Observations écrites du Pakistan

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186-20231102-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18896
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DU PAKISTAN
25 octobre 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Les présentes observations écrites sont déposées par la République islamique du Pakistan conformément à l’ordonnance rendue le 3 février 2023 par la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour »).
2. Le Pakistan estime que, au vu des activités militaires actuellement menées par Israël à Gaza et de la crise humanitaire que subit le peuple palestinien, il est d’autant plus nécessaire que la Cour donne un avis consultatif.
3. Dans la partie II, le Pakistan examine trois points concernant la question a) de la demande d’avis consultatif :
a) La section A porte sur les conséquences juridiques, en jus ad bellum, de l’occupation prolongée du territoire par Israël, comportement qui équivaut à une annexion (c’est-à-dire une tentative d’acquisition de territoire par la force), et de la tentative d’acquisition de territoire par le déni du droit à l’autodétermination.
b) À la section B, il est expliqué que l’élément moral de l’interdiction de l’apartheid requiert l’existence d’un but spécifique, qui est à distinguer de la condition de l’intention spécifique (dolus specialis) prévue à l’article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
c) La section C donne un aperçu des obligations de permettre l’accès aux Lieux saints de Jérusalem et d’en assurer la préservation, qui incombent à Israël. Le Pakistan, qui abrite la deuxième plus grande communauté musulmane du monde, considère qu’il s’agit là d’un point important.
4. Dans la partie III, le Pakistan traite de deux points concernant la question b) de la ladite demande :
a) À la section A, il est montré qu’Israël ne saurait être admis à profiter de ses propres torts en adoptant et mettant en oeuvre des politiques et pratiques d’occupation prolongée contraires aux normes impératives du droit international général (à savoir l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, le déni du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ainsi que l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid), aux principes fondamentaux du droit de l’occupation et aux obligations lui incombant en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme. Par conséquent, Israël ne peut se prévaloir des libertés accordées à toute puissance occupante par le droit de l’occupation.
b) À la section B, il est expliqué que, à titre de conséquence juridique, tous les États ont une obligation, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé, de ne pas reconnaître le soi-disant exercice par Israël des libertés conférées aux puissances occupantes par le droit de l’occupation, ainsi qu’une obligation de ne pas l’aider ou l’assister dans ledit exercice de ces libertés.
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II. QUESTION a)
A. Conséquences juridiques en jus ad bellum de l’occupation et de l’annexion prolongées du territoire par Israël
5. Par la question a), la Cour est priée de donner un avis sur les « conséquences juridiques » découlant de « [l’]occupation, [l]a colonisation et [l’]annexion prolongées [par Israël] du territoire palestinien occupé depuis 1967 ».
6. Le Pakistan estime que l’« annexion » implique une tentative d’acquisition par la force de territoire pouvant notamment se trouver sous le contrôle établi pacifiquement d’un autre État1. L’interdiction de la menace ou de l’usage de la force consacrée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies a pour corollaire, en droit international coutumier, l’interdiction de l’annexion d’un territoire2.
7. Le Pakistan considère aussi que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a le statut de norme impérative du droit international général, comme l’a relevé la Commission du droit international3. Il s’ensuit que le droit international prévoit l’interdiction absolue de toute tentative d’acquisition de territoire, dont celui se trouvant sous le contrôle établi pacifiquement d’un autre État, par le déni du droit à l’autodétermination du peuple vivant sur ce territoire.
8. Pour se prononcer sur les conséquences juridiques de la tentative d’annexion par Israël du Territoire palestinien occupé, la Cour devra déterminer si les politiques et pratiques israéliennes d’occupation prolongée entraînent une violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte4.
9. Cette approche est conforme à celle adoptée par la Cour dans son avis consultatif de 2004 :
a) La Cour s’est exprimée en ces termes :
« la construction du mur et le régime qui lui est associé créent sur le terrain un “fait accompli” qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto »5.
b) À cet égard, la Cour s’est demandé si de telles actions pouvaient être justifiées en tant que mesures prises dans l’exercice de la légitime défense en vertu de l’article 51 de la Charte des
1 Voir exposé écrit du Japon, par. 14 : « outre les territoires situés à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’un autre État, ceux qui sont placés sous le contrôle établi pacifiquement d’un autre État ne peuvent pas non plus faire l’objet de tentatives d’acquisition par la force », renvoyant à Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, sentence partielle, Jus ad Bellum — Réclamations de l’Éthiopie 1-8 (2005), Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVI, p. 465, par. 10-16.
2 Conséquences juridiques de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.1.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 87 (ci-après, « avis consultatif sur le mur »).
3 Commission du droit international, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs (2022), vol. II, Annuaire de la Commission du droit international, deuxième partie, projet de conclusion 23 et par. 14) du commentaire, lu conjointement avec le paragraphe h) de l’annexe.
4 Voir, de même, exposé écrit de la Suisse, par. 51 : « Dans ce cadre, il serait opportun que la Cour se prononce sur les conséquences du caractère permanent des mesures prises par Israël dans le Territoire palestinien occupé quant au statut de l’occupation au regard du droit international général, en particulier de la Charte des Nations Unies. »
5 Avis consultatif sur le mur, p. 184, par. 121.
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Nations Unies
6. Cela revenait à reconnaître implicitement que, autrement, l’annexion de facto emporterait violation de l’interdiction de l’emploi de la force énoncée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte7.
10. La position du Pakistan consiste à dire que l’occupation prolongée par Israël du Territoire palestinien occupé crée sur le terrain une situation permanente qui équivaut à une annexion de facto. Dans le rapport qu’elle a soumis à l’Assemblée générale en 2022, la Commission internationale indépendante des Nations Unies chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël (ci-après, la « Commission d’enquête internationale indépendante ») a conclu ce qui suit :
« Israël considère l’occupation comme une situation permanente et … a  à toutes fins utiles  annexé des parties de la Cisjordanie … Israël a pris des mesures qui sont constitutives d’une annexion de facto, à savoir notamment : l’expropriation de terres et de ressources naturelles, l’établissement de colonies et d’avant-postes, l’application aux Palestiniens d’un régime d’aménagement et de construction restrictif et discriminatoire et l’application extraterritoriale de la législation israélienne aux colons israéliens en Cisjordanie. »8
11. Le Pakistan considère que l’annexion de facto par Israël du Territoire palestinien occupé ne peut être justifiée en tant qu’exercice du droit de légitime défense en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, et ce, notamment, parce que les politiques et pratiques israéliennes d’occupation prolongée constitutives de violations du droit de l’occupation et, à titre plus général, du droit international humanitaire, mais aussi du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ne peuvent être qualifiées de nécessaires et proportionnées. Israël enfreint par conséquent l’interdiction du recours à la force consacrée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte9.
B. Élément moral de l’interdiction de l’apartheid
12. Le Pakistan estime qu’il faut donner au terme « apartheid », qui figure dans le préambule et à l’article 3 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la « CIEDR »), le même sens que celui qu’il revêt dans la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (ci-après la « convention contre l’apartheid »10. La Cour a, par le passé, interprété la CIEDR en se référant à d’autres conventions
6 Avis consultatif sur le mur, p. 194, par. 138-139.
7 La Cour a aussi conclu qu’Israël manquait à diverses obligations prévues par le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire. À la différence de l’interdiction de l’annexion, cependant, aucun de ces manquements n’était susceptible, en principe, d’être justifié par l’application de l’article 51 de la Charte. La légitime défense au sens de cet article ne peut servir, par exemple, de circonstance excluant l’illicéité de graves violations du droit international humanitaire.
8 Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. A/77/328, 14 septembre 2022, par. 76. Voir également Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/126 du 15 décembre 2022, doc. A/RES/77/126, par. 7.
9 Voir Nations Unies, rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. A/77/356, 21 septembre 2022, par. 10 b) : « [L]’occupation israélienne constitue [] un emploi injustifié de la force et un acte d’agression. »
10 Le préambule de la CIEDR se lit comme suit : « Alarmés par les manifestations de discrimination raciale qui existent encore dans certaines régions du monde et par les politiques gouvernementales fondées sur la supériorité ou la haine raciale, telles que les politiques d’apartheid, de ségrégation ou de séparation ». Son article 3 dispose ce qui suit : « Les États parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature. »
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conclues à peu près à la même époque
11. En l’occurrence, le renvoi exprès, dans le préambule de la convention contre l’apartheid, à l’interdiction de l’apartheid consacrée par la CIEDR montre que les rédacteurs du premier instrument considéraient que les deux conventions se renforçaient mutuellement.
13. L’article II de la convention contre l’apartheid définit le crime d’« apartheid » comme impliquant la perpétration de l’un quelconque des « actes inhumains [visés] … commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ».
14. L’article II dispose que ces actes inhumains doivent avoir été commis « en vue d’ » instituer un régime de discrimination et d’oppression raciales :
a) Ainsi qu’il ressort du sens ordinaire à attribuer au terme « en vue d[e] », qui n’est assorti d’aucune condition ou réserve, il n’est pas nécessaire que l’acte inhumain en question ait pour but « unique » ou « principal » d’instituer et de maintenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur tout autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci.
b) S’ils avaient eu l’intention d’imposer une condition aussi stricte, les rédacteurs de la convention contre l’apartheid l’auraient fait expressément. Dans la logique de l’absence d’une telle condition, l’article III de cet instrument prévoit que les actes illicites visés, « quel que soit le mobile », engagent la responsabilité pénale sur le plan international.
15. Un État enfreint l’interdiction de l’apartheid prévue à l’article 3 de la CIEDR lorsqu’il commet des actes inhumains dans le but de se servir de la domination raciale et de l’oppression systématique comme d’un outil pour atteindre un autre objectif, tel que l’instauration ou le maintien de sa propre sécurité ou de son contrôle sur un territoire occupé. L’existence d’un but supplémentaire ou ultime d’acquisition de territoire n’empêche pas les actes inhumains entrepris à cette fin de constituer des violations de cet article12.
a) L’interprétation du terme « en vue d[e] » figurant à l’article II de la convention contre l’apartheid comme n’étant pas limité à un but unique ou principal concorde avec l’interprétation consacrée d’autres infractions qui doivent avoir été commises dans un but spécifique pour être constituées. La Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a ainsi déclaré que, « [s]i l’un des buts prohibés est atteint à travers le comportement en question, il importe peu que ce comportement visait également à atteindre un but non énuméré dans la définition »13. Il en résulte qu’« [i]l n’est pas nécessaire que le but défendu soit le but unique ou principal que l’auteur vise par son acte ou son omission »14.
b) De surcroît, interpréter le terme « en vue d[e] » figurant à l’article II de la convention contre l’apartheid comme étant limité à un but unique ou principal enlèverait à l’interdiction de
11 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 29.
12 Voir également M. Jackson, “The Definition of Apartheid in Customary International Law and the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination” (2022), International & Comparative Law Quarterly, vol. 71, p. 831, 848.
13 Voir, par exemple, en ce qui concerne l’élément intentionnel spécifique de l’infraction de torture, TPIY, Chambre d’appel, Le Procureur c. Kunarac et consorts, IT-96-23 et IT-96-23/1-A, arrêt, 12 juin 2002, par. 155.
14 Le Procureur c. Limaj et consorts, IT-03-66-T, jugement, 30 novembre 2005, par. 239.
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l’apartheid une bonne partie de sa force
15 et pourrait conduire à des résultats déraisonnables, puisqu’un État aurait toujours la possibilité de faire valoir qu’il n’a pas commis les actes illicites en cause dans l’unique ou principal but de dominer et d’opprimer un groupe.
16. Le but de domination et d’oppression peut être déduit des faits et de leurs circonstances, notamment de la ligne de conduite suivie par l’État à l’égard d’un groupe racial. C’est ce que reflètent les positions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, qui a estimé dans ses observations finales que l’occupation israélienne présentait des « caractéristiques de l’apartheid »16 et celles du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, qui a conclu qu’« Israël a[vait] imposé à la Palestine la réalité d’un apartheid dans un monde de l’après-apartheid »17.
17. La condition du but « en vue d[uquel] » des actes sont commis, qui est prévue à l’article II de la convention contre l’apartheid, est à distinguer de la mention expresse de la condition de l’intention spécifique (dolus specialis) à l’article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention contre le génocide ») : « Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
18. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), la Cour a expliqué que l’article II de la convention contre le génocide :
« exige[ait] que [fût] établie l’“intention de détruire, en tout ou en partie, [le] groupe [protégé] ..., comme tel” … Il fa[llai]t aussi établir une intention supplémentaire, laquelle [était] définie de manière très précise. Elle [était] souvent qualifiée d’intention particulière ou spécifique, ou dolus specialis … Il ne suffi[sai]t pas que les membres du groupe [fussent] pris pour cible en raison de leur appartenance à ce groupe, c’est-à-dire en raison de l’intention discriminatoire de l’auteur de l’acte. Il fa[llai]t en outre que les actes visés à l’article II [fussent] accomplis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Les termes “comme tel” soulign[ai]ent cette intention de détruire le groupe protégé. »18
19. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), la Cour a rappelé qu’elle était précédemment parvenue à la conclusion suivante : « l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux
15 La Cour a conclu que le principe de l’effet utile était « l’un des principes fondamentaux d’interprétation des traités, constamment admis dans la jurisprudence internationale ». Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 25, par. 51.
16 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19 (https://undocs.org/CERD/C/ISR/CO/17-19), par. 22. Voir également exposé écrit de la Palestine, par. 4.10.
17 Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, 12 août 2022, doc. A/HRC/49/87 (https://undocs.org/A/HRC/49/87), par. 52–56. Voir également rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, 30 août 2010, doc. A/65/331 (https://undocs.org/A/65/331), par. 3 et 5 ; et rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, 13 janvier 2014, doc. A/HRC/25/67 (https://undocs.org/A/HRC/25/67), par. 71, 77-78.
18 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121, par. 187.
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comme tel est spécifique au génocide, et le distingue d’autres crimes qui lui sont apparentés comme les crimes contre l’humanité et la persécution »
19.
20. La condition de l’intention spécifique énoncée à l’article II de la convention contre le génocide est à « distinguer … d’autres raisons ou mobiles que pourrait avoir l’auteur » et, dans le cas précis du génocide, « [i]l faut prendre le plus grand soin pour conclure, à partir des faits, à une manifestation suffisamment claire de cette intention »20. Par conséquent, la Cour a statué que « pour déduire l’existence d’un dolus specialis d’une ligne de conduite, il faut et il suffit que cette conclusion soit la seule qui puisse raisonnablement se déduire des actes en cause »21. Ce raisonnement ne doit pas être transposé au contexte de l’apartheid, qui ne comporte pas la condition de l’intention spécifique.
C. Les obligations incombant à Israël de permettre l’accès aux Lieux saints de Jérusalem et de préserver ces lieux
21. Israël a d’importantes obligations juridiques à l’égard des lieux saints chrétiens, juifs et musulmans de Jérusalem22. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné en 2004, la Cour a indiqué en termes généraux qu’Israël « d[eva]it assurer la liberté d’accès aux Lieux saints passés sous son contrôle à la suite du conflit de 1967 »23. Ces obligations recouvrent a) conformément au « statu quo historique », la garantie d’un accès libre aux Lieux saints et de l’exercice sans entrave du droit de culte en ces lieux ; et b) en application du droit de l’occupation, la garantie de la préservation desdits Lieux saints.
a) Le statu quo historique
22. En 1948, le Conseil de sécurité invitait instamment
« tous gouvernements et autorités intéressés à prendre toutes les précautions possibles pour la protection des Lieux saints et de la ville de Jérusalem, et à permettre notamment
19 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 64, par. 139. Voir également p. 62, par. 132, où il est dit que la condition de l’intention spécifique exigée pour le constituer est « la composante propre du génocide, qui le distingue d’autres crimes graves ». Voir également M. Forteau, A. Miron et A. Pellet, « Droit international public » (neuvième édition, L.G.D.J., 2022), p. 1000 : « [p]rogressivement, le génocide s’est donc détaché du crime contre l’humanité pour constituer une catégorie autonome. Sa spécificité tient à son dolus specialis ».
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121, par. 189.
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 64, par. 148.
22 Ces Lieux saints sont les suivants : édifices chrétiens — la basilique du Saint-Sépulcre (y compris les stations I à IX du chemin de croix) ; Béthanie ; le Cénacle ; l’église de Sainte-Anne ; l’église de Saint-Jacques-le-Majeur ; l’église de Saint-Marc ; le Deir al Sultan ; le tombeau de la Vierge et les jardins de Gethsémani ; la maison de Caïphe et la Prison du Christ ; le sanctuaire de l’Ascension et le Mont des Oliviers ; la piscine de Bethesda ; Aïn Karim ; la basilique de la Nativité ; la Grotte du lait ; le Champ des bergers ; édifices musulmans — le tombeau de Lazare ; le Bourak al-Charif ; le Haram al-Charif (mosquées Omar et Al-Aqsa) ; la mosquée de l’Ascension ; le tombeau de David (Nabi Daoud) ; édifices juifs — le tombeau d’Absalom ; les synagogues anciennes et modernes ; le Bain du Rabbin Ismaël ; la piscine de Siloé ; le cimetière du Mont des Oliviers ; le tombeau de David ; le tombeau de Simon le Juste ; le tombeau de Zacharie et autres tombeaux situés dans la Vallée du Cédron ; le Mur des lamentations et le tombeau de Rachel. Voir la partie centrale du secteur de Jérusalem : Lieux saints principaux, carte no 229, novembre 1949 (https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-205535/) ; E. Lauterpacht, Jerusalem and the Holy Places (Anglo-Israel Association 1968), p. 5.
23 Avis consultatif sur le mur, p. 197, par. 149.
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l’accès à tous les sanctuaires et Lieux saints à ceux qui ont le droit reconnu de les visiter pour y pratiquer leur culte »
24.
23. Israël est tenu de respecter certaines « garanties particulières d’accès dans le cas des Lieux saints chrétiens, juifs et musulmans »25. Ces garanties, qui datent du XVIIIe siècle, forment ce que l’on appelle le statu quo historique26. Un premier exemple, datant de la période ottomane, est le traité de Berlin du 13 juillet 1878 pour le règlement des questions soulevées en Orient27, dont l’article 6[2] dispose qu’« aucune atteinte ne saurait être portée au statu quo dans les Lieux saints »28.
24. Le mandat pour la Palestine donné au Gouvernement britannique prévoyait de la même façon, en son article 13, ce qui suit :
« Tout en maintenant l’ordre et la bienséance publics, le Mandataire assume toute responsabilité au sujet des Lieux saints, des édifices et des sites religieux en Palestine, y compris celle de préserver les droits existants, d’assurer le libre accès des Lieux saints, des édifices et des sites religieux, et le libre exercice du culte. »29
25. Le mandat prévoyait aussi que le mandataire n’était nullement autorisé « à toucher aux immeubles ou à intervenir dans l’administration des sanctuaires purement musulmans »30.
26. En signant une convention d’armistice général, Israël et la Jordanie s’engagèrent en 1949 à assurer la liberté d’accès aux Lieux saints31. Cet engagement d’Israël « est demeuré valable pour les Lieux saints passés sous son contrôle en 1967 »32. Il fut ensuite confirmé par ces deux États signataires du traité de paix conclu en 1994 que « chaque Partie assurera[it] la liberté d’accès aux lieux d’intérêt historique et religieux »33.
27. Depuis la guerre de 1967, l’Organisation des Nations Unies (ONU) n’a cessé de rappeler l’importance du respect dû par Israël au statu quo historique. Elle l’a notamment soulignée aux occasions suivantes :
a) Le 4 juillet 1967, l’Assemblée générale a adopté la résolution 2253 (ES-V), dont le texte avait été proposé par le Pakistan. Par cette résolution, elle se disait « [p]rofondément préoccupée par
24 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 50 du 29 mai 1948, doc. S/RES/50 (1948) ; voir également résolution 54 du 15 juillet 1948, doc. S/RES/54 (1948).
25 Avis consultatif sur le mur, p. 188, par. 129.
26 Le statu quo historique est parfois appelé le « statu quo de 1757 » : Annuaire des Nations Unies, 1950, p. 335 ; E. Lauterpacht, “Jerusalem and the Holy Places” (Anglo-Israel Association 1968), p. 28.
27 Traité de Berlin du 13 juillet 1878, Consolidated Treaty Series, vol. 153, p. 171.
28 Avis consultatif sur le mur, p. 188, par. 129 ; voir exposé écrit de la Jordanie, partie II, par. 39 ; exposé écrit de la Türkiye, p. 4-5.
29 Mandat pour la Palestine, 24 juillet 1922, Société des Nations, Commission des mandats permanents, no officiel C.P.M. 466 — C.529.M.314.1922.VI — C.667.M.396.1992.VI.
30 Ibid.
31 Convention générale d’armistice entre le Royaume hachémite de Jordanie et Israël, 3 avril 1949, Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 42, p. 303, art. 8 ; voir exposé écrit des Émirats arabes unis, par. 29.
32 Avis consultatif sur le mur, p. 188, par. 129.
33 Traité de paix entre l’État d’Israël et le Royaume hachémite de Jordanie, 26 octobre 1994, RTNU, vol. 2042, p. 393, art. 9, al. 1).
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la situation qui exist[ait] à Jérusalem du fait des mesures prises par Israël pour modifier le statut de la ville »
34. Elle a appelé depuis lors à ce « que le statu quo historique soit respecté en paroles et en pratique dans les Lieux saints à Jérusalem »35.
b) Le Conseil de sécurité, s’exprimant sur le fondement d’un consensus entre ses membres dans une déclaration faite par sa présidente36, a appelé à « maintenir inchangé le statu quo historique sur les lieux saints à Jérusalem en paroles et en pratique »37. À ce propos, le Pakistan rappelle que le principe de la bonne foi préside à « l’exécution d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source »38 ; ce principe met Israël dans l’obligation de s’acquitter de ses obligations juridiques conformément au statu quo historique « de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint »39.
28. Ainsi qu’il ressort clairement des textes cités ci-dessus, l’objectif principal, depuis de nombreuses années et pour diverses puissances, est de parvenir à une solution permanente en ce qui concerne les Lieux saints de Jérusalem. Dans un contexte où, au fil de l’histoire, ces lieux ont été placés sous le contrôle de diverses puissances, il a été nécessaire d’énoncer un ensemble de règles présentant « un caractère de permanence particulièrement marqué »40. Le statu quo historique est un régime qui est précisément caractérisé par cette permanence. Bien qu’il ait été établi par un système d’engagements dans lequel un traité s’appuierait sur l’autre, il a acquis « une permanence que le traité lui-même ne connaît pas nécessairement et … la persistance de ce régime ne dépend pas de la survie du traité par lequel ledit régime a été convenu »41. Le fait que ce statu quo constitue un régime objectif de cet ordre signifie que « chaque État intéressé est en droit de réclamer qu[e] [ce régime] soi[]t respecté[] »42. Il s’ensuit également que tout État ayant actuellement ou à l’avenir le contrôle des Lieux saints de Jérusalem doit s’y conformer43.
29. Or, Israël n’a pas respecté le statu quo historique44.
34 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2253 (ES-V) du 4 juillet 1967, préambule, par. 2.
35 Ibid., résolution 76/12 du 6 décembre 2021, doc. A/RES/76/12, par. 4 ; voir également ibid., résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247, préambule.
36 Les déclarations du président ou de la présidente « doivent avoir fait l’objet d’un consensus au sein du Conseil ». Voir M. Wood et E. Sthoeger, “The UN Security Council and International Law” (Cambridge University Press, 2022), p. 55 ; voir également exposé écrit des Émirats arabes unis, par. 31.
37 Nations Unies, Conseil de sécurité, déclaration de sa présidente en date du 20 février 2023, doc. S/PRST/2023/1, par. 10 ; voir exposé écrit de la Palestine, par. 3.143 ; exposé écrit de la France, par. 77.
38 Essais nucléaires (Australie c France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46.
39 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
40 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 243, par. 68.
41 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 861, par. 89.
42 Îles d’Aland (1920), Société des Nations, Journal officiel, supplément spécial no 3, p. 15, 19.
43 Ibid.
44 Voir exposé écrit des Émirats arabes unis, par. 33–34; exposé écrit de la Jordanie, partie 2 ; exposé écrit du Qatar, par. 2.225–2.230 et 3.79 ; exposé écrit de la Türkiye, p. 3 et 7–12 ; exposé écrit de la Ligue des États arabes, par. 81 ; exposé écrit de la Palestine, par. 3.134 ; exposé écrit de l’Égypte, par. 275–276 ; exposé écrit de l’Arabie saoudite, par. 63 ; exposé écrit de l’Espagne, par. 7.1 ; exposé écrit du Koweït, par. 12.
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b) Obligations en droit de l’occupation
30. Israël a également, en vertu du droit de l’occupation, des obligations en ce qui concerne les Lieux saints.
31. Premièrement, en application de l’article 43 du règlement de La Haye, il incombe à Israël de prendre toutes les mesures qui dépendent de lui « en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays ». Les lois en vigueur avant l’occupation israélienne en 1967, qui étaient celles du Royaume hachémite de Jordanie45, accordaient aux fidèles musulmans une liberté d’accès au Haram Al-Charif et à d’autres lieux saints musulmans et leur permettaient d’y exercer leur droit de culte sans entrave46.
32. Deuxièmement, Israël a également des obligations découlant de la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé47, à laquelle il est partie :
a) Conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de cet instrument, les États parties sont tenus de respecter les biens culturels situés tant sur leur propre territoire que sur celui des autres États parties « en s’interdisant l’utilisation de ces biens, celle de leurs dispositifs de protection et celle de leurs abords immédiats à des fins qui pourraient exposer ces biens à une destruction ou à une détérioration en cas de conflit armé, et en s’abstenant de tout acte d’hostilité à leur égard ».
b) Le paragraphe 3 de l’article 4 dispose que les États parties « s’engagent en outre à interdire, à prévenir et, au besoin, à faire cesser tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens culturels, pratiqué sous quelque forme que ce soit, ainsi que tout acte de vandalisme à l’égard desdits biens ».
c) Aux termes du paragraphe 1 de l’article 5,
« [l]es Hautes Parties contractantes occupant totalement ou partiellement le territoire d’une autre Haute Partie contractante doivent, dans la mesure du possible, soutenir les efforts des autorités nationales compétentes du territoire occupé à l’effet d’assurer la sauvegarde et la conservation de ses biens culturels ».
33. Troisièmement, la destruction délibérée de monuments historiques est prohibée par l’article 56 du règlement de La Haye48. L’article 53 de la quatrième convention de Genève interdit en outre « à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’État ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives », à l’exception des cas où « ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires »49.
45 V. Kattan, “The Special Role of the Hashemite Kingdom of Jordan in the Muslim Holy Shrines in Jerusalem”, Arab Law Quarterly (2021), vol. 35, p. 503, 520 et 532–533.
46 Voir, d’une manière générale, M. Benvenisti, Jerusalem: The Torn City (University of Minnesota Press, 1976), p. 277–304.
47 Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et règlement d’exécution de ladite convention, 14 mai 1954, RTNU, vol. 249, p. 215.
48 Front central — Réclamations de l’Érythrée nos 2, 4, 6, 7, 8 et 22 (2004), vol. 26, RSA, p. 149–50, par. 113.
49 Ibid.
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34. Israël n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe d’assurer la préservation des Lieux saints50.
III. QUESTION b)
A. Israël ne saurait être admis à profiter de ses propres torts
35. Dans son avis consultatif de 2004, la Cour a estimé que les territoires situés entre la Ligne verte et l’ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat
« ont été occupés par Israël en 1967 au cours du conflit armé ayant opposé Israël à la Jordanie. Selon le droit international coutumier, il s’agissait donc de territoires occupés dans lesquels Israël avait la qualité de puissance occupante. Les événements survenus depuis lors dans ces territoires … n’ont rien changé à cette situation. L’ensemble de ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante. »t51
36. Depuis 2004, cette situation demeure inchangée. Le Territoire palestinien occupé se trouve toujours sous occupation israélienne et cet état de fait, que l’occupation soit illicite ou non en droit international, produit des effets juridiques directs entraînant le maintien des obligations qui s’imposent à Israël en application du droit de l’occupation et plus généralement du droit international humanitaire, ainsi que du droit international des droits de l’homme.
37. La question b) formulée dans la demande d’avis consultatif prie la Cour de déterminer quelle incidence « les politiques et pratiques d’Israël visées [à] » la question a) ont « sur le statut juridique de l’occupation ». Un large consensus se dégage des exposés écrits présentés en l’espèce pour considérer que l’occupation prolongée par Israël du Territoire palestinien occupé constitue un acte internationalement illicite. En bref, cette occupation est qualifiée d’« occupation illicite » dans de nombreux exposés écrits52.
38. Dans les exposés susmentionnés53, il est convenu dans une large mesure que le maintien de l’occupation du Territoire palestinien occupé depuis 1967 entraîne la poursuite des actes suivants :
a) l’annexion de ce territoire à laquelle prétend Israël (c’est-à-dire son acquisition par la force), en violation d’une norme impérative du droit international général ;
b) le déni par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, en violation d’une norme impérative du droit international général ;
50 Exposé écrit de la Jordanie, par. 219–258 ; exposé écrit de la Palestine, par. 3.137 ; exposé écrit de l’Organisation de la coopération islamique, par. 393 ; exposé écrit des Émirats arabes unis, par. 34.
51 Avis consultatif sur le mur, p. 167, par. 78.
52 Voir notamment, exposé écrit du Bangladesh, par. 17-18 ; exposé écrit du Qatar, par. 5.1 ; exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 143 ; exposé écrit du Chili, par. 120 ; exposé écrit du Belize, par. 3 ; exposé écrit du Koweït, par. 32 ; exposé écrit de Maurice, par. 23 ; exposé écrit de l’Organisation de la coopération islamique, par. 279.
53 Voir notamment exposé écrit de la Palestine, « conclusions » ; exposé écrit de la Jordanie, passim ; exposé écrit de la Namibie, par. 151 ; exposé écrit de la Ligue des États arabes, par. 76 ; exposé écrit de l’Égypte, par. 326 ; exposé écrit de l’Arabie saoudite, passim ; exposé écrit du Qatar, par. 7.1 ; exposé écrit de l’Union africaine, par. 266 ; exposé écrit de l’Afrique du Sud, passim ; exposé écrit du Koweït, passim ; exposé écrit du Sénégal, passim ; exposé écrit de Djibouti, passim.
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c) la discrimination raciale et l’apartheid mis en oeuvre par Israël, en violation d’une norme impérative du droit international général ;
d) l’adoption et l’application par Israël d’une politique visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem ; et
e) l’adoption et l’application par Israël d’une politique fondée sur des lois et mesures discriminatoires.
39. En ce qui concerne l’incidence de cette illicéité sur le statut juridique de l’occupation israélienne, deux points de vue différents sont ici soumis à l’attention de la Cour.
40. En premier lieu, la position de la Palestine consiste à dire que, au vu des politiques et pratiques qui la caractérisent, « l’occupation par Israël du Territoire palestinien occupé est en soi illicite, ce qui fait de la présence persistante d’Israël dans ce territoire un fait internationalement illicite, celle-ci constituant une grave violation d’au moins trois normes impératives du droit international général »54, à savoir : a) l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force ; b) l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid ; et c) l’obligation de respecter le droit du peuple palestinien de disposer de lui-même. La Palestine en tire la conclusion suivante :
« Puisque l’occupation prolongée du Territoire palestinien occupé à laquelle Israël se livre depuis 56 ans est indissociable des graves violations des normes impératives du droit international général insusceptibles de dérogation qu’Israël commet et que sa structure et son existence reposent sur ces violations, l’occupation elle-même doit être considérée comme illicite et entraîner toutes les conséquences juridiques pertinentes qui s’y rattachent en droit de la responsabilité internationale. Il en découle que l’occupation doit cesser de manière “immédiate, inconditionnelle et totale”. »55
41. En second lieu, la Jordanie affirme, pour sa part, que le caractère internationalement illicite de l’occupation prolongée par Israël du Territoire palestinien occupé découle du droit de l’occupation. Elle soutient que l’occupation israélienne est illicite dans son ensemble car ses « politiques et pratiques contreviennent de la manière la plus fondamentale aux principes élémentaires du droit international moderne de l’occupation », à savoir : a) la nature temporaire de l’occupation ; b) l’interdiction de l’acquisition de la souveraineté sur le territoire occupé par la force, notamment par annexion ; et c) le devoir de respecter le droit à l’autodétermination du peuple vivant dans le territoire occupé, ainsi que leurs droits de l’homme applicables56. La Jordanie parvient ainsi à la conclusion suivante :
« l’occupation israélienne du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, se traduit non seulement par des violations systématiques de plusieurs règles de droit international, notamment des normes de jus cogens, mais est aussi contraire aux principes fondamentaux du droit de l’occupation et, partant, est illicite dans son ensemble. L’occupation s’est muée en instrument de répression du droit du peuple
54 Exposé écrit de la Palestine, par. 6.4.
55 Ibid., par. 6.19.
56 Exposé écrit de la Jordanie, par. 5.6.
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palestinien à l’autodétermination, devenant impossible à distinguer de régimes illicites tels que la domination coloniale ou l’apartheid. »
57
42. Le Pakistan considère que, pour traiter la question des conséquences des politiques et pratiques illicites d’Israël, le principe fondamental de droit international, ainsi que de nombreux systèmes de droit internes, selon lequel nul ne saurait être admis à profiter de ses propres torts (nullus commodum capere de sua injuria propria), a un rôle important à jouer, tant pour déterminer l’incidence que les actes illicites d’Israël ont sur le statut juridique de son occupation prolongée que pour déterminer les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États58.
43. S’il sont sans doute davantage connus dans le contexte des relations conventionnelles et de l’estoppel, les cas précis où la Cour a appliqué le principe selon lequel nul ne saurait être admis à profiter de ses propres torts ne sont que des exemples illustrant ce principe général et n’en constituent pas les limites. Ainsi que l’a expliqué Sir Gerald Fitzmaurice :
« Selon le principe général, l’État ne saurait être admis à profiter de ses propres torts … et, de même, des droits et avantages ne peuvent découler de faits illicites. Cela ne laisse pas de place au doute. Il s’agit d’un large principe général qui a de nombreuses applications diverses en droit international. … [B]ien évidemment, ces principes ne s’appliquent pas uniquement aux obligations conventionnelles mais aussi à celles qui relèvent du droit international général. »59
44. L’interdiction de l’acquisition de territoire par la force ou par le déni du droit à l’autodétermination est une autre application du principe selon lequel l’État ne saurait être admis à profiter de ses propres torts, qui consistent en l’espèce en la violation d’une norme impérative du droit international général.
45. Depuis 1967, les organes de l’ONU demandent à Israël de mettre fin à son occupation du Territoire palestinien occupé. Dans sa résolution 242 (1967), adoptée à l’unanimité, le Conseil de sécurité a appelé au « [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit » et à la
« [c]essation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ».
57 Exposé écrit de la Jordanie, par. 5.13.
58 Il est à noter que cette maxime a été invoquée par Israël lui-même dans le contexte de l’avis consultatif donné en 2004, dans lequel la Cour a relevé que la position israélienne consistait à considérer ce principe « comme aussi pertinent[] dans une procédure consultative que dans une affaire contentieuse ». Voir avis consultatif sur le mur, p. 163, par. 63.
59 G. Fitzmaurice, “The General Principles of International Law Considered from the Standpoint of the Rule of Law” (1957), vol. 92, Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, p. 117-118. Voir également H. Lauterpacht (1937), vol. 62, Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, « Règles générales du droit de la paix », p. 184 : « Lorsque la Cour permanente de Justice internationale appliqua le principe … selon lequel nul ne saurait être admis à profiter de ses propres torts, elle appliqua un principe équitable, qui est devenu un principe général de droit reconnu par les États civilisés. »
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Cette résolution a été réaffirmée à maintes reprises au fil des années et continue de refléter la position du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale60. Dans la continuité de cette position, ainsi que l’a souligné la Cour dans son avis consultatif donné en 2004, « tant l’Assemblée générale que le Conseil de sécurité se sont référés, à propos de la Palestine, à la règle coutumière de “l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre” »61. De même, l’Assemblée générale a adopté de nombreuses résolutions réaffirmant « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à un État de Palestine indépendant »62.
46. Conformément au droit de l’occupation, la puissance occupante est, sous réserve uniquement de ses propres conditions de sécurité légitimes, tenue d’administrer le territoire occupé de bonne foi et au mieux des intérêts de la population sous occupation63. Elle doit donc administrer ce territoire en tant qu’autorité provisoire ou mandataire ayant le souci de la population qui y vit. Le droit de l’occupation accorde à la puissance occupante certaines libertés qui lui permettent de prendre des mesures pour administrer le territoire occupé64. Lorsqu’elles sont imposées de bonne foi et dans l’intérêt de la population se trouvant sous occupation ou, en cas d’absolue nécessité, pour satisfaire aux conditions de sécurité légitime de la puissance occupante, ces mesures ne sont pas contraires au droit international.
47. S’agissant du Territoire palestinien occupé, les organes de l’ONU ont maintes fois constaté qu’Israël a fait un usage abusif des libertés dont il dispose en tant que puissance occupante, en imposant ses politiques et pratiques d’occupation prolongée, non pas à ces fins restreintes mais pour servir ses propres intérêts, notamment le but ultime d’annexion du territoire occupé.
48. En ce qui concerne, tout d’abord, le programme de colonisation du Territoire palestinien occupé mené par Israël en violation de son obligation de ne pas transférer une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé et de ne pas confisquer de propriété privée :
a) En 1968, le Conseil de sécurité a déclaré que « toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valides et ne peuvent modifier ce statut »65.
b) En 1979, le Conseil de sécurité a réaffirmé que les politiques et pratiques d’Israël relatives à l’établissement de colonies dans le Territoire palestinien occupé contrevenaient au droit
60 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334 (2016), préambule, par. 1 ; et 258 du 18 septembre 1968, doc. S/RES/258 (1968) ; Assemblée générale, résolution 77/25 du 30 novembre 2022, doc. A/RES/77/25.
61 Avis consultatif sur le mur, p. 182, par. 117 ; voir également p. 166, par. 74. Voir, en outre, exposé écrit de la Palestine, par. 2.28-2.30.
62 Exposé écrit de la Jordanie, par. 4.11.
63 Voir, en outre, Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. A/72/556, 23 octobre 2017, par. 34-38.
64 Voir C. Greenwood, “The relationship between the ius ad bellum and the ius in bello” (1983), vol. 9, Review of International Studies, p. 228 : « La véritable position revient à dire que l’occupant, tant qu’il ne dépasse pas certaines limites, jouit de la liberté de gouverner le territoire sans se rendre coupable de violation du ius in bello. »
65 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 252 du 21 mai 1968, doc. S/RES/252 (1968), par. 2. Cette déclaration a été réitérée, par exemple, dans les résolutions suivantes : Conseil de sécurité, résolutions 267 du 3 juillet 1969, doc. S/RES/267 (1969), par. 4 ; et 298 du 25 septembre 1971, doc. S/RES/298 (1971), par. 3.
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international et « n’[avaie]nt aucune validité en droit »
66. En 1980, en plus de déclarer la « loi fondamentale » israélienne nulle et non avenue67, le Conseil de sécurité a affirmé que
« la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants … constitu[ai]ent une violation flagrante de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre »68.
c) Dans son avis consultatif de 2004, la Cour a conclu que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’[avaie]nt été en méconnaissance du droit international »69.
d) Dans son rapport soumis au Conseil des droits de l’homme en 2022, la Commission d’enquête internationale indépendante a conclu à
« l’existence de preuves à première vue crédibles qui indiqu[ai]ent de manière convaincante qu’Israël n’a[vait] aucune intention de mettre un terme à l’occupation, qu’il appliqu[ait] des politiques claires en vue de prendre le contrôle total du Territoire palestinien occupé et qu’il s’emploi[yait] à en modifier la démographie en maintenant un environnement répressif pour les Palestiniens et un climat favorable aux colons israéliens »70.
e) En 2023, la présidente du Conseil de sécurité a fait au nom de cet organe une déclaration s’opposant fermement à « la construction et l’expansion de colonies de peuplement par Israël, la confiscation de terres palestiniennes et la “légalisation” des avant-postes de colonies, la destruction de maisons palestiniennes et le déplacement de civils palestiniens »71.
49. Ensuite, les politiques et pratiques israéliennes d’occupation prolongée entraînent, par leur objet comme par leur effet, le déni du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. Ainsi que l’a conclu la Commission d’enquête internationale indépendante sur ces politiques et pratiques, il s’agit notamment :
« d’expulsions, de déportations et de transferts forcés de Palestiniens à l’intérieur de la Cisjordanie, de l’expropriation, du pillage et de l’exploitation de terres et de ressources naturelles vitales, de restrictions des déplacements et du maintien d’un environnement coercitif dans le but de fragmenter la société palestinienne, d’inciter les Palestiniens à quitter certaines zones et de faire en sorte qu’ils soient incapables de réaliser leur droit à l’autodétermination »72.
66 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 446 du 22 mars 1979, doc. S/RES/446 (1979), par. 1 ; et 452 du 20 juillet 1979, doc. S/RES/452 (1979), préambule.
67 Ibid., résolution 478 du 20 août 1980, doc. S/RES/478 (1980), par. 3.
68 Ibid., résolution 465 du 1er mars 1980, doc . S/RES/465 (1980), par. 5.
69 Avis consultatif sur le mur, p. 184, par. 120.
70 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. A/HRC/50/21, 9 mai 2022, par. 70.
71 Nations Unies, Conseil de sécurité, déclaration de sa présidente en date du 20 février 2023, doc. S/PRS/2023/1.
72 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. A/77/328, 14 septembre 2022, par. 77.
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50. Enfin, ces politiques et pratiques israéliennes d’occupation prolongée se caractérisent aussi par de graves violations des obligations incombant à Israël en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.
51. Il ne peut être permis à Israël de tirer profit de ses politiques et pratiques d’occupation prolongée qui sont contraires au droit international général (à savoir l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, l’obligation de respecter le droit des Palestiniens à l’autodétermination et l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid), aux principes fondamentaux du droit de l’occupation (à savoir le caractère provisoire de l’occupation et la nécessité d’exercer les libertés d’administration de bonne foi et au mieux des intérêts du peuple palestinien) et aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.
52. Le Pakistan estime que, si l’on applique le principe selon lequel Israël ne saurait être admis à profiter de ses propres torts et si l’on tient compte du fait que ses actes illicites entraînent la violation de normes impératives du droit international général :
a) Israël ne peut tirer profit de ce qu’il se prévaut des libertés habituellement accordées à une puissance occupante par le droit de l’occupation comme d’un fondement juridique lui permettant d’adopter et de mettre en oeuvre ses politiques et pratiques illicites d’occupation prolongée.
b) Tant qu’il ne rapporte ou ne retire toutes ses politiques et pratiques illicites d’occupation prolongée, Israël ne peut tirer profit du maintien de cette occupation en se prévalant des libertés habituellement accordées à une puissance occupante en droit de l’occupation.
53. Cependant, dans le même temps, Israël demeure lié par toutes les obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’occupation, ainsi que par celles prévues par le droit international humanitaire dans son ensemble et par le droit international des droits de l’homme73. Reconnaître que l’occupation israélienne prolongée continue d’avoir de telles conséquences juridiques n’implique en aucune façon de permettre à Israël de profiter de ses torts.
54. Il importe aussi de souligner que l’application, en l’espèce, du principe selon lequel aucun État ne saurait être admis à profiter de ses propres torts repose sur un unique ensemble de faits et ne compromet pas la proposition fondamentale que le droit de l’occupation (qui fait partie du jus in bello) s’applique indépendamment de la licéité de l’occupation en jus ad bellum74.
55. Il convient de noter que la Cour a appliqué le principe en question dans son avis consultatif de 1971 au sujet des Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, par lequel, dans le contexte du désaveu par l’Afrique du Sud du mandat qui lui avait été confié, elle a conclu ce qui suit : « L’un des principes fondamentaux régissant le rapport ainsi établi sur le plan
73 Cf. exposé écrit de la France, par. 51 : « En effet, ce constat d’illicéité per se pourrait conduire à soutenir l’inapplicabilité du régime juridique de l’occupation. »
74 Cf. exposé écrit de la Suisse, par. 51 : « Le caractère potentiellement illégal d’une occupation ne doit pas remettre en question la séparation fondamentale entre le Ius ad bellum et le Ius in bello. »
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international est qu’une partie qui renie ou ne remplit pas ses propres obligations ne saurait être considérée comme conservant les droits qu’elle prétend tirer de ce rapport. »
75
56. Dans son avis consultatif, la Cour a conclu que, « la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie étant illégale, l’Afrique du Sud a[vait] l’obligation de retirer immédiatement son administration de la Namibie et de cesser ainsi d’occuper le territoire »76.
57. L’emploi par la Cour du terme « occupation » dans cet avis est, dans une certaine mesure, significatif. Après la cessation du mandat, la présence continue de l’Afrique du Sud dans le territoire de la Namibie constituait une « occupation » au sens de l’article 2 commun aux conventions de Genève de 1949 (qui ne prévoit pas qu’une résistance armée doive exister) et il s’ensuivait des termes de l’article 6 de la quatrième convention de Genève (ratifiée en 1952 par l’Afrique du Sud77) qu’au moins une partie des dispositions de ladite convention s’appliquait78. Bien que la Cour n’ait pas pris en considération le droit de l’occupation, sa conclusion énonçant que l’Afrique du Sud était dans l’obligation de retirer son administration et de mettre un terme à son occupation de la Namibie concorde à deux égards avec la position adoptée par le Pakistan en la présente espèce.
58. Premièrement, ni le fait de l’occupation ni le droit de l’occupation ne confèrent à la puissance occupante de titre juridique pour administrer le territoire occupé. Ainsi que la Cour l’a précédemment dit dans l’avis consultatif qu’elle a donné en 1950 sur le Statut international du Sud-Ouest africain,« [l]’autorité que le Gouvernement de l’Union exer[çait] sur le Territoire [était] fondée sur le Mandat. Si le Mandat avait cessé d’exister, comme le prétend[ait] le Gouvernement de l’Union, l’autorité de celle-ci aurait également cessé d’exister. »79 À cet égard, il est relevé que l’Afrique du Sud avait soutenu, dans la procédure consultative sur les Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, qu’elle avait un droit indépendant d’administrer le territoire de la Namibie en raison, entre autres, de sa conquête initiale et de son « occupation prolongée »80.
59. Deuxièmement, au vu de son application du régime d’apartheid dans le territoire, l’Afrique du Sud n’aurait pu, en tout état de cause, prétendre bénéficier des libertés qui sont accordées à une puissance occupante au titre de la quatrième convention de Genève. Le raisonnement suivi par la Cour, selon lequel « une partie qui renie ou ne remplit pas ses propres obligations ne saurait être
75 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 46, par. 91.
76 Ibid., p. 58, par. 133, al. 1.
77 L’Afrique du Sud a ratifié la quatrième convention de Genève le 31 mars 1952.
78 Dans le commentaire sur la quatrième convention de Genève, publié sous la direction de Jean Pictet (Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 1958), il est expliqué à la page 60, au sujet de l’article 6 de l’instrument, que : « le mot “occupation”, tel qu’il est employé dans cet article, a un sens plus large que celui qui lui est attribué à l’article 42 du règlement annexé à la quatrième convention de La Haye de 1907 ». La Chambre de première instance du TPIY a cité ce passage, en s’y associant, dans l’affaire Le Procureur c. Rajić, IT-95-12, examen de l’acte d’accusation conformément à l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, 13 septembre 1996.
79 Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 133.
80 C.I.J. Mémoires, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, vol. II, p. 550.
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considérée comme conservant les droits qu’elle prétend tirer de ce rapport »
81, s’applique avec autant de force au rapport qui lie une puissance occupante à une population sous occupation.
60. S’agissant de la Namibie, le Conseil de sécurité avait expressément déclaré, dans sa résolution 276 (1970), que « la présence continue des autorités sud-africaines en Namibie [était] illégale » ; c’est à cette résolution que faisait spécifiquement référence la demande d’avis consultatif qui avait été présentée dans cette procédure. La Cour a expliqué que cette résolution avait un « effet [qui] se conjugu[ait] et s’ajout[ait] à » celui de deux autres résolutions par lesquelles le Conseil de sécurité avait expressément demandé à l’Afrique du Sud de retirer son administration de la Namibie82. En ce qui concerne l’occupation israélienne du Territoire palestinien occupé, le Conseil de sécurité a, de la même façon, expressément appelé Israël à se retirer de ce territoire. Même si le Conseil de sécurité s’est abstenu d’aller plus loin et de déclarer « illicite » l’occupation israélienne en soi, cela n’empêche aucunement la Cour de conclure au caractère illicite des politiques et pratiques israéliennes d’occupation prolongée et d’appliquer le principe selon lequel nul ne saurait être admis à profiter de ses propres torts. L’absence d’une telle déclaration expresse d’« illicéité » signifie simplement qu’il n’existe pas de décision à cet effet qui serait contraignante pour tous les États Membres en vertu de l’article 25 de la Charte des Nations Unies83.
B. Les conséquences pour tous les États
61. Le principe selon lequel Israël ne saurait être admis à profiter de ses politiques et pratiques illicites d’occupation prolongée implique que, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé, tous les États (agissant à titre individuel ou collectif, notamment par l’intermédiaire de l’ONU) ont une obligation de ne pas considérer qu’Israël a la possibilité de prétendre aux libertés de gouverner un territoire occupé qui sont habituellement accordées à une puissance occupante en vertu du droit de l’occupation. Tous les États ont, en outre, une obligation de ne pas prêter aide ou assistance à Israël dans l’exercice de ces libertés à l’égard du Territoire palestinien occupé. Il s’ensuit qu’ils sont tenus de s’abstenir de toutes relations avec Israël ou avec des sociétés et ressortissants israéliens ou toute autre personne qui impliqueraient une reconnaissance de l’exercice de ces libertés par Israël, en vertu du droit de l’occupation, pour administrer le territoire en cause. La seule exception à cette règle est celle des cas où une telle non-reconnaissance aurait pour conséquence spécifique de priver des habitants palestiniens des territoires occupés de leurs droits individuels84.
L’ambassadeur de la République islamique du Pakistan
auprès du Royaume des Pays-Bas,
(Signé) S. Exc. M. Suljuk Mustansar TARAR.
___________
81 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 46, par. 91.
82 Ibid., p. 51, par. 108, renvoyant aux résolutions 264 (1969) et 269 (1969) du Conseil de sécurité.
83 Cf. Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 52–54, par. 111–116.
84 Voir ibid., p. 56, par. 125.

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Observations écrites du Pakistan

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