité de villages palestiniens, ne sont, pour la plupart, accessibles aux Palestiniens que dans des conditions difficiles ou limitées, lorsqu’elles ne leur sont pas tout simplement interdites. Selon la CNUCED, les déplacements des Palestiniens sont soumis à des restrictions sur 29 routes et tronçons de route de l’ensemble de la Cisjordanie, représentant quelque 58 kilomètres au total, y compris un grand nombre des principales artères de circulation (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 30 juin 2023, doc. A/78/127-E/2023/95, par. 58). La mission internationale indépendante d’établissement des faits a relevé que
« [c]es restrictions se présent[ai]ent sous plusieurs formes, notamment celles de routes réservées aux colons, d’un régime de postes de contrôle et de points de passage (points de bouclage), d’entraves créées par le mur et par son régime de portes et de permis, ainsi que celle de restrictions administratives » (Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 72).
Ainsi que l’a indiqué le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies (OCHA), au début de l’année 2023, il existait en Cisjordanie 565 obstacles à la circulation, dont 49 postes de contrôle gardés en permanence et plus de 300 barrages routiers (OCHA, « Fact sheet: Movement and access in the West Bank » (août 2023)). Lorsqu’ils sont autorisés à accéder, sous réserve des restrictions, au réseau routier, les Palestiniens doivent obtenir des permis individuels de déplacement qui ne sont pas nécessaires pour les colons. Selon les éléments dont dispose la Cour, les procédures d’obtention de permis accessibles au public ne sont pas toutes traduites en arabe, la langue de la plupart des demandeurs (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 20 janvier 2016, doc. A/HRC/31/44, par. 15).
201. Une importante restriction aux déplacements des Palestiniens en Cisjordanie est celle que constitue le mur qui y est construit depuis 2002 (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 168, par. 80). Les déplacements des Palestiniens vivant dans des zones situées entre les tronçons de mur construits et la Ligne verte dépendent de l’obtention de permis ou d’autorisations spéciales délivrés par les autorités israéliennes (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 4 octobre 2013, doc. A/68/502, par. 22-23).
202. Gardant à l’esprit la portée de l’analyse à laquelle elle doit procéder (voir le paragraphe 81 ci-dessus), la Cour note que la circulation entre la bande de Gaza (voir le paragraphe 87 ci-dessus), la Cisjordanie et Jérusalem-Est est soumise à des restrictions sévères (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 30 juin 2023, doc. A/78/127-E/2023/95, par. 55).
203. Les restrictions à la liberté de circulation entravent en outre l’accès des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza aux lieux de culte situés à Jérusalem-Est. Les éléments de preuve
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dont dispose la Cour indiquent que des restrictions telles que postes de contrôle et fermetures de zones pendant les jours saints empêchent les Palestiniens de participer aux rituels sacrés (Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 60). En outre, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné que le fait d’entraver l’accès aux lieux de culte, en particulier à Jérusalem-Est, compromettait la jouissance, dans des conditions d’égalité, de la liberté de culte (Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël », 12 novembre 2019, doc. E/C.12/ISR/CO/4, par. 70).
204. Des rapports de l’Organisation des Nations Unies indiquent en outre que les forces de sécurité d’Israël se livrent à des destructions des routes et autres infrastructures utilisées par les Palestiniens en Cisjordanie (par exemple, Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et l’obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, 4 mars 2024, doc. A/HRC/55/28, par. 55). Ces activités aggravent encore la différence de traitement imposée aux Palestiniens en ce qui concerne leur liberté de circulation. Le Comité des droits de l’homme s’est également dit préoccupé par le traitement différencié, en matière de liberté de circulation, que subissaient les Palestiniens en conséquence des restrictions imposées par Israël (Nations Unies, Comité des droits de l’homme, « observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël », 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 36).
205. Au vu des éléments de preuve dont elle dispose, la Cour considère que, par sa pratique des restrictions à la liberté de circulation, Israël opère une différenciation dans le traitement qu’il réserve aux Palestiniens s’agissant de leur liberté de circulation. Pour ce qui est du fondement éventuel de cette différence de traitement, elle a pris note des préoccupations d’Israël en matière de sécurité, telles qu’avancées par certains participants à l’instance, qui pourraient justifier l’imposition de restrictions à la liberté de circulation. Dans la mesure où de telles préoccupations ont trait à la sécurité des colons et des colonies, la Cour est d’avis que la protection des colons et des colonies, dont la présence dans le Territoire palestinien occupé est contraire au droit international, ne peut être invoquée comme un motif susceptible de justifier des mesures qui traitent les Palestiniens différemment. Elle considère en outre que les mesures israéliennes imposant des restrictions à l’ensemble des Palestiniens sur le seul fondement de leur identité palestinienne ne sont proportionnées à aucun objectif légitime d’intérêt public et ne sauraient être justifiées par des considérations de sécurité.
206. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour a observé que
« la construction du mur et le régime qui lui [étai]t associé entrav[ai]ent la liberté de circulation des habitants du territoire palestinien occupé (à l’exception des ressortissants israéliens et assimilés) telle que garantie par le paragraphe 1 de l’article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils entravent également l’exercice par les intéressés des droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant tels que proclamés par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 191-192, par. 134).
Selon la Cour, l’ensemble du régime de restrictions imposé à la liberté de circulation des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé a un effet discriminatoire sur leur jouissance de ces droits, ainsi
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que du droit à être protégés contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans sa famille, tel que garanti par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les politiques d’Israël restreignant la liberté de mouvement constituent une discrimination prohibée en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 2, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article 2 de la CIEDR.
5. Démolition de biens
207. La Cour en vient à la pratique d’Israël consistant à détruire des biens palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, qui a rassemblé des données sur la pratique des démolitions de biens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis 2009, près de 11 000 structures palestiniennes ont déjà été détruites. Les biens démolis comptaient plus de 4 500 habitations et structures de subsistance, plus de 3 000 structures agricoles et près de 1 000 structures offrant des services d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène (OCHA, « Data on demolition and displacement in the West Bank »). La pratique de démolition d’habitations à laquelle se livre Israël se manifeste essentiellement sous deux formes : la démolition de biens à titre de sanction pénale et la démolition de biens pour défaut de permis de construire. La Cour examinera ci-après chacune de ces deux pratiques.
a) Démolitions punitives
208. Le droit applicable israélien confère au commandant des forces israéliennes de défense le pouvoir d’ordonner la destruction de biens immobiliers liés aux auteurs de différentes infractions considérées comme étant de nature terroriste. Sont principalement visées les habitations dans lesquelles les intéressés vivent ou ont vécu, et celles des membres de leur famille. Israël aurait ainsi détruit, depuis le début de l’occupation, plus de 2 000 habitations palestiniennes à titre de sanction pour des infractions pénales (Nations Unies, « examen de la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur le recours aux peines collectives », doc. A/HRC/44/60 (22 décembre 2020), par. 38).
209. La Cour note que, selon les tribunaux israéliens, les démolitions punitives trouvent leur fondement en droit dans le paragraphe 1 du règlement 119 relatif à la défense de la Palestine (état d’urgence) adopté sous le mandat britannique (The Defence (Emergency) Regulations, 1945, The Palestine Gazette, No. 1442 — Supplement No. 2, p. 1089 (27 septembre 1945) ; voir aussi Cour suprême d’Israël (siégeant en tant que Haute Cour de justice), Sakhwil et al. v. Commander of the Judea and Samaria region, HCJ 434/79, Israel Yearbook on Human Rights, vol. 10, p. 346). Si l’on peut contester le fait que ledit règlement ait conservé la même validité depuis 1948, la Cour n’est toutefois pas appelée à trancher cette question. Elle est uniquement tenue d’examiner si l’application de ce règlement par Israël, en tant que puissance occupante, donne lieu à une discrimination à l’égard des Palestiniens.
210. La Cour observe, sur ce point, que, si plusieurs milliers d’habitations palestiniennes ont été démolies (voir le paragraphe 208 ci-dessus), la mesure de destruction punitive semble en revanche n’avoir jamais été utilisée contre des biens liés à des civils israéliens ayant commis des infractions similaires (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 2 octobre 2023, doc. A/78/502, par. 27). À cet égard, l’application par Israël de la mesure de démolition punitive constitue un traitement différencié réservé aux Palestiniens du
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Territoire palestinien occupé, pour ce qui est de la jouissance de leur droit à être protégés contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans leur vie privée, leur famille et leur domicile, tel que garanti par le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
211. La Cour doit déterminer si pareil traitement différencié est néanmoins justifié. À cet égard, elle rappelle que, aux termes de l’article 53 de la quatrième convention de Genève, il est « interdit » de détruire des biens mobiliers ou immobiliers « sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires ». Le même principe est énoncé à l’alinéa g) de l’article 23 du règlement de La Haye, qui interdit les destructions de biens, à moins qu’elles ne soient « impérieusement commandées par les nécessités de la guerre ». Les opérations militaires envisagées dans ces dispositions sont susceptibles de se produire dans le contexte d’hostilités actives. En la présente espèce, en revanche, la Cour n’est pas convaincue que la démolition punitive de biens soit rendue absolument nécessaire par des opérations militaires ou autrement justifiée.
212. De plus, les biens faisant l’objet des démolitions, s’ils sont, dans une certaine mesure, liés à l’auteur de l’infraction en question, sont cependant souvent utilisés ou détenus par un large groupe de personnes, notamment les membres de la famille de l’intéressé ou des proches. À cet égard, la Cour observe que le premier alinéa de l’article 33 de la quatrième convention de Genève dispose qu’« [a]ucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu’elle n’a pas commise personnellement. Les peines collectives, de même que toute mesure d’intimidation ou de terrorisme, sont interdites. » Cette disposition repose sur le principe général de la responsabilité pénale individuelle, qui interdit d’attribuer à une personne la responsabilité des actes commis par une autre. La Cour est d’avis que les démolitions punitives de bâtiments reviennent à punir d’autres personnes qui y vivent ou les utilisent pour des actes qu’elles n’ont pas commis, et sont donc contraires à l’article 33 de la quatrième convention de Genève. Elle rappelle en outre que la puissance occupante est autorisée à abroger ou à suspendre la législation pénale en vigueur dans le territoire occupé, dans la mesure où celle-ci constitue, notamment, « un obstacle à l’application de [cette] Convention » (deuxième alinéa de l’article 64 de la quatrième convention de Genève). Cette disposition implique que, même s’il demeure en vigueur au regard du droit interne, le règlement 119 relatif à la défense de la Palestine (état d’urgence) ne saurait être invoqué par Israël pour justifier des actes contraires aux obligations internationales lui incombant au regard de la quatrième convention de Genève, et en particulier celle de s’abstenir d’imposer des peines collectives.
213. La pratique par Israël des démolitions punitives de biens palestiniens est contraire aux obligations qui incombent à celui-ci au regard du droit international humanitaire, et ne répond donc pas à un objectif légitime d’intérêt public. La Cour est d’avis que, dans la mesure où elle réserve aux Palestiniens un traitement différencié injustifié, cette pratique constitue une discrimination prohibée en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 2, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article 2 de la CIEDR.
b) Démolitions pour défaut de permis de construire
214. Une forme distincte de destruction de biens est opérée en application du système d’aménagement du territoire d’Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Ainsi que la Cour l’a indiqué ci-dessus, Israël a affecté la quasi-totalité de la zone C (qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie) à des colonies de peuplement israéliennes, à des zones militaires d’accès réglementé et à des réserves naturelles (voir le paragraphe 120). Moins de 1 % des terrains de la zone C et 13 % de ceux de Jérusalem-Est sont réservés à la construction d’infrastructures destinées aux Palestiniens
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(Nations Unies, CNUCED, « rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé », 20 septembre 2021, doc. TD/B/EX(71)/2, par. 33 ; voir aussi le paragraphe 163 ci-dessus).
215. Dans un rapport de 2013, la mission internationale indépendante d’établissement des faits indiquait en outre que les Palestiniens étaient exclus des comités d’urbanisme chargés de la délivrance et de l’application des permis de construire, et que 94 % des demandes de permis soumises par des Palestiniens au cours des vingt dernières années avaient été refusées (Nations Unies, « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 7 février 2013, doc. A/HRC/22/63, par. 70). Selon les informations disponibles, un pourcentage encore plus bas des demandes de permis présentées par des Palestiniens est aujourd’hui approuvé (Nations Unies, « rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 42 ; voir aussi Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 3 octobre 2022, doc. A/77/493, par. 18). En juillet 2023, le responsable des infrastructures de l’administration civile israélienne a confirmé que plus de 90 % des demandes de permis émanant de Palestiniens étaient rejetées, tandis que 60 à 70 % des demandes présentées par des Israéliens étaient examinées et approuvées (Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 1er février 2024, doc. A/HRC/55/72, par. 35).
216. La procédure d’obtention d’un permis de construire étant longue, compliquée et onéreuse, et les demandes rarement approuvées, de nombreux Palestiniens construisent des structures sans permis. Ces constructions sont menacées de démolition, et leurs résidents exposés à un risque d’expulsion et de déplacement ; comme la Cour l’a relevé plus haut, plus d’un tiers des logements palestiniens, abritant plus de 100 000 personnes, avaient été construits sans permis en 2019 (voir le paragraphe 165). Les lourdes sanctions qui sont imposées en cas d’absence de permis de construire ont conduit de nombreux Palestiniens à démolir eux-mêmes leurs logements (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 1er octobre 2020, doc. A/75/376, par. 48).
217. Un ensemble de modifications apportées au cadre juridique applicable en matière de zonage et d’aménagement, notamment la promulgation, en 2019, de l’ordonnance militaire no 1797 et la modification, en 2020, de l’ordonnance militaire no 1252, permettent désormais aux autorités israéliennes de faire démolir des structures dans un délai de 96 heures suivant la notification correspondante ; les recours contre les démolitions ont par ailleurs été limités (Nations Unies, rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 février 2021, doc. A/HRC/46/65, par. 32). Le nombre de démolitions a, en conséquence, augmenté de manière constante. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a constaté que plus de 7 000 structures appartenant à des Palestiniens avaient été détruites entre 2012 et 2022, essentiellement dans la zone C et à Jérusalem-Est. Parmi ces structures, plus de 1 600 fournissaient l’aide humanitaire, plus de 600 abritaient des installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène et plus de vingt étaient des écoles accueillant quelque 1 300 enfants au total (Nations Unies, rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 25-26).
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218. Les constructions de colons dénuées de permis en Cisjordanie sont, quant à elles, nettement moins touchées par la pratique des démolitions. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies indique que, pendant la période 2019-2020, les ordres de démolition de structures palestiniennes ont été cinq fois plus nombreux que ceux visant des structures israéliennes. Compte tenu du nombre important de constructions dénuées de permis dans les colonies et les avant-postes, le Secrétaire général a considéré que cela indiquait une discrimination à l’encontre des Palestiniens (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 33). À cet égard, la Cour rappelle que, au lieu d’être détruites, les habitations de colons construites sans permis dans le Territoire palestinien occupé bénéficient dans de nombreux cas d’une régularisation rétroactive (voir le paragraphe 112 ci-dessus).
219. La Cour note que le traitement différencié des Palestiniens qui découle des politiques et pratiques d’aménagement israéliennes a été mis en évidence par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et différents organes de contrôle de l’application de traités, notamment le Comité des droits de l’homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité de la CIEDR (Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 octobre 2023, doc. A/78/554, par. 19 ; Nations Unies, Comité des droits de l’homme, « observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël », 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 42 ; Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël », 12 novembre 2019, doc. E/C.12/ISR/CO/4, par. 50 ; Nations Unies, Comité de la CIEDR, « observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques », 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 42). Le Comité des droits de l’homme a, par exemple, exprimé
« sa profonde préoccupation quant au fait que la pratique systématique de démolitions et d’expulsions, fondée sur des politiques discriminatoires, a conduit à la séparation des communautés juives et palestiniennes dans le Territoire palestinien occupé, qui est constitutive de ségrégation raciale » (Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 42).
220. À la lumière des éléments de preuve dont elle dispose, la Cour estime que la politique d’aménagement du territoire d’Israël, s’agissant de la délivrance des permis de construire, et sa pratique consistant à démolir les structures construites sans permis, constitue un traitement différencié réservé aux Palestiniens en ce qui concerne la jouissance de leur droit à être protégés contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans leur vie privée, leur famille et leur domicile, tel que garanti par le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
221. De l’avis de la Cour, cette pratique ne saurait être justifiée sur le fondement de critères objectifs et raisonnables ou d’un objectif légitime d’intérêt public. En particulier, rien dans les éléments dont dispose la Cour n’indique que les refus de permis de construire opposés aux Palestiniens ou les démolitions de structures pour défaut de tels permis, qui sont pratiqués à une aussi vaste échelle, répondraient à un objectif légitime. Cette conclusion est par ailleurs corroborée par le fait que, dans la mesure où il octroie des permis de construire au profit des colons et des colonies, Israël agit en violation du droit international (voir les paragraphes 119 et 155 ci-dessus).
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222. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la politique d’aménagement d’Israël pour ce qui est de la délivrance des permis de construire et en particulier de sa pratique de démolition des biens construits sans permis, qui réserve aux Palestiniens, par rapport aux colons, un traitement différencié injustifié, constitue une discrimination prohibée en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 2, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article 2 de la CIEDR.
6. Conclusion concernant les lois et mesures discriminatoires adoptées par Israël
223. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour conclut qu’un large éventail de lois et de mesures adoptées par Israël en sa qualité de puissance occupante réservent aux Palestiniens un traitement différencié fondé sur des motifs précisés par le droit international. Ainsi qu’elle l’a relevé, cette différence de traitement ne peut être justifiée sur le fondement de critères objectifs et raisonnables, ni d’un objectif légitime d’intérêt public (voir les paragraphes 196, 205, 213 et 222). En conséquence, la Cour est d’avis que le régime de restrictions générales qu’Israël impose aux Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé est constitutif de discrimination systémique fondée, notamment, sur la race, la religion ou l’origine ethnique en violation des articles 2, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et de l’article 2 de la CIEDR.
224. Plusieurs participants ont avancé que les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé étaient constitutives de ségrégation ou d’apartheid, en violation de l’article 3 de la CIEDR.
225. L’article 3 de la CIEDR énonce ce qui suit : « Les États parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature. » Cette disposition renvoie à deux formes particulièrement graves de discrimination raciale, la ségrégation raciale et l’apartheid.
226. La Cour observe que les politiques et pratiques appliquées par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est opèrent une séparation entre la population palestinienne et les colons qu’il transfère vers le territoire.
227. Cette séparation est avant tout physique : la politique de colonisation d’Israël favorise la fragmentation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, et l’encerclement des communautés palestiniennes, ainsi reléguées dans des enclaves. Les politiques et pratiques discriminatoires telles que l’imposition d’un système de permis de résidence et l’utilisation de réseaux routiers distincts, que la Cour a examinées ci-dessus, ont pour effet de maintenir les communautés palestiniennes physiquement isolées les unes des autres et séparées des communautés de colons (voir, par exemple, les paragraphes 200 et 219).
228. La séparation entre communautés de colons et communautés palestiniennes est également juridique. Israël ayant partiellement étendu l’application de sa législation interne à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les colons et les Palestiniens sont soumis à des systèmes juridiques distincts dans le Territoire palestinien occupé (voir les paragraphes 135-137 ci-dessus). La législation israélienne, dans la mesure où elle s’applique aux Palestiniens, leur impose des restrictions telles que l’obligation d’obtenir un permis pour pouvoir résider à Jérusalem-Est, auxquelles les colons ne sont pas soumis. En outre, les lois et mesures qu’Israël applique depuis plusieurs décennies réservent aux Palestiniens un traitement différent de celui des colons dans de nombreux domaines de la vie individuelle et de la vie sociale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est (voir les paragraphes 192-222 ci-dessus).
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229. La Cour observe que les lois et mesures d’Israël imposent et permettent de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes. Elle considère, pour cette raison, que les lois et mesures d’Israël emportent violation de l’article 3 de la CIEDR.
E. Question de l’autodétermination
230. La Cour a estimé que la politique de colonisation d’Israël ainsi que ses actes d’annexion et ses lois et mesures discriminatoires connexes violaient le droit international. Elle en vient à présent à l’aspect de la question a) portant sur les effets des politiques et pratiques d’Israël sur l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. La Cour a déjà reconnu l’existence de ce droit (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 183, par. 118). Elle en déterminera à présent la portée, avant d’examiner les effets éventuels qu’ont sur l’exercice de ce droit les politiques et pratiques d’Israël.
231. La Charte des Nations Unies cite, parmi les buts de l’Organisation, le développement entre les nations de relations amicales « fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte). Le droit de tous les peuples à l’autodétermination a été reconnu par l’Assemblée générale comme l’un des « principes fondamentaux du droit international » (annexe à la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970). Son importance a été soulignée dans de nombreuses résolutions, en particulier la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, qui confirme que ce droit s’applique à tous les peuples et territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance (résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, par. 2).
232. La Cour a affirmé que le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes constituait l’« un des principes essentiels du droit international contemporain » (Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29). Elle a, de fait, reconnu que l’obligation de respecter ce droit était due erga omnes, et que tous les États avaient un intérêt juridique à ce qu’il soit protégé (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 155 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180).
233. La place centrale qu’occupe, en droit international, le droit à l’autodétermination est aussi reflétée par le fait qu’il est énoncé à l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui dispose, en son paragraphe 1, que « [t]ous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. » Le Comité des droits de l’homme a expliqué que l’importance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes tenait au fait que « sa réalisation [étai]t une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de l’homme ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits » (Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observation générale no 12, 13 mars 1984, documents officiels de l’Assemblée générale, trente-neuvième session, supplément no 40, doc. A/39/40, annexe VI, par. 1). Ainsi que la Cour l’a énoncé, le droit à l’autodétermination est, de fait, un droit humain fondamental (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 131, par. 144). Dans le contexte de la décolonisation, l’Assemblée générale a maintes fois souligné l’importance du droit à l’autodétermination en tant que « droit inaliénable » (par exemple, résolution 40/25 du 29 novembre 1985, par. 3 ; résolution 42/14 du 6 novembre 1987, par. 4 ; résolution 49/40 du 9 décembre 1994, par. 1). Elle a en outre affirmé que, en matière de
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décolonisation, « le principe de l’autodétermination [était] incontournable » (par exemple, résolution 57/138 (A) du 11 décembre 2002, par. 3 ; résolution 59/134 (A) du 10 décembre 2004, par. 2). La Cour considère que, en cas d’occupation étrangère comme celle dont il est question en la présente espèce, le droit à l’autodétermination constitue une norme impérative de droit international.
234. Le droit des peuples à l’autodétermination a un champ d’application étendu (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 131, par. 144). Pour répondre à la question qui lui est posée, la Cour doit déterminer si les politiques et pratiques d’Israël, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé, entravent l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
235. De nombreux participants ont soutenu que l’occupation par Israël du Territoire palestinien occupé constituait une violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Les politiques et pratiques d’Israël qui porteraient atteinte à ce droit comprennent l’expansion des colonies de peuplement et l’établissement d’infrastructures qui y sont associées dans le Territoire palestinien occupé ; la confiscation de terres et la démolition de structures palestiniennes ; les changements apportés à la composition démographique de certaines parties du Territoire palestinien occupé ; la fragmentation de celui-ci ; ainsi que l’appropriation de ressources naturelles, y compris l’exploitation des hydrocarbures et des ressources minérales et hydriques dans le Territoire palestinien occupé. D’autres participants ont exprimé des réserves, l’un d’eux ayant en particulier affirmé que le droit à l’autodétermination était relatif et qu’il ne devait pas entraîner de modification des frontières existantes. Selon lui, la Cour devrait rechercher si l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination a porté atteinte à l’intégrité territoriale, à l’inviolabilité politique ou aux besoins légitimes en matière de sécurité de l’État d’Israël.
236. Du point de vue de la Cour, les éléments ci-après revêtent une importance particulière dans la présente procédure.
237. Premièrement, la Cour rappelle que le droit à l’intégrité territoriale est reconnu, en droit international coutumier, comme un « corollaire du droit à l’autodétermination » (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 134, par. 160). Dans le contexte de la Palestine, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme ont souligné la nécessité de « respecter et de préserver l’unité, la continuité et l’intégrité de l’ensemble du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » (par exemple, résolution 77/208 du 15 décembre 2022 de l’Assemblée générale, neuvième alinéa du préambule ; résolution 49/28 du 1er avril 2022 du Conseil des droits de l’homme, par. 5). La Cour considère qu’Israël, en tant que puissance occupante, a l’obligation de ne pas entraver l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination, y compris son droit à un État indépendant et souverain, sur l’intégralité du Territoire palestinien occupé.
238. La Cour a déjà constaté que la politique de colonisation d’Israël avait fragmenté la Cisjordanie et séparé Jérusalem-Est de celle-ci (voir le paragraphe 164 ci-dessus). L’expansion des implantations en Cisjordanie, conjuguée au développement d’un réseau routier auquel les Palestiniens n’ont pas accès, ou dans des conditions très limitées, a eu pour effet d’encercler les communautés palestiniennes en les reléguant dans des enclaves en Cisjordanie (voir les paragraphes 200 et 227 ci-dessus). En outre, l’annexion par Israël de vastes portions du Territoire palestinien occupé emporte violation de l’intégrité de celui-ci, élément essentiel du droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
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239. Deuxièmement, en vertu du droit à l’autodétermination, un peuple est protégé contre les actes visant à disperser la population et à compromettre son intégrité en tant que peuple. Par le passé, la Cour a conclu que la construction du mur par Israël, qui s’ajoutait à d’autres mesures, occasionnait le départ de populations palestiniennes de certaines zones et risquait, ce faisant, de conduire à des modifications de la composition démographique du Territoire palestinien occupé ; pour cette raison, il dressait un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122). La Cour a également constaté ci-dessus que, dans son ensemble, la politique de colonisation menée par Israël, ainsi que son annexion du territoire et les lois et mesures connexes opérant une discrimination à l’égard des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé occasionnaient le départ des Palestiniens de certaines parties du Territoire palestinien occupé, en particulier la zone C et Jérusalem-Est. De plus, les lourdes restrictions à la liberté de circulation qu’Israël impose entre la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est séparent les populations palestiniennes vivant dans les différentes parties du Territoire palestinien occupé (voir les paragraphes 202 et 206 ci-dessus). De l’avis de la Cour, ces politiques et pratiques portent atteinte à l’intégrité du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, dressant un obstacle grave à l’exercice par lui de son droit à l’autodétermination.
240. Un troisième élément du droit à l’autodétermination est le droit d’exercer la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, qui est un principe de droit international coutumier (voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 251, par. 244). La Cour a déjà constaté ci-dessus qu’Israël exploitait les ressources naturelles du Territoire palestinien occupé à son propre profit et au profit des colonies, manquant ainsi à l’obligation qui lui incombe de respecter la souveraineté permanente du peuple palestinien sur lesdites ressources (voir le paragraphe 133). En privant, depuis des décennies, le peuple palestinien de la jouissance des ressources naturelles présentes dans le Territoire palestinien occupé, Israël a fait obstacle à l’exercice par celui-ci de son droit à l’autodétermination.
241. Quatrièmement, un élément clé du droit à l’autodétermination est le droit des peuples de déterminer librement leur statut politique et d’assurer librement leur développement économique, social et culturel. Ce droit est reflété dans les résolutions 1514 (XV) et 2625 (XXV), et il est consacré par l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (voir le paragraphe 233 ci-dessus). La Cour a déjà examiné les effets des politiques et pratiques d’Israël sur certains aspects de la vie économique, sociale et culturelle des Palestiniens, en particulier du point de vue des atteintes portées à leurs droits fondamentaux. La dépendance de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est, et plus particulièrement de la bande de Gaza, à l’égard d’Israël pour la fourniture des biens et services essentiels fait obstacle à la jouissance de droits de l’homme fondamentaux, en particulier le droit à l’autodétermination (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 30 juin 2023, doc. A/78/127-E/2023/95).
242. Outre le préjudice causé aux personnes, prises individuellement, les violations des droits des Palestiniens notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et la liberté de circulation ont des répercussions sur le peuple palestinien dans son ensemble, en ce qu’elles rendent impossible son développement économique, social et culturel. À cet égard, la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale a observé en 2023 que
« [l]es restrictions imposées par Israël, l’expansion des colonies de peuplement illégales et d’autres pratiques [avaie]nt pour effet non seulement d’empêcher le développement,
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mais aussi d’amplifier le morcellement du territoire palestinien. Ces politiques et ces pratiques ont été lourdes de conséquences humanitaires, économiques, sociales et politiques sur les Palestiniens et sur la mesure dans laquelle ils peuvent exercer leurs droits humains fondamentaux. Cumulées, multidimensionnelles et intergénérationnelles, leurs répercussions ont eu un effet profond sur l’économie, l’environnement et la société palestinienne, dont ils ont dégradé les conditions de vie, et qui a subi des déplacements forcés et vu reculer le développement du Territoire palestinien occupé, se renforcer la dépendance asymétrique de son économie à l’égard d’Israël et augmenter la dépendance de ses institutions à l’égard de l’aide étrangère. » (Nations Unies, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, rapport sur les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 30 juin 2023, doc. A/78/127-E/2023/95, par. 130.)
La Cour considère en conséquence que les politiques et pratiques d’Israël font obstacle au droit du peuple palestinien de déterminer librement son statut politique et d’assurer librement son développement économique, social et culturel.
243. Le caractère prolongé des politiques et pratiques illicites d’Israël aggrave la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. En conséquence des politiques et pratiques d’Israël, qui se poursuivent déjà depuis des décennies, le peuple palestinien a été privé de son droit à l’autodétermination pendant une longue période, et toute prolongation supplémentaire de ces politiques et pratiques compromet l’exercice de ce droit à l’avenir. Pour ces raisons, la Cour est d’avis que les politiques et pratiques illicites d’Israël emportent manquement à l’obligation qui lui incombe de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. La Cour examinera plus bas l’incidence de ces politiques sur le statut juridique de l’occupation et, partant, sur la licéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé (voir les paragraphes 255-257).
VI. EFFETS DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL SUR LE STATUT JURIDIQUE DE L’OCCUPATION
A. La portée de la première partie de la question b) et le droit applicable
244. La Cour en vient maintenant à la première partie de la question b) sur laquelle l’Assemblée générale a sollicité son avis, et se penchera sur la question de savoir si et, dans l’affirmative, de quelle manière les politiques et pratiques d’Israël ont une incidence sur le statut juridique de l’occupation, à la lumière des règles et principes de droit international pertinents. Elle commencera par déterminer plus précisément la portée de la première partie de la question b) que lui a posée l’Assemblée générale.
245. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans sa réponse à la question a) ci-dessus, Israël a adopté certaines politiques et pratiques qui ne sont pas conformes au régime juridique régissant l’occupation. De plus, il ressort de la réponse apportée à la question a) que les politiques et pratiques d’Israël, y compris l’expansion continue de ses colonies de peuplement, visent à établir des faits irréversibles sur le terrain, qui consolident l’annexion de parties importantes du Territoire palestinien occupé et font obstacle à l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple palestinien (voir les paragraphes 162-173 et 230-243 ci-dessus). La Cour estime que ces politiques et pratiques, et la création de faits sur le terrain, ont des effets importants sur le statut juridique de l’occupation et, partant, sur la licéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
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246. La Cour note que le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont tous deux exprimé des vues similaires au sujet des politiques et pratiques d’Israël qui visent à modifier le statut juridique, le caractère géographique et la composition démographique du Territoire palestinien occupé.
247. Ainsi, dans sa résolution 252 (1968), le Conseil de sécurité, après avoir réaffirmé le caractère inadmissible de l’acquisition de territoire par la conquête militaire, a déclaré qu’il
« [c]onsid[érait] que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tend[ai]ent à modifier le statut juridique de Jérusalem [étaie]nt non valides et ne p[ouvai]ent modifier ce statut ».
Dans sa résolution 446 (1979), le Conseil a également demandé à Israël
« de rapporter les mesures qui [avaie]nt déjà été prises et de s’abstenir de toute mesure qui modifierait le statut juridique et le caractère géographique des territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, et influerait sensiblement sur leur composition démographique, et, en particulier, de ne pas transférer des éléments de sa propre population civile dans les territoires arabes occupés ».
De plus, dans sa résolution 465 (1980), le Conseil de sécurité a considéré que
« toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et des autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci n’[avaie]nt aucune validité en droit et que la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans ces territoires constitu[ai]ent une violation flagrante de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et f[aisaie]nt en outre gravement obstacle à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen-Orient ».
248. De même, dans sa résolution 32/5 (1977), l’Assemblée générale, se référant à la grave situation dans les territoires arabes occupés, a exprimé sa profonde préoccupation et sa vive inquiétude devant, notamment, « [l]es mesures et décisions prises par le Gouvernement israélien, en tant que Puissance occupante, en vue de modifier le statut juridique, le caractère géographique et la composition démographique de ces territoires », et constaté que « toutes les mesures ou décisions de ce genre prises par Israël dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n’[avaie]nt pas de validité juridique ». Par la suite, en 2015, elle a demandé à
« Israël, Puissance occupante, de s’acquitter strictement des obligations qui lui incombent en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire, de rapporter toutes les mesures contraires au droit international et de mettre fin à toutes les activités unilatérales menées dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui visent à modifier la nature, le statut et la composition démographique du Territoire, notamment la confiscation et l’annexion de facto de terres, et à préjuger ainsi de l’issue finale des négociations de paix, dans la perspective de mettre fin le plus tôt possible à l’occupation israélienne qui remonte à 1967 » (résolution 70/15 (2015)).
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249. Plus récemment, dans la résolution dans laquelle elle a demandé à la Cour de donner le présent avis consultatif, l’Assemblée générale a exigé d’
« Israël, Puissance occupante, qu’il mette fin à toutes ses activités d’implantation, à la construction du mur et à toute autre mesure visant à modifier le caractère, le statut ou la composition démographique du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et son pourtour, qui ont toutes des conséquences graves et préjudiciables, entre autres pour les droits humains du peuple palestinien, notamment son droit à l’autodétermination, et pour la perspective de mettre fin le plus tôt possible à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 et de parvenir à un accord de paix juste, durable et global entre les parties israélienne et palestinienne » (résolution 77/247 (2022)).
250. La Cour considère donc que la première partie de la question b) que lui a posée l’Assemblée générale n’est pas de savoir si les politiques et pratiques d’Israël ont une incidence sur le statut juridique de l’occupation en tant que telle. Elle est plutôt d’avis que la première partie de la seconde question a trait à la manière dont les politiques et pratiques d’Israël influent sur le statut juridique de l’occupation et, par là même, sur la licéité de la présence continue de cet État, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé. Cette licéité doit être déterminée à l’aune des règles et principes du droit international général, dont celles de la Charte des Nations Unies.
251. La Cour considère que les règles et principes du droit international général et de la Charte des Nations Unies concernant l’emploi de la force en territoire étranger (jus ad bellum) doivent être distingués des règles et principes qui s’appliquent au comportement de la puissance occupante au regard du droit international humanitaire (jus in bello) et du droit international relatif aux droits de l’homme. Les premiers déterminent la licéité de la présence continue de la puissance occupante dans le territoire occupé, tandis que les seconds continuent de s’appliquer à celle-ci, indépendamment de la licéité ou de l’illicéité de sa présence. C’est la première catégorie de règles et de principes relatifs à l’emploi de la force, ainsi que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que la Cour considère comme étant applicables aux fins de sa réponse à la première partie de la question b) de la demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale.
B. La manière dont les politiques et pratiques israéliennes influent sur le statut juridique de l’occupation
252. La Cour a établi ci-dessus que les politiques et pratiques israéliennes, ainsi que la manière dont elles étaient mises en oeuvre et appliquées sur le terrain, avaient des effets importants sur le statut juridique de l’occupation, du fait de l’extension de la souveraineté israélienne sur certaines parties du territoire occupé, de leur annexion progressive au territoire d’Israël, de l’exercice, par ce dernier, de certaines fonctions gouvernementales et de l’application de ses lois internes dans lesdites zones, ainsi que du transfert dans celles-ci d’un nombre croissant de ses propres ressortissants et de l’entrave à l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple palestinien (voir les parties V.C et V.E ci-dessus). Par voie de conséquence, ces politiques et pratiques ont entraîné des changements dans le caractère physique, le statut juridique, la composition démographique et l’intégrité territoriale du Territoire palestinien occupé, notamment en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Lesdits changements manifestent une intention de créer une présence israélienne permanente et irréversible dans ledit territoire.
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253. La Cour observe pour commencer qu’une occupation se caractérise, de par sa nature même, par un emploi continu de la force en territoire étranger. Cet emploi de la force est cependant soumis aux règles de droit international régissant la licéité de l’emploi de la force, ou jus ad bellum. Ainsi que cela a été indiqué dans la partie V.C ci-dessus, ces règles interdisent l’emploi de la force pour acquérir un territoire. Au regard du droit international contemporain tel que contenu dans la Charte des Nations Unies et reflété dans le droit international coutumier, l’occupation ne peut, en aucun cas, être à l’origine d’un titre sur un territoire ou justifier l’acquisition de celui-ci par la puissance occupante.
254. L’affirmation par Israël de sa souveraineté sur certaines parties du Territoire palestinien occupé et l’annexion de celles-ci constituent, ainsi que cela a été exposé ci-dessus, une violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force. Cette violation a un impact direct sur la licéité de la présence continue d’Israël, en tant que puissance occupante, dans ledit territoire. La Cour estime qu’Israël n’a pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé et ne saurait y exercer des pouvoirs souverains du fait de son occupation. Les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force.
255. S’agissant du droit à l’autodétermination, la Cour rappelle que « le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » est consacré dans la Charte des Nations Unies (paragraphe 2 de l’article premier) et réaffirmé dans la résolution 2625 (XXV), selon laquelle « [t]out État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination … les peuples mentionnés » dans ladite résolution.
256. La Cour observe que les effets des politiques et pratiques d’Israël tels qu’examinés ci-dessus, et le fait qu’il exerce sa souveraineté sur certaines parties du Territoire palestinien occupé, notamment la Cisjordanie et Jérusalem-Est, constituent une entrave à l’exercice, par le peuple palestinien, de son droit à l’autodétermination (voir les paragraphes 234-243 ci-dessus). Ces effets comprennent l’annexion par Israël de certaines parties du Territoire palestinien occupé, la fragmentation de celui-ci, qui en compromet l’intégrité, les pratiques d’Israël consistant à priver le peuple palestinien de la jouissance des ressources naturelles dudit territoire et son entrave au droit de ce peuple de poursuivre librement son développement économique, social et culturel (voir les paragraphes 230-243 ci-dessus).
257. Les effets des politiques et pratiques d’Israël qui ont été décrits ci-dessus, lesquels ont notamment pour conséquence que le peuple palestinien se trouve depuis longtemps privé de son droit à l’autodétermination, constituent une violation de ce droit fondamental. Cette violation a un impact direct sur la licéité de la présence d’Israël, en tant que puissance occupante, dans le Territoire palestinien occupé. La Cour est d’avis que l’occupation ne saurait être utilisée de sorte à laisser indéfiniment la population occupée dans l’expectative et l’incertitude, en la privant de son droit à l’autodétermination tout en intégrant des parties de son territoire dans le propre territoire de la puissance occupante. Elle considère que l’existence du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu’il s’agit d’un droit inaliénable.
258. Au vu de ce qui précède, la Cour examinera à présent la question de la licéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
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C. La licéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé
259. De nombreux participants à la présence procédure ont affirmé que l’occupation par Israël était illicite parce que les politiques et pratiques de ce dernier avaient apporté des changements au territoire et à sa composition démographique ayant un caractère permanent. Selon eux, le caractère permanent des violations de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force commises par Israël rend illicite la présence continue de celui-ci dans le Territoire palestinien occupé.
260. Certains participants ont assimilé la présente procédure à celle au sujet des Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie. Ils ont fait valoir que, si la présence continue de l’Afrique du Sud avait pu être jugée illicite en raison de la violation, par cet État, des règles et principes applicables du droit international général et de la Charte des Nations Unies, alors l’occupation par Israël pouvait l’être également en raison de la violation, par celui-ci, des mêmes règles et principes.
261. La Cour considère que les violations, par Israël, de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ont un impact direct sur la licéité de la présence continue d’Israël, dans le Territoire palestinien occupé. L’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes fondamentaux du droit international et rend illicite la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
262. Cette illicéité s’applique à l’intégralité du territoire palestinien occupé par Israël en 1967. Il s’agit là de l’entité territoriale dans laquelle ce dernier a imposé des politiques et pratiques visant à entamer et à entraver la capacité du peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination, tout en étendant sa souveraineté sur de vastes zones de ladite entité en violation du droit international. Le Territoire palestinien occupé dans son intégralité est aussi le territoire à l’égard duquel le peuple palestinien devrait pouvoir exercer son droit à l’autodétermination et dont l’intégrité doit être respectée.
263. Trois participants ont soutenu que certains accords conclus entre Israël et la Palestine, dont les accords d’Oslo, reconnaissaient à Israël le droit de maintenir sa présence dans le Territoire palestinien occupé afin, notamment, de satisfaire à ses besoins et obligations en matière de sécurité. La Cour observe que ces accords n’autorisent pas Israël à annexer des parties du Territoire palestinien occupé pour satisfaire auxdits besoins. Ils ne l’autorisent pas non plus à maintenir une présence permanente dans le Territoire palestinien occupé à cette même fin.
264. La Cour souligne que la conclusion selon laquelle la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite ne libère pas cet État des obligations et responsabilités que le droit international, et plus particulièrement le droit de l’occupation, lui impose envers la population palestinienne et d’autres États en ce qui concerne l’exercice de ses pouvoirs relativement au territoire en question jusqu’à ce qu’il soit mis fin à sa présence sur celui-ci. C’est le contrôle effectif d’un territoire, quel que soit son statut juridique en droit international, qui constitue le fondement de la responsabilité de l’État à raison de ses actes ayant une incidence sur la population dudit territoire ou sur d’autres États (voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, p. 54, par. 118).
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VII. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL ET DE L’ILLICÉITÉ DE LA PRÉSENCE CONTINUE D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ
265. La Cour a conclu que les politiques et pratiques d’Israël visées dans la question a) emportaient violation du droit international. Le maintien de ces politiques et pratiques constitue un fait illicite à caractère continu qui engage la responsabilité internationale d’Israël (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 138-139, par. 177).
266. La Cour a également conclu, en réponse à la première partie de la question b), que la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé était illicite. Elle examinera donc les conséquences juridiques qui découlent des politiques et pratiques d’Israël visées dans la question a), ainsi que, aux fins de la question b), celles qui découlent de l’illicéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, pour Israël, pour les autres États et pour l’Organisation des Nations Unies.
A. Conséquences juridiques pour Israël
267. S’agissant de sa conclusion selon laquelle la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite, la Cour considère que cette présence constitue un fait illicite qui engage la responsabilité internationale de cet État. Il s’agit d’un fait illicite à caractère continu qui a été causé par les violations de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et du droit à l’autodétermination du peuple palestinien qu’Israël a commises par ses politiques et pratiques. En conséquence, ce dernier a l’obligation de mettre fin à sa présence dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais. Ainsi que la Cour l’a précisé dans son avis consultatif sur le Mur, l’obligation d’un État responsable d’un fait internationalement illicite de mettre fin à celui-ci est bien établie en droit international général, et la Cour en a plusieurs fois confirmé l’existence (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 178 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 150).
268. La Cour observe en outre que, en ce qui concerne ses politiques et pratiques visées dans la question a), qui ont été jugées illicites, Israël est dans l’obligation de mettre un terme à ces faits illicites. À cet égard, il doit immédiatement cesser toute nouvelle activité de colonisation. Israël est également tenu d’abroger toutes lois et mesures créant ou maintenant la situation illicite, y compris celles qui sont discriminatoires à l’égard du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que toutes mesures destinées à modifier la composition démographique de quelque partie de ce territoire.
269. Israël a également l’obligation de réparer intégralement les dommages causés par ses faits internationalement illicites à toutes les personnes physiques ou morales concernées (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 152). La Cour rappelle le principe essentiel selon lequel « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » (Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47). La réparation comprend la restitution, l’indemnisation ou la satisfaction.
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270. La restitution inclut l’obligation pour Israël de restituer les terres et autres biens immobiliers, ainsi que l’ensemble des avoirs confisqués à toute personne physique ou morale depuis le début de son occupation en 1967, et tous biens et bâtiments culturels pris aux Palestiniens et à leurs institutions, y compris les archives et les documents. Elle exige également que tous les colons des colonies de peuplement existantes soient évacués, que les parties du mur construit par Israël qui sont situées dans le Territoire palestinien occupé soient démantelées, et que tous les Palestiniens déplacés durant l’occupation puissent retourner dans leur lieu de résidence initial.
271. Au cas où pareille restitution se révélerait matériellement impossible, Israël serait tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables, toutes les personnes physiques ou morales et les populations de tous dommages matériels qui leur auraient été causés par les faits illicites qu’il a commis pendant l’occupation.
272. La Cour souligne que les obligations découlant des faits internationalement illicites d’Israël ne le dispensent pas de son devoir continu de s’acquitter des obligations internationales auxquelles contrevient son comportement. En particulier, Israël demeure tenu d’observer l’obligation qui lui incombe de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et les obligations auxquelles il est tenu au regard du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 149).
B. Conséquences juridiques pour les autres États
273. La Cour en vient maintenant aux conséquences juridiques pour les autres États des faits internationalement illicites d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
274. La Cour observe que les obligations qu’Israël a violées comprennent certaines obligations erga omnes. Ainsi qu’elle l’a indiqué dans l’affaire de la Barcelona Traction, ces obligations, de par leur nature même, « concernent tous les États » et, « [v]u l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés » (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Parmi les obligations erga omnes auxquelles Israël a manqué figurent celle de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et celle qui découle de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, ainsi que certaines obligations incombant à Israël au regard du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme.
275. S’agissant du droit à l’autodétermination, la Cour considère que, bien qu’il appartienne à l’Assemblée générale et au Conseil de Sécurité de se prononcer sur les modalités requises pour veiller à ce qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et à ce que le peuple palestinien exerce pleinement son droit à l’autodétermination, tous les États doivent coopérer avec l’Organisation des Nations Unies pour donner effet à ces modalités. Ainsi que cela est rappelé dans la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies,
« [t]out État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation
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des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe » (résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale).
276. S’agissant de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, la Cour relève que le Conseil de sécurité, au sujet du Territoire palestinien occupé, a plusieurs fois déclaré pareille acquisition de territoire inadmissible, et considéré
« que toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et des autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci n’ont aucune validité en droit » (résolution 465 (1980) du Conseil de sécurité).
De plus, dans sa résolution 2334 (2016), le Conseil de sécurité a réaffirmé qu’il « ne reconnaîtra[it] aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie de négociations », et demandé « à tous les États, compte tenu du paragraphe 1 de la présente résolution, de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».
277. De même, l’Assemblée générale a demandé à tous les États
« a) de ne reconnaître aucune modification du tracé des frontières d’avant 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie de négociations, notamment en veillant à ce que les accords avec Israël n’impliquent pas la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur les territoires qu’il a occupés en 1967 ;
b) de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ;
c) de ne pas prêter aide ou assistance à des activités d’implantation illégales, notamment de ne fournir à Israël aucune assistance qui serait utilisée spécifiquement pour les colonies de peuplement dans les territoires occupés, comme le prévoit la résolution 465 (1980) du Conseil de sécurité en date du 1er mars 1980 ;
d) de respecter et de faire respecter le droit international, en toutes circonstances, y compris par des mesures de responsabilisation, conformément au droit international » (résolution 74/11 (2019)).
Dans sa résolution 77/126, l’Assemblée générale a également demandé
« à tous les États, agissant conformément aux obligations que leur imposent le droit international et les résolutions sur la question, de ne pas reconnaître le maintien de la situation créée par des mesures qui sont illégales au regard du droit international, dont celles visant à faire avancer l’annexion du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et des autres territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, et de ne pas prêter aide ou assistance en la matière »,
tandis que, dans sa résolution 32/161 (1977), elle a demandé
« à tous les États et à toutes les organisations internationales, institutions spécialisées, sociétés d’investissement et autres institutions de n’accorder ni reconnaissance, ni
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concours, ni aucune aide à toutes mesures prises par Israël pour exploiter les ressources des territoires occupés ou pour modifier d’une façon quelconque la composition démographique, le caractère géographique ou la structure institutionnelle de ces territoires ».
278. Prenant note des résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, la Cour est d’avis que les États Membres de l’Organisation sont tenus de ne reconnaître aucune modification du caractère physique ou de la composition démographique, de la structure institutionnelle ou du statut du territoire occupé par Israël le 5 juin 1967, y compris Jérusalem-Est, autres que celles convenues par les parties par voie de négociations, et de faire une distinction, dans leurs échanges avec Israël, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967. La Cour considère que l’obligation de distinguer, dans les échanges avec Israël, entre le territoire propre de cet État et le Territoire palestinien occupé englobe notamment l’obligation de ne pas entretenir de relations conventionnelles avec Israël dans tous les cas où celui-ci prétendrait agir au nom du Territoire palestinien occupé ou d’une partie de ce dernier sur des questions concernant ledit territoire ; de ne pas entretenir, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire ; ils doivent s’abstenir, dans l’établissement et le maintien de missions diplomatiques en Israël, de reconnaître de quelque manière sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé ; et de prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé (voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 55-56, par. 122, 125-127).
279. De plus, la Cour considère que, compte tenu de la nature et de l’importance des droits et obligations en cause, tous les États sont tenus de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. Ils sont également tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence. Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. En outre, tous les États parties à la quatrième convention de Genève ont l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention.
C. Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies
280. Compte tenu des graves violations d’obligations erga omnes au regard du droit international qui ont été commises, le devoir de non-reconnaissance énoncé ci-dessus s’applique également aux organisations internationales, dont l’Organisation des Nations Unies. Comme indiqué ci-dessus, l’Assemblée générale a déjà, dans certaines de ses résolutions, appelé les organisations internationales et institutions spécialisées à « n’accorder ni reconnaissance, ni concours, ni aucune aide à toutes mesures prises par Israël pour exploiter les ressources des territoires occupés ou pour modifier d’une façon quelconque la composition démographique, le caractère géographique ou la structure institutionnelle de ces territoires » (résolution 32/161 (1977)). Étant donné la nature et l’importance des obligations erga omnes que met en jeu la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et l’obligation de distinguer, dans les rapports avec Israël, entre le territoire de celui-ci et le Territoire palestinien occupé s’appliquent également à l’Organisation des Nations Unies.
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281. Enfin, la Cour considère que la question des modalités précises pour qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé doit être traitée par l’Assemblée générale, qui a sollicité le présent avis consultatif, ainsi que par le Conseil de sécurité. En conséquence, c’est à ces deux organes qu’il appartient de rechercher quelles mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin à la présence illicite d’Israël, compte tenu du présent avis consultatif.
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282. La Cour estime important de souligner, comme elle l’a fait dans son avis consultatif sur le Mur,
« la nécessité urgente que l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble redouble ses efforts en vue de mettre rapidement un terme au conflit israélo-palestinien, qui continue de poser une menace à la paix et à la sécurité internationales, et d’établir ainsi une paix juste et durable dans la région » (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 161).
283. La Cour estime également que la réalisation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à un État indépendant et souverain, coexistant dans la paix avec l’État d’Israël, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues pour les deux États, comme cela est prévu dans les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, contribuerait à la stabilité régionale et à la sécurité de tous les États du Moyen-Orient.
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284. La Cour tient à souligner que sa réponse aux questions qui lui ont été posées par l’Assemblée générale repose sur l’ensemble des motifs qu’elle a exposés ci-dessus, lesquels doivent être lus à la lumière les uns des autres, en tenant compte de la manière dont la Cour a défini la portée matérielle, temporelle et territoriale des questions (paragraphes 72 à 83).
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285. Par ces motifs,
LA COUR,
1) À l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence pour donner l’avis consultatif demandé ;
2) Par quatorze voix contre une,
Décide de donner suite à la demande d’avis consultatif ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ;
3) Par onze voix contre quatre,
Est d’avis que la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite ;
POUR : M. Salam, président ; M. Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, M. Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Aurescu, juges ;
4) Par onze voix contre quatre,
Est d’avis que l’État d’Israël est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais ;
POUR : M. Salam, président ; M. Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, M. Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Aurescu, juges ;
5) Par quatorze voix contre une,
Est d’avis que l’État d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ;
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6) Par quatorze voix contre une,
Est d’avis que l’État d’Israël a l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans le Territoire palestinien occupé ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ;
7) Par douze voix contre trois,
Est d’avis que tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Tomka, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, M. Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Abraham, Aurescu, juges ;
8) Par douze voix contre trois,
Est d’avis que les organisations internationales, y compris l’Organisation des Nations Unies, sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Tomka, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, M. Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Abraham, Aurescu, juges ;
9) Par douze voix contre trois,
Est d’avis que l’Organisation des Nations Unies, et en particulier l’Assemblée générale, qui a sollicité le présent avis, et le Conseil de sécurité, doit examiner quelles modalités précises et mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin dans les plus brefs délais à la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
POUR : M. Salam, président ; MM. Tomka, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, M. Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Abraham, Aurescu, juges.
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Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le dix-neuf juillet deux mille vingt-quatre, en deux exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et l’autre sera transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Le président,
(Signé) Nawaf SALAM.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
M. SALAM, président, joint une déclaration à l’avis consultatif ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente, joint à l’avis consultatif l’exposé de son opinion dissidente ; M. TOMKA, juge, joint une déclaration à l’avis consultatif ; MM. TOMKA, ABRAHAM et AURESCU, juges, joignent à l’avis consultatif l’exposé de leur opinion commune ; M. YUSUF, juge, joint à l’avis consultatif l’exposé de son opinion individuelle ; Mme XUE, juge, joint une déclaration à l’avis consultatif ; MM. IWASAWA et NOLTE, juges, joignent à l’avis consultatif les exposés de leur opinion individuelle ; M. NOLTE et Mme CLEVELAND, juges, joignent une déclaration commune à l’avis consultatif ; Mme CHARLESWORTH et M. BRANT, juges, joignent des déclarations à l’avis consultatif ; M. GÓMEZ ROBLEDO et Mme CLEVELAND, juges, joignent à l’avis consultatif les exposés de leur opinion individuelle ; M. TLADI, juge, joint une déclaration à l’avis consultatif.
(Paraphé) N.S.
(Paraphé) Ph.G.
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Avis consultatif du 19 juillet 2024