3 JULY 2024
ORDER
APPLICATION OF THE CONVENTION ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE (THE GAMBIA v. MYANMAR)
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APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE (GAMBIE c. MYANMAR)
3 JUILLET 2024
ORDONNANCE
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-18
I. INTRODUCTION 19-26
II. CONFORMITÉ DES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION AUX EXIGENCES ÉNONCÉES À L’ARTICLE 82 DU RÈGLEMENT DE LA COUR 27-36
A. Le paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour 28-32
B. Le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour 33-35
III. QUESTION DE SAVOIR SI LES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION SORTENT DU CADRE DES INTERVENTIONS AU TITRE DE L’ARTICLE 63 DU STATUT 37-45
IV. CONCLUSION 46-48
DISPOSITIF 49
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
3 juillet
Rôle général
no 178
3 juillet 2024
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(GAMBIE c. MYANMAR)
RECEVABILITÉ DES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION
ORDONNANCE
Présents : M. SALAM, président ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente ; MM. TOMKA, YUSUF, Mme XUE, M. NOLTE, Mme CHARLESWORTH, MM. BRANT, GÓMEZ ROBLEDO, Mme CLEVELAND, MM. AURESCU, TLADI, juges ; Mme PILLAY, M. KRESS, juges ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 48 et 63 du Statut de la Cour et les articles 82, 83, 84 et 86 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
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1. Le 11 novembre 2019, la République de Gambie (ci-après la « Gambie ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la République de l’Union du Myanmar (ci-après le « Myanmar ») concernant des violations alléguées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »).
2. Dans sa requête, la Gambie entendait fonder la compétence de la Cour sur l’article IX de la convention sur le génocide, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour.
3. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires, présentée en application de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement du Myanmar la requête contenant la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour et au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par la Gambie de cette requête et de cette demande.
5. En outre, par lettre en date du 11 novembre 2019, le greffier a informé tous les États admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête et de la demande susvisées.
6. Conformément au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a informé les États Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, et tout autre État admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête en leur transmettant le texte bilingue imprimé de celle-ci.
7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. La Gambie a désigné Mme Navanethem Pillay et le Myanmar, M. Claus Kress.
8. Par ordonnance du 23 janvier 2020, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué certaines mesures conservatoires.
9. Par une autre ordonnance du 23 janvier 2020, la Cour a fixé au 23 juillet 2020 et au 25 janvier 2021, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la Gambie et du contre-mémoire du Myanmar. Par ordonnance du 18 mai 2020, à la demande de la Gambie, la Cour a reporté au 23 octobre 2020 la date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire de la Gambie et au 23 juillet 2021 la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Myanmar. La Gambie a déposé son mémoire dans le délai ainsi prorogé.
10. Par lettre en date du 24 janvier 2020, sur les instructions données par la Cour conformément au paragraphe 1 de l’article 43 de son Règlement, le greffier a adressé aux États parties à la convention sur le génocide la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre, par lettre datée du même jour, il a, conformément au paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, adressé à l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général de celle-ci, la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
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11. Par lettre conjointe en date du 11 novembre 2020, les Gouvernements du Canada et du Royaume des Pays-Bas, se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement, ont demandé que leur soient communiqués des exemplaires des pièces de procédure et documents déposés en l’affaire. Après avoir consulté les Parties conformément à la disposition susvisée et tenu compte de l’objection élevée par l’une d’elles, la Cour a décidé qu’il ne serait pas approprié d’accéder à cette demande. Par lettres en date du 27 novembre 2020, le greffier a communiqué cette décision aux Gouvernements du Canada et du Royaume des Pays-Bas ainsi qu’aux Parties.
12. Le 20 janvier 2021, dans le délai prescrit au paragraphe 1 de l’article 79bis du Règlement, le Myanmar a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. En conséquence, par ordonnance du 28 janvier 2021, la Cour, notant que, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 79bis du Règlement, la procédure sur le fond était suspendue, et tenant compte de l’instruction de procédure V, a fixé au 20 mai 2021 la date d’expiration du délai pour le dépôt par la Gambie d’un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar. La Gambie a déposé son exposé écrit le 20 avril 2021.
13. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar ont été tenues les 21, 23, 25 et 28 février 2022. Par arrêt du 22 juillet 2022, la Cour a dit qu’elle avait compétence, sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide, pour connaître de la requête introduite par la Gambie le 11 novembre 2019, et que ladite requête était recevable.
14. Par ordonnance du 22 juillet 2022, la Cour a fixé au 24 avril 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Myanmar. Par ordonnances du 6 avril 2023 et du 12 mai 2023, respectivement, la Cour, à la demande du Myanmar, a reporté cette échéance au 24 mai 2023 puis au 24 août 2023. Le contre-mémoire du Myanmar a été déposé dans le délai ainsi prorogé.
15. Par ordonnance du 16 octobre 2023, la Cour a autorisé la présentation d’une réplique par la Gambie et d’une duplique par le Myanmar, et a fixé au 16 mai 2024 et au 16 décembre 2024, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces écritures. La Gambie a dûment déposé sa réplique.
16. Le 15 novembre 2023, la République des Maldives (ci-après les « Maldives ») a déposé une déclaration d’intervention en l’espèce, sur le fondement de l’article 63 du Statut de la Cour. Le même jour, une déclaration conjointe d’intervention fondée sur la même disposition a été déposée par la République fédérale d’Allemagne, le Canada, le Royaume du Danemark, la République française, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après, respectivement, l’ « Allemagne », le « Canada » , le « Danemark », la « France », les « Pays-Bas » et le « Royaume-Uni » ; collectivement, les « États ayant présenté une déclaration conjointe »). En application du paragraphe 1 de l’article 83 du Règlement de la Cour, le greffier a immédiatement transmis une copie certifiée conforme de la déclaration des Maldives et de la déclaration conjointe à la Gambie et au Myanmar, qui ont été informés que la Cour avait fixé au 15 janvier 2024 la date d’expiration du délai pour le dépôt d’observations écrites sur ces deux déclarations. Conformément au paragraphe 2 de ce même article, le greffier a également transmis copie des déclarations au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ainsi qu’aux États admis à ester devant la Cour.
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17. Par lettres en date du 15 janvier 2024, le Myanmar et la Gambie ont l’un et l’autre déposé des observations écrites sur la déclaration d’intervention présentée par les Maldives et la déclaration conjointe présentée par l’Allemagne, le Canada, le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Le Myanmar a fait objection à la recevabilité des deux déclarations, la Gambie affirmant pour sa part qu’elles étaient recevables.
18. Par lettres en date du 24 janvier 2024, le greffier a informé les Parties, les Maldives et les États ayant présenté une déclaration conjointe que, le Myanmar ayant fait objection à la recevabilité des déclarations d’intervention, la Cour devait, conformément au paragraphe 2 de l’article 84 de son Règlement, entendre les États désireux d’intervenir ainsi que les Parties sur la recevabilité des déclarations d’intervention, et avait décidé à cet égard de procéder par voie écrite. Le greffier a en outre indiqué que la Cour avait fixé au 26 février 2024 la date d’expiration du délai dans lequel les États désireux d’intervenir pourraient fournir leurs observations écrites sur la recevabilité de leurs déclarations et au 26 mars 2024 celle du délai dans lequel les Parties pourraient communiquer leurs observations écrites en réponse.
Les Maldives ont déposé leurs observations écrites sur la recevabilité de leur déclaration d’intervention le 21 février 2024 et les États ayant présenté une déclaration conjointe ont fait de même le 26 février 2024. Les Parties ont déposé leurs observations écrites en réponse le 26 mars 2024.
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I. INTRODUCTION
19. L’article 63 du Statut de la Cour est ainsi libellé :
« 1. Lorsqu’il s’agit de l’interprétation d’une convention à laquelle ont participé d’autres États que les parties en litige, le Greffier les avertit sans délai.
2. Chacun d’eux a le droit d’intervenir au procès et, s’il exerce cette faculté, l’interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard. »
20. La Cour rappelle que l’intervention au titre de l’article 63 du Statut, qui est une procédure incidente, concerne l’exercice d’un droit par un État partie à une convention dont l’interprétation est en cause devant la Cour (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 26 ; Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande, ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 5, par. 7 ; Haya de la Torre (Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76 ; Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 12).
21. L’objet de l’intervention au titre de l’article 63 du Statut est limité à l’interprétation de la convention en cause. Dans ce contexte, la Cour n’a pas à rechercher si l’État qui désire intervenir possède « un intérêt d’ordre juridique » qui est « pour lui en cause » dans la procédure principale,
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comme elle est tenue de le faire quand elle est saisie d’une requête à fin d’intervention au titre de l’article 62 du Statut. L’intérêt juridique que possède l’État déclarant dans l’interprétation de la convention est présumé en raison de sa qualité de partie à celle-ci.
22. Lorsqu’une déclaration d’intervention est déposée, la Cour doit s’assurer qu’elle entre dans les prévisions de l’article 63 du Statut et qu’elle satisfait aux exigences prévues par l’article 82 du Règlement de la Cour (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 28 ; Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande, ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 5-6, par. 8).
23. Dans la présente affaire, les déclarations d’intervention portent sur l’interprétation de dispositions de la convention sur le génocide.
24. Les États désireux d’intervenir, ainsi que la Gambie, soutiennent que les déclarations d’intervention sont recevables, dans la mesure où elles satisfont pleinement aux exigences énoncées à l’article 63 du Statut et à l’article 82 du Règlement de la Cour.
25. Le Myanmar, pour sa part, considère que les déclarations sont irrecevables.
26. Bien que les déclarations d’intervention aient été présentées séparément, la Cour, conformément au principe de bonne administration de la justice, statuera sur leur recevabilité par une même ordonnance.
II. CONFORMITÉ DES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION AUX EXIGENCES ÉNONCÉES À L’ARTICLE 82 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
27. La Cour examinera d’abord le point de savoir si les déclarations d’intervention sont conformes aux exigences énoncées à l’article 82 de son Règlement. La Cour rappelle que l’article 82 a été amendé le 1er février 2024 et que l’amendement est entré en vigueur le 1er juin 2024. Les déclarations d’intervention ayant été déposées le 15 novembre 2023, soit avant l’entrée en vigueur de cet amendement, la Cour examinera la conformité des déclarations d’intervention au regard de l’article 82 en vigueur à l’époque. Lorsque les déclarations d’intervention ont été déposées, les paragraphes 1 et 2 de cette disposition étaient ainsi libellés :
« 1. Un État qui désire se prévaloir du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut dépose à cet effet une déclaration, signée comme il est indiqué à l’article 38, paragraphe 3, du présent Règlement. Cette déclaration est déposée le plus tôt possible avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, la Cour peut connaître d’une déclaration présentée ultérieurement.
2. La déclaration indique le nom de l’agent. Elle précise l’affaire et la convention qu’elle concerne et contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’État déclarant se considère comme partie à la convention ;
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b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés. »
A. Le paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour
28. La Cour relève que les deux déclarations ont été présentées en temps voulu, avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale. La déclaration conjointe de l’Allemagne, du Canada, du Danemark, de la France, des Pays-Bas et du Royaume-Uni a été signée par les agents respectifs de ces États, dont les signatures ont été certifiées conformes par les représentants diplomatiques de ces derniers là où la Cour a son siège ou par le ministre des affaires étrangères (dans le cas des Pays-Bas), conformément au paragraphe 3 de l’article 38 du Règlement.
29. Le Myanmar ne conteste pas la conformité de la déclaration conjointe au paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour. Toutefois, il soutient que la déclaration des Maldives est entachée d’un vice en ce que la signature de l’agent de cet État — qui n’en est pas le représentant diplomatique là où la Cour a son siège — aurait dû être légalisée par ledit représentant diplomatique ou par l’autorité compétente du ministère des affaires étrangères des Maldives, ce qui n’a pas été le cas. De l’avis du Myanmar, la déclaration devrait donc être jugée irrecevable.
30. La Gambie et les Maldives contestent que la déclaration en question soit entachée d’un vice de forme. Elles rappellent que celle-ci a été transmise à la Cour par l’un des représentants diplomatiques des Maldives là où la Cour a son siège et soutiennent qu’aucune autre mesure d’authentification de la signature de l’agent n’était requise. Elles ajoutent que, en sus des observations écrites qu’elles ont déposées le 21 février 2024, les Maldives ont fourni une lettre de leur ministre des affaires étrangères certifiant que la signature apposée sur leur déclaration était bien celle de l’agent qu’elles avaient désigné. Selon elles, cela confirme qu’il a été satisfait aux exigences du paragraphe 3 de l’article 38 du Règlement.
31. La Cour estime que la signature de l’agent des Maldives aurait dû être légalisée selon les modalités prescrites par le paragraphe 3 de l’article 38 du Règlement au moment où la déclaration d’intervention des Maldives a été présentée, mais qu’il a été remédié à ce vice ultérieurement, lorsque le ministre des affaires étrangères des Maldives a confirmé, dans une lettre communiquée à la Cour, que la signature apposée sur la déclaration d’intervention des Maldives était bien celle de l’agent désigné. En outre, la Cour rappelle qu’elle « ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de la seule Partie intéressée de faire disparaître » (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n° 6, 1925, C.P.J.I., série A no 6, p. 14).
32. La Cour considère, en conséquence, que les deux déclarations d’intervention satisfont aux exigences du paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour.
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B. Le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour
33. La Cour observe que les deux déclarations d’intervention indiquent les noms des agents désignés et précisent l’affaire et la convention qu’elles concernent. Y figurent également, dans des sections distinctes : a) la base sur laquelle les États désireux d’intervenir se considèrent comme parties à la convention sur le génocide ; b) les dispositions de la convention sur le génocide dont ils estiment que l’interprétation est en cause en l’espèce ; c) l’interprétation qu’ils donnent de ces dispositions ; et d) un bordereau des documents à l’appui des déclarations, qui sont annexés.
34. Le Myanmar affirme que les déclarations ne satisfont pas à la prescription énoncée à l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement, car les États qui les ont soumises n’y exposent pas clairement l’interprétation qu’ils donnent des dispositions de la convention sur le génocide, mais se limitent à des propositions très générales. Selon le Myanmar, il est dès lors impossible de déterminer si les interventions envisagées se rapportent à des questions d’interprétation qui sont effectivement en cause en l’instance et de s’assurer que les observations de fond qui pourraient être présentées ultérieurement au titre de l’article 86 du Règlement vont dans le sens de la même interprétation que celle exposée dans les déclarations d’intervention. Pour les raisons qui précèdent, le Myanmar soutient que les déclarations devraient être jugées irrecevables.
35. La Cour rappelle que l’article 63 de son Statut consacre le droit d’intervenir lorsqu’il s’agit de l’interprétation d’une convention. Les alinéas b) et c) du paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour imposent aux États désireux d’intervenir d’indiquer les dispositions dont ils estiment que l’interprétation est en cause et de préciser l’interprétation qu’ils en donnent. Ces alinéas n’exigent pas d’eux qu’ils démontrent en outre que leur intervention se rapporte à une question d’interprétation en litige entre les parties à l’instance, comme l’affirme le Myanmar. De plus, et contrairement à ce que le Myanmar semble suggérer, l’alinéa c) du paragraphe 2 n’exige pas que l’interprétation proposée de la convention en cause satisfasse à un critère de spécificité particulier. La Cour estime que les déclarations d’intervention considérées sont conformes à la prescription énoncée à l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement.
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36. La Cour conclut que les déclarations d’intervention déposées en l’espèce satisfont aux exigences de l’article 82 du Règlement.
III. QUESTION DE SAVOIR SI LES DÉCLARATIONS D’INTERVENTION SORTENT DU CADRE DES INTERVENTIONS AU TITRE DE L’ARTICLE 63 DU STATUT
37. Le Myanmar souligne que les déclarations d’intervention présentées sur le fondement de l’article 63 du Statut doivent se limiter à la formulation d’observations relatives à l’interprétation de dispositions de la convention en cause dans l’affaire. Elles ne peuvent pas traiter de questions touchant au fond, comme les éléments de preuve, les faits ou l’application de la convention en l’espèce. Elles ne peuvent pas non plus porter sur l’interprétation ou l’application d’autres normes de droit international, ou sur des questions telles que les règles de procédure et de preuve que la Cour doit appliquer. Selon le Myanmar, les déclarations d’intervention considérées sortent du cadre fixé par l’article 63 du Statut. En particulier, d’après lui, la déclaration des Maldives traite de faits qui se seraient produits au Myanmar, de déclarations diplomatiques émanant de celles-ci au sujet de ces faits allégués, des motivations pour le dépôt de la déclaration d’intervention et du caractère erga
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omnes partes des obligations qu’impose la convention sur le génocide. De même, la déclaration conjointe fait référence à l’intérêt commun des États parties à la convention sur le génocide, contient une assertion factuelle selon laquelle les violences sexuelles sont souvent un élément fondamental des campagnes de génocide et fait état d’arguments relatifs au critère d’établissement de la preuve applicable et aux types de faits qui peuvent être considérés comme des éléments de preuve démontrant l’existence d’actes de génocide ou d’une intention génocidaire. Le Myanmar fait en outre valoir que la déclaration conjointe d’intervention ne peut porter sur l’interprétation de l’article II de la convention sur le génocide car cette interprétation n’est pas en cause en l’espèce, la requête de la Gambie ne contenant aucune référence à cette disposition.
38. De l’avis du Myanmar, la Cour ne peut se contenter d’écarter les passages des déclarations qui sortent du cadre des interventions au titre de l’article 63 du Statut. Lorsque des parties importantes d’une déclaration d’intervention contiennent des éléments qui ne sauraient être abordés, comme le Myanmar soutient que c’est le cas en l’espèce, la Cour devrait juger la déclaration irrecevable dans son intégralité. À tout le moins, elle ne devrait la juger recevable que dans la mesure où elle concerne des questions d’interprétation en litige entre les parties en l’espèce.
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39. La Gambie soutient que les déclarations d’intervention considérées n’excèdent pas les limites des interventions au titre de l’article 63 du Statut. Certains paragraphes et phrases mis en cause par le Myanmar ne font que fournir des éléments contextuels pertinents pour ces déclarations, et aucune disposition du Statut ou du Règlement de la Cour ne justifie de les juger irrecevables. Selon la Gambie, les autres passages des déclarations contestés par le Myanmar ne vont pas au-delà de l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide qui sont en cause en l’espèce. Premièrement, la juste interprétation de l’article II de la convention est en cause en l’affaire, puisque la portée de cette disposition de même que les moyens et critères permettant de démontrer qu’elle a été violée sont en litige. Deuxièmement, les États déclarants sont autorisés à se référer à d’autres règles et principes de droit international pour éclairer l’interprétation de la convention, conformément aux règles coutumières d’interprétation énoncées dans les articles 31 et 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Troisièmement, les États déclarants peuvent exposer leurs vues sur les éléments permettant de déterminer que des dispositions de la convention ont été violées, y compris sur des questions ayant trait au critère d’établissement de la preuve et au type de preuve requis pour démontrer l’existence d’une violation. La Gambie considère également que, contrairement à ce qu’affirme le Myanmar, les États déclarants peuvent soulever toute question d’interprétation relative aux dispositions de la convention qui serait selon eux en cause, quand bien même elle n’aurait pas été précédemment soulevée par l’une ou l’autre des Parties, car cela renforce la capacité de la Cour de s’acquitter de sa fonction judiciaire et de prendre en considération toutes les vues présentant un intérêt pour l’interprétation de la convention à l’examen.
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40. Les Maldives contestent que leur déclaration traite indûment de questions telles que les éléments de preuve, les faits ou l’application de la convention, précisant à cet égard que les paragraphes mis en cause par le Myanmar ne font que renvoyer à des communiqués de presse ou à des déclarations et exposer ce qui les a poussées à intervenir. Les Maldives soutiennent en outre que
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leur déclaration n’a pas à se limiter aux seules questions d’interprétation en litige entre les Parties, et qu’elle peut également soulever d’autres questions d’interprétation qui sont selon elles en cause. Quoi qu’il en soit, les Maldives n’ont pas encore reçu copie des écritures des Parties et ne peuvent, à ce stade, être au fait des questions d’interprétation en litige entre celles-ci.
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41. Les États ayant présenté une déclaration conjointe affirment que celle-ci est recevable dans son intégralité. Selon eux, la juste interprétation de l’article II de la convention est en cause, puisque cette disposition définit le génocide et qu’elle concerne directement le règlement du différend dont la Cour est saisie. Ils se défendent d’exposer leurs vues sur les faits de l’espèce, l’application de la convention à ces faits ou la question de savoir si une Partie a violé les obligations qui lui incombent au titre de la convention. Ils affirment que les paragraphes de leur déclaration conjointe où il est fait référence à l’intérêt commun des États parties à la convention sur le génocide ne font que fournir des éléments contextuels. Ils estiment être en droit de s’appuyer sur d’autres sources de droit international que la convention sur le génocide ou de s’y référer pour étayer leur interprétation de celle-ci, conformément à la règle coutumière d’interprétation qui trouve son expression à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Ils soutiennent enfin qu’il leur est loisible de présenter leurs vues sur des questions d’interprétation ayant trait aux éléments permettant de déterminer que des dispositions de la convention ont été violées, y compris sur des questions touchant au critère d’établissement de la preuve et aux éléments de preuve requis pour démontrer l’existence d’une intention génocidaire, qui sont en elles-mêmes des questions d’interprétation de la convention.
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42. La Cour rappelle que le droit d’intervenir au titre de l’article 63 du Statut est limité à l’interprétation des dispositions d’une convention en cause au stade pertinent de la procédure (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 84).
43. En vertu des alinéas b) et c) du paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un État désireux d’intervenir doit indiquer les dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause et exposer sa position à ce sujet. La Cour estime que les déclarations d’intervention considérées concernent principalement l’interprétation des articles premier, II, IV, V et VI de la convention sur le génocide, qui sont en cause au stade du fond. En particulier et contrairement à ce qu’affirme le Myanmar, l’interprétation de l’article II est en cause au stade actuel. L’article II est une disposition clé de la convention en ce qu’il définit les actes et l’intention spécifique constitutifs de génocide et éclaire nombre d’autres dispositions de celle-ci, notamment les articles premier, III, IV, V et VI, qui, selon la requête, auraient été violées.
44. À rebours de ce qu’avance le Myanmar, la Cour ne considère pas que les interventions au titre de l’article 63 ne sont autorisées que dans la mesure où elles ont trait à des questions
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d’interprétation en litige entre les parties. Comme il a été expliqué plus haut (voir le paragraphe 35), ni l’article 63 du Statut ni l’article 82 du Règlement ne prévoient une telle limitation. En définitive, c’est à la Cour qu’il appartient d’évaluer la pertinence de l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide.
45. La Cour observe que les déclarations en question abordent, par endroits, des questions autres que l’interprétation de dispositions de la convention sur le génocide, notamment des faits et la valeur probante d’un certain type de documents. Dans cette mesure, la Cour n’examinera pas ces questions et attend des intervenants qu’ils s’abstiennent de les aborder plus avant. De plus, la Cour ne tiendra compte des références à d’autres règles et principes de droit international, en dehors de la convention sur le génocide, que dans la mesure où elles sont pertinentes aux fins de l’interprétation des dispositions de la convention, conformément aux règles coutumières d’interprétation des traités qui trouvent leur expression dans la convention de Vienne sur le droit des traités, en particulier l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 84).
IV. CONCLUSION
46. La Cour conclut que les déclarations d’intervention déposées par les Maldives et les États ayant présenté une déclaration conjointe sont recevables en ce qu’elles ont trait à l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide. Elle ne prendra en considération aucun des éléments présentés dans les observations qui sortirait du cadre ainsi fixé.
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47. La Cour rappelle en outre que l’article 86 du Règlement — tel qu’amendé le 1er février 2024, l’amendement étant entré en vigueur le 1er juin 2024 — dispose ce qui suit :
« 1. Si une intervention fondée sur l’article 63 du Statut est déclarée recevable, l’État intervenant reçoit copie des pièces de procédure et des documents annexés et a le droit de présenter, dans un délai fixé par la Cour ou, si elle ne siège pas, par le Président, des observations écrites sur l’objet de l’intervention.
2. Ces observations sont communiquées aux parties et à tout autre État autorisé à intervenir. L’État intervenant peut aussi présenter au cours de la procédure orale des observations sur l’objet de l’intervention, à moins que la Cour n’en décide autrement. »
48. Conformément à cette disposition, les États déclarants recevront copie des écritures des Parties. Lorsqu’elles auront toutes été déposées, la Cour fixera le délai dans lequel les États déclarants
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pourront soumettre leurs observations écrites sur l’objet de leur intervention. Comme le prévoit le paragraphe 2 de l’article 86 du Règlement, la Cour décidera à une date ultérieure s’il convient d’autoriser les États déclarants à présenter des observations au cours de la procédure orale.
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49. Par ces motifs,
LA COUR,
1) À l’unanimité,
Dit que la déclaration d’intervention au titre de l’article 63 du Statut présentée par la République des Maldives est recevable en ce qu’elle a trait à l’interprétation de dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
2) À l’unanimité,
Dit que la déclaration d’intervention au titre de l’article 63 du Statut présentée conjointement par la République fédérale d’Allemagne, le Canada, le Royaume du Danemark, la République française, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est recevable en ce qu’elle a trait à l’interprétation de dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
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Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le trois juillet deux mille vingt-quatre, en dix exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République de Gambie, au Gouvernement de la République de l’Union du Myanmar et aux Gouvernements de la République fédérale d’Allemagne, du Canada, du Royaume du Danemark, de la République française, de la République des Maldives, du Royaume des Pays-Bas et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
Le président,
(Signé) Nawaf SALAM.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
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Recevabilité des déclarations d’intervention
Ordonnance du 3 juillet 2024