Exposé écrit de la Türkiye

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186-20230720-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18863
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES
D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ,
Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT SOUMIS PAR LA RÉPUBLIQUE DE TÜRKİYE
18 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
La question de la Palestine est désormais telle que l’implication active de la communauté
internationale s’impose. Alors que l’occupation par Israël du territoire palestinien s’est muée en
annexion de facto, la frustration grandit non seulement en Palestine, mais aussi au sein de la
communauté internationale.
Le processus de paix au Moyen-Orient, qui visait à trouver une solution à deux États juste et
durable, semble avoir été abandonné. Cela fait trop longtemps que rien n’est entrepris pour garantir
la mise en oeuvre des accords conclus par le passé entre les parties israélienne et palestinienne. L’État
de Palestine se trouve dans une situation économique extrêmement difficile qui accentue encore les
effets des mesures unilatérales d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-
Est.
L’absence d’une véritable détermination politique de la communauté internationale à
éradiquer les causes profondes du conflit, voire d’intérêt à cet égard, inspire aux Palestiniens un
sentiment d’injustice. La communauté internationale doit intervenir efficacement pour contribuer à
régler le conflit israélo-palestinien conformément au droit international.
L’Organisation des Nations Unies a pour but de maintenir la paix et la sécurité internationales.
Tant que le conflit israélo-palestinien n’aura pas été réglé, l’on continuera d’attendre d’elle qu’elle
oeuvre à lui trouver une solution définitive.
En dépit des résolutions que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a
adoptées jusqu’à présent au sujet du conflit israélo-palestinien (résolutions 242 (1967), 338 (1973),
446 (1979), 452 (1979), 465 (1980), 476 (1980), 478 (1980), 1397 (2002), 1515 (2003), 1850 (2008)
et 2334 (2016)), la situation sur place n’a pas changé. Jour après jour, les effets des mesures
unilatérales illicites prises par Israël, qui sont considérées comme nulles et non avenues dans nombre
des résolutions de l’Organisation des Nations Unies, se trouvent cimentés sur le terrain, mettant en
péril la perspective de trouver une solution à deux États.
De fait, les activités de colonisation illicite se sont intensifiées à telle enseigne qu’il est
désormais extrêmement difficile d’évoquer la continuité du Territoire palestinien occupé. Les
transferts de population israélienne par l’établissement de colonies en modifient quotidiennement la
composition démographique. Cette colonisation illicite s’accompagne de démolitions d’habitations
et d’évacuations forcées de Palestiniens, lesquelles se poursuivent avec l’appui des forces de sécurité
israéliennes.
La Türkiye estime qu’un processus de paix seul permettra de parvenir à un règlement juste,
durable et global, et invite par conséquent les parties au conflit à maintenir leur cap à cet égard.
La Türkiye a toujours résolument appuyé le processus de paix au Moyen-Orient visant à
trouver une solution à deux États qui soit juste et durable. Elle estime que la concrétisation de la
solution ainsi envisagée dans des accords précédents et fondée sur les frontières antérieures à 1967
devrait demeurer l’objectif partagé de la communauté internationale. L’état actuel du conflit
israélo-palestinien n’est pas tenable.
La Türkiye comprend les circonstances dans lesquelles s’inscrivent les efforts déployés par
l’État de Palestine pour obtenir justice par l’intermédiaire des organisations et juridictions
internationales.
Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 77/247,
demandant à la Cour internationale de Justice (CIJ) de donner, sur le fondement de l’article 96 de la
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Charte des Nations Unies et de l’article 65 de son Statut, un avis consultatif sur les questions
suivantes :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple
palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion
prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à
modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem,
et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) … ont-elles sur le
statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour
tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
Le présent exposé écrit est déposé conformément à l’ordonnance que la Cour internationale
de Justice a rendue le 6 février 2023 en application du paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut.
Bien que la portée des questions soumises à la Cour soit indéniablement plus étendue, la
République de Türkiye s’intéressera plus particulièrement, dans son exposé écrit, au statu quo
historique sur les Lieux saints, qui s’inscrit dans le contexte plus large du statut de Jérusalem. Elle
tient à préciser que le présent exposé écrit n’a aucune incidence sur sa position concernant toute autre
question non liée à l’actuelle demande de l’Assemblée générale tendant à obtenir un avis consultatif
de la Cour.
Situé à Jérusalem-Est, le complexe de la mosquée al-Aqsa (ou Haram al-Charif, désignations
qui seront ci-après utilisées de manière interchangeable) est l’un des trois lieux les plus sacrés pour
les musulmans du monde entier.
La Türkiye est d’avis que le statu quo historique sur le Haram al-Charif devrait être respecté
et que les violations de ce statu quo doivent cesser. Pas plus tard que le 4 avril 2023, les forces de
sécurité israéliennes ont opéré une descente dans la mosquée al-Aqsa, rouant de coups des fidèles, et
en arrêtant des centaines, et ce, pendant le mois du ramadan. Ce type de pratiques brutales se
généralise.
Alors que les fidèles musulmans se voient réserver le traitement qui vient d’être décrit, les
forces de sécurité israéliennes poursuivent leurs descentes contre le Haram al-Charif afin d’accueillir
les juifs qui pénètrent dans le complexe en violation du statu quo.
II. CONTEXTE
A. L’arrangement prévoyant le statu quo sur les Lieux saints de Jérusalem
Le complexe de la mosquée al-Aqsa (ou Haram al-Charif) désigne le site, d’une superficie
totale de plus de 144 000 mètres carrés, ceint de murs des quatre côtés, qui comprend la mosquée
al-Aqsa, le dôme du Rocher et l’ensemble des édifices, cours, murs et espaces environnants en
surface ou souterrains.
Le statu quo sur les Lieux saints de Jérusalem, dont le complexe al-Aqsa, a été institué par les
sultans ottomans en vertu de firmans (ordres impériaux).
Les firmans étaient émis en raison des désaccords récurrents entre les diverses communautés
chrétiennes nourrissant des revendications concurrentes sur les lieux saints chrétiens. Ainsi, le firman
publié en 1852 par le sultan Abdülmecid Ier de l’Empire ottoman visait à « décrire et entériner le
statu quo en vigueur entre les Églises grecque et latine s’agissant de la propriété des lieux saints
chrétiens de Jérusalem et du droit d’y prier ».
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Le traité de Paris conclu en 185[6] par la Grande-Bretagne, la France, l’Empire ottoman, la
Sardaigne et la Russie, en son article 9, fait référence à ce firman et lui confère une reconnaissance
internationale :
« Sa Majesté Impériale le Sultan, dans sa constante sollicitude pour le bien-être
de ses sujets, ayant octroyé un firman qui, en améliorant leur sort, sans distinction de
religion ni de race, consacre ses généreuses intentions envers les populations
chrétiennes de son Empire, et voulant donner un nouveau témoignage de ses sentiments
à cet égard, a résolu de communiquer aux Puissances contractantes ledit firman,
spontanément émané de sa volonté souveraine. »
De même, le traité de Berlin conclu en 1878 entre l’Empire ottoman, la Grande-Bretagne,
l’Autriche-Hongrie, la France, l’Allemagne, l’Italie et la Russie, en son article 62, précise qu’« il est
bien entendu qu’aucune atteinte ne saurait être portée au statu quo dans les Lieux Saints », ce qui
non seulement emporte reconnaissance internationale dudit statu quo, mais étend encore celui-ci à
l’ensemble des Lieux saints sous le règne ottoman.
En vertu des ordres impériaux des sultans ottomans, le Haram al-Charif était un sanctuaire
utilisé exclusivement par les musulmans. Tel était par conséquent le statu quo valant pour l’ensemble
du complexe, édifices et abords compris.
Après l’ère ottomane, la Société des Nations a placé la Palestine sous mandat britannique.
L’article 13 du mandat pour la Palestine se lit comme suit :
« Tout en maintenant l’ordre et la bienséance publics, le Mandataire assume toute
responsabilité au sujet des Lieux Saints, des édifices et des sites religieux en Palestine,
y compris celle de préserver les droits existants, d’assurer le libre accès des Lieux Saints,
des édifices et des sites religieux, et le libre exercice du culte. Il ne sera responsable,
pour toutes les questions qui s’y réfèrent, que vis-à-vis de la Société des
Nations … [R]ien dans le présent mandat ne pourra être interprété comme l’autorisant
à toucher aux immeubles ou à intervenir dans l’administration des sanctuaires purement
musulmans, dont les privilèges sont garantis. »
En décembre 1930, la commission d’enquête britannique, avec l’approbation du Conseil de la
Société des Nations, a déterminé les droits et réclamations des musulmans et des juifs sur le Mur
occidental de Jérusalem, indiquant ceci dans son rapport :
« Les droits afférents à la propriété et à la possession du Mur et des terrains
l’entourant appartiennent aux Musulmans, et le Mur lui-même, qui fait partie intégrante
du secteur d’Al-Haram-Esh-Sharif, est propriété musulmane … Il est apparu que la
chaussée située devant le Mur … est également propriété musulmane. »
Était ainsi confirmé le statu quo sur le lieu saint musulman. Le Haram al-Charif, que les musulmans
du monde entier considèrent comme sacré, est un sanctuaire musulman qui appartient exclusivement
aux musulmans.
Tel est le statut historique à l’aune duquel il convient d’évaluer les conséquences juridiques
des violations et provocations commises par Israël contre les Lieux saints après l’occupation de 1967.
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B. L’occupation des territoires palestiniens et l’annexion
de Jérusalem par Israël
Par la résolution 181 du 29 novembre 1947, l’Assemblée générale a adopté le plan de partage
qui prévoyait la création d’un État arabe et d’un État juif indépendants en Palestine, le mandat pour
celle-ci devant prendre fin au plus tard le 1er août 1948.
Ce plan plaçait Jérusalem sous régime international, le Conseil de tutelle de l’Organisation des
Nations Unies étant chargé de l’administrer. Cependant, dans le contexte d’une histoire déjà connue,
l’État d’Israël a été proclamé le 14 mai 1948, un jour avant la fin officielle du mandat britannique en
Palestine. Le conflit qui s’en est suivi a débouché sur la prise de contrôle, par Israël, d’un territoire
plus important que ne le prévoyait le plan de partage. Une ligne d’armistice, également appelée
« Ligne verte », a vu le jour.
Le 5 juin 1967, Israël a lancé une offensive militaire, occupant, pour ce qui est des territoires
palestiniens occupés, la bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Au cours de la
période qui a suivi, plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies
(les résolutions 242 (1967), 252 (1968), 267 (1969), 298 (1971)) et de l’Assemblée générale des
Nations Unies ont confirmé que l’acquisition de territoires par conquête militaire était inadmissible
au regard du droit international et « que toutes les mesures et dispositions législatives et
administratives prises par Israël qui [avaie]nt pour effet d’altérer le statut de Jérusalem, y compris
l’expropriation de terres et de biens immobiliers, [étaie]nt non valides et ne p[ouvai]ent modifier ce
statut ».
En outre, le Conseil de sécurité a « [c]ensur[é] dans les termes les plus énergiques toutes les
mesures prises pour modifier le statut de la ville de Jérusalem ».
Dans sa résolution 2253 (ES-V) du 4 juillet 1967, l’Assemblée générale a elle aussi considéré
les mesures prises par Israël pour modifier le statut de la ville de Jérusalem comme non valides,
demandant à cet État de rapporter toutes les mesures déjà prises et de s’abstenir immédiatement de
toute action qui changerait le statut de Jérusalem. Dans sa résolution 2254 (ES-V) du 14 juillet 1967,
l’Assemblée générale a réitéré cette demande.
Le 30 juillet 1980, la Knesset israélienne a adopté la « loi fondamentale : Jérusalem, capitale
d’Israël » proclamant que « Jérusalem, entière et unifiée, est la capitale d’Israël », ce qui porte
clairement modification du caractère et du statut de la ville de Jérusalem.
Dans sa résolution 478 (1980), le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies a
affirmé que « l’adoption de la “loi fondamentale” par Israël constitu[ait] une violation du droit
international » et « [c]onsid[éré] que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives
prises par Israël, la Puissance occupante, qui [avaie]nt modifié ou vis[ai]ent à modifier le caractère
et le statut de la Ville sainte de Jérusalem, et en particulier la récente “loi fondamentale” sur
Jérusalem, [étaie]nt nulles et non avenues et d[evai]ent être rapportées immédiatement ».
Le Conseil de sécurité a
« [c]ensur[é] dans les termes les plus énergiques l’adoption par Israël de la “loi
fondamentale” sur Jérusalem et son refus de se conformer aux résolutions pertinentes
du Conseil de sécurité » ;
« [c]onsid[éré] que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives
prises par Israël, la Puissance occupante, qui [avaie]nt modifié ou vis[ai]ent à modifier
le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem, et en particulier la récente “loi
fondamentale” sur Jérusalem, [étaie]nt nulles et non avenues et d[evai]ent être
rapportées immédiatement »
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et
« [d]écid[é] de ne pas reconnaître la “loi fondamentale” et les autres actions d’Israël
qui, du fait de cette loi, cherch[ai]ent à modifier le caractère et le statut de Jérusalem ».
Le conseil des ministres de la République de Türkiye a déclaré que celle-ci n’accepterait en
aucune manière ce fait accompli et a rappelé pour consultations son chargé d’affaires à Tel-Aviv le
31 juillet 1980. Cette mesure a été suivie par la décision de fermer le consulat général turc à
Jérusalem le 28 août 1980.
De même, l’Assemblée générale des Nations Unies a exprimé dans plusieurs résolutions
concernant l’adoption de la « loi fondamentale » sa ferme opposition à tout changement de statut de
Jérusalem.
Dans la résolution A/RES/77/25 qu’elle a adoptée le 30 novembre 2022 (« Règlement
pacifique de la question de Palestine »), l’Assemblée générale a également appelé tous les États,
conformément aux obligations que leur imposent la Charte et les résolutions pertinentes du Conseil
de sécurité, à
« a) ne reconnaître aucune modification du tracé des frontières d’avant 1967, y compris
en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie
de négociations, notamment en veillant à ce que les accords avec Israël n’impliquent
pas la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur les territoires qu’il a occupés
en 1967 ;
b) faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État
d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».
Les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale citées plus haut apportent
un éclairage sur la manière dont les organes de l’Organisation des Nations Unies et la communauté
internationale perçoivent les actes unilatéraux d’Israël dans les territoires palestiniens occupés.
En substance, Israël est la puissance occupante dans les territoires palestiniens occupés et a
l’obligation de se conformer au droit international. Toute loi et toute mesure qu’il y exécute en
violation du droit international doivent donc être considérées comme nulles et non avenues. Israël
doit être tenu responsable de ses pratiques, lois et mesures portant atteinte aux droits de l’homme.
Cela vaut également pour les politiques et pratiques d’Israël dans la ville de Jérusalem et les
Lieux saints. De même, toutes lois et mesures prises par Israël en vue de modifier le caractère et le
statut de la ville de Jérusalem et des Lieux saints, y compris le Haram al-Charif, doivent être
considérées comme nulles et non avenues, et il convient d’y mettre fin et de les rapporter
immédiatement.
La communauté internationale et la Türkiye en particulier ont un intérêt légitime à la
préservation du statu quo historique sur les Lieux saints, y compris le Haram al-Charif, ce statu quo
ayant été instauré par les sultans turcs sous l’Empire ottoman, qui a régné sur la ville et la région plus
généralement pendant plus de quatre siècles.
La Türkiye s’inquiète vivement des politiques et pratiques unilatérales d’Israël qui emportent
violation du statu quo historique sur le Haram al-Charif et créent, ou tentent de créer, un précédent
pour y établir une division dans le temps et dans l’espace. Elle rejette les mesures illicites, illégitimes
et provocatrices qui limitent de facto le libre accès des musulmans à ce site. Il s’agit là d’une violation
non seulement du statut historique sur le Haram al-Charif, mais aussi des droits de l’homme
fondamentaux des musulmans dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est.
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C. Violations actuelles du statu quo sur le Haram al-Charif
Les incursions dans le Haram al-Charif, les tentatives d’y établir une division dans le temps et
dans l’espace, la profanation de son enceinte, la fermeture de ses portes, les attaques contre des
fidèles et la limitation de son accès imposée aux fidèles musulmans sont des exemples parmi d’autres
de violations du statu quo historique et juridique. Ces actes et politiques constituent de surcroît des
provocations contre les musulmans qui attisent les tensions et le conflit dans la région,
compromettant les perspectives d’instaurer la paix et la sécurité.
Ces violations font en outre peser des menaces sur le patrimoine culturel des Lieux saints de
Jérusalem.
En 1982, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a décidé d’inscrire la vieille ville de
Jérusalem et ses remparts sur la liste du patrimoine mondial en péril, soulignant ainsi les menaces et
les risques pesant sur le patrimoine culturel de la vieille ville et ses sites. Depuis lors, il a, dans de
nombreuses décisions, appelé Israël, en tant que puissance occupante, à mettre un terme aux
violations persistantes de l’obligation de préserver le patrimoine de la vieille ville de Jérusalem et
ses remparts.
i) Droit de culte des musulmans
Le complexe d’al-Aqsa est un lieu saint exclusivement musulman. Selon le statu quo
historique et juridique, seuls les musulmans peuvent s’y rendre ou y exercer leur culte. Ce complexe
fait toutefois systématiquement l’objet d’incursions et de provocations des forces de sécurité
israéliennes. En violation du statu quo en vigueur, des groupes juifs et des représentants du
Gouvernement israélien y pénètrent sous escorte des forces de sécurité israéliennes.
Récemment, les forces de sécurité israéliennes ont ainsi opéré une descente dans la mosquée
al-Aqsa et s’en sont pris aux fidèles musulmans qui s’y trouvaient, dont beaucoup ont été arrêtés. Par
la déclaration no 91 du ministère turc des affaires étrangères en date du 5 avril 2023, la Türkiye a
dénoncé cette attaque contre les fidèles qui a porté atteinte au caractère sacré du Haram al-Charif, au
statu quo historique et au droit des musulmans d’exercer librement leur culte dans le complexe.
La Türkiye estime que ce type d’attaques contre les fidèles à la mosquée al-Aqsa n’est pas
acceptable. Cette pratique ne peut qu’attiser encore les tensions. Par conséquent, la Türkiye appelle
le Gouvernement israélien à mettre fin immédiatement à tous les types de provocations, d’actions et
d’attaques susceptibles d’entraîner une nouvelle escalade des tensions dans la région et au-delà.
ii) Accès et liberté de circulation des musulmans
Il convient de noter que, en violation du statu quo, des forces de sécurité israéliennes sont
déployées à l’intérieur du complexe, dont elles contrôlent les entrées. Les autorités israéliennes ont
limité l’accès des Palestiniens au complexe, les empêchant de pénétrer dans la mosquée al-Aqsa où
des juifs, en revanche, sont autorisés à entrer.
D’un point de vue historique et juridique, l’administration d’al-Aqsa relève des musulmans.
À l’heure actuelle, elle est exercée par le Waqf islamique de Jérusalem, sous l’égide du Royaume
hachémite de Jordanie. La tutelle hachémite a été réaffirmée et reconnue à plusieurs reprises par la
communauté internationale, notamment l’Organisation des Nations Unies, l’UNESCO, la Ligue des
États arabes et l’Union européenne, avant de l’être officiellement dans le traité de paix conclu en
1994 entre Israël et la Jordanie.
Le Waqf islamique de Jérusalem, qui rend compte au ministère jordanien des Awqaf, des
affaires islamiques et des Lieux saints, est chargé d’assurer la garde hachémite des dotations et des
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lieux saints islamiques et chrétiens, et consolide le statu quo historique et juridique. L’accord signé
en 2013 entre l’État de Palestine et la Jordanie a reconnu le rôle de cette dernière dans la gestion des
Lieux saints de Jérusalem. Aux termes de cet accord, la Jordanie
« C. administre et maintient les lieux saints islamiques de manière à i) respecter et
préserver leur importance et leur statut religieux ; ii) réaffirmer leur véritable identité et
leur caractère sacré ; et iii) respecter et préserver leur importance historique, culturelle
et artistique ainsi que leurs caractéristiques physiques ».
Le traité de paix israélo-jordanien de 1994 reconnaît lui aussi le rôle du Royaume hachémite
de Jordanie dans les Lieux saints de Jérusalem. L’article 9 de cet instrument conclu le 26 octobre
1994 entre la Jordanie et Israël précise qu’Israël « respecte le rôle spécifique actuel du Royaume
hachémite de Jordanie dans les lieux saints musulmans à Jérusalem ».
En 2016, l’UNESCO a adopté l’une de ses plus importantes résolutions concernant la mosquée
al-Aqsa. Elle y a fermement condamné l’escalade de la violence et les mesures illicites d’Israël
dirigées contre le Waqf responsable d’al-Aqsa et son personnel — notamment les gardes, les
personnalités religieuses, mais aussi les fidèles musulmans de manière générale —, appelé à ce que
soit rétabli l’accès des musulmans à leur lieu saint, et exigé qu’Israël respecte le statu quo historique
et mette fin immédiatement aux attaques et agressions qui attisent les tensions.
Alors même que le Waqf devrait être responsable de l’accès à al-Aqsa, dans la situation
actuelle, les forces d’occupation israéliennes contrôlent toutes les entrées du complexe, étant, comme
cela a été mentionné plus haut, postées à l’intérieur de celui-ci.
Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la sécurité nationale, s’est rendu en force sur l’esplanade
de la mosquée al-Aqsa le 3 janvier 2023, ce qui a conduit à la convocation d’une réunion d’urgence
du Conseil de sécurité consacrée à cette question, le 5 janvier 2023.
Dans l’allocution qu’il a prononcée devant les membres du Conseil de sécurité après
l’incursion du ministre dans le complexe, Khaled Khiari, Sous-Secrétaire général pour le
Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, a déclaré
que la visite de M. Ben-Gvir était considérée comme particulièrement incendiaire compte tenu des
plaidoyers passés de l’intéressé en faveur de modifications du statu quo. Relevant en outre qu’il
s’agissait de la première fois qu’un ministre israélien se rendait sur les lieux depuis 2017, M. Khiari
a ajouté que cette visite avait été vivement condamnée par l’Autorité palestinienne et par d’autres
encore, qui y voyaient une provocation au moment où le premier ministre ainsi que d’autres hauts
responsables israéliens proclamaient leur attachement au maintien du statu quo.
Pour donner suite aux actions de certains membres du Gouvernement israélien, la présidente
du Conseil de sécurité, à la 9263e séance de celui-ci (tenue le 20 février 2023), a de nouveau appelé,
entre autres, au maintien du statu quo sur les Lieux saints de Jérusalem : « Le Conseil appelle à
maintenir inchangé le statu quo historique sur les Lieux saints à Jérusalem en paroles et en pratique,
et souligne à cet égard le rôle spécial que joue le Royaume hachémite de Jordanie. »
Sans le moindre égard pour les appels internationaux au maintien du statu quo historique sur
les Lieux saints de Jérusalem, M. Ben-Gvir a fait une nouvelle incursion, sa deuxième en tant que
ministre, au Haram al-Charif le 21 mai 2023, après quoi, se référant au complexe, il a affirmé ceci :
« Il faut dire que la police fait un superbe travail ici et prouve une fois de plus qui en est le détenteur
à Jérusalem … Jérusalem et toute la terre d’Israël nous appartiennent. »
Dans plusieurs résolutions, le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des
Nations Unies a lui aussi exprimé la vive préoccupation que lui inspirent les restrictions imposées
par Israël à l’accès des fidèles chrétiens et musulmans aux Lieux saints dans le Territoire palestinien
occupé, y compris Jérusalem-Est.
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Dans ses résolutions, le Conseil des droits de l’homme exigeait qu’Israël, puissance occupante,
cesse toute action illicite dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, notamment
les fouilles dans et autour de sites religieux et historiques, et l’ensemble des autres mesures
unilatérales visant à modifier le caractère, le statut et la composition démographique du territoire
dans son ensemble, qui toutes compromettent sérieusement, entre autres, l’exercice des droits de
l’homme du peuple palestinien et les perspectives de parvenir à un règlement équitable et pacifique.
En diverses occasions, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les
territoires palestiniens occupés depuis 1967 s’est élevé contre la restriction de l’accès des fidèles
palestiniens au complexe de la mosquée al-Aqsa, a condamné les incursions violentes de forces
israéliennes dans le Haram al-Charif et les attaques contre des fidèles palestiniens qui se sont
déroulées dans ladite mosquée, et a dénoncé les tentatives de supprimer le caractère palestinien de
ce qui subsiste de la terre ancestrale de la Palestine, ainsi que la transformation ou la fermeture de
lieux représentatifs de l’identité culturelle, politique et religieuse palestinienne.
Le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a lui aussi insisté sur ces points.
iii) Fouilles et entretien
Le Waqf islamique de Jérusalem est l’unique organe habilité à administrer, maintenir et
préserver la mosquée al-Aqsa et ses dépendances. À cet égard, lui seul peut procéder aux fouilles et
à l’entretien du site. Néanmoins, Israël a effectué, sans autorisation, maintes fouilles illicites. Dans
de nombreuses décisions, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
(UNESCO) a redemandé à Israël de mettre fin à ses actions illicites dans les Lieux saints.
Les passages pertinents de la résolution de l’UNESCO1 de 2016 sont reproduits ci-après :
« Profondément préoccupé par les fouilles archéologiques illégales israéliennes
et les travaux menés par les autorités d’occupation israéliennes et les groupes de colons
dans la Vieille ville de Jérusalem et des deux côtés de ses remparts, et de l’échec d’Israël
à mettre fin à ces interventions préjudiciables, demande à Israël d’agir immédiatement
pour empêcher toutes ces activités, conformément à ses obligations selon les
dispositions des Conventions et Recommandations de l’UNESCO y afférentes ;
Regrette les dégâts causés par les forces de sécurité israéliennes le 30 octobre
2014 sur les portes et fenêtres historiques de la mosquée Qibli à l’intérieur du complexe
d’Al-Aqsa / Al-Haram Al-Sharif, qui est un lieu saint de culte musulman et partie
intégrante d’un site du patrimoine mondial ;
Demande à Israël l’arrêt de la fermeture du bâtiment de la Porte Al-Rahmah, une
des portes de la mosquée Al-Aqsa / Al-Haram al-Sharif, et de permettre tous les travaux
de rénovation nécessaires de celui-ci afin de remédier aux dégâts causés par les
intempéries ;
Demande également à Israël de faciliter l’exécution immédiate de l’ensemble des
19 projets de restauration hachémites dans et autour de la mosquée Al-Aqsa / Al-Haram
Al-Sharif ;
Déplore l’effet dommageable du tramway de Jérusalem à quelques mètres des
remparts de la Vieille ville de Jérusalem, qui affecte sérieusement l’intégrité visuelle et
le caractère authentique du site, et demande à Israël de restaurer le caractère originel du
1 Décision 40 COM 7A.13  Vieille ville de Jérusalem et ses remparts (site proposé par la Jordanie) (C 148rev).
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site conformément à ses obligations selon les dispositions des Conventions et
Recommandations de l’UNESCO y afférentes ;
Déplore également le plan israélien de construction d’une double ligne de
funiculaire à Jérusalem-Est, la construction de ce que l’on appelle le projet de la
“Maison Liba” dans la Vieille ville de Jérusalem, la démolition et la nouvelle
construction de ce qu’on appelle le bâtiment Strauss, et le projet d’ascenseur sur le Mur
occidental, les fouilles d’une structure mamelouk sous le Mur occidental, les fouilles et
la construction de nouveaux niveaux en-dessous du Mur occidental, et prie instamment
Israël de renoncer aux projets susmentionnés conformément à ses obligations selon les
dispositions des Conventions et Recommandations de l’UNESCO y afférentes, ainsi
que les décisions de l’UNESCO, particulièrement les décisions du Comité du
patrimoine mondial 37 COM 7A.26, 38 COM 7A.4 et 39 COM 7A.27[,] et de fournir
au Centre du patrimoine mondial toute la documentation y afférente, en particulier la
documentation concernant les vestiges historiques trouvés sur les projets
susmentionnés ;
Exprime sa profonde préoccupation concernant le plan initialement approuvé
pour ce que l’on appelle “Kedem Center”, un centre de visiteurs près du mur du sud de
la mosquée Al-Aqsa / Al-Haram Al-Sharif, qui affecte sérieusement l’intégrité visuelle
et le caractère authentique du site, et demande à Israël le retour des vestiges et de fournir
la documentation y afférente ainsi que de restaurer le caractère originel du site ;
Demande aux autorités israéliennes de permettre un accès illimité des autorités
nationales compétentes, y compris les experts du Waqf jordanien[,] pour sauvegarder la
Vieille ville de Jérusalem et les deux côtés de ses remparts ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Regrette en outre les dégâts infligés par Israël aux frontons historiques en
céramique des portes principales du Dôme du Rocher et les dégâts aux portes et fenêtres
historiques de la mosquée Qibli à l’intérieur du complexe d’Al-Aqsa / Al-Haram Al-
Sharif, ainsi que [les] dégâts sur les vestiges omeyyades, ottomans et mamelouks sur le
site de la Rampe d’accès à la Porte des Maghrébins[,] et réaffirme, à cet égard, la
nécessité de respecter et de sauvegarder l’intégrité, l’authenticité et le patrimoine
culturel de la mosquée Al-Aqsa / Al-Haram Al-Sharif, tel que mentionné dans le Status
Quo, en tant que lieu saint musulman de culte et en tant que partie intégrante d’un site
du patrimoine mondial ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Exprime sa préoccupation croissante au sujet des démolitions archéologiques
continues, intrusives[,] et des fouilles dans et autour de la rampe d’accès à la Porte des
Maghrébins, les derniers travaux de fouilles en date menés début mai 2015 sur le Mur
occidental de la mosquée Al-Aqsa/Al-Haram Al-Sharif, et demande à Israël d’arrêter
ces démolitions et fouilles archéologiques intrusives, de respecter le “Status Quo” et de
permettre aux experts jordaniens du Waqf, qui font partie des autorités compétentes, de
maintenir et sauvegarder le site conformément aux dispositions pertinentes des
Conventions et Recommandations de l’UNESCO[.] »
Par ailleurs, cela fait longtemps que l’accès aux lieux de culte et aux Lieux saints, leur
protection, ainsi que les fouilles sous et autour de la mosquée al-Aqsa, suscitent des préoccupations
et font l’objet de recommandations de plusieurs organes créés en vertu d’instruments relatifs aux
droits de l’homme des Nations Unies.
- 10 -
III. CONCLUSIONS
La portée des résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies relatives
au conflit israélo-palestinien et au statut de Jérusalem est bien évidemment plus large que le point
sur lequel porte le présent exposé. Les mesures israéliennes visant à modifier la composition
démographique, le caractère et le statut du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, se
traduisent notamment par la construction et l’expansion de colonies, le transfert de colons israéliens,
la confiscation de terres, la destruction d’habitations et le déplacement de civils palestiniens,
emportant violation du droit international et des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et
du Conseil de sécurité.
Ces questions étant largement couvertes dans les résolutions de l’Organisation des
Nations Unies, ainsi que dans les déclarations faites par des États Membres, des États ayant qualité
d’observateurs permanents et des organisations internationales, la Türkiye fait ici le choix de
renvoyer à ces résolutions et déclarations pour éviter des répétitions ; elle se bornera à réaffirmer que
les lois et mesures unilatérales visant à modifier le statut et le caractère du Territoire palestinien
occupé, y compris Jérusalem-Est, emportent violation du droit international et doivent être rapportées
inconditionnellement et immédiatement.
À la lumière de ce qui précède, et rappelant les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale
et du Conseil de sécurité, la République de Türkiye prie respectueusement la Cour internationale de
Justice de déclarer que les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y
compris Jérusalem-Est, sont illicites au regard du droit international. Israël devrait rétablir de manière
permanente le statu quo historique sur les Lieux saints de Jérusalem.
La République de Türkiye réaffirme son ferme soutien à une solution négociée à deux États
fondée sur les résolutions de l’Organisation des Nations Unies et à la création, sur la base des
frontières antérieures au 5 juin 1967, d’un État de Palestine indépendant, souverain et d’un seul
tenant ayant comme capitale Jérusalem-Est.
Au nom de la République de Türkiye,
la ministre-conseillère et chargée d’affaires a.i.
de l’ambassade de la République de Türkiye
au Royaume des Pays-Bas,
(Signé) Pınar Gülün KAYSERI.
___________

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Exposé écrit de la Türkiye

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