Exposé écrit du Qatar

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186-20230725-WRI-03-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
________________________________________________________
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE L’ÉTAT DU QATAR
VOLUME I
25 juillet 2023

i
Table des matières
CHAPITRE 1 Introduction .................................................................................... 1
CHAPITRE 2 Conduite de la colonisation du territoire palestinien par Israël .... 13
I. Établissement et facilitation des colonies en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) .................................................... 16
II. Exclusion et déplacement des Palestiniens du TPO ........ 30
A. Exclusion des Palestiniens du TPO............................ 31
B. Restrictions au droit de résidence des Palestiniens présents dans le TPO .................................................. 35
C. Développement des communautés palestiniennes, et destruction et expulsion de ces mêmes communautés41
III. Fragmentation du TPO et restrictions à la circulation à l’intérieur de celui-ci ........................................................ 52
A. Fragmentation de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et restrictions à la circulation dans cette région .. 55
B. Blocus israélien en cours à Gaza ............................... 65
IV. Violence systématique dans le Territoire palestinien occupé et recours excessif à la force par Israël contre les Palestiniens ...................................................................... 78
A. Attaques militaires systématiques et disproportionnées d’Israël contre Gaza ................................................... 79
B. Recours à la violence d’Israël pour faire respecter son blocus de Gaza ........................................................... 97
C. Usage excessif de la force par Israël en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) ............................................ 105
D. Approbation par Israël de la violence des colons et absence de prévention ou de punition de cette violence .................................................................... 131
ii
V. Application discriminatoire du droit pénal militaire en Cisjordanie ..................................................................... 136
A. Système de justice pénale militaire discriminatoire . 137
B. Détention administrative .......................................... 145
C. Restrictions des droits civils et politiques ................ 150
VI. Oppression de l’expression et de l’identité culturelles et religieuses ...................................................................... 151
A. Destruction et réinvention du patrimoine culturel ... 153
B. Restrictions concernant l’accès aux sites religieux et l’exercice du culte .................................................... 159
C. Restriction et censure des expressions de l’identité culturelle palestinienne ............................................ 163
D. Tolérance des discours de haine .............................. 165
VII. Restrictions au développement de l’économie palestinienne et à l’exploitation des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé ..................................... 166
VIII. Suppression des journalistes, de la société civile et des ONG opposées à l’occupation ....................................... 177
A. Les attaques et entraves systématiques à l’encontre des journalistes ............................................................... 177
B. Répression de la société civile et de la dissidence politique ................................................................... 186
CHAPITRE 3 La conduite de l’occupation colon-colonie par Israël du Territoire palestinien viole ses obligations en vertu de la Charte des Nations unies, du Droit international relatif aux droits de l'homme, du droit humanitaire international et de l’interdiction des crimes contre l’humanité .............................................................................................. 193
I. Israël a annexé illégalement Jérusalem-Est et la zone C de la Cisjordanie ................................................................. 193
iii
A. L’annexion De Jure par Israël de Jérusalem-Est viole le droit international ................................................. 196
B. L’annexion De Facto par Israël de la zone C de la Cisjordanie viole le droit international .................... 197
II. La conduite de l’occupation viole le droit international relatif aux droits de l'homme ......................................... 204
A. Israël viole les droits à la vie et à la sécurité de la personne ................................................................... 206
B. Israël viole les droits de liberté de la personne et de ne pas être soumis à la torture....................................... 211
C. Israël viole le droit de liberté de mouvement et la liberté de choisir son lieu de résidence .................... 215
D. Israël viole le droit à la liberté d'opinion et d'expression et le droit de réunion pacifique ........... 221
E. Israël viole les droits au regroupement familial et à une vie familiale ............................................................. 225
F. Israël viole le droit au culte ...................................... 228
G. Israël viole le droit à l’éducation ............................. 230
H. Israël viole les droits culturels ................................. 231
I. Israël viole le droit à un niveau de vie suffisant et le droit à la santé .......................................................... 233
J. Israël viole le droit au travail ................................... 248
K. Israël voile les droits à l’égalité devant la loi et à un procès équitable ....................................................... 249
L. Israël viole son obligation d’assurer des recours effectifs .................................................................... 251
III. La conduite de l’occupation viole le droit international humanitaire .................................................................... 254
iv
A. La conduite de l’occupation en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) viole le droit humanitaire international ............................................................. 256
B. La conduite de l’occupation à Gaza viole le droit international humanitaire ......................................... 264
C. Les mesures prises par Israël concernant les ressources naturelles et l’économie du Territoire palestinien occupé violent ses obligations en tant que puissance occupante ................................................................. 270
IV. La conduite de l’occupation implique des crimes contre l’humanité ...................................................................... 273
A. Meurtre ..................................................................... 277
B. Déportation et transfert forcé ................................... 278
C. Détention arbitraire .................................................. 280
D. Disparition forcée..................................................... 281
E. Autres actes inhumains ............................................ 282
F. Persécution ............................................................... 283
CHAPITRE 4 L’occupation colon-colonie prolongée par Israël du territoire palestinien viole le droit international.................................................... 287
I. L’occupation prolongée d’Israël est illégale dans son ensemble car elle constitue une violation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination .......... 288
A. Le peuple palestinien a le droit d’exercer son droit à l’autodétermination sur l’ensemble du territoire palestinien occupé .................................................... 293
B. L’occupation israélienne prive indéfiniment le peuple palestinien d’une population permanente ................ 295
C. L’occupation israélienne prive indéfiniment le peuple palestinien d’un territoire sur lequel il peut exercer son droit à l’autodétermination ....................................... 301
v
D. L’occupation israélienne prive indéfiniment le peuple palestinien de la capacité d’exercer sa volonté collective et de déterminer son statut politique interne ...................................................................... 303
E. L’occupation israélienne prive indéfiniment le peuple palestinien de son droit à poursuivre librement son développement économique, social et culturel ........ 306
II. L’occupation israélienne du TPO constitue un régime d’apartheid et est donc illégale dans son ensemble ...... 310
A. L’apartheid est interdit par le droit international ..... 310
B. L’occupation israélienne constitue un régime d’apartheid ............................................................... 325
C. En tant que régime d’apartheid, l’occupation est illégale et son existence continue entraîne une violation grave d’une norme impérative .................. 344
CHAPITRE 5 Les conséquences juridiques découlant de l’occupation illégale et des politiques et pratiques discriminatoires d’Israël dans le territoire palestinien occupé ................................................................... 347
I. Conséquences juridiques pour Israël ............................. 349
A. Israël a l’obligation de cesser son occupation et ses politiques et pratiques discriminatoires ................... 349
B. Israël est tenu d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées .................................. 352
C. Israël a l’obligation de réparer intégralement le préjudice causé par son occupation et ses politiques et pratiques discriminatoires ........................................ 354
II. Conséquences juridiques pour tous les autres États ....... 361
A. Tous les états ont l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ............................ 362
vi
B. Tous les états ont l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien d’une situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ....... 364
C. Tous les États ont l’obligation de coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents.................................................................... 368
D. Tous les états ont l’obligation d’aider à protéger le peuple palestinien contre les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité . 373
E. Tous les états doivent garantir la responsabilité en vertu du droit international pour les crimes internationaux commis sous l’occupation israélienne ................................................................ 376
III. Conséquences juridiques pour les Nations Unies .......... 384
A. Les Nations Unies ne doivent pas reconnaître comme légale la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents .................................................. 386
B. Les Nations Unies ne doivent pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ....... 386
C. Les Nations Unies doivent coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents ...... 387
CHAPITRE 6 Compétence et pouvoir discrétionnaire ..................................... 395
CHAPITRE 7 Conclusions ................................................................................ 401
1
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1. Conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 3 février 2023, l’État du Qatar (« Qatar ») soumet le présent exposé écrit sur les questions présentées dans la requête pour avis consultatif de l’Assemblée générale des Nations Unies concernant les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est (la « Requête »).
***
1.2. Un siècle après l’établissement du Mandat de la Société des Nations pour la Palestine en 1922, et plus d’un demi-siècle après l’occupation par l’État d’Israël (« Israël ») de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza en 1967, la communauté internationale a clairement fait savoir qu’elle refusait d’accepter le maintien du statu quo. Ce statu quo est celui dans lequel un seul État, Israël, refuse de manière persistante et systématique de se conformer aux principes les plus fondamentaux du droit international et aux demandes sans équivoque des instances internationales compétentes lui enjoignant de mettre fin à son comportement illicite. En raison de l’intransigeance d’Israël, une population entière, à savoir le peuple palestinien,1 est contrainte d’endurer quotidiennement des souffrances indicibles et des atteintes à la dignité humaine, sans qu'une issue soit en vue. À l’heure où les États assument leur passé colonial, un régime anachronique de
1 Dans le cadre des questions posées à la Cour, le Qatar fait dans sa soumission référence au peuple palestinien, à l’Autorité palestinienne et au Territoire palestinien occupé. Ceci s’entend sans préjudice du fait que l’État de Palestine est un État observateur non membre des Nations Unies, ainsi qu’un État membre de nombreuses organisations internationales, et qu’il est pleinement habilité à comparaître en tant qu’État dans les procédures engagées devant la Cour.
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colonisation par peuplement continue de s’étendre et de s’enraciner en ce début de XXIe siècle.
1.3. Ce n’est, bien évidemment, pas la première fois que la communauté internationale s’adresse à la Cour pour répondre à des questions de droit international dans le contexte de l’occupation israélienne de la Palestine. Lorsque la Cour rendra son avis dans la présente procédure, deux décennies se seront écoulées depuis la publication de son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé (« Avis consultatif Mur »). Confrontée à une question concernant la légalité de la construction par Israël d’une barrière dite de sécurité (le « Mur ») dans le Territoire palestinien occupé (« TPO »),2 la Cour a déclaré sans équivoque que « [l]’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international ».3
1.4. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a estimé que le Mur et le régime lui étant associé violaient de nombreuses normes du droit international humanitaire (« DIH ») et du droit international des droits humains (« DIDH »), et que la situation qui en résulte dresse « un obstacle grave à l’exercice par le peuple
2 Le TPO comprend la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza. Bien qu’Israël se soit théoriquement désengagé de Gaza en 2005, il maintient un blocus militaire quasi-total sur le territoire, ainsi que cela est expliqué au Chapitre 2, Section III(B), infra. Il existe un large consensus sur le fait que le contrôle qu’Israël continue d’exercer sur Gaza au moyen du blocus constitue une occupation au regard du droit international. Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 16. Le TPO est distinct du « Territoire d’Israël ». Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136 (ci-après, « l’avis consultatif Mur »), par. 67.
3Avis consultatif Mur , par. 163(3)(a).
3
palestinien de son droit à l’autodétermination ».4 Étant parvenue à la conclusion selon laquelle les colonies israéliennes dans le TPO contrevenaient au droit international, la Cour a estimé que « la construction du mur et le régime qui lui est associé créent sur le terrain un « fait accompli » qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto ».5 En conséquence, la Cour a estimé, entre autres, que :
Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont il est l’auteur ; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le Territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement l’ouvrage situé dans ce territoire et d’abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent...6
1.5. Depuis près de 20 ans, Israël n’a pris aucune mesure pour mettre fin à ses violations du droit international. Bien au contraire, il a dénoncé7 l’arrêt de la Cour et a ouvertement omis de le respecter. De même, il n’a pas respecté plus de 99 % des centaines de recommandations en matière de droits humains formulées par les instances compétentes des Nations Unies.8 Non seulement le Mur existe toujours,
4 Ibid, par. 122.
5 Ibid, par. 121.
6 Ibid, par. 163(3)(b).
7 Voir le site officiel du gouvernement israélien, communiqué de presse : Déclaration du Premier ministre concernant l’avis de la Cour internationale de justice de La Haye (11 juillet 2004), disponible sur https://tinyurl.com/bdek5f9t (« [L]’État d’Israël rejette catégoriquement l’avis de la Cour internationale de justice de La Haye »).
8 Voir Conseil des droits de l’homme, Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est: examen d’ensemble de l’état d’application des recommandations adressées à toutes les parties depuis 2009, Doc. UN A/HRC/35/19 (12 juin 2017), par. 60. À la fin de l’année 2017, plus de 550 recommandations avaient été adressées à Israël. Des dizaines d’autres ont été formulées depuis.
4
mais Israël l’a en fait agrandi,9 et le nombre de colons juifs israéliens dans le TPO a presque doublé, passant d’environ 400 000 à l’époque à au moins 700 000 aujourd’hui.10 Israël a également : exproprié des centaines d’hectares supplémentaires de terres palestiniennes ;11 démoli environ 10 000 maisons et autres structures palestiniennes, déplaçant plus de 14 500 Palestiniens ;12 et tué au moins 7 500 Palestiniens.13
1.6. Dans ce contexte qui ne cesse de s’aggraver, la communauté internationale s’est à nouveau tournée vers la Cour pour obtenir des réponses à deux questions complémentaires :
9 Voir OCHA, The humanitarian impact of 20 years of the Barrier - December 2022 (30 décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/ysmyh52j (notant qu’au 30 décembre 2022, 65 % de la longueur approuvée de 713 kilomètres avaient été construits, soit une longueur d’environ 463 kilomètres) ; avis consultatif Mur, par. 82 (« Au 25 janvier 2004, selon l’exposé écrit du Secrétaire général, les travaux avaient été achevés sur environ 190 kilomètres ».)
10 Peace Now, « Settlements Watch: Population » (dernier accès : 24 avril 2023), disponible sur https://tinyurl.com/y6pt6bej ; Peace Now, « Settlements Watch: Jerusalem » (dernier accès : 24 avril 2023), disponible sur https://tinyurl.com/59x5jesd ; Conseil des droits de l’homme, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé - Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Doc. A/HRC/52/76 (15 mars 2023), par. 5 ; ONU, « Human Rights Council Hears that 700,000 Israeli Settlers are Living Illegally in the Occupied West Bank - Meeting Summary » (extraits), disponible sur https://tinyurl.com/56nfkh7d ; Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 9.
11 Kerem Navot, For the Common Good: Military Expropriation Orders in the West Bank, 1967-2022 (décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/bdfhxx8c, p. 34.
12 L’OCHA fait état de 9 629 démolitions de structures palestiniennes et du déplacement de 14 051 Palestiniens depuis 2009. L’ONG israélienne B’Tselem fait état de 140 démolitions et de 768 déplacements entre 2006 et 2008. Voir OCHA, « Data on Demolition and Displacement in the West Bank » (dernier accès : 12 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/n9e7x7x4 ; B’Tselem, House Demolitions: Demolition on the pretext of unlawful construction (dernier accès : 13 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/yc3tbt2f.
13 L’OCHA fait état de 6 334 Palestiniens et 409 Israéliens tués depuis janvier 2008. L’ONG israélienne B’Tselem rapporte que les forces israéliennes ont tué 1 232 Palestiniens et 21 Israéliens entre 2005 et 2007. Voir OCHA, « Data on casualties » (dernier accès : 11 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/2sdp43zu ; B’Tselem, « Fatalities: All data » (dernier accès : 13 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/42wchrj2.
5
(a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du Territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
(b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 (a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
1.7. La question (a) concerne les torts passés et présents. Le Qatar considère que, de par sa formulation ouverte, cette question demande à la Cour d’examiner les différents aspects de l’occupation, d’évaluer leur licéité et d’énoncer les conséquences juridiques et les réparations exigées en vertu du droit international. En répondant à cette question, la Cour est appelée à dissiper tout doute persistant sur l’illégalité des politiques et des pratiques d’Israël, à les exposer pour ce qu’elles sont, et à procurer un sentiment de justice aux victimes d’Israël.
1.8. La question (b), en revanche, est de nature prospective. Le Qatar l’interprète comme une demande à la Cour de procéder à une évaluation simple mais historique : à la lumière des innombrables illégalités révélées par la question (a), l’occupation elle-même est-elle devenue illégale ? Si la réponse à cette question est « oui », cela a des implications évidentes : il faut mettre fin à l’occupation. En ce sens, la Cour est maintenant saisie de ce que la juge Higgins, dans son opinion individuelle rendue dans le cadre de l’avis consultatif Mur, a qualifié de « problème plus large, qui va au-delà de la demande d’avis soumise à la Cour ».14 Après plus
14 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, opinion individuelle du juge Higgins (9 juillet 2004), par. 30.
6
d’un siècle au cours duquel le peuple palestinien a subi injustice après injustice, la « question palestinienne » se trouve aujourd’hui posée avec force devant la Cour. Le Qatar soutient respectueusement que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des Nations Unies peut et doit tracer une ligne claire soulignant l’illégalité de l’occupation israélienne dans son ensemble.
1.9. L’intervention de la Cour est plus que jamais nécessaire ; la situation sur le terrain dans le TPO continue de se détériorer à un rythme très préoccupant. Au cours du seul premier semestre 2023, Israël a approuvé la création d’un nombre sans précédent de nouvelles colonies, tué plus de Palestiniens en Cisjordanie que jamais depuis 2004, bombardé sans discrimination Gaza et la Cisjordanie, battu des fidèles dans les lieux les plus sacrés de l’islam et du christianisme, et toléré (voire célébré) les actes de violence collective perpétrés par des colons juifs israéliens à l’encontre de civils palestiniens.
1.10. Cela s’est produit parallèlement à un contrôle toujours plus strict exercé sur tous les aspects de la vie des Palestiniens. Depuis 16 ans, les quelque deux millions de Palestiniens vivant à Gaza subissent ce que le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 (« Rapporteur spécial TPO ») a qualifié de « blocus militaire médiéval ».15 Les enfants nés depuis n’ont connu que l’enfermement, la pauvreté et la faim. Ils ont également vécu jusqu’à une demi-douzaine d’attaques armées israéliennes de grande envergure au cours de leur vie, tandis que la peur des drones et des avions de guerre israéliens au-dessus de leur tête est omniprésente. En Cisjordanie, les Palestiniens subissent des humiliations quotidiennes aux postes de contrôle, ne peuvent accéder à leurs maisons et à leurs terres, sont exclus des autoroutes et des
15 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 35.
7
rues réservées aux Juifs, sont détenus arbitrairement et pour une durée indéterminée, et sont régulièrement victimes de violences aveugles et excessives. À Jérusalem-Est, les Palestiniens sont déplacés et expulsés de leurs maisons, et leur culture et leur religion sont systématiquement opprimées, alors qu’Israël poursuit ses efforts pour dépouiller la ville sainte de son histoire et de son caractère multiculturel et multireligieux.
1.11. Poursuivant comme objectif « un maximum de Juifs sur un maximum de terres avec un maximum de sécurité et un minimum de Palestiniens »,16 Israël traite une grande partie de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, comme son propre territoire. Il a déclaré que la promotion des colonies juives était une valeur nationale et accorde aux Israéliens juifs des droits de citoyenneté à part entière et des avantages généreux. Dans le même temps, Israël maintient des lois et des politiques ouvertement discriminatoires, qui excluent les droits des Palestiniens à l’autodétermination et à l’égalité devant la loi. Les Palestiniens se retrouvent relégués dans de minuscules enclaves ; l’armée israélienne les gouverne comme des sujets privés de leurs droits et de seconde zone.
1.12. Rendant compte de leur visite dans le TPO en juin 2023 au nom du groupe des Sages (Elders), l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon et l’ancienne Haut-Commissaire aux droits de l’homme Mary Robinson
[O]nt lancé un avertissement selon lequel la « réalité d’un État unique » est en train d’anéantir rapidement la perspective d’une solution à deux États prévue par les accords d’Oslo de 1993 pour apporter la paix et la sécurité à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens.
16 G. S. Hoffmann, « Lapid: US helped Iran fund its next war against Israel » Jerusalem Post (26 janvier 2016), disponible sur https://tinyurl.com/3yp3kyk9.
8
L’intention du gouvernement israélien d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée va à l’encontre des idéaux démocratiques de l’État israélien, dénie au peuple palestinien son droit à l’autodétermination, et risque de provoquer une explosion de violence incontrôlable de part et d’autre.
1.13. L’ancien Secrétaire général et l’ancienne Haut-commissaire sont allés plus loin en déclarant que
[I]l est de plus en plus évident que la situation répond à la définition juridique internationale de l’apartheid : l’expansion et l’enracinement des colonies juives illégales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, la mise en place d’un double régime juridique et d’une infrastructure de séparation dans les territoires occupés, ainsi que la discrimination institutionnalisée et les abus perpétrés à l’encontre des Palestiniens ... [L]es déclarations et les politiques de l’actuel gouvernement israélien - dont la coalition annonçait, dans les lignes directrices de son programme que « le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la terre d’Israël » - montrent clairement l’intention de poursuivre l’annexion permanente plutôt que l’occupation temporaire, sur la base de la suprématie juive.17
1.14. Leurs conclusions font écho à celles de nombreux rapporteurs spéciaux, commissions d’enquête et missions d’établissement des faits des Nations Unies, ainsi qu’à celles des organisations internationales, israéliennes et palestiniennes de défense des droits humains les plus réputées. La réalité de l’occupation ne peut plus être dissimulée. Il ne s’agit pas d’une mesure militaire temporaire résultant d’un conflit armé international, si tant est qu’il y en ait eu un. Il s’agit de l’aboutissement d’un projet colonial centenaire qui constitue un obstacle insurmontable à l’autodétermination du peuple palestinien et qui est devenu un régime d’apartheid.
17 The Elders, Elders warn of consequences of ‘one-state reality’ in Israel and Palestine (22 juin 2023) (ci-après, le « Rapport des Sages 2023 »), disponible sur https://tinyurl.com/595fh8a2, p. 1.
9
1.15. Le Qatar a conscience de la portée ambitieuse de sa Requête. Il invite la Cour à se saisir de ce qui est sans doute le plus ancien problème juridique non résolu auquel se trouve confrontée la communauté internationale. Afin de fournir le contexte nécessaire pour permettre à la Cour d’effectuer son travail, le Qatar soumet ci-joint deux rapports historiques d’experts indépendants. Ces rapports ont été préparés par les deux historiens les plus éminents du conflit israélo-palestinien en vie aujourd’hui : les professeurs Rashid Khalidi de l’université de Columbia et Avi Shlaim de l’université d’Oxford.18 À eux deux, ils cumulent un siècle d’expérience sur le terrain. De leurs points de vue respectifs de Palestinien et d’Israélien, ils offrent un aperçu de l’histoire de la Palestine et du conflit israélo-palestinien depuis le début du XXe siècle.
1.16. Dans son rapport, le professeur Khalidi évoque les origines du sionisme, c’est-à-dire le mouvement qui appelle à la création d’un État national juif en Palestine. Comme il l’explique, dès ses débuts, le sionisme a ouvertement mis en avant un projet de colonisation. Nés à l’apogée de l’ère coloniale à la fin du XIXe siècle, les premiers sionistes avaient pour objectif explicite de déplacer et de remplacer une population autochtone palestinienne majoritairement arabe et multiconfessionnelle par des colons juifs européens. Soutenue par le mandat britannique sur la Palestine, la part des habitants de confession juive par rapport à la population totale est passée de seulement 5-7 % avant la Première Guerre mondiale à 31 % en 1939. Après l’abandon du mandat par les Britanniques, le plan de partage des Nations Unies de 1947 prévoyait d’accorder au nouvel État d’Israël 56 % du territoire de la Palestine mandataire, bien que la population juive ne représentât alors qu’un tiers du total. Au cours de la guerre de 1947-1949, Israël s’est emparé de 78 % du territoire mandataire. La guerre a également entraîné le
18 Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023). Exposé écrit du Qatar (« EEQ »), vol. II, annexe 1 ; Prof. Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023). EEQ, vol. II, annexe 2.
10
déplacement de 750 000 Palestiniens, soit la majorité de la population, qui ont dû quitter leurs habitations pour ne plus jamais y revenir. Les Palestiniens appellent ces événements la « Nakba » ou catastrophe.
1.17. Israël a ensuite poursuivi le même projet de colonisation dans les territoires délimités par les lignes d’armistice de 1949 et, depuis 1967, dans le TPO. Pendant tout ce temps, la communauté internationale (comme en témoignent les termes discriminatoires du mandat de 1922, du plan de partage des Nations Unies de 1947 et même des premières résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de Sécurité) a largement ignoré le peuple palestinien et son droit inhérent à l’autodétermination.
1.18. Pour sa part, le professeur Shlaim explique que les événements survenus depuis 1967 montrent qu’Israël a rarement été, et ce depuis des décennies, véritablement intéressé par une solution négociée du conflit et par la fin de l’occupation. Israël a plutôt adopté ce que l’on a appelé « une diplomatie de la tromperie ».19 Tout en proclamant publiquement qu’il veut la paix, il a pris des mesures concrètes pour rendre l’occupation permanente. La première d’entre elles concerne les colonies de peuplement juives. En d’autres termes, Israël utilise le « processus de paix » pour détourner l’attention de son projet de colonisation de peuplement du TPO. Bien qu’Israël ait conclu des accords de paix individuels avec certains de ses voisins, notamment l’Égypte et la Jordanie, aucun n’aborde le problème de la Palestine. Et même la seule lueur d’espoir (à savoir les accords d’Oslo) n’a été possible qu’avec des concessions considérables importantes de la part des Palestiniens. Pourtant, même dans ces conditions, Israël s’est détourné des accords d’Oslo. Toutes les initiatives internationales visant à obtenir une fin
19 Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023), p. 5. EEQ, vol. II, annexe 2.
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négociée de l’occupation ont donc échoué et n’ont fait que renforcer le fait accompli de la présence d’Israël dans le TPO.
1.19. Après un siècle d’injustice, le temps est venu de trouver une solution juste et légale à la question palestinienne. Cette solution est non seulement attendue depuis trop longtemps, mais elle est de plus en plus urgente à la lumière de la situation prévalant sur le terrain aujourd’hui. Toutes les voies alternatives ont été épuisées et la Cour pourrait bien être le dernier espoir des générations futures de Palestiniens comme d’Israéliens. Dans le même temps, les réponses de la Cour aux questions posées par la Requête serviront aussi, pour reprendre les mots récents des Sages, de « test décisif pour la crédibilité d’un système international qui doit demander des comptes à tous ceux qui enfreignent le droit international ».20
***
1.20. La soumission du Qatar est organisée comme suit.
1.21. Le Chapitre 2 offre un aperçu détaillé des politiques et pratiques discriminatoires et oppressives qu’Israël déploie pour maintenir l’occupation, et qui servent toutes son projet d’acquisition par colonisation de peuplement dans le TPO.
1.22. Le Chapitre 3 démontre qu’Israël a illégalement annexé la Cisjordanie et Jérusalem-Est dans le cadre de son occupation, qu’il a violé les normes fondamentales du droit humanitaire international, qu’il a manqué à un large
20 Rapport des Sages 2023, p. 2.
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éventail d’obligations en matière des droits humains, et qu’il a commis des crimes contre l’humanité.
1.23. Le Chapitre 4 établit que l’occupation dans son ensemble est elle-même illégale dans la mesure où elle constitue un obstacle insurmontable et permanent au droit inhérent du peuple palestinien à l’autodétermination et où il s’agit d’un régime d’apartheid.
1.24. Le Chapitre 5 présente les conséquences juridiques des violations continues du droit international par Israël (y compris des normes impératives), cela pour Israël lui-même comme pour l’ensemble des États et pour les Nations Unies.
1.25. Le Chapitre 6 montre, ex abundanti cautela, que la Cour est compétente pour rendre l’avis consultatif demandé et qu’aucune raison ne s’y oppose.
1.26. Le Chapitre 7 présente respectueusement les conclusions du Qatar concernant la Requête.
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CHAPITRE 2 CONDUITE DE LA COLONISATION DU TERRITOIRE PALESTINIEN PAR ISRAËL
2.1 Il n’est pas possible de retracer ici (et encore moins de détailler) tous les abus et actes de cruauté que le peuple palestinien du TPO a endurés depuis le début de l’occupation israélienne. Comme le montre le dossier préparé par le Conseiller juridique, ces abus et ces actes de cruauté ont été documentés dans des centaines de documents officiels des Nations Unies, représentant des dizaines de milliers de pages. L’objectif de ce chapitre est double.
2.2 Premièrement, le Qatar donne un aperçu des principales politiques et pratiques d’Israël dans le TPO afin de montrer à quel point elles sont répandues, systématiques et flagrantes. Comme cela est démontré ci-dessous, la conduite d’Israël est tout simplement choquante et les souffrances du peuple palestinien sont incommensurables.
2.3 Deuxièmement, le Qatar démontre que les pratiques et les politiques d’Israël dans le TPO ne sont pas les conséquences accessoires ou inévitables d’une occupation militaire ou d’un conflit ethno-national, mais qu’elles sont toutes conçues en vue de servir un seul et même objectif : la colonisation permanente du TPO au bénéfice exclusif de l’État d’Israël et des colons juifs israéliens. En d’autres termes, les politiques et pratiques discriminatoires de l’occupation sont toutes des caractéristiques intrinsèques d’un projet unifié de colonisation par peuplement. Comme l’a résumé le rapporteur spécial du TPO en 2022 :
Depuis le début de l’occupation en juin 1967, la domination israélienne sur le territoire palestinien est caractérisée par deux éléments essentiels. Le premier consiste à créer une « situation sur le terrain » conçue pour être irréversible, à savoir la construction de 300 implantations civiles peuplées de 700 000 colons juifs,
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l’objectif étant de s’appuyer sur la démographie pour formuler en toute illégalité une revendication de souveraineté en annexant le territoire occupé tout en empêchant les Palestiniens d’exercer leur droit à l’autodétermination. Le second consiste à imposer un régime militaire oppressif à 2,7 millions de Palestiniens de Cisjordanie, à offrir un éventail de droits de résidence limité et ténu aux 360 000 Palestiniens vivant à Jérusalem-Est et à soumettre à un blocus militaire médiéval les 2 millions de Palestiniens de Gaza.
Ces deux caractéristiques sont très intimement liées : il est impossible qu’une puissance occupante cupide installe des centaines de milliers de ses citoyens sur un territoire occupé, leur offre des conditions de vie attractives, comparables à celles qu’ils avaient dans le territoire d’origine, et exproprie et distribue d’immenses étendues de terrain et des ressources pour qu’ils en tirent profit et pour assurer leur sécurité, sans appauvrir par la même occasion les populations autochtones et sans déclencher une rébellion perpétuelle.21
2.4 Ainsi que cela est décrit plus en détail dans les prochaines sections, l’occupation israélienne du TPO se caractérise par les principales politiques et pratiques suivantes, qui servent toutes à faire avancer son projet de colonisation :
 Implantation. Israël établit des colonies juives israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en saisissant des terres palestiniennes, en finançant et en facilitant la construction de logements et d’infrastructures pour les Israéliens juifs, et en incitant de manière discriminatoire les Juifs du monde entier à s’y installer (Section I) ;
 Déplacement. Pour faire de la place aux colons juifs israéliens, Israël exclut en permanence des centaines de milliers de Palestiniens du TPO, et contraint au déplacement ceux qui vivent encore dans leurs maisons et sur leurs terres par des démolitions, des expulsions et des restrictions des droits de construction (Section II) ;
21 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 35-36.
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 Fragmentation. Afin de mettre en oeuvre le contrôle démographique et physique nécessaire pour perpétuer l’occupation et établir de nouvelles colonies, Israël divise et isole les Palestiniens dans des enclaves fragmentées, restreint leurs déplacements et rend leur quotidien pratiquement invivable (Section III) ;
 Violence. Israël et ses colons juifs recourent à la violence brutale contre les Palestiniens à la fois pour écraser toute résistance à l’occupation (y compris et principalement la résistance non violente) et pour perpétuer un climat de peur et de répression justifiant la poursuite de l’expansion des colonies juives (Section IV) ;
 Justice militaire discriminatoire. Israël applique en Cisjordanie un système juridique militaire draconien et intrinsèquement discriminatoire, qui privilégie les colons juifs israéliens tout en privant les Palestiniens présents sur les mêmes terres des protections juridiques les plus élémentaires (Section V) ;
 Effacement culturel. Dans le cadre de sa mission visant à remplacer toute la Palestine historique par la « terre d’Israël », Israël cherche à effacer et à supprimer toutes les manifestations de la culture et des religions palestiniennes dans le TPO, réinventant progressivement son paysage non seulement physique, mais aussi culturel (Section VI) ;
 Oppression économique. Agissant à la fois dans le cadre d’une tactique délibérée et à titre de conséquence de son occupation, Israël a systématiquement entravé le développement économique du TPO, appauvrissant les Palestiniens tout en enrichissant les Israéliens juifs grâce à l’exploitation des ressources naturelles du TPO (Section VII) ; et
 Absence de responsabilité. Pour tenter de cacher au monde les dures réalités de l’occupation, Israël persécute systématiquement tous ceux qui tentent de documenter l’occupation ou de demander des comptes, y compris les journalistes et les organisations de défense des droits humains (Section VIII).
2.5 Comme le résume le rapporteur spécial du TPO
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Les soixante-dix dernières années nous ont appris qu’une puissance étrangère insatiable avait deux choix : soit abandonner l’illusion du colonialisme de peuplement et reconnaître la liberté des populations autochtones, soit redoubler d’efforts pour appliquer des méthodes de contrôle de la population de plus en plus complexes et strictes, ce qui est inévitable lorsqu’il s’agit de consolider une domination étrangère permanente sur une population profondément opposée à la privation de ses droits et à la dépossession.22
Ce chapitre démontre qu’Israël a résolument choisi cette dernière option, avec pour le peuple palestinien des conséquences qui s’aggravent de jour en jour.
I. Établissement et facilitation des colonies en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est)
2.6 L’établissement et le développement de colonies juives israéliennes ont commencé immédiatement après l’occupation du TPO par Israël en 1967. Depuis lors, cela a constitué une politique essentielle des gouvernements israéliens qui se sont succédé, ainsi qu’un élément central du projet israélien de colonisation par peuplement dans le TPO.
2.7 Lorsque la politique israélienne d’implantation de colonies dans le TPO a été formulée pour la première fois en 1967,23 le conseiller juridique du ministère israélien des Affaires étrangères, Theodor Meron, a déclaré à ses supérieurs que « l’installation de civils dans les territoires administrés [c’est-à-dire le TPO]
22 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 36.
23 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est*, Doc. UN A/HRC/22/63 (7 février 2013), annexe I, p. 26.
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contrevient aux dispositions explicites de la quatrième convention de Genève ».24 Israël a décidé de mettre en oeuvre sa politique malgré tout.
2.8 En 2004, il y avait environ 400 000 colons juifs israéliens à Jérusalem-Est et dans la « zone C » de la Cisjordanie.25 Les accords d’Oslo définissent la zone C, qui couvre plus de 60 % de la Cisjordanie, « dans laquelle le maintien de la sécurité, la planification et la construction relèvent de la compétence exclusive d’Israël » et qui comprend essentiellement des villages d’agriculteurs et des terres agricoles palestiniens.26 Dans l’avis consultatif Mur qu’elle a rendu cette année-là, la Cour a expressément établi que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le Territoire palestinien occupé ... l’ont été en méconnaissance du droit international ».27
2.9 Depuis lors, le nombre de colonies et de colons juifs israéliens dans les deux régions a considérablement augmenté. Au cours de la seule décennie écoulée, le nombre de colons juifs israéliens a augmenté de 43 %, soit plus de 20 fois le taux de croissance démographique d’Israël lui-même, qui est d’environ 1,60 %.28 En 2023, on dénombre environ 265 colonies et 500 000 colons rien que dans la zone
24 Ibid. Voir aussi Prof. Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023), p. 8. EEQ, vol. II, annexe 2.
25 Peace Now, « Settlements Watch: Population » (dernier accès : 24 avril 2023), disponible sur https://tinyurl.com/y6pt6bej.
26 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est*, Doc. UN A/HRC/22/63 (7 février 2013), p. 6.
27 Avis consultatif Mur, par. 120.
28 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 34; World Population Review, « Israel Population (2023) » (dernier accès : 15 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/yc5uzbhy.
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C.29 Entre 2004 et 2020, Israël a également autorisé plus de 47 000 colons juifs supplémentaires à s’installer à Jérusalem-Est ;30 pour un total qui s’élève aujourd’hui à environ 200 000 colons.31 Au total, quelque 700 000 colons, soit environ 11 % des Israéliens juifs, vivent aujourd’hui dans le TPO.32
2.10 Les dirigeants israéliens, toutes tendances politiques confondues, ont clairement indiqué que le maintien et l’expansion des colonies juives israéliennes constituaient un objectif politique essentiel. En présentant les colonies comme « une situation irréversible sur le terrain »,33 Israël revendique de fait un droit permanent sur le plus grand nombre de terres possible et vise à altérer de manière permanente la démographie du TPO. Comme l’a expliqué Yair Lapid, l’actuel chef de l’opposition israélienne, en 2016, peu avant de devenir ministre des Affaires étrangères : « Mon principe est le suivant : un maximum de Juifs sur un maximum de terres, avec un maximum de sécurité et un minimum de Palestiniens. »34 De même, l’actuel Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu déclarait en 2019 : « Je n’évacuerai aucune communauté [colonie] et je veillerai à ce que nous
29 Conseil des droits de l’homme, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé - Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Doc. UN A/HRC/52/76 (15 mars 2023), par. 5; C. Parker, « Jewish settler population in West Bank passes half a million » Washington Post (2 février 2023), disponible sur https://tinyurl.com/275bjwsf.
30 Peace Now, « Settlements Watch: Jerusalem » (dernier accès : 24 avril 2023), disponible sur https://tinyurl.com/59x5jesd. En 2004, on dénombrait 181 962 colons juifs israéliens. En 2020, ce nombre avait atteint 229 377.
31 Union européenne, 2021 Report on Israeli settlements in the occupied West Bank, including East Jerusalem (20 juillet 2022), disponible sur https://tinyurl.com/bdewbd86.
32 Z. Tahhan, « Israel’s settlements: Over 50 years of land theft explained », Al Jazeera (21 novembre 2017), disponible sur https://tinyurl.com/2s435w5e.
33 Voir par exemple, Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 47.
34 G. S. Hoffmann, « Lapid: US helped Iran fund its next war against Israel » The Jerusalem Post (26 janvier 2016), disponible sur https://tinyurl.com/54p37v2z.
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contrôlions le territoire à l’ouest du Jourdain ».35 La même année, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, déclarait : « Nous allons renforcer les blocs de colonies ... dont nous ne nous repartirons jamais ».36
2.11 Le fait que les colonies visent à judaïser le TPO ressort clairement, entre autres, du « plan directeur de Jérusalem » d’Israël, qui fixe comme objectif de « maintenir une majorité démographique juive dans un rapport de 60 à 40 » à Jérusalem et dans les zones environnantes.37 Cela est également clairement exprimé dans la Loi fondamentale israélienne de 2018, consacrant Israël en tant qu’État-nation du peuple juif. Cette loi, qui revêt un « statut quasi constitutionnel »,38 prévoit expressément que « l’État considère le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir son établissement et sa consolidation ».39
2.12 Israël met en oeuvre sa politique de colonisation de cinq manières principales.
2.13 Premièrement, Israël a saisi des terres utilisées et/ou possédées par des Palestiniens à Jérusalem-Est ainsi que dans la zone C, et les a mises à la disposition d’Israéliens juifs pour qu’ils y construisent des colonies et les infrastructures nécessaires à leur fonctionnement. Depuis 1967, Israël a mis à disposition plus de
35 « Netanyahu Says Will Begin Annexing West Bank if He Wins Israel Election », Haaretz (7 avril 2019), disponible sur https://tinyurl.com/yh8nanww.
36 « Benny Gantz, Netanyahu Rival, Gives Campaign Launch Speech - Full English Transcript », Haaretz (30 janvier 2019), disponible sur https://tinyurl.com/yp24z6c3.
37 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 44.
38 Ibid., par. 48.
39 Israel, Basic Law: Israel – the Nation State of the Jewish People (2018), disponible sur https://tinyurl.com/5n9b4nhs, art. 7.
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deux millions de dounams (2 000 km2) de terres, soit près de la moitié de la superficie de la Cisjordanie, pour l’implantation de colonies.40 Pour ce faire, il a pris, et continue de prendre, les mesures suivantes (entre autres) :
 Invocation de la « Loi sur la propriété des absents » pour saisir des terres palestiniennes privées que les propriétaires ont été contraints d’abandonner lorsqu’ils ont fui leurs domiciles pendant et après les guerres de 1948 et de 1967 ;41
 Désignation de terres palestiniennes privées ou non enregistrées comme « terres d’État » sur la base d’une utilisation abusive du Code foncier ottoman de 185842 (à ce jour, environ 800 000 dounams (800 km²) de la Cisjordanie ont été saisis de cette manière43) ;
 Expropriation formelle de terres palestiniennes privées ou non enregistrées à des « fins publiques » en vertu d’une loi jordanienne qui a continué à être appliquée dans le TPO après 196744 (à ce jour, 313 expropriations de ce type ont été effectuées, représentant une superficie de 74 000 dounams (740 km²45) ;
40 B’Tselem, This is Ours – And this, Too: Israel’s Settlement Policy in the West Bank (mars 2021), disponible sur https://tinyurl.com/yfhp5jz3, p. 6. Voir également Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023), p. 45-46. EEQ, vol. II, annexe 1.
41 Conseil norvégien pour les réfugiés, Legal Memo, The Absentee Property Law and its Application to East Jerusalem (Feb. 2017), disponible sur https://tinyurl.com/2bawaau4, pp. 1-2, 5.
42 Cette loi a été intégrée dans un certain nombre de lois jordaniennes adoptées au fil des années. La loi n° 14 de 1961 sur la protection des terres et des biens de l’État, promulguée dans le cadre des lois sur l’urbanisme, la construction et les terres, définit ce qui constitue une « terre d’État ». B’Tselem, Land Grab – Israel’s Settlement Policy in the West Bank (mai 2022), disponible sur https://tinyurl.com/crz2kxbn, p. 52-53, note 103.
43 Kerem Navot, For the Common Good: Military Expropriation Orders in the West Bank, 1967-2022 (décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/bdfhxx8c, p. 29.
44 Loi foncière - Acquisition à des fins publiques, loi n° 2 de 1953, modifiée par Israël par l’ordonnance relative à la loi foncière (acquisition à des fins publiques) (n° 321 et n° 949). Voir B’Tselem, Land Grab – Israel’s Settlement Policy in the West Bank (May 2022), disponible sur https://tinyurl.com/crz2kxbn, p. 60, note 146.
45 Kerem Navot, For the Common Good: Military Expropriation Orders in the West Bank, 1967-2022 (décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/bdfhxx8c, p. 3.
21
 Collaboration avec des agences quasi-gouvernementales pour acheter des terres palestiniennes privées et y établir des colonies (en août 2022, par exemple, le Fonds national juif, à la demande du ministère israélien de la Défense, a « voté l’allocation d’un montant de 61 millions de shekels [environ 17,7 millions d’euros aux taux alors en vigueur] à l’acquisition de terres appartenant à des Palestiniens dans la vallée du Jourdain ») ; 46 et
 Saisie « temporaire » de terres palestiniennes privées à des fins militaires47 (plus de 112 000 dounams (112 km²) ont ainsi été saisis au titre de plus de 1 300 ordonnances de saisie depuis 1967) ;48 des milliers « d’ordres de fermeture temporaire » sont en outre déclarés pour justifier la création de « zones de juridiction de colonie ».49
L’effet cumulé de ces mesures sur la Cisjordanie est illustré dans la Figure 2.1 après la page 22.
2.14 Deuxièmement, Israël permet et autorise directement ou indirectement l’établissement et l’expansion des colonies sur les terres acquises à Jérusalem-Est et dans la zone C. Prétendant avoir annexé Jérusalem-Est, Israël n’impose aucune restriction ni procédure spéciale aux colonies juives israéliennes, qui sont ipso facto autorisées par la loi.50 En Cisjordanie, les autorités israéliennes compétentes autorisent les colonies en prenant, notamment, des mesures telles que l’adoption de résolutions gouvernementales, l’attribution de terrains à construire et la délivrance
46 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 38; H. Shezaf, « JNF Approves Funds to Buy Palestinian-owned Jordan Valley Land at Israel’s Request » Haaretz (3 août 2022), disponible sur https://tinyurl.com/8n5mwfu5.
47 Peace Now, « Methods of Confiscation – How does Israel justify and legalize confiscation of lands? » (1er janvier 2009), disponible sur https://tinyurl.com/4embykwy.
48 Kerem Navot, « For the Common Good: Military Expropriation Orders in the West Bank, 1967-2022 » (juin 2023), disponible sur https://tinyurl.com/bdfhxx8c, p. 29.
49 Ibid., p. 30.
50 Voir Israel Policy Forum, « West Bank Settlements » (dernier accès : 29 juin 2023), note 2, disponible sur https://tinyurl.com/574fyk83.
22
de permis de construire.51 En juillet 2023, on dénombre 132 colonies autorisées dans la zone C et 14 à Jérusalem-Est.52
2.15 Pour la période allant du 1er juin 2021 au 31 mai 2022, le Secrétaire général des Nations Unies a fait état d’une forte accélération des activités de colonisation par Israël, « les autorités israéliennes ayant proposé ou approuvé la construction de près de 9 200 logements en Cisjordanie occupée (7 200 dans la zone C et 2 000 à Jérusalem-Est), contre 6 800 logements au cours de la période précédente. ».53
2.16 Au cours de l’année écoulée, l’autorisation accordée par Israël aux colonies n’a fait que s’accélérer. Rien qu’au cours du premier semestre 2023, le nombre de colonies approuvées a plus que doublé par rapport à la période de référence 2020-2021. En juin 2023, le New York Times rapportait que le gouvernement israélien « a décidé de faciliter et d’accélérer le processus d’approbation de nouvelles colonies juives en Cisjordanie occupée »54 en supprimant l’obligation d’une approbation politique de haut niveau à différentes étapes du processus, ouvrant ainsi la voie à une expansion encore plus rapide des colonies en Cisjordanie.55 Selon un reportage diffusé par la BBC le 27 juin 2023, cette accélération signifie
51 Bureau du Premier ministre d’Israël, Summary of the Opinion Concerning Unauthorized Outposts (10 mars 2005), disponible sur https://tinyurl.com/45mpp9ex.
52 Israel Policy Forum, « West Bank Settlements » (dernier accès : 29 juin 2023), disponible sur https://tinyurl.com/574fyk83 ; ONU, « Human Rights Council hears that 700,000 Israeli settlers are living illegally in the occupied West Bank - Meeting Summary (Excerpts) », disponible sur https://tinyurl.com/m4bnuaa6.
53 AGNU, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, Doc. UN A/77/493 (3 oct. 2022) (dossier n° 72) (La notation du dossier fait référence aux documents compilés conformément à l’article 65, par. 2 du Statut de la CIJ - Requête pour avis consultatif en application de la résolution 77/247 de l’Assemblée générale), par. 4.
54 I. Kershner, « Israel Eases West Bank Settlement Rules, Clearing Way for New Homes, » New York Times (18 juin 2023), disponible sur https://tinyurl.com/3bxzw73j.
55 Ibid.
Created using the interactive tool created by B’Tselem, available at:
https://conquer-and-divide.btselem.org/map-en.html
L’effet cumulatif des mesures israéliennes concernant les terres
des TPO sur la Cisjordanie
Figure 2.1

23
qu’au cours des six derniers mois, plus de 13 000 logements ont été construits dans le TPO, soit environ trois fois plus que pendant toute l’année 2022.56
2.17 Troisièmement, Israël a toléré, facilité et rétroactivement approuvé des colonies qualifiées d’« avant-postes », c’est-à-dire des colonies juives israéliennes qui ont été établies sans remplir toutes les conditions formelles prévues par la loi israélienne. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a indiqué qu’en 2023, on dénombre 147 de ces avant-postes en Cisjordanie, dont près de la moitié ne datent que depuis 2012.57
2.18 Bien qu’ils soient officiellement illégaux au regard du droit israélien, le HCDH explique que « les avant-postes sont souvent placés à des endroits stratégiques et jouent un rôle clef dans l’accaparement des terres palestiniennes », en grande partie du fait de leur grande taille et du manquement d’Israël à mettre un terme à leur expansion.58 Loin d’arrêter leur expansion, Israël « cherche à trouver une voie juridique pour permettre la légalisation rétroactive » des avant-postes.59 Depuis 1993, Israël a rétroactivement autorisé plus de 30 avant-postes,60 dont certains construits sur des terres appartenant à des Palestiniens.61 Pour le seul mois
56 Voir Y. Knell, « West Bank : US ’troubled’ by Israeli settlement expansion plans », BBC (27 juin 2023), disponible sur https://tinyurl.com/3a26483c.
57 Conseil des droits de l’homme, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé - Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Doc. UN A/HRC/52/76 (15 mars 2023), par. 12.
58 Ibid.
59 Ibid., par. 14.
60 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 26 (on dénombrait 23 avant-postes rétroactivement autorisés en septembre 2022).
61 AGNU, Situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. UN A/73/447 (22 octobre 2018), par. 54.
24
de février 2023, neuf avant-postes ont été rétroactivement autorisés.62 Ces autorisations rétroactives sont facilitées par une loi qui permet à Israël d’exproprier des terres palestiniennes privées sur lesquelles des avant-postes ont déjà été construits.63 En janvier 2020, par exemple, la Haute Cour israélienne a autorisé la création de la colonie d’Ofra, illustrée ci-dessous, tout en reconnaissant qu’elle avait été partiellement construite sur 12 acres de terres palestiniennes « accidentellement expropriées ».64 Il va sans dire que cette pratique persistante consistant à autoriser rétroactivement les avant-postes ne fait qu’encourager les colons à en créer encore davantage.
Figure 2.2 : Vue de la colonie israélienne d’Ofra, dans le centre de la Cisjordanie, avec la ville palestinienne d’Ein Yabrud en arrière plan, 17 novembre 201665
62 Département d’État américain, Communiqué de presse : Israeli Settlement and Outpost Legalization Announcement (13 février 2023), disponible sur https://tinyurl.com/54y3h2vw.
63 Human Rights Watch, A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution (2021) (ci-après, « Rapport HRW 2021 »), disponible sur https://tinyurl.com/3s2vdjw9, p. 72.
64 J. Magid, « Court gives nod to settlement largely built on private Palestinian land », Times of Israel (7 janvier 2020), disponible sur https://tinyurl.com/2r953jwt/.
65 Ibid.
25
2.19 Quatrièmement, Israël soutient et encourage les implantations dans le TPO au moyen de financements et d’incitations financières. Bien que l’investissement de l’État dans les colonies ne constitue pas explicitement un poste de dépense dans son budget public, Israël a investi « plusieurs milliards de dollars pour construire des colonies et les infrastructures correspondantes ».66 Les entités quasi-gouvernementales qui reçoivent des financements de la part d’Israël,67 telles que l’Organisation sioniste mondiale, fournissent également des fonds aux colons et aux promoteurs pour l’achat de terres appartenant à des Palestiniens en Cisjordanie et pour la construction de logements sur ces terres.68
2.20 Le HCDH signale en outre que « [p]endant des décennies, les colons ont été incités, par des mesures économiques et autres, à s’installer en Cisjordanie ».69 Il s’agit notamment d’un « programme de subventions et d’aides publiques » à multiples facettes visant à encourager les migrants juifs israéliens à s’installer en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) et à favoriser leur développement économique.70 Les colonies sont définies comme des « zones de priorité
66 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 25.
67 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. UN A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 21.
68AGNU, Note du Secrétaire général: Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 38.
69 Conseil des droits de l’homme, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé - Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Doc. UN A/HRC/43/67 (30 janvier 2020), par. 14.
70 AGNU, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. UN A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 22. Voir aussi Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 39.
26
nationale » et bénéficient d’avantages spéciaux en matière de logement et d’éducation ; des incitations sont également accordées aux secteurs de l’industrie, de l’agriculture et du tourisme.71 Ces avantages incluent notamment :
 Prêts hypothécaires à faible taux d’intérêt, exonération de pénalités et de frais de capitalisation lors du remboursement du prêt hypothécaire, et subventions sur les coûts de développement (octroyées par le ministère de la Construction et du Logement) ;72
 Baux à conditions préférentielles sur des terrains et logements (accordés par l’Administration foncière israélienne) ;73
 Incitations pour les enseignants à s’installer et travailler dans les colonies sous forme d’augmentations de salaire (accordées par le ministère de l’Éducation) ;74
 Subventions aux investissements dans les zones industrielles et pour la construction d’infrastructures les desservant (accordées par le ministère de l’Industrie et du Commerce) ;75
 Soutien financier aux nouveaux agriculteurs et incitations pour les institutions proposant des programmes de mentorat agricole (accordés par le ministère de l’Agriculture) ;76 et
 Réductions de l’impôt sur le revenu pour les particuliers et les entreprises (accordées par le ministère des Finances).77
71 B’Tselem, This is Ours – And This, Too: Israel’s Settlement Policy in the West Bank (mars 2021), disponible sur https://tinyurl.com/3bb8a25u, p. 12.
72 Ibid., p. 14.
73 Ibid.
74 Ibid., p. 16.
75 Ibid., p. 15.
76 Ibid. p. 15-16.
77 Ibid., p. 16.
27
2.21 Cinquièmement, Israël facilite l’implantation de colonies en construisant des infrastructures qui les desservent et les intègre de fait au sein des frontières d’Israël d’avant 1967. Certaines de ces infrastructures ont été construites sur des terres palestiniennes privées qu’Israël a expropriées.78 Israël a construit des routes, des réseaux d’eau et d’égouts, des systèmes de télécommunications et d’électricité, ainsi que des établissements d’enseignement et de soins de santé pour servir les colonies.79 Aucune de ces infrastructures ne dessert les communautés palestiniennes voisines.80
2.22 Cette ségrégation est illustrée de la manière la plus frappante par les réseaux d’eau et de routes en Cisjordanie.
2.23 Mekorot, la compagnie nationale israélienne des eaux, est propriétaire du réseau d’eau de Cisjordanie depuis 1982. Elle exploite « des dizaines de puits, de conduites principales et de réservoirs dans la zone C grâce auxquels elle prélève de l’eau à partir du territoire palestinien pour alimenter les colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie ».81 Contrairement aux communautés palestiniennes, dont beaucoup ne sont pas raccordées au réseau Mekorot et qui souffrent
78 B’Tselem, Land Grab – Israel’s Settlement Policy in the West Bank (mai 2022), disponible sur https://tinyurl.com/crz2kxbn, p. 61-62.
79 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 25.
80 Amnesty International, Destination: Occupation - Digital Tourism and Israel’s Illegal Settlements in the Occupied Palestinian Territories (2019), p. 29 (« les colonies et les infrastructures associées ne sont pas temporaires, ne profitent pas aux Palestiniens et ne répondent pas aux besoins de sécurité légitimes de la puissance occupante »), disponible sur https://tinyurl.com/yasp35vn.
81 Conseil des droits de l’homme, Répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Doc. UN A/HRC/48/43 (15 octobre 2021), par. 18.
28
fréquemment « de longues pénuries d’eau »,82 toutes les colonies juives israéliennes bénéficient « d’un niveau correspondant à ceux des pays développés aux fins d’approvisionnement en eau de boisson, d’assainissement et d’utilisation commerciale ».83
Figure 2.3 : Piscine à Ma’ale Adumim. Avec un approvisionnement en eau environ quatre fois supérieur à celui des communautés palestiniennes, les colonies israéliennes telles que Ma’ale Adumim contrastent fortement avec les quartiers voisins palestiniens 84
2.24 Depuis le début de l’occupation en 1967, Israël a configuré de la même manière le réseau routier pour relier les colonies de Cisjordanie « entre elles ainsi
82 82 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur l’accès à l’eau et la dégradation de l’environnement, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/40/73 (30 mai 2019), par. 51.
83 Ibid., par. 52.
84 Amnesty International, « L’occupation de l’eau » (29 Nov. 2017), disponible sur https://tinyurl.com/428hpfv8.
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qu’avec les villes israéliennes ».85 En particulier, l’Autorité nationale des routes d’Israël a construit des centaines de kilomètres de routes en Cisjordanie qui sont destinées à desservir les colonies.86 Les Palestiniens ne sont même pas autorisés à emprunter certaines routes, comme l’explique la Section III(A) ci-dessous.
2.25 En outre, comme l’explique en détail l’avis consultatif de la Cour dans l’affaire du Mur, Israël a construit, à partir de 2002, un mur de 80 kilomètres qui empiète considérablement sur la Cisjordanie. La Cour a estimé que la construction de cet ouvrage contrevenait au droit international et qu’il devait être démantelé.87 Or non seulement celui-ci est toujours en place, mais il a même été étendu au cours des années qui ont suivi 2004. Le Mur incorpore de fait le territoire de Cisjordanie où se trouvent les colonies au sein des frontières israéliennes d’avant 1967. En 2022, du côté israélien (c’est-à-dire occidental) du Mur, dans ce que l’on appelle la « zone de jointure » (c’est-à-dire la zone située entre la ligne verte et le Mur), on dénombrait environ 71 colonies, dans lesquelles résident plus de 85 % des colons juifs israéliens.88
85 AGNU, Situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. UN A/73/447 (22 octobre 2018), par. 50.
86 Voir OCHA, West Bank: The Humanitarian Impact of Israeli Settlement Activities (21 décembre 2017), disponible sur https://tinyurl.com/23w4y65k.
87 Avis consultatif Mur , par. 163.
88 Voir OCHA, The humanitarian impact of 20 years of the Barrier - December 20 22 (30 décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/ysmyh52j. Voir également Avis consultatif Mur , par. 84-85, 119.
30
Figure 2.4 : Des colons juifs vivant dans le complexe de la Tombe de Rachel profitent de leur terrain de jeu situé à côté d’une section du Mur israélien les séparant de la ville de Bethléem en Cisjordanie, 8 mars 202289
2.26 Israël facilite l’établissement, le maintien et l’expansion des colonies d’une autre manière encore. Ainsi que cela est détaillé dans les sections suivantes, Israël adopte diverses mesures qui obligent les Palestiniens résidant en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) à quitter leurs terres et leurs domiciles. Ces mesures libèrent une importante quantité de terres dans le TPO pour l’implantation de colonies de peuplement juives israéliennes et d’infrastructures d’appui.
II. Exclusion et déplacement des Palestiniens du TPO
2.27 Afin de consolider son contrôle sur le TPO, d’obtenir autant de terres que possible pour les colonies de peuplement juives israéliennes et de modifier la
89 O. Balilty, « AP PHOTOS: Israel’s separation barrier, 20 years on », Associated Press (27 juin 2022), disponible sur https://tinyurl.com/n3pv5kmb.
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démographie dans les territoires qu’il contrôle, Israël exclut les Palestiniens du TPO (Section A), contraint les Palestiniens au déplacement au sein du TPO en contrôlant leurs droits de résidence (Section B) et adopte et applique des politiques d’utilisation des terres qui empêchent les Palestiniens de construire des logements et d’autres structures, entraînent la démolition de logements et autres structures palestiniens, et expulsent les Palestiniens de leurs domiciles (Section C).
A. EXCLUSION DES PALESTINIENS DU TPO
2.28 Comme l’explique le professeur Khalidi dans son rapport d’expert présenté ici, les premiers sionistes, tel que Theodor Herzl, appelaient ouvertement « au déplacement des habitants de la Palestine vers ‘d’autres provinces et territoires de l’Empire ottoman’ ».90 Israël continue aujourd’hui d’appliquer le discours de Herzl en prenant diverses mesures pour empêcher les Palestiniens qui vivent actuellement en dehors du TPO d’y entrer et d’y résider, afin de réduire au minimum la population palestinienne. Cela passe par trois grands types de mesure.
2.29 Premièrement, Israël refuse aux réfugiés palestiniens le droit d’entrer ou de résider dans le TPO.91 Les « réfugiés palestiniens » sont les réfugiés éligibles aux services de l’UNRWA, c’est-à-dire les personnes (et leurs descendants) qui ont été expulsées de leur domicile en Palestine mandataire lors de la Nakba en 1948.92 On dénombre aujourd’hui environ 5,9 millions de réfugiés palestiniens.93 Si beaucoup vivent en Cisjordanie ou à Gaza, la majorité d’entre eux vivent en dehors du TPO,
90 Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023), p. 5. EEQ, vol. II, annexe 1.
91 Rapport HRW 2021, p. 49
92 UNRWA, « Palestine Refugees » (dernier accès : 15 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/yc4wa2th.
93 Ibid.
32
en Jordanie, en Syrie et au Liban.94 Plus d’un million de personnes vivant en dehors du TPO demeurent apatrides, nombre d’entre elles vivant dans des camps de réfugiés surpeuplés, dépourvus d’infrastructures de base.95
Figure 2.5 : Une femme passe devant des vêtements laissés à sécher dans le camp de réfugiés de Burj al-Barajneh à Beyrouth, Liban, 29 janvier 201896
2.30 Israël refuse aux réfugiés palestiniens vivant en dehors du TPO la possibilité d’y résider, même s’ils y ont de la famille.97 En d’autres termes, bien
94 Voir UNRWA, « Where We Work » (dernier accès : 15 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/4898vxnn.
95 Voir N. Citino et al, « Generations of Palestinian Refugees Face Protracted Displacement and Dispossession », Migration Policy Institute (3 mai 2023), disponible sur https://tinyurl.com/bdexnka3. La majorité des réfugiés palestiniens, environ 3,5 millions, vivent en dehors du TPO. Parmi eux, la grande majorité des quelque 1,1 million de personnes vivant en Syrie et au Liban restent apatrides, de même qu’environ un quart des 2,4 millions de personnes vivant en Jordanie. Voir aussi rapport HRW 2021, p. 203.
96 « In Lebanese camp for Palestinian refugees, fears after aid cut », Reuters (30 janvier 2018), disponible sur https://tinyurl.com/msr4k7zj.
97 Rapport HRW 2021, p. 49
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qu’ils soient palestiniens (beaucoup d’entre eux ne disposant pas d’une nationalité étrangère), ils ne peuvent ni entrer ni s’installer dans le TPO. À cela s’ajoute le refus catégorique d’Israël de permettre à ces réfugiés de retourner dans leur pays d’origine à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967. Israël considère qu’accorder aux réfugiés palestiniens leur droit au retour signifierait la « destruction d’Israël en tant qu’État juif ».98 Comme l’ont noté de nombreux Rapporteurs spéciaux des Nations Unies et experts en droits de l’homme, ces réfugiés « ont été systématiquement privés de leur droit au retour et contraints de vivre en exil dans des conditions précaires et vulnérables en dehors des frontières de la Palestine ».99 Cette exclusion « sert le projet de colonisation poursuivi par Israël ».100
2.31 Deuxièmement, Israël refuse le droit de résidence dans le TPO aux Palestiniens (ainsi qu’à leurs descendants) qui y résidaient en septembre 1967, mais qui n’y étaient pas physiquement présents. Pour ce faire, il contrôle « le registre d’état civil en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui enregistre chaque naissance, mariage, divorce, changement d’adresse et décès de Palestiniens ».101 L’inscription sur ce registre est exigée pour avoir le droit de résider en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) ou à Gaza.102 Pourtant, au moins 270 000 Palestiniens qui vivaient dans le TPO avant septembre 1967 ont été exclus de ce registre d’état civil (perdant de ce fait leurs droits de résidence) au motif qu’ils étaient absents lors du recensement conduit par Israël après-guerre « soit parce qu’ils avaient fui
98 Ibid., p. 47.
99 HCDH, Communiqué de presse des rapporteurs spéciaux et des experts, Right of return of Palestinian refugees must be prioritized over political considerations (21 juin 2023), disponible sur https://tinyurl.com/27je9h27.
100 Ibid.
101 Rapport HRW 2021, p. 51
102 Ibid., p. 16.
34
pendant la guerre de 1967, soit parce qu’ils se trouvaient alors à l’étranger pour étudier, travailler ou pour d’autres raisons ».103 Après 1967, Israël a érigé des barrières à leur retour.104 Ainsi par exemple, jusqu’en 2000, de nombreux candidats au retour devaient passer par une « procédure restrictive de regroupement familial ... basée sur des quotas annuels peu élevés et soumise à des critères arbitraires et changeants, ne prenant pas en compte les véritables liens familiaux ou historiques » avec la Cisjordanie ou la bande de Gaza.105 Depuis 2000, Israël a pour l’essentiel gelé le regroupement familial, ainsi que nous l’expliquons ci-dessous au paragraphe 2.33.106
2.32 Troisièmement, après 1967, Israël a rayé du registre de l’état civil des centaines de milliers de Palestiniens supplémentaires qui avaient temporairement quitté le TPO.107 Selon Human Rights Watch, entre 1967 et 1994, par exemple, Israël a « annulé l’enregistrement de 140 000 Palestiniens inscrits, uniquement parce qu’ils avaient quitté la Cisjordanie pour une période de plus de trois ans ».108 Au cours de la même période, Israël a également « révoqué la résidence de 108 878 Palestiniens de Gaza, soit parce qu’ils avaient séjourné à l’étranger pendant plus de sept ans, soit parce qu’ils n’avaient pas été présents lors des recensements effectués
103 Ibid., p. 188.
104 Ibid.
105 Ibid.
106 Ibid., p. 190.
107 Voir Human Rights Watch, « Forget About Him, He’s Not Here : Israel’s Control of Palestinian Residency in the West Bank and Gaza » (février 2012), disponible sur https://tinyurl.com/3jamdntv, p. 62. Les groupes de défense des droits israéliens B’Tselem et HaMoked ont également estimé qu’il était « probable que cette politique ait été dictée par des motivations politiques et démographiques ». B’Tselem & HaMoked, Perpetual Limbo: Israel’s Freeze on Unification of Palestinian Families in the Occupied Territories (juillet 2006), disponible sur https://tinyurl.com/4zasntma; B’Tselem, « Residents without Status » (21 juillet 2013), disponible sur https://tinyurl.com/3439ebh3.
108 Rapport HRW 2021, p. 188
35
en 1981 et 1988 ».109 Israël a également révoqué le statut de résident permanent d’au moins 14 701 Palestiniens de Jérusalem-Est entre 1967 et fin 2020.110
B. RESTRICTIONS AU DROIT DE RESIDENCE DES PALESTINIENS PRESENTS DANS LE TPO
2.33 Les Palestiniens qui résident aujourd’hui dans le TPO sont également confrontés à des restrictions et à des menaces concernant leur droit de résidence. En contrôlant strictement l’endroit où les Palestiniens peuvent vivre, Israël renforce son contrôle sur le TPO et expulse les Palestiniens des zones où il cherche à développer des colonies de peuplement.
2.34 Israël empêche tout d’abord les Palestiniens qui résident dans le TPO, mais qui ne sont pas inscrits au registre d’état civil, de se faire enregistrer, or cela est une condition pour l’obtention de droits de résidence formels. Depuis 2000, Israël largement « refuse de mettre à jour le registre d’état civil ou de traiter les demandes de résidence des Palestiniens non enregistrés, de leurs conjoints et de leurs proches parents, même s’ils vivent en Cisjordanie ou à Gaza depuis des années et y ont des familles, des maisons, des emplois ou d’autres liens ».111 Les autorités israéliennes ont invoqué « la situation sécuritaire consécutive au déclenchement de la seconde Intifada pour justifier le gel, mais elles n’ont pas expliqué pourquoi leur refus général de traiter les nouvelles demandes est nécessaire pour des raisons de sécurité ».112 Selon Human Rights Watch, elles « refusent tout simplement de traiter toute nouvelle demande sans la moindre explication ou d’examiner si la
109 Ibid., p. 188-189.
110 Ibid., p. 192.
111 Ibid., p. 189.
112 Ibid., p. 189-190.
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personne concernée présente une menace pour la sécurité ».113 Une enquête menée en 2005 a estimé que « plus de 640 000 Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza avaient un parent, un frère ou une soeur, un enfant ou un conjoint qui n’était pas enregistré, bien que 78,4 % d’entre eux eussent déposé une demande de regroupement familial qui n’avait pas encore été traitée ».114
2.35 Les personnes non enregistrées risquent d’être expulsées, car elles n’ont pas de statut de résident légal dans le TPO.115
2.36 Outre l’expulsion des personnes non enregistrées, Israël a eu périodiquement recours à l’expulsion forcée, parfois en masse, de Palestiniens du TPO à titre de mesure punitive pour leur implication présumée dans des attaques contre des Israéliens. En décembre 1992, par exemple, pendant la première Intifada, « Israël a déporté 415 Palestiniens des territoires occupés vers le Sud-Liban », qui était alors occupé par Israël.116 Cette mesure « a été prise à la suite de l’assassinat, le même mois, de six membres des forces de sécurité israéliennes par des Palestiniens ».117
2.37 Les Palestiniens enregistrés et résidant légalement dans le TPO sont également confrontés à diverses restrictions concernant leur résidence et la possibilité pour eux de déménager au sein même du TPO.
113 Ibid., p. 190.
114 Ibid., p. 189.
115 Ibid., p. 193.
116 B’Tselem, Deportation of Palestinians from the Occupied Territories and the Mass Deportation of December 1992 (juin 1993), disponible sur https://tinyurl.com/3y3k63az,p. 7.
117 Ibid.
37
2.38 Premièrement, il est pratiquement impossible pour les Palestiniens enregistrés à Gaza de transférer officiellement leur résidence en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est.118 Les Palestiniens enregistrés à Gaza mais vivant en Cisjordanie sont considérés comme des « infiltrés » et risquent d’être transférés de force à Gaza.119 En 2010, « environ 35 000 Palestiniens de Gaza vivaient en Cisjordanie avec des permis expirés ».120
2.39 Deuxièmement, les Palestiniens enregistrés en Cisjordanie qui s’installent temporairement à Gaza sont souvent contraints de renoncer à leur droit de vivre en Cisjordanie lorsqu’ils tentent de quitter Gaza.121 L’organisation israélienne de défense des droits humains Gisha explique ainsi : « Les Palestiniens enregistrés comme résidents de Cisjordanie dans le registre de l’état civil palestinien et qui résident dans la bande de Gaza doivent signer un document attestant qu’ils se sont « installés » à Gaza de manière permanente afin de pouvoir demander un permis israélien de sortie de Gaza, quelle qu’en soit la raison ».122 En leur faisant signer ce document, Israël oblige de fait les Palestiniens à « renoncer à leur droit de retourner en Cisjordanie à l’avenir ».123
2.40 Conséquence pratique de cette politique : les familles palestiniennes dont l’un des conjoints est enregistré comme résident de Gaza et l’autre comme résident
118 Rapport HRW 2021, p. 189-190.
119 Ibid., p. 191. Voir aussi Gisha, One-Way Ticket: Israel is committing forcible transfer of protected persons in the occupied Palestinian territory, and most of the victims are women (25 décembre 2022), disponible https://tinyurl.com/mw5ej6ch, p. 3.
120 Rapport HRW 2021, p. 190-191.
121 Gisha, One-Way Ticket: Israel is committing forcible transfer of protected persons in the occupied Palestinian territory, and most of the victims are women (25 décembre 2022), disponible https://tinyurl.com/mw5ej6ch, p. 3.
122 Ibid., p. 1.
123 Ibid.
38
de Cisjordanie ne peuvent vivre ensemble qu’à Gaza.124 Cette situation affecte les femmes de manière disproportionnée, car ce sont souvent elles qui déménagent pour se rapprocher de la famille de leur conjoint après le mariage.125
2.41 Troisièmement, le droit des Palestiniens à résider à Jérusalem-Est peut être révoqué de façon arbitraire. Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, la résidence permanente des Palestiniens de Jérusalem-Est « peut être révoquée à tout moment, à l’entière discrétion du ministre de l’Intérieur ».126 Comme cela a été indiqué, entre 1967 et fin 2020, « Israël a révoqué le statut de résident permanent d’au moins 14 701 Palestiniens de Jérusalem-Est ».127
2.42 Human Rights Watch explique que les « autorités israéliennes ont justifié la plupart des révocations par l’incapacité de prouver l’existence d’un « centre de vie » à Jérusalem, en ciblant les personnes qui, selon elles, vivaient dans d’autres parties du Territoire palestinien occupé en dehors des frontières municipales de Jérusalem ou qui avaient étudié ou vécu à l’étranger pendant des périodes prolongées ».128 Bien que « [c]es personnes qui perdent leur résidence puissent contester la licéité de la révocation ou demander au ministère de l’Intérieur de rétablir leur statut », cela nécessite de passer par « des procédures juridiques et administratives prolongées que beaucoup ne peuvent pas se permettre ».129
124 Ibid.
125 Ibid.
126 B’Tselem, A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid (12 janvier 2021), disponible sur https://tinyurl.com/4yzzwvuv, p. 2.
127 Rapport HRW 2021, p. 192
128 Ibid.
129 Human Rights Watch, « Israel: Jerusalem Palestinians Stripped of Status » (8 août 2017), disponible sur https://tinyurl.com/4rmn4j5v.
39
2.43 D’autres expulsions de Jérusalem-Est sont de nature punitive. Ainsi par exemple, comme le documente le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (« OCHA »), « [l]e 10 mars 2016, les autorités israéliennes ont forcé la famille de l’auteur présumé d’une fusillade à quitter Jérusalem-Est... Les quatre frères et soeurs aînés ainsi que leur mère ont été conduits par la police israélienne jusqu’au point de contrôle de Qalandiya et ont reçu l’ordre de quitter Jérusalem-Est ».130
2.44 Les Palestiniens qui sont citoyens israéliens ou qui ont le droit de résider à Jérusalem-Est se heurtent également à de sérieux obstacles pour y vivre avec leur famille. Comme l’a noté le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (« CERD ») en 2020, la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël « suspend, à de rares exceptions près, le droit des citoyens israéliens ou des résidents de Jérusalem-Est d’obtenir le regroupement familial lorsque leur conjoint est palestinien et vit en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza ».131 De plus, même si l’enfant ou le conjoint d’un Palestinien de Jérusalem-Est vit à Jérusalem-Est, ils ne pourront obtenir automatiquement un permis de résidence,132 les exposant ainsi au risque de se faire expulser de ce territoire. Haneen Zoabi, ancienne députée arabe israélienne à la Knesset, a expliqué les difficultés auxquelles sont confrontés les conjoints des habitants de Jérusalem-Est : « Si un Israélien épouse une Palestinienne ou vice versa, les autorités accordent au partenaire de Cisjordanie un permis de séjour
130 OCHA, « Israeli bills would allow punitive expulsions from the West Bank » (26 avril 2016), disponible sur https://tinyurl.com/yaa728kf.
131 Comité CERD, Observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, Doc. UN CERD/C/ISR/CO/17-19 (27 janv. 2020) (ci-après, « Observations finales CERD 2020 »), par. 24.
132 Amnesty International, Israel’s Apartheid Against Palestinians: Cruel System Of Domination And Crime Against Humanity (1er février 2022) (ci-après « Rapport Amnesty International 2022 »), disponible sur https://tinyurl.com/bdfscyf2, p. 85.
40
temporaire, qui doit être renouvelé en permanence, et la demande est souvent rejetée dès le départ ».133
2.45 Ces restrictions à la résidence des Palestiniens à Jérusalem-Est sont une pièce maîtresse des politiques de contrôle démographique d’Israël.134 En 2021, le ministre israélien des Affaires étrangères a confirmé la nature intentionnellement discriminatoire de la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël, décrivant celle-ci comme « l’un des outils visant à assurer une majorité juive en Israël ».135 Entre autres lois et politiques, le plan directeur de Jérusalem, c’est-à-dire le plan gouvernemental pour cette municipalité, a tout simplement limité le nombre de résidents palestiniens à 40 % de la population de la ville.136
2.46 Comme nous l’avons vu, Israël cherche à déplacer les Palestiniens vivant dans le TPO vers des zones qu’il considère comme moins attractives pour la colonisation. Les Palestiniens de Jérusalem-Est annexée sont confrontés à la situation la plus précaire et se retrouvent souvent déplacés vers d’autres parties de
133 « Why did MK Haneen Al Zoabi challenge the State of Israel? » DW (8 novembre 2014), disponible sur https://tinyurl.com/sxaaxwdx (« 1,2 million de Palestiniens vivent isolés en marge de la société, et la majorité de la société israélienne rejette leurs valeurs, leur histoire et leur culture, selon Al Zoabi. La situation ne s’arrête pas là, selon les termes d’Al Zoabi. Toujours selon cette dernière, la discrimination à l’égard des Palestiniens est évidente si l’on examine de nombreuses lois israéliennes et elle en donne quelques exemples, concernant notamment la question de la réunification : si un Israélien épouse une Palestinienne ou vice versa, les autorités accordent au partenaire de Cisjordanie un permis de séjour temporaire, qui doit être renouvelé en permanence, et la demande est souvent rejetée dès le départ, explique Al Zoabi) (« ملیون فلسطیني یعیشون منعزلین 1.2
على المجتمع، والغالبیة في المجتمع الإسرائیلي ترفض قیمھم وتاریخھم وثقافتھم، حسب قول الزعبي. ولا یتوقف الأمر عند ھذ ا الحد، حسب تعبیر الزعبي. فالتمییز ضد الفلسطینیین، حسب قول الزعبي، یتضح بإلقاء نظرة على الكثیر من القوانین الإسرائیلیة
وتذكر بعض الأمثلة: لنأخذ قضیة لم الشمل مثلا، كما تقول الزعبي: إذا تزوج إسرائیلي فلسطینیة أو العكس، فأن السلطات تمنح
الشریك أو الشریكة القادمة من الضفة الغربیة رخصة إقامة مؤقتة والتي یجب تجدیدھا بشكل مستمر، كما یتم في كثیر من الأحیان
رفض الطلب أساسا، حسب قول الزعبي . »).
134 Human Rights Watch, « Israel: Jerusalem Palestinians Stripped of Status » (8 août 2017), disponible sur https://tinyurl.com/4rmn4j5v.
135 N. Shpigel, « Israel’s Parliament Votes to Extend Ban on Palestinian Family Unification », Haaretz (6 mars 2023), disponible sur https://tinyurl.com/muva6ck2.
136 Rapport HRW 2021, p. 63
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la Cisjordanie. Pour leur part, les habitants de Cisjordanie, où sont concentrées les colonies de peuplement israéliennes, sont souvent déplacés vers Gaza. Ce « billet aller simple »137 vers Gaza sert l’objectif d’Israël : « un maximum de Juifs sur un maximum de terres . . . et où vivent un minimum de Palestiniens ».138
C. DEVELOPPEMENT DES COMMUNAUTES PALESTINIENNES, ET DESTRUCTION ET EXPULSION DE CES MEMES COMMUNAUTES
2.47 Non content d’expulser les Palestiniens de leurs habitations en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), en refusant et en révoquant les droits de résidence, Israël restreint également le développement des communautés palestiniennes dans cette région au moyen de ses politiques foncières. Ces politiques ont en outre pour effet de forcer les Palestiniens à abandonner leurs habitations situées dans des zones qu’Israël juge attractives pour l’implantation de colonies de peuplement juives israéliennes. Cela passe par quatre mesures principales.
2.48 Premièrement, Israël rend une grande partie des terres de la zone C de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est inaccessibles pour les Palestiniens. Ainsi que cela a déjà été indiqué, Israël a désigné plus de 70 % de la zone C comme terres d’État, réserves naturelles ou zones militaires. Une grande partie de ces terres a été attribuée à des colons juifs israéliens,139 permettant ainsi la construction de colonies
137 Gisha, One-Way Ticket: Israel is committing forcible transfer of protected persons in the occupied Palestinian territory, and most of the victims are women (25 décembre 2022), disponible https://tinyurl.com/mw5ej6ch, p. 1.
138 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 46.
139 Conseil des droits de l’homme, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé - Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Doc. UN A/HRC/52/76 (15 mars 2023), par. 8.
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où vivent aujourd’hui environ 500 000 personnes.140 Pour leur part, les Palestiniens n’ont reçu que 0,7 % de ces terres.141
2.49 En outre, comme l’a indiqué la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, la superficie « [d]es terres disponibles pour l’agriculture palestinienne est passée de 2,4 millions de dounoums en 1980 à environ 1 million de dounoums en 2010 » en Cisjordanie.142 En 2017, Israël a par ailleurs exproprié environ 38 % des terres de Jérusalem-Est (s’agissant principalement de terres palestiniennes privées, mais aussi de terres publiques) « pour être réservées aux Juifs, ce qui laissait aux Palestiniens de Jérusalem une assise territoriale réduite pour accueillir une population sans cesse croissante ».143
2.50 Israël a également « gelé le processus d’enregistrement des terres » pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.144 Ce gel ne s’applique qu’aux propriétaires terriens non juifs, l’enregistrement des colonies juives s’étant poursuivi depuis le début de l’occupation.145 Aujourd’hui, environ 50 % des terres
140 C. Parker, « Jewish settler population in West Bank passes half a million », Washington Post (2 février 2023), disponible sur https://tinyurl.com/275bjwsf.
141 C. Levinson, « Just 0.7% of State Land in the West Bank has been allocated to Palestinians, Israel admits », Haaretz (28 mars 2013), disponible sur https://tinyurl.com/46s6c9w2.
142 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 72.
143 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 44.
144 Rapport HRW 2021, p. 112
145 Ir Amim, Displaced in Their Own City: The Impact of Israeli Policy in East Jerusalem on the Palestinian Neighborhoods of the City beyond the Separation Barrier (juin 2015), disponible sur https://tinyurl.com/4mzmkjf5, p. 10.
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de Jérusalem-Est « ne sont enregistrées sous aucune forme ».146 Selon Human Rights Watch, les terres palestiniennes non enregistrées risquent ainsi d’être confisquées et il est difficile pour leurs propriétaires d’obtenir des permis de construire.147
2.51 Deuxièmement, dans les 30 % de la zone C de la Cisjordanie qu’Israël n’a pas désignés comme terres d’État, réserves naturelles ou zones militaires, ainsi qu’à Jérusalem-Est, les politiques foncières israéliennes empêchent de fait effectivement les Palestiniens d’y construire de nouvelles structures. Comme l’a noté Amnesty International, « le zonage et la planification dans la zone C sont soumis à une combinaison de lois ottomanes, britanniques et jordaniennes appliquées de manière sélective et modifiées par une série d’ordonnances militaires israéliennes émises depuis 1967 pour servir les objectifs territoriaux et démographiques d’Israël dans la région ».148
2.52 En particulier, Israël refuse d’actualiser ses plans directeurs de façon à refléter les besoins actuels et futurs des communautés palestiniennes, tout en exploitant des plans dépassés comme prétexte pour interdire pratiquement toute construction et tout raccordement à de nouvelles infrastructures pour les Palestiniens dans la zone C.149 La Commission internationale indépendante d’enquête des Nations Unies sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, explique ainsi : « L’Administration civile et les tribunaux israéliens continuent de s’appuyer sur ces plans obsolètes pour traiter les demandes de permis de construire palestiniens, alors même qu’ils approuvent des
146 Ibid.
147 Voir Rapport HRW 2021, p. 112.
148 Rapport Amnesty International 2022, p. 158.
149 B’Tselem, Acting the Landlord: Israel’s Policy in Area C, the West Bank (juin 2013), disponible sur https://tinyurl.com/bdjsyvf2, pp. 13-15.
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centaines de nouveaux plans-cadres visant à modifier le zonage pour permettre les activités de construction des colonies israéliennes ».150 La Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a en outre observé que « [d]es déclarations faites par des responsables israéliens font apparaître que les activités de construction des Palestiniens sont considérées comme un obstacle aux activités israéliennes de peuplement en Cisjordanie, d’où la nécessité de prendre des mesures de confiscation, de démolition et de déplacement ».151
2.53 En raison de ces politiques, entre 2009 et 2018, Israël n’a approuvé que 2 % des demandes de construction palestiniennes dans la zone C de la Cisjordanie.152 À Jérusalem-Est, entre 1991 et 2018, les urbanistes israéliens n’ont approuvé que 9 536 permis de construire pour des Palestiniens, contre 21 834 pour des Israéliens.153 La plupart des demandes de permis de construire palestiniennes sont rejetées « au motif que le zonage ne permet pas les activités de construction, même lorsque le terrain appartient au demandeur ».154
2.54 Ces restrictions de zonage contribuent de manière significative au déplacement des Palestiniens. Comme l’explique l’OCHA, « [p]our répondre à leurs besoins en matière de logement et de travail, de nombreux Palestiniens n’ont
150 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 43.
151 Ibid., par. 45.
152 Peace Now, « (Dis)approvals for Palestinians in Area C – 2009-2020 » (31 janvier 2021), disponible sur https://tinyurl.com/yc6zksdb.
153 Peace Now, Communiqué de presse : Jerusalem Municipal Data Reveals Stark Israeli-Palestinian Discrepancy in Construction Permits in Jerusalem (12 septembre 2019), disponible sur https://tinyurl.com/y479vn5d.
154 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 42.
45
d’autre choix que de construire sans permis, au risque de subir des démolitions ou des expulsions, ou de partir ailleurs ».155 En outre, « le régime de planification restrictif appliqué par Israël dans la zone C contribue à la création d’un environnement coercitif pour les résidents, entraînant un risque de transfert forcé ».156
2.55 Troisièmement, Israël démolit systématiquement les structures appartenant à des Palestiniens dans le TPO. Toute construction réalisée sans permis de construire (même s’il ne s’agit que d’un ajout ou d’une rénovation minime sur une habitation existante, par exemple) peut entraîner la démolition de la structure.157 Une structure peut également être démolie si elle n’est pas conforme aux restrictions en matière de zonage. De fait, pour faciliter la démolition des structures appartenant à des Palestiniens, le gouvernement israélien octroie des fonds aux colons juifs-israéliens pour qu’ils signalent toute violation des dispositions de zonage par les Palestiniens et identifient les structures à détruire.158
155 OCHA, « Most Palestinian plans to build in Area C are not approved » (22 juin 2021), disponible sur https://tinyurl.com/38tvf8jy.
156 Ibid.
157 Z. Al Tahhan, « Palestinians face expulsions as Israel tightens hold on West Bank : Israeli officials push to increase the budget for settlers to monitor and restrict Palestinian construction to $11m », Al Jazeera (11 avril 2023), disponible sur https://tinyurl.com/3mvhmanz.
158 Ibid.
46
Figure 2.6 : Le Palestinien Motasem Farrah (au centre) démolit sa maison, aidé par un ami, dans un quartier arabe de Jérusalem-Est, 12 mars 2012. Israël explique souvent aux Palestiniens qui érigent une construction sans permis qu’ils doivent démolir eux-mêmes la maison, sans quoi Israël leur facturera le coût de la démolition.159
2.56 Rien qu’à Jérusalem-Est, entre 2009 et 2020, Israël aurait démoli 1 434 structures, invoquant l’absence de permis (qu’il refuse de délivrer) dans 98 % des cas.160 En revanche, les autorités israéliennes « ne démolissent presque jamais les habitations des Israéliens juifs à Jérusalem, même en cas de violation des règles de construction ».161 Selon l’OCHA, au 11 juillet 2023, Israël a démoli plus de 9 600
159 L. Garcia-Navarro, « Walls of Palestinian Homes Come Tumbling Down », NPR (10 juillet 2012), disponible sur https://tinyurl.com/59hx8xn2.
160 Rapport HRW 2021, p. 114
161 Ibid., p. 115.
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structures palestiniennes en Cisjordanie depuis 2009,162 contraignant plus de 14 000 Palestiniens au déplacement.163
2.57 Il est en outre pratiquement impossible pour les Palestiniens de contester les ordres de démolition. Comme l’a expliqué B’Tselem en 2019, « il n’y a pas eu un seul cas où la [Haute Cour de justice israélienne] a fait droit à une requête déposée par des Palestiniens contre la démolition de leur maison ».164
Figure 2.7 : Une pelleteuse de l’armée israélienne démolit un bâtiment dans le village palestinien de Sur Baher165
2.58 Outre la destruction des habitations, les autorités israéliennes démolissent également d’autres structures utilisées par les communautés palestiniennes, notamment des structures commerciales, agricoles et industrielles, ainsi que des
162 OCHA, « Data on Demolition and Displacement in the West Bank », (dernier accès : 12 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/n9e7x7x4.
163 Ibid.
164 B’Tselem, Fake Justice: The Responsibility Israel’s High Court Justices Bear for the Demolition of Palestinian Homes and the Dispossession of Palestinians (février 2019), disponible sur https://tinyurl.com/yayeftnd, p. 22.
165 « Israeli crews demolish Palestinian homes in East Jerusalem », The Guardian (22 juillet 2019), disponible sur https://tinyurl.com/22p7anue.
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infrastructures, souvent sous le prétexte de violations des règles de zonage.166 Depuis le début de l’occupation, Israël a démoli plus de 50 000 structures dans le TPO.167 Plus frappant encore, Israël a détruit des écoles accueillant des enfants palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Depuis 2010, 20 écoles de ce type ont été démolies.168 Lors des démolitions, les soldats israéliens tirent parfois « des balles, des gaz lacrymogènes et des bombes assourdissantes » sur les enfants palestiniens et leurs parents.169 En mai de cette année, Israël a démoli une école primaire financée par l’UE dans le village de Jabbet al-Dhib. L’école, dont on peut voir le site de démolition ci-dessous, accueillait des dizaines d’enfants et « avait remplacé une autre école démolie par Israël en 2019 ».170
166 OCHA, West Bank Demolitions and Displacement: An Overview (janvier-mars 2023), disponible sur https://tinyurl.com/cubturpr, pp. 1-2.
167 Amnesty International, « L’occupation israélienne : 50 ans de spoliations » (dernier accès : 30 juin 2023), disponible sur https://tinyurl.com/bderjwtb.
168 S. Davidson, « Israel’s demolition surge: Schools become a primary target », Al Jazeera (11 mai 2003), disponible sur https://tinyurl.com/5n93ypwx.
169 Ibid.
170 « Israel demolishes EU-funded Palestinian school, drawing criticism », Le Monde (7 mai 2023), disponible sur https://tinyurl.com/p2mr2mmy ; Service diplomatique de l’Union européenne, communiqué de presse : Israël/Palestine : déclaration du porte-parole sur la démolition d’une école à Jubbet Adh Dhib (7 mai 2023), disponible sur https://tinyurl.com/y5t6fref.
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Figure 2.8 : Un garçon palestinien ramasse des papiers et des livres sur le site d’une école démolie par les autorités israéliennes dans le village de Jabbet al-Dhib, à l’est de Bethléem, en Cisjordanie occupée, 7 mai 2023171
2.59 En refusant aux Palestiniens des permis de construire, tout en détruisant simultanément les structures qu’ils construisent sans permis,172 Israël « fait pression sur les Palestiniens pour qu’ils abandonnent leurs habitations et leurs moyens de subsistance et déménagent, généralement vers des villes placées sous le contrôle administratif et civil de [l’Autorité palestinienne] ».173 Les démolitions d’écoles entraînent également des déplacements car, selon Save the Children, « leurs élèves n’ont autrement aucun moyen d’accéder à l’éducation ».174
171 « Israel demolishes EU-funded Palestinian school, drawing criticism » Le Monde (7 mai 2023), disponible sur https://tinyurl.com/p2mr2mmy.
172 Voir AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/77/328 (14 septembre 2022), par. 41-42, 60.
173 Rapport HRW 2021, p. 185
174 S. Davidson, « Israel’s demolition surge: Schools become a primary target », Al Jazeera (11 mai 2003), disponible sur https://tinyurl.com/5n93ypwx.
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2.60 Quatrièmement, outre la démolition de structures palestiniennes, Israël expulse les Palestiniens de leurs habitations et de leurs terres, souvent parce qu’ils sont dans l’impossibilité d’obtenir un régime foncier adéquat du fait du gel des enregistrements de terrains palestiniens par Israël. Entre 2005 et 2018, par exemple, « les autorités israéliennes ont émis des centaines d’ordres d’expulsion contre des Palestiniens » en Cisjordanie au motif qu’ils « [détenaient] illégalement » des terres appartenant à l’État.175 Or Human Rights Watch rapporte que 41,5 % du territoire concerné par les 600 ordres d’expulsion prononcés contre des Palestiniens entre 2005 et 2018 « [n’ont] pas été officiellement déclarés par les autorités comme étant des terres d’État ».176
2.61 À Jérusalem-Est, les Palestiniens sont également « sont menacé[s] d’être déplacé[s] de force de manière imminente par les autorités israéliennes ».177 Le cas du quartier de Sheikh Jarrah est révélateur.178 Les familles qui y vivent actuellement ont été expulsées de Jérusalem Ouest en 1948179 et réinstallées à Sheikh Jarrah.180 Aujourd’hui, les terres sur lesquelles leurs maisons ont été construites, qui appartenaient à deux organisations juives avant 1948, sont
175 Rapport HRW 2021, p. 178
176 Ibid.
177 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur le statut juridique des colonies de peuplement ; Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/47/57 (29 juillet 2021), par. 18.
178 Ibid.
179 P. Adams, « Jerusalem’s Sheikh Jarrah: The land dispute in the eye of a storm », BBC (26 mai 2021), disponible sur https://tinyurl.com/yunj5ck8.
180 Ibid.
51
revendiquées par des colons juifs israéliens « qui soutiennent que les Palestiniens sont, de fait, des squatters ».181
2.62 Comme l’a noté le Rapporteur spécial pour le TPO, la précarité des habitants de Sheikh Jarrah est « devenu[e] emblématique des menaces de déplacement forcé … dans le but d’établir une majorité juive dans la ville et de créer une situation démographique irréversible » et « démontre également les tentatives faites par Israël pour modifier de manière permanente le caractère palestinien de Jérusalem-Est et ouvrir la voie à une nouvelle expansion des colonies ».182 Le rapporteur spécial a poursuivi en expliquant que « [c]ette situation d’expulsion forcée observée à Cheikh Jarrah se produit également dans d’autres quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, dont Beït Hanina, Beït Safafa, la vieille ville, Ras el-Amoud et Silwan ».183 Au total, en 2021, « plus de 970 personnes, dont 424 enfants, risqu[ai]ent d’être déplacées » du fait des expulsions en cours à Jérusalem-Est.184 Par exemple, aussi récemment que le 11 juillet 2023, Israël a
181 Ibid.
182 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur le statut juridique des colonies de peuplement ; Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/47/57 (29 juillet 2021), par. 18.
183 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/40/73 (jeudi 30 mai 2019), par. 21.
184 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur le statut juridique des colonies de peuplement ; Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/47/57 (29 juillet 2021), par. 19.
52
expulsé Nora Ghaith et Mustafa Sub Laban de la maison dans laquelle ils vivaient à Jérusalem-Est depuis 1953.185
Figure 2.9 : Nora Ghaith-Sub Laban, au centre, est réconfortée par son fils après l’expulsion de sa famille de sa maison pour faire place à des colons israéliens dans la vieille ville de Jérusalem, le 11 juillet 2023186
III. Fragmentation du TPO et restrictions à la circulation à l’intérieur de celui-ci
2.63 En plus de contrôler strictement où les Palestiniens peuvent résider dans le TPO et de les contraindre au déplacement, Israël fragmente la population palestinienne vivant sur place grâce à un régime complexe conçu pour restreindre les mouvements des Palestiniens et les isoler physiquement les uns des autres. Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains Gisha, Israël utilise cet outil pour servir ses « objectifs démographiques et politiques illégitimes
185 HCDH, communiqué de presse : Israel: UN experts condemn forced eviction of east Jerusalem families (12 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/ytbd7xf2.
186 J. Frankel, « ‘I will not stay quiet’ : Israel evicts Palestinian family from home after 45-year legal battle », Associated Press (11 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/sr7j7krx.
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d’isolement de la bande de Gaza et d’annexion de facto de la Cisjordanie ». 187 En effet, comme l’a expliqué un ancien Rapporteur spécial pour le TPO, « [u]ne des principales stratégies de l’administration israélienne a consisté à fragmenter le territoire palestinien en différentes zones de contrôle de la population, la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est étant physiquement séparées les unes des autres ».188
2.64 Dans le même temps, Israël isole le TPO du monde extérieur. Le TPO « ne dispose d’aucune voie de communication terrestre, maritime ou aérienne avec le monde extérieur », et Israël contrôle toutes ses frontières à l’exception du point de passage de Rafah entre Gaza et l’Égypte.189
2.65 Ces divisions « non seulement isole[nt] les Palestiniens sous occupation les uns des autres sur le plan social, économique et politique, mais elle[s] les tien[nen]t aussi à l’écart des Palestiniens vivant en Israël et dans le reste du monde ».190
2.66 Le CERD a expliqué que cette fragmentation et cet isolement sont renforcés par « l’existence d’un ensemble complexe de restrictions à la liberté de circulation découlant de la présence du Mur, des implantations, des barrages routiers et des
187 Gisha, One-Way Ticket: Israel is committing forcible transfer of protected persons in the occupied Palestinian territory, and most of the victims are women (25 décembre 2022), disponible https://tinyurl.com/mw5ej6ch, p. 3. Voir également le rapport 2022 d’Amnesty International, p. 19 (« Depuis le milieu des années 1990, les autorités israéliennes imposent un blocus dans les TPO, et entre les TPO et Israël, ce qui a progressivement infligé à des millions de Palestinien·ne·s qui vivent en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza des restrictions de plus en plus strictes de leurs déplacements, sur la base de leur statut juridique. Ces restrictions sont un autre moyen par lequel Israël divise les Palestinien·ne·s en plusieurs enclaves séparées, les isole les uns des autres et du reste du monde, et, in fine, met en oeuvre sa domination »).
188 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 42.
189 Ibid.
190 Ibid.
54
postes de contrôle militaires, ainsi que de l’obligation d’utiliser des routes distinctes et de l’application d’un régime de permis qui a des conséquences préjudiciables pour la population palestinienne ».191 Le Comité des droits de l’homme (« CDH ») et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (« CDESC ») sont parvenus à des conclusions similaires.192
2.67 Israël invoque le prétexte de la sécurité pour justifier ces mesures, mais Human Rights Watch a fait observer que ses restrictions à la circulation sont mises en oeuvre « de manière si radicale qu’il est difficile de les considérer comme motivées principalement par des considérations sécuritaires plutôt que démographiques ».193 Cela a conduit les titulaires de mandats de l’ONU à établir des parallèles entre les enclaves palestiniennes dans le TPO et les homelands noirs nominalement autonomes créés par l’Afrique du Sud pendant l’apartheid et connus sous le nom de « Bantoustans ».194
2.68 La politique israélienne de fragmentation, d’isolement et de restriction des déplacements des Palestiniens se manifeste de différentes manières dans le TPO. En Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), l’occupation militaire et la
191 2020 Observations finales du CERD, para. 22. Voir aussi Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 42 (notant que la fragmentation physique du TPO est réalisée par « un réseau complexe de murs, de postes de contrôle, de barricades, de zones de bouclage militaire, de routes réservées aux Palestiniens et de routes réservées aux Israéliens » ; Rapport HRW 2021, p. 80-85.
192 Conseil des droits de l’homme, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, UN. Doc. CCPR/C/ISR/CO/4 (21 novembre 2014), par. 18 ; CESCR, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, Doc. E/C.12/ISR/CO/4 (12 novembre 2019), par. 11(c).
193 Rapport HRW 2021, p. 51
194 Voir AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, Doc. A/77/356 (21 sept. 2022), par. 71 ; Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, M. Jean Ziegler, Doc. E/CN.4/2004/10/Add.2 (31 octobre 2003), par. 62(h).
55
colonisation israéliennes ont créé un ensemble labyrinthique d’obstacles physiques et bureaucratiques à la liberté de mouvement des Palestiniens, affectant tous les aspects de leur vie quotidienne (Section A). À Gaza, le blocus imposé par Israël depuis 16 ans a isolé 2,2 millions de Palestiniens du reste du monde et engendré l’une des plus grandes et plus longues crises humanitaires au monde (Section B).
A. FRAGMENTATION DE LA CISJORDANIE (Y COMPRIS JERUSALEM-EST) ET RESTRICTIONS A LA CIRCULATION DANS CETTE REGION
2.69 Israël a pris diverses mesures pour assurer la fragmentation physique des zones de Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) à prédominance palestinienne. Bien que Jérusalem-Est soit considérée comme faisant partie intégrante d’Israël, les Palestiniens y sont physiquement isolés des quartiers non palestiniens de la ville. Et le reste de la Cisjordanie est « fractionné[…] en 165 enclaves déconnectées ».195 Les principaux moyens utilisés par Israël pour atteindre cet objectif sont : (i) la construction du Mur ; (ii) l’obligation pour les Palestiniens d’obtenir un permis pour se rendre d’une partie à l’autre du TPO ; (iii) un réseau de points de contrôle et de barrages routiers en Cisjordanie ; et (iv) le maintien de routes et d’infrastructures séparées en Cisjordanie.
2.70 Premièrement, avec la construction du mur, Israël « a divisé des blocs urbains et ruraux palestiniens contigus, rompu des liens intercommunautaires forgés au fil des générations, et imposé brusquement une reconfiguration arbitraire
195 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 42.
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de l’espace sur la base des limites des colonies de peuplement et pour accommoder les besoins pratiques des forces de sécurité israéliennes ».196
2.71 À Jérusalem-Est, le Mur traverse les quartiers majoritairement palestiniens de la ville. En conséquence, 120 000 à 140 000 Palestiniens de Jérusalem vivent du côté cisjordanien du mur, et sont donc physiquement séparés de l’accès à la ville et à ses services.197 Ils souffrent du manque d’écoles, d’une plus forte pression sur les logements et d’un accès plus difficile aux services municipaux (y compris l’eau et les égouts) que les résidents israéliens juifs de Jérusalem-Est.198
196 B’Tselem, « The Separation Barrier » (11 novembre 2017), disponible https://tinyurl.com/mjvsk9cs.
197 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 44.
198 Ibid.
57
Figure 2.10 : Des Palestiniens attendent au poste de contrôle de Qalandia, le long du Mur séparant Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie, 29 avril 2022199
2.72 Dans la zone C de la Cisjordanie, la barrière a isolé « 38 localités palestiniennes représentant 9,4 % de la superficie de la Cisjordanie, et les a enfermées dans des enclaves connues sous le nom de ‘zones de jointure’ ».200 Comme indiqué, ces « zones de jointure » sont des « portions de terres palestiniennes en Cisjordanie qui se situent entre le mur/barrière et la ligne verte et sont donc séparées du TPO ».201 Israël les ayant désignées comme des zones militaires fermées, « les résidents palestiniens de ces localités ou les Palestiniens qui souhaitent s’y rendre doivent obtenir des permis spéciaux pour entrer et sortir
199 O. Balilty, « AP PHOTOS: Israel’s separation barrier, 20 years on », Associated Press (27 juin 2022), disponible sur https://tinyurl.com/n3pv5kmb.
200 Rapport Amnesty International 2022, p. 97.
201 Ibid. Voir aussi OCHA, The humanitarian impact of 20 years of the Barrier - December 2022 (30 décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/ysmyh52j.
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de chez eux, et acquérir des permis distincts pour accéder à leurs terres agricoles ».202
2.73 La fermeture des « zones de jointure » par Israël affecte non seulement les quelque 11 000 Palestiniens qui y résident, mais aussi les membres des quelque 150 communautés palestiniennes étant basées à l’extérieur de ces zones, mais qui possèdent ou exploitent des terres agricoles à l’intérieur de celles-ci.203 Même ceux qui parviennent à obtenir un permis doivent passer par les postes de contrôle, qui ne sont ouverts qu’à des heures irrégulières et limitées.204 Les colons juifs israéliens peuvent quant à eux se déplacer sans aucune restriction dans les zones de jointure.205
2.74 Ces restrictions à l’intérieur et autour des zones de jointure empêchent les Palestiniens d’accéder à leur lieu de travail et aux services essentiels dans le reste de la Cisjordanie.206 Le régime israélien de « portes et [de] permis » compromet encore davantage les moyens de subsistance agricoles des Palestiniens, qui ne peuvent pas accéder librement à leurs champs et pâturages situés dans les zones de
202 Rapport Amnesty International 2022, p. 97.
203 Voir OCHA, The humanitarian impact of 20 years of the Barrier - December 2022 (30 déc. 2022), disponible sur https://tinyurl.com/ysmyh52j ; Conseil des droits de l’homme, Déclaration conjointe des ONG sur la situation des droits de l’homme en Palestine et dans d’autres zones TAO/zones de jointure OATs/Seam, Doc. UN A/HRC/21/NGO/58 (24 août 2012) (« [Les Palestiniens] qui vivent dans les zones de jointure doivent soumettre à l’administration civile israélienne une demande de « carte de résident permanent » pour avoir le droit de rester sur leurs propres terres. Leurs déplacements sont étroitement surveillés au moyen de points de contrôle et d’un régime de permis, ce qui affecte tous les aspects de leurs activités quotidiennes et dégrade fortement leur qualité de vie »).
204 Voir OCHA, The humanitarian impact of 20 years of the Barrier - December 2022 (30 décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/ysmyh52j.
205 BADIL, Seam Zones (2012), disponible sur https://tinyurl.com/4s9v5zf5, p. 7.
206 OCHA, The humanitarian impact of 20 years of the Barrier - December 2022 (30 décembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/ysmyh52j.
59
jointure.207 De même, les communautés palestiniennes de la région peinent à accéder aux services essentiels d’intervention médicale et de lutte contre les incendies dans des délais acceptables.208
2.75 Deuxièmement, Israël restreint fortement les possibilités pour les Palestiniens de Cisjordanie de se rendre à Jérusalem-Est, à Gaza et à l’étranger, au moyen d’un système complexe de permis de voyage,209 et ce bien qu’ayant accepté, dans le cadre des accords d’Oslo, que la Cisjordanie et Gaza forment « une seule unité territoriale ».210 Les restrictions s’appliquent aux déplacements pour pratiquement n’importe quel objet, notamment la recherche d’emploi, la formation, les études, le travail, un traitement médical et la visite d’un proche malade.211 Ces permis de voyage sont difficiles à obtenir,212 en partie parce que les exigences et
207 Ibid.
208 Ibid.
209 B’Tselem, A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid position paper (12 janvier 2021), disponible sur https://tinyurl.com/4yzzwvuv, p. 5.
210 Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (Oslo II) (28 septembre 1995) (ci-après « Oslo II »), art. XI(1). Israël a en effet pris des engagements spécifiques pour permettre un « passage sûr » régulier entre la Cisjordanie et Gaza. Protocole israélo-palestinien relatif à la sécurité des voies de passage entre la Cisjordanie et la bande de Gaza (5 octobre 1999) (ci-après. « Protocole relatif à la sécurité des voies des passage »), art. 1 ; Gouvernement d’Israël et Autorité palestinienne, accord relatif aux mouvements et accès depuis et vers Gaza » (15 novembre 2005) (ci-après « Principes concertés sur le point de passage de Rafah »).
211 Gisha, « Procedures and Policies » (2015), disponible sur https://tinyurl.com/38ecx5h9. Voir aussi Rapport HRW 2021, p. 83 (« Les Palestiniens et les colons jouissent de niveaux de liberté de circulation radicalement différents. Les autorités israéliennes interdisent aux Palestiniens de Cisjordanie de pénétrer dans de larges portions de la Cisjordanie elle-même, à moins qu’ils ne disposent d’un permis difficile à obtenir et limité dans le temps ».)
212 Voir, par exemple, Gisha, « The Permit Regime : Testimonies » (28 juillet 2022), disponible sur https://tinyurl.com/4b8cm473 (« Dans le cadre du régime de permis, les Palestiniens de Gaza ne peuvent demander un permis de voyage que dans un ensemble de circonstances inflexible et extrêmement spécifique ; les critères d’Israël sont délibérément stricts de manière à empêcher la grande majorité de la population de la possibilité de voyager »). Voir aussi F. Akram, « For Palestinians, Israeli permits a complex tool of control’, Associated Press (30 avril 2018), disponible sur https://tinyurl.com/2p9czdk6 (« À Gaza, sous blocus depuis la prise du pouvoir en 2007 par le Hamas militant, même le petit nombre de permis d’entrée ‘à titre exceptionnel’ en Israël a chuté.
60
les procédures à suivre ne sont souvent pas publiées et, lorsqu’elles le sont, sont rédigées en hébreu sans être traduites en arabe.213 En comparaison, les colons juifs israéliens jouissent d’une grande liberté de mouvement et n’ont pas besoin de permis similaires.214
2.76 Parce qu’il leur est généralement interdit de passer par Israël pour se rendre à l’étranger,215 « les Palestiniens de Cisjordanie, y compris ceux qui détiennent un passeport étranger, ne peuvent se rendre à l’étranger qu’en passant par le point de passage Allenby/Roi Hussein avec la Jordanie, qui est contrôlé par Israël ».216 L’armée et les forces de sécurité israéliennes peuvent interdire aux Palestiniens de quitter le Territoire palestinien occupé, ce qu’elles font fréquemment, « souvent sur la base ‘d’informations secrètes’ que les Palestiniens ne peuvent pas consulter ni, de fait, contester ».217
2.77 Troisièmement, Israël maintient plus de 600 points de contrôle et barrages routiers dans toute la Cisjordanie, ce qui limite encore davantage la capacité des Palestiniens à se déplacer librement depuis et vers la Cisjordanie ainsi qu’à l’intérieur.218 Ce système de points de contrôle et de barrages routiers permet aux forces israéliennes de fermer ou d’ouvrir rapidement n’importe quelle zone,
L’année dernière, moins de 6 000 personnes sont parties en moyenne chaque mois, soit environ la moitié du niveau observé en 2016, selon le groupe israélien de défense des droits Gisha »).
213 Gisha, « Procedures and Policies » (2015), disponible sur https://tinyurl.com/38ecx5h9.
214 B’Tselem, A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid position paper (12 janvier 2021), disponible sur https://tinyurl.com/4yzzwvuv, p. 5.
215 Rapport Amnesty International 2022, p. 95.
216 Ibid.
217 Ibid.
218 Rapport HRW 2021, p. 83 Voir aussi Rapport Amnesty International 2022, p. 97.
61
donnant à Israël ce que l’OCHA a appelé « un système de contrôle évolutif » en Cisjordanie.219
2.78 En juillet 2018, l’OCHA « a enregistré 705 obstacles permanents à travers la Cisjordanie restreignant ou contrôlant la circulation des véhicules palestiniens et, dans certains cas, des piétons ».220 Ces obstacles incluent « 140 points de contrôle avec un personnel complet ou occasionnel, 165 barrières routières sans personnel (dont près de la moitié sont normalement fermées), 149 monticules de terre et 251 autres obstacles sans personnel (barrages routiers, tranchées, murs de terre, etc.) ».221 Cet ensemble d’obstacles ahurissant est illustré dans la Figure 2.11, après la page 62.
2.79 Au niveau de ces points de contrôle, les forces de sécurité sont habilitées à « refouler les Palestiniens sans justification ».222 À l’inverse, « les colons, les résidents et les visiteurs israéliens, ainsi que les touristes étrangers » bénéficient d’une « liberté de circulation pour ainsi dire illimitée dans toute la Cisjordanie ».223
2.80 Le Rapporteur spécial pour le TPO a expliqué que les Palestiniens qui tentent d’exercer leur liberté de mouvement en franchissant les points de contrôle font « l’expérience d’actes de harcèlement et de difficultés », transformant souvent ce qui ne devrait être qu’un court trajet en un voyage humiliant de plusieurs
219 OCHA, « Over 700 road obstacles control Palestinian movement within the West Bank » (8 octobre 2018), disponible sur https://tinyurl.com/ywam97jp.
220 Ibid.
221 Ibid.
222 Rapport HRW 2021, p. 84
223 Ibid.
62
heures.224 Parfois, le harcèlement dont les Palestiniens font l’objet lorsqu’ils tentent de franchir les points de contrôle est si grave qu’ils sont contraints d’abandonner leur voyage.225 L’existence des points de contrôle et le harcèlement dont les Palestiniens font l’objet les empêchent de se rendre sur leur lieu de travail,226 d’aller à l’école (en particulier les étudiantes),227 et d’accéder aux soins de santé.228
2.81 Pour ne citer qu’un exemple, les femmes enceintes, même celles qui sont sur le point d’accoucher, sont fréquemment retardées aux points de contrôle. Selon le centre d’information sanitaire du ministère palestinien de la Santé, entre 2000 et 2006, « 69 femmes palestiniennes ont accouché aux postes de contrôle israéliens ».229 Selon les mêmes chiffres, au cours de la même période, 35 décès de nourrissons et 5 décès de mères ont été enregistrés aux points de contrôle en raison de l’absence de soins d’urgence.230
2.82 Quatrièmement, Israël limite la liberté de mouvement des Palestiniens en Cisjordanie en maintenant un système de routes séparées. Human Rights Watch a
224 AGNU, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/76/433 (22 octobre 2021), par. 13.
225 Voir B’Tselem, « Restrictions on Movement » (11 novembre 2017), disponible sur https://tinyurl.com/3rtczs7y.
226 Voir AGNU, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/76/433 (22 octobre 2021), par. 13.
227 CESCR, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, Doc. UN E/C.12/ISR/CO/4 (12 novembre 2019), par. 64(c).
228 Voir Conseil des droits de l’homme, Question des femmes palestiniennes enceintes qui accouchent aux postes de contrôle israéliens, Doc. UN A/HRC/4/57 (23 février 2007), par. 4-5; OMS, Right to Health: Barriers to health and attacks on health care in the occupied Palestinian territory (2022), disponible sur https://tinyurl.com/43mv6tc5.
229 Conseil des droits de l’homme, Question des femmes palestiniennes enceintes qui accouchent aux postes de contrôle israéliens, Doc. UN A/HRC/4/57 (23 février 2007), par. 4.
230 Ibid., par. 6.
Figure 2.11

63
expliqué qu’ « il y a plus de 40 kilomètres de routes en Cisjordanie sur lesquelles les autorités interdisent aux Palestiniens de circuler et 19 autres kilomètres en Cisjordanie, sans compter la ville d’Hébron [en Cisjordanie], sur lesquelles les déplacements des Palestiniens sont restreints ».231 Les Palestiniens doivent au lieu de cela utiliser un « réseau routier secondaire rudimentaire ».232 Même l’accès à ce réseau depuis les enclaves palestiniennes est contrôlé par des barrières ; les autorités israéliennes utilisent ces dernières pour « couper le trafic entre les différentes parties de la Cisjordanie ».233 Le système de routes séparées en Cisjordanie est illustré dans une infographie produite par l’ONG canadienne Visualizing Impact. Celle-ci est reproduite dans la Figure 2.12 après la page 64.
2.83 La situation actuelle dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie, est un microcosme de la manière dont Israël contrôle les déplacements des Palestiniens. Les autorités israéliennes y « interdisent aux Palestiniens de marcher sur de larges sections de ce qui constituait l’artère centrale de la ville, dans le cadre d’une politique visant à rendre ces zones « stériles » pour les Palestiniens, selon la terminologie de l’armée israélienne ».234 Dans d’autres parties de la ville, « les Palestiniens n’ont pas le droit d’accéder à certaines rues, même à pied, qui ne sont ouvertes qu’aux colons juifs et aux ressortissants étrangers ».235 Une carte produite par l’OCHA montrant les zones d’accès restreint à Hébron, ombrées en gris, ainsi que les nombreux points de contrôle, est reproduite à la Figure 2.13, à la suite de
231 Rapport HRW 2021, p. 93
232 Ibid., p. 94.
233 Ibid. Voir aussi OCHA, « Over 700 road obstacles control Palestinian movement within the West Bank » (8 octobre 2018), disponible sur https://tinyurl.com/ywam97jp.
234 Rapport HRW 2021, p. 93.
235 Rapport Amnesty International 2022, p. 98. Voir aussi B’Tselem, communiqué de presse : Separation not only on buses, but also on streets of Hebron (6 mars 2013), disponible sur https://tinyurl.com/3mu5yjta.
64
la page 62.236 Cette figure représente également en rouge les routes fermées à la circulation des véhicules ou des piétons palestiniens.
2.84 Les maisons et les magasins palestiniens donnant sur ces rues sont barricadés, comme on peut le voir ci-dessous.
Figure 2.14 : Un colon israélien passe devant une maison palestinienne dont les vérandas sont recouvertes de grillage dans la rue Shuhada, contrôlée par Israël, dans la ville d’Hébron en Cisjordanie, 28 janvier 2020237
2.85 Le CERD a pris note de ces restrictions et s’est déclaré choqué « par le caractère hermétique de la séparation entre les deux groupes, qui vivent sur le
236 OCHA, « The isolation of Palestinians in the Israeli-controlled area of Hebron city continues » (13 avril 2017), disponible sur https://tinyurl.com/yxcpr6x4.
237 A. Liel, « Trump’s Plan for Palestine Looks a Lot Like Apartheid », Foreign Policy (27 février 2020), disponible https://tinyurl.com/ymw6zr6c.
Figure 2.12

65
même territoire mais ne bénéficient pas de l’égalité quant à l’utilisation des routes et des infrastructures ».238
B. BLOCUS ISRAELIEN EN COURS A GAZA
2.86 Depuis 2007, Israël impose un blocus aérien, maritime et terrestre à la bande de Gaza, qui s’étend sur une superficie de seulement 365 km2. Gaza, qui compte environ 2,2 millions d’habitants, est l’un des territoires les plus densément peuplés au monde.239 La moitié des habitants de Gaza sont des enfants et plus des deux tiers sont des réfugiés (c’est-à-dire des personnes déplacées de la Palestine mandataire en 1948 et leurs descendants).240 En s’appuyant sur ce qu’un ancien Rapporteur spécial pour le TPO a qualifié de « blocus militaire médiéval »,241 Israël a complètement isolé cette population, déjà vulnérable, du monde extérieur. Cela constitue la restriction la plus draconienne sur la liberté de circulation des Palestiniens et le point culminant de la politique israélienne de fragmentation des Palestiniens en enclaves isolées.
2.87 Après son « désengagement » et le retrait des colons et des troupes israéliennes de Gaza en 2005, Israël a commencé à renforcer les restrictions imposées sur la circulation des personnes et des biens vers et depuis le territoire. En janvier 2006, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes et a
238 2020 Observations finales du CERD, para. 22.
239 Voir OCHA, « Crisis Context and Impact (based on the 2023 Humanitarian Response Plan) », disponible sur https://tinyurl.com/ytjuefcd.
240 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, Doc. UN A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 15, 18. Voir aussi N. Citino et al. « Generations of Palestinian Refugees Face Protracted Displacement and Dispossession », Migration Policy Institute (3 mai 2023), disponible https://tinyurl.com/3sjyur69.
241 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Doc. UN A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 35.
66
pris le contrôle de la gouvernance palestinienne de Gaza en juin 2007.242 Cela a constitué un tournant à partir duquel « le gouvernement israélien a désigné Gaza comme ‘territoire hostile’ » et, « invoquant des raisons de sécurité, a annoncé un certain nombre de nouvelles sanctions et de restrictions à l’accès et à la circulation des personnes et des biens, instaurant de fait un blocus maritime, aérien et terrestre ».243 Depuis lors, les Palestiniens se retrouvent littéralement piégés dans le territoire. Des ONG telles que Human Rights Watch et le Conseil norvégien pour les réfugiés ont qualifié Gaza de « plus grande prison à ciel ouvert du monde, dont le gardien est Israël ».244
2.88 Le blocus impose aux habitants de Gaza une crise humanitaire permanente qui a des effets désastreux sur tous les aspects de leur vie. En 2017, les Nations Unies ont prévenu que Gaza deviendrait « invivable » d’ici à 2020,245 évoquant « le manque d’accès à l’eau, à l’électricité, à la santé, à l’éducation et à la nourriture, causé par le blocus ».246 Selon les données les plus récentes disponibles, en 2021, les conditions sur le terrain sont extrêmement dures : environ 62,2 % des habitants
242 Équipe de pays des Nations Unies dans les Territoires palestiniens occupés, Gaza Ten Years Later (juillet 2017) (ci-après « Gaza Ten Years Later »), disponible sur https://tinyurl.com/2sf8tbmd, p. 5.
243 Ibid., p. 7.
244 R. Høvring, « Gaza: The world’s largest open-air prison », Conseil norvégien pour les réfugiés (26 avril 2018), disponible sur https://tinyurl.com/2xnx4kw6 ; « Gaza : Israel’s ’Open-Air Prison’ at 15 », Human Rights Watch (14 juin 2022), disponible sur https://tinyurl.com/5y2njj4x. Voir aussi B. Wedeman, « Analyst : Gaza becomes the biggest open-air prison on earth », CNN (26 mai 2021), disponible sur https://tinyurl.com/4cus4edv.
245 Gaza Ten Years Later, p. 28. Voir aussi United Nations Country Team in the occupied Palestinian territory, Gaza in 2020: A Liveable Place? (août 2012), disponible sur https://tinyurl.com/bdr9uy5s.
246 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, Doc. UN A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 17.
Figure 2.13

67
de Gaza sont en situation d’insécurité alimentaire,247 50 % sont au chômage et 60 % vivent dans la pauvreté.248 Dans le même temps, les coupures d’électricité durent 11 heures par jour et 78 % de l’eau disponible est impropre à la consommation humaine.249
2.89 Cette situation déjà sombre est exacerbée par les assauts militaires périodiques d’Israël, qui ont tué et blessé des milliers de personnes et décimé toutes formes d’infrastructure.250 Comme l’a déclaré le secrétaire général Guterres, « s’il y a un enfer sur terre, c’est la vie des enfants à Gaza ».251
2.90 Israël met en oeuvre son blocus principalement (i) en restreignant la circulation des personnes vers et depuis Gaza ; (ii) en restreignant la circulation des biens vers et depuis Gaza ; (iii) en restreignant la distribution d’électricité à Gaza ; et (iv) en établissant des zones tampons terrestres et maritimes à l’intérieur de Gaza.
2.91 Premièrement, Israël exerce un contrôle strict sur la circulation des personnes vers et depuis le territoire. Pour quitter Gaza, les Palestiniens doivent
247 Programme alimentaire mondial des Nations Unies, Infographie : Thousands of Palestinians face food insecurity amid escalating conflict (juin 2021), disponible sur https://tinyurl.com/bdzdv6a8.
248 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 53. Voir aussi Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, Doc. UN A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 17 ; Gaza Ten Years Later; UNRWA, Occupied Palestinian Territory emergency appeal 2022 (Jan. 2022), disponible sur https://tinyurl.com/yz65etw6, p. 9.
249 OCHA, Gaza Strip: The Humanitarian Impact of 15 Years of the Blockade (juin 2022), disponible sur https://tinyurl.com/bdfxdpe3.
250 Voir infra §§ IV(A) et IV(B).
251 « Gaza children living in ‘hell on earth’, UN chief says, urging immediate end to fighting », UN News (20 mai 2021), disponible sur https://tinyurl.com/4h3su59s.
68
obtenir un permis de voyage auprès des autorités israéliennes.252 Gisha, l’organisation israélienne de défense des droits humains, a récemment expliqué que les critères de délivrance de permis « sont délibérément stricts de manière à priver la grande majorité de la population de la possibilité de voyager ».253 De fait, « même pour les rares personnes qui répondent aux critères, le processus de demande est un labyrinthe bureaucratique qui ne mène bien souvent à nulle part ».254
2.92 Cela a eu un impact considérable sur le nombre de Palestiniens autorisés à entrer et sortir de Gaza. Selon l’OCHA, avant le blocus, « jusqu’à un demi-million de sorties de personnes de Gaza vers Israël, principalement des travailleurs, étaient enregistrées en un seul mois ».255 Par contraste « [s]ur les sept premières années du blocus, ce nombre est tombé à un peu plus de 4 000 en moyenne, pour atteindre 10 400 par mois au cours des huit années suivantes ».256 Les habitants de Gaza ne peuvent pas voyager à l’étranger en passant par Israël et ne peuvent pas se rendre dans le reste du Territoire palestinien occupé « même s’ils ne transitent pas par le territoire israélien ».257
252 OCHA, Movement in and out of Gaza : update covering September 2022 (17 octobre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/3z3umrww. Voir aussi AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. UN A/74/468 (2 octobre 2019) (dossier n° 860), par. 26. Voir aussi Gisha, « Access Kit, A guide to procedures and protocols that regulate access to and from the Gaza Strip » (octobre 2019), disponible sur https://tinyurl.com/2xbnecrj.
253 Gisha, The Permit Regime : Testimonies (28 juillet 2022), disponible sur https://tinyurl.com/4b8cm473 (emphase ajoutée).
254 Ibid.
255 OCHA, Gaza Strip: The Humanitarian Impact of 15 Years of the Blockade (juin 2022), disponible sur https://tinyurl.com/bdfxdpe3, p.1
256 Ibid.
257 Human Rights Watch, Unwilling or Unable: Israeli Restrictions on Access to and from Gaza for Human Rights Workers (2 avril 2017), disponible sur https://tinyurl.com/5cy9ay3s.
69
2.93 Les instances de l’ONU s’accordent largement à dire que ces restrictions de mouvement ne sauraient être justifiées par des raisons de sécurité.258
2.94 Deuxièmement, Israël exerce un contrôle strict sur la circulation des biens vers et depuis Gaza. Les restrictions étaient particulièrement draconiennes au début du blocus, entre 2007 et 2010, Israël n’autorisant que l’importation de biens qu’il définissait comme « vitaux pour la survie de la population civile ».259 Les produits interdits incluaient des produits de base tels que les chaussures, le papier, le café et le thé, entre autres.260 Israël a même appliqué des formules mathématiques pour calculer la quantité minimale de biens nécessaires à la survie de la population, en modulant les restrictions en conséquence.261
2.95 En mai 2010, face à cette situation dramatique, une flottille de navires appartenant à des ONG internationales a tenté d’acheminer de l’aide humanitaire à Gaza.262 Comme cela est décrit en détail dans la Section IV(B) ci-dessous, cette flottille a été violemment interceptée dans les eaux internationales par les forces israéliennes, tuant dix passagers civils. À la suite de cet incident et du tollé international qui s’en est suivi, Israël a assoupli sa politique consistant à limiter les
258 Voir par exemple, CDH, Observations finales sur le quatrième rapport périodique d’Israël, Doc. UN /C/ISR/CO/4 (21 novembre 2014), par. 12 ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, Observations finales sur le quatrième rapport périodique d’Israël, Doc. UN E/C.12/ISR/CO/4 (12 novembre 2019), par. 11(c) ; Observations finales du CERD 2020, par. 44.
259 Gisha, « Entrance of goods to Gaza via Kerem Shalom » (3 juillet 2022), disponible sur https://tinyurl.com/5ctckevc.
260 D. Poort, « History of Israeli blockade on Gaza », Al Jazeera (2 novembre 2011), disponible sur https://tinyurl.com/mr3mbxkn.
261 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, Doc. UN A/75/310 (13 août 2020) (dossier No. 487), par. 10.
262 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, auxquelles ont donné lieu les attaques israéliennes contre la flottille d’aide humanitaire, Doc. UN A/HRC/15/21 (27 septembre 2010).
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importations à Gaza à ce qui était nécessaire à la survie humaine.263 Toutefois, « d’importantes restrictions ont été maintenues »264 et, à partir de 2020, « [l]’entrée des marchandises dans la bande de Gaza a été réduite aux seuls produits humanitaires de base ».265 Même le seul point de passage commercial vers Gaza, Karm Abu Salem (également connu sous le nom de Kerem Shalom), est périodiquement fermé par les autorités israéliennes, empêchant ainsi toute entrée de marchandises à Gaza pendant des périodes allant de quelques jours à plusieurs semaines.266
2.96 Un volet majeur de la politique israélienne en matière de restriction des importations concerne les biens dits « à double usage », c’est-à-dire les « produits et technologies normalement utilisés à des fins civiles, mais étant susceptibles d’avoir des applications militaires ».267 Israël subordonne l’importation de tous ces biens à une procédure d’autorisation complexe,268 les demandes étant « fréquemment rejetées ou soumises à d’importants retards ».269 Cette disposition s’applique à un large éventail de biens de base nécessaires à une vie civile normale, « notamment des machines civiles, des pièces détachées, des engrais, des produits
263 Gaza Ten Years Later, p. 8.
264 Ibid.
265 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, Doc. UN A/75/310 (13 août 2020) (dossier No. 487), par. 1.
266 Voir HCDH, communiqué de presse : Closure of Gaza commercial crossing: UN expert calls on Israel to reverse decision (13 juillet 2018), disponible sur https://tinyurl.com/mtfrx3y9; « Israeli Authorities Close Karam Abu Salem Crossing », Qatar News Agency (13 décembre 2020), disponible sur https://tinyurl.com/2rbe2r4c ; « Karam Abu Salem crossing re-opened after seven-day closure », The Egyptian Gazette (8 août 2022), disponible sur https://tinyurl.com/mvju8x2n.
267 Banque mondiale, Rapport de suivi économique au Comité de liaison ad hoc (30 avril 2019) (ci-après, « Rapport de la Banque mondiale 2019 »), disponible sur https://tinyurl.com/2h2z24v7, par. 21 ; Gisha, « Entrance of goods to Gaza via Kerem Shalom » (3 juillet 2022), disponible sur https://tinyurl.com/5ctckevc.
268 Rapport 2019 de la Banque mondiale, par. 26.
269 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, Doc. UN A/75/310 (13 août 2020) (dossier No. 487), par. 11.
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chimiques, des équipements médicaux, des appareils, des outils de télécommunication, des métaux . . . des matériaux de construction, [et] des matières premières pour les secteurs productifs, par exemple le bois et les pesticides ».270
2.97 Israël ne se contente pas de restreindre les importations à Gaza, il empêche également les exportations de quitter le territoire. De 2007 à 2014, Israël a imposé une interdiction quasi-totale des exportations en provenance de Gaza, y compris des produits agricoles.271 Bien qu’Israël ait quelque peu assoupli les interdictions à l’exportation depuis lors, des restrictions sont fréquemment imposées (sans la moindre explication) sur des produits de base tels que le poisson et les tomates.272 Même lorsque les produits agricoles sont autorisés à l’exportation, Israël les soumet à de longues périodes d’inspection et applique des critères d’autorisation arbitraires. Les fruits et légumes destinés à l’exportation finissent par pourrir par
270 Ibid.
271 Euro-Med Human Rights Monitor, A generation under blockade: Consequences of Israel’s 17-year-blockade of the Gaza Strip (25 janvier 2023), disponible sur https://tinyurl.com/385aapf2 (« Concernant l’exportation de produits agricoles depuis la bande de Gaza, Israël a imposé une interdiction totale sur l’exportation de marchandises depuis la bande après avoir renforcé son blocus en 2007. Cette décision a réduit la quantité de production agricole commercialisée en dehors de la bande de Gaza d’environ 3 544 tonnes par mois jusqu’à la première moitié de juin 2007 à presque zéro au cours de la période suivante, exacerbant l’effondrement économique de la bande de Gaza »). Voir aussi HCDH, Mandates of the Special Rapporteur on extreme poverty and human rights and the Special Rapporteur on the right to food (1er octobre 2013), disponible sur https://tinyurl.com/ycku35a5.
272 En août 2022, par exemple, Israël a interdit l’exportation de poisson de Gaza vers la Cisjordanie. Voir Euro-Med Human Rights Monitor, A generation under blockade: Consequences of Israel’s 17-year-blockade of the Gaza Strip (25 janvier 2023), disponible sur https://tinyurl.com/385aapf2. Voir aussi OCHA, « Exports from Gaza undermined by the blockade » (4 juillet 2017), disponible sur https://tinyurl.com/2b8sv25f. Voir aussi « Israel bans Palestinian agricultural exports via Jordan - PA minister », Reuters (8 février 2020), disponible sur https://tinyurl.com/4yzabkn4 ; OCHA, « New restrictions on export of fresh tomatoes out of Gaza : -Mohammed’s story » (3 novembre 2021), disponible sur https://tinyurl.com/5dszjva8 ; « Israel bans fish exports from Gaza to West Bank », Middle East Monitor (11 novembre 2022), disponible sur https://tinyurl.com/y2ju9jsc.
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temps chaud ou, à tout le moins, voient leur durée de conservation et leur intérêt pour les marchés extérieurs se dégrader.273
2.98 Troisièmement, Israël limite l’approvisionnement en électricité à Gaza. Le réseau électrique de Gaza dépend largement de l’électricité fournie par Israël.274 L’électricité fournie par Israël à Gaza est toutefois insuffisante et irrégulière.275 Même la seule centrale électrique fonctionnant à Gaza est périodiquement confrontée à des pénuries de carburant et ne peut fonctionner à pleine capacité, car elle dépend des approvisionnements en carburant d’Israël, qui sont soumis aux mêmes contrôles des importations.276 Au final, il arrive que l’électricité ne soit en fait disponible que quelques heures par jour.277 En 2021, le Comité international de la Croix-Rouge (« CICR ») indiquait que « 80 % de la population de Gaza vit une grande partie de sa vie dans l’obscurité, avec seulement 10 à 12 heures d’électricité
273 OCHA, « New restrictions on the export of fresh tomatoes out of Gaza: -Mohammed’s story » (3 novembre 2021), disponible sur https://tinyurl.com/44z9skse (« Lorsque les produits frais atteignent les marchés extérieurs, cela dégrade leur qualité, en particulier par temps chaud. ... De nouvelles restrictions ont alors été imposées, notamment l’obligation d’enlever la tige verte, le brin, de chaque tomate avant de quitter Gaza. Cela a un impact négatif sur la qualité et la durée de conservation du produit »).
274Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Doc. UN A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 16; Gisha, Scale of control: Israel’s Continued Responsibility in the Gaza Strip (Nov. 2011), disponible sur https://tinyurl.com/3982k26y, p. 22-23 ; Gisha, Red Lines Crossed: Destruction of Gaza’s Infrastructure (août 2009), disponible sur https://tinyurl.com/ynhuxce9, p. 8 (« la capacité de production de la centrale électrique dépend d’Israël, car Israël est la seule source de diesel industriel essentiel au fonctionnement de la centrale et contrôle son approvisionnement »).
275 OCHA, « Electricity in the Gaza Strip (2023) » (dernier accès : 16 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/36sdr4n4.
276 Voir HCDH, communiqué de presse : Closure of Gaza commercial crossing: UN expert calls on Israel to reverse decision (13 juillet 2018), disponible sur https://tinyurl.com/mtfrx3y9; « Israeli Authorities Close Karam Abu Salem Crossing », Qatar News Agency (13 décembre 2020), disponible sur https://tinyurl.com/2rbe2r4c ; « Karam Abu Salem crossing re-opened after seven-day closure », The Egyptian Gazette (8 août 2022), disponible sur https://tinyurl.com/mvju8x2n.
277 « As Israeli authorities close Erez and Karem Abu Salem crossings, Al Mezan warns of deteriorating humanitarian conditions in Gaza », Al Mezan (3 août 2022), disponible sur https://tinyurl.com/46k2hvnj.
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par jour », « l’approvisionnement en électricité étant réduit à trois ou quatre heures par jour pendant les pics de crise ».278
2.99 Selon l’OCHA, le manque d’électricité « a gravement affecté la disponibilité des services essentiels, en particulier les services de santé, d’eau et d’assainissement, et a sapé l’économie fragile de Gaza, notamment les secteurs de la fabrication industrielle et de l’agriculture ».279 En été, par exemple, « les usines de traitement des eaux usées ne peuvent pas fonctionner »,280 , ce qui signifie que les eaux usées non traitées sont pompées dans la mer, polluant le littoral de Gaza et « contribuant à une propagation accélérée des bactéries résistantes aux antibiotiques, qui mettent en danger la santé des habitants de Gaza et d’ailleurs ».281
2.100 Quatrièmement, Israël interdit l’accès aux zones terrestres et maritimes adjacentes aux frontières terrestres de Gaza avec Israël, les qualifiant de « zones tampons » ou de « zones d’accès restreint ».282 En conséquence, 35 % des terres arables de Gaza sont interdites aux agriculteurs qui les possèdent.283 De même,
278 « Gaza : ICRC survey shows heavy toll of chronic power shortages on exhausted families », CICR (29 juillet 2021), disponible sur https://tinyurl.com/ktht3k5u.
279 OCHA, « Electricity in the Gaza Strip (2023) » (dernier accès : 16 juillet 2023), disponible sur https://tinyurl.com/36sdr4n4.
280 « Gaza : ICRC survey shows heavy toll of chronic power shortages on exhausted families », CICR (29 juillet 2021), disponible sur https://tinyurl.com/ktht3k5u.
281 Ibid.
282 Voir Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. UN A/HRC/31/44 (20 janvier 2016), par. 41-43 (« Les mesures coercitives mises en oeuvre par les autorités israéliennes contre les résidents qui vivent et travaillent dans les zones d’accès restreint portent gravement atteinte au droit des pêcheurs et des agriculteurs palestiniens à leurs moyens de subsistance, et ont un effet dévastateur sur les droits à la vie et à la santé physique et mentale ».).
283 Voir Euro-Med Human Rights Monitor, Gaza : The Dead-Zone. How life in the Gaza Strip changed over 14 years of Israel’s strangling blockade (janvier 2020), disponible sur https://tinyurl.com/n3y57rvu, p. 30 (« Les terres ‘interdites’ représentaient environ 35 % des terres adaptées à l’agriculture à Gaza. Les forces israéliennes ont détruit ou contaminé une grande partie de ces terres arables »).
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l’accès à environ 85 % des eaux de pêche de Gaza est restreint.284 Dans le cadre des accords d’Oslo, Israël a accepté que la zone située à 20 milles nautiques au large de Gaza soit une zone de pêche.285 En pratique, toutefois, cette zone se situe le plus souvent à entre trois et six milles nautiques,286 surtout depuis la découverte de pétrole et de gaz au large des côtes de Gaza.287 Les pêcheurs de Gaza subissent également « des violences fréquentes, ils sont arrêtés par la marine israélienne lorsqu’ils dépassent les limites, leurs bateaux sont confisqués et ils font parfois l’objet de tirs, sont tués ou blessés ».288 Les zones tampons sont représentées sur une carte établie par l’OCHA, reproduite à la Figure 2.15, en page suivante.
2.101 En conséquence, les habitants de Gaza sont confrontés à des obstacles majeurs pour mener des activités de pêche et d’agriculture, que ce soit pour leur propre subsistance ou pour gagner leur vie. Comme le souligne Amnesty
284 Rapport Amnesty International 2022, p. 24.
285 Oslo II, Annexe I - Protocole concernant le redéploiement et les arrangements de sécurité, art. XIV.
286 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, Doc. UN A/75/310 (13 août 2020) (dossier No. 487), par. 7. Voir aussi OCHA, « Gaza’s fisheries : record expansion of fishing limit and relative increase in fish catch ; shooting and detention incidents at sea continue » (Oct. 2019), disponible sur https://tinyurl.com/zba3tnc4 ; UNGA, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Estt), Doc. UN A/74/468 (2 octobre 2019) (dossier n° 860), par. 26 (« Les bouclages imposés par Israël à Gaza, y compris les zones d’accès restreint unilatéralement définies à l’intérieur de Gaza et en mer, ont continué à avoir un profond impact sur les droits des Palestiniens à Gaza »).
287 Rapport Amnesty International 2022, p. 28.
288 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, Doc. UN A/75/310 (13 août 2020) (dossier No. 487), par. 7. Voir aussi OCHA, « Gaza’s fisheries : record expansion of fishing limit and relative increase in fish catch ; shooting and detention incidents at sea continue » (octobre 2019), disponible sur https://tinyurl.com/zba3tnc4 (un pêcheur, nommé Fadi, raconte : « Les forces navales israéliennes nous font beaucoup de mal ... Ils nous poursuivent, utilisent des canons à eau, ouvrent le feu sur nous et nous mettent en détention. J’ai été détenu six fois. Je ne sais plus combien de fois mes fils et moi-même avons été blessés par des balles en caoutchouc ! Ils ont confisqué trois moteurs et un petit bateau, qu’ils n’ont toujours pas restitués. En tant que pêcheurs, la mer devrait toujours nous être ouverte, mais nous sommes piégés dans une zone restreinte »). Voir infra §§ IV(A) et IV(B).
Figure 2.15

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International, des restrictions aussi draconiennes ne peuvent être justifiées par des raisons de sécurité289. Au contraire, comme l’explique l’ONG israélienne Gisha, « Israël impose et applique régulièrement des restrictions générales et arbitraires pour des intérêts politiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec la sécurité290 ».
2.102 Il résulte de l’accumulation des mesures décrites ci-dessus que l’économie de Gaza est « au bord de l’effondrement291 ». Au cours de la période de 11 ans allant de 2007 à 2018, l’économie n’a progressé que de 4,8 % au total, bien que la population ait augmenté de près d’un million d’habitants292. Au cours de la même période, le chômage a augmenté de 49 % et la pauvreté de 42 %293. Outre l’effondrement de l’économie, le blocus israélien, et en particulier ses restrictions en matière de double usage, entrave également la fourniture de services publics ainsi que la construction et l’entretien des infrastructures294.
289 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 145 (« Israël affirme qu’il maintient la « zone tampon » pour assurer la sécurité de ses soldats et de ses citoyens. Si ces préoccupations en matière de sécurité sont légitimes et si le droit international humanitaire autorise Israël, en tant que puissance occupante, à interdire ou à restreindre l’accès à certaines zones en tant que mesure de sécurité nécessaire, ces mesures ne peuvent priver la population occupée de ses droits fondamentaux et doivent garantir sa sécurité et son bien-être. L’institution par Israël de la « zone tampon » ne répond pas à ces exigences et entraîne souvent des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international. »)
290 Gisha, “Closing in. Life and Death in Gaza’s Access Restricted Areas” [Le bouclage. La vie et la mort dans les zones d’accès limité de Gaza] (août 2018), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/333f8zyx.
291 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, doc. de l’ONU A/75/310 (13 août 2020) (Dossier no 487), p. 2.
292 Ibid. par. 18.
293 Ibid.
294 Rapport 2019 de la Banque mondiale, par. 30-31. Voir aussi « Gaza : Enquête sur les frappes aériennes israéliennes contre des tours d’habitation en mai : Ces attaques apparemment illégales ont causé des dommages importants et durables », Human Rights Watch (23 août 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2bp3zsa2 (« Ces restrictions ont fortement réduit l’accès de la population aux matériaux de construction et à d’autres biens essentiels à la reconstruction de Gaza et de son infrastructure. L’armée israélienne affirme que les groupes armés de Gaza utilisent du ciment pour construire des tunnels et estime que la construction d’un kilomètre de tunnel nécessite quelques centaines de tonnes de ciment. Or, la population de Gaza a besoin de plus d’un million de
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2.103 Le blocus a également eu un « impact négatif sur la sécurité alimentaire » à Gaza295. En 2022, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) a indiqué que sur une période de 30 jours en juin 2022, environ 63 % des Palestiniens de Gaza (soit plus de 1,4 million de personnes) étaient confrontés à une insécurité alimentaire modérée à grave296. En termes plus crus, le même rapport indique que 75,5 % des Palestiniens de Gaza « s’inquiètent de ne pas avoir assez à manger », 39,7 % « ont dû sauter un repas » et 15,5 % ont complètement « manqué de nourriture297 ».
2.104 La santé publique a également souffert. Comme l’a observé en 2022 la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, « [p]lusieurs mécanismes des Nations Unies ont souligné que le maintien du blocus et les hostilités répétées, qui causaient la destruction d’infrastructures et privaient les habitants de biens et de services essentiels, entravaient l’accès à l’eau et aux installations sanitaires, ainsi qu’au système de santé à Gaza298 ». Les soins médicaux adéquats ne sont pas disponibles à Gaza en raison des limitations imposées à l’importation d’équipements médicaux, de médicaments et d’autres fournitures299. Par exemple,
tonnes de ciment par an pour construire et entretenir les maisons, les écoles, les dispensaires, le réseau de distribution d’eau et d’autres infrastructures vitales »).
295 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 171.
296 BCAH, Multi-Sectoral Needs Assessment [Évaluation des besoins multisectoriels] (juillet 2022), consultable sur https://tinyurl.com/cyk4ccfr, p. 2.
297 Ibid.
298 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, doc. de l’ONU A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 54.
299 OMS, Rapport du Directeur général sur la situation sanitaire dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé (17 mai 2023), doc. no A/76/15, par. 20. Voir également OMS, Rights to Health. Barriers to health and attacks on health care in the occupied Palestinian territory, 2019 to 2021 [Droits à la santé. Obstacles à la santé et attaques contre les soins de santé dans le Territoire palestinien occupé, de 2019 à 2021] (2022), consultable sur https://tinyurl.com/2uhpc95x, p. 45-48.
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« en octobre 2018, près de la moitié des médicaments essentiels étaient en rupture de stock totale à Gaza300. »
2.105 Dans le même temps, la plupart des patients ne peuvent pas se rendre à l’étranger pour se faire soigner. Selon l’OMS, rien qu’en 2022, Israël n’a pas approuvé en temps voulu plus de 16 000 demandes de permis médicaux pour voyager en dehors de Gaza301. Pour les patients atteints de cancer, cette situation est particulièrement problématique ; l’OMS a déjà établi « une corrélation statistiquement significative entre une réponse négative ou tardive aux demandes de permis [de voyage] initiales et une mortalité accrue des patients302 ».
2.106 Le blocus israélien a également créé une situation d’urgence en matière de santé mentale à Gaza. Les enfants, dont 85 % n’ont jamais connu de vie en dehors du blocus, sont particulièrement touchés303. Selon Médecins Sans Frontières, « 40 % des jeunes Gazaouis souffrent de troubles de l’humeur, 60 à 70 % de stress post-traumatique et 90 % d’autres troubles liés au stress304 ». Un rapport alarmant
300 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, doc. de l’ONU A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 54.
301 OMS, Rapport du Directeur général sur la situation sanitaire dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé (17 mai 2023), doc. no A/76/15, par. 22.
302 AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/74/468 (2 oct. 2019) (Dossier no 860), par. 29 (citant l’OMS, Right to Health in the Occupied Palestinian Territory: 2018, consultable sur https://tinyurl.com/3xtk2kwu, p. 35 et 43).
303 Save the Children, Trapped: The Impact of 15 Years of Blockade on the Mental Health of Gaza’s Children [Pris au piège : l’impact de 15 ans de blocus sur la santé mentale des enfants de Gaza], consultable sur https://tinyurl.com/4ufnxeb7, p. 7, 24.
304 Médecins sans frontières, « In Gaza, lingering trauma is worsening a mental health crisis » [À Gaza, les traumatismes persistants aggravent la crise de la santé mentale] (30 juin 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3fv8uryr. Voir également Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, Département de la santé, Rapport annuel 2022, consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ycksnvn3, p. 31.
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publié en 2022 par Save the Children révèle que 55 % des enfants de Gaza ont envisagé de se suicider et que 80 % d’entre eux ont fait état d’une détresse émotionnelle305.
IV.Violence systématique dans le Territoire palestinien occupé et recours excessif à la force par Israël contre les Palestiniens
2.107 Un autre outil clé utilisé par Israël pour contrôler les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé est la création et le maintien d’un environnement caractérisé par la violence systématique et le recours à la force contre les Palestiniens. Ce n’est pas un phénomène récent. Le professeur Khalidi explique que dès 1923, le sioniste Vladimir Jabotinsky « affirmait que l’utilisation constante d’une force massive contre les [Palestiniens] serait nécessaire pour mettre en oeuvre [le] programme de « transformation » de la Palestine en Israël306 ». La violence israélienne et son spectre font partie de l’essence même de la vie des Palestiniens depuis des décennies, au moins depuis la Nakba en 1947-49307. Parmi les autres pratiques systématiques, on peut citer les attaques armées disproportionnées et répétées d’Israël contre Gaza (Section A), son recours à la violence pour faire respecter son blocus illégal de Gaza (Section B), ses tactiques de maintien de l’ordre brutales en Cisjordanie (Section C), ainsi que son approbation de la violence des colons israéliens et l’absence de prévention ou de punition de cette violence (Section D).
305 Save the Children, Trapped: The Impact of 15 Years of Blockade on the Mental Health of Gaza’s Children [Pris au piège : l’impact de 15 ans de blocus sur la santé mentale des enfants de Gaza], consultable sur https://tinyurl.com/4ufnxeb7, p. 5, 24.
306 Professeur Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) [Colonialisme de peuplement en Palestine (1917-1967)] (20 juillet 2023), p. 7. QWS, Vol. II, Annexe 1.
307 Voir ibid. p. 26-34.
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A. ATTAQUES MILITAIRES SYSTEMATIQUES ET DISPROPORTIONNEES D’ISRAËL CONTRE GAZA
2.108 Après son « désengagement » ostensible de Gaza en 2005 et à partir de 2006, Israël a mené de nombreuses attaques armées violentes, voire brutales, contre Gaza, qui ont duré de quelques jours à près de deux mois. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les Nations Unies rapportent que les attaques israéliennes ont tué au moins 5 282 Palestiniens à Gaza, dont la majorité étaient incontestablement des civils, parmi lesquels 1 189 enfants et 581 femmes308.
2.109 Voici un aperçu des six attaques armées les plus meurtrières309 :
1. Décembre 2008 à janvier 2009 : cette attaque a duré 22 jours et a reçu le nom de code d’opération « Plomb durci ». Environ 1 400 Palestiniens ont été tués, la plupart d’entre eux étant des civils, dont 339 enfants310. Neuf Israéliens ont été tués, dont trois civils311.
2. Novembre 2012 : cette attaque a duré huit jours et a reçu le nom de code d’opération « Pilier de défense ». Environ 170 Palestiniens ont été tués,
308 Voir BCAH, « Data on casualties » [Données sur les décès et blessures] (consulté pour la dernière fois le : 11 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sdp43zu. Le BCAH recense 5 364 victimes palestiniennes dans la bande de Gaza depuis le 1er janvier 2008. Les « responsables » indiqués pour 5 317 d’entre elles sont les « forces israéliennes », et 47 décès sont attribués à des « inconnus ». Il a été déterminé que 2 788 victimes étaient des civils, et le type de victime était « contesté » pour 1 572 d’entre elles. Sur les 1 206 décès d’enfants, 1 193 ont été attribués aux forces israéliennes, et 13 à des auteurs inconnus.
309 Plusieurs autres attaques ont eu lieu depuis 2006, notamment celles désignées par Israël sous les noms de code suivants : opération « Pluies d’été » (juin 2006), opération « Nuages d’automne » (novembre 2006), opération « Hiver chaud » (février 2008), opération « Écho de retour » (mars 2012) et opération « Ceinture noire » (novembre 2019), ainsi que les attaques récentes de février, avril, mai et juillet 2023.
310 Voir BCAH, « Data on casualties » [Données sur les décès et blessures] (consulté pour la dernière fois le : 3 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sdp43zu.
311 Voir ibid.
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la plupart d’entre eux étant des civils, dont 36 enfants312. Quatre civils israéliens ont été tués313.
3. Juillet et août 2014 : cette attaque a duré 50 jours et a reçu le nom de code d’opération « Bordure protectrice ». Environ 2 250 Palestiniens ont été tués, la plupart d’entre eux étant des civils, dont plus de 550 enfants314. 73 Israéliens ont été tués, dont six civils315.
4. Mai 2021 : cette attaque a duré 11 jours. Environ 260 Palestiniens ont été tués, dont au moins la moitié étaient des civils, parmi lesquels 67 enfants316. Dix civils ont été tués en Israël317.
5. Août 2022 : cette attaque a duré trois jours. Une cinquantaine de Palestiniens ont été tués, la majorité d’entre eux étant des civils, dont 17 enfants318. Aucun Israélien n’a été tué319. Abou Shehadeh, un membre arabe israélien de la Knesset, a « qualifié [cette] opération à Gaza de « crime de guerre », ajoutant : « Tout meurtre sans procès est
312 Voir ibid.
313 Voir BCAH, The Monthly Humanitarian Monitor: Oct.-Nov. 2012 [L'observatoire mensuel de l'aide humanitaire : oct.-nov. 2012] (19 déc. 2012), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yzh4dev7.
314 Voir BCAH, « Data on casualties » [Données sur les décès et blessures] (consulté pour la dernière fois le : 3 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sdp43zu. Les données du BCAH font état de 1 694 morts civiles causées par les forces israéliennes et incontestées.
315 Voir BCAH, « Key figures on the 2014 hostilities » [Chiffres clés sur les hostilités de 2014] (23 juin 2015), consultable sur https://tinyurl.com/2p9umcay.
316 Voir HCDH, Déclaration : Territoire palestinien occupé (25 mars 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/y627954h.
317 Ibid.
318 HCDH, Communiqué de presse : Bachelet alarmed by number of Palestinian children killed in latest escalation, urges accountability [Michelle Bachelet, alarmée par le nombre d’enfants palestiniens tués lors des récentes frappes, demande que les responsables rendent des comptes] (11 août 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/472tpm7t.
319 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 6.
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un crime, et si des Juifs le commettent, cela ne le rend pas légitime »320 ».
6. Mai 2023 : l’attaque d’il y a deux mois a duré cinq jours. Environ 34 Palestiniens ont été tués, dont au moins 12 civils, parmi lesquels six enfants321. Un civil israélien a été tué322.
2.110 Israël affirme que ses préoccupations en matière de sécurité justifient ses attaques armées contre Gaza. Il fait état de tirs de roquettes et de mortiers par des groupes militants palestiniens, qui se produisent le plus souvent en réponse aux attaques violentes ou aux provocations d’Israël à Gaza ou en Cisjordanie323. Le Qatar est tout à fait d’accord pour dire que les tirs de roquettes sans discrimination sur des zones civiles sont illégaux324. Pourtant, ces attaques à la roquette, qui consistent principalement en des roquettes d’artillerie en acier de courte portée, « souvent grossières325 », ne peuvent en aucun cas justifier l’usage disproportionné et excessif de la force par Israël contre Gaza, et encore moins contre sa population
320 « Israel: Joint List lawmakers condemn Operation ‘Breaking Dawn’ » [Les législateurs de la Liste commune condamnent l’opération « Aube naissante »], i24 News (8 août 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/c8hxx6jd.
321 BCAH, Protection of Civilians Report: 2-15 May 2023 [Rapport sur la protection des civils, 2-15 mai 2023] (19 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2p95kny9.
322 Ibid.
323 Voir, par exemple, Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, doc. de l’ONU A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 41 (« Des hostilités armées ont de nouveau éclaté à Gaza en mai 2021, et il a été signalé qu’un grand nombre des schémas décrits ci-dessus se répétaient. Comme l’a relevé la Haute-Commissaire aux droits de l’homme, cette escalade a été déclenchée par des manifestations contre l’expulsion imminente de familles palestiniennes de leur maison à Sheikh Jarrah au profit de colons, par l’augmentation des tensions nationalistes et ethniques, ainsi que par les restrictions et l’emploi de la force auxquels Israël a eu recours à l’égard des Palestiniens de Jérusalem-Est pendant le Ramadan. »).
324 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 11.
325 A. Taylor et B. Shammas, « Here’s how rockets from Gaza test Israel’s Iron Dome » [Voici comment les roquettes de Gaza mettent à l’épreuve le Dôme de fer israélien], Washington Post (11 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/y8z6a9sm.
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civile. Jusqu’à 97 % des roquettes sont interceptées par le système de défense israélien Dôme de fer326 et, comme le montrent les chiffres cités plus haut, elles font beaucoup moins de victimes civiles que les attaques armées d’Israël contre Gaza. Plutôt que de se sentir menacés par les roquettes, les Israéliens se rassemblent sur les collines voisines pour regarder les bombes tomber sur Gaza327.
Figure 2.16 : Des Israéliens se sont rassemblés sur une colline à l’extérieur de la ville de Sderot lundi pour regarder le bombardement de Gaza, le 14 juillet 2014328
326 « Iron Dome at 97% success rate after 580 rockets fired from Gaza since Friday » [Le Dôme de fer affiche un taux de réussite de 97 % après que 580 roquettes ont été tirées de Gaza depuis vendredi], Times of Israel (7 août 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/34fb93cc. Voir également Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 10.
327 R. Mackey, « Israelis Watch Bombs Drop on Gaza From Front-Row Seats » [Des Israéliens, assis aux premières loges, regardent les bombes tomber sur Gaza], New York Times (14 juillet 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ymccsvkr.
328 Ibid.
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2.111 Comme indiqué, Gaza est l’un des territoires les plus densément peuplés au monde329. La population se concentre dans les zones urbaines. Les personnes ne peuvent pas non plus partir à cause du blocus, comme décrit ci-dessus. Ils ne peuvent donc pas se protéger des attaques d’Israël. Malgré cela, Israël déploie généralement une force massive et aveugle ; il ne fait pas preuve de retenue en menant un nombre limité de frappes de précision sur des cibles militaires légitimes330.
2.112 Par exemple, pendant 51 jours en 2014, Israël a mené plus de 6 000331 frappes aériennes et lancé environ 50 000 obus d’artillerie332. Au total, Israël a largué environ 21 000 tonnes d’explosifs sur Gaza333. Sur une période de 24 heures, les 19 et 20 juillet, Israël a tiré 7 000 obus d’artillerie, chacun ayant un « rayon d’action » de 50 mètres, sur un seul quartier334. Selon de hauts responsables militaires des États-Unis, cet usage « massif », « énorme » et « absolument
329 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, doc. de l’ONU A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 15.
330 Alors qu’Israël prétend effectuer des « frappes de précision », ses bombardements aériens sont loin d’être aussi précis. Voir R. Abdulrahim, « Israel Called Them ‘Precision Strikes’. But Civilian Homes Were Hit Too » [Israël parle de « frappes de précision », mais des maisons civiles ont aussi été touchées], New York Times (31 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/445ckdk4.
331 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/29/52 (24 juin 2015), par. 35.
332 Voir R. Khalidi, « The Dahiya Doctrine, Proportionality, and War Crimes » [La doctrine Dahiya, la proportionnalité et les crimes de guerre], 44(1) JOURNAL OF PALESTINE STUDIES (2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/tamptyp8 (« Au cours de sa dernière campagne, qui s’est étendue sur une période de cinquante jours en juillet et août 2014, l’armée de l’air israélienne a lancé plus de six mille attaques aériennes, et son armée et sa marine ont tiré environ cinquante mille obus d’artillerie et de chars d’assaut. »).
333 Ibid.
334 Ibid.
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disproportionné » de la force335 a fait appel à la même quantité d’armes que celles qui accompagneraient normalement deux bataillons entiers de 40 000 soldats américains336.
2.113 Au cours de ces nombreuses attaques armées, des organes de l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme réputées ont documenté des centaines de frappes sur des bâtiments résidentiels, tuant des milliers de civils, dont des centaines d’enfants337. Dans de nombreux cas, il semble que les forces militaires israéliennes aient délibérément pris pour cible des civils et des structures civiles338. À propos de l’attaque de 2021, par exemple, Amnesty International a
335 Ibid.
336 M. Perry, « Why Israel’s Bombardment of Gaza Neighborhood Left US Officers ‘Stunned’ » [Raisons pour lesquelles les bombardements israéliens sur le quartier de Gaza ont laissé les officiers américains « abasourdis »], Al Jazeera America (27 août 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yt79ecyz.
337 Voir, par exemple, Conseil des droits de l’homme, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés. Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza, doc. de l’ONU A/HRC/12/48 (25 sept. 2009), par. 53, 449 ; Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/22/35/Add. 1 (4 juillet 2013), par. 11–15 ; Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/29/52 (24 juin 2015), par. 35-56, 59-66 ; AGNU, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), par. 10-12 ; BCAH, Protection of Civilians Report: 2-15 August 2022 [Rapport sur la protection des civils, 2-15 août 2022] (19 août 2022), consultable sur https://tinyurl.com/ypbup36v ; Conseil de sécurité des Nations Unies, Meeting Coverage: Recent Deadly Escalation between Israeli Forces, Palestinian Armed Groups ‘Another Reminder’ of Volatile Situation, Special Coordinator Tells Security Council [Couverture de la réunion : l’escalade meurtrière récente entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens rappelle la volatilité de la situation, déclare le Coordinateur spécial au Conseil de sécurité], doc. de l’ONU SC/15 293 (24 mai 2023), consultable sur https://tinyurl.com/ycxpuurh.
338 Voir, par exemple, « Israel’s Indiscriminate and Disproportionate Attacks on Palestinian Civilians Violates International Humanitarian law, Indicate War Crimes » [Les attaques sans discrimination et disproportionnées d’Israël contre des civils palestiniens violent le droit humanitaire international et constituent des crimes de guerre], Al-Haq (8 août 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4uwrf4pc ; The Euro-Mediterranean Human Rights Monitor, Inescapable Hell: The Israeli military attack on the Gaza Strip (21 - 10 May, 2021) [L’enfer
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décrit des cas où Israël « [a bombardé des] habitations remplies de familles civiles, [...] sans avertissement [...] [avec] des armes explosives puissantes, comme des bombes larguées depuis des avions, dont l’explosion se propage sur un rayon de plusieurs centaines de mètres339 ».
Figure 2.17 : des Palestiniens marchent à côté des restes d’un immeuble de 15 étages détruit par des frappes aériennes israéliennes dans la ville de Gaza, le 13 mai 2021340
inéluctable : l’attaque militaire israélienne contre la bande de Gaza (21 - 10 mai 2021)] (mai 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/jc8s2cyb, p. 59-60.
339 Amnesty International, Communiqué de presse : Israël et Territoires palestiniens occupés. Une enquête pour crimes de guerre doit être menée sur les attaques israéliennes contre des habitations à Gaza (17 mai 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yc3mhp95.
340 « AP PHOTOS: Fear and grief grip Gaza anew amid familiar glare » [AP PHOTOS: La peur et le chagrin s'emparent à nouveau de Gaza à la vue de scènes familières], Associated Press (16 mai 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yuz43pch.
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Figure 2.18 : Ibrahim Al-Masri, 10 ans, se fait photographier assis dans sa chambre qui a subi des dégâts lors de la destruction du bâtiment voisin par une frappe aérienne, 26 mai 2021341
2.114 Voici trois exemples d’enquêtes indépendantes montrant qu’Israël a pris pour cible des civils et a fait un usage disproportionné de la force, causant des morts civiles qui auraient pu être évitées.
2.115 Tout d’abord, comme l’indique Amnesty International, le 7 août 2022, des frappes aériennes israéliennes ont tué cinq enfants qui se rendaient sur la tombe d’un parent dans le cimetière d’Al-Falluja, dans le nord de la bande de Gaza ; un sixième enfant a été gravement blessé342.
341 J. Minchillo, « AP PHOTOS: Shattered rooms show Gaza war’s toll on children » [AP PHOTOS : Les chambres détruites montrent le bilan de la guerre de Gaza pour les enfants], Associated Press (1er juin 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yj5bj5bw.
342 Amnesty International, ‘They Were Just Kids’: Evidence of War Crimes During Israel’s August 2022 Gaza Offensive [« Ce n’étaient que des enfants » : Preuves de crimes de guerre lors de l’offensive israélienne d’août 2022 à Gaza] (25 Oct. 2022), consultable sur https://tinyurl.com/24b3dj4u, p. 12.
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2.116 Le père de Nadhmi Abu Karsh, l’une des victimes, a raconté :
Soudain, nous avons entendu le bruit d’un missile qui explosait tout près de nous. Je me suis précipité au cimetière comme presque tout le monde dans le quartier. Les gens ont commencé à ramasser des morceaux de corps, à porter des lambeaux. Les parents ne pouvaient pas reconnaître le corps de leurs propres enfants. Ils ne savaient pas si les morceaux qu’ils tenaient appartenaient à leurs fils. J’espérais que, pour une raison ou une autre, Nadhmi aurait quitté le cimetière avant la frappe, mais j’ai vu des morceaux de sa chaussure près de la tombe de sa mère et j’ai su que ce n’était pas le cas343.
2.117 À l’issue de son enquête, Amnesty International a conclu qu’il y avait « de fortes indications que l’attaque du cimetière d’Al-Falluja était soit une attaque directe contre des civils, soit une attaque aveugle où Israël n’a pas respecté l’obligation de prendre toutes les précautions possibles pour faire la distinction entre les civils et les combattants344 ».
343 Ibid., p. 14.
344 Ibid., p. 3.
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Figure 2.19 : les cinq enfants tués lors de l’attaque du cimetière d’Al-Falluja le 7 août 2022 : Jamil Ihab Nejem, 14 ans (en haut à gauche) ; Nadhmi Abu Karsh, 15 ans (en haut à droite) ; Hamed Haidar Nejem (à gauche) et Muhammad Salah Nejem (à droite), tous deux âgés de 16 ans (en bas à gauche) ; et Jamil Najmiddine Nejem, 4 ans (en bas à droite)345
2.118 Deuxièmement, comme l’a documenté Human Rights Watch, le 16 mai 2021, Israël a bombardé sans avertissement plusieurs immeubles d’habitation voisins dans la rue Al-Wahda, au centre de la ville de Gaza. Les « 25 à 30 frappes » ont tué 45 Palestiniens, « tou[s] identifié[s] comme des civils par le HCDH », dont 18 enfants et 14 femmes, et en ont blessé des dizaines d’autres346. Parmi les personnes tuées, 22 étaient des membres d’une seule famille, la famille al-Qoulaq.
345 Ibid., p. 13.
346 AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/76/333 (20 sept. 2021) (Dossier no 862), par. 7 (« Très tôt dans la journée du 16 mai, les forces de sécurité israéliennes ont attaqué la rue Al-Wahda et ses environs, un quartier densément peuplé du centre de la ville de Gaza, en y menant 25 à 30 frappes qui ont provoqué la mort de 45 personnes (toutes identifiées comme des civils par le HCDH) »).
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Au cours des bombardements, « au moins 35 magasins, 8 immeubles et les locaux du Ministère du travail à Gaza ont été détruits347 ».
2.119 À la suite d’une visite sur place et d’une enquête, « Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve de l’existence d’une cible militaire dans la zone des frappes aériennes ou à proximité348 ». Le secrétaire général des Nations Unies a également déclaré que « Israël affirme que nombre de ces structures accueillaient des groupes armés ou étaient utilisées à des fins militaires ; en revanche, le HCDH n’a vu aucune preuve étayant ces allégations349 ». En outre, Human Rights Watch a souligné que, même en supposant qu’il y ait eu une cible militaire à proximité, « [l]’armée [israélienne] n’a pas non plus expliqué pourquoi les circonstances n’ont pas permis d’avertir efficacement les résidents de la rue al-Wahda d’évacuer leurs immeubles avant l’attaque350 ».
2.120 Troisièmement, en ce qui concerne l’attaque israélienne de l’été 2014 contre Gaza, une commission de l’ONU créée pour enquêter sur cette attaque a relevé « 15 cas de frappes ayant touché des bâtiments résidentiels de Gaza, au cours desquelles un total de 216 personnes ont été tuées, dont 115 enfants et 50 femmes351 ». La Commission a « mis en évidence des scénarios de frappes menées par les forces
347 Ibid, p. 4 (« Très tôt dans la journée du 16 mai, les forces de sécurité israéliennes ont attaqué la rue Al-Wahda et ses environs, un quartier densément peuplé du centre de la ville de Gaza, en y menant 25 à 30 frappes qui ont provoqué la mort de 45 personnes (toutes identifiées comme des civils par le HCDH) »).
348 Human Rights Watch, « Gaza : Crimes de guerre présumés lors des affrontements de mai » (27 juillet 2021), consultable sur https://tinyurl.com/356pcrty.
349 AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/76/333 (20 sept. 2021) (Dossier no 862), p. 3.
350 Human Rights Watch, « Gaza : Crimes de guerre présumés lors des affrontements de mai » (27 juillet 2021), consultable sur https://tinyurl.com/356pcrty.
351 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/29/52 (24 juin 2015), par. 36.
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israéliennes contre des bâtiments résidentiels352 », qui ont été menées à des heures de la journée susceptibles d’entraîner un nombre extrêmement élevé de victimes civiles :
La Commission a constaté que des armes à guidage de précision avaient été employées dans tous les cas, ce qui révèle que les attaques visaient des cibles précises, et avaient entraîné la destruction totale ou partielle de certains bâtiments. Ces observations sont corroborées par l’analyse d’images satellite. De nombreux incidents ont eu lieu le soir ou à l’aube, lorsque les familles se réunissaient pour l’iftar et le suhhur, les repas pris pendant le Ramadan, ou au cours de la nuit, pendant leur sommeil. Les périodes choisies pour mener les attaques accroissaient la probabilité que de nombreuses personnes, souvent des familles entières, se trouvent chez elles. Le fait que des bâtiments résidentiels aient été visés par les attaques a augmenté les possibilités que des femmes soient tuées ou blessées353.
2.121 La Commission a également conclu que, dans la plupart des cas, « il est difficile, voire impossible, de justifier que des bâtiments résidentiels, qui constituent a priori des biens à caractère civil ne pouvant pas être visés par des attaques, aient été considérés comme des objectifs militaires légitimes354 ». Même dans les cas où une explication potentielle des frappes aériennes pouvait être décelée, « les cibles potentielles étaient pour la plupart des personnes qui étaient ou auraient pu être présentes dans le bâtiment visé au moment de l’attaque, et qui étaient semble-t-il ciblées du fait de leurs liens supposés avec la police, le Hamas ou un groupe armé355 ». La Commission s’est interrogée sur la participation directe de ces personnes aux hostilités356. En tout état de cause, la Commission a conclu
352 Ibid.
353 Ibid, par. 37.
354 Ibid, par. 38.
355 Ibid, par. 39.
356 Ibid.
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que « tout port[ait] à croire que ces attaques pourraient être disproportionnées » en raison de « la nature résidentielle des bâtiments en question, de leur situation dans des zones densément peuplées, du moment choisi pour mener l’attaque et de l’usage fréquent de bombes de gros calibre utilisées semble-t-il pour causer des dégâts importants357 ».
2.122 Ce comportement bien documenté est caractéristique des attaques israéliennes contre Gaza au cours des deux dernières décennies. En effet, ce recours à la force disproportionné et excessif est une politique délibérée connue sous le nom de « doctrine Dahiya358 ».
2.123 Le général de division Gadi Eizenkot aurait développé cette politique de force disproportionnée lorsqu’il a supervisé les bombardements aériens massifs d’Israël sur le quartier de Dahiya à Beyrouth pendant la guerre de 2006 avec le Liban. Eizenkot, qui a ensuite été chef adjoint puis chef de l’armée israélienne jusqu’en 2019, a révélé publiquement la doctrine pour la première fois aux médias israéliens en 2008 :
Ce qui s’est passé dans le quartier de Dahiya à Beyrouth en 2006 se produira dans tous les villages à partir desquels Israël essuie des tirs […] Nous y appliquerons une force disproportionnée et y causerons d’importants dégâts et destructions. De notre point de vue, il ne s’agit pas de villages civils, mais de bases militaires. […] Il ne s’agit pas d’une recommandation. C’est un plan. Et il a été approuvé359.
357 Ibid, par. 40.
358 R. Khalidi, « The Dahiya Doctrine, Proportionality, and War Crimes » [La doctrine Dahiya, la proportionnalité et les crimes de guerre], 44(1) JOURNAL OF PALESTINE STUDIES (2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/tamptyp8.
359 Voir « Israel Warns Hizballah War Would Invite Destruction » [Israël prévient que la guerre contre le Hezbollah entraînerait sa destruction], Ynet (3 oct. 2008), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2tp2auw7. Voir également Y. London, « The Dahiya Strategy » [La stratégie Dahiya], Ynet (6 oct. 2008), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mrymxyy5.
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2.124 En plus de tuer et de mutiler des milliers de civils palestiniens, Israël a détruit d’innombrables maisons, entreprises, écoles, infrastructures et services publics au cours de ses attaques armées répétées contre Gaza. L’ampleur des destructions causées par les attaques israéliennes défie l’imagination. Rien qu’en 2014, Israël a détruit, partiellement ou totalement, 18 000 maisons, laissant 100 000 Palestiniens sans abri360.
Figure 2.20 : Des Palestiniens inspectent leurs maisons détruites suite aux frappes aériennes israéliennes de la nuit dans la ville de Beit Hanoun, au nord de la bande de Gaza, le 14 mai 2021361
2.125 Il a été constaté et documenté qu’Israël prend pour cible les écoles de Gaza, qui appartiennent à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les
360 BCAH, Occupied Palestinian Territory: Humanitarian Facts and Figures [Territoire palestinien occupé : Faits et chiffres] (2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3csz3tzy, p. 6.
361 « AP PHOTOS: Fear and grief grip Gaza anew amid familiar glare » [AP PHOTOS: La peur et le chagrin s'emparent à nouveau de Gaza à la vue de scènes familières], Associated Press (16 mai 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yuz43pch.
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réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) qui les gère. La commission d’enquête des Nations Unies créée pour enquêter sur les faits survenus dans les locaux de l’ONU à Gaza pendant la guerre de 2014 a documenté de nombreux incidents ayant causé d’« importants dégâts » et d’« énormes dégâts » aux écoles de l’UNRWA362. Les écoles de l’UNRWA et les installations des Nations Unies étant souvent utilisées comme abris civils lors des attaques armées israéliennes, « au moins 44 Palestiniens [o]nt été tués et au moins 227 blessés au cours d’opérations menées par Israël363 ». La Commission a documenté des faits survenus le 30 juillet 2014, au cours desquels l’école élémentaire pour filles de Jabalia
[a]vait été touchée par quatre projectiles brisants de 155 mm, lancés par un système à tir indirect. Dix-sept ou 18 personnes avaient été tuées, dont un membre du personnel de l’UNRWA et deux de ses fils […] Il y avait eu 99 blessés parmi les résidents du centre. L’école avait subi d’importants dégâts. […] La commission a conclu que ces faits avaient été causés par les opérations des forces de défense israéliennes et que le Gouvernement israélien n’avait pas averti au préalable que des projectiles brisants de 155 mm allaient être tirés sur l’école ou sur le quartier de l’école364.
362 Conseil de sécurité des Nations Unies, Lettre adressée à la Présidente du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, doc. de l’ONU S/2015/286 (27 avr. 2015) (Dossier No 1368), Annexe 1, par. 40, 46.
363 Ibid., p. 3.
364 Ibid, Annexe 1, par. 40.
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Figure 2.21 : Des Palestiniens ramassent des restes humains dans une salle de classe de l’école de Jabaliya après qu’elle ait été bombardée, 30 juillet 2014365
2.126 Conformément à la « doctrine Dahiya », Israël a également pris pour cible des infrastructures essentielles. En ce qui concerne l’attaque de 2008-2009 sur Gaza, la Mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le conflit de Gaza a constaté qu’Israël avait une « politique générale de destruction disproportionnée visant une part importante des équipements de la bande de Gaza366 ». Il s’agit notamment d’une « politique de ciblage délibéré et systématique des sites industriels et des installations d’approvisionnement en eau ou de traitement des eaux » et à s’engager dans la « destruction systématique de moyens de production
365 E. Harris, « Will Israel Charge Soldiers In Gaza Civilian Deaths? » [Israël va-t-il poursuivre les soldats responsables de la mort de civils dans la bande de Gaza ?], NPR (16 mai 2015), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/jmha69k7.
366 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza, doc. de l’ONU A/HRC/12/48 (25 sept. 2009), par. 1027.
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alimentaire, d’installations d’approvisionnement en eau ou d’assainissement et d’entreprises du secteur du bâtiment367 ».
2.127 En 2006, Israël a bombardé la seule centrale électrique de Gaza (qui, comme on l’a dit, fonctionne difficilement dans les meilleurs jours). En conséquence, « [l]a centrale électrique a été mise hors service et, d’un seul coup, 43 % de l’alimentation électrique de la bande de Gaza a été coupée368 ». Cette situation a entraîné des coupures d’électricité pouvant aller jusqu’à 18 heures par jour et des interruptions de l’approvisionnement en eau durant plus de 20 heures par jour369.
2.128 En juillet 2014, Israël a de nouveau bombardé la centrale électrique, la fermant une fois de plus, ce qui a eu pour effet de « limit[er] le pompage d’eau aux foyers et le traitement des eaux usées », et d’aggraver globalement « la crise humanitaire subie par 1,7 million de personnes sur ce territoire370 ». Comme l’a souligné le directeur adjoint de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord : « De manière prévisible, la frappe contre la seule centrale électrique de la bande de Gaza a mis en danger la santé des nombreux habitants de ce territoire371. »
367 Ibid. 1026-1027.
368 Gisha, Red Lines Crossed: Destruction of Gaza’s Infrastructure [Lignes rouges franchies : destruction de l’infrastructure de Gaza] (août 2009), consultable sur https://tinyurl.com/ynhuxce9, p. 7-8.
369 Voir BCAH, « Special Focus: Power Capacity in the Gaza Strip » [Dossier spécial sur la capacité électrique dans la bande de Gaza] (14 mai 2007), consultable sur https://tinyurl.com/24jrrp6j, p. 1.
370 « Gaza : La frappe contre la centrale électrique a eu de graves répercussions. La frappe a affecté le traitement des eaux usées, l’approvisionnement alimentaire et les services hospitaliers », Human Rights Watch (10 août 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4zpadppu.
371 Ibid.
96
Figure 2.22 : Fumée et incendie après l’explosion de la centrale électrique de Gaza, 29 juillet 2014372
2.129 Israël a régulièrement mené des attaques de ce type contre des infrastructures hydrauliques essentielles373.
372 A. Greenblatt, « Bombing Ruins Gaza’s Only Power Plant » [Les bombardements détruisent la seule centrale électrique de Gaza], NPR (29 juillet 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/y4k2c8ct.
373 Voir, par exemple, N. Murray, « ‘Water apartheid’: How Israel weaponises water in the Gaza Strip » [L’apartheid de l’eau : comment Israël fait de l’eau une arme dans la bande de Gaza], Middle East Eye (22 mars 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/y3tppay5 (En mai 2021, Israël a endommagé « 13 puits d’eau, trois usines de dessalement et 250 000 mètres de canalisations d’eau, y compris, semble-t-il, le principal pipeline acheminant l’eau achetée à [Israël] »). Les infrastructures hydrauliques ont également été visées lors des précédentes attaques contre Gaza : l’opération « Plomb durci » de 2008-2009 a endommagé ou détruit 11 puits et quatre réservoirs, ainsi que des stations de pompage, une station d’épuration, 19 920 mètres de canalisations d’eau, 2 445 mètres de canalisations d’eaux usées et des parties du réseau électrique indispensables au traitement des eaux usées. L’opération « Bordure protectrice » en 2014 a infligé davantage de dégâts aux puits, réservoirs d’eau, stations de traitement des eaux usées, usines de dessalement et stations de pompage. » Ibid.
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B. RECOURS A LA VIOLENCE D’ISRAËL POUR FAIRE RESPECTER SON BLOCUS DE GAZA
2.130 Comme décrit dans la Section III(B) ci-dessus, Israël maintient un blocus terrestre, aérien et maritime de Gaza depuis 16 ans. Pour faire respecter ce blocus, et outre les attaques armées disproportionnées évoquées plus haut, Israël recourt régulièrement à la force létale contre les manifestants civils, les missions humanitaires et les Palestiniens qui tentent de cultiver leurs terres ou de pêcher dans leur mer.
2.131 L’attaque israélienne de mai 2010 contre une flottille d’ONG internationales est l’un des incidents les plus notoires. Comme indiqué, compte tenu de la situation désastreuse à Gaza, la flottille tentait d’apporter une aide humanitaire à Gaza374. Israël l’a interceptée dans les eaux internationales et les troupes israéliennes ont pris d’assaut les navires375. Lors de l’embarquement sur le premier navire, le Mavi Marmara, les soldats israéliens ont ouvert le feu sur les passagers civils, qui étaient soit désarmés, soit grossièrement armés de bâtons ou de couteaux de cuisine376. Neuf passagers ont été tués et 50 ont été blessés, dont un qui est décédé à l’hôpital après avoir passé quatre ans dans le coma377. La Mission
374 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, auxquelles ont donné lieu les attaques israéliennes contre la flottille d’aide humanitaire, doc. de l’ONU A/HRC/15/21 (27 septembre 2010).
375 Ibid, par. 114.
376 Ibid., par. 112-128.
377 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, auxquelles ont donné lieu les attaques israéliennes contre la flottille d’aide humanitaire, doc. de l’ONU A/HRC/15/21 (27 sept. 2010), par. 117 ; « Turk injured in Gaza flotilla dies after four-year coma » [Un Turc blessé lors de la flottille en route pour Gaza meurt après quatre ans de coma], Haaretz (24 mai 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/msmud4mf.
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d’établissement des faits des Nations Unies chargée d’enquêter sur les faits a constaté ce qui suit :
« Le comportement des militaires et autres personnels israéliens envers les passagers de la flottille s’est non seulement révélé disproportionné, mais aussi empreint d’une violence d’un degré totalement injustifiable et incroyable. Il s’est traduit par un degré de brutalité inacceptable. Aucun souci de sécurité ou autre motif ne peut être invoqué pour le justifier ou l’excuser. Ce comportement constitue une grave violation du droit des droits de l’homme et du droit international humanitaire378. »
2.132 Un autre exemple du mépris d’Israël pour la vie des civils palestiniens est sa réponse aux manifestations civiles de 2018-2019 contre le blocus et demandant le retour des réfugiés palestiniens déplacés de la Palestine sous mandat britannique à la suite des guerres de 1948 et de 1967379, connue sous le nom de « Grande marche du retour ». Au cours des manifestations, des milliers de Palestiniens non armés se sont approchés pacifiquement de la « zone tampon » établie unilatéralement par Israël à l’intérieur de Gaza, ou y ont pénétré pacifiquement. Depuis la sécurité de leurs positions fortifiées au-delà de la barrière de sécurité, les soldats israéliens, « principalement des tireurs d’élite », ont tiré à balles réelles sur plus de 8 000 Palestiniens, tuant 214 d’entre eux, dont la quasi-totalité était des
378 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, auxquelles ont donné lieu les attaques israéliennes contre la flottille d’aide humanitaire, doc. de l’ONU A/HRC/15/21 (27 sept. 2010), par. 264.
379 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, doc. de l’ONU A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 14, 18.
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civils, parmi lesquels 46 enfants380. Le 14 mai 2018, Israël a tué 60 manifestants en une seule journée381.
Figure 2.23 : Tireurs d’élite israéliens lors de la Grande marche du retour, le 13 avril 2018382
2.133 Les forces de sécurité israéliennes ont déclaré avoir perçu une nouvelle « menace pour la sécurité » dans ces manifestations qui « étaient étroitement liées
380 BCAH, « Two years on: people injured and traumatized during the “Great March of Return” are still struggling » [Deux ans après, les personnes blessées et traumatisées lors de la « Grande marche du retour » souffrent encore] (6 avril 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/37tvk37a. Les chiffres rapportés par le BCAH en 2020 représentent une augmentation par rapport à ceux indiqués par la Commission d’enquête un an plus tôt. Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, doc. de l’ONU A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 37.
381 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, doc. de l’ONU A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 58.
382 H. Glazer, « “42 Knees in One Day”: Israeli Snipers Open Up About Shooting Gaza Protesters » [« 42 genoux en un jour » : les tireurs d’élite israéliens se confient sur les tirs contre les manifestants à Gaza], Haaretz (6 mai 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4z9dcprv.
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à des groupes armés palestiniens et constituaient une tentative de masquer des « activités terroristes »383 ». Cette affirmation était un mensonge. La Commission d’enquête des Nations Unies chargée d’enquêter sur ces faits a conclu que « les manifestations étaient des manifestations civiles, qui avaient des objectifs politiques clairement énoncés et, malgré quelques actes de violence significatifs, elles ne constituaient pas un combat ou une campagne militaire384 ».
2.134 Le BCAH estime que les forces israéliennes ont blessé 23 313 Palestiniens lors de la répression des manifestations, « contribuant ainsi au plus grand nombre de blessés enregistré dans le Territoire palestinien occupé depuis 2005385 ». Beaucoup de manifestants ont été mutilés à vie. Selon les Nations Unies, 156 victimes ont été amputées d’un membre et plus de 1 200 ont nécessité ou nécessitent encore un traitement spécialisé de reconstruction d’un membre386. Ces civils n’ont pas été mutilés par hasard. Les règles d’engagement adoptées par les autorités israéliennes permettaient aux tireurs d’élite de tirer sur les jambes des « principaux instigateurs ». Un soldat israélien a admis avoir tiré sur « 42 genoux en une journée387 ».
383 Ibid, par. 29.
384 Ibid, par. 32.
385 Ibid, par. 38.
386 BCAH, « Two years on: people injured and traumatized during the “Great March of Return” are still struggling » [Deux ans après, les personnes blessées et traumatisées lors de la « Grande marche du retour » souffrent encore] (6 avril 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/37tvk37a.
387 H. Glazer, « “42 Knees in One Day”: Israeli Snipers Open Up About Shooting Gaza Protesters » [« 42 genoux en un jour » : les tireurs d’élite israéliens se confient sur les tirs contre les manifestants à Gaza], Haaretz (6 mars 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mryd5njn.
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Figure 2.24 : Sur ces 10 photos prises le 19 septembre 2018, des Palestiniens blessés aux jambes lors de manifestations à la frontière de la bande de Gaza avec Israël posent en attendant d’être soignés dans une clinique de la ville de Gaza gérée par Médecins sans frontières388
2.135 La Commission a enquêté sur un grand nombre de ces meurtres et mutilations, notamment celui d’un écolier de 16 ans sur qui, le 30 mars 2018, les forces israéliennes ont tiré une balle au visage « [alors qu’il] distribuait des sandwiches aux manifestants, à 300 mètres de la barrière de séparation389 ». Cet adolescent a perdu l’ouïe pour toujours. Le même jour, un autre étudiant journaliste, Youssef Kronz, a reçu deux balles dans les jambes, l’une après l’autre. M. Kronz « portait un gilet bleu, sur lequel figurait la mention « Presse », et photographiait les manifestations à environ 800 mètres de la barrière de
388 T. Pitman, « In Gaza protests, Israeli troops aim for the legs » [Lors des manifestations à Gaza, les troupes israéliennes visent les jambes], Associated Press (9 déc. 2018), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4nc5tznj.
389 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé, doc. de l’ONU A/HRC/40/74 (6 mars 2019), par. 44.
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séparation390 ». Il a dû être amputé de la jambe droite391. Un tireur d’élite israélien a également tué Razan Najjar, une infirmière qui « portait [à ce moment-là] un gilet blanc d’auxiliaire médical et se trouvait avec d’autres auxiliaires bénévoles [...] à environ 110 mètres de la barrière de séparation392 ».
Figure 2.25 : L’infirmière palestinienne Razan Najjar sur le site de la manifestation avant d’être tuée par un tireur d’élite israélien, 2018393
2.136 Même en dehors du contexte des manifestations contre le blocus, Israël a recours à la force meurtrière pour restreindre l’accès des civils palestiniens aux zones dites « tampons », qui couvrent de vastes étendues du territoire terrestre et maritime de Gaza. Israël tire régulièrement des coups de feu en direction des Palestiniens qui travaillent dans les zones tampons sur terre et en mer, et, « dans
390 Ibid.
391 Ibid.
392 Ibid, par. 69.
393 I. Lee, « Israeli forces kill medic, wound 100 protesters in Gaza unrest, Palestinian ministry says » [Les forces israéliennes tuent un infirmier et blessent 100 manifestants lors des manifestations à Gaza, selon le ministère palestinien], CNN (1er juin 2018), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4ppap4sa.
103
certains cas, les [prend] directement pour cible394 ». Les restrictions d’accès aux zones offshore, par exemple, sont imposées en utilisant « des munitions réelles, des balles recouvertes de caoutchouc et des canons à eau395 ».
***
2.137 En plus de soumettre les résidents palestiniens de Gaza à des violences effroyables, décrites ci-dessus, Israël les a laissés sans recours effectif pour compenser leurs souffrances ou leurs pertes matérielles. En ce qui concerne les recours civils, comme l’explique l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme Adalah, le Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël, « Israël cherche activement à se soustraire à la responsabilité d’indemniser les victimes et a placé de nombreuses barrières et obstacles sur leur chemin pour obtenir un recours juridique auprès des tribunaux israéliens396 ». En particulier, les
394 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/16/71 (3 mars 2011), par. 9.
395 AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/74/468 (2 oct. 2019) (Dossier no 860), par. 26. Voir également AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : bouclage de la bande de Gaza et restrictions, doc. de l’ONU A/75/310 (13 août 2020) (Dossier no 487), par. 7 (« Les pêcheurs subissent des violences fréquentes, ils sont arrêtés par la marine israélienne lorsqu’ils dépassent les limites, leurs bateaux sont confisqués et ils font parfois l’objet de tirs, sont tués ou blessés. ») ; BCAH, « Gaza’s fisheries: record expansion of fishing limit and relative increase in fish catch; shooting and detention incidents at sea continue » [Pêche à Gaza : extension record de la limite de pêche et augmentation relative des prises de poissons ; poursuite des fusillades et des arrestations en mer] (oct. 2019), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3r6ffwx9 (un pêcheur, Fadi, raconte : « Nous souffrons beaucoup des forces navales israéliennes… Elles nous poursuivent, utilisent des canons à eau, ouvrent le feu sur nous et nous arrêtent. J’ai été placé six fois en détention. Je ne sais plus combien de fois mes fils et moi-même avons été blessés par des balles en caoutchouc ! Ils ont confisqué trois moteurs et un petit bateau, qu’ils ne m’ont toujours pas restitués. En tant que pêcheurs, la mer devrait être toujours ouverte pour nous, mais nous sommes piégés dans une zone restreinte »).
396 F. El-’Ajou, « Obstacles for Palestinians in Seeking Civil Remedies for Damages before Israeli Courts » [Obstacles rencontrés par les Palestiniens pour obtenir des indemnisations civiles devant les tribunaux israéliens], Adalah (mai 2013), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bddutu56, p. 1.
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délais de prescription sont excessivement courts, il y a des obstacles empêchant d’entrer en Israël pour engager des poursuites judiciaires contre l’État ou pour rencontrer leurs avocats et comparaître devant un tribunal, et les frais de justice sont élevés397.
2.138 La loi israélienne sur les délits civils entrave encore davantage la capacité des résidents palestiniens de Gaza à obtenir réparation. Cette loi prévoit que les résidents des « territoires ennemis », dont Gaza, ne peuvent recevoir d’indemnités de la part d’Israël398. En juillet 2022, la Cour suprême israélienne, appliquant cette loi, a « rejeté un recours demandant à l’État d’Israël de verser des dommages-intérêts pour les tirs de l’armée israélienne et les blessures graves infligées à un Palestinien de 15 ans, Attiya Nabaheen, en novembre 2014399 ». Décrivant le jugement du tribunal de première instance que cette décision a confirmée, la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé a expliqué qu’il prive « les victimes gazaouies de violations […] du principal moyen de faire valoir leur droit à un « recours juridique effectif » auprès d’Israël, qui leur est garanti par le droit international400 ». Il ne semble pas non plus y avoir de « mécanisme alternatif utilisé par Israël pour
397 Voir ibid.
398 Ibid., p. 10.
399 « In a most dangerous precedent, Israeli Supreme Court OKs sweeping immunity for the state, denies all civil remedies to Gaza victims of war crimes » [Dans un précédent des plus dangereux, la Cour suprême israélienne approuve l’immunité générale de l’État et refuse tout recours civil aux victimes de crimes de guerre à Gaza], Adalah (7 juillet 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/55cdtvmf.
400 Conseil des droits de l’homme, Rapport sur les conclusions détaillées de la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé (en anglais seulement), doc. de l’ONU A/HRC/40/CRP.2 (18 mars 2019), par. 756.
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indemniser les victimes palestiniennes des dommages causés illégalement par les forces de sécurité401 ».
C. USAGE EXCESSIF DE LA FORCE PAR ISRAËL EN CISJORDANIE (Y COMPRIS JERUSALEM-EST)
2.139 En Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), les forces israéliennes ont tué et blessé des milliers de civils palestiniens « souvent dans des circonstances indiquant que les homicides étaient systématiques, illégaux et arbitraires, et dans une impunité quasi totale402 » depuis le début de l’occupation en 1967. Le HCDH a établi que « [l]’emploi de la force létale par les forces de sécurité israéliennes est devenu une pratique courante dans le Territoire palestinien occupé. Cette force létale est souvent utilisée quel que soit le degré de gravité de la menace détectée et en premier ressort plutôt qu’en dernier403 ». L’année dernière a été la plus meurtrière en Cisjordanie depuis que les Nations Unies ont commencé à établir des statistiques en 2005. Au 14 décembre 2022, les forces israéliennes avaient tué 150 Palestiniens en Cisjordanie, dont 33 enfants404.
2.140 La violence d’Israël s’est manifestée de quatre manières principales : (i) le meurtre de civils non armés lors d’interactions de routine avec les forces israéliennes ; (ii) l’usage excessif de la force contre des civils dans le cadre de manifestations ou d’autres confrontations ; (iii) l’usage excessif de la force dans
401 Ibid.
402 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 31.
403 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 26.
404 HCDH, Communiqué de presse : Israel: UN experts condemn record year of Israeli violence in the occupied West Bank [Israël : des experts de l’ONU condamnent les violences israéliennes en Cisjordanie occupée, qui atteignent cette année des chiffres record] (15 déc. 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/48jmtsxt.
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des zones civiles densément peuplées, y compris des camps de réfugiés, au cours de prétendues opérations de sécurité ; et (iv) le recours à des exécutions extrajudiciaires, y compris des assassinats ciblés et l’exécution d’assaillants présumés qui ont été désarmés.
2.141 Premièrement, les forces israéliennes font régulièrement un usage excessif et meurtrier de la force contre des civils non armés dans le cadre de prétendues opérations de maintien de l’ordre et de sécurité, alors qu’il n’y a pas de menace imminente. Comme l’a expliqué la directrice du plaidoyer au sujet d’Israël à Human Rights Watch, il ne s’agit pas seulement de quelques « soldats indisciplinés, mais aussi de responsables israéliens de haut rang qui disent publiquement aux forces de sécurité de recourir à la tactique illégale consistant à tirer pour tuer405 ».
2.142 Des meurtres et des agressions de civils non armés se produisent régulièrement aux points de contrôle et aux barrages routiers, ou simplement lorsque les Palestiniens mènent leur vie quotidienne406. Les victimes sont souvent
405 Human Rights Watch, « Israël/Palestine : Des responsables israéliens ont encouragé les forces de l’ordre à « tirer pour tuer » (2 janvier 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/uxt534ch.
406 AGNU, Rapport du rapporteur spécial, Michael Lynk, sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), p. 5.
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de jeunes enfants407, des femmes408, des personnes âgées409 et des personnes handicapées410.
2.143 À titre d’exemple, en juillet 2021, des soldats israéliens ont tué un garçon de 11 ans qui se trouvait « dans une voiture qui s’éloignait lentement des soldats lorsque certains d’entre eux ont commencé à courir après le véhicule et ont ouvert le feu411 ». Lors d’un autre incident survenu à un point de contrôle temporaire le 6 avril 2021, les forces israéliennes « ont arrêté la voiture d’un couple palestinien, parents de cinq enfants, qui rentrait chez lui après un rendez-vous médical » et « ont ouvert le feu sur la voiture alors que le couple s’éloignait, tuant l’homme et blessant sa femme412 ».
2.144 Les personnes handicapées sont touchées de manière disproportionnée car les forces israéliennes ont vite recours à la force à l’encontre de tout Palestinien dont ils jugent le comportement suspect. Par exemple, en mai 2020, Iyad Hallaq,
407 Voir Human Rights Watch, Rapport au Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant. Examen d’Israël (nov. 2022), consultable (en anglais seulement) à l’adresse https://tinyurl.com/eh6bzzyd ; Defense for Children International – Palestine [Défense internationale des enfants - Palestine], « Israeli forces shoot, kill 14-year-old Palestinian girl near Ramallah » [Les forces israéliennes abattent une jeune Palestinienne de 14 ans près de Ramallah] (16 nov. 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/286d9yr4 (« Fulla était sur le siège passager d’une voiture qui roulait sur la rue Mahmoud Imwasi lorsque les forces israéliennes ont ouvert le feu sur la voiture, tirant au moins 20 balles réelles. »).
408 Voir Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 32-39.
409 Voir I. Tina, « Violence Against the Elderly: Palestine » [Violence contre les personnes âgées en Palestine], Fonds des Nations Unies pour la population (2019), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yc54sepa, p. 42-45.
410 Voir infra par. 2.144.
411 AGNU, Rapport du rapporteur spécial, Michael Lynk, sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), par. 7.
412 Ibid., par. 14.
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« un Palestinien autiste de 31 ans, a été abattu par les forces de sécurité israéliennes alors qu’il se rendait à pied, de son domicile, dans le quartier de Wadi al-Joz, à un centre de formation professionnelle pour personnes handicapées dans la vieille ville de Jérusalem413 ». En juillet 2023, un tribunal israélien a acquitté l’officier responsable (« dont les tribunaux ont interdit la publication du nom »), estimant qu’il avait commis une « erreur honnête414 ». Le tribunal est parvenu à cette conclusion en dépit de constatations indépendantes selon lesquelles « le défunt ne représentait aucun danger pour la police et les civils présents dans la zone415 ». Le dossier du tribunal cité par le New York Times, incontesté, est révélateur :
Les officiers ont coincé M. al-Hallaq dans un local à poubelle, où l’officier lui a tiré une balle dans les jambes, selon les documents déposés au tribunal. M. al-Hallaq est tombé à terre et le commandant de l’officier a ordonné d’arrêter de tirer, ont déclaré les procureurs. L’enseignante de M. al-Hallaq, qui est également arrivée sur les lieux, a déclaré qu’elle avait crié en hébreu qu’il était handicapé et qu’il ne représentait aucune menace. Mais après que M. al-Hallaq a fait un mouvement, le policier a tiré une deuxième fois sur la poitrine de M. al-Hallaq, le tuant alors qu’il gisait au sol416.
413 Conseil des droits de l’homme, Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/46/22 (15 février 2021), par. 19.
414 A. Boxerman, « Israeli Court Acquits Police Officer Who Killed Autistic Palestinian Man » [Un tribunal israélien acquitte le policier qui a tué un Palestinien autiste], New York Times (6 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2s3nubm7.
415 Conseil des droits de l’homme, Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/46/22 (15 février 2021), par. 19.
416 A. Boxerman, « Israeli Court Acquits Police Officer Who Killed Autistic Palestinian Man » [Un tribunal israélien acquitte le policier qui a tué un Palestinien autiste], New York Times (6 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2s3nubm7.
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2.145 Comme le rapporte Haaretz, les responsables israéliens se sont félicités de l’acquittement, et l’officier a été promu au rang de commandant :
Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la sécurité nationale (d’extrême droite), a applaudi la sentence dans un communiqué, déclarant que « Nous embrasserons les soldats héroïques qui protègent l’État d’Israël au péril de leur vie, et ils auront un soutien total de ma part et de celle du gouvernement israélien ».
Le commandant de la police des frontières israélienne, Amir Cohen, s’est également félicité du verdict, déclarant que l’officier retournerait à la police des frontières et suivrait un cours de commandement dans quelques semaines417.
417 N. Hasson, « Family of Palestinian Man Killed by Israeli Police Officer Attends Anti-judicial Coup Protest » [La famille du Palestinien tué par un policier israélien participe à une manifestation contre le coup d’État judiciaire], Haaretz (8 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2p9x33ne.
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Figure 2.26 : Khairi et Rana al-Hallaq, les parents d’un Palestinien autiste abattu par un policier israélien, avec une photo de leur fils418
2.146 De même, en juillet 2022, « les forces de sécurité israéliennes ont tiré sur un homme de 59 ans, qui présentait un grave handicap mental, au niveau du poste de contrôle de Houara, près de Naplouse419 ». L’homme non armé a apparemment reçu une première balle dans les jambes tirée par les forces de sécurité israéliennes depuis une tour militaire alors qu’il s’approchait du poste de contrôle420. Selon des témoins, alors que l’homme blessé et non armé s’éloignait du poste de contrôle en boitant, les forces de sécurité israéliennes sont arrivées à bord d’une jeep militaire et lui ont tiré plusieurs fois dans le haut du corps à bout portant, car il ne s’était pas arrêté comme les agents le lui avaient demandé421.
2.147 Les personnes qui viennent en aide aux victimes de la violence deviennent souvent elles-mêmes des victimes. Comme le raconte le HCDH, en mars 2019, Ahmad Mansara, 23 ans, a été « touché de plusieurs balles réelles à la poitrine et aux épaules alors qu’il aidait la famille d’un Palestinien, Ala Ghayadeh, qui avait lui-même été grièvement blessé par balles par les forces de sécurité israéliennes, juste après que sa voiture fut tombée en panne à un carrefour près du village d’El-Hadar, à proximité de Bethléem422 ».
418 A. Boxerman, « Israeli Court Acquits Police Officer Who Killed Autistic Palestinian Man » [Un tribunal israélien acquitte le policier qui a tué un Palestinien autiste], New York Times (6 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2s3nubm7.
419 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 21.
420 Ibid.
421 Ibid.
422 Conseil des droits de l’homme, Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/46/22 (15 février 2021), par. 16.
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2.148 Comme l’a observé le Rapporteur spécial sur le Territoire palestinien occupé :
L’impunité est un problème systémique et profondément enraciné. Elle contribue à alimenter le cycle des violences : tandis que les soldats paraissent pouvoir agir en toute impunité et que s’installe dans les esprits l’idée que la vie des Palestiniens est sans importance, la peur et le désespoir montent au sein de la population palestinienne423.
2.149 De nombreuses études ont confirmé cette culture de l’impunité. Par exemple, Amnesty International, dans son rapport intitulé Force létale et responsabilité des homicides illégaux commis par les forces israéliennes en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, a conclu que les enquêtes militaires israéliennes n’étaient ni indépendantes ni impartiales et que, lorsqu’elles existaient, elles manquaient d’indépendance, d’impartialité, d’exhaustivité et de transparence424. Bien qu’Israël ait dénoncé certaines des actions décrites, il n’a pas réussi à obtenir que les responsabilités soient véritablement établies. Cela permet à un climat d’« impunité généralisée425 » de prévaloir. Selon le HCDH en 2019, « [l]a grande majorité des enquêtes sur des homicides commis contre des Palestiniens par les forces de sécurité israéliennes ont été classées sans suite par le
423 AGNU, Situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. de l’ONU A/71/554 (19 oct. 2016), par. 17.
424 Amnesty International, Memorandum: Lethal Force and Accountability for Unlawful Killings by Israeli Forces in Israel and the Occupied Palestinian Territories [Mémorandum : Force létale et responsabilité pour les homicides illégaux commis par les forces israéliennes en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés] (28 sept. 2016), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/8b963kzx.
425 AGNU, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), par. 14.
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Procureur général militaire426 ». En 2021, le HCDH a observé que « [l]e climat général d’impunité décrit dans les précédents rapports du Secrétaire général et de la Haut-Commissaire a continué de régner427 ». Le même constat a été fait en 2023428.
2.150 L’impunité est flagrante, compte tenu des vies humaines dévastées par la conduite israélienne. Même les homicides des personnes les plus manifestement sans défense (des plus âgées aux plus jeunes) sont accueillis avec indifférence par Israël. Prenons l’exemple du décès, en janvier 2022, d’un Americano-Palestinien âgé de 78 ans, Omar Assad429. M. Assad « a été arrêté par des soldats alors qu’il rentrait en voiture de chez un ami, lors d’une incursion de routine de l’armée israélienne dans une zone de la Cisjordanie administrée par l’Autorité palestinienne430 ». Puis il a été arrêté, bâillonné et laissé inconscient sur un chantier431. Il a ensuite été retrouvé gisant face contre terre, sans réaction, et son décès a été constaté peu de temps après432. Dans une déclaration publiée en juin 2023, les Forces de défense israéliennes ont indiqué que les soldats impliqués dans cette affaire feraient l’objet de « mesures disciplinaires » mais que, « aucun lien de
426 Conseil des droits de l’homme, Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/40/43 (14 mars 2019), par. 22.
427 Ibid., par. 4.
428 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 5.
429 P. Kingsley et H. Yazbek, « No Charges for Israeli Soldiers in Death of Detained Palestinian American » [Aucun chef d’accusation n’est retenu contre les soldats israéliens qui ont tué un Américain palestinien qui avait été arrêté], New York Times (14 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4s8vt2tf.
430 Ibid.
431 Ibid.
432 Ibid.
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causalité n’ayant été établi entre les erreurs de conduite des soldats et la mort d’Assad », aucune enquête pénale ne serait ouverte433.
2.151 L’impunité prévaut également pour l’assassin du petit Muhammad Al-Tamimi, âgé de trois ans. En juin 2023, les forces israéliennes ont tiré une balle dans la tête du bambin, peu après que son père l’eut attaché dans son siège auto pour l’emmener rendre visite à son oncle dans le village de Nabi Saleh434. Son père a raconté à CNN :
Dès que j’ai démarré la voiture, j’ai entendu des coups de feu et j’ai vu les soldats israéliens sortir de la tour militaire […] J’ai regardé Muhammad et je n’en croyais pas mes yeux. Il a reçu une balle dans la tête, son corps était couvert de sang. Je l’ai pris dans mes bras et je me suis alors rendu compte que j’étais également touché à l’épaule droite435.
2.152 Comme le rapporte le Guardian, bien qu’il n’y ait pas eu d’hostilités ou de coups de feu à ce moment-là, les responsables israéliens ont présenté un « récit changeant » sur ce qui est arrivé à Muhammad :
Après avoir initialement attribué les blessures du père et du fils à des tirs croisés palestiniens, les responsables des Forces de défense israéliennes ont ensuite déclaré ignorer qui leur avait tiré dessus et
433 Ibid.
434 B. McKernan, « Three-year-old Palestinian boy shot by Israeli soldiers dies in hospital » [Un petit Palestinien de trois ans qui s’est fait tirer dessus par des soldats israéliens meurt à l’hôpital], The Guardian (5 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/569ysvvn.
435 A. Salman et H. Gold, « Palestinian boy, 3, dies of injuries days after being shot by Israeli troops » [Un garçon palestinien de 3 ans meurt des suites de ses blessures quelques jours après avoir été touché par des tirs de soldats israéliens], CNN (5 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2b52z4e4.
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qu’une enquête avait été ouverte, avant de préciser que le père et son fils avaient été blessés par des tirs israéliens436.
2.153 Moins de deux semaines plus tard, l’armée israélienne a annoncé qu’elle clôturait son enquête initiale et « a déclaré qu’elle réprimanderait l’un des officiers impliqués dans le décès437 ». Voici la réaction du père de Muhammad :
Bien sûr, nous ne nous attendions pas à ce que justice soit faite, mais nous considérons ce rapport comme un crime qui vient s’ajouter au crime initial... C’est tout ce qu’ils ont à dire alors que mon fils a été tué de sang-froid, que sa vie est interrompue avant que je puisse découvrir le genre de personne qu’il serait devenu438.
Figure 2.27 : Muhammad Al-Tamimi439
436 B. McKernan, « Three-year-old Palestinian boy shot by Israeli soldiers dies in hospital » [Un petit Palestinien de trois ans qui s’est fait tirer dessus par des soldats israéliens meurt à l’hôpital], The Guardian (5 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/569ysvvn.
437 I. Debre, « Israeli military admits killing Palestinian toddler by mistake, closes initial investigation » [L’armée israélienne admet avoir tué par erreur un enfant palestinien en bas âge et clôt l’enquête initiale], ABC News (14 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3z3pf5zc.
438 Ibid.
439 A. Salman, « Palestinian boy, 3, dies of injuries days after being shot by Israeli troops » [Un garçon palestinien de 3 ans meurt des suites de ses blessures quelques jours après avoir été touché par des tirs de soldats israéliens], CNN (5 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2b52z4e4.
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2.154 Deuxièmement, de nombreux meurtres de Palestiniens ont eu lieu « à la suite de manifestations et d’affrontements entre manifestants et forces de sécurité, dont beaucoup avaient été organisés pour protester contre les implantations et leur expansion440 ». Le Comité contre la torture s’est déclaré préoccupé par le « recours à une force excessive et parfois mortelle par les forces de sécurité, principalement contre les Palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem-Est [...] particulièrement dans le contexte des manifestations441 ». Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a également signalé que les autorités israéliennes « dispersent les manifestations en utilisant des méthodes de contrôle des foules, même lorsque ces manifestations sont pacifiques442 ».
2.155 De même, Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont mis en évidence le fait que les violences israéliennes à l’encontre des manifestants suivent le même schéma depuis des décennies443. En
440 AGNU, Rapport du rapporteur spécial, Michael Lynk, sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), p. 4.
441 Comité contre la torture, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, doc. de l’ONU CAT/C/ISR/CO/5 (3 juin 2016), par. 32.
442 HCDH, Déclaration à la presse : Déclaration du rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression à l’issue de sa visite en Israël et dans le territoire palestinien occupé (18 déc. 2011), consultable (en anglais seulement) à l’adresse https://tinyurl.com/43bsxh2c.
443 Voir, par exemple, Amnesty International, Israël/Territoires occupés et Autorité palestinienne. Cinq ans après l’Accord d’Oslo : les droits humains sacrifiés au nom de la « sécurité » (31 août 1998), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yc46exrh ; Amnesty International, Israël et Territoires occupés. Usage abusif de la force meurtrière (18 oct. 2000), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdfsjp9m ; Amnesty International, Israël et Territoires occupés. Assassinats commis sur ordre de l’État et autres homicides illégaux (21 février 2001), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mwnvzwrp ; Amnesty International, Israël et Territoires occupés. Des vies brisées : une année d’intifada (13 novembre 2001), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4z3v4c64 ; Amnesty International, Israël, Territoires occupés et Autorité palestinienne. L’avenir assassiné : Les enfants en ligne de mire (20 nov. 2002), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ysdfs4ae ; Amnesty International, Israël et Territoires occupés : Israël doit mettre fin à sa politique d’assassinats (3 juillet 2003), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4hsufxbc ; Amnesty International, Israël et Territoires palestiniens occupés. Une occupation persistante : les Palestiniens de Cisjordanie en état de siège (4 juin 2007), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4azdtds9 ; Amnesty International, La gâchette facile.
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2021, Amnesty a déclaré que « les forces israéliennes ont fait un usage inutile ou excessif de la force, tuant illégalement des centaines de manifestants palestiniens, y compris des enfants, alors qu’il n’y avait pas de menace imminente pour leur vie, et blessant des milliers d’autres, souvent grièvement444 ».
2.156 Lors des manifestations, « les manifestants ont souvent recours à une violence de faible intensité, jetant des pierres et des cailloux sur les soldats israéliens, mais sans leur faire courir de risque sérieux en raison de la distance et de leurs positions fortement protégées445 ». En réponse, les forces israéliennes utilisent toute une série de mesures violentes contre les manifestants, notamment des gaz lacrymogènes, des gaz poivrés, des grenades assourdissantes (bombes sonores) et des matraques. Ils ont également souvent recours à des moyens meurtriers, comme les tirs de balles en métal recouvertes de caoutchouc, voire de balles réelles, sur les manifestants446. Dans certains cas, les forces israéliennes « ont également tué ou blessé des manifestants en tirant directement sur eux des gaz lacrymogènes à bout portant ou en utilisant des gaz lacrymogènes dans des espaces clos, les asphyxiant447 ».
2.157 Au cours de l’été 2021, Israël a réagi par une « force répétée, injustifiée et excessive » aux manifestations organisées à Jérusalem-Est pour demander l’arrêt des expulsions forcées du quartier de Cheikh Jarrah et la fin du déplacement forcé
L’usage d’une force excessive par Israël dans les Territoires palestiniens occupés (27 février 2014), consultable sur https://tinyurl.com/u9a99c6y ; Amnesty International, Communiqué de presse : Un an après le début des manifestations, les blessures des civils de Gaza soulignent la nécessité d’un embargo sur les armes à destination d’Israël (28 mars 2019), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/248ubvzb.
444 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 250.
445 Ibid.
446 Ibid.
447 Ibid.
117
des Palestiniens de Jérusalem-Est448. Saleh Higazi, directeur adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord chez Amnesty International, a déclaré : « Les éléments de preuve rassemblés par Amnesty International révèlent une tendance alarmante des forces israéliennes à recourir ces derniers jours à une force abusive et injustifiée contre des manifestant·e·s palestiniens très majoritairement pacifiques. Parmi les personnes blessées lors des violences à Jérusalem-Est figurent de simples passants, ainsi que des fidèles qui faisaient les prières du Ramadan449. »
2.158 Amnesty International a conclu que « la série d’homicides illégaux et de blessures graves infligées aux manifestants palestiniens semble avoir pour but d’éliminer l’opposition aux politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé450 » et d’« étouffer la dissidence et la liberté d’expression451 ».
2.159 Le fait de tirer sur des lanceurs de pierres, y compris des enfants, illustre le recours habituel d’Israël à une force excessive et meurtrière lors des confrontations avec les Palestiniens. Entre novembre 2021 et octobre m2022, le HCDH a indiqué que « près de la moitié [soit environ 65] des Palestiniens tués l’ont été lors d’affrontements à coups de pierres ou d’opérations des forces de sécurité israéliennes, c’est-à-dire sans qu’il y ait échange de tirs452 ». Par exemple, « le 9 août, les forces de sécurité israéliennes ont tué un garçon de 16 ans lorsque des
448 Amnesty International, Communiqué de presse : Israël/TPO. Il faut mettre fin à la répression brutale des Palestinien·ne·s qui manifestent contre les déplacements forcés à Jérusalem-Est occupée (10 mai 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ye23hnrv.
449 Ibid.
450 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 250.
451 Ibid.
452 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 20.
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Palestiniens ont jeté des pierres à Hébron453 ». Des témoins oculaires ont rapporté qu’« un sniper israélien, couché à plat ventre dans la rue, a tiré à plusieurs reprises à balles réelles sur des lanceurs de pierres situés à environ 70 mètres, touchant le garçon à la poitrine454 ».
2.160 Troisièmement, la violence contre les Palestiniens en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) se produit souvent dans le cadre d’opérations dites de sécurité dans des zones civiles densément peuplées.
2.161 Le HCDH a fait état des nombreux affrontements entre Israéliens et Palestiniens lors des raids israéliens contre les groupes palestiniens armés dans les villes de Jénine et Naplouse entre novembre 2021 et octobre 2022455. Jénine et Naplouse abritent toutes deux d’importants camps de réfugiés. Comme l’ont signalé trois rapporteurs spéciaux des Nations Unies, « le camp de réfugiés de Jénine, souvent présenté par Israël comme le foyer de la résistance palestinienne, a fait l’objet d’incursions et de raids fréquents de la part des forces israéliennes, entraînant des arrestations arbitraires, des meurtres et des punitions collectives pour un grand nombre de ses 14 000 résidents456 ».
2.162 Selon le HCDH, au cours des raids, « [l]e déploiement massif de troupes et l’utilisation d’armes lourdes par les forces de sécurité israéliennes dans des zones densément peuplées ont fait courir à des résidents palestiniens et à des passants, y
453 Ibid, par. 24.
454 Ibid.
455 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 17.
456 HCDH, Communiqué de presse : Israel/Palestine: UN experts condemn renewed violence and Israeli killings of Palestinians in occupied West Bank [Israël/Palestine : des experts de l’ONU condamnent la recrudescence de la violence et les meurtres de Palestiniens par Israël en Cisjordanie occupée] (27 janvier 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3cff6jh9.
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compris des enfants, le risque d’être gravement blessés et de perdre la vie457. » Lors d’un raid mené en janvier 2023 dans le camp de réfugiés de Jénine, par exemple, les forces israéliennes « ont tiré à balles réelles, tuant au moins neuf Palestiniens, dont une femme âgée et deux enfants458 ». Le 19 juin 2023, les forces israéliennes ont mené un raid similaire, tuant cinq Palestiniens, dont un garçon de 15 ans, et blessant 91 autres personnes459. Au cours de ce raid, les forces israéliennes ont même déployé un hélicoptère de combat qui a tiré sur la ville densément peuplée460.
2.163 De même, lors d’un raid dans la vieille ville de Naplouse le 9 août 2022, « les forces de sécurité israéliennes ont tué par balle deux Palestiniens, dont un garçon de 16 ans, et en ont blessé 76 autres, dont 15 garçons461 ». Cela s’est produit « lorsque des agents des forces de sécurité israéliennes postés au niveau du cordon extérieur ont fait un usage intensif de leurs armes à feu contre des Palestiniens qui jetaient des pierres sur des véhicules des forces de sécurité israéliennes et cherchaient à accéder à la vieille ville462 ».
2.164 Moins d’un an plus tard, en février 2023, Israël a mené un autre raid armé à Naplouse. L’objectif apparent de l’opération était d’appréhender trois membres
457 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 17.
458 HCDH, Communiqué de presse : Israel/Palestine: UN experts condemn renewed violence and Israeli killings of Palestinians in occupied West Bank [Des experts de l’ONU condamnent la recrudescence de la violence et les meurtres de Palestiniens par Israël en Cisjordanie occupée] (27 janvier 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3cff6jh9.
459 B. Lynfield, « Israeli Forces Launch Helicopter Raid on Jenin in Occupied West Bank » [Les forces israéliennes lancent un raid par hélicoptère sur Jénine, en Cisjordanie occupée], The Guardian (19 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/37uxndd9.
460 Ibid.
461 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 20.
462 Ibid.
120
d’un groupe palestinien armé dans une maison où ils se cachaient, mais après qu’un combat a éclaté avec trois hommes armés, « le chaos et la violence se sont répandus bien au-delà des cibles prévues et jusque dans les rues environnantes, très fréquentées463 ». Lorsque les véhicules de soutien des Forces de défense israéliennes sont entrés dans la ville, ils ont été la cible de jets de pierres et d’oranges, et ont parfois essuyé des tirs de la part d’autres Palestiniens armés464. En plus de tuer les trois hommes de la maison et un autre homme armé, « des vidéos montrent que les soldats israéliens ont fait un usage meurtrier de la force contre des Palestiniens non armés, tuant au moins quatre personnes qui ne semblaient pas constituer une menace465 ». Des vidéos montrent également des véhicules militaires israéliens fonçant à grande vitesse sur des foules de civils au cours du même raid466.
2.165 Une reconstitution des faits réalisée par le Washington Post à l’aide d’un logiciel de modélisation en 3D montre que les forces israéliennes « ont tiré au moins 14 fois depuis l’intérieur de leur véhicule blindé alors que celui-ci descendait une rue, puis il s’est arrêté à côté d’un petit mur derrière lequel les civils se réfugiaient467 ». Le reportage indique que les forces israéliennes « ont continué à tirer même après que ces personnes aient été visibles depuis les fenêtres du véhicule468 ». Selon le ministère palestinien de la santé, 11 personnes ont été tuées
463 H. Willis et al, « How an Israeli Raid on a Safe House Ended with Civilians Killed » [Comment un raid israélien sur une planque s’est soldé par la mort de civils], New York Times (1er mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yye7238w.
464 Ibid.
465 Ibid.
466 Ibid.
467 M. Berger et al, « 3D analysis shows how Israeli troops fired into group of civilians » [Une analyse en 3D montre comment les troupes israéliennes ont tiré sur un groupe de civils], Washington Post (10 mars 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/242cv4xn.
468 Ibid.
121
et plus de 100 blessées dans l’incident469. Parmi eux se trouvait un jeune homme de 16 ans qui attendait d’être raccompagné chez lui après l’école470.
2.166 Il y a quelques semaines, le 3 juillet 2023, Israël a lancé une offensive de deux jours dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, dans le but présumé de réprimer les militants palestiniens après de récentes attaques471. Il s’agit de « l’opération militaire israélienne la plus intense en Cisjordanie occupée depuis près de vingt ans472 ». Sous couvert de confisquer et de détruire des armes, Israël « a mené des frappes aériennes et envoyé des centaines de soldats dans une opération qui rappelle la période sanglante d’il y a vingt ans, connue sous le nom de deuxième Intifada473 ». À un moment donné, les soldats israéliens ont percé le mur d’un immeuble résidentiel, réveillant en sursaut la famille qui s’y trouvait. Ils ont ensuite forcé les « 12 membres de la famille à entrer dans un salon, leur ont confisqué leurs téléphones, ont ligoté les poignets des hommes de moins de 50 ans et ont ordonné à tout le monde de rester silencieux474 ». La famille est restée là pendant une dizaine d’heures, « des soldats se tenant même devant la porte
469 H. Willis et al, « How an Israeli Raid on a Safe House Ended with Civilians Killed » [Comment un raid israélien sur une planque s’est soldé par la mort de civils], New York Times (1er mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yye7238w.
470 M. Berger et al, « 3D analysis shows how Israeli troops fired into group of civilians » [Une analyse en 3D montre comment les troupes israéliennes ont tiré sur un groupe de civils], Washington Post (10 mars 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/242cv4xn.
471 M. Harb, « As Israel ends 2-day West Bank offensive, Palestinian residents emerge to scenes of vast destruction » [Alors qu’Israël met fin à une offensive de deux jours en Cisjordanie, les habitants palestiniens découvrent des scènes de destruction massive], Associated Press (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/42m4xbp7.
472 Ibid.
473 Ibid. Voir également « Israel stages a deadly large-scale raid on Palestinian Jenin camp in the West Bank » [Israël organise un raid meurtrier à grande échelle sur le camp palestinien de Jénine, en Cisjordanie], NPR (3 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ybah26zk.
474 H. Yazbek et B. Hubbard, « Palestinians, Facing Political Stagnation, Despair After Israeli Raid » [Les Palestiniens, confrontés à une stagnation politique, désespèrent après le raid israélien], New York Times (7 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/pzdn8dn2.
122
lorsqu’ils allaient aux toilettes », terrifiant une fillette de 9 ans au point qu’elle a vomi à plusieurs reprises475.
2.167 L’opération a eu un impact dévastateur sur les personnes vivant dans ce camp densément peuplé. Des maisons ont été visées et détruites, des voitures ont été brisées et brûlées, et des lignes électriques ont été coupées, entraînant des pannes476. Des vidéos montrent « d’énormes bulldozers de l’armée déchirant les allées du camp477 », détruisant plus de deux kilomètres de routes et coupant l’approvisionnement en eau de milliers de personnes478.
475 Ibid.
476 M. Harb, « As Israel ends 2-day West Bank offensive, Palestinian residents emerge to scenes of vast destruction » [Alors qu’Israël met fin à une offensive de deux jours en Cisjordanie, les habitants palestiniens découvrent des scènes de destruction massive], Associated Press (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/42m4xbp7.
477 M. Mohammed et I. Isseid, « As Israel Ends Its Largest Raid on the West Bank in 20 Years, Palestinians Grapple With Destruction » [Alors qu’Israël met fin à son plus grand raid en Cisjordanie depuis 20 ans, les Palestiniens sont confrontés à la destruction], Time Magazine (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://time.com/6292137/israel-jenin-raid-destruction/.
478 D. Estrin, « The view from Jenin refugee camp in West Bank after Israel’s withdrawal » [Vue du camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, après le retrait d’Israël], NPR (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/5bpwmy3f.
123
Figure 2.28 : Les rues détruites du camp de réfugiés de Jénine après l’opération israélienne de juillet 2023479
2.168 Des milliers de Palestiniens ont été contraints de fuir, une centaine ont été blessés et 12 ont été tués, dont quatre enfants480. Parmi eux, Abdul Rahman Hardan, 16 ans, a reçu une balle dans la tête tirée par un tireur d’élite israélien alors qu’il attendait de donner son sang à l’extérieur d’un hôpital du camp. Les images de vidéosurveillance obtenues par les médias internationaux montrent qu’il « n’était
479 H. Gold et R. Picheta, « Israel ended a huge military operation in Jenin. Here’s what you need to know » [Israël a mis fin à une vaste opération militaire à Jénine. Voici ce qu’il faut savoir], CNN (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ms78bc7w.
480 M. Harb, « As Israel ends 2-day West Bank offensive, Palestinian residents emerge to scenes of vast destruction » [Alors qu’Israël met fin à une offensive de deux jours en Cisjordanie, les habitants palestiniens découvrent des scènes de destruction massive], Associated Press (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/42m4xbp7. Voir également A. Sawafta, « Israeli troops withdraw in West Bank, Gaza rockets fired » [Retrait des troupes israéliennes en Cisjordanie, tirs de roquettes sur Gaza], Reuters (5 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/babsycr3 ; T. Bateman, « Jenin: Palestinian boy killed during Israeli assault was unarmed - family » [Jénine : Le garçon palestinien tué lors d’un assaut israélien n’était pas armé], BBC (11 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2aj27mby.
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pas armé lorsqu’il a été abattu » et qu’« aucune arme n’est visible à l’endroit où l’adolescent est tombé ni ailleurs sur les images481 ».
Figure 2.29 : Abdul Rahman Hardan avant et après avoir été abattu par les forces israéliennes, juillet 2023482
2.169 L’usage manifestement disproportionné de la force par Israël n’est pas le fruit du hasard. Comme l’a expliqué un membre arabe israélien de la Knesset à propos de cette attaque, « l’opération de Jénine fait partie d’un plan d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie483 ».
481 T. Bateman, « Jenin: Palestinian boy killed during Israeli assault was unarmed - family » [Jénine : Le garçon palestinien tué lors d’un assaut israélien n’était pas armé], BBC (11 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2fjcjraj.
482 C. Philip, « Palestinian boy killed by Israeli sniper in Jenin was unarmed, CCTV suggests » [Le jeune Palestinien tué par un tireur d’élite israélien à Jénine n’était pas armé, d’après les images de vidéosurveillance], The Times (9 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdheuvpt.
483 C. Keller-Lynn, « Opposition heads back government on Jenin raid but demand retreat on judicial blitz » [L’opposition soutient le gouvernement à propos du raid de Jénine, mais demande un recul sur le blitz judiciaire], Times of Israel (3 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdf9asp2.
125
2.170 Quatrièmement, la violence israélienne à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) se manifeste également sous la forme d’exécutions extrajudiciaires, y compris d’assassinats ciblés. Le HCDH a rapporté un exemple récent, datant d’octobre 2022, où « un Palestinien, qui était apparemment le chef d’un groupe peu structuré de Palestiniens armés de Naplouse, a été tué lorsqu’un engin explosif fixé à un motocycle a explosé près de lui dans la vieille ville484 ». Bien que les Forces de défense israéliennes n’aient pas commenté l’explosion, « le mode opératoire correspond à celui de précédentes exécutions extrajudiciaires israéliennes485 ».
2.171 Le HCDH a également documenté plusieurs autres cas d’exécutions extrajudiciaires apparentes, « dans lesquels les forces de sécurité israéliennes ont utilisé la force létale contre des assaillants blessés ou maîtrisés, qui ne posaient plus de menace imminente, pour « confirmer l’élimination de la cible486 ». Par exemple, « le 7 mars [2022], les forces de sécurité israéliennes ont tué un Palestinien de 22 ans au niveau de l’une des entrées de l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa, à
484 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 18. Voir également E. Fabian, « Alleged assassination in Nablus may signal major Israeli policy change in West Bank » [Un assassinat présumé à Naplouse pourrait être le signe d’un changement majeur de la politique israélienne en Cisjordanie], Times of Israel (23 oct. 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2bnjhwtj.
485 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 18. Voir également E. Fabian, « Alleged assassination in Nablus may signal major Israeli policy change in West Bank » [Un assassinat présumé à Naplouse pourrait être le signe d’un changement majeur de la politique israélienne en Cisjordanie], Times of Israel (23 oct. 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2bnjhwtj.
486 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 19.
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Jérusalem-Est, après que celui-ci a poignardé des agents de police487 ». Selon un témoin oculaire, après qu’une lutte avec un agent israélien a laissé l’homme « gisa[n]t sur le sol, à peine conscient488 », un second agent a tiré cinq ou six fois sur lui. Une vidéo montre le même policier tirant une nouvelle fois à bout portant sur la partie supérieure du corps de l’homme489.
2.172 Autre exemple, en mars 2016, le sergent des Forces de défense israéliennes Elor Azaria a tiré une balle dans la tête d’un agresseur palestinien présumé, Abd al-Fatah a-Sharif, qui était hors d’état de nuire. La scène a été filmée sur une vidéo obtenue par B’Tselem :
Dans une vidéo capturée par un habitant d’Hébron, Imad Abu Shamsiyeh, qui l’a envoyée à B’Tselem, on voit [M. a-Sharif] allongé sur la route, blessé, sans qu’aucun des soldats ou des médecins présents ne lui prodigue les premiers soins ou ne lui accorde la moindre attention. À un moment donné, on voit un soldat pointer son arme sur M. a-Sharif et lui tirer une balle dans la tête à bout portant, le tuant. Bien que cela se passe au vu et au su des autres soldats et officiers, ceux-ci ne semblent pas y prêter attention490.
487 Ibid. Voir également O. Liebermann et al, « Video shows Israeli soldier shooting an attack suspect lying in street » [Une vidéo montre un soldat israélien tirant sur un suspect d’attaque allongé dans la rue], CNN (24 mars 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ydukemsk.
488 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 19.
489 Ibid.
490 B’Tselem, « Video : Soldier executes Palestinian lying injured on ground after the latter stabbed a soldier in Hebron » [Vidéo : un soldat exécute un Palestinien blessé au sol après que ce dernier a poignardé un soldat à Hébron] (24 mars 2016), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/9jenek3s [AVERTISSEMENT : contenu violent].
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Figure 2.30 : Le soldat israélien Elor Azaria quelques instants avant de tirer une balle dans la tête d’Abd al-Fatah a-Sharif, blessé, le 24 mars 2016491
2.173 Bien que l’auteur ait finalement été jugé et condamné pour homicide involontaire en Israël, le HCDH parle d’un cas « très préoccupant », car « [s]a peine initiale de 18 mois d’emprisonnement […], qui était déjà légère, a été réduite à quatorze mois par le Chef d’état-major des Forces de défense israéliennes492 ». Finalement, il a bénéficié d’une « libération anticipée [après avoir] purgé les deux tiers de sa peine, soit neuf mois493 ». Selon le HCDH, cette affaire est emblématique d’une « série d’homicides de Palestiniens qui ne présentaient pas de menace au moment où ils ont été abattus, comme l’ont confirmé des témoins oculaires et
491 M. Zonszein, « VIDEO : Israeli soldier executes unarmed, wounded Palestinian attacker » [VIDÉO : un soldat israélien exécute un attaquant palestinien blessé et non armé], +972 Magazine (24 mars 2016), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yckhk8wf.
492 Conseil des droits de l’homme, Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/40/43 (14 mars 2019), par. 21.
493 Ibid.
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d’autres éléments de preuve, notamment des séquences vidéo, et perpétrés par des personnes dont l’identité est connue494 ».
2.174 Outre l’usage excessif de la force contre les Palestiniens, les autorités israéliennes ont, depuis le début de l’occupation, conservé les corps de centaines de Palestiniens décédés en prison ou tués lors d’incidents de sécurité. Selon le Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center, Israël conserve « certains corps dans des congélateurs pendant des années au Centre national de médecine légale, ou les enterre dans des tombes sans pierre tombale dans ce que les Palestiniens appellent « le cimetière des nombres495 ».
2.175 Israël utilise également les cadavres de Palestiniens comme « monnaie d’échange » lors de négociations ou d’éventuels échanges de prisonniers496. Par exemple, en mai 2023, le New York Times a publié un article indiquant que le refus d’Israël de restituer le corps d’un célèbre prisonnier, Khader Adnan, mort au cours d’une grève de la faim, a attiré une nouvelle fois l’attention sur la pratique d’Israël consistant à « conserver les dépouilles de dizaines de Palestiniens dans des congélateurs et des tombes numérotées, en partie pour négocier afin d’obtenir les corps d’Israéliens détenus par des groupes palestiniens497 ». En 2020, Naftali Bennett, alors ministre de la défense puis Premier ministre, a admis franchement :
494 Ibid, par. 22.
495 R. Abdulrahim, « Palestinians Demand Israel Hand Over Body of Prominent Prisoner » [Les Palestiniens exigent d’Israël qu’il leur remette le corps d’un éminent prisonnier], New York Times (5 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3yvn3zkk.
496 N. Erakat et R. Eghbariah, « The Jurisprudence of Death: Palestinian Corpses & the Israeli Legal Process » [La jurisprudence de la mort : les cadavres palestiniens et le processus juridique israélien], Jadaliyya (8 février 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/55auwhrb.
497 R. Abdulrahim, « Palestinians Demand Israel Hand Over Body of Prominent Prisoner » [Les Palestiniens exigent d’Israël qu’il leur remette le corps d’un éminent prisonnier], New York Times (5 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3yvn3zkk.
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« Nous accumulons les corps des terroristes afin de blesser l’autre camp et de faire pression sur lui », et nous « les gardons avec nous comme monnaie d’échange498 ».
2.176 Cette pratique prive les familles palestiniennes de la possibilité d’enterrer leurs proches, y compris les enfants, conformément à leurs traditions culturelles et religieuses499. Dans le cas de Yusuf Abu Jazar, ses parents « attendent toujours que les autorités israéliennes restituent la dépouille de [leur] fils à la suite d’un incident survenu en 2018 au cours duquel les forces israéliennes ont apparemment abattu Yousef Abu Jazar, alors âgé de 15 ans500 ». Pourtant, « les autorités israéliennes ne les ont pas directement informés de sa mort, et en l’absence d’un avis officiel des autorités israéliennes confirmant que Yousef a bien été tué, ils s’accrochent à l’espoir qu’il soit encore en vie501 ».
498 Ibid.
499 Defense for Children International, « Withheld bodies: No closure for Palestinian families waiting for their child’s remains » [Corps retenus : les familles palestiniennes qui attendent la dépouille de leur enfant ne sont pas au bout de leurs peines] (3 août 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2t48b4xp.
500 Ibid.
501 Ibid.
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Figure 2.31 : Yousef Abu Jazar, 15 ans, qui aurait été tué par les forces israéliennes en avril 2018502
2.177 Les Palestiniens de Cisjordanie doivent non seulement subir la violence des forces israéliennes, mais en plus ils n’ont aucun espoir quant au fait que les responsables soient punis. Comme l’a montré l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il y a peu de chances que les Forces de défense israéliennes mènent des enquêtes sur des situations où « des soldats ont tué, blessé ou battu des Palestiniens, les ont utilisés comme boucliers humains ou ont endommagé des biens palestiniens503 » ou que de telles enquêtes aboutissent à quoi que ce soit. Sur 739 cas où l’un de ces actes aurait été commis entre 2000 et 2015, « dans un quart de ces cas (182), aucune enquête n’a jamais été ouverte, dans près de la moitié (343), l’enquête a été classée sans suite, et ce n’est que dans de très rares cas (25) que des chefs d’accusation ont été portés contre les soldats impliqués504 ». En d’autres termes, « la probabilité qu’une plainte aboutisse à une inculpation est d’environ 3 %505 ». En juillet 2023, le New York Times a rapporté que le taux d’inculpation est encore plus faible dans les dernières statistiques disponibles, selon lesquelles seulement « 1,2 % des plaintes déposées contre des agents en 2021 ont abouti à des inculpations pénales506 ».
2.178 Et lorsque les Palestiniens tentent d’obtenir des réparations civiles pour ces actes, il n’y a pas de « véritable possibilité de demander des dommages-intérêts
502 Ibid.
503 B’Tselem, No Accountability [Impunité] (11 nov. 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/6pzj6er6.
504 Ibid.
505 Ibid.
506 A. Boxerman, « Israeli Court Acquits Police Officer Who Killed Autistic Palestinian Man » [Un tribunal israélien acquitte le policier qui a tué un Palestinien autiste], New York Times (6 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2s3nubm7.
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devant les tribunaux israéliens507 ». B’Tselem explique que la législation exemptant Israël du paiement d’indemnités et la jurisprudence des tribunaux israéliens en la matière ont « presque complètement éliminé la possibilité pour les Palestiniens d’être indemnisés pour les préjudices que leur ont causés les forces de sécurité israéliennes508 ».
D. APPROBATION PAR ISRAËL DE LA VIOLENCE DES COLONS ET ABSENCE DE PREVENTION OU DE PUNITION DE CETTE VIOLENCE
2.179 Les autorités israéliennes approuvent aussi tacitement, et parfois explicitement, les attaques de colons juifs israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie. Selon le Rapporteur spécial sur le Territoire palestinien occupé, ces attaques « [ont] un impact inéluctable sur la vie des Palestiniens en Cisjordanie et cré[ent] un sentiment persistant de terreur et d’intimidation509 ». La majorité des victimes de la violence des colons sont des enfants, des femmes et des personnes âgées, qui sont « attaqués alors qu’ils accomplissaient leurs tâches quotidiennes, comme se rendre à l’école ou au marché, faire paître leur bétail, s’occuper de leurs champs ou de leurs récoltes510 ». Dans certains cas, cette violence a poussé des
507 B’Tselem, No Accountability [Impunité] (11 nov. 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/6pzj6er6.
508 Ibid.
509 AGNU, Rapport du rapporteur spécial, Michael Lynk, sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), par. 19.
510 Voir, par exemple, BCAH, Unprotected: Israeli settler violence against Palestinian civilians and their property [Sans protection : la violence des colons israéliens à l’encontre des civils palestiniens et de leurs biens] (déc. 2008), consultable sur https://tinyurl.com/us82byec (« Environ la moitié de tous les blessés palestiniens dus à la violence des colons chaque année depuis 2006 sont des enfants, des femmes et des personnes âgées de plus de 70 ans […] La majorité des incidents enregistrés par le BCAH depuis 2006 ont été commis par des groupes de colons israéliens contre des civils palestiniens alors qu’ils accomplissaient leurs tâches quotidiennes, comme se rendre à l’école ou au marché, faire paître leur bétail, s’occuper de leurs champs ou de leurs récoltes. Des enfants de huit ans et des personnes âgées de 95 ans ont été la cible d’attaques »).
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communautés palestiniennes entières à abandonner leurs maisons et à fuir511. Le BCAH a constaté le rôle et le caractère central de la violence des colons dans le renforcement de la présence des colons dans le Territoire palestinien occupé et dans l’assujettissement de la population palestinienne locale :
Le fait que ces attaques violentes soient rapprochées (dans le temps et sur le plan géographique) et la prise de contrôle de nouvelles zones suggère que la violence des colons à l’encontre des Palestiniens n’est pas aléatoire, mais qu’elle constitue souvent une étape calculée vers l’expansion des colonies512.
2.180 La violence des colons s’est accrue ces dernières années. Comme l’indique le HCDH, entre le 1er novembre 2021 et le 31 octobre 2022, « la violence des colons, elle n’a pas baissé d’intensité : 2 Palestiniens ont été tués et 248 autres ont été blessés par des colons, tandis que 2 garçons palestiniens ont été tués soit par des agents des forces de sécurité israéliennes soit par des colons, qui ont ouvert le feu en même temps513 ». En 2021, il y a eu 496 attaques et en 2020, 358514. Les femmes et les jeunes filles, en particulier, sont victimes de harcèlement et
511 H. Shezaf, « ‘I Left for My Children’: West Bank Palestinian Village Residents Flee Amid Ongoing Israeli Settler Violence » [« Je suis parti pour mes enfants » : les habitants d’un village palestinien de Cisjordanie fuient la violence des colons israéliens], Haaretz (24 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2p9rsjaj (notant qu’en mai 2023, par exemple, environ 200 résidents d’Ein Samia en Cisjordanie « ont décidé de quitter leur maison, où ils vivent depuis les années 1980, en raison de la violence continue des colons israéliens »).
512 BCAH, « The humanitarian impact of de facto settlement expansion: common features, conclusions and the way forward » [L’impact humanitaire de l’expansion des colonies de facto : caractéristiques communes, conclusions et perspectives d’avenir] (11 mars 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/3sudzn7m.
513 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 4.
514 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. de l’ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 64.
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d’attaques violentes de la part des colons. Des victimes et des témoins rapportent que les colons et soldats profèrent fréquemment des propos racistes et sexistes515.
2.181 Bien qu’Israël soit tenu de protéger la population occupée, « l’armée autorise les colons à être armés et n’intervient que rarement pour protéger des Palestiniens516 ». En fait, des éléments indiquent que les forces de sécurité israéliennes « ont observé sans intervenir des attaques violentes commises par des colons et, dans certains cas, participé à de telles attaques517 ». En outre, lorsque des incidents violents sont portés à l’attention des responsables israéliens, il est très rare que des enquêtes soient menées518. Le HCDH signale que, de ce fait, les colons israéliens jouissent d’un « sentiment général d’impunité et de liberté à l’égard de la loi519 ».
2.182 Un épisode survenu en février 2023, à la suite du meurtre de deux colons israéliens par un Palestinien armé dans le nord de la Cisjordanie, en est l’illustration. Dans « l’un des épisodes de violence les plus intenses de mémoire d’homme, qui se démarque des autres, même dans une année où la Cisjordanie a connu le début le plus meurtrier depuis 2000 », « [l]es colons ont brûlé et vandalisé
515 Ibid., par. 59.
516 Ibid., par. 64 (citant Y. Kubovich et A. Harel, « Israeli army and police blame each other as settler violence rages on » [L’armée et la police israéliennes s’accusent mutuellement alors que la violence des colons fait rage], Haaretz [7 février 2022], consultable à l’adresse https://tinyurl.com/37ku6k56).
517 Ibid, par. 66.
518 Voir, par exemple, AGNU, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/76/433 (22 oct. 2021), p. 7 ; AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. de l’ONU A/77/328 (14 sept. 2022), p. 21.
519 AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. de l’ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 67.
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au moins 200 immeubles dans quatre villages palestiniens520 ». Dans le village de Huwara, « [d]es centaines de colons, dont certains étaient armés de couteaux et de fusils, ont incendié des centaines de voitures et de maisons; ils se sont déchaînés pendant cinq heures521 ». Les colons ont scandé « mort aux Arabes, nous voulons anéantir Huwara522 ».
Figure 2.32 : Une vue aérienne montre des véhicules incendiés par des colons israéliens lors d’une attaque à Huwara, le 26 février 2023523
520 P. Kingsley et I. Kershner, « Revenge Attacks After Killing of Israeli Settlers Leave West Bank in Turmoil » [Vengeance après l’assassinat de colons israéliens, la Cisjordanie en proie au chaos], New York Times (27 fev. 2023), consultable sur https://tinyurl.com/y34z57m4.
521 Ibid.
522 G. Mezzofiore et al, « Israel’s military called the settler attack on this Palestinian town a ‘pogrom.’ Videos show soldiers did little to stop it » [L’armée israélienne a qualifié de « pogrom » l’attaque des colons contre cette ville palestinienne. Les vidéos montrent que les soldats n’ont pas fait grand-chose pour y mettre fin], CNN (15 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2r7dxav7.
523 G. Mezzofiore, « Israel’s military called the settler attack on this Palestinian town a ‘pogrom.’ Videos show soldiers did little to stop it » [L’armée israélienne a qualifié de « pogrom » l’attaque des colons contre cette ville palestinienne. Les vidéos montrent que les soldats n’ont pas fait grand-chose pour y mettre fin], CNN (15 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2r7dxav7.
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2.183 À la suite d’une « enquête de CNN qui a duré des mois, basée sur l’analyse de vidéos de la scène, le témoignage exclusif d’un soldat israélien, ainsi que des entretiens avec sept témoins oculaires », l’agence de presse a conclu que les forces israéliennes non seulement n’étaient pas intervenues, mais qu’elles étaient intervenues activement pour empêcher les Palestiniens de se défendre :
CNN a constaté que non seulement les forces armées n’ont pas réussi à mettre fin aux émeutes à Huwara, mais qu’elles n’ont pas protégé les habitants alors que les colons incendiaient les maisons et les commerces palestiniens et empêchaient les services d’urgence d’intervenir. Au contraire, lorsque les habitants ont jeté des pierres en réaction à l’agression des colons, les forces israéliennes ont tiré sur les Palestiniens avec des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes, d’après l’analyse des images et les récits des témoins oculaires524.
2.184 Des observateurs internationaux et même un général israélien ont qualifié ces violences de « pogrom525 ». S’exprimant sur les violences, Ammar Damedi, un habitant de Huwara, a fait remarquer : « C’est la taxe qu’on paye quand on vit en Palestine526 ».
2.185 Plutôt que de condamner les violences, de hauts responsables israéliens les ont explicitement approuvées. Quelques jours après les attaques contre Huwara, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a déclaré publiquement : « Je
524 G. Mezzofiore et al., « Israel’s military called the settler attack on this Palestinian town a ‘pogrom.’ Videos show soldiers did little to stop it » [L’armée israélienne a qualifié de « pogrom » l’attaque des colons contre cette ville palestinienne. Les vidéos montrent que les soldats n’ont pas fait grand-chose pour y mettre fin], CNN (15 juin 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2r7dxav7.
525 A. Stroehlein, « Daily Brief: A Pogrom in Palestine » [Le Brief du Jour : un pogrom en Palestine], Human Rights Watch (1 mars 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2c34wh64.
526 P. Kingsley et I. Kershner, « Revenge Attacks After Killing of Israeli Settlers Leave West Bank in Turmoil » [Vengeance après l’assassinat de colons israéliens, la Cisjordanie en proie au chaos], New York Times (27 fev. 2023), consultable sur https://tinyurl.com/y34z57m4.
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pense que Huwara devrait être anéantie ». Mais cela ne doit pas être fait par les colons, a-t-il précisé : « Je pense que l’État d’Israël devrait le faire527. »
V. Application discriminatoire du droit pénal militaire en Cisjordanie
2.186 En Cisjordanie, il existe deux systèmes juridiques. L’un s’applique aux colons juifs israéliens et l’autre aux Palestiniens. Le droit interne israélien s’applique aux colons juifs, qui bénéficient de tous les droits et protections garantis aux citoyens par le droit interne israélien528. Pour les colons juifs israéliens, la Cisjordanie occupée n’est pas différente d’Israël lui-même. Ces mêmes droits ne sont toutefois pas accordés aux Palestiniens de Cisjordanie529. Ces derniers sont soumis à un système différent de loi martiale, qui offre peu de garanties de procédure et de fond530.
2.187 Human Rights Watch a conclu que « l’application de deux types de lois a créé une réalité où deux personnes vivent sur le même territoire, mais où une seule bénéficie d’une protection solide de ses droits531 ». L’existence d’un double
527 R. Ayyub et A. Sawafta, « Netanyahu under pressure from US, Israeli protests grow » [Netanyahou sous la pression des États-Unis, les protestations israéliennes s’intensifient], Reuters (1 mars 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2fhv86hw.
528 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 39. Voir aussi généralement The Association for Civil Rights in Israel [Association pour les droits civils en Israël], One Rule, Two Legal Systems: Israel’s Regime of Laws in the West Bank [Une règle, deux systèmes juridiques : Le régime juridique israélien en Cisjordanie] (oct. 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4p3zdcpx.
529 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 40.
530 Ibid., par. 41. Voir également AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. de l’ONU A/77/328 (14 sept. 2022), p. 15.
531 Rapport 2021 de HRW, p. 86 (en anglais seulement).
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système juridique a été qualifiée par le CDH de « discrimination institutionnalisée à l’encontre des Palestiniens532 ».
2.188 L’ancien Rapporteur spécial sur les Territoires palestiniens occupés, Michael Lynk, a souligné la manière dont le régime juridique militaire affecte tous les aspects de la vie des Palestiniens :
La vie des Palestiniens de Cisjordanie est régie par plus de 1 800 ordonnances militaires prises depuis 1967 par le commandant des forces de défense israéliennes dans des domaines comme la sécurité, la fiscalité, les transports, l’aménagement du territoire et le zonage, les ressources naturelles, les déplacements et l’administration de la justice533.
2.189 L’existence d’un système de justice pénale militaire réservé aux Palestiniens implique l’application à ces derniers d’un ensemble différent de lois pénales et de droits procéduraux (Section A), autorise la pratique généralisée de la détention administrative (Section B) et permet aux autorités israéliennes de restreindre sévèrement les droits civils et politiques des Palestiniens (Section C).
A. SYSTEME DE JUSTICE PENALE MILITAIRE DISCRIMINATOIRE
2.190 La discrimination imprègne « chaque aspect du droit pénal534 » qu’Israël applique aux Palestiniens de Cisjordanie. Contrairement à la loi israélienne applicable aux colons juifs israéliens, « [a]xé sur la réglementation de la sécurité, ce système de justice militaire couvre des délits comme la participation à des
532 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza, doc. de l’ONU A/HRC/12/48 (15 sept. 2009), par. 206.
533 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 41.
534 Rapport 2021 de HRW, p. 86 (en anglais seulement).
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manifestations, la désobéissance civile non violente, les infractions pénales ordinaires, les infractions au code de la route, le terrorisme, l’appartenance à une organisation frappée d’interdiction (elles sont plus de 400) et la participation à des réunions politiques et des activités de la société civile535 ».
2.191 Outre le fait qu’ils sont soumis à un ensemble de lois totalement différent, les Palestiniens bénéficient également de droits limités en matière de procès équitable par rapport aux colons juifs israéliens536. Les Palestiniens sont confrontés à cette discrimination dès leurs premières interactions avec le système de justice pénale :
 Lorsque des Palestiniens de Cisjordanie sont arrêtés et fouillés, aucune des exigences applicables aux colons israéliens (telles que l’obtention d’un mandat pour la fouille) ne s’applique537 ;
 Une fois arrêtés, les Palestiniens peuvent être détenus deux fois plus longtemps que les colons israéliens avant d’être présentés à un juge538 ;
535 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 41.
536 Voir Addameer, In case of The Palestinian People vs. Military Courts [Dans l’affaire opposant le peuple palestinien aux tribunaux militaires] (mars 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/d4ej7wby ; B’Tselem, Presumed Guilty: Remand in Custody by Military Courts in the West Bank [Présumé coupable : détention par les tribunaux militaires en Cisjordanie] (juin 2015), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sk3nnt6.
537 Rapport 2021 de HRW, p. 86 (en anglais seulement).
538 Ibid., p. 86-87.
139
 Les autorités israéliennes peuvent également « refuser aux Palestiniens l’accès à un avocat pendant deux fois plus longtemps qu’aux colons539 ».
2.192 Ceux qui sont jugés sont confrontés à un système de tribunaux militaires qui ne respecte pratiquement aucun aspect des droits à un procès équitable540. Les Palestiniens sont privés du droit d’être jugés par un tribunal indépendant et impartial. Les procureurs, les agents administratifs et, surtout, les juges des tribunaux militaires sont tous des officiers de l’armée israélienne541.
2.193 En outre, l’accès à un avocat est insuffisant. Ni les avocats ni les détenus ne sont informés des détails des éléments de preuves retenus contre eux542, et les tribunaux militaires « ne fournissent pas aux avocats des détenus les documents et informations nécessaires pour préparer leur défense543 ». Les avocats représentant les détenus palestiniens sont également régulièrement soumis à des restrictions de
539 Ibid., p. 87.
540 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 41 ; Addameer, In case of The Palestinian People vs. Military Courts [Dans l’affaire opposant le peuple palestinien aux tribunaux militaires] (mars 2021), consultable sur https://tinyurl.com/d4ej7wby ; B’Tselem, Presumed Guilty: Remand in Custody by Military Courts in the West Bank [Présumé coupable : détention par les tribunaux militaires en Cisjordanie] (juin 2015), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sk3nnt6.
541 Voir Addameer, « The Israeli Military Court System » [Le système judiciaire militaire israélien] (juillet 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ysjx4pbe.
542 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 241.
543 Addameer, In the case of The Palestinian People vs. Military Courts [Dans l'affaire Le peuple palestinien c. les tribunaux militaires] (mars 2021), consultable sur https://tinyurl.com/d4ej7wby, p. 20. Voir également B’Tselem, Presumed Guilty: Remand in Custody by Military Courts in the West Bank [Présumé coupable : détention par les tribunaux militaires en Cisjordanie] (juin 2015), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sk3nnt6 ; Human Rights Watch, Born Without Civil Rights [Nés sans droits civils] (déc. 2019), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/da7scynh.
140
la liberté de mouvement et se voient refuser l’autorisation de rencontrer leurs clients544.
2.194 Les procès se déroulent également en hébreu, que de nombreux Palestiniens ne parlent pas545, et les tribunaux militaires ne fournissent pas d’interprètes professionnels546.
2.195 Sans surprise, « le taux de déclaration de culpabilité est supérieur à 99 %547 ».
2.196 Les enfants soumis à la loi martiale sont particulièrement vulnérables. Le droit civil israélien « protège les enfants contre les arrestations de nuit, prévoit le droit à la présence d’un parent pendant les interrogatoires et limite la durée de détention des enfants avant qu’ils puissent consulter un avocat et être présentés à un juge548 ». En revanche, « les enfants palestiniens de Cisjordanie bénéficient de beaucoup moins de protections549 ». Les forces israéliennes « arrêtent régulièrement des enfants lors de raids nocturnes, les interrogent sans la présence d’un tuteur et maintiennent en détention préventive prolongée des enfants qui n’ont que 12 ans550 ». Ils sont également souvent ligotés, on leur bande les yeux, on les fouille à nu, on les soumet à des violences physiques et verbales, et on les contraint
544 Addameer, In the case of The Palestinian People vs. Military Courts [Dans l'affaire Le peuple palestinien c. les tribunaux militaires] (mars 2021), consultable sur https://tinyurl.com/d4ej7wby, p. 19-21.
545 Voir ibid. p. 18-19.
546 Voir ibid. p. 17.
547 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 41.
548 Rapport 2021 de HRW, p. 87 (en anglais seulement).
549 Ibid.
550 Ibid.
141
à signer des aveux en hébreu, une langue que la plupart des enfants palestiniens ne comprennent pas551.
2.197 Le HCDH rapporte que
« sur les 80 enfants arrêtés par les forces de sécurité israéliennes en 2017, 65 % l’ont été pendant des descentes nocturnes, 94 % ont eu les mains attachées et 78 % les yeux bandés ou la tête couverte au cours de leur arrestation, 65 % ont subi des violences, 66 % ont été fouillés au corps et 81 % n’ont pas eu accès à un avocat avant d’être interrogés552 ».
Comme l’a indiqué la Rapporteuse spéciale sur le Territoire palestinien occupé en juin 2023, 82 % des enfants ont été interrogés en l’absence d’un parent, et « [l]es parents sont rarement informés du lieu où se trouvent leurs enfants au moment de l’arrestation553 ».
551 Defense for Children International, « Military Detention » [Détention militaire], consultable sur https://tinyurl.com/mrymp8vk.
552 Conseil des droits de l’homme, Application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/40/39 (15 mars 2019), par. 33.
553 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese (en anglais seulement), doc. de l’ONU A/HRC/53/59 (9 juin 2023), par. 67.
142
Figure 2.33 : Les forces israéliennes détiennent le Palestinien Fevzi El-Junidi, 14 ans, à la suite d’affrontements dans la ville d’Hébron en Cisjordanie, décembre 2017554
2.198 Chaque année, entre 500 et 700 enfants palestiniens de moins de 18 ans sont poursuivis devant les tribunaux militaires israéliens555. Le chef d’accusation le plus fréquent est le jet de pierres, un crime qui est puni par la loi militaire d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans s’il est commis avec « l’intention de causer
554 N. Ahituv, « ‘Endless Trip to Hell’: Israel Jails Hundreds of Palestinian Boys a Year. These Are Their Testimonies » [« Voyage sans fin en enfer » : Israël emprisonne des centaines de garçons palestiniens par an. Voici leurs témoignages], Haaretz (16 mai 2019), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yspfftck.
555 Defense for Children International, « Military Detention » [Détention militaire] (consulté pour la dernière fois le : 16 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mrymp8vk.
143
des blessures » et jusqu’à 10 ans s’il est commis « sans l’intention de causer des blessures556 ».
2.199 L’histoire d’une famille, relatée par le HCDH, illustre de nombreux aspects du système de justice militaire israélien appliqué aux enfants :
[T]rois frères (âgés de 15, 14 et 13 ans) d’un village cisjordanien situé non loin de la colonie de Hallamich ont été arrêtés, détenus et maltraités par les forces de sécurité israéliennes entre septembre 2018 et avril 2019. Le 1er septembre 2018, les forces de sécurité israéliennes ont arrêté les deux frères aînés, soupçonnés d’avoir jeté des pierres. Ils ont été transportés sur le plancher d’une jeep militaire, menottés et les yeux bandés, jusqu’à un avant-poste militaire à l’intérieur de la colonie de Hallamich. Les garçons ont indiqué au HCDH que les soldats israéliens ont commencé par les frapper à plusieurs reprises à l’abdomen et aux genoux, puis qu’ils ont appelé un groupe de jeunes colons qui les a battus avec des bâtons. Le garçon de 14 ans a été incarcéré à la prison d’Ofer et libéré au bout de 15 jours sans qu’aucune charge [ne] soit retenue contre lui. Le garçon de 15 ans a passé quatre mois et demi à la prison d’Ofer, jusqu’à ce qu’il accepte de plaider coupable pour jet de pierres. Ayant raté le premier trimestre, il ne fréquente plus l’école qu’occasionnellement. Le 3 mars 2019, les forces de sécurité israéliennes ont également arrêté [leur] frère de 13 ans aux abords du village. Il a été détenu à la prison d’Ofer et libéré au bout de deux jours sans qu’aucune charge [ne] soit retenue contre lui. Il a indiqué que, pendant sa détention, on lui a montré une photo de son frère de 14 ans en lui demandant s’il le connaissait. Le 1er avril, selon ses dires, le frère de 14 ans se trouvait près d’une source lorsque quatre colons l’ont attrapé et remis à des soldats israéliens qui lui ont bandé les yeux et fait pression sur lui pour qu’il avoue avoir lancé des pierres, sans quoi ils feraient du mal à sa famille et détruiraient sa maison. Ce n’est qu’à un stade ultérieur de son interrogatoire qu’il a été autorisé à parler à un avocat par téléphone. Il aurait accepté de signer des documents rédigés en hébreu, langue qu’il ne comprend pas, afin de mettre un terme à l’interrogatoire. Le 15 avril 2019, après avoir perquisitionné trois fois la maison des garçons, les forces de sécurité israéliennes ont effectué une descente
556 Ibid.
144
nocturne et arrêté le frère de 15 ans, qui a été placé en détention. Les deux frères aînés ont été libérés de la prison d’Ofer le 29 avril 2019, après avoir plaidé coupable557.
2.200 Un autre cas qui a attiré l’attention internationale est celui d’Ahed Tamimi, âgée de 16 ans. En décembre 2017, Ahed a été filmée en train d’essayer de donner un coup de pied et une gifle à un soldat israélien en tenue militaire devant sa maison après avoir appris que son cousin de 15 ans avait reçu une balle dans la tête par les troupes israéliennes558. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a raconté :
« Elle a été arrêtée en pleine nuit et interrogée sans ses parents et sans la présence d’un avocat. Selon son avocate, elle a subi des mauvais traitements et été menacée pendant son interrogatoire, et les demandes de remise en liberté sous caution présentées avant le procès et pendant toute la procédure ont été rejetées. Après une audience à huis clos, elle a accepté de plaider coupable et a été condamnée à huit mois d’emprisonnement559 ».
557 AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/74/468 (2 oct. 2019) (Dossier no 860), par. 19.
558 « After prison release, Palestinian teen considers law study » [Après sa libération, une adolescente palestinienne envisage de faire des études de droit], Associated Press (29 juillet 2018), consultable sur https://tinyurl.com/2nsnxzd7.
559 Conseil des droits de l’homme, Application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/40/39 (15 mars 2019), par. 34.
145
Figure 2.34 : Ahed Tamimi, menottée et en uniforme de prison, escortée dans un tribunal militaire israélien, le 15 janvier 2018560
B. DETENTION ADMINISTRATIVE
2.201 L’une des composantes les plus draconiennes et discriminatoires du système pénal distinct applicable aux Palestiniens est la pratique de la « détention administrative ». Cette pratique permet de détenir des Palestiniens pour des raisons de sécurité « pour une durée indéterminée, sans inculpation ni jugement, sur le fondement d’éléments de preuve tenus secrets, sans qu’il soit possible de contester valablement [la détention]561 ».
560 A. Sawafta, « Palestinian teen on trial for striking Israeli soldier agrees plea deal » [Une adolescente palestinienne jugée pour avoir frappé un soldat israélien accepte de plaider coupable], Reuters (21 mars 2018), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/329drvf7.
561 Conseil des droits de l’homme, Application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/40/39 (15 mars 2019), par. 32.
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2.202 La loi militaire israélienne prévoit que, même sans l’intervention d’un juge, un commandant militaire peut autoriser la détention « administrative » d’un Palestinien non inculpé de crime si le commandant a des motifs raisonnables de croire que la personne « doit être maintenue en détention pour des raisons liées à la sécurité régionale ou à la sécurité publique562 ». Les détentions peuvent être prolongées indéfiniment si un juge militaire estime que la détention est « justifiée563 », procédures dans lesquelles, comme l’explique B’Tselem, « les détenus n’ont aucune possibilité réelle d’organiser une défense raisonnable564 ». En revanche, « la détention administrative est rarement employée pour placer en détention des citoyen·ne·s juives d’Israël565 ». Pour placer des colons israéliens en détention administrative, il doit y avoir « des motifs raisonnables de présumer que la sécurité de l’État ou la sécurité publique exigent la détention566 ». En outre, « les ordonnances prises à l’encontre de colons israéliens (et d’autres citoyens israéliens) doivent être réexaminées dans les 48 heures par un juge civil israélien dans un tribunal de district567 ».
2.203 Selon le HCDH, au 31 octobre 2022, Israël détenait 820 Palestiniens en détention administrative sans inculpation ni jugement : « Ce nombre est le plus élevé depuis 2008, et il a considérablement augmenté par rapport à la précédente
562 Israël, Ordonnance relative aux directives de sécurité [version consolidée] (Judée et Samarie) (no 1651), art. 285, consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdduwba5. Voir également le Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 241.
563 B’Tselem, Presumed Guilty: Remand in Custody by Military Courts in the West Bank [Présumé coupable : détention par les tribunaux militaires en Cisjordanie] (juin 2015), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2sk3nnt6, p. 15.
564 B’Tselem, Administrative Detention [Détention administrative] (consulté pour la dernière fois le : 12 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ah5r3wjy.
565 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 31.
566 Ibid., p. 243.
567 Ibid.
147
période, puisqu’il s’élevait alors à 500568 ». Parmi les victimes d’arrestations et de détention arbitraires figurent des enfants âgés de 12 ans569. Entre 500 et 700 mineurs sont détenus chaque année570.
2.204 Les données montrent que « si la grande majorité des personnes détenues administrativement entre janvier 2011 et juillet 2020 ont reçu des ordonnances d’une durée maximale d’un an, beaucoup d’autres ont été détenues pendant une durée maximale de deux ans et une minorité pendant une durée supérieure571 ». Certains détenus ont été incarcérés pendant huit ans et l’un d’entre eux, Mazen Natsheh, a été détenu pendant dix ans et demi entre 1994 et 2015572.
2.205 Les organisations de défense des droits de l’homme signalent que lorsque les Palestiniens sont placés en détention administrative, ils subissent des actes de torture et des mauvais traitements, notamment des coups et des agressions physiques573. Le Comité contre la torture a exprimé sa préoccupation quant aux méthodes consistant à « placer les suspects dans des positions inconfortables et à les priver de sommeil574 » dans le cadre des interrogatoires. Israël n’a absolument
568 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 40.
569 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. de l’ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 59.
570 Ibid.
571 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 241.
572 Addameer, Administrative Detention in the Occupied Palestinian Territory: A Legal Analysis Report [Rapport d’analyse juridique sur la détention administrative dans le Territoire palestinien occupé] (2016), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4vd9whjs, p. 31.
573 Voir Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 44.
574 Comité contre la torture, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, doc. de l’ONU CAT/C/ISR/CO/5 (3 juin 2016), par. 30 (« Le Comité s’inquiète des allégations de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pratiqués sur
148
pas répondu à ces préoccupations. Amnesty International a indiqué qu’en 2017, aucune des plus de 1 000 plaintes pour torture déposées auprès du système de justice militaire israélien depuis 2001 n’avait fait l’objet d’une enquête575.
2.206 Les éléments recueillis par Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits de l’homme montrent qu’Israël n’utilise pas la détention administrative pour se prémunir véritablement contre les menaces à la sécurité. Israël l’utilise plutôt pour « détenir des personnes, y compris des prisonniers d’opinion, uniquement pour avoir exercé de manière non violente leur droit à la liberté d’expression et d’association, et les punir pour leurs opinions contestant les politiques de l’occupation576 ». En d’autres termes, Israël utilise la détention administrative pour « persécuter les Palestiniens plutôt que comme une mesure préventive extraordinaire et utilisée de manière sélective577 ».
des personnes privées de liberté, notamment sur des mineurs. Selon ces allégations, la torture et les mauvais traitements sont le plus souvent perpétrés par les agents de la force publique et des services de sécurité, et, plus particulièrement, par les agents du Service général de sécurité, les policiers et les membres des forces de défense israéliennes, lors des arrestations, des transferts et des interrogatoires. De plus, le Comité demeure préoccupé par les allégations selon lesquelles les enquêteurs du Service général de sécurité continuent de recourir à des méthodes d’interrogatoire qui sont contraires à la Convention, consistant notamment à placer les suspects dans des positions inconfortables et à les priver de sommeil, et il regrette les imprécisions concernant le recours à des moyens de contrainte pendant les interrogatoires. »)
575 Amnesty International, « L’occupation israélienne : 50 ans de spoliations » (7 juin 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yc6nc7sc.
576 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 242. Voir également Conseil des droits de l’homme, La situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/37/42 (21 février 2018) ; Human Rights Watch, Born Without Civil Rights: Israel’s Use of Draconian Military Orders to Repress Palestinians in the West Bank [Nés sans droits civils : Recours par Israël aux ordres militaires draconiens pour réprimer les Palestiniens en Cisjordanie] (nov. 2019), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/da7scynh. Voir également Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 241 (« [L]a pratique et les éléments de preuves ont montré qu’il s’agit d’un prétexte pour persécuter des personnes et les priver de leurs libertés et droits fondamentaux parce qu’elles contestent l’occupation et les politiques d’Israël. »)
577 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 241.
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2.207 Le cas de Salah Hammouri, militant des droits de l’homme franco-palestinien, est emblématique. M. Hammouri a été arrêté le 7 mars 2021 « puis placé en détention administrative pendant trois mois. Sa détention a été prolongée à deux reprises sur la base d’éléments de preuve secrets578 ». M. Hammouri a écrit au président français pour protester contre sa détention et peu de temps après, les autorités israéliennes l’ont classé dans la catégorie des « prisonniers extrêmement dangereux » et lui ont imposé un certain nombre de restrictions, y compris la mise à l’isolement579. En octobre 2021, sept mois après sa détention, son permis de séjour à Jérusalem-Est a été annulé pour « rupture d’allégeance580 » à Israël. Plus d’un an plus tard, Israël a déporté M. Hammouri en France contre son gré581.
2.208 La pratique israélienne de la détention administrative est régulièrement et fermement condamnée par les experts et les fonctionnaires des Nations Unies chargés des droits de l’homme, qui ont à plusieurs reprises appelé Israël à « mettre un terme à la pratique de la détention administrative et à veiller à ce que toutes les personnes placées sous ce régime soient rapidement inculpées ou libérées582 ».
2.209 Ne disposant d’aucun recours efficace pour contester leur détention administrative, certains détenus palestiniens ont eu recours à la grève de la faim, une mesure qui est devenue « un dernier recours pour résister contre ce que les
578 Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, doc. de l’ONU A/HRC/52/75 (13 février 2023), par. 41.
579 Ibid.
580 Ibid.
581 HCDH, Communiqué de presse : Israeli deportation order against French-Palestinian activist Salah Hammouri could constitute war crime: UN experts [Des experts de l’ONU avertissent que l’ordre d’expulsion israélien contre le militant franco-palestinien Salah Hammouri pourrait constituer un crime de guerre] (2 déc. 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4fux4ce6.
582 Conseil des droits de l’homme, Application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, doc. de l’ONU A/HRC/40/39 (15 mars 2019), par. 32.
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Palestiniens considèrent comme des incarcérations injustes583 ». Khader Adnan, un célèbre prisonnier palestinien, a été emprisonné par Israël 12 fois au cours de sa vie, souvent dans le cadre d’une détention administrative584. En 2023, il a entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention585. Il est mort dans une prison israélienne 87 jours plus tard586.
C. RESTRICTIONS DES DROITS CIVILS ET POLITIQUES
2.210 Israël utilise également le double système juridique discriminatoire pour restreindre les droits civils et politiques des Palestiniens en Cisjordanie.
2.211 Contrairement aux colons juifs israéliens, les droits de citoyenneté israélienne ne sont pas étendus aux Palestiniens. Par conséquent, ils n’ont pas le droit de vote pour influencer le système juridique militaire qui gouverne leur vie587.
2.212 En outre, dans le cadre du système juridique militaire, les Palestiniens n’ont aucune liberté d’expression, d’association, de réunion ou de manifestation. Comme
583 « Palestinian prisoner dies in Israel after long hunger strike » [Un prisonnier palestinien meurt en Israël après une longue grève de la faim], NPR (2 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/zzkjuynu.
584 HCDH, Communiqué de presse : Israel: UN experts demand accountability for death of Khader Adnan and mass arbitrary detention of Palestinians [Des experts de l’ONU demandent des comptes pour la mort de Khader Adnan et la détention arbitraire massive de Palestiniens] (3 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/5yfmmbkh.
585 R. Abdulrahim, « Palestinian Detainee Dies in Israeli Prison After Hunger Strike » [Un détenu palestinien meurt dans une prison israélienne après une grève de la faim], New York Times (3 mai 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdeyxwty.
586 Ibid.
587 B’Tselem, Un régime de suprématie juive de la Méditerranée au Jourdain : C’est un apartheid (12 janv. 2021), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4yzzwvuv, p. 6 (Les auteurs indiquent qu’en 2003, la Knesset israélienne a adopté une ordonnance interdisant la délivrance de la citoyenneté israélienne aux Palestiniens de Cisjordanie qui épousent des citoyens israéliens) ; The Association for Civil Rights in Israel [Association pour les droits civils en Israël], One Rule, Two Legal Systems [Une règle, deux systèmes juridiques] (oct. 2014), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4p3zdcpx.
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l’explique B’Tselem, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, les Palestiniens du Territoire palestinien occupé « ne sont pas autorisés à manifester ; beaucoup d’associations ont été interdites ; et presque toute déclaration politique est considérée comme une incitation à la violence588 ». Alors que les colons jouissent de la liberté d’expression, « que la loi israélienne ne restreint que s’il existe une « quasi-certitude » qu’elle mettrait « gravement en péril » les intérêts vitaux en matière de sécurité », les Palestiniens « risquent jusqu’à dix ans de prison pour avoir tenté d’influencer l’opinion publique d’une manière qui « pourrait » nuire à la paix ou à l’ordre public589 ».
2.213 Les ordonnances militaires définissent également de manière large les « atteintes à la sécurité », qui incluent les troubles à l’ordre public et la participation à des manifestations non violentes590. Les Palestiniens peuvent être emprisonnés s’ils « participent à un rassemblement de plus de dix personnes sans permis sur une question « qui pourrait être interprétée comme politique », tandis que les colons peuvent manifester sans permis à moins qu’il n’y ait plus de 50 personnes, que la manifestation ait lieu en plein air et qu’elle comporte des « discours et des déclarations politiques »591 ».
VI.Oppression de l’expression et de l’identité culturelles et religieuses
2.214 Dans le cadre de son entreprise de colonisation, Israël s’efforce en permanence d’effacer et de supplanter l’identité culturelle et religieuse
588 B’Tselem, Un régime de suprématie juive de la Méditerranée au Jourdain : C’est un apartheid (12 janvier 2021), consultable sur https://tinyurl.com/4yzzwvuv, p. 6.
589 Rapport 2021 de HRW, p. 86 (en anglais seulement).
590 Voir Addameer, « The Israeli Military Court System » [Le système judiciaire militaire israélien] (juillet 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ysjx4pbe.
591 Rapport 2021 de HRW, p. 86 (en anglais seulement).
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palestinienne dans le Territoire palestinien occupé. Comme l’a expliqué la Rapporteuse spéciale sur le Territoire palestinien occupé, les régimes de domination coloniale ont longtemps été « concretis[és] par la subordination culturelle des indigènes », puisque « toute manifestation d’identité collective et tentative du peuple assujetti de revendiquer […] sa souveraineté représente une menace pour le régime en place592 ». Dans le cas du Territoire palestinien occupé, Israël poursuit un « effort […] de « déconstruction et de remplacement » de la Palestine dans l’imaginaire collectif par une combinaison d’appropriation culturelle et … d’effacement593 ».
2.215 Concrètement, Israël met en oeuvre sa politique de suppression et d’effacement culturels de quatre manières principales : la destruction et la réinvention du patrimoine culturel et religieux du Territoire palestinien occupé (Section A) ; l’imposition de restrictions à l’accès des Palestiniens aux sites religieux et à leur possibilité de pratiquer librement leur culte et leur religion (Section B) ; la restriction et la censure des expressions de l’identité culturelle palestinienne, y compris le drapeau palestinien, les célébrations culturelles et l’enseignement de l’histoire palestinienne (Section C) ; et la tolérance des discours de haine et d’incitation à la violence visant les Palestiniens, créant un climat de peur parmi les Palestiniens qui pratiquent leur culture et leur religion (Section D).
592 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. de l’ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 13, 53.
593 Ibid, par. 54.
153
A. DESTRUCTION ET REINVENTION DU PATRIMOINE CULTUREL
2.216 Depuis le début de l’occupation en 1967, Israël se livre à la destruction, l’effacement et la réinvention du patrimoine culturel palestinien en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est).
2.217 Selon Amnesty International, Israël a notamment « détruit ou endommagé de manière irréversible de nombreux sites archéologiques594 » et du patrimoine culturel palestiniens. La Rapporteuse spéciale sur le Territoire palestinien occupé explique que cette pratique remonte au tout début de l’occupation et qu’elle est directement liée au remplacement des sites culturels palestiniens par des sites culturels juifs israéliens :
« Le quartier marocain [maghrébin] de la vieille ville de Jérusalem, rasé au début de l’occupation pour faire place à l’esplanade du Mur des lamentations, est l’un des premiers cas enregistrés de lieux palestiniens à avoir été détruits ou saisis et convertis en sites culturels israéliens peu après juin 1967595. »
La destruction par Israël du quartier maghrébin a impliqué « le dynamitage et la destruction au bulldozer […] de 135 maisons datant du XIVe siècle596 ».
594 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 192 (note 1060).
595 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. de l’ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 54.
596 Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Le statut de Jérusalem (31 août 1997), consultables sur https://tinyurl.com/5xjbn64y, p. 13.
154
Figure 2.35 : photo aérienne prise par le service de presse du gouvernement israélien le 12 juin 1967 montrant les bâtiments restants du quartier maghrébin dans la vieille ville de Jérusalem, près du Mur occidental et de l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, après la guerre des Six Jours597
2.218 En effet, la vieille ville, située à Jérusalem-Est, a été l’une des principales cibles de la campagne israélienne visant à remodeler la culture et le caractère du Territoire palestinien occupé. Comme le montre la carte ci-dessous, la vieille ville abrite des quartiers musulmans, chrétiens, juifs et arméniens distincts, ainsi que certains des sites les plus saints de l’islam, du christianisme et du judaïsme.
597 « À Jérusalem, inquiétudes pour les derniers vestiges du quartier maghrébin », France 24 (12 février 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yzajz7zv.
155
Figure 2.36 : la vieille ville de Jérusalem et ses quartiers598
2.219 Au lieu de respecter son caractère multiculturel et multireligieux, Israël continue de mettre en péril son patrimoine non juif. Depuis 1968, Israël a creusé un tunnel longeant le Mur occidental de Haram al-Sharif (également connu sous le nom d’esplanade de la mosquée al-Aqsa ou de mont du Temple) afin de permettre l’accès à d’autres parties du Mur occidental cachées sous terre ou derrière les bâtiments du quartier musulman599. On considère que les fouilles « menacent
598 Ibid.
599 Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Le statut de Jérusalem (31 août 1997), consultables sur https://tinyurl.com/5xjbn64y, p. 16. Voir également M. Fischel, « Excavating Jerusalem’s Ancient Secrets at the City of David » [Fouilles des anciens secrets de
la vieille ville de Jérusalem
Porte d'Hérode
Porte de Damas
Porte neuve
Porte de Jaffa
Porte de immondices
Porte de Sion
Esplanade des mosquées (mont du Temple/Haram al-Sharif)
Porte de Lions
quartier musulman
Église du Saint-Sépulcre
quartier chrétien
quartier juif
quartier arménien
Citadelle de David
Synagogue Hourva
Mur occidental
Dôme du Rocher
Mosquée d'al-Aqsa
bande de Gaza
Cisjordanie Jérusalem
Israël
156
sérieusement la stabilité des monuments islamiques [c-à-d, Haram al-Sharif], surtout depuis que des fissures sont apparues dans les murs et que certains des bâtiments se sont effondrés en partie600 ». Pas plus tard qu’en juin 2022, le directeur général du Waqf de Jérusalem, un organe jordanien qui administre le Haram al-Sharif, « a averti que la mosquée risquait de s’effondrer si les travaux d’excavation se poursuivaient à leur intensité actuelle601 ».
2.220 Ces fouilles et d’autres ont été condamnées par de nombreux organes des Nations Unies. Dès 1981, l’Assemblée générale des Nations Unies a estimé que les fouilles « mettent gravement en danger les sites historiques, culturels et religieux de Jérusalem602 ». L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (« UNESCO ») a émis des condamnations similaires à des dizaines d’occasions603. Plus récemment, en mai 2023, le Conseil exécutif de l’UNESCO a exprimé regretter que « les autorités d’occupation israéliennes n’aient pas mis un terme aux fouilles, creusements de tunnels, travaux et projets constamment menés dans Jérusalem-Est, en particulier à l’intérieur et aux alentours de la Vieille
Jérusalem dans la Cité de David], ISRAEL21c (1er sept. 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/5d73vpnf.
600 Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Le statut de Jérusalem (31 août 1997), consultables sur https://tinyurl.com/5xjbn64y, p. 16.
601 M. Najib, « La mosquée Al-Aqsa « risque de s’effondrer » en raison de travaux d’excavation israéliens », Arab News (24 juin 2022), consultable à l’adresse https://arab.news/mdmhv. Voir également « Israeli excavations and blocking of restoration eat away at the fabric of Al-Aqsa Mosque » [Les fouilles israéliennes et le blocage de la restauration rongent la structure de la mosquée Al-Aqsa], Middle East Monitor (23 février 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2ubrs8hp.
602 AGNU, Résolution 36/15, Événements récents concernant les s excavations dans la partie est de Jérusalem, doc. de l’ONU A/RES/36/15 (28 oct. 1981) (Dossier no 614), Préambule.
603 UNESCO, Décisions adoptées par le Conseil exécutif à sa 216e session (10-24 mai 2023) (ci-après, « Décision du Conseil de l’UNESCO 2023 »), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/38sjejy3, p. 42, par. 7 (« rappelant également les 23 décisions du Conseil exécutif […] ainsi que les 11 décisions du Comité du patrimoine mondial »).
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Ville604 ». Malgré des efforts répétés de l’UNESCO, les autorités israéliennes ont refusé d’autoriser la mise en place d’un mécanisme de suivi de l’UNESCO à Jérusalem-Est605.
2.221 Des fouilles, des travaux de construction et des modifications similaires menacent d’autres sites palestiniens en Cisjordanie, affectant « l’authenticité et l’intégrité » des sites et leur « aspect originel606 ». Actuellement, quatre sites du patrimoine culturel du Territoire palestinien occupé figurent sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO, notamment à Jérusalem et à Hébron607. À Hébron, par exemple, la mosquée Ibrahimi a été partiellement convertie en synagogue608, avec le Mur qui entoure le site609.
2.222 Comme l’a observé la mission d’enquête des Nations Unies sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, « les politiques et les actes visant à modifier la composition de Jérusalem et d’Hébron en effaçant le patrimoine culturel en fonction de l’appartenance religieuse […] sont menés avec la participation du Gouvernement israélien et ont des effets néfastes610 ».
604 Décision du Conseil de l’UNESCO 2023, p. 42, par. 8.
605 Ibid, p. 42, par. 9.
606 Ibid, p. 43, par. 14-15.
607 Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, « État de conservation des biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril », UNESDOC WHC/21/44.COM/7A.Add.2 (12 juillet 2021), p. 2, 6, 9. Les sites sont : la vieille ville de Jérusalem et ses remparts, le Haram Al-Ibrahim/tombeau des Patriarches à Hébron, et en Palestine : terre des oliviers et des vignes (paysage culturel du sud de Jérusalem).
608 Voir, par exemple, HCDH, communiqué de presse : Israel: UN expert condemns brutal attacks on Palestinians at Al-Aqsa Mosque [Une experte de l’ONU condamne les attaques brutales contre les Palestiniens à la mosquée Al-Aqsa] (6 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/pwu2xk6s.
609 Décision du Conseil de l’UNESCO 2023, p. 43, par. 14-15.
610 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur
158
2.223 D’autres destructions de sites culturels et religieux palestiniens ont eu lieu au cours d’opérations de sécurité et d’attaques armées menées par Israël. Par exemple, Israël « a imposé le siège de l’église de la Nativité à Bethléem en 2004, détruisant des parties de l’église611 ». Des rapports ont également fait état de destructions massives de sites culturels et religieux lors des attaques armées d’Israël contre Gaza612. Au cours de la seule attaque de mai 2021 sur Gaza, Israël a endommagé ou détruit « 124 lieux de culte », dont des églises et des mosquées, ainsi que des sites archéologiques et des ruines613.
2.224 Outre la destruction pure et simple et le remplacement du patrimoine, Amnesty International rapporte que « les autorités israéliennes ont trouvé et fouillé 980 sites archéologiques » en Cisjordanie, « dont 349 à Jérusalem-Est, entre 1967 et 2007614 ». Ces fouilles, menées sans le consentement de la population palestinienne du Territoire palestinien occupé, sont souvent encouragées par les autorités israéliennes afin de « renforcer le lien entre la « Terre d’Israël » » et le Territoire palestinien occupé et se concentrent sur les « sites sout[enant] le patrimoine culturel israélien/juif en Cisjordanie », accordant « une importance excessive à l’archéologie biblique, tout en enracinant la sous-représentation du patrimoine musulman et d’autres patrimoines615 ».
les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 61.
611 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 192 (note 1060).
612 Al-Haq, Apartheid culturel: Israel’s Erasure of Palestinian Heritage in Gaza [Apartheid culturel : l’effacement par Israël du patrimoine palestinien à Gaza] (janvier 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/54cnc9cx.
613 Ibid., p. 10-11.
614 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 191-192.
615 Centre de ressources en droit humanitaire international de Diakonia, Occupation Remains: A Legal Analysis of Israeli Archeology Policies in the West Bank: An International Law Perspective [Les vestiges de l’occupation. Analyse juridique des politiques israéliennes en matière
159
B. RESTRICTIONS CONCERNANT L’ACCES AUX SITES RELIGIEUX ET L’EXERCICE DU CULTE
2.225 Israël a régulièrement entravé et restreint l’accès des fidèles musulmans et chrétiens aux lieux saints de Jérusalem, bien qu’il ait reconnu le caractère contraignant des « garanties particulières d’accès dans le cas des Lieux saints chrétiens, juifs et musulmans616 ».
2.226 Selon la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction, en raison du « système élaboré » qui restreint les déplacements des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, « des millions de musulmans et de chrétiens auraient été empêchés depuis 1993 de pratiquer leur culte sur certains des sites qu’ils considèrent comme leurs lieux les plus saints au monde, en particulier à Jérusalem617 ».
2.227 Depuis le début de l’occupation en 1967, par exemple, Israël a régulièrement interdit, totalement ou partiellement, aux musulmans de se rendre au
d’archéologie en Cisjordanie. Point de vue du droit international] (déc. 2015), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4wby4n3n, p. 29. Voir également Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 59 (« D’après certaines allégations, ces fouilles archéologiques ont pour but de mettre en valeur le patrimoine culturel juif en laissant de côté − voire pire, en sapant − le riche patrimoine d’autres cultures qui font partie de l’histoire millénaire de la ville. »)
616 Avis Consultatif sur le Mur, par. 129. Voir Convention d’armistice général entre Israël et la Jordanie (3 avril 1949) (ci-après, « l’Armistice général israélo-jordanien »), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mrfshwjx, art. VIII(2) (reconnaissant qu’un « accord de principe existe déjà […] [sur] le libre accès aux Lieux Saints ») ; Traité de paix entre l’État d’Israël et le Royaume hachémite de Jordanie (26 oct. 1994) (ci-après, « Traité de paix israélo-jordanien »), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yc2uc4ve, art. 9(1) (obligeant expressément Israël à « donner la liberté d’accès aux sites ayant une signification religieuse et historique »).
617 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Mme Asma Jahangir (résumé en français, rapport complet en anglais et en arabe seulement), doc. de l’ONU A/HRC/10/8/Add.2 (12 janvier 2009), par. 26.
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Haram al-Sharif618. Bien que le Waqf de Jérusalem administre le Haram al-Sharif et d’autres lieux saints musulmans619, Israël contrôle effectivement l’accès à ces lieux620. Les autorités israéliennes limitent fréquemment l’accès au site aux musulmans d’un certain âge, en particulier pendant les périodes religieuses importantes telles que le mois sacré du Ramadan621.
2.228 Israël a fait de même avec les lieux saints chrétiens. En 2022 et 2023, par exemple, Israël a restreint l’accès des chrétiens à la cérémonie du feu sacré dans l’église du Saint-Sépulcre, l’une des plus importantes cérémonies chrétiennes orthodoxes622.
618 Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Le statut de Jérusalem (31 août 1997), consultables sur https://tinyurl.com/5xjbn64y, p. 17.
619 Ibid., p. 16.
620 Ibid.
621 Voir, par exemple, Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Mme Asma Jahangir (résumé en français, rapport complet en anglais et en arabe seulement), doc. de l’ONU A/HRC/10/8/Add.2 (12 janvier 2009), par. 28 ; « Tension Overshadows Ramadan Prayers in Jerusalem » [La tension plane sur les prières du Ramadan à Jérusalem], VOA (27 oct. 2009), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/35dyunf6 ; Division des droits des Palestiniens de l’ONU, « Chronological Review of Events Relating to the Question of Palestine » [Revue chronologique des événements relatifs à la question de la Palestine] (31 juillet 2011), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mpjdmeb5, par. 1 (« La police israélienne a limité l’accès à la mosquée Al-Aqsa et au Dôme du Rocher à Jérusalem pour les hommes musulmans de moins de 45 ans par mesure de précaution, a déclaré une porte-parole ») ; « Al-Aqsa: Israel bars Muslim men under 50 amid protests » [Israël interdit l’accès à Al-Aqsa aux hommes musulmans de moins de 50 ans en raison des protestations], Al Jazeera (21 juillet 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/m83bjvct.
622 A. Horowitz et L. Kellman, « Church: Israel limiting rights of ‘Holy Fire’ worshippers » [Église : Israël limite les droits des fidèles du « feu sacré »], Associated Press (12 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/36phzbf9 ; « Holy Fire celebrated by Christians in Jerusalem amid Israeli police restrictions » [Les chrétiens célèbrent le feu sacré à Jérusalem en dépit des restrictions imposées par la police israélienne], BBC (15 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/298wtbfe ; J. Krauss, « Israeli restrictions on ‘Holy Fire’ ceremony ignite Christian outrage » [Les restrictions israéliennes à la cérémonie du « feu sacré » suscitent l’indignation des chrétiens], Los Angeles Times (23 avril 2022), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/ymc33x57.
161
2.229 Certains lieux saints importants pour les trois religions monothéistes ne sont ouverts qu’aux Juifs, comme le site du patrimoine mondial de la mosquée Bilal Bin Rabah/Tombe de Rachel à Bethléem, où l’UNESCO a condamné « la stricte interdiction concernant l’accès au site des fidèles chrétiens et musulmans palestiniens623 ».
2.230 Ces restrictions d’accès aux lieux saints sont souvent appliquées en faisant un usage « excessif de la force624 ». Pendant le Ramadan, en avril 2023, selon le Rapporteur spécial sur le Territoire palestinien occupé, « les forces israéliennes sont entrées violemment dans la mosquée Al-Aqsa, ont tiré des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes, ont tiré des balles en caoutchouc et ont frappé sans discrimination les fidèles musulmans (y compris des personnes âgées et des femmes) avec des matraques et des crosses de fusil. Au moins 450 hommes palestiniens auraient été arrêtés, et certains ont reçus des coups de pied et ont été giflés par les soldats qui les escortaient alors qu’ils étaient conduits hors de l’enceinte du Haram Al-Sharif, menottes aux poignets625 ». Toujours en avril 2023, pendant la Semaine sainte des chrétiens orthodoxes, la police israélienne a imposé avec violence des restrictions d’accès à l’église du Saint-Sépulcre. Comme le rapporte Haaretz : « Les images montrent la police israélienne traînant et frappant
623 Décision du Conseil de l’UNESCO 2023, p. 43, par. 15.
624 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur le statut juridique des colonies de peuplement, doc. de l’ONU A/HRC/47/57 (29 juillet 2021), par. 7.
625 HCDH, Communiqué de presse : Israel: UN expert condemns brutal attacks on Palestinians at Al-Aqsa Mosque [Une experte de l’ONU condamne les attaques brutales contre les Palestiniens à la mosquée Al-Aqsa] (6 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/22c5pxet. Voir aussi « Israël/TPO. Deuxième nuit de violences à la mosquée d’Al Aqsa », Amnesty International (6 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2s3ntskz.
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plusieurs fidèles, poussant un prêtre copte contre le mur de pierre et plaquant une femme au sol626. »
2.231 En plus de perpétrer des violences directement contre les fidèles, Israël ne prévient pas et ne punit pas les violences commises par les colons juifs israéliens contre les chrétiens et les musulmans, leurs lieux saints et leurs biens. La mission d’établissement des faits des Nations Unies sur les colonies israéliennes dans le Territoire palestinien occupé a indiqué en 2013 que « depuis 2008, des mosquées et des églises chrétiennes avaient été la cible d’attaque […], ainsi, au moins neuf incendies criminels ont visé des mosquées palestiniennes et dans 21 cas, des mosquées, des églises et des cimetières ont été profanés par des graffiti[s] provocateurs à caractère raciste ou sacrilège, manifestement destinés à envenimer la situation627 ». Selon l’Associated Press, « 2023 s’annonce comme la pire année pour les chrétiens [de Jérusalem] depuis une décennie628 ». Il y a eu « au moins sept cas graves de vandalisme contre des biens ecclésiastiques entre janvier et la mi-mars, cela constitue une forte augmentation par rapport aux six cas anti-chrétiens enregistrés pendant toute l’année 2022629 ». À titre d’exemple :
En mars, deux Israéliens ont fait irruption dans la basilique située à côté du jardin de Gethsémani, où la Vierge Marie aurait été enterrée.
626 N. Hasson, « Israeli Police Violently Beat Several Holy Fire Worshippers Trying to Defy Capacity Limits » [La police israélienne a violemment battu plusieurs fidèles du feu sacré qui tentaient de défier le nombre de personnes pouvant accéder à l’église], Haaretz (15 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/mv6kjdrb.
627 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 60.
628 I. Debre, « Holy Land Christians say attacks rising in far-right Israel » [Les chrétiens de Terre Sainte déclarent que les attaques augmentent dans l’Israël d’extrême droite], Associated Press (13 avril 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/s4zxtxfy.
629 Ibid.
163
Ils se sont jetés sur un prêtre avec une barre métallique avant d’être arrêtés.
En février, un juif américain religieux a fait tomber de son piédestal une statue du Christ de trois mètres de haut et l’a fracassée sur le sol, frappant son visage à l’aide d’un marteau une douzaine de fois dans l’église de la Flagellation sur la Via Dolorosa, le long de laquelle on pense que Jésus a tiré sa croix avant d’être crucifié. « Pas d’idoles dans la ville sainte de Jérusalem », a-t-il crié.
Des Arméniens ont trouvé des graffitis haineux sur les murs de leur couvent. Des prêtres de toutes confessions affirment avoir été traqués, s’être faits cracher dessus et avoir été battus lorsqu’ils se rendaient à l’église. En janvier, des juifs religieux ont vandalisé 30 tombes et renversé leurs croix de pierre dans un cimetière chrétien historique de la ville630.
C. RESTRICTION ET CENSURE DES EXPRESSIONS DE L’IDENTITE CULTURELLE PALESTINIENNE
2.232 Les politiques et les pratiques israéliennes interdisent ou suppriment les symboles et les manifestations de la culture, de l’histoire et de l’identité palestiniennes.
2.233 Israël a, par exemple, interdit les manuels scolaires palestiniens et fermé des écoles palestiniennes qui enseignaient l’histoire palestinienne. Comme l’a observé le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression, « des parties de manuels utilisés dans les écoles palestiniennes ont été censurées par le ministère israélien de l’éducation631 ». De même, la Rapporteuse spéciale sur le Territoire palestinien occupé a noté que « les tentatives visant à effacer le caractère
630 Ibid.
631 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, doc. de l’ONU A/HRC/20/17/Add.2 (11 juin 2012), par. 93.
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palestinien des vestiges de la terre palestinienne ancestrale comprennent : l’élimination de l’histoire palestinienne des programmes de cours dans les écoles de Jérusalem-Est » et « la révocation des licences des écoles palestiniennes qui n’adhéreraient pas aux politiques préconisées par Israël en matière de programmation scolaire632 ».
2.234 Israël interdit également les rassemblements, événements et organisations culturels palestiniens633. Le Secrétaire général des Nations Unies a constaté en 2019 qu’« [à] Jérusalem-Est, les autorités israéliennes ont annulé ou interdit plusieurs manifestations civiques ou culturelles palestiniennes parce qu’elles étaient financées ou parrainées par l’Autorité palestinienne634 ». Cela fait écho à des conclusions similaires en 2012 selon lesquelles « [d]e nombreux événements et activités culturels arabes à Jérusalem-Est auraient été interdits par les autorités israéliennes635 ».
2.235 Les drapeaux palestiniens et d’autres symboles de l’identité palestinienne sont également pris pour cible. La Rapporteuse spéciale sur le Territoire palestinien occupé a expliqué en 2022 que « les « symboles » palestiniens, tels que le drapeau palestinien, sont en réalité systématiquement pris pour cibles et détruits, que ce soit dans les lieux publics ou lors de manifestations publiques, de rassemblements et même de funérailles, tout affichage de l’identité nationale palestinienne étant de
632 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. de l’ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 54.
633 Ibid. 53-55.
634 AGNU, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/74/468 (2 oct. 2019) (Dossier no 860), par. 36.
635 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, doc. de l’ONU A/HRC/20/17/Add.2 (11 juin 2012), par. 95.
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facto interdit636 ». À partir de 2023, cette interdiction de facto du drapeau palestinien est devenue la politique officielle d’Israël. Le ministre israélien de la sécurité, Itamar Ben-Gvir, a officiellement demandé à la police israélienne de retirer les drapeaux palestiniens de tous les espaces publics : « Il n’est pas possible que des personnes en infraction avec la loi brandissent des drapeaux du terrorisme, incitent et soutiennent le terrorisme. J’ai donc ordonné que les drapeaux soutenant le terrorisme soient retirés de l’espace public637 ».
D. TOLERANCE DES DISCOURS DE HAINE
2.236 Israël tolère que des fonctionnaires et des particuliers prononcent des discours de haine et incitent à la violence contre les Palestiniens, ce qui a pour effet de dénigrer leur identité culturelle et religieuse, de créer un climat de peur et d’encourager des formes similaires de haine envers les Palestiniens au sein de la population. En 2020, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a observé qu’il y avait eu une « montée des discours de haine à caractère raciste dans la sphère publique, en particulier ceux tenus par des personnalités publiques et des dirigeants politiques ou religieux, dans certains médias et dans les programmes et les manuels scolaires638 ». Il a également constaté une « multiplication des actes racistes et xénophobes ciblant spécifiquement les minorités non juives, en
636 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. de l’ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 53.
637 A. Rabinovitch, « Israel’s Ben-Gvir tells police to remove Palestinian flags from public space » [Le ministre israélien Ben-Gvir demande à la police de retirer les drapeaux palestiniens de l’espace public], Reuters (8 janv. 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2p92hrrv.
638 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques (27 janv. 2020), par. 26(a).
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particulier les citoyens palestiniens d’Israël [et] les Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé639 ».
2.237 À titre d’exemple seulement, le secrétaire général des Nations Unies a fait état des incidents suivants d’incitation à la violence et de discours de haine contre les Palestiniens par des fonctionnaires israéliens, entre mars et juin 2022 seulement :
 Un « défilé du drapeau annuel incendiaire à travers la porte de Damas et le quartier musulman a été approuvé par les autorités israéliennes et a eu lieu le 29 mai » ;
 « Dans un lycée d’une […] colonie de Cisjordanie, un vice-ministre du Gouvernement israélien a déclaré que « s’il y avait un bouton sur lequel on pouvait appuyer pour faire disparaître tous les Arabes… j’appuierais sur ce bouton » ; et
 « S’exprimant à une session plénière de la Knesset, un membre de la Knesset a menacé les étudiants arabes israéliens qui arboraient des drapeaux palestiniens dans les universités israéliennes, leur disant de « se souvenir… de votre Nakbah » en 1948, ajoutant que « si vous ne vous calmez pas, nous vous donnerons une leçon qui ne sera pas oubliée640. » »
VII. Restrictions au développement de l’économie palestinienne et à l’exploitation des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé
2.238 Israël ne se contente pas de restreindre le développement de l’économie palestinienne par ses politiques et ses pratiques dans le Territoire palestinien occupé, il utilise également les territoires occupés pour son propre bénéfice
639 Ibid, par. 26(b).
640 Conseil de sécurité des Nations Unies, Application de la résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité, doc. de l’ONU S/2022/504 (22 juin 2022) (Dossier no 1397), par. 72, 74-75 (couvrant la période de rapport du 19 mars au 16 juin 2022, voir par. 1).
167
économique, en exploitant ses ressources naturelles et en menant des activités économiques dans le Territoire palestinien occupé.
2.239 Premièrement, les politiques israéliennes décrites dans les sections précédentes, en particulier celles qui visent à contrôler la terre, l’utilisation des terres, les infrastructures et la liberté de mouvement du peuple palestinien, limitent fortement l’économie palestinienne. En effet, « la contrainte la plus importante et la plus visible pesant sur le développement palestinien, c’est l’occupation641 ».
2.240 Comme expliqué dans la Section III(B) plus haut, le blocus israélien a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert « invivable », dans laquelle l’importation de marchandises est limitée aux matériaux « humanitaires642 ». Dans ces conditions, il n’y a aucun espoir de développement économique : les usines sont bombardées ou fermées, il est interdit de pêcher dans la majeure partie de la mer, de vastes étendues de zones agricoles sont restreintes par la « zone tampon » et les exportations agricoles sont souvent laissées à l’abandon sous la chaleur pendant qu’elles subissent des inspections de « sécurité643 ». Le taux de chômage avoisine les 50 %644. En 2020, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (« CNUCED »)
« a évalué l’impact du blocus israélien prolongé et des restrictions en matière d’économie et de circulation sur la pauvreté et les conditions socioéconomiques à Gaza. Elle a estimé à 16,7 milliards
641 Organisation internationale du travail, The Occupied Palestinian Territory: An Employment Diagnostic Study [Étude diagnostique sur l’emploi dans le Territoire palestinien occupé] (2018), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4s4xvhjr, p. 21. Voir également Équipe de pays des Nations Unies, Leave no one behind: A perspective on vulnerability and structural disadvantage in Palestine [Ne laisser personne de côté. Point de vue sur la vulnérabilité et les désavantages structurels en Palestine] (2016), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdfn577d, p. 11.
642 Voir supra par. 2.94-2.96.
643 Voir supra § III(B).
644 Voir supra par. 2.88.
168
de dollars (en dollars américains constants de 2015) le coût économique cumulé de ces facteurs et des opérations militaires, soit l’équivalent de six fois la valeur du PIB [produit intérieur brut] de Gaza, ou 107 % du PIB palestinien, en 2018. En outre, le taux de pauvreté à Gaza aurait pu être de 15 % en 2017 au lieu du taux enregistré de 56 %645. »
2.241 L’économie de la Cisjordanie se retrouve étranglée d’une façon similaire. Par exemple, « les entraves à la mobilité font perdre aux Palestiniens 60 millions d’heures de travail par an, soit 274 millions de dollars646 ». De plus, comme expliqué ci-dessus, les terres disponibles pour les activités agricoles palestiniennes se sont réduites au fur et à mesure que les colonies israéliennes se sont étendues647. Les politiques foncières d’Israël ont également entraîné la destruction d’environ « deux tiers de tous les pâturages et de plus de 2,5 millions d’arbres productifs648 », dont 800 000 oliviers649.
2.242 La conséquence inévitable des politiques foncières d’Israël est la diminution précipitée de l’importance de l’agriculture palestinienne, moteur
645 AGNU, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : coût des restrictions supplémentaires imposées dans la zone C, 2000-2020, doc. de l’ONU A/77/295 (16 août 2022) (Dossier No 489), par. 24 (citant la CNUCED, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : l’appauvrissement de Gaza sous le blocus (décembre 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2p8d893a.
646 CNUCED, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : Arrêt du développement et pauvreté en Cisjordanie (décembre 2021), consultable sur https://tinyurl.com/3cu8r8n8, p. 9.
647 Voir supra par. 2.49.
648 Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale, Palestine Under Occupation III: Mapping Israel’s Policies and Practices and their Economic Repercussions in the Occupied Palestinian Territory [Palestine sous occupation III : Cartographie des politiques et pratiques d’Israël et de leurs répercussions économiques dans le Territoire palestinien occupé] (juin 2022) (ci-après, « Rapport 2022 de la CESAO »), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2e9p4eje, p. 21.
649 Conseil du commerce et du développement des Nations Unies, Rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé, doc. de l’ONU TD/B/63/3 (28 sept. 2016), par. 42(d).
169
intégral de l’économie palestinienne. Sa part dans le PIB de la Palestine est passée de 33,2 % en 1972 à 8,1 % en 2019 et à environ 4 % ces dernières années650.
2.243 Comme l’a indiqué la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (« CESAO »), ces politiques sont « en elles-mêmes […] suffisantes pour empêcher le fonctionnement normal des forces du marché dans l’économie palestinienne. Toutefois, leur impact est multiplié lorsqu’elles sont associées à des mesures qui ciblent spécifiquement l’activité économique palestinienne651. » Selon la CESAO :
Ces mesures comportent notamment des restrictions à l’utilisation des ressources naturelles, des transferts massifs de ressources de l’économie palestinienne en voie de développement vers l’économie israélienne développée, une inhibition des activités commerciales par un régime réglementaire imposé, une compression et un détournement fiscaux, une séparation de l’économie palestinienne de son environnement naturel et de ses marchés, une subordination de la richesse de la main-d’oeuvre palestinienne à l’économie israélienne, une fragmentation du marché palestinien et une augmentation des coûts de transaction652.
2.244 En outre, Israël prive systématiquement l’Autorité palestinienne de la capacité d’adopter et de mettre en oeuvre des politiques visant à promouvoir le développement économique. Comme l’explique l’équipe de pays des Nations Unies dans le Territoire palestinien occupé :
Le gouvernement palestinien n’a aucun contrôle sur ses frontières (qu’il s’agisse des frontières terrestres, aériennes ou maritimes) ni sur ses recettes douanières. Il n’a pas sa propre monnaie ni le
650 Voir Rapport 2022 de la CESAO, p. 42 ; AGNU, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. de l’ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 72.
651 Rapport 2022 de la CESAO, p. 36.
652 Ibid.
170
pouvoir de frapper la monnaie. Il n’a pas accès à la zone C et n’a pas de prérogatives politiques sur celle-ci. […] La marge de manoeuvre budgétaire de l’Autorité palestinienne est restreinte. Une grande partie des recettes de l’Autorité palestinienne (60 à 70 %) provient du système de rétention des recettes douanières, qui consiste à ce que toutes les taxes et recettes dues aux frontières, dans les ports maritimes et par voie aérienne sur les biens et services palestiniens sont perçues par les autorités fiscales israéliennes au nom de l’Autorité palestinienne, en échange d’une redevance administrative de 3 % à Israël653.
2.245 Israël va même jusqu’à suspendre périodiquement le transfert de centaines de millions de dollars de ces recettes fiscales en guise de représailles contre l’Autorité palestinienne654. Plus récemment, cette tactique a été utilisée pour « sanctionner » l’Autorité palestinienne en raison de la demande d’avis consultatif de la Cour formulée par l’Assemblée générale dans le cadre de la présente procédure655.
2.246 Dans ces conditions, l’Autorité palestinienne ne dispose pas d’une « marge de manoeuvre de politique économique pour promouvoir la croissance de l’économie palestinienne656 », par exemple par le biais de dépenses publiques ou de la promotion du commerce et des investissements directs étrangers.
2.247 Deuxièmement, même s’il étouffe activement l’économie palestinienne dans le Territoire palestinien occupé, Israël exploite librement les ressources
653 Équipe de pays des Nations Unies, Leave no one behind: A perspective on vulnerability and structural disadvantage in Palestine [Ne laisser personne de côté. Point de vue sur la vulnérabilité et les désavantages structurels en Palestine] (2016), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/bdfn577d, p. 12.
654 Rapport 2022 de la CESAO, p. 37, 48.
655 « Israël va saisir les recettes fiscales de l’AP et imposer de nouvelles sanctions après les succès d’Abbas aux Nations Unies », Times of Israel (6 janvier 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/4yn58e3r.
656 Rapport 2022 de la CESAO, p. 37.
171
naturelles qui s’y trouvent à son profit et encourage le développement de l’industrie israélienne dans le Territoire palestinien occupé. Le Rapporteur spécial sur le Territoire palestinien occupé a expliqué qu’Israël traite les ressources naturelles du Territoire palestinien occupé comme « un pays souverain utiliserait ses propres avoirs657 ». C’est particulièrement vrai pour l’eau, les hydrocarbures et les minéraux.
2.248 L’eau. Israël contrôle toutes les sources d’eau douce naturelle en Cisjordanie658. Pour exercer ce contrôle, la compagnie nationale israélienne des eaux, Mekorot, « donne la priorité aux colonies de peuplement israéliennes pour veiller à ce qu’elles soient constamment alimentées en eau, [y compris] pendant les sécheresses estivales659 ». En conséquence, les colons juifs israéliens bénéficient d’un accès à l’eau comparable à celui des habitants des pays développés660. En revanche, les communautés palestiniennes de la zone C, que Mekorot dessert également, souffrent de longues pénuries d’eau661.
657 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur l’accès à l’eau et la dégradation de l’environnement, doc. de l’ONU A/HRC/40/73 (30 mai 2019), par. 56.
658 Cet objectif a été atteint grâce à l’ordonnance militaire no 92 de 1967, qui reste en vigueur aujourd’hui. Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/48/43 (15 oct. 2021), par. 18.
659 Ibid, par 32.
660 En moyenne, les Israéliens, y compris ceux qui vivent dans les colonies de peuplement, utilisent 247 litres d’eau par jour et par personne. À titre de comparaison, un Français utilise environ 290 litres d’eau par jour, tandis qu’un Singapourien consomme environ 141 litres par jour. Voir US Centers for Disease Control and Prevention, « Water Use Around the World » [Utilisation de l’eau dans le monde] (dernière mise à jour : 2 janv. 2020), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/46ev2nsv ; Public Utilities Board [Régie des eaux de Singapour], « Singapore Water Story » [L’histoire de l’eau à Singapour] (consulté pour la dernière fois le : 6 juillet 2023), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/2rra4fmd.
661 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur
172
2.249 Dans les zones A et B de la Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne est responsable de l’approvisionnement en eau662, Israël l’empêche de le faire correctement en bloquant les « projets palestiniens visant à développer et à entretenir les infrastructures d’approvisionnement en eau663 ». Pour aggraver la situation, les autorités israéliennes ont détruit et confisqué les infrastructures d’approvisionnement en eau en Cisjordanie et autorisé les colons israéliens à s’emparer des ressources en eau, à les détruire ou à en empêcher l’accès aux Palestiniens664.
2.250 En raison des mesures prises par Israël, les Palestiniens de Cisjordanie font face à des pénuries d’eau chroniques. Le Palestinien moyen en Cisjordanie consomme 73 litres par jour665, ce qui est bien inférieur à la recommandation de 100 litres par jour de l’Organisation mondiale de la santé (« OMS »). Ce chiffre est également au moins quatre fois inférieur à la quantité d’eau que les colons juifs israéliens utilisent chaque jour666. En 2021, le HCDH a indiqué qu’environ 660 000 Palestiniens de Cisjordanie (soit environ 13 % de la population palestinienne totale) avaient un accès limité à l’eau et qu’environ 14 000 n’avaient pas de
l’accès à l’eau et la dégradation de l’environnement, Michael Lynk, doc. de l’ONU A/HRC/40/73 (30 mai 2019), par. 51 ; Amnesty International, « L’occupation israélienne : 50 ans de spoliations » (7 juin 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/yc6nc7sc.
662 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/48/43 (15 oct. 2021), par. 28.
663 Ibid. Voir également ibid, par. 29-30.
664 Ibid. 31, 34.
665 Amnesty International, « L’occupation de l’eau » (29 nov. 2017), consultable à l’adresse https://tinyurl.com/428hpfv8.
666 Ibid.
173
raccordement à un réseau d’alimentation en eau et étaient donc « exposés à un risque élevé de pénurie d’eau667 ».
2.251 Les Palestiniens vivant à Jérusalem-Est sont également confrontés à de sévères restrictions d’accès à l’eau, qui est sous contrôle israélien. Alors que les habitants de certaines parties de la ville sont desservis par le service des eaux israélien, « des maisons et des structures plus anciennes de Jérusalem-Est ne sont raccordées à aucun réseau de distribution d’eau668 ». Le CDH a indiqué que les Palestiniens de Jérusalem-Est avaient accès à environ quatre fois moins d’eau que les colons israéliens de la colonie voisine de Ma’aleh Adumim669.
2.252 Hydrocarbures. Israël empêche également les Palestiniens de développer « des réserves énergétiques situées sur leurs terres et dans leurs eaux côtières » 670. Cela inclut les réserves pétrolières dans la zone C ainsi que le gaz naturel au large de la côte de Gaza. Ces ressources sont estimées à des centaines de milliards de dollars et appartiennent au Peuple palestinien.671
2.253 Toutefois, selon une étude préparée par la CNUCED en 2019, Israël a « intégré de facto [les gisements de gaz naturel de Gaza] … aux installations [offshore] israéliennes », qui sont « liées au corridor de transport énergétique
667 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. de l’ONU A/HRC/48/43 (15 oct. 2021), par. 26.
668 Ibid, par. 41.
669 Ibid, par. 32.
670 Assemblée générale des Nations Unies et ECOSOC, Economic and social repercussions of the Israeli occupation on the living conditions of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and of the Arab population in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/77/90-E/2022/66 (8 juin 2022) (Dossier N° 147), par. 70.
671 Ibid., par. 70 ; ESCWA 2022 Report, p. 46 ; CNUCED, The Economic Costs of the Israeli Occupation for the Palestinian People : The Unrealized Oil and Natural Gas Potential (2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2nhvyfmh, p. 31.
174
d’Israël ».672 Même si Israël a déclaré dans les médias en juin 2023 qu’il approuvait préalablement l’exploitation de certaine réserves de gaz naturel de Gaza par l’Autorité palestinienne, il a indiqué qu'il imposerait des mesures non encore divulguées afin de « préserv[er] la sécurité et les besoins diplomatiques de l’État d’Israël ».673
2.254 En Cisjordanie, Israël extrait du pétrole et du gaz naturel du gisement de Meged, qui chevauche la frontière entre Israël et la Palestine au nord de Jérusalem, même si la plupart de de ses réserves sont « [situées] sous le Territoire palestinien occupé depuis 1967 ».674
2.255 Minéraux. Israël octroie également des permis aux entreprises israéliennes pour extraire et vendre les ressources minérales de la Cisjordanie. En 2015, les sociétés israéliennes ont extrait 17 millions de tonnes de pierre de Cisjordanie, dont 94 % ont été « expédiée[s] en Israël pour être utilisée[s] dans le secteur de la construction ou des infrastructures ».675 Il a également autorisé les sociétés israéliennes à exploiter des minéraux provenant de la côte cisjordanienne de la Mer Morte afin de fabriquer des produits pour les marchés intérieur et d'exportation.676 En 2015, la vente de minéraux de la Mer Morte par Israël s’élevait environ à
672 CNUCED, The Economic Costs of the Israeli Occupation for the Palestinian People : The Unrealized Oil and Natural Gas Potential (2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2nhvyfmh, pp. 22-23.
673 « Israël est favorable à l'exploitation gazière de Gaza Marine, et veut des garanties en matière de sécurité », Reuters (18 juin 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/5n7dzf9s.
674 CNUCED, The Economic Costs of the Israeli Occupation for the Palestinian People : The Unrealized Oil and Natural Gas Potential (2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2nhvyfmh, p. 25.
675 Conseil des droits de l'homme, S. M. Lynk on the human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, with a focus on access to water and environmental degradation, Doc. ONU A/CDH/40/73 (30 mai 2019), par. 57.
676 Ibid., par. 26.
175
3 milliards USD, soit 1 % de son PIB.677 En revanche, il est strictement interdit aux Palestiniens d’exploiter économiquement les ressources de la Mer Morte.678
2.256 En plus de monopoliser les ressources naturelles des TPO, Israël promeut également le développement de l’industrie et de l’agriculture israéliennes dans les TPO. Les entreprises israéliennes se voient proposer des « réductions sur le prix des terrains, des subventions pour le développement de l’infrastructure et un traitement fiscal préférentiel ».679 Dans le même temps, Israël accorde aisément des permis et licences aux entreprises israéliennes exerçant des activités dans ou fournissant des services aux colonies.680 Pour faciliter l’accès au marché de ces entreprises, Israël permet d'étiqueter les produits provenant de la zone C de la Cisjordanie comme étant « fabriqués en Israël »681 et prend des mesures pour empêcher d'autres États de « distinguer les produits fabriqués en Israël de ceux provenant des colonies ».682
2.257 Dans le même temps, les entreprises détenues par la Palestine ne bénéficient pas des mêmes incitations que les entreprises israéliennes situées en Cisjordanie,
677 Rapport ESCWA 2022, p. 46.
678 Ibid. ; Conseil des droits de l'homme, S. M. Lynk on the human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, with a focus on access to water and environmental degradation, Doc. ONU A/CDH/40/73 (30 mai 2019), par. 58.
679 Conseil des droits de l'homme, Database of all business enterprises involved in the activities detailed in paragraph 96 of the report of the independent international fact-finding mission to investigate the implications of the Israeli settlements on the civil, political, economic, social and cultural rights of the Palestinian people throughout the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/37/39 (1er fév. 2018), par. 43.
680 Ibid., par. 44.
681 J. Lis et B. Samuels, « Israël reproche à la Norvège de marquer des produits fabriqués dans les colonies de Cisjordanie », Haaretz (11 juin 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3nsfhe8t.
682 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 36.
176
et sont confrontées à des difficultés plus importantes. Elles se heurtent à des mesures tarifaires très strictes ; à des restrictions en matière d’importation et d’exportation ; ainsi qu'au refus ou à des retards importants dans l’octroi des demandes d’acquisition de terres et de permis de construire.683 Par ailleurs, ces obstacles « ser[ven]t à affaiblir l’économie palestinienne et … à réduire les possibilités des entreprises palestiniennes de prospérer ».684
***
2.258 Dans l’ensemble, les politiques d’Israël en matière d’occupation et d’économie ont eu un impact dévastateur sur l’économie palestinienne. Selon les prévisions de l’ONU, sans un grand nombre des pratiques et politiques discriminatoires appliquées par Israël dans les TPO, le PIB par habitant de la Cisjordanie en 2019 aurait été 44 % supérieur à son PIB réel.685 La Banque Mondiale a indiqué que : « [e]ntre 2017et 2019, la croissance du PIB annuel [de l’économie palestinienne] était en moyenne de 1,3 %, ce qui est inférieur au taux de croissance de la population »,686 qui était d’environ 2,5 %.687 En 2020, le « taux de pauvreté [en Palestine] a atteint 29,7 % », ce qui signifie que 1,5 million de
683 Rapport ESCWA 2022, pp. 36-37, 63. Voir supra par. 2.51 à 2.53.
684 Conseil des droits de l'homme, Database of all business enterprises involved in the activities detailed in paragraph 96 of the report of the independent international fact-finding mission to investigate the implications of the Israeli settlements on the civil, political, economic, social and cultural rights of the Palestinian people throughout the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/37/39 (1er fév. 2018), par. 52.
CNUCED, The Economic Costs of the Israeli Occupation for the Palestinian People : Arrested Development and Poverty in the West Bank (déc. 2021), CNUCED/GDS/APP/2021/2 et CNUCED/GDS/APP/2021/2/Corr.1, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3cu8r8n8.
686 Voir La Banque mondiale, « Situation économique dans les Territoires palestiniens – avril 2022 » (14 avr. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4hmtm9v7.
687 La Banque mondiale, « Croissance de la Population (% annuel) – Cisjordanie et Gaza », disponible à l'adresse https://tinyurl.com/bdhpnyee.
177
Palestiniens vivent dans la pauvreté.688 Israël est à l’origine du « dé-développement »689 de l’économie palestinienne et de sa dépendance totale à Israël. Cette « dépendance forcée … nuit gravement au potentiel d’avoir un État palestinien indépendant et viable ».690
VIII. Suppression des journalistes, de la société civile et des ONG opposées à l’occupation
2.259 Enfin, Israël supprime également systématiquement les formes non violentes de résistance à son encontre en ciblant et entravant le travail des journalistes qui cherchent à documenter ou rendre publique la brutalité de l’occupation (Section A) ; et en réprimant les efforts des défenseurs des droits de l'homme et des ONG en Palestine (Section B).
A. LES ATTAQUES ET ENTRAVES SYSTEMATIQUES A L’ENCONTRE DES JOURNALISTES
2.260 Israël cible de manière bien documentée les journalistes qui tentent de rendre compte de l’occupation. Comme l’a récemment expliqué l’ONG pour la liberté de la presse Reporters Sans Frontières (« RSF ») : « En cas de tensions ou de violence à Jérusalem ou en Cisjordanie, les forces israéliennes ciblent systématiquement les journalistes palestiniens, en les entravant ou en les attaquant afin de les empêcher de filmer ou de prendre des photos. »691 Israël harcèle et intimide les journalistes dans les TPO, notamment, (i) en les soumettant à des
688 Voir La Banque mondiale, « Palestinian Territories’ Economic Update – avril 2022 » (14 avr. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4hmtm9v7.
689 Rapport ESCWA 2022, p. 1.
690 Ibid., p. 2.
691 Voir « Israël doit arrêter de cibler les journalistes palestiniens », RSF (dernière mise à jour : 19 juin 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ycxhsxea.
178
violences ; (ii) en les détenant de façon arbitraire ; et (iii) en limitant leur accès à et dans les TPO.
2.261 Premièrement, les forces israéliennes ont, à plusieurs reprises, eu recours à la violence à l’encontre de journalistes rendant compte des opérations militaires israéliennes et d'autres utilisations de la force à l’encontre des Palestiniens. Depuis 2001, les FDI ont tué au moins 20 journalistes.692 De nombreux autres ont été victimes d’agressions. En 2021 seulement, le Centre palestinien pour le développement et la liberté des médias a répertorié 158 cas de violence à l’encontre de journalistes palestiniens par Israël.693
2.262 L’exemple le plus notoire est le meurtre de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh en mai 2022. Shireen Abu Akleh était une journaliste très respectée et l’un des principaux journalistes d’Al Jazeera dans les TPO pendant plus de 20 ans. Alors qu’elle couvrait une opération militaire des
692 Comité de protection des journalistes, Deadly Pattern : 20 journalists died by Israeli military fire in 22 years. No one has been held accountable (9 mai 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4xtzc6pw, p. 5. Voir également Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/67/372 (14 sept. 2012) (Dossier N° 853), par. 22 (« Les journalistes doivent pouvoir rendre compte des protestations sans que leur sécurité soit menacée et sans faire l’objet d’actes de violence ou d’intimidation. Le HCDH a constitué un dossier sur quatre incidents survenus durant le premier semestre de 2012 au cours desquels des journalistes ou des photographes paraissent avoir été directement pris pour cibles par les FDI ou la police des frontières, notamment avec des balles de caoutchouc, bien qu’il ait été évident qu’il s’agissait de représentants des médias (ils portaient un gilet marqué « PRESSE » et des appareils photo ou du matériel de ce genre). Il est préoccupant de constater que les forces de sécurité israéliennes prennent pour cibles des journalistes et des photographes chargés de couvrir les manifestations organisées en Cisjordanie, y compris Jérusalem. »).
693 Le Centre palestinien pour le développement et la liberté des médias (« MADA »), The Annual Report 2021 : The Media Freedom Violations in Palestine (2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/38na9t6t, p. 11 (enregistrement de 155 cas de violations physiques et de 3 meurtres). Voir également H. Abushkhaidem, « Il n’y a pas que Shireen : Israel a attaqué des journalistes et des salles de rédaction en Palestine », Reuters Institute (6 juillet 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ywz9va4b. Le MADA a également indiqué que « 31 organismes de presse avaient été fermés ou détruits par Israël en 2021, dont 30 lors de la dernière attaque d’Israël sur Gaza en mai 2021 ». Ibid.
179
forces de sécurité israéliennes dans la ville cisjordanienne de Jenin en portant un gilet bleu indiquant le mot « PRESSE », elle a reçu un coup de feu mortel dans la tête.694
Figure 2.37 : Shireen Abu Akleh695
694 A. Sawafta, « Les Palestiniens remettent aux États-Unis la balle qui a tué une journaliste à des fins d’examen », Reuters (2 juillet 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yxpac9rt (« Les images montraient que Shireen Abu Akleh, 51 ans, portait un gilet bleu indiquant clairement le terme « Presse » lorsqu’elle a été abattue. ») ; Forensic Architecture, « Shireen Abu Akleh: l’exécution extrajudiciaire d’une journaliste » (20 sept. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/69u9h9fa (« Shireen et ses collègues étaient clairement identifiables en tant que journalistes lorsqu’on leur a tiré dessus. La reconstruction basée sur la modélisation numérique, la reconstruction physique et l’analyse optique confirme que les journalistes respectaient les protocoles standards d'autoidentification et que leur insigne « PRESSE » en grosses lettres était clairement visible depuis la position du tireur des FOI au moment de la fusillade. Par ailleurs, le rapport d’autopsie a montré que Shireen était éloignée du tireur de telle sorte que son gilet PRESSE aurait dû être facilement lisible. »).
695 Encyclopedia Britannica, « Shireen Abu Akleh » (version en ligne) (dernière mise à jour : 14 juillet 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/e852h4tb.
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2.263 Des investigations indépendantes menées par des experts et des organisations des droits de l’homme, y compris le HCDH,696 l'organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem,697 l'organisation palestinienne des droits de l’homme Al-Haq698 et CNN 699 ont tous attribué ce tir fatal aux forces israéliennes. Un rapport rédigé par Al-Haq indique que : « Shireen et ses collègues étaient clairement identifiables en tant que journalistes par le tireur [des FDI] [qui] [les] a ciblés de façon répétée et délibérée dans l’intention de tuer … Shireen n’a délibérément reçu aucun premiers secours après avoir été touchée … ».700 Pire encore, lors de la procession funèbre, les forces israéliennes ont attaqué les personnes en deuil, « en donnant des coups de pied et en frappant les personnes avec des bâtons, ce qui a fait perdre l'équilibre aux personnes en deuil portant son cercueil qui l'ont fait tomber ».701 Un grand nombre des milliers de personnes rassemblées ont brandi des drapeaux palestiniens, ce qui est une chose rare à Jérusalem-Est occupée, où Israël « interdit les présentations publiques de drapeaux palestiniens et empêche souvent les gens de les brandir lors de rassemblements et
696 Dans une déclaration faite le 24 juin 2022 à Genève, le porte-parole du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme a déclaré : « Toutes les informations que nous avons recueillies… correspondent aux conclusions selon lesquelles les tirs ayant tué Abu Akleh et blessé son collègue Ali Sammoudi provenaient des forces de sécurité israéliennes et non de tirs aveugles provenant de Palestiniens armés, tel que revendiqué initialement par les autorités israéliennes. » Voir HCDH, Press Briefing Notes: Killing of journalist in the occupied Palestinian territory (24 juin 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yc5e2whx.
697 B’Tselem, Tweet (11 mai 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/274e58jb.
698 Forensic Architecture et Al-Haq, Report: Shireen Abu Akleh: The Extrajudicial Killing of a Journalist (4 nov. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/b766fc4m.
699 Z. Saifi et al., « Ils tiraient directement sur les journalistes » : De nouvelles preuves suggèrent que Shireen Abu Akleh a été tuée lors d’une attaque ciblée par les forces israéliennes », CNN (dernière mise à jour : 26 mai 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/m5mchkt6.
700 Forensic Architecture, Video Report: Shireen Abu Akleh: The Extrajudicial Killing of a Journalist, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/69u9h9fa, de 10:00 à 10:41 ; « RSF appuie la demande d’enquête par la CPI émanant de la famille de Shireen Abu Akleh », RSF (21 sept. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yc278wn9.
701 S. Taha, « La police israélienne attaque une procession funèbre pour la journaliste Shireen Abu Aqleh abattue », The Guardian (13 mai 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/38fh4npj.
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de manifestations dans la ville ».702 Une vidéo faite ce jour-là montre un fonctionnaire israélien avertissant les personnes en deuil : « Si vous n’arrêtez pas ces chants et chansons [palestiniennes] nationalistes, nous devrons vous disperser en ayant recours à la force et les funérailles ne pourront pas avoir lieu ».703
2.264 Par ailleurs, Israël n’a mené aucune investigation effective ou significative sur cet incident. Plus d'un an après le meurtre, personne n'a été tenu responsable.704 Au contraire, le 7 septembre 2022, le Premier ministre israélien Yair Lapid a déclaré être opposé à poursuivre le soldat qui a abattu Shireen Abu Akleh, en déclarant : « Je n’autoriserai pas de poursuivre un soldat qui se protégeait contre des tirs terroristes, uniquement pour être félicité par l’étranger. » 705
2.265 Le meurtre de Shireen Abu Akleh est loin d’être le seul exemple récent de violence exercée par Israël à l’encontre de membres de la presse. Pendant le seul mois de mars 2018, les FDI ont tiré sur 20 journalistes couvrant la Grande marche du retour à Gaza, et tué deux d’entre eux.706 La Section B, supra, a raconté l’histoire de Youssef Kronz, un étudiant journaliste, qui a reçu deux tirs immédiatement consécutives dans les jambes. Youssef Kronz « portait un gilet bleu sur lequel figurait la mention « Presse », et photographiait les manifestations à environ 800 mètres de la barrière de séparation ».707 Il a dû être amputé de la jambe droite.
702 Ibid.
703 Ibid.
704 Voir « Israël doit mener une investigation complète et transparente concernant le meurtre de Shireen Abu Akleh », RSF (6 sept. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2ynts9mn.
705 Ibid.
706 « RSF demande à la CPI de mener une enquête sur les tirs de snipers israéliens sur les journalistes palestiniens », RSF (15 mai 2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ar5th6yk.
707 Conseil des droits de l'homme, Report of the independent international commission of inquiry on the protests in the Occupied Palestinian Territory, Doc. ONU A/CDH/40/74 (6 mars 2019), par. 44(a).
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2.266 Israël a également bombardé les bureaux de journalistes et détruit leur équipement. Par exemple, en mai 2021, des frappes aériennes israéliennes ont ciblé et détruit un bâtiment à Gaza abritant les bureaux de 23 médias palestiniens et internationaux, y compris l’Associated Press et Al Jazeera.708 Même si Israël a tenté de justifier cette attaque par la suite en prétendant qu'il y avait des cibles militaires légitimes dans le bâtiment, l'organisation Human Rights Watch a indiqué qu’elle « ne fournissait aucune preuve étayant [ses] allégations ».709 Des attaques de ce genre sont l’une des raisons pour lesquelles plusieurs Rapporteurs spéciaux de l’ONU ont demandé à la CPI d’examiner la campagne miliaire d’Israël en 2021 à Gaza.710
708 « RSF demande au procureur de la CPI d’indiquer si les frappes israéliennes des médias à Gaza constituent des crimes de guerre », RSF (16 mai 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/24ks9cxe.
709 « Gaza : les frappes aériennes d’Israël en mai sont en forte augmentation », Human Rights Watch (23 août 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2bp3zsa2.
710 HCDH, Press Release : Gaza-Israël : UN experts welcome ceasefire, call for CPI probe (21 mai 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2umhx9db.
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Figure 2.38 : Le bâtiment abritant les bureaux de l’Associated Press et d’autres médias dans la ville de Gaza s’effondre après avoir été frappé par un bombardement israélien, 15 mai 2021711
2.267 Deuxièmement, Israël prive souvent les journalistes palestiniens opérant dans les TPO de leur liberté. Entre 2020 et mi-2022, Israël a arrêté ou poursuivi administrativement au moins 26 journalistes palestiniens en Cisjordanie.712 Les 711 J. Federman, « » Choquant et terrible ” : Israël détruit les bureaux de l’AP à Gaza », Associated Press (15 mai 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rs6vkrx.
712 Y. Abraham, « Israël accuse des journalistes palestiniens d’incitation, pour avoir fait leur travail », The Intercept (5 avr. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/vvbnkbwa. Voir également Conseil des droits de l'homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, with a focus on the legal status of the settlements, Doc. ONU A/CDH/47/57 (29 juillet 2021), par. 19 (indiquant que, en mai et juin 2021, les forces de sécurité israéliennes ont également arrêté plusieurs activistes et journalistes couvrant les manifestations dans le calme qui ont eu lieu à Sheikh Jarrah en réaction au déplacement forcé des Palestiniens) ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/76/433 (22 oct. 2021), par. 9 (« [d]es journalistes palestiniens qui rendent compte des violations des droits humains dans le Territoire palestinien occupé ont fait l’objet d’actes de harcèlemen t et de violence ayant pour but de les intimider et d’empêcher que les manifestations
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rares fois où des chefs d’inculpation sont retenus, ils le sont souvent pour l’infraction vague d’ « incitation ».713 Cela fut le cas concernant Hazem Nasser, dont l'expérience illustre l’utilisation par Israël de l’arrestation et de la détention en tant que tactique d’intimidation.
2.268 Nasser est journaliste pour le réseau de télévision palestinien Falastin Al-Ghad. Le 10 mai 2021, il a filmé une rencontre entre des manifestants palestiniens et les FDI en Cisjordanie. En rentrant chez lui, il a été arrêté par des soldats israéliens au poste de contrôle de Huwara et interrogé. Voici ce dont il se souvient :
toutes les questions concernaient mon travail de journaliste … Ils ont mis des photos de mes rapports vidéo sur la table, y compris les funérailles d’un Palestinien mort, de personnes rassemblées pour une manifestation, d’un groupe honorant un « shaheed » (martyre) et d’une marche avec des drapeaux du Hamas. La personne qui m’interrogeait m’a dit que je ne pouvais pas photographier ce genre de choses, car cela constituait une incitation. Je lui ai dit que j’étais journaliste et que c'était mon travail de montrer des images de ce qui se passait, et que les services d’information israéliens faisaient la même chose. Il m’a demandé d'arrêter en hurlant.714
pacifiques palestiniennes reçoivent une couverture médiatique. Le 27 août 2021, les forces de sécurité israéliennes ont arrêté sept journalistes palestiniens qui couvraient une manifestation pacifique contre l’établissement de nouveaux avant-postes de colonies et contre la violence des colons dans les collines du sud d’Hébron. Les journalistes ont été arrêtés et leur matériel a été confisqué alors qu’ils regagnaient leurs voitures peu après la fin de la manifestation, bien qu’ils se soient identifiés comme journalistes auprès des soldats. Ils ont été menottés, laissés assis sous le soleil brûlant pendant une heure, puis emmenés au poste de police de Qiryat Arba’ où ils ont été interrogés. Deux d’entre eux ont affirmé avoir été agressés et battus par les soldats lors de l’arrestation. »).
713 Y. Abraham, « Israël accuse des journalistes palestiniens d’incitation, pour avoir fait leur travail », The Intercept (5 avr. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/vvbnkbwa ; « Palestine : la cour israélienne prolonge la détention de la journaliste palestinienne Lama Ghosheh », Middle East Eye (8 sept. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/5hkehzk5.
714 Y. Abraham, « Israël accuse des journalistes palestiniens d’incitation, pour avoir fait leur travail », The Intercept (5 avr. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3j7e28z4.
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2.269 Nasser a ensuite fait l'objet de poursuites devant une cour militaire pour incitation. Il a choisi de plaider coupable « pour être libéré ».715 Une semaine avant sa libération prévue, Nasser a appris qu'une ordonnance de détention administrative avait été émise à son encontre, en vertu de laquelle il a été détenu pendant cinq mois supplémentaires.716 Nasser a été libéré mais ne publie que peu de choses aujourd’hui. Comme de nombreux journalistes palestiniens, il vit dans la crainte constante de représailles et s’autocensure.717
2.270 Des incidents similaires ont incité RSF à « condamner[] l’abus de la détention administrative par Israël afin de harceler des journalistes palestiniens ».718 La Fédération internationale des journalistes a également « demand[é] aux autorités israéliennes d’enquêter sur chaque incident afin de s'assurer que tous les journalistes puissent faire leur travail sans être ciblés ou harcelés ».719 En mai 2021, 13 journalistes faisaient l'objet d'une détention administrative.720
2.271 Troisièmement, Israël limite l’accès des journalistes à des parties des TPO ainsi que leur liberté de mouvement sur le territoire. Il est fréquent que les journalistes ne tentent même pas d'obtenir un permis de circuler pour entrer à Gaza, « étant donné que les procédures sont longues et complexes et se terminent
715 Ibid.
716 Ibid.
717 Ibid.
718 RSF, « Israël détient aujourd’hui 13 journalistes palestiniens » (28 mai 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mr25b6u5.
719 IFJ, « Israël : des journalistes palestiniens israéliens harcelés et attaqués » (27 mai 202), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/y6r7phva.
720 RSF, « Israël détient aujourd’hui 13 journalistes palestiniens » (28 mai 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mr25b6u5.
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généralement par un refus ».721 En Cisjordanie, les journalistes sont soumis à des interdictions de voyager, en signe de représailles pour leurs reportages. Comme l’indique un observateur euro-méditerranéen des droits de l'homme, Israël a interdit aux « journalistes de pénétrer dans certaines zones et quartiers dans les territoires palestiniens afin de les empêcher de couvrir les événements qui ont lieu là-bas ».722 Dans d'autres cas, des journalistes ont été empêchés de se rendre à l’étranger et de rentrer chez eux dans les TPO depuis l’étranger, également en signe de représailles pour le contenu de leurs reportages.723
2.272 La suppression de journalistes par Israël a pour but d’occulter la réalité sur le terrain et d’entretenir le climat d’impunité. Comme l'a déclaré Christophe Deloire, Secrétaire général de RSF : « En détruisant volontairement les organes de presse, les Forces de défense israéliennes infligent des dommages matériels inacceptables aux services d'information » mais elles « entravent également, et plus largement, la couverture par les médias d’un conflit affectant directement la population civile ».724
B. REPRESSION DE LA SOCIETE CIVILE ET DE LA DISSIDENCE POLITIQUE
2.273 Israël a également recours à des tactiques répressives pour saper la société civile et mettre fin à la dissidence politique dans les TPO. Selon Amnesty
721 Observateur euro-méditerranéen des droits de l'homme, Punishing Journalists : Israel's restrictions on freedom of movement and travel against Palestinian journalists (29 nov. 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/6x2j6k75, p. 10.
722 Ibid.
723 Ibid., pp. 3 et 4.
724 « RSF demande au procureur de la CPI d’indiquer si les frappes israéliennes des médias à Gaza constituent des crimes de guerre », RSF (16 mai 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/24ks9cxe.
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International, ce « mode de harcèlement » des ONG et des défenseurs des droits de l‘homme « vise à nuire à leur travail vital ».725
2.274 Premièrement, comme avec les journalistes, il existe une « politique israélienne délibérée visant à détenir des individus, y compris des prisonniers de conscience détenus uniquement pour exercer leurs droits de liberté d’expression et d’association et punir leurs points de vue et leur militantisme remettant en cause les politiques d’occupation ».726 Par exemple, suite à sa participation à une manifestation pacifique le 8 janvier 2021, Sami Huraini, un militant palestinien réputé pour sa résistance non violente contre les colonies de Juifs israéliens en Cisjordanie, a été poursuivi pour « avoir prétendument entravé et attaqué un soldat et pénétré dans une zone militaire fermée ».727 Quatre Rapporteurs spéciaux de l’ONU ont dénoncé son inculpation, en déclarant que cela « indiqu[ait] clairement une aggravation de la tendance à la criminalisation et au harcèlement par Israël des défenseurs des droits de l’homme, visant à les faire taire et à supprimer le travail lié aux droits de l'homme dans la région ».728
2.275 Deuxièmement, Israël harcèle et entrave le travail des organisations palestiniennes des droits de l'homme. Par exemple, il est fréquent que les autorités israéliennes perquisitionnent les bureaux des organisations des droits de
725 Amnesty International, Press Release : Israel must stop attacks on Palestinian NGOs and human rights defenders (11 déc. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ytnw2a3h.
726 Amnesty International, Urgent Action : Palestinian Lawyer in Arbitrary Detention (15 mars 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2ja6ddzf, p. 2.
727 HCDH, Press Release : Israel : Criminalisation and harassment of human rights defenders in Masafer Yatta must end, say UN experts (2 août 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2p8843ht.
728 Ibid. Les quatre Rapporteurs spéciaux sont : Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme sur le Territoire occupé palestinien depuis 1967 ; Balakrishnan Rajagopal, Rapporteur spécial sur le droit à un logement adéquat ; Cecilia Jimenez-Damary, Rapporteuse spéciale sur les droits de l'homme des personnes déplacées à l'intérieur ; Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme.
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l'homme.729 Israël a piraté les dispositifs électroniques des défenseurs des droits de l'homme.730 Et en 2021, il a désigné six organisations palestiniennes importantes des droits de l'homme et de la société civile731 (réputées pour leur travail auprès des femmes, des jeunes filles, des enfants, des familles à faible revenu, des prisonniers et des militants de la société civile en Palestine, qui fournissent des services directs et surveillent les atteintes aux droits de l'homme par les autorités israéliennes732–en tant qu’« organisations terroristes », afin de les empêcher d’opérer dans les TPO et de recevoir un financement.733 Israël a affirmé que ces organisations « agissaient sous le couvert d’organisations de la société civile, mais en pratique, appartenaient à et constituaient une extension du [Front populaire de
729 Voir, p. ex., « Les forces d'occupation perquisitionnent les bureaux du Bisan Center for Research and Development », Bisan (29 juillet 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/hab5ha4k ; Amnesty International, Press Release : Israel ramps up assault on civil society with chilling raid on Palestinian NGO Addameer (19 sept. 2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/5d3fjnek ; Adalah, Press Release : Adalah : Israëli army raid on Palestinian NGO’s office is direct attack on human rights » (19 sept. 2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/22vbx7f2 ; HCDH, Press Release : UN experts condemn raid on West Bank NGO, urge Israel meaningfully probe child deaths (13 août 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2n7bmtpt ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 60.
730 Voir Front Line Defenders, Six Palestinian human rights defenders hacked with NSO Group’s Pegasus Spyware (8 nov. 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/rsfnyuks ; Amnesty International, Devices of Palestinian Human Rights Defenders Hacked with NSO Group’s Pegasus Spyware (8 nov. 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yc5nssur ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 60.
731 Ces organisations sont Addameer, Al-Haq, Défense des Enfants International - Palestine, l’Union des comités du travail agricole, le Bisan Center for Research and Development, et l’Union of Palestinian Women Committees.
732 Assemblée générale des Nations Unies, Meeting Coverage : Outraged over Israel’s Designation of Six Civil Society Groups as Terrorists, Speakers Tell Palestinian Rights Committee Harassment against Human Rights Defenders Must End, Doc. ONU GA/PAL/1443 (7 déc. 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/8umw9tnb ; « les législateurs américains dénoncent l’exclusion des ONG palestiniennes par Israël », Al Jazeera (18 juillet 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yc8a83me.
733 « Israël/TPO : il faut cesser d’entraver les organisations palestiniennes de la société civile », Amnesty International (18 août 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2wpaf49s.
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libération de la Palestine] »734, un groupe désigné comme étant une organisation terroriste par les États-Unis,735 mais n'a pas justifié cette revendication. Comme l’a observé le HCDH, « [s]ans preuve concrète adéquate, ces décisions semblent être arbitraires, et réduisent davantage l'espace civique et humanitaire dans le Territoire palestinien occupé ».736
2.276 Troisièmement, et en corollaire, Israël prend des mesures punitives à l’encontre des personnalités palestiniennes qui s’opposent à l’occupation, dans le cadre de son « effort de suppression des processus politiques palestiniens ».737 Par exemple, Israël détient systématiquement pour des motifs arbitraires des leaders politiques palestiniens, y compris des représentants, des ministres et des maires élus.738 En juillet 2023, quatre membres du Conseil législatif palestinien étaient
734 A. Boxerman, « Le terme de « terreur » utilisé par Israël pour désigner les ONG palestiniennes déclenche un tollé en matière de renseignements », Times of Israël (22 oct. 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yrdj3z8h.
735 Ministère des Affaires étrangères des États-Unis, « Organisations terroristes étrangères » (dernière consultation : 18 juillet 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4k8dw4wj.
736 Assemblée générale des Nations Unies, Meeting Coverage : Outraged over Israel’s Designation of Six Civil Society Groups as Terrorists, Speakers Tell Palestinian Rights Committee Harassment against Human Rights Defenders Must End, Doc. ONU GA/PAL/1443 (7 déc. 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/8umw9tnb. De même, neuf États membres de l’UE ont publié une déclaration affirmant qu’« Israël n’avait reçu aucune information importante qui justifierait de réviser notre politique à l’égard des six ONG palestiniennes sur la base de la décision d’Israël de désigner ces ONG en tant qu’ ‘organisations terroristes’ ». Voir également HCDH, Press Release : Israel/Palestine : UN experts call on governments to resume funding for six Palestinian CSOs designated by Israel as ‘terrorist organisations’ (25 avr. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3tf3r645.
737 Addameer, « Arrestation de membres du Conseil législatif » (nov. 2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/bdkmj4a6. Voir également Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 56, 61 à 62.
738 Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 59 ; Addameer, « Fiche de détention administrative 2022 (20 janv. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3ywm7mt5.
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détenus en Cisjordanie.739 Il a également commis des exécutions sommaires de militants palestiniens, tel que documenté par Al-Haq, l’organisation palestinienne des droits de l'homme.740 Par ailleurs, comme l'indique la Rapporteuse spéciale des TPO, depuis 2002, Israël a développé un schéma de déportation de personnes de Gaza « accusées d’être des chefs de file de la résistance, telles que des fonctionnaires, des chefs et des militants religieux, des avocats, des journalistes et des étudiants engagés dans des activités politiques ».741 Des menaces de mesures punitives sont proférées même à l’encontre de membres de la Knesset. Par exemple, en 2018, « [un] ministre de premier plan du parti Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu … a déclaré que [des membres de la Knesset] arabes souhaitant prétendument la condamnation d’Israël par les Nations Unies en raison de l'adoption de la loi État-nation controversée le mois dernier devraient être jugés pour trahison ».742
2.277 Quatrièmement, Israël refuse aux militants des droits de l'homme d’entrer dans les TPO. Notamment, il a refusé d'autoriser aux employés de Human Rights Watch d’entrer dans Gaza depuis 2008743 et, en 2019, expulsé le directeur pour
739 Addameer, « Statistiques » (dernière mise à jour : 11 juillet 2023)), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ydwuxe95.
740 Al-Haq, Wilful Killing : The Assassination of Palestiniens in the Occupied Palestinian Territories by the Israëli Security Forces (fév. 2001), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/bp96rm8w.
741 Assemblée générale des Nations Unies, Report of Rapporteur spécial F. Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 59.
742 M. Bachner, « Le Ministre demande la condamnation des membres de la Knesset arabes « traitres » qui demandent la condamnation d’Israël par l’ONU », Times of Israël (27 août 2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/5n84nfzx.
743 « Gaza : crimes de guerre manifestes pendant les combats du mois de mai », Human Rights Watch (27 juillet 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/356pcrty (« Le 30 mai, Human Rights Watch a demandé des permis autorisant l’entrée des chercheurs principaux de Human Rights Watch à Gaza pour mener d'autres investigations sur les hostilités, mais le 26 juillet, les autorités israéliennes ont rejeté cette demande. Depuis 2008, les autorités israéliennes ont refusé l’accès à Gaza aux employés internationaux de Human Rights Watch, à l’exception d'une visite en 2016. Les
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Israël et la Palestine de l’organisation.744 De même, Israël a refusé l'accès aux Rapporteurs spéciaux consécutifs de l’ONU dans les TPO.745 En 2017, dans la continuité de cette politique, Israël a adopté une loi anti-boycott permettant aux autorités de refuser l’entrée en Israël de personnes soutenant le boycott d’Israël et les colonies de Juifs israéliens dans les TPO.746 En 2019, au moins 14 personnes se sont vues refuser l’entrée sur la base de cette loi, y compris des politiciens américains et français, des parlementaires de l’Union européenne, et des militants internationaux des droits de l'homme.747
2.278 Enfin, Israël prend des mesures de représailles contre les tentatives des Palestiniens d'obtenir justice devant les cours et tribunaux internationaux, y compris la présente Cour. En janvier 2023, le cabinet de sécurité d’Israël a approuvé une série de sanctions contre l’Autorité palestinienne en réaction à l’adoption de la présente demande d’Avis consultatif lors de l’Assemblée générale.748 Les mesures approuvées incluent la saisie des recettes fiscales par
alliés d’Israël doivent insister pour obtenir l’accès à Gaza des organisations des droits de l'homme afin qu’elles enquêtent sur et documentent les atteintes aux droits de l'homme. »).
744 « Israël expulse le directeur de Human Rights Watch aujourd’hui », Human Rights Watch (25 nov. 2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4z37ccvy.
745 Voir HCDH, Press Release : Occupied Palestinian Territory : UN human rights expert says Israel bent on further annexation (12 juillet 2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mr4bzyre ; HCDH, « Un Rapporteur spécial dans le Territoire palestinien occupé démissionne en raison du manque continu d’accès aux TPO » (4 janv. 2016), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ye25wxhb.
746 Israël, Amendment N° 28 to the Entry Into Israel Law (N° 5712-1952) (6 mars 2017). Voir également O. Liebermann, « Interdiction de voyager en Israël : les partisans du boycott supporters doivent être renvoyés chez eux », CNN (7 mars 2017), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/yc83cbdm.
747 N. Chokshi, « La loi anti-boycott utilisée par Israël pour interdire Omar et Tlaib », New York Times (15 août 2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4z58szsz.
748 « Israël va retenir les recettes fiscales de Palestine, et imposer d'autres sanctions après le succès d’Abbas à l’ONU », Times of Israël (6 janv. 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
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Israël au nom de l’Autorité palestinienne et le gel de la construction palestinienne déjà fortement limitée dans la majeure partie de la Cisjordanie.749
749 Ibid.
193
CHAPITRE 3 LA CONDUITE DE L’OCCUPATION COLON-COLONIE PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN VIOLE SES OBLIGATIONS EN VERTU DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES, DU DROIT INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS DE L'HOMME, DU DROIT HUMANITAIRE INTERNATIONAL ET DE L’INTERDICTION DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE
3.1 Les politiques et pratiques précédentes utilisées par Israël dans le cadre de son occupation colon-colonies des TPO inclut de nombreuses violations discrètes du droit international. Ce Chapitre met en évidence quatre catégories principales : la violation par Israël de la Charte des Nations Unies en raison de l’annexion illégale de Jérusalem-Est et de la zone C de la Cisjordanie (Section I), son omission totale de se conformer à ses obligations en vertu du DIDH (Section II), sa violation persistante des normes de base du DIH (Section III), et la commission de crimes contre l’humanité (Section IV).
I. Israël a annexé illégalement Jérusalem-Est et la zone C de la Cisjordanie
3.2 L’Article 2(4) de la Charte des Nations Unies stipule dans la partie concernée que les États « doivent s’abst[enir] dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État ».750 L’Assemblée générale de l’ONU, dans sa Déclaration relative aux principes du droit international de 1970 concernant les Relations d'amitié et de coopération entre les États, a déclaré : « Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l'emploi de la force ne sera reconnue comme légale. »751 Le Conseil de sécurité de l’ONU a également reconnu
750 Charte des Nations Unies (ci-après dénommée « Charte des Nations Unies »), art. 2(4).
751 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2625 (XXV), Declaration on Principles of International Law concerning Friendly Relations and Co-operation among States in accordance
194
« l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre ».752 Dans l’Avis consultatif sur le Mur, la Cour a indiqué clairement que la règle établissant « l’illégalité de l’acquisition territoriale résultant de menaces ou de l'usage de la force » avait le statut de droit international coutumier.753
3.3 Comme, par définition, une occupation découle de l’usage de la force, l’annexion de toute partie des TPO viole le droit international. En effet, l’annexion de territoire occupé est contraire à l'un des « principes fondateurs des lois sur l’occupation, qui stipule que le mandat de la puissance occupante est intrinsèquement temporaire ».754
3.4 L’annexion de territoire occupé est également illégale car elle constitue une violation flagrante du droit d’autodétermination du peuple dont le territoire est occupé. La Charte des Nations Unies établit la nature fondamentale du droit d’« autodétermination des peuples »,755 auquel, selon une déclaration de l’Assemblée générale « [t]ous les peuples ont […] droit ».756 Dans l'affaire du Timor oriental, la Cour a reconnu que la notion selon laquelle « le droit des peuples
with the Charter of the United Nations, Doc. ONU A/RES/2625(XXV) (24 oct. 1970) (ci-après dénommée « Assemblée générale des Nations Unies Rés. 2625 (XXV) »).
752 Voir, p. ex., CSNU, Résolution 242, The Situation in the Middle East, Doc. ONU S/RES/242(1967) (22 nov. 1967) (Dossier N° 1245) (ci-après dénommée « CSNU Rés. 242 (1967) ») ; CSNU, Résolution 2334, The Situation in the Middle East, Doc. ONU S/RES/2334 (2016) (23 déc. 2016) (Dossier N° 1372) (ci-après dénommée « CSNU Rés. 2334 (2016) ») (« l’acquisition de territoire par la force [est inadmissible] »).
753 Avis consultatif sur le Mur, par. 87.
754 E. Benvenisti, THE INTERNATIONAL LAW OF OCCUPATION (2e Éd., OUP, 2012), p. 6.
755 Charte des Nations Unies, art. 1(2).
756 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 1514 (XV), Declaration on the granting of independence to colonial countries and peoples, Doc. ONU A/RES/1514(XV) (14 déc. 1960) (Dossier N° 55) (ci-après dénommée « Déclaration coloniale (14 déc. 1960) »).
195
à disposer d’eux-mêmes … est un droit opposable erga omnes ».757 Par la suite, la Commission du droit international (« CDI ») a observé que « le droit d’autodétermination » était l’une des « normes impératives qui sont clairement acceptées et reconnues ».758
3.5 L'interdiction de l’annexion de territoire occupé s'applique aux annexions de jure mais aussi aux annexions de facto ; c.-à-d., celles réalisées en « établissant des “faits sur le terrain” qui sont destinés à être irréversibles et permanents mais qui sont accomplis de manière à éviter toute déclaration formelle » d’annexion.759 Dans l’Avis consultatif sur le Mur, la Cour a reconnu la possibilité qu’il puisse exister des situations qui « équiv[audraient] à une annexion de facto ».760 Michael Lynk, l'ancien Rapporteur spécial des TPO, a expliqué que « pour que l'interdiction des annexions …. ne peut être logique et efficace que si le droit international garantit l’interdiction totale des annexions au regard des mesures progressives mais néanmoins concrètes que prennent certains États en violation du droit international humanitaire afin d’ouvrir la voie à une future revendication de souveraineté sur un territoire conquis, occupé ou les deux ».761
757 Case Concerning East Timor (Portugal v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 90 (ci-après dénommée « Jugement sur le Timor oriental »), par. 29. Voir également l’Avis consultatif sur le Mur, par. 156.
758 CDI, Draft Articles on Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts, with commentaries, dans l’Annuaire DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2001 (Vol. II, Pt. 2), Commentaire à l’Article 26, par. 5.
759 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 13. Voir également Avis consultatif sur le Mur, par. 121.
760 Avis consultatif sur le Mur, par. 121.
761 Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 30.
196
A. L’ANNEXION DE JURE PAR ISRAËL DE JERUSALEM-EST VIOLE LE DROIT INTERNATIONAL
3.6 Israël a annexé Jérusalem-Est de jure par le biais, inter alia, des mesures suivantes :
 En juin 1967, il a émis une Ordonnance juridique et administrative (N° 11), étendant « le droit, la compétence et l’administration » d’Israël au territoire de Jérusalem-Est et la « Déclaration de Jérusalem » étendant les frontières municipales de Jérusalem à ce territoire.762
 En 1980, la Knesset a adopté la « Loi fondamentale : Jérusalem, Capital d’Israël », stipulant que « [l]a Jérusalem complète et unie était la capitale d’Israël ».763 Lors de l’interprétation de cette disposition en 1993, la Cour suprême israélienne a conclu que, en plus des mesures de 1967, elle « établissait la souveraineté de l’État d'Israël sur la ville de Jérusalem entière et unie, en tant que capitale d’Israël ».764
 En 2000, la Knesset a modifié la Loi fondamentale : Jérusalem, la Capitale d’Israël doit clarifier davantage la revendication d’Israël concernant la souveraineté sur Jérusalem. Elle stipule que « les limites de Jérusalem incluent, aux fins de cette Loi fondamentale, l’ensemble de la zone décrite dans l’addendum à la déclaration d’expansion des limites de la municipalité de Jérusalem » de 1967.765
762 R. Levush, « Israël : aspects légaux de la cession du Territoire israélien », THE LAW LIBRARY OF CONGRESS (oct. 2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mr3stwy4, pp. 2, 4 et 5.
763 Israël, Basic Law : Jerusalem, Capital of Israel (1980), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2b7ztwtv, art. 1.
764 M. Elon et al., Temply Mount Faithful – Amutah Et Al v. Attorney-General, Inspecteur général de la police, maire de Jérusalem, Ministre de l’Éducation et de la Culture, Directeur de la Division des antiquités, WAQF musulman – Devant la Cour suprême siégeant en tant que Haute cour de justice [23 septembre, 1993] », 45(3) Examen du droit de l’Université catholique 866 (1996), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4etvmmud, par. 34.
765 Israël, Basic Law : Jerusalem, Capital of Israel (1980), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2b7ztwtv, art. 5.
197
3.7 Comme le droit international interdit l’annexion d'un territoire occupé, l’annexion par Israël de la ville de Jérusalem-Est occupée est internationalement illicite et sans effet juridique.
3.8 L’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité des Nations Unies l'ont reconnu à plusieurs reprises. Au lieu de cela, dès 1967, l’Assemblée générale des Nations Unies a émis la Résolution 2253 (ES-V), qualifiant les mesures d'annexion de Jérusalem de « non valides » et « [d]emand[ant] à Israël de les rapporter [annuler] ».766 De même, le Conseil de sécurité a estimé que les mesures prises par Israël en 1967 étaient « non valides » et a demandé à Israël de s'abstenir de prendre d'autres mesures ayant « tend[ance] à modifier le statut de Jérusalem ».767 Les deux organismes ont émis des déclarations similaires les années suivantes.768
B. L’ANNEXION DE FACTO PAR ISRAËL DE LA ZONE C DE LA CISJORDANIE VIOLE LE DROIT INTERNATIONAL
3.9 Dans l’Avis consultatif sur le Mur, la Cour a émis un avertissement selon lequel l’établissement de colonies de Juifs israéliens en Cisjordanie, associé à la construction d’un mur barrière en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et son régime
766 Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2253 (ES-V), Measures taken by Israel to change the status of the city of Jerusalem, Doc. ONU A/RES/2253(ES-V) (4 juillet 1967) (Dossier N° 1200).
767 CSNU, Résolution 252 (1968), On the Status of Jerusalem, Doc. ONU S/RES/252 (1968) (21 mai 1968) (Dossier N° 1247).
768 Voir, p. ex., CSNU, Résolution 478 (1980), On the Status of Jérusalem, Doc. ONU S/RES/478 (1980) (20 août 1980) (Dossier N° 1274) (ci-après dénommée « CSNU Rés. 478 (1980) »), par. 3 ; CSNU Rés. 2334 (2016), Préambule ; ibid., par. 2, 3 ; Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 36/120, Question of Palestine, Doc. ONU A/RES/36/120 (10 déc. 1981) (Dossier N° 389), Partie D, par. 6 ; ibid., Partie E, par. 1 ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/RES/77/126 (12 Déc. 2022) (Dossier N° 36) (ci-après dénommée « Assemblée générale des Nations Unies Rés. 77/126 »).
198
associé,769 pouvait « [être équivalent] à une annexion de facto ».770 Indépendamment du fait de savoir si les actions d’Israël aient été équivalentes à une annexion de facto à l’époque, elles le sont incontestablement aujourd’hui. Depuis les près de 20 années qui se sont écoulées depuis 2004, Israël a créé d'autres « faits irréversibles sur le terrain »771 prouvant son annexion de facto de la zone C de Cisjordanie contrevenant au droit international, ainsi que son intention d'annexer par la suite l’ensemble de la Cisjordanie, à l’exception de Jérusalem-Est.
3.10 Michael Lynk, l’ancien Rapporteur spécial des TPO a proposé quatre indices permettant de déterminer si les faits sur le terrain ont donné lieu à une annexion de facto.772 La commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël ont approuvé ce test.773 Les quatre indices sont les suivants :
1. le fait de savoir si l’État « contrôle effecti[vement] le territoire occupé » ;774
769 Ce « régime associé » désigne l’établissement de la partie de la Cisjordanie située entre la Ligne verte et le Mur en tant que « Zone fermée ». Avis consultatif sur le Mur, par. 85.
770 Avis consultatif sur le Mur, par. 121. Voir également Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 29.
771 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 75.
772 Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 30 et 31.
773 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 13, note 9. Voir également O. Dajani, « Israel’s Creeping Annexation », 111 AMERICAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 51 (2017), pp. 52 à 53.
774 Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 31.
199
2. le fait de savoir si l’État a adopté « des mesures … confortant sa présence permanente et sa revendication de souveraineté sur tout ou partie du territoire [occupé] » ;775
3. le fait de savoir si les responsables politiques ou institutions de l’État ont exprimé l’intention d’une « annexion permanente du territoire occupé, en partie ou en totalité » ; 776 et
4. le fait de savoir si l’État a refusé d'appliquer le droit international, y compris les lois régissant l’occupation, ou de s’y conformer, dans le territoire occupé.777
3.11 Les politiques et pratiques d’Israël dans la zone C de la Cisjordanie satisfont tous ces critères. Par conséquent, il a annexé illégalement la zone C de facto. Il a également prouvé son intention d’annexer la totalité de la Cisjordanie.
3.12 Premièrement, Israël maintient manifestement un contrôle effectif sur la zone C de la Cisjordanie. Selon les modalités des Accords d’Oslo et en réalité, Israël exerce des fonctions administratives et de sécurité exclusives sur la zone C, laquelle comprend plus de 60 % de la Cisjordanie.778
3.13 Deuxièmement, les politiques et pratiques d’Israël dans la zone C de la Cisjordanie sont conformes à un caractère permanent et à une revendication de souveraineté sur le territoire.
3.14 Au niveau le plus fondamental, Israël a clairement démontré le caractère permanent de son occupation et sa revendication de souveraineté effective de la
775 Ibid.
776 Ibid.
777 Voir ibid.
778 Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 51.
200
zone C de Cisjordanie en maintenant cette occupation du territoire pendant plus de 55 ans – soit l’une des occupations miliaires les plus longues de l’histoire moderne779 – en dépit de demandes répétées de la communauté internationale d’y mettre fin.780
3.15 L'autorisation et la facilitation par Israël de l’expansion des colonies dans la Zone C, en dépit que fait que la Cour ait prononcé clairement que cela était illégal en vertu du droit international, constitue une preuve du caractère permanent et d’une revendication de souveraineté. Comme l’a indiqué l’ancien Rapporteur spécial des TPO, « l’objectif politique de la colonisation israélienne a toujours visé à établir sur le terrain une situation de souveraineté irréversible ».781
3.16 Les mesures spécifiques prises par Israël pour établir et maintenir ces colonies, décrites ci-dessus dans le Chapitre 2, correspondent également à un caractère permanent et à une revendication de souveraineté. Elles ont pour effet de convertir le territoire dans la zone C en territoire israélien de facto. Les mesures les plus importantes sont les suivantes : (i) soutenir et faciliter l’établissement et le maintien de colonies de Juifs israéliens, en modifiant de façon permanente la composition démographique du territoire et en étendant le contrôle d’Israël sur celui-ci ;782 (ii) appliquer le droit interne israélien aux colons Juifs israéliens ;783
779 Voir « Decisive international action needed to end Israeli occupation : UN experts », UN News (23 oct. 2019), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2vysdsna.
780 Voir, p. ex., CSNU Rés. 242 (1967), par. 1 (demande à Israël de retirer ses forces armées des « territoires occupés lors [] du conflit récent ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 247, Permanent sovereignty of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and of the Arab population in the occupied Syrian Golan over their natural resources, Doc. ONU A/RES/71/247 (21 déc. 2016) (Dossier N° 266), Préambule (Assemblée générale demandant de « mettre fin immédiatement à l’occupation israélienne »).
781 Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 49.
782 Voir supra Chapitre 2, §§ I et II.
783 Voir supra Chapitre 2, §§ V(A), (C).
201
(iii) construire et maintenir le Mur, qui intègre le territoire palestinien à Israël ;784 et (iv) saisir et exploiter les terres et les ressources naturelles.785
3.17 Troisièmement, Israël et ses responsables politiques ont exprimé l’intention d’annexer de façon permanente des parties de l’ensemble du territoire occupé.786 Les publications officielles de l’État d’Israël traitent l’ensemble de la Cisjordanie en tant que partie de son territoire. Par exemple, le document d'information officiel du Ministère israélien des affaires étrangères défendant les colonies israéliennes en Cisjordanie stipule explicitement qu’Israël « peut légitimement revendiquer le titre de propriété de ce territoire », qu'il désigne comme « Judée et Samarie ».787 Cette revendication est reflétée dans la carte officielle publiée par Survey of Israël, qui ne montre aucune séparation entre Israël et la Cisjordanie.788 Cette carte est reproduite dans la Figure 3.1 après la page 202. Comme le verra la Cour, elle supprime effectivement la distinction entre Israël et les TPO.
3.18 Depuis 1967, les responsables politiques israéliens ont également toujours exprimé l’intention d'agir en tant que souverain en Cisjordanie. Suite à l’occupation, le ministre des Affaires étrangères israélien a déclaré l’ambition d’Israël que « l’autorité du gouvernement israélien s’étende[] du [fleuve] Jourdain [c.-à-d., la frontière est de la Cisjordanie] au Canal de Suez [c.-à-d., en incluant la
784 Voir supra Chapitre 2, par. 2.25, 2.70 à 2.74.
785 Voir supra Chapitre 2, § VII.
786 Voir Assemblée générale des Nations Unies, Situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/73/447 (22 oct. 2018), par. 31(c) ; BADIL, Creeping Annexation : A Pillar of the Zionist-Israeli Colonization of Mandatory Palestine (Document de travail N° 25) (déc. 2020). Voir également O. Dajani, « Israel’s Creeping annexion », 111 AMERICAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 51 (2017), pp. 52 à 53.
787 Ministère des affaires étrangères d’Israël, « General Information : Israeli Settlements and International Law » (30 nov. 2015), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/bdheme9b.
788 Voir GovMap, « Survey of Israel » (dernière consultation : 12 juillet 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/5726439z.
202
péninsule du Sinaï] ».789 En 1979, Menachem Begin, le Premier ministre israélien, a déclaré que « la Ligne verte [séparant Israël de la Cisjordanie] n’existait plus et avait disparu à jamais ».790
3.19 Les responsables israéliens du 21e siècle continuent à affirmer cette intention. Par exemple, lors de la réélection du Premier ministre israélien Netanyahu en 2020, il a déclaré qu'il avait l’intention formelle d’« étendre la souveraineté [d’Israël] aux zones de la Cisjordanie ».791 Et en mai 2022, le Premier ministre israélien de l’époque Naftali Bennett, en s’adressant aux colons à Elkana, une colonie en Cisjordanie, a indiqué clairement que les colonies faisaient partie intégrante de l’État d’Israël : « Avec l'aide de Dieu, nous serons également présents aux célébrations des cinquantième, soixante-quinzième, 100e , 200e et 2000e anniversaires d’Elqana, au sein d’un État juif uni et souverain sur la Terre d’Israël. »792
3.20 Quatrièmement, Israël refuse fermement et catégoriquement d’appliquer ou de se conformer au droit international, y compris à la loi régissant l’occupation, en Cisjordanie.
3.21 Israël n'applique pas le DIH en Cisjordanie. Notamment, il ne considère pas que la quatrième Convention de Genève (« GC IV ») s’applique à la Cisjordanie.
789 Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 39.
790 Ibid.
791 « Netanyahu said to tell Likud MKs : West Bank annexation on for July », Times of Israel (25 mai 2020), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/jy6z5era.
792 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 53 (citation du Premier ministre Bennett, lors d’une visite au conseil local d’Elkana pour marquer son quarante-cinquième anniversaire (17 mai 2022)).
Figure 3.1

203
Il a soutenu et maintenu ce point de vue depuis les procédures mentionnées dans l’Avis consultatif sur le Mur, dans lequel il a soutenu que la GC IV ne s'appliquait pas en Cisjordanie car elle « n’est “pas un territoire d'une Haute Partie contractante au regard de la Convention” ».793 Cette position n’a pas changé, comme indiqué dans la déclaration d’Israël en 2021 défendant les colonies israéliennes en Cisjordanie. Il a soutenu qu’ « il n’existait aucun souverain légitime précédent [de la Cisjordanie] ».794 La déclaration d’Israël a incité l’Assemblée générale à « exiger[] qu’Israël reconnaisse l’applicabilité de jure de la Convention au Territoire palestinien occupé ».795
3.22 Deuxièmement, les politiques et pratiques d’Israël en Cisjordanie enfreignent différentes obligations en vertu du droit international, notamment le DIDH, le DIH et l’interdiction de crimes contre l’humanité. Ces violations sont détaillées aux sections II, III et IV ci-dessous. Par ailleurs, l’occupation prive de façon permanente le Peuple palestinien du droit d’auto-détermination et constitue un régime d’apartheid, comme indiqué au Chapitre 4. Le Qatar renvoie respectueusement la Cour à ces sections.
***
3.23 Pour toutes les raisons susmentionnées, Israël a annexé illégalement la zone C de la Cisjordanie de facto.
793 Avis consultatif sur le Mur, par. 90.
794 Ministère des affaires étrangères d’Israël, « General Information : Israeli Settlements and International Law » (30 nov. 2015), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/bdheme9b.
795 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Special Committee to Investigate Israeli Practices Affecting the Human Rights of the Palestinian People and Other Arabs of the Occupied Territories, Doc. ONU A/70/497 (24 nov. 2015), p. 14.
204
II. La conduite de l’occupation viole le droit international relatif aux droits de l'homme
3.24 En occupant les TPO, Israël a commis plusieurs violations du DIDH.
3.25 Concernant le DIDH, la Cour avait déjà statué dans l’Avis consultatif sur le Mur que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« PIDCP »),796 le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (« PIDESC »)797 et la Convention relative aux droits de l'enfant (« CDE »)798 s'appliquent dans les TPO.
3.26 Les autres instruments des droits de l'homme s’appliquent également, y compris la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (« CERD »), à laquelle Israël est un État partie.799 Peu importe qu’Israël n’exerce aucune souveraineté sur les TPO. Dans son Ordonnance accordant des mesures provisoires dans l’affaire concernant Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), dans laquelle des violations des articles 2 et 5 de la CERD ont été alléguées, la Cour a observé qu’« [il n'y a] aucune limitation générale [dans la CERD] de son champ d’application territorial » et que « ni l’Article 2 ni l’Article 5 de la CERD … ne contiennent de limitation territoriale spécifique ».800 Par conséquent, elle a estimé que « ces dispositions de la CERD, à
796 Avis consultatif sur le Mur, par. 111.
797 Ibid., par. 112.
798 Ibid., par. 113.
799 ONU, « Statut des traités : CERD » (dernière consultation : 15 juillet 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/bdeawtc4.
800 Case Concerning Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Order on Request for Provisional Measures, I.C.J. Reports 2008, p. 353, par. 109.
205
l’instar d’autres dispositions d’instruments de même nature, paraissent généralement applicables aux actes d’un Etat partie lorsque celui-ci agit hors de son territoire ».801
3.27 La position de la Cour concorde avec les avis du Comité de la CERD. Dès 1998, le Comité de la CERD a indiqué clairement qu’« Israël a des comptes à rendre au sujet de l'application de la [CERD] … dans toutes les zones sur lesquelles il exerce un contrôle effectif ».802 Et suivant l’ordonnance de la Cour dans Georgia v. Russian Federation, le Comité de la CERD a déclaré que l’argument selon lequel la CERD « n’est pas applicable aux [TPO] … n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la Convention, pas plus qu’au droit international, comme l’a également établi la Cour internationale de Justice ».803 Plus récemment, dans sa décision concernant la compétence à l'égard de la communication inter-états soumise par l’État de Palestine à l’encontre d’Israël, le Comité de la CERD a estimé qu’Israël « est tenu de respecter la Convention dans le TPO ».804 Comme les Palestiniens sont indéniablement un groupe national ou ethnique distinct des Juifs israéliens, la Convention CERD s'applique aux distinctions discriminatoires faites par Israël entre les Palestiniens et les Juifs israéliens.
801 Ibid.
802 Comité CERD, Racial Discrimination Convention – Consideration of Israel’s combined 7th to 9th periodic reports, Doc. ONU CERD/C/304/Add. 45 (30 mars 1998), par. 12.
803 Comité CERD, Consideration of reports submitted by States parties under article 9 of the Convention : concluding observations of the Committee on the Elimination of Racial Discrimination : Israel, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/13 (14 juin 2007), par. 32.
804 Comité CERD, Inter-State communication submitted by the State of Palestine against Israel : preliminary procedural issues and referral to the Committee, Doc. ONU CERD/C/100/3 (15 juin 2021), par. 2,9.
206
3.28 La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (« CEDAW »), à laquelle Israël est également Partie805, régit également la conduite d’Israël dans les TPO. Tout comme la CERD, elle n’inclut aucune restriction relative à son application territoriale. Le Comité pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (« Comité CEDAW ») a expliqué dans son Commentaire général N° 28 : « [Les] obligations [des États parties] s’appliquent… sans discrimination aux citoyens et aux non-citoyen… qui se trouvent sur leur territoire ou qui, sans y être, sont placés sous leur juridiction effective. Les États parties sont responsables de tous leurs actes ayant une incidence sur les droits de l’homme, que les personnes touchées soient ou non présentes sur leur territoire. »806
3.29 Cette section décrit les violations des droits de l'homme les plus flagrantes commises par Israël. Comme cela est démontré aux Sections III et IV, certaines de ces violations équivalent également à des violations des obligations d’Israël en vertu du DIH en tant que Puissance occupante et constitue des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.
A. ISRAËL VIOLE LES DROITS A LA VIE ET A LA SECURITE DE LA PERSONNE
3.30 Le droit à la vie. L’Article 6(1) du PIDCP garantit le droit à la vie et stipule que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». Ce droit « doit être respecté et garanti sans distinction aucune, notamment la race ».807 L’Article 6 de la CDE
805 ONU, CEDAW Note d'information 4 : Liste des État Parties, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ye258y6m.
806 Comité CEDAW, General recommendation N° 28 on the core obligations of States parties under article 2 of the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women, Doc. ONU CEDAW/C/GC/28 (16 déc. 2010), par. 12.
807 CDH, Commentaire général N° 36, Doc. ONU CCPR/C/GC/36 (3 sept. 2019), par. 61.
207
reconnaît le « droit inhérent à la vie » des enfants et exige que les États « assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l'enfant ».
3.31 Pour se conformer à son obligation de se conformer à ce droit en ayant recours à la force militaire, comme à Gaza, Israël doit s’abstenir de « prendre pour cible … des civils, des biens civils ou des biens indispensables à la survie de la population civile, des attaques menées sans discrimination » et « om[ettre] d'appliquer les principes de précaution et de proportionnalité ».808
3.32 En exerçant des activités d'application de la loi en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), conformément au Commentaire général N° 36 du Comité des droits de l’homme (« CDH »), Israël est tenu de « prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toute privation arbitraire de la vie par [ses] agents de maintien de l’ordre, y compris les soldats chargés de missions de maintien de l’ordre ».809 Par conséquent, « [l]’emploi d’une force potentiellement létale dans le cadre du maintien de l’ordre est une mesure extrême à laquelle il ne devrait être recouru que lorsque cela s’avère strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice grave découlant d’une menace imminente ».810 Israël doit également « faire procéder à une enquête et, le cas échéant, engager des poursuites contre les auteurs … de tels actes [de privation de la vie potentiellement illégaux], ce qui vaut également pour les allégations d’usage excessif de la force ayant eu des conséquences mortelles ».811
808 Ibid., par. 64.
809 Ibid., par. 13.
810 Ibid., par. 12.
811 CDH, Commentaire général N° 36, Doc. ONU CCPR/C/GC/36 (3 Sept. 2019), par. 27.
208
3.33 Le droit à la sécurité de la personne. L’Article 9(1) du PIDCP établit « le droit à … la sécurité de sa personne ». Selon le CDH, « [l]e droit à la sécurité de la personne protège les individus contre toute atteinte corporelle ou mentale intentionnelle, que la victime soit détenue ou ne le soit pas. Par exemple, les agents des États parties violent le droit à la sécurité de la personne quand ils infligent de façon injustifiable des lésions corporelles ».812 L’Article 5(b) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.34 Les attaques miliaires de Gaza commises par Israël violent clairement ses obligations de respect des droits à la vie et à la sécurité de la personne. La force excessive et aveugle déployée pendant ces attaques, décrite ci-dessus aux paragraphes 2.108 à 2.129, cible des civils et, par conséquent, équivaut à des privations arbitraires du droit à la vie et du droit à la sécurité de la personne. Par ailleurs, en assujettissant les Palestiniens vivant à Gaza à la menace constante de violence, Israël viole l’Article 9(1) du PIDCP en leur portant une « atteinte […] mentale intentionnelle »813. Les mesures violentes visant à renforcer le blocus de Gaza appliquées par Israël, décrites aux paragraphes 2.130 à 2.136, font également usage d’une force excessive et disproportionnée non conforme à ses obligations de se conformer aux droits à la vie et à la sécurité de la personne.
3.35 En Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), Israël viole ses obligations de se conformer à et de garantir les droits à la vie et à la sécurité de la personne en menant des activités d’application de la loi. Elles incluent le meurtre de civils non armés dans des situations d'application de la loi de routine (décrit aux paragraphes 2.141 et 2.153) ; l’usage excessif de la force contre des civils (y compris des journalistes) dans le cadre de manifestations ou d'autres confrontations (décrit aux
812 CDH, Commentaire général N° 35, Doc. ONU CCPR/C/GC/35 (16 déc. 2014), par. 9.
813 Ibid.
209
paragraphes 2.154 à 2.159 et 2.261 à 2.266) ; l’usage excessif de la force dans des zones civiles densément peuplées, y compris des camps de réfugiés, dans le cadre d'opérations de sécurité militaire (décrit aux paragraphes 2.160 à 2.169) ; ainsi que des exécutions extrajudiciaires, y compris des assassinats ciblés et l’exécution d'assaillants suspectés qui ont été désarmés (décrites aux paragraphes 2.170 à 2.172). Par ailleurs, l’omission par Israël de remédier aux violations des droits à la vie et à la sécurité de la personne commises par des membres de ses forces de sécurité ou des FDI (décrite aux paragraphes 2.137 à 2.138, 2.148 à 2.151, 2.173, 2.177-2.178 et 2.164), y compris en raison de sa tolérance des violences commises par des colons (décrite aux paragraphes 2.179 à 2.185), constitue également une violation de ces droits.
3.36 Comme les violations par Israël du droit à la sécurité de la personne ciblent les Palestiniens et non les Juifs israéliens, elles équivalent à une violation de l’Article 5(b) de la CERD. De même, comme les mesures violant les droits à la vie et à la sécurité de la personne affectent également les enfants, elles violent l’Article 6 de la CDE.
3.37 Les violations par Israël des droits à la vie et à la sécurité de la personne des Palestiniens ont fait l’objet d’observations finales par différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Par souci de concision, le Qatar met en évidence dans les présentes (et au titre de chaque droit abordé dans les sections ci-dessous) deux conclusions particulièrement pertinentes :
 en 2013, le Comité des droits de l'enfant (« Comité CDE ») a exprimé se préoccuper du fait que « des enfants des deux camps engagés dans le conflit continuent à être tués ou blessés, les enfants vivant dans le territoire palestinien occupé représentant un nombre disproportionné de ces victimes » et que « des centaines d’enfants palestiniens tués et des milliers blessés au cours de la période considérée du fait des opérations
210
militaires de l’État partie, notamment à Gaza où l’État partie a procédé à plusieurs frappes aériennes et navales sur des zones très peuplées où de nombreux enfants se trouvaient, en violation des principes de proportionnalité et de distinction ».814 Il a également relevé avec préoccupation que « dans la plupart des cas, les forces militaires israéliennes [non seulement] n’interviennent pas pour prévenir les violences et protéger les enfants », et que « dans la plupart des cas, les auteurs ne sont pas traduits en justice et commettent ces crimes en toute impunité »815 ;
 en 2022, le CDH a exprimé des inquiétudes concernant les « informations persistantes et cohérentes selon lesquelles les forces de sécurité israéliennes emploient la force létale contre des civils palestiniens, y compris des enfants, sans avoir à rendre compte de ces actes, ce qui créé un climat général d’impunité »816 et notamment, l’« emploi excessif de la force dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations, notamment celles de la Grande marche du retour qui ont eu lieu entre mars 2018 et décembre 2019, au cours desquelles 183 personnes, dont des enfants, des auxiliaires de santé, des journalistes et des personnes handicapées, ont été abattues ».817 Le Comité a également exprimé des inquiétudes concernant le fait « qu'aucun auteur n'a été traduit en justice pour l’emploi excessif de la force contre 260 Palestiniens, dont des enfants, lors de l’escalade des hostilités à Gaza en mai 2021 ».818
3.38 Le HCDH, des titulaires de mandat et des commissions d'enquête sont parvenus à des conclusions similaires.819
814 Le Comité CDE, Concluding observations on the second to fourth periodic reports of Israel, adopted by the Committee at its sixty-third session, Doc. ONU CDE/C/ISR/CO/2-4 (7 juillet 2013), par. 25.
815 Ibid., par. 25(b).
816 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 26.
817 Ibid.
818 Ibid.
819 Voir Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/49/87 (12 août 2022), par. 50(a) ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International
211
B. ISRAËL VIOLE LES DROITS DE LIBERTE DE LA PERSONNE ET DE NE PAS ETRE SOUMIS A LA TORTURE
3.39 Le droit à la liberté de la personne. L’Article 9(1) du PIDCP stipule ce qui suit :
tout individu a droit à la liberté … de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi.
3.40 L’Article 37 de la CDE établit des protections similaires spécifiquement pour les enfants.
3.41 Le CDH a déterminé que, de manière générale, l’ « adjectif “arbitraire” … doit recevoir une interprétation … intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité ».820 Les arrestations ou détentions injustes, déraisonnables, inutiles ou disproportionnées violent donc le droit en vertu de l’Article 9(1). « Les disparitions forcées … constituent une forme particulièrement grave de détention arbitraire. »821
Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 64 ; Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 fév. 2023), par. 5, 17, 26 ; Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/49/85 (28 avr. 2022), par. 52, 55 ; Conseil des droits de l'homme, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 61.
820 CDH, Commentaire général N° 35, Doc. ONU CCPR/C/GC/35 (16 déc. 2014), par. 12.
821 Ibid., par. 17.
212
3.42 Par ailleurs, l’obligation d’Israël de respecter ce droit lui impose des exigences strictes lorsqu’il soumet les Palestiniens à des détentions administratives pour des raisons de sécurité. Selon le CDH, toute détention administrative, exercée « sans liens avec l’ouverture de poursuites pénales », est uniquement autorisée dans la mesure où elle n’est pas arbitraire.822 « [I]l y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le [PIDCP] ».823 En outre, pour que la détention administrative d’un détenu spécifique soit autorisée, elle doit constituer l’unique moyen de se protéger contre une menace légitime présentée par ce détenu en particulier.824 Lors de la détention, l’Article 9 du PIDCP oblige également Israël à autoriser les détenus à bénéficier d’un « [e]xamen rapide et régulier par un cour ou un autre tribunal » de leur détention, ainsi que l’« accès à un conseil indépendant ».825
3.43 Le droit de ne pas être soumis à la torture ni à un traitement cruel, inhumain et dégradant. L’Article 7 du PIDCP stipule que « [n]ul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ». Les articles 2 et 16 de la Convention contre la torture (« CAT »), auxquels Israël est également partie, établissent des interdictions similaires. Selon le CDH, Israël doit s’abstenir de soumettre des individus « à des actes qui provoquent chez la victime une douleur physique… [mais aussi] des actes qui infligent une souffrance mentale ».826 L’Article 37(a) de la CDE a le même effet. Les actes de torture incluent le fait de nier le droit de la famille d’une personne détenue à connaître la
822 Ibid., par. 15.
823 Ibid., par. 17.
824 Ibid., par. 15.
825 Ibid.
826 CDH, Commentaire général N° 20, Doc. ONU HRI/GEN/1/Rév. 1 (29 juillet 1994), par. 5.
213
vérité sur sa localisation et le droit à ce que la dépouille d’un membre de leur famille leur soit rendu.827
3.44 Les pratiques par Israël d’arrestation arbitraire, de détention administrative, et les conditions dans lesquelles les détenus et les prisonniers administratifs sont détenus violent ses obligations au titre du droit à la liberté de la personne et de ne pas être soumis à la torture. Cela inclut :
 les pratiques draconiennes auxquelles les suspects détenus et arrêtés, y compris les enfants, sont assujettis (décrites aux paragraphes 2.191 à 2.200), et la dissimulation d’informations sur la localisation des enfants détenus à leurs parents (tel que décrit au paragraphe 2.197) ;
 sa pratique généralisée consistant à assujettir les Palestiniens, y compris les enfants et les journalistes, à une détention administrative non justifiée par des raisons de sécurité mais dans le but d’étouffer les dissidences ou de sanctionner les Palestiniens (décrite aux paragraphes 2.201 à 2.209 et 2.267 à 2.270) ;
 le fait d'empêcher les personnes détenues administrativement de contester efficacement leur détention (décrit aux paragraphes 2.201 à 2.202) ;
 le fait d'assujettir les personnes faisant l’objet d’une détention administrative et emprisonnée à la torture et à de mauvais traitements (décrit au paragraphe 2.205) ; et
 la profanation et la dissimulation des corps des Palestiniens décédés (décrites aux paragraphes 2.175 à 2.176).
827 Voir Conseil des droits de l'homme, Report of the Working Group on Enforced or Involuntary Disappearances, Doc. ONU A/CDH/16/48 (26 janv. 2011), p. 15 ; Comité CAT, Decision of the Committee against Torture under article 22 of the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment concerning Communication N° 456/2011, Doc. ONU CAT/C/54/D/456/2011 (26 juin 2015), par. 6.4.
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3.45 Plusieurs organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ont exprimé leur préoccupation concernant, et condamné, les violations par Israël des droits à la liberté de la personne des Palestiniens et de ne pas être soumis à la torture, y compris :
 en 2022, le CDH a condamné « la pratique généralisée des arrestations et détentions arbitraires de Palestiniens, notamment de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et d’enfants ».828 Il a relevé avec préoccupation qu’Israël avait soumis ces individus à une « détention administrative … sans inculpation ni procès et sans garanties juridiques fondamentales ».829
 Le CDH a également déclaré être « profondément préoccupé par les rapports de la pratique étendue et systématique de la torture et des mauvais traitements commis par les gardes de l’administration pénitentiaire israélienne et les forces de sécurité israéliennes contre des Palestiniens, y compris des enfants, au moment de leur arrestation et en détention. Il est particulièrement préoccupé par le recours à la violence physique et psychologique, à la privation de sommeil, au maintien dans des positions éprouvantes et à l’isolement prolongé, y compris contre des enfants et des détenus présentant un handicap intellectuel ou psychosocial. »830
828 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 34.
829 Ibid. Voir également CAT, Initial report submitted by the State of Palestine under article 19 of the Convention, due in 2015, Doc. ONU CAT/C/CO/1 (26 sept. 2019), par. 24.
830 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 30. Voir également CAT, Initial report submitted by the State of Palestine under article 19 of the Convention, due in 2015, Doc. ONU CAT/C/PSE/CO/1 (26 août 2019), par. 28 (la CAT a déclaré être préoccupée par « les informations concordantes indiquant que des personnes en garde à vue, y compris dans les locaux placés sous l’autorité des forces de sécurité et des services de renseignement, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza, sont soumises à la torture ou à des mauvais traitements, en particulier au stade de l’enquête. »).
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3.46 Le Secrétaire général des Nations Unies, le HCDH, les titulaires de mandats, la commission d’enquête et les missions d'enquête sont parvenus à des conclusions similaires.831
C. ISRAËL VIOLE LE DROIT DE LIBERTE DE MOUVEMENT ET LA LIBERTE DE CHOISIR SON LIEU DE RESIDENCE
3.47 L’Article 12(1) du PIDCP garantit les droits à la liberté de mouvement et de choisir son lieu de résidence à « quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un État[], sur ce territoire ». L’Article 12(2) garantit le droit « de quitter
831 Voir, p. ex., Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 Fév. 2023), par. 45 (« Au cours de la période considérée, le HCDH a continué de recueillir des informations au sujet de mauvais traitements qui auraient été infligés à des détenus dans des lieux de détention palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza. ») ; Voir Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/49/87 (12 août 2022), par. 50(a) (« les tribunaux militaires envoient des milliers de Palestiniens en détention au motif qu’ils ont porté atteinte à la sécurité de l’État, se servant d’un système judiciaire qui n’offre que quelques-unes des garanties relatives à la régularité de la procédure ou à la prévention des arrestations et détentions arbitraires prévues par le droit international. En outre, des centaines de Palestiniens croupissent en détention administrative, faisant l’objet de mesures de confinement illimitées. ») ; ibid., par. 50(e) (« [Bien que la torture soit strictement interdite par le droit international,] Israël continue d’y recourir dans la pratique contre les Palestiniens placés en détention. Parmi les méthodes de torture employées, on peut citer la privation de sommeil, les coups et les gifles, l’humiliation, les conditions insalubres et l’utilisation d’entraves pendant de longues périodes dans des positions de contorsion. ») ; Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/37/42 (21 fév. 2018), par. 61 (il y a « [un] risque élevé auquel sont exposés les Palestiniens d’être arbitrairement privés de liberté, tant par les forces de sécurité israéliennes que par le Service de sécurité préventive. C’est particulièrement vrai pour les Palestiniens ouvertement opposés à l’occupation israélienne ou à la politique de leur gouvernement en Cisjordanie ou à Gaza. Les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme ont été particulièrement visés dans ce contexte. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/76/333 (20 sept. 2021) (Dossier N° 862), par. 21 (« L’arrestation, la détention et les mauvais traitements arbitraires ont ciblé de plus en plus les femmes palestiniennes, en particulier les défenseuses des droits humains, les dirigeantes, les journalistes et les étudiantes. »).
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n’importe quel pays, y compris le [sien] » et l’Article 12(4) interdit aux états de « priver[] arbitrairement [une personne] du droit d’entrer dans [son] propre pays ».
3.48 Israël peut uniquement limiter les droits de mouvement et de résidence des Palestiniens dans la mesure où ces limites sont « nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui ».832 Comme l’a reconnu la Cour dans l’Avis consultatif sur le Mur,833 le Commentaire général N° 27 du CDH établit clairement que les limites d’exercice de ces droits « doivent être conforme au principe de la proportionnalité » et « doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d'obtenir le résultat recherché ».834 L’Article 5(d)(i) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.49 Les restrictions d’Israël en matière de déplacement entre, dans, vers et hors de la Cisjordanie et Gaza (décrites aux paragraphes 2.63 et 2.69 à 2.85) violent son obligation de se conformer au droit de mouvement. Comme indiqué, Israël accepte, dans le cadre des Accords d’Oslo, que la Cisjordanie et Gaza constituent « une seule unité territoriale ».835 Par ailleurs, le CDH a indiqué clairement que, en tant que territoires palestiniens occupés reconnus au niveau international, la Cisjordanie et Gaza devraient être considérées ensemble en tant
832 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 déc. 1966), 999 U.N.T.S. 171 (ci-après dénommé « PIDCP »), art. 12(1), (3).
833 Avis consultatif sur le Mur, par. 136.
834 CDH, Commentaire général N° 27, Doc. ONU CCPR/C/21/Rév.1/Add.9 (1er nov. 1999), par. 13 et 14.
835 Oslo II, art. XI(1). En effet, Israël a pris des engagements spécifiques visant à autoriser un « passage sûr » régulier entre la Cisjordanie et Gaza. Protocole concernant un passage sûr, art. 1 ; Principes convenus concernant le passage de Rafah.
217
que « territoire d'un État » dans lequel tous les individus présents légalement disposent de droits de mouvement et de résidence.836
3.50 Cependant, comme expliqué aux paragraphes 2.63 à 2.85 et 2.91 à 2.93, il est extrêmement difficile pour les Palestiniens de se déplacer entre la Cisjordanie et Gaza, de se déplacer dans ces zones, de quitter les TPO, ou de retourner dans les TPO depuis l’étranger. Ces limites largement appliquées ne sont pas proportionnelles à, ni nécessaires pour se protéger contre, une menace de sécurité et, par conséquent, violent le droit de mouvement. En effet, le CDH a affirmé que les limites imposées à un individu lors de « déplacements internes sans être muni d’un permis spécifique » ne « satisfont pas les exigences de nécessité et de proportionnalité ».837
3.51 Entre autres, les restrictions imposées par Israël concernant la liberté de mouvement dans les TPO ne satisfaisant pas les exigences de nécessité et de proportionnalité, et qui violent donc la garantie de liberté de mouvement stipulée à l’Article 12(1), incluent :
 les restrictions imposées par Israël sur la liberté de mouvement en Cisjordanie par le biais de nombreux postes de contrôle et obstacles physiques aux déplacements (décrites aux paragraphes 2.77 à 2.81) ;
 les obstacles à la liberté de mouvement créés par le mur de séparation, y compris l’exigence d’obtenir des permis de se rendre dans la « zone charnière » et l'interdiction d’accès périodique (décrits aux paragraphes 2.70 à 2.74) qui, déjà en 2004, selon la Cour, ne satisfaisaient pas les exigences de nécessite et de proportionnalité ;838
836 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 36.
837 CDH, Commentaire général N° 27, Doc. ONU CCPR/C/21/Add.9 (1er nov. 1998), par. 16.
838 Avis consultatif sur le Mur, par. 136.
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 l’entretien des routes séparées et distinctes en Cisjordanie (décrit aux paragraphes 2.82 à 2.84) ;
 l’exigence d'obtenir des permis pour entrer à Jérusalem-Est depuis le reste de la Cisjordanie (décrite au paragraphe 2.75) ;
 le blocus de Gaza, y compris des restrictions de déplacement strictes depuis Gaza vers la Cisjordanie et Jérusalem-Est (décrit aux paragraphes 2.91 à 2.93) ;
 l'application de « zones tampons » terrestres et maritimes à Gaza (décrite aux paragraphes 2.100 à 2.101) ; et
 les interdictions imposées aux journalistes d'accéder à certaines zones des TPO (décrites aux paragraphes 2.271 à 2.272).
3.52 Les restrictions de déplacement dans et hors des TPO violent également le droit de liberté de mouvement. Les restrictions largement imposées aux Palestiniens concernant la capacité de quitter les TPO (décrites aux paragraphes 2.75 à 2.76) ne sont ni nécessaires ni proportionnées et violent l’Article 12(2). En outre, les obstacles imposés aux Palestiniens lors de leur retour sur les TPO depuis l’étranger, y compris le déni des droits de résidence dans les TPO concernant les individus qui ont été déplacés en 1948 et leurs descendants, et les autres Palestiniens ne figurant pas dans les registres de l'état civil palestinien (décrits aux paragraphes 2.29 à 2.32) violent l’Article 12(4), notamment par le fait que, comme l’a reconnu le CDH, « les cas dans lesquels la privation du droit d'une personne d'entrer dans son propre pays pourrait être raisonnable, s'ils existent, sont rares ».839
3.53 Les mesures limitant la capacité des Palestiniens à résider en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) imposées par Israël (décrites aux paragraphes 2.28 à 2.46), violent son obligation de se conformer au droit de liberté
839 CDH, Commentaire général N° 27, Doc. ONU CCPR/C/21/Add.9 (1er nov. 1998), par. 21.
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de choisir son propre lieu de résidence. L’application sans discrimination de ces restrictions ne peut pas être considérée comme étant proportionnelle ou nécessaire pour atteindre les objectifs de sécurité.
3.54 Par ailleurs, comme ces restrictions s'appliquent aux Palestiniens mais pas aux Juifs israéliens, elles enfreignent l’Article 5(d)(i) de la CERD, qui exige que les droits à la liberté de mouvement et de choisir son propre lieu de résidence soient respectés et garantis sans tenir compte de l’origine ethnique.
3.55 Les restrictions imposées par Israël concernant le déplacement des Palestiniens ont fait l’objet d’observations finales par différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris :840
 En 2022, le CDH a fait part de « sa profonde inquiétude quant aux restrictions à la liberté de circulation que l’État partie continue d’imposer dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, moyennant son régime de permis discriminatoire et la désignation de zones d’accès restreint ».841 Par ailleurs, concernant Gaza, il a fait part de sa « profonde préoccupation concernant … l'impact défavorable du [blocus] sur l'exercice du droit à la liberté de circulation ». 842
 En 2020, le Comité de la CERD a déclaré être « consterné » par le caractère discriminatoire de la « mise en oeuvre d’un ensemble complexe de restrictions à la liberté de circulation découlant de la présence du Mur, des implantations, des barrages routiers et des postes
840 Voir Comité CEDAW, Concluding observations on the fifth periodic report of Israel, Doc. ONU CEDAW/C/ISR/CO/6 (17 nov. 2017), par. 31(a) (réitération de sa recommandation précédente selon laquelle Israël « Mette immédiatement fin à toutes les atteintes et violations des droits de l'homme perpétrées à l’encontre des femmes et des jeunes filles sur le Territoire palestinien occupé et supprime les restrictions en matière de liberté de mouvement ») ; Comité CEDAW, Concluding observations of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women, Doc. ONU CEDAW/C/ISR/CO/5 (5 avr. 2011), par. 23.
841 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 36.
842 Ibid., par. 38.
220
de contrôle militaires, ainsi que de l’obligation d’utiliser des routes distinctes et de l’application d’un régime de permis ».843 Il a également « relev[é] avec inquiétude que cette politique [de blocus] continue de violer le droit à la liberté de circulation ».844
3.56 Les restrictions imposées par Israël concernant les droits de résidence des Palestiniens ont également fait l’objet d’observations finales par différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.845 Par exemple, en 2020, concernant la résidence à Jérusalem-Est, le Comité de la CERD a fait part de son inquiétude concernant la « modification N° 30 de 2018 de la loi relative à l'entrée en Israël (lois N° 5712-1952), qui avait déjà un caractère discriminatoire, dont les dispositions confèrent au Ministre de l’intérieur un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de révoquer le permis de séjour permanent des Palestiniens vivant à Jérusalem-Est ».846 Cette loi modifiée impose des « restrictions disproportionnées et préjudiciables » concernant la capacité des Palestiniens de résider à Jérusalem-Est et autorise le « retrait de permis [de séjour] » arbitraire.847
3.57 Le Secrétaire général des Nations Unies, le HCDH, les titulaires de mandats et les commissions d’enquête sont parvenus à des conclusions similaires.848
843 Observations finales de la CERD 2020, par. 22.
844 Ibid., par. 44.
845 Voir Comité CEDAW, Concluding observations on the fifth periodic report of Israel, Doc. ONU CEDAW/C/ISR/CO/6 (17 nov. 2017), par. 31(a) (réitération de sa recommandation précédente selon laquelle Israël « Mette immédiatement fin à toutes les atteintes et violations des droits de l'homme perpétrées à l’encontre des femmes et des jeunes filles sur le Territoire palestinien occupé et supprime les restrictions en matière de liberté de mouvement ») ; Comité CEDAW, Concluding observations of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women, Doc. ONU CEDAW/C/ISR/CO/5 (5 avr. 2011), par. 23.
846 Observations finales de la CERD 2020, par. 15.
847 Ibid., par. 24.
848 Voir Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356
221
D. ISRAËL VIOLE LE DROIT A LA LIBERTE D'OPINION ET D'EXPRESSION ET LE DROIT DE REUNION PACIFIQUE
3.58 Le droit à la liberté d'opinion et d'expression. L’Article 19 du PIDCP protège les droits à la liberté d’opinion et d’expression. Selon le CDH : « Ce droit couvre l’expression et la réception de communications de toute forme d’idée et d’opinion capable d’être transmises à autrui…. Il porte sur le discours politique, le commentaire … des affaires publiques … le débat sur les droits de l'homme, le journalisme, l’expression culturelle et artistique, l’enseignement et le discours religieux. »849
3.59 L’Article 19(3) stipule que ce droit peut uniquement être limité « [a] la sauvegarde de la sécurité nationale de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ». Le CDH a indiqué clairement que ces restrictions « ne doivent pas avoir une portée trop large »850 et doivent être justifiées en « démontr[ant] de manière spécifique et individualisée la nature précise de la menace, ainsi que la nécessite et la proportionnalité de la mesure particulière prise, en particulier en établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace ».851 L’Article
(21 sept. 2022), par. 43 ; Voir Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/49/87 (12 août 2022), par. 50(b) ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 20, 55, 58 et 59 ; Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 fév. 2023), par. 13, 14 et 35 ; Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/49/85 (28 avr. 2022), par. 10, 34, 35 et 52 ; Conseil des droits de l'homme, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 43.
849 CDH, Commentaire général N° 34, Doc. ONU CCPR/C/GC/34 (12 sept. 2011), par. 11.
850 Ibid., par. 34.
851 Ibid., par. 35.
222
5(d)(viii) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.60 Le droit de réunion pacifique. L’Article 21 du PIDCP garantit le « droit de réunion pacifique ». Le droit de réunion pacifique « protège le rassemblement non violent de personnes à des fins spécifiques, principalement pour l’expression d’opinions ».852
3.61 Tout comme le droit à la liberté d’expression et d’opinion, cet Article 21 établit clairement que ce droit peut uniquement faire l’objet de restrictions « imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui ». Comme l’explique le CDH, cela signifie qu’Israël ne peut pas « interdire, restreindre, bloquer, disperser ou perturber les réunions pacifiques sans raison impérieuse, ni … sanctionner les participants ou les organisateurs sans motif valable ».853 Par ailleurs, « [l]a manière dont les autorités envisagent les réunions pacifiques et les éventuelles restrictions qu’elles imposent à leur tenue ne doivent donc pas, en principe, être liées au contenu des réunions, et ne doivent pas non plus être fonction de l’identité des participants ou des relations que ceux-ci entretiennent avec les autorités ».854 L’Article 5(d)(ix) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.62 Les mesures ciblant les journalistes et entravant leur travail prises par Israël violent ses obligations du respect du droit à la liberté d'opinion et
852 CDH, Commentaire général N° 37, Doc. ONU CCPR/C/GC/37 (17 sept. 2020), par. 4.
853 Ibid., par. 23.
854 Ibid., par. 22.
223
d'expression. Le CDH a déclaré que, en vertu de l’Article 19 du PIDCP, « les journalistes ne doivent pas être pénalisés pour avoir mené leurs activités légitimes »,855 y compris « au motif qu’il[s sont] critique[s] à l’égard du gouvernement ou du système politique et social épousé par le gouvernement ».856 Toutefois, c’est exactement ce que fait Israël (comme expliqué aux paragraphes 2.260 à 2.272).
3.63 De même, ses mesures visant à réprimer la société civile palestinienne, les ONG s'occupant des droits de l'homme et la dissidence politique (décrites aux paragraphes 2.273-2.278) violent les droits à la liberté d’opinion et d’expression. Selon le CDH, les mesures visant à « musel[er] … un plaidoyer en faveur des … droits de l'homme » sont des restrictions inacceptables des droits à la liberté d’opinion et d’expression.857 Les actions d’Israël visant à freiner les activités des militants et organisations s’occupant des droits de l'homme dans les TPO, sans preuve que ces militants et organisations présentent un risque de sécurité, ne peuvent pas être justifiées.
3.64 Les mesures réprimant les manifestations pacifiques dans les TPO, prises par Israël, décrites aux paragraphes 2.132 à 2.135, 2.212 à 2.213 et 2.235), y compris en ayant recours à la violence (décrites aux paragraphes 2.132 et 2.154 à 2.159), violent ses obligations de se conformer aux droits à la liberté d’expression et d’opinion et de rassemblement pacifique. Aucune raison de sécurité ne justifie les vastes restrictions et la suppression par Israël des manifestations palestiniennes
855 CDH, Commentaire général N° 34, Doc. ONU CCPR/C/GC/34 (12 sept. 2011), par. 46.
856 Ibid., par. 42.
857 Ibid., par. 22.
224
contre l’occupation et les violations des droits de l'homme par Israël, qui ne sont pas « en principe, … neutre du point de vue du contenu ».858
3.65 Les restrictions imposées par Israël au droit à la liberté d’opinion et d’expression et au droit de rassemblement pacifique ont fait l’objet de différents rapports par les organes des Nations Unies. Par exemple, en 2022, le CDH a demandé à Israël de « [g]arantir une protection efficace des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme contre toutes menaces, pressions, intimidations, attaques et arrestations et détentions arbitraires »859 et de « [s]’abstenir d’intimider, de harceler, d’arrêter, de placer en détention ou de poursuivre, sous le couvert de la lutte antiterroriste, des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme qui exercent leur droit à la liberté d’expression ».860
3.66 Le HCDH, des titulaires de mandat et des commissions d'enquête sont parvenus à des conclusions similaires.861
858 CDH, Commentaire général N° 37, Doc. ONU CCPR/C/GC/37 (17 sept. 2020), par. 22.
859 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 49(b).
860 Ibid., par. 49(c).
861 Voir Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/49/87 (12 août 2022), par. 50(b) ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 47 ; Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 fév. 2023), par. 29 à 21 ; Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/49/85 (28 avr. 2022), par. 30, 41 et 55.
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E. ISRAËL VIOLE LES DROITS AU REGROUPEMENT FAMILIAL ET A UNE VIE FAMILIALE
3.67 L’Article 23(2) du PIDCP protège le droit « de se marier et de fonder une famille » et l’Article 17(1) exige le respect de la vie privée familiale. L’Article 10(1) du PIDESC stipule qu’« [u]ne protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille ».862 L’Article 5(d)(iv) de la CERD exige qu’Israël garantisse le « droit de se marier et de choisir son conjoint » sans distinction d'origine ethnique. Le CDH a observé que « [l]e droit de fonder une famille implique, en principe, la possibilité de … vivre ensemble », ce qui « implique l’adoption de mesures appropriées … pour assurer l'unité ou la réunification des familles, notamment lorsque la séparation de leurs membres tient à des raisons politiques, économiques, ou du même ordre ».863
3.68 Concernant les enfants notamment, l’Article 16(1) du CDE stipule que « [n]ul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa … famille ». En interprétant cette disposition du CDE, notamment, le Comité CDE a déclaré que la « [p]rotection du droit à un milieu familial exige souvent des États non seulement qu’ils s’abstiennent de prendre des mesures qui pourraient entraîner la séparation d’une famille ou d’autres atteintes arbitraires au droit à la vie de famille ».864
862 Voir également Amnesty International, Public Statement : Israel/OPT : Israel must repeal the discriminatory Citizenship and Entry into Israël Law (19 fév. 2017), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
863 CDH, Commentaire général N° 19, Doc. ONU HRI/GEN/1/Rév. 1 (27 juillet 1994), par. 5.
864 CMW, Joint general comment N° 4 (2017) of the Committee on the Protection of the Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families and N° 23 (2017) of the Committee on the Rights of the Child on States obligations regarding the human rights of children in the context of international migration in countries of origin, transit, destination and return, Doc. ONU CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23 (16 nov. 2017), par. 27.
226
3.69 Les mesures entravant d'une manière excessive l’unification des familles ne sont pas conformes aux obligations d’Israël concernant le respect et la protection de la famille.
3.70 Les politiques d’Israël entravant la capacité des Palestiniens de résider avec des membres de la famille résidant à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie (décrites aux paragraphes 2.34, 2.40 et 2.44) violent le droit à l'unité familiale et à la vie familiale, tout comme les politiques excluant les Palestiniens à l’étranger des TPO (décrites aux paragraphes 2.29 à 2.32). Concernant les individus qui sont dans les TPO, ces politiques empêchent les familles de vivre ensemble dans les TPO, à l’exception de Gaza.
3.71 Ces politiques violent également la CDE car elles « privent[] [les enfants] de leur droit de vivre et de grandir dans un milieu familial avec leurs deux parents ou avec leurs frères et soeurs et [] des milliers vivent dans la crainte d’être séparés du fait des restrictions très strictes concernant le regroupement familial ».865 Par ailleurs, elles violent clairement la CERD car elles empêchent les Palestiniens de vivre avec leur famille en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), mais n’empêchent pas de façon similaire les familles de Juifs israéliens d’y vivre ensemble.866
3.72 Les observations finales faites par les différents organes créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme ont mis en évidence la préoccupation
865 Le Comité CDE, Concluding observations on the second to fourth periodic reports of Israel, adopted by the Committee at its sixty-third session, Doc. ONU CRC/C/ISR/CO/2-4, par. 49.
866 Voir 2020 Observations finales de la CERD, par. 24 (restrictions sur la résidence à Jérusalem-Est « suspend[] à de rares exceptions près, le droit des citoyens israéliens ou des résidents de Jérusalem-Est d’obtenir le regroupement familial lorsque leur conjoint est palestinien et vit en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza ».)
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de l’ONU concernant l’impact des politiques d’Israël sur les droits au regroupement familial et à la vie familiale, y compris :
 en 2019, le PIDESC a fait part de son inquiétude « concernant le fait que la Loi sur la citoyenneté et l'entrée en Israël (dispositions temporaires) interdit aux Palestiniens de Cisjordanie ou de la Bande de Gaza et mariés à des personnes titulaires de permis de résidence en Israël ou à Jérusalem-Est d’exercer un regroupement familial avec leur conjoint et que cela les empêche d’exercer leur droit à la vie familiale » et « que de nombreuses familles en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, ayant de la famille dans la Bande de Gaza, restent séparées des années durant à cause de la politique de bouclage d’[Israël] »867 ;
 en 2020, le Comité de la CERD a déclaré être « profondément préoccupé par les restrictions disproportionnées et préjudiciables prévues par la loi relative à la nationalité et à l'entrée en Israël (Disposition temporaire), qui suspend, à de rares exceptions près, le droit des citoyens israéliens ou des résidents de Jérusalem-Est d’obtenir le regroupement familial lorsque leur conjoint est palestinien et vit en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza ».868
3.73 Le HCDH, des titulaires de mandat et des commissions d'enquête sont parvenus à des conclusions similaires.869
867 PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (14 juin 2007), par. 40.
868 Observations finales de la CERD 2020, par. 24. Voir également CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 44 (exprimant une préoccupation concernant le fait que « la Loi sur la citoyenneté et l'entrée en Israël (ordonnance temporaire) continue d’interdire le regroupement familial des citoyens israéliens avec leurs conjoints palestiniens vivant en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, ou avec des conjoints vivant dans des États qualifiés d’« États ennemis » »).
869 Voir Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/77/356 (21 sept. 2022), par. 6 ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 23 ; Conseil des droits de l'homme, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 46.
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F. ISRAËL VIOLE LE DROIT AU CULTE
3.74 L’Article 18 du PIDCP établit le droit de « manifester [sa] religion ou ses convictions [par le culte] » et stipule que la « [l]iberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux des libertés d’autrui ». Le CDH a indiqué clairement que ces « [r]estrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l'objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire. »870 L’Article 5(d)(vii) de la CERD exige spécifiquement qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.75 Les mesures prises par Israël nuisant à la capacité de culte des Palestiniens, notamment sur les sites ayant une signification religieuse importante (décrites aux paragraphes 2.225 à 2.229), et ses attaques perpétrées contre des fidèles (décrites au paragraphe 2.230) violent son obligation de se conformer au droit de culte. Aucune de ces restrictions n’est nécessaire et proportionnée. Il en va de même concernant les restrictions imposées aux Palestiniens de Gaza se rendant en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) (décrites aux paragraphes 2.91 à 2.93), les empêchant d’accéder à des sites ayant une signification religieuse importante.871
870 CDH, Commentaire général N° 22, Doc. ONU CCPR/GEN/21/Rév. 1 (29 juillet 1994), par. 8.
871 Voir PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU E/C.12/ISR/CO/4 (12 nov. 2019), par. 70 (« les Palestiniens vivant dans la Bande de Gaza n'ont pas la possibilité de se rendre dans des sites religieux en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, en raison de la politique de fermeture de l’État partie et du fait que les Palestiniens vivant en Cisjordanie n'ont pas non plus la possibilité de se rendre dans des sites religieux à Jérusalem-Est. »).
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3.76 Par ailleurs, comme les Juifs israéliens ne sont pas soumis aux mêmes restrictions concernant leur droit de culte que les Palestiniens (décrites au paragraphe 2.229), ces restrictions violent l’Article 5(d)(vii) de la CERD.
3.77 Les violations commises par Israël concernant le droit de culte des Palestiniens ont fait l’objet d’observations finales par différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris :
 en 2010, le CDH a fait part de sa préoccupation « concernant les restrictions disproportionnées fréquentes d'accès aux lieux de culte pour les non-Juifs »872 ;
 en 2019, le PIDESC a fait part de son inquiétude concernant le fait (« que les Palestiniens qui vivent dans la Bande de Gaza sont empêchés de se rendre dans des sites religieux en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, en raison de la politique de bouclage appliquée par [Israël] et par le fait que les Palestiniens vivant en Cisjordanie sont eux aussi entravés dans leur accès aux sites religieux de Jérusalem-Est ».873
3.78 Différents titulaires de mandats de l’ONU sont parvenus à des conclusions similaires.874
3.79 Les restrictions d’accès aux Sites saints à Jérusalem violent également le soi-disant status quo de Jérusalem, c.-à-d., « des garanties particulières d'accès dans le cas des Lieux saints chrétiens, juifs et islamiques … sans distinction de
872 CCPR, Consideration of reports submitted by States parties under article 40 of the Covenant, Concluding observations of the Human Rights Committee, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/3 (5 mai 2022), par. 20.
873 Voir PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU E/C.12/ISR/CO/4 (12 nov. 2019), par. 70.
874 Voir Conseil des droits de l'homme, Report of Special Rapporteur A. Jahangir on freedom of religion or belief, Doc. ONU A/CDH/13/40 (16 fév. 2010), par. 165 et 166 ; HCDH, Communiqué de presse : Israel : UN expert condemns brutal attacks on Palestinians at Al-Aqsa Mosque (6 avr. 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
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nationalité, sous réserve considérations de sécurité nationale et de maintien de l'ordre public et de la bienséance »,875 dont la nature contraignante a été affirmée par Israël.876
G. ISRAËL VIOLE LE DROIT A L’EDUCATION
3.80 L’Article 13(1) du PIDESC « reconna[ît] le droit de toute personne à l'éducation », qui « doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Le Commentaire général N° 13 du PIDESC stipule que « l'éducation, sous toutes ses formes et à tous les niveaux doit » être disponible, accessible, acceptable et adaptable ; « l’intérêt supérieur de l’apprenant » est la considération principale.877 L’Article 28 de la CDE reconnaît également « le droit de l’enfant à l’éducation » et l’Article 10 du CEDAW exige qu’Israël prenne des mesures pour « garantir aux [femmes] des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne l'éducation ». Enfin, l’Article 5(e)(v) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.81 Israël viole le droit des Palestiniens à l'éducation en vertu de ces instruments, notamment, en démolissant et fermant des écoles en Cisjordanie (décrit au paragraphe 2.58) ; bombardant des écoles à Gaza (décrit aux paragraphes 2.124 à 2.125) ; interdisant les manuels palestiniens et en supprimant les programmes d'histoire palestiniens (décrit au paragraphe 2.233) ; et en maintenant les restrictions de mouvement empêchant les enfants
875 Avis consultatif sur le Mur, par. 129.
876 Voir l’Armistice générale entre Israël et la Jordanie, art. VIII(2) (qui reconnaît que « un accord de principe existe déjà … [concernant] un accès libre aux lieux saints ») ; Traité de paix conclu entre Israël et la Jordanie, art. 9(1) (obligeant expressément Israël à « donner la liberté d'accès aux sites ayant une signification religieuse et historique »).
877 PIDESC, Commentaire général N° 13, Doc. ONU A/RES/1999/10 (8 déc. 1999), par. 6 et 7.
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(et notamment les jeunes filles878) d'aller à l’école (décrit au paragraphe 2.80).879 Les Juifs israéliens ne sont pas soumis à des restrictions ou obstacles similaires ; par conséquent, Israël omet de se conformer à ses obligation de garantir le droit à l’éducation sans tenir compte de l’origine ethnique.
H. ISRAËL VIOLE LES DROITS CULTURELS
3.82 L’Article 15(1)(a) du PIDESC garantit le droit « [d]e participer à la vie culturelle ». Le Commentaire général N° 21 du PIDESC établit clairement que cela inclut l’exercice de « pratiques culturelles et l'accès aux biens et services culturels »,880 y compris le droit d’« avoir accès à [son propre] … patrimoine culturel et linguistique » et « le droit de recevoir un enseignement relatif à sa culture ».881
3.83 Le PIDESC a expliqué que les limites à l’exercice de ce droit « doivent répondre à un objectif légitime, être compatibles avec la nature de ce droit et être indispensables à la promotion du bien-être général dans une société démocratique » et doivent « être proportionnées, ce qui signifie que c'est la mesure la moins restrictive qui doit être adoptée lorsque plusieurs types de limitations sont
878 Voir Comité CEDAW, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CEDAW/C/ISR/CO/6 (17 nov. 2017), par. 30(a) (« [e]n raison des restrictions qui entravent la liberté de circulation dans le Territoire palestinien occupé, les femmes et les filles palestiniennes continuent d ’être harcelées aux postes de contrôle ou par des colons lorsqu’elles se rendent sur leur lieu de travail ou à l’école ».).
879 Voir Comité CDE, Concluding observations on the second to fourth periodic reports of Israel, adopted by the Committee at its sixty-third session, Doc. ONU CDE/C/ISR/CO/2-4 (4 juillet 2013), par. 63(c) (Le Comité des droits de l'enfant a exprimé sa préoccupation concernant « les restrictions à la liberté de mouvement imposées par le mur, les bouclages, les points de contrôle et les régimes de permis continuent d’empêcher des enfants palestiniens d’aller à l’école »).
880 PIDESC, Commentaire général N° 21, Doc. ONU CCPR/C/GC/21 (21 déc. 2009), par. 6. Voir également ibid., par. 44.
881 Ibid., par. 49.
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disponibles ». 882 Par ailleurs, les États doivent « [r]especter et protéger le patrimoine culturel sous toutes ses formes ».883
3.84 Israël a violé son obligation de respecter ce droit en :
 Interdisant les rassemblements, les événements et les organisations culturels palestiniens (décrit au paragraphe 2.234) ;
 Ciblant les manifestations d’identité palestinienne (décrit au paragraphe 2.235) ;
 Interdisant l’enseignement de l’histoire palestinienne (décrit au paragraphe 2.233) ; et
 Détruisant et omettant de protéger les sites d'héritage culturel (décrit aux paragraphes 2.216-2.224).
3.85 L’Article 5(e)(vi) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique. En revanche, les Juifs israéliens ne connaissent pas d'obstacles similaires à l’exercice de leur droit de participer à la vie culturelle. Au contraire, Israël promeut activement la culture et l’identité des Juifs israéliens tout en supprimant dans le même temps la culture et l’identité palestiniennes. De même, la conduite discriminatoire d’Israël concernant les sites d'héritage culturel palestiniens par rapport aux sites d'héritage culturel juifs (décrit aux paragraphes 2.217 et 2.221) est également contraire à ses obligations en vertu de la CERD.
882 Ibid., par. 19.
883 Ibid., par. 50(a).
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3.86 Les violations par Israël des droits culturels des Palestiniens ont fait l’objet d’observations finales par différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme :
 en 2013, le Comité CDE a fait part de sa préoccupation « concernant la suppression de renseignements importants sur le drapeau, les villes, l’histoire et l’héritage palestiniens des manuels scolaires distribués en 2011 à toutes les écoles privées et publiques à Jérusalem-Est ».884
 en 2019, le PIDESC a fait part de sa profonde préoccupation « concernant les lourdes conséquences que les politiques adoptées par Israël à l’égard du Territoire palestinien occupé − à savoir le bouclage et le système de permis imposés en ce qui concerne la bande de Gaza et l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est − ont sur la jouissance … [à leurs] droits culturels ».885
3.87 Des préoccupations similaires ont été exprimées par la mission d’enquête et la commission d’enquête de l’ONU.886
I. ISRAËL VIOLE LE DROIT A UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT ET LE DROIT A LA SANTE
3.88 L’Article 11(1) du PIDESC reconnaît « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un
884 Le Comité CDE, Concluding observations on the second to fourth periodic reports of Israel, adopted by the Committee at its sixty-third session, Doc. ONU CDE/C/ISR/CO/2-4 (7 juillet 2013), par. 65.
885 PIDESC, Concluding observations on the fifth periodic report of Israel, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (14 juin 2007), par. 10.
886 Conseil des droits de l'homme, Database of all business enterprises involved in the activities detailed in paragraph 96 of the report of the independent international fact-finding mission to investigate the implications of the Israeli settlements on the civil, political, economic, social and cultural rights of the Palestinian people throughout the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/22/63 (7 fév. 2013), par. 59-61 ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 69.
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vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence ». L’Article 12(1) du pacte reconnaît « le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». Comme l’exercice et la réalisation de ces droits sont étroitement liés (en effet, ils sont énumérés ensemble dans l’Article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme), la présente section aborde les aspects des deux droits : le droit à l’eau (Section 1), les droits à l'alimentation et fonciers (Section 2), le droit à un logement (Section 3), et le droit à la santé (Section 4).
Le droit à l’eau
3.89 Le PIDESC a stipulé que le « droit de l'homme à l’eau », découlant des articles 11(1) et 12(1) du PIDESC, « donne à chacun le droit à un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et [à] un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ».887 « L’eau et les installations et les services [d'approvisionnement en eau] doivent être accessibles, sans discrimination, à toute personne relevant de la juridiction de l'État partie ».888 Cela implique de « garantir un approvisionnement en eau adéquat pour l’agriculture … ».889 L’obligation d’Israël de respecter ce droit implique également qu'il « s'abstienne d'entraver directement ou indirectement l'exercice du droit à l'eau », notamment, « en s'abstenant d'exercer une quelconque pratique ou activité qui consiste à refuser ou à restreindre l'accès en toute égalité à un approvisionnement en eau adéquat … et en restreignant l'accès aux services et infrastructures ou en les détruisant, à titre
887 CESCR, Commentaire général N° 15, Doc. ONU A/CDH/2002/11 (20 janv. 2003), par. 2.
888 Ibid., par. 12(c) (souligné dans l'original).
889 Ibid., par. 7.
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punitif, par exemple, en temps de conflit armé en violation du droit international humanitaire ».890
3.90 Comme expliqué aux paragraphes 2.99 et 2.126 à 2.129, à Gaza, Israël a attaqué des installations d'eau et pris des mesures qui empêchent l'alimentation en eau potable des foyers. Ainsi, il interfère directement avec l’exercice du droit à l’eau et limite l’accès à l’infrastructure d'approvisionnement en eau et, par conséquent, viole ce droit.
3.91 En Cisjordanie, les mesures contribuant à l’insécurité de l’eau prises par Israël dans les communautés palestiniennes, tout en accordant la priorité à l’approvisionnement en eau des colonies juives israéliennes (décrit aux paragraphes 2.48 et 2.223), sont des mesures discriminatoires concernant l'accès aux ressources en eau et, par conséquent, violent le droit à l’eau.
3.92 Les restrictions imposées par Israël aux Palestiniens sur l’accès à l’eau ont fait l’objet d’observations finales par différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme :
 en 2019, le PIDESC a fait part de ses préoccupations concernant « les restrictions imposées aux Palestiniens dans l’accès à … leurs ressources en eau » dans la Bande de Gaza.891 Il était également préoccupé par « l’impact de la politique d’occupation et de colonisation menée par [Israël] et de sa destruction des infrastructures hydrauliques palestiniennes à laquelle il procède [qui] limitent l’accès à l’eau dans le Territoire palestinien occupé et créent des pénuries d’eau
890 Ibid., par. 21.
891 PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (14 juin 2007), par. 44.
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particulièrement extrêmes, avec les graves conséquences que cela implique pour la santé des Palestiniens qui y vivent »892 ;
 en 2022, le Comité de la CERD a déclaré être « consterné par le caractère hermétique de la séparation des [populations juives et palestiniennes dans les TPO], qui vivent sur le même territoire mais ne bénéficient pas … d’un accès équitable aux … ressources en eau ».893 À cet égard, le comité a fait part de sa préoccupation spécifique concernant « les restrictions continues sur l’accès des Palestiniens dans les [TPO] … à … un approvisionnement en eau adéquat ».894
3.93 Des préoccupations similaires ont été exprimées par le Secrétaire général des Nations Unies, le HCHR, les titulaires de mandat et la commission d’enquête de l’ONU.895
Les droits à l’alimentation et fonciers
3.94 Le droit à l’alimentation est expressément établi par l’Article 11(1) du PIDESC. Pour se conformer à ses obligations de base concernant le droit à l’alimentation, Israël doit « assurer, au moins, la satisfaction du niveau minimum
892 Ibid., par. 46.
893 Observations finales de la CERD 2020, par. 22.
894 Ibid., par. 42.
895 Voir, p. ex., Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 69 (« Les politiques israéliennes … notamment celles qui concernent l’expropriation de ressources naturelles et les restrictions dans le domaine du bâtiment, ont des incidences directes sur les droits économiques, sociaux et culturels des Palestiniens, notamment leurs droits [] à … l’eau ») ; Conseil des droits de l'homme, Report of the UN High Commissioner for Human Rights on Allocation of water resources in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/48/43 (15 oct. 2021), par. 42 (« La destruction des installations d'approvisionnement en eau [par Israël] peut constituer une violation des obligations qui incombent à la Puissance occupante de … garantir le droit à l’eau en vertu du droit international des droits de l'homme ».) ; Conseil des droits de l'homme, Report of the UN High Commissioner for Human Rights on Ensuring accountability and justice for all violations of international law in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem : comprehensive review on the status of recommendations addressed to all parties since 2009, Doc. ONU A/CDH/35/19 (12 juin 2017), par. 44 (« [Le blocus par Israël dans la Bande de Gaza] viole un large éventail de droits de l'homme, notamment l’accès … à l’eau ».).
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essentiel requis pour être à l'abri de la faim »896 et ne peut pas « discrimin[er] l’accès à la nourriture ».897 Les mesures équivalant au « déni d'accès à l’alimentation à certains individus ou groupes» et « la prévention de l’accès à l’aide alimentaire à caractère humanitaire en cas de conflit interne ou d'autres situations d’urgence » constituent des violations des obligations d’Israël de respecter et garantir le droit à l'alimentation.898
3.95 Selon le PIDESC, le droit foncier est « essentiel pour garantir l’exercice du droit à une alimentation adéquate, étant donné que les terres sont utilisées dans les zones rurales à des fins de production alimentaire ».899 Israël doit garantir « le droit d’avoir accès à la terre et de l’utiliser et de la gérer de manière durable afin de jouir d’un niveau de vie suffisant ».900 L’obligation d’Israël de respecter le droit foncier « signifie qu’il soit s’abstenir : (a) de porter atteinte aux droits d’occupation des détenteurs légitimes31 , en particulier en expulsant leurs occupants des terres dont ils dépendent pour vivre ; (b) de recourir à des expulsions forcées et à la démolition de logements à titre punitif ; [et] (c) de se livrer à une quelconque discrimination dans le cadre de l’enregistrement et de l’administration des terres ».901
3.96 En causant une situation d’insécurité alimentaire à Gaza et en y détruisant les installations de production alimentaire, tel que décrit aux
896 CESCR, Commentaire général N° 12, Doc. ONU A/1999/5 (12 mai 1999), par. 17.
897 Ibid., par. 18.
898 Ibid., par. 19.
899 CESCR, Commentaire général N° 26, Doc. ONU E/C.12/GC/26 (24 janv. 2023), par. 6. Voir également ibid., par. 18 (« Concernant les paysans, l’accès aux terres et à d'autres ressources productives est tellement important pour réaliser la plupart des droits en vertu du Pacte qu'il représente pour eux un droit foncier. »).
900 Ibid., par. 18.
901 Ibid., par. 22.
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paragraphes 2.88, 2.101, 2.103 et 2.126, Israël viole le droit à l'alimentation. À cet égard, en 2019, le PIDESC a exprimé sa préoccupation concernant le fait que « la moitié de la population de Gaza vit dans la pauvreté et les deux tiers environ des ménages gazaouis souffrent d’insécurité alimentaire, situation en grande partie imputable à la politique de bouclage imposée par [Israël] ».902 Selon le PIDESC, cette politique affecte « la jouissance, par les habitants vivant [à Gaza] des droits consacrés par le Pacte, notamment les droits … à l’alimentation ».903
3.97 Les restrictions à l’accès aux pâturage ou aux terres agricoles des Palestiniens en Cisjordanie imposées par Israël et la soi-disant « zone tampon » à Gaza (décrites aux paragraphes 2.72 à 2.74 et 2.100 à 2.101, respectivement) violent le droit à l'alimentation et le droit foncier des Palestiniens en entravant leur capacité à préserver des moyens de subsistance agricoles. Pour les mêmes raisons, les restrictions d'accès aux eaux de pêche de Gaza (décrites aux paragraphes 2.100 à 2.101) violent le droit à l'alimentation des pêcheurs de subsistance palestiniens. L’entrave à l’acheminement de l'aide humanitaire à Gaza à Israël (décrit aux paragraphes 2.94 et 2.131) viole également le droit à l'alimentation des Palestiniens.
3.98 Les mesures prises par Israël empêchant de façon non justifiée les Palestiniens d'utiliser ou d'accéder à leurs terres en Cisjordanie violent également le droit foncier. Cela inclut :
 les confiscations et expulsions des terres par Israël en Cisjordanie (décrites aux paragraphes 2.13 et 2.60 à 2.62) ;
902 PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (14 juin 2007), par. 44.
903 Ibid., par. 10.
239
 les obstacles imposés par Israël entravant la capacité des Palestiniens à garantir la propriété foncière (décrits au paragraphe 2.50) ;
 les politiques d’Israël en matière de zonage et de permis de construction en Cisjordanie (décrites aux paragraphes 2.51-2.59) ;
 les restrictions d'accès aux pâturages et aux terres agricoles imposées par Israël en Cisjordanie (décrites aux paragraphes 2.70 à 2.74) ; et
 la tolérance par Israël de l’établissement de colonies « avant-postes » illégales sur les terres appartenant à des Palestiniens (décrite aux paragraphes 2.17-2.18).
3.99 La violation par Israël du droit foncier des Palestiniens a fortement préoccupé différents organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris :
 en 2019, le PIDESC a indiqué se préoccuper des « restrictions imposées aux Palestiniens dans l’accès à leurs terres agricoles »904 ;
 en 2022, le CDH a indiqué être profondément préoccupé du fait que « la construction continue du Mur en Cisjordanie … restreint considérablement la jouissance et l’exercice par les Palestiniens de leurs droits et libertés, notamment la liberté de circulation et l’accès à la terre, en particulier aux terres agricoles, aux biens et aux ressources naturelles ».905
904 PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (12 Nov. 2019), par. 44.
905 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 14.
240
3.100 Le HCDH, les titulaires de mandat et la commission d’enquête ont également fait part de leur préoccupation concernant l’impact des politiques et pratiques d’Israël sur le droit à l'alimentation et foncier des Palestiniens.906
Le droit à l'hébergement
3.101 Le droit en vertu de l’Article 11 du PIDESC à un niveau de vie adéquat inclut un droit à l'hébergement qui, selon le PIDESC, « devrait être considéré comme le droit de vivre quelque part en sécurité, en paix et dans la dignité ».907 Ce droit est complété par le droit reconnu dans l’Article 17 du PIDCP, qui stipule que « [n]ul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans son … domicile ».
3.102 Le PIDESC explique que « les évictions forcées sont prima facie contraires aux dispositions du [PIDESC] et ne peuvent être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles ».908 Une expulsion forcée est « l'éviction permanente ou temporaire, contre leur volonté et sans qu'une protection juridique ou autre appropriée ait été assurée, de personnes, de familles ou de communautés de leurs
906 Voir, p. ex., Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 69 (« Les politiques israéliennes … notamment celles qui concernent l’expropriation de ressources naturelles et les restrictions dans le domaine du bâtiment, ont des incidences directes sur les droits économiques, sociaux et culturels des Palestiniens, notamment leurs droits au logement, à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, à l’eau et à l’assainissement, aux soins de santé et à l'éducation ».) ; Conseil des droits de l'homme, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 51 (« [La Commission d’enquête] souscrit aux craintes exprimées par certains mécanismes de défense des droits de l’homme au sujet des schémas de violations du droit à la terre et au logement en Cisjordanie, y compris les violations systémiques résultant des lois et politiques discriminatoires en matière d’urbanisation et de zonage, la confiscation de terres et de ressources naturelles, la démolition systématique de maisons, les expulsions et l’expansion des colonies associée à la restriction des déplacements. »).
907 CESCR, Commentaire général N° 4, Doc. ONU A/RES/1992/23 (13 déc. 1991), par. 7.
908 Ibid., par. 18.
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foyers ou des terres qu’elles occupent. ».909 Le PIDESC a expliqué que, pour respecter le droit à l'hébergement, « [les États] doivent s’abstenir de faire procéder à des expulsions forcées et doivent veiller à ce que la loi soit appliquée à ses agents ou aux tiers qui procèdent à ces expulsions », ce qui est renforcé par l’Article 17(1) du PIDCP.910 Notamment, « [l]es expulsions forcées et les démolitions de logements d’une mesure punitive sont également contraires aux dispositions du [PIDCP] ».911 L’Article 5(e)(iii) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.103 Les politiques adoptées par Israël limitant les nouvelles constructions des Palestiniens, les démolitions des habitations des Palestiniens en Cisjordanie, et les expulsions forcées de ces habitations (décrites aux paragraphes 2.51 à 2.54, 2.55 à 2.59 et 2.60 à 2.62, respectivement) violent le droit à l'hébergement des Palestiniens. Elles représentent des interférences arbitraires et discriminatoires avec les habitations des Palestiniens. Les attaques des habitations des Palestiniens à Gaza menées par Israël (décrites au paragraphes 2.113 et 2.120) violent également le droit à l'hébergement. Comme ces mesures ne s’appliquent pas de la même manière aux Juifs israéliens, elles violent également la CERD.
3.104 La violation par Israël du droit à l’hébergement des Palestiniens a fait l’objet d’observations finales par plusieurs organes créés en vertu d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris :
 en 2020, le Comité de la CERD a déclaré être particulièrement préoccupé par « les démolitions constantes [par Israël] de bâtiments et d’infrastructures … ce qui provoque de nouveaux déplacements de
909 PIDESC, Comment général N° 7 (16 mai 1997), par. 3.
910 Ibid., par. 8.
911 Ibid., par. 12.
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Palestiniens [dans les TPO] ».912 Il recommande donc qu’Israël « réexamine les lois et politiques d'aménagement en Cisjordanie, y compris à Jérusalem » afin de garantir « les droits d’accès à la terre, au logement et aux ressources naturelles des communautés palestinienne[s] »913 ;
 en 2022, le CDH a fait part de ses préoccupations concernant « l’intensification de la pratique consistant à démolir des maisons et d'autres infrastructures palestiniennes … en Cisjordanie … en pleine pandémie de COVID-19, ainsi que par les expulsions et les transferts forcés visant les habitants dont les logements sont détruits » de la part d’Israël.914 À cet égard, le CDH a noté, avec regret, qu’Israël avait « systématiquement » privé les Palestiniens de « leurs droits à la terre et au logement depuis des décennies ».915
3.105 De même, le Secrétaire général des Nations Unies, le HCDH, les titulaires de mandat et les commissions d’enquête ont fait part de leurs préoccupations concernant la violation par Israël du droit à l'hébergement des Palestiniens.916
912 2020 CERD Observations finales, par. 42(a).
913 Ibid., par. 43(a).
914 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 42.
915 Ibid., par. 42.
916 Voir, p. ex., Assemblée générale des Nations Unies, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the Occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/77/493 (3 oct. 2022) (Dossier N° 72), par. 21 (« ces démolitions et expulsions [par Israël] intensifient le climat coercitif qui force les gens à quitter leurs logements, les expose au risque de déplacement forcé et enfreint une série de droits humains, notamment le droit à un logement convenable. ») ; CDH, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 51 (« [La Commission d’enquête] souscrit aux craintes exprimées par certains mécanismes de défense des droits de l’homme au sujet des schémas de violations du droit à la terre et au logement en Cisjordanie, y compris les violations systémiques résultant des lois et politiques discriminatoires en matière d’urbanisation et de zonage, la confiscation de terres et de ressources naturelles, la démolition systématique de maisons, les expulsions et l’expansion des colonies associée à la restriction des déplacements. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 69 (« Les politiques israéliennes … notamment celles qui concernent l’expropriation de ressources naturelles et les restrictions dans le domaine du bâtiment, ont des incidences directes sur les droits économiques,
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Le droit à la santé
3.106 Selon le PIDESC, le droit à la santé stipulé dans l’Article 12(1) du PIDESC inclut l’accès aux « [i]nstallations, biens et services en matière de santé… sans discrimination ».917 L’Article 5(e)(iv) de la CERD souligne que ce droit doit être garanti sans distinction d'origine ethnique. L’Article 24 de la CDE souligne que les enfants ont droit « de jouir du meilleur état de santé possible ».
3.107 Israël doit respecter le droit à la santé, notamment, en « s'abstenant de restreindre [à titre punitif] l'accès de toute personne … [aux] services de santé ».918 Le fait de priver les Palestiniens de l’« accès aux équipements sanitaires et aux divers autres biens et services … sous l'effet d'une discrimination de jure ou de facto » équivaut à une violation de cette obligation.919
3.108 L’ancien Rapporteur spécial du droit à la santé, Paul Hunt, explique que « le droit de jouir du meilleur état de santé possible est un droit global dans le champ duquel entrent non seulement la prestation de soins de santé appropriés en temps opportun, mais aussi les facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’accès à l’eau salubre et potable et à des moyens adéquats d’assainissement, l’accès à une quantité suffisante d’aliments sains, [et] la nutrition et le logement »,
sociaux et culturels des Palestiniens, notamment leurs droits … au logement ») ; Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/43/67 (30 janv. 2020), par. 44 (« Les démolitions ordonnées dans le cadre d’une stratégie d’aménagement discriminatoire sont illégales et équivalent à une expulsion force. Elles conduisent à des violations du droit à un niveau de vie suffisant, du droit à un logement convenable et du droit à l’éducation. »).
917 CESCR, Commentaire général N° 14, Doc. ONU A/2000/4 (11 aout 2000), par. 12(b).
918 Ibid., par. 34.
919 Ibid., par. 50.
244
notamment.920 Notamment, l’« [a]ccès à une eau salubre et potable et à un assainissement adéquat sont deux déterminants fondamentaux étroitement liés qui sont essentiels à la réalisation du droit de jouir du meilleur état de santé possible ».921 Par conséquent, Israël doit « faire tout ce qui est en son pouvoir pour que soient mis à la disposition de chaque personne vivant sur son territoire de l'eau potable et un assainissement adéquat ».922 Il ne doit pas « entrav[er] arbitrairement l’accès d'une personne à l’eau ou à l’assainissement ».923
3.109 Par ailleurs, et conformément à la nature inclusive du droit à la santé, cela implique un droit de ne pas être soumis à la violence, y compris la violence systémique. En tant que Rapporteuse spéciale du droit à la santé, Tlaleng Mofokeng, explique que la violence systémique « est un obstacle majeur à la réalisation » du droit à la santé.924 Comme l’« obligation de respect suppose que les États ne portent pas directement ou indirectement atteinte au droit à la santé »,925 tout acte d’Israël qui perpétue une violence systémique constitue une violation de son obligation de respect du droit à la santé.
3.110 Les pratiques de violence et de contrainte systémiques dans le cadre des activités d'application de la loi menées par Israël en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) (décrites aux paragraphes 2.139-2.178), le mode des attaques
920 Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur P. Hunt on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and mental health, Doc. ONU A/62/214 (8 sept. 2007), par. 47.
921 Ibid., par. 50.
922 Ibid., par. 73.
923 Ibid., par. 82.
924 Conseil des droits de l'homme, Report of Special Rapporteur T. Mofokeng on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard of physical and mental health, Doc. ONU A/CDH/50/28 (14 avr. 2022), par. 11.
925 Ibid., par. 18.
245
militaires de Gaza (décrit aux paragraphes 2.108 à 2.129), et la mise en vigueur violente par Israël de son blocus de Gaza (décrite aux paragraphes 2.130 à 2.136), violent le droit à la santé car elles assujettissent les Palestiniens à une violence systémique, ce qui a un impact grave sur la santé mentale, notamment celle des enfants.926
3.111 Le blocus de, et les attaques contre l’infrastructure à, Gaza par Israël (décrits aux paragraphes 2.86 à 2.106 et 2.124 à 2.129) violent le droit à la santé des Palestiniens qui y vivent. Pour ce fait, notamment, il entrave le fonctionnement des infrastructures de santé, d’eau et d'assainissement ; en empêchant l’importation d'équipement médical ; et en prenant des mesures causant une insécurité alimentaire. De manière plus frappante, Israël viole le droit à la santé en imposant des restrictions de déplacement aux patients à Gaza, et en les empêchant d'accéder en temps voulu à des soins médiaux disponibles ailleurs.927 En 2019, le PIDESC a fait part de sa préoccupation spécifique concernant le droit à la santé des Palestiniens à Gaza. Il a noté « la très faible disponibilité des services de santé dans la bande de Gaza et la baisse de la qualité de ces services, baisse liée aux restrictions imposées aux produits à double usage, y compris aux fournitures et matériels médicaux, et à l’escalade des hostilités, qui ont contraint les habitants à se rendre en Cisjordanie ou en Israël pour se faire soigner ».928 Par ailleurs, il a indiqué être « préoccupé par la lenteur et la complexité du système de visa de sortie, qui
926 Voir, p. ex., « À Gaza, les traumatismes persistants intensifient une crise de santé mentale », Médecins sans frontières, (30 juin 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3fv8uryr. Voir également UNRWA, Département de la santé, Rapport annuel 2022 (23 mai 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ycksnvn3, p. 31 ; Save the Children, Trapped : The Impact of 15 Years of Blockade on the Mental Health of Gaza’s Children (2022), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4ufnxeb7, pp. 5, 24 ; groupe de la Banque mondiale, International Security and Development Center, Zentrum Überleben et Palestinian Central Bureau of Statistics, Mental Health en Cisjordanie and Gaza (22 nov. 2022), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mtmdnxu5.
927 Voir supra par. CHAPTER 1.I. A.1(a)i.2.106.
928 PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (14 juin 2007), par. 58.
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empêche les résidents de la Bande de Gaza d'accéder à un traitement médical recommandé indisponible à Gaza ou en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, en Israël et à l’étranger ».929
3.112 De même, les restrictions à la liberté des Palestiniens de se déplacer en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) imposées par Israël, telles que décrites aux paragraphes 2.69 à 2.85, violent également le droit à la santé car elles empêchent de façon déraisonnable les Palestiniens en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) d'accéder à des services médicaux ; les femmes et notamment les femmes enceintes sont particulièrement affectées, tel que décrit aux paragraphes 2.80 à 2.81.930 En Cisjordanie également, les mesures contribuant à l'insécurité de l’eau dans les communautés palestiniennes, décrites aux paragraphes 2.123, 2.167 et 2.248 à 2.251, violent le droit à la santé.
3.113 Comme les Juifs israéliens ne sont pas soumis aux mêmes restrictions et obstacles, ces restrictions et mesures constituent un refus d’accès aux services de santé de manière non discriminatoire, en violant le droit à la santé en vertu du PIDESC et de l’Article 5(e)(iv) de la CERD. À cet égard, en 2020, le Comité de la CERD a déclaré « constater avec préoccupation … Que l’état de santé des communautés palestiniennes et bédouines est nettement moins bon que celui de la population juive et que, notamment, l’espérance de vie est plus faible et les taux de
929 Ibid.
930 Voir Comité CEDAW, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CEDAW/C/ISR/CO/6 (17 nov. 2017), par. 46(b) (Le comité CEDAW se préoccupe du fait que « [d]u fait de l’application, aux points de contrôle, de restrictions qui entravent la liberté de circulation, les femmes et filles palestiniennes du Territoire palestinien occupé éprouvent beaucoup de difficultés pour accéder aux établissements de santé tels que les hôpitaux ou les centres de consultation et pour obtenir des soins d’urgence ou des traitements spécialisés ».).
247
mortalité infantile sont plus élevés chez ces communautés que chez la population juive ».931
3.114 Le Secrétaire général des Nations Unies, le HCDH, les titulaires de mandat et la commission d’enquête ont également fait part de leur préoccupation concernant l’impact des politiques et pratiques d’Israël sur le droit à la santé des Palestiniens.932
931 Observations finales de la CERD 2020, par. 38(c).
932 Voir, p. ex., Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 fév. 2023), par. 13 (« Le bouclage et le blocus terrestre, maritime et aérien de Gaza, qui constituent une peine collective, sont entrés dans leur seizième année, et continuent d’avoir des répercussions extrêmement néfastes sur la liberté de circulation et sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, y compris les droits à un niveau de vie suffisant, à la santé, à l’éducation, au travail et à la vie de famille. Le blocus a notamment pour conséquence de restreindre considérablement l’accès aux services de santé spécialisés non disponibles à Gaza. Les patients concernés doivent obtenir d’Israël une autorisation de sortie pour pouvoir bénéficier de soins critiques, parfois d’importance vitale. Souvent, l’octroi de ces autorisations est retardé ou leur est refusé. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/74/468 (2 oct.2019) (Dossier N° 860), par. 27, (« Le droit à la santé, y compris l'accès aux traitements vitaux, est particulièrement affecté par les restrictions à la circulation des patients, des professionnels de santé et des marchandises. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 69 (« Les politiques israéliennes … notamment celles qui concernent l’expropriation de ressources naturelles et les restrictions dans le domaine du bâtiment, ont des incidences directes sur les droits économiques, sociaux et culturels des Palestiniens, notamment leurs droits au logement, à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, à l’eau et à l'assainissement, aux soins de santé et à l’éducation. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of Special Rapporteur F. Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/75/532 (22 oct. 2020), par. 9 (« [L]es données recueillies sur le terrain démontrent qu’en imposant un certain nombre de mesures, Israël, Puissance occupante, a considérablement réduit l'accès des Palestiniens aux soins de santé et à une aide humanitaire ».) ; ibid., par. 23 (« L'accès des enfants palestiniens aux soins de santé continue d’être gravement entravé. Le système complexe de restriction des déplacements dans le cas de la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et le blocs de Gaza exercé par Israël depuis 14 ans ont rendu l’accès aux établissements de soins de santé et aux traitements médicaux spécialisés très compliqués pour les enfants. À Gaza, les enfants continuent de se voir refuser ou retarder l’accès aux établissements de santé ou aux traitements spécialisés en dehors de la Bande [de Gaza]. »).
248
J. ISRAËL VIOLE LE DROIT AU TRAVAIL
3.115 L’obligation de respect du droit au travail signifie que les États doivent s'abstenir « de refuser ou d'amoindrir l'égalité d'accès de tous à un travail décent » ;933 le PIDESC a estimé que la « discrimination en matière d'accès au marché du travail » constituait une violation de cette obligation.934 Selon une obligation fondamentale en vertu du PIDESC, Israël doit également « garantir le droit d'accès à l’emploi ».935 L’Article 5(e)(i) de la CERD exige qu’Israël garantisse ce droit sans distinction d'origine ethnique.
3.116 Les restrictions à la liberté de mouvement imposées par Israël dans les TPO violent ce droit car, comme expliqué aux paragraphes 2.74 et 2.80, elles entravent de façon déraisonnable la capacité des Palestiniens à accéder à leur lieu de travail. Les Juifs israéliens ne sont pas affectés de la même manière et la nature discriminatoire des restrictions constitue une violation de l’Article 5(e)(i) de la CERD.
3.117 Dans ses observations finales de 2019, le PIDESC a indiqué être profondément préoccupé du fait que « le bouclage et le système de permis imposés en ce qui concerne la bande de Gaza et l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est » pratiqués par Israël avaient « des lourdes conséquences » sur la capacité des Palestiniens de bénéficier du droit au travail.936
933 CESCR, Commentaire général N° 18, Doc. ONU CCPR/C/GC/18 (24 sept. 2005), par. 23.
934 Ibid., par. 33.
935 Ibid., par. 31(a).
936 PIDESC, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CERD/C/ISR/CO/4 (14 juin 2007), par. 10.
249
Le Secrétaire général des Nations Unies et d'autres titulaires de mandat sont parvenus à la même conclusion.937
K. ISRAËL VOILE LES DROITS A L’EGALITE DEVANT LA LOI ET A UN PROCES EQUITABLE
3.118 L’Article 14(1) du PIDCP stipule que « [T]ous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice ». Dans des procédures judiciaires criminelles et civiles, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi ». Le CDH a expliqué que cet article « exclut également toute distinction dans l'accès aux tribunaux et aux cours de justice qui ne serait pas prévue par la loi et fondée sur des motifs objectifs et raisonnables ».938 Les articles 2(a) et 5(a) de la CERD interdisent de faire des distinctions fondées sur l'origine ethnique dans l'exercice de ce droit.
3.119 L’existence même d’un système juridique double en Cisjordanie viole ces principes car il traite les Palestiniens et les Juifs israéliens de manière différente. Rien ne justifie le maintien d’un système qui, comme l’a décrit la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU sur le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem, et Israël, « offre une jouissance plus importante des droits humains aux Israéliens qu’aux Palestiniens, et par conséquent, il est
937 Voir, p. ex., Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/49/87 (12 août 2022), par. 50(b) (« Le droit au travail des [Palestiniens] est entravé par une économie asphyxiée, les restrictions en matière de voyage et la fragmentation de leur territoire. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/76/333 (20 sept. 2021) (Dossier N° 862), par. 43 (« Les restrictions [imposées par Israël] [à la liberté de mouvement dans les Territoires palestiniens occupés] continuent de perturber la vie quotidienne des Palestiniens, et ont de graves répercussions sur d’autres droits, notamment le droit au travail, à un niveau de vie adéquat, à l’éducation et à la santé. »).
938 CDH, Commentaire général N° 32, Doc. ONU CCPR/C/GC/32 (23 sept. 2007), par. 9.
250
discriminatoire ».939 En effet, en 2020, le Comité de la CERD a fait part de ses préoccupations « concernant le maintien de plusieurs lois qui ont un caractère discriminatoire à l’égard des … Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé, et qui établissent des différences de traitement en ce qui concerne l’état civil, la protection juridique, l’accès aux avantages sociaux et économiques ou le droit à la terre et à la propriété ».940
3.120 L’Article 14(3) du PIDCP fournit de nombreuses « garanties minimales » auxquelles chacun a droit « [l]ors d’une accusation en matière pénale ». Ces droits sont complétés par d'autres garanties procédurales établies en vertu des articles 9(2) à (4) du PIDCP. Les garanties procédurales offertes aux accusés palestiniens (décrites aux paragraphes 2.191 à 2.195) dans les juridictions pénales militaires ne satisfont pas un grand nombre de ces garanties, y compris le droit « [à] être jugé sans retard excessif » et le droit « [à] se faire assister gratuitement d'un interprète si [l’on] ne comprend pas ou [l’on] ne parle pas la langue employée à l'audience ».941
3.121 Le Secrétaire général des Nations Unies, le HCDH, les titulaires de mandat et la commission d’enquête ont fait part de leur préoccupation concernant le
939 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 47. Voir également Conseil des droits de l'homme, Report of the United Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict, Doc. ONU A/CDH/12/48 (25 sept. 2009), par. 206 (estimant que le système a donné lieu à une « discrimination institutionnalisée à l’encontre des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé pour le bénéfice des colons juifs »).
940 Observations finales de la CERD 2020, par. 15.
941 PIDCP, art. 14(3)(c) et (f).
251
manque de garanties relatives à une procédure régulière pour les Palestiniens dans le système judiciaire israélien.942
L. ISRAËL VIOLE SON OBLIGATION D’ASSURER DES RECOURS EFFECTIFS
3.122 L’Article 3(a) du PIDCP exige qu’Israël veille à ce que les victimes de violations des droits de l'homme « disposent d’un recours utile » et que « l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'État, statuera sur les droits de la personne ». L’Article 6 de la CERD stipule également le droit à un recours effectif ;943 ce droit
942 Voir, p. ex., Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur S. M. Lynk on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/49/87 (12 août 2022), par. 41 (« Le système de justice militaire est présidé par des juges militaires israéliens, et les procès se tiennent en hébreu (langue que de nombreux détenus palestiniens ne parlent pas). Le système n’offre que peu de garanties de procédure et de fond propres à un système judiciaire pénal, les avocats des détenus ont un accès considérablement restreint aux éléments de preuve et le taux de déclaration de culpabilité est supérieur à 99 %. Mesure plus draconienne encore, en tout temps des centaines de Palestiniens font l’objet d’une détention administrative et sont incarcérés en dehors de toute procédure formelle, c’est-à-dire sans inculpation, sans preuves et sans procès ni déclaration de culpabilité, et leur détention peut être prolongée indéfiniment. ») et par. 50(a) (« [L]es tribunaux militaires envoient des milliers de Palestiniens en détention au motif qu’ils ont porté atteinte à la sécurité de l’État, se servant d’un système judiciaire qui n’offre que quelques-unes des garanties relatives à la régularité de la procédure ou à la prévention des arrestations et détentions arbitraires prévues par le droit international. ») ; Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/37/42 (21 fév. 2018), par. 27 (« En suivant des procès, le HCDH a relevé plusieurs motifs d’inquiétude liés à la violation des droits des Palestiniens à un procès équitable dans le système de justice israélienne ».) Assemblée générale des Nations Unies, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the Occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/77/493 (3 oct. 2022) (Dossier N° 72), par. 42 (« 90 % des enquêtes concernant des Palestiniens (entre 2014 et 2018) ont débouché sur des inculpations dans les tribunaux militaires, et 96 % des cas ayant fait l’objet de poursuites se sont conclus par des condamnations, la plupart d’entre elles suite à un arrangement [plea deals] (99,6 % entre 2018 et avril 2021) »).
943 Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (21 déc. 1965), 660 U.N.T.S. 195 (ci-après dénommée « CERD »), art. 6 (« Les États parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’État compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales … »).
252
est inclus implicitement dans le PIDESC.944 Le CDH a souligné que, pour se conformer à ses obligations à cet égard, un État doit « mettre en place[] des mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne ».945 Il est tenu d’« accorder réparation aux personnes dont… les droits ont été violés ».946 Cela « peut prendre la forme de restitution, réhabilitation, mesures pouvant donner satisfaction, (excuses publiques, témoignages officiels), garanties de non-répétition et modification des lois et pratiques en cause, aussi bien que la traduction en justice des auteurs de violations des droits de l'homme ».947
3.123 Les politiques d’Israël empêchant les Palestiniens de remédier efficacement aux violations des droits de l'homme dont ils font l’objet, décrites aux paragraphes 2.137 à 2.138, et 2.178, et son omission de tenir responsables les auteurs de ces violations, décrite aux paragraphes 2.148 à 2.153, 2.177, 2.205 et 2.226, équivalent à des violations de ses obligations de fournir des recours effectifs.
3.124 La violation par Israël du droit des Palestiniens à des recours effectifs était l’objet des observations finales de 2022 du CDH. Le comité a indiqué être profondément préoccupé par « le manque de responsabilisation » en cas « d’usage
944 CESCR, Commentaire général N° 9, Doc. ONU A/RES/1998/24 (3 déc. 1998), par. 3 (« Le Pacte ne contient aucune disposition similaire au paragraphe 2.3 (b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui oblige, notamment, les États parties à « développer les possibilités de recours juridictionnel ». Néanmoins, un État partie qui cherche à se justifier du fait qu'il n'offre aucun recours interne contre les violations des droits économiques, sociaux et culturels doit montrer soit que de tels recours ne constituent pas des « moyens appropriés » au sens du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte ou qu'ils sont, compte tenu des autres moyens utilisés, superflus. Cela n'est pas facile à montrer et le Comité estime que, dans bien des cas, les « autres moyens » utilisés risquent d'être inopérants s'ils ne sont pas renforcés ou complétés par des recours juridictionnels. »)
945 CDH, Commentaire général N° 31, Doc. ONU CCPR/C/21/Rév.1/Add. 13 (29 mars 2004), par. 15.
946 Ibid., par. 16.
947 Ibid.
253
excessif de la force létale par les forces de sécurité israéliennes contre les civils palestiniens », « créant un climat général d'impunité » ;948 « une très faible proportion de mises en accusation et de condamnations des auteurs [de violences commises par les colons à l’encontre des Palestiniens] » ;949 « l’absence d’informations actualisées sur les enquêtes relatives aux violations des droits de l’homme commises dans la Bande de Gaza » ;950 et « un très faible taux d’enquêtes, de poursuites et de condamnations pénales concernant les allégations de torture et de mauvais traitements » commis par Israël contre les Palestiniens en détention.951 Par conséquent, le CDH a recommandé à Israël de fournir des recours effectifs à toutes les victimes palestiniennes.
3.125 Le Secrétaire général des Nations Unies, le HCDH, les titulaires de mandats et la commission d’enquête sont parvenus à la même conclusion.952
948 CDH, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, Doc. ONU CCPR/C/ISR/CO/5 (5 mai 2022), par. 26.
949 Ibid., par. 24.
950 Ibid., par. 22.
951 Ibid., par. 30.
952 Voir, p. ex., Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 fév. 2023), par. 59 (« ‘obligation qu’a l’État d’enquêter sur les décès susceptibles de résulter d’actes illégaux est un élément important de la protection du droit à la vie… Le manquement systématique d’Israël à l’obligation qui lui incombe d’enquêter sur ces faits renforce l’impunité et a invariablement pour conséquence une augmentation du nombre de victimes palestiniennes. ») et par. 64 (« Une inquiétude persiste concernant le manque de responsabilisation par les autorités israéliennes concernées lors des enquêtes sur les allégations de torture ou de mauvais traitements des Palestiniens, y compris la violence sexuelle, dans les établissements de détention israéliens ») ; Conseil des droits de l'homme, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 64 (« [Le Haut-commissaire aux droits de l'homme] a constaté qu’Israël manquait à établir les responsabilités s’agissant des violations perpétrées dans le Territoire palestinien occupé en raison de deux types de défaillances : les obstacles physiques, financiers, juridiques et procéduraux qui limitaient l’accès à la justice des Palestiniens, en particulier ceux vivant à Gaza, et l’omission d’enquêter sur toutes les allégations. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/76/333 (20 sept. 2021) (Dossier N°
254
III. La conduite de l’occupation viole le droit international humanitaire
3.126 En tant que puissance occupante dans les TPO, Israël doit se conformer au DIH. La Cour a affirmé dans l’Avis consultatif sur le Mur que « la Quatrième Convention de Genève … est applicable dans les territoires palestiniens [occupés] ».953 La Cour a également estimé que les dispositions du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (« Règlement de La Haye ») reflètent le droit international coutumier954 et s’appliquent à la conduite de l’occupation par Israël du territoire palestinien.955
3.127 La conduite d’Israël dans les TPO est également régie par les normes pertinentes du droit international coutumier. Cela inclut les interdictions impératives des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.956 Par ailleurs, en vertu de l’accession de l’État de Palestine au Statut de Rome, toute personne, quelle que soit sa nationalité ou sa capacité officielle, encourra une responsabilité pénale individuelle pour la commission de crimes contre l’humanité et de crimes
862), par. 5 (« Le manque de responsabilisation en cas de violations des droits de l'homme internationaux et du droit international humanitaire est resté omniprésent. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 66 (« Les tribunaux israéliens ont mis en examen peu de personnes soupçonnées d’avoir commis des violences contre des Palestiniens, ce qui contribue au climat d’impunité qui règne. »).
953 Avis consultatif sur le Mur, par. 101.
954 Ibid., par. 89.
955 Voir, p. ex., ibid., par. 135.
956 CDI, Peremptory norms of general international law (jus cogens) : Texts of the draft conclusions and Annex adopted by the Drafting Committee on second reading, Doc. ONU A/CN.4/L.967 (11 mai 2022), Conclusion 23 (Annexes (c) à (e)). Voir également CDI, Fourth report on peremptory norms of general international law (jus cogens) by Rapporteur spécial D. Tladi, Doc. ONU A/CDH/16/727 (31 janv. 2019), par. 84-101, 116-121 ; CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries, dans l’Annuaire de la Commission du droit international de 2019 (Vol. II, Pt. 2), Préambule (« Rappelant également que l’interdiction de crimes contre l’humanité est une norme impérative du droit international général (jus cogens) ») ; ibid., pp. 24 et 25.
255
de guerre dans les TPO.957 Comme l'a statué la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale, « la compétence territoriale de la Cour concernant la Situation en Palestine s'étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, notamment Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ».958
3.128 L’obligation fondamentale d’Israël en tant que puissance occupante est de garantir l’ordre public et la vie civile dans les TPO.959 Loin de maintenir l'ordre
957 Le champ d'application de la responsabilité pénale individuelle en vertu du Statut de Rome coïncide avec la compétence de la CPI. Voir Statut de Rome de la Cour pénale internationale (17 juillet 1998), 2187 U.N.T.S. 90 (ci-après dénommé « Statut de Rome »), art. 25(2) (« Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut. »). La compétence personnelle de la CPI s’étend à l’auteur d'un crime, quelle que soit sa nationalité, lorsque la conduite en question a eu lieu sur le territoire d’un État partie au Statut de Rome. Voir ibid., art. 12(2)(a). L’État de Palestine est partie au Statut de Rome. Cour pénale internationale, « État de Palestine : situation dans l’État de Palestine » (dernière consultation : 11 juillet 2023)), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ydwuxe95. La capacité officielle n’exclut pas la responsabilité pénale internationale en vertu du Statut de Rome. Voir Statut de Rome, art. 27 (« Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut »).
958 Voir Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, Decision on the Prosecution request pursuant to article 19(3) for a ruling on the Cour’s territorial jurisdiction in Palestine (5 fév. 2021), CPI-01/18, par. 118.
959 Voir Conférences internationales (La Haye), Hague Convention (IV) Respecting the Laws and Customs of War on Land and Its Annex : Regulations Concerning the Laws and Customs of War on Land (18 oct. 1907) (ci-après dénommée « règlement de La Haye »), art. 43. Le texte français authentique du règlement de La Haye stipule qu’Israël doit « prendr[e] toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics ». Ibid. Le libellé français original « l’ordre et la vie publics » est traduit dans la version anglaise généralement acceptée par « public order and safety ». Toutefois, il est largement reconnu qu’un « libellé plus complet », « notamment « public order and civil life ” », reflète plus fidèlement le texte français original. Voir E. Benvenisti, THE INTERNATIONAL LAW OF OCCUPATION (2e Éd., OUP, 2012), p. 68 (note 1) (souligné dans l’original). En effet, ce point de vue a été accepté par la Cour suprême d’Israël, qui a déterminé en 1988 que, dans les TPO, Israël était tenu de maintenir « une vie et un ordre publics dans un État moderne et civilisé à la fin du vingtième siècle ». CNUCED, The Economic Costs of the Israeli Occupation for the Palestinian People and their Human Right to Development : Legal Dimensions (2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/3ecmx3c5, p. 10. Voir également M. Sassòli, « Article 43 of The Hague Regulations and Peace Operations in the Twenty-First Century », HPCR (juin 2004), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/2p8b467s, pp. 3-4.
256
public et la vie civile dans les TPO, les mesures prises dans les TPO par Israël constituent en fait des violations de différentes normes spécifiques du DIH. En Cisjordanie, les violations les plus flagrantes sont l’établissement de colonies dans les TPO (Section A(1)), les mesures affectant le public palestinien et la propriété privée (Section A(2)), l’omission par Israël de protéger les Palestiniens contre les violences infligées par les acteurs de l’État et les parties privées (Section A(3)), le transfert forcé de la population palestinienne (Section A(4)), et l’application du droit interne israélien en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) (Section A(5)). À Gaza, Israël viole les normes de base régissant l’usage de la force lors d'un conflit armé (Section B(1)), ne se conforme pas à ses obligations concernant les besoins essentiels de la population (Section B(2)), et inflige des punitions collectives interdites à cette population (Section B(3)). Par ailleurs, dans tous les TPO, Israël considère que les ressources naturelles lui appartiennent, ce qui viole les règles régissant l'utilisation par une puissance occupante des ressources naturelles du territoire occupé (Section C).
A. LA CONDUITE DE L’OCCUPATION EN CISJORDANIE (Y COMPRIS A JERUSALEM-EST) VIOLE LE DROIT HUMANITAIRE INTERNATIONAL
L’établissement des colonies israéliennes en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) viole l’Article 49(6) de la Quatrième Convention de Genève
3.129 L’Article 49(6) de la GC IV stipule que « [l]a Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ».960 La Cour a expliqué dans l’Avis consultatif sur le Mur que cette disposition « prohibe non seulement les déportations ou transferts forcés de population tels qu'intervenus au cours de la seconde guerre mondiale, mais encore les mesures prises par une Puissance
960 Convention de Genève (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (12 août 1949), 75 U.N.T.S. 287 (ci-après dénommée « Quatrième Convention de Genève »), art. 49.
257
occupante en vue d'organiser et de favoriser des transferts d'une partie de sa propre population dans le territoire occupé ».961
3.130 Toute violation de cette règle constitue une grave violation de la GC IV,962 c’est-à-dire, un acte pour lequel les parties à celle-ci se sont « engag[ées] à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre ».963 L’Article 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome reconnaît qu'il s’agissait d'un crime de guerre donnant lieu à une responsabilité pénale individuelle.964
3.131 Comme expliqué au Chapitre 2, Section I, peu de temps après la guerre de 1967, Israël a commencé à autoriser et encourager l’établissement de colonies de ressortissants Juifs israéliens en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est). Cette pratique existe toujours. La colonisation par Israël de ce territoire viole clairement
961 Avis consultatif sur le Mur, par. 120.
962 Quatrième Convention de Genève, art. 147.
963 Ibid., art. 146(1).
964 Les libellés « interdiction de violations graves », « interdiction de crimes de guerre » et « règles de base du DIH » sont largement interchangeables, même si le dernier est plus souvent utilisé dans le cadre de la responsabilité de l’État. Voir CDI, Fourth report on peremptory norms of general international law (jus cogens) by Special Rapporteur D. Tladi, Doc. ONU A/CDH/16/727 (31 janv. 2019), par. 116. La responsabilité de l’État concernant ces actes est engagée lorsque la conduite en question est imputable à un État, indépendamment du fait que la responsabilité pénale individuelle ait également été établie. Voir Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007, p. 43, par. 173 ; CDI, Draft Articles on Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts, with commentaries, dans l’Annuaire de la Commission du droit international 2001 (Vol. II, Pt. 2), Commentaire à l’Article 58, par. 3 (« la question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer de celle de responsabilité d’un État »). Par ailleurs, contrairement à la responsabilité pénale individuelle, « il est inutile que la Cour présente des conclusions à l’égard de chaque incident individuel allégué » pour déterminer une responsabilité de l’État. Voir Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Judgment, I.C.J. Reports 2005, p. 168 (ci-après dénommé « Armed Activities Judgment on the Merits »), par. 205. Au lieu de cela, la Cour a déjà constaté une « coïncidence de rapports émanant de sources fiables suffisante pour la convaincre que … de graves violations du [DIH] ont été commises ». Ibid., par. 207.
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le DIH. En effet, la Cour avait déterminé à l’époque que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l'ont été en méconnaissance du droit international ».965
3.132 Depuis l’émission de l’Avis consultatif antérieur de la Cour, Israël a permis à plus de 47 000 autres colons israéliens de s’installer à Jérusalem-Est966 et à 220 000 de s’installer dans la zone C de Cisjordanie.967 La conduite actuelle d’Israël souligne la nature délibérée et constante de ses violations du paragraphe 6 de l’Article 49.
Israël viole les règles protégeant la propriété dans les Territoires occupés
3.133 L’Article 46 du règlement de La Haye exige qu’Israël respecte et ne confisque pas de propriété privée dans les TPO. Concernant la propriété publique, l’Article 55 du règlement stipule qu’Israël peut agir « uniquement en tant qu’administrateur et usufruitier » et doit « [l’]administrer conformément aux règles de l'usufruit ». Par ailleurs, l’Article 53 de la GC IV interdit la « destruction … de biens mobiliers ou immobiliers appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’État, ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives … sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires ». Ces règles ont été reconnues en tant que règles de droit international coutumier.968
965 Avis consultatif sur le Mur, par. 120.
966 Peace Now, « Settlements Watch : Jerusalem » (dernière consultation : 24 avr. 2023), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
967 Peace Now, « Settlements Watch : Population » (dernière consultation : 11 juillet 2023)), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ydwuxe95. En 2004, le nombre de colons en Cisjordanie était de 243 900. En 2021, il est passé à 465 400.
968 ICDE, Rules of Customary International Law, Règle 51, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/5hbbt2b6.
259
3.134 L’« appropriation de biens, non justifiée par des nécessités militaires et exécutée sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire », est une violation grave de la GC IV969 et constitue un crime de guerre en vertu de l’Article 8(2)(a)(iv) du Statut de Rome.
3.135 Israël viole les règles protégeant la propriété dans les TPO, notamment, en confisquant des terres inutilement aux Palestiniens (décrit au paragraphe 2.13), en démolissant les habitations des Palestiniens et en les expulsant de leur propriété (décrit aux paragraphes 2.55 à 2.62), et en limitant l’accès des Palestiniens aux terres (décrit aux paragraphes 2.48 à 2.54, 2.72 à 2.74, et 2.100 à 2.101).
3.136 En 2019, le HCDH a observé que les mesures prises par Israël constituant la « confiscation officielle ou non, de terres et la limitation de l’accès par des mesures de coordination est contraire à la règle de l’interdiction de la confiscation de biens privés consacrée par le droit international humanitaire».970 Par ailleurs, en 2023, il a conclu que les « [d]émolitions punitives de logements [commises par Israël]… sont interdites par le droit international humanitaire».971
969 Quatrième Convention de Genève, art. 147.
970 5, 17, 26 ; Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/40/42 (30 janv. 2019), par. 41.
971 Conseil des droits de l'homme, Annual report of the United Nations High Commissioner for Human Rights and reports of the Office of the High Commissioner and the Secretary-General on the Human droits situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice, Doc. ONU A/CDH/52/75 (13 fév. 2023), par. 15.
260
Israël a omis de s’acquitter de ses obligations de protéger les Palestiniens en Cisjordanie contre la violence
3.137 L’Article 27 de la GC IV exige qu’Israël veille à ce que les populations des TPO « soient traitées, en tout temps, avec humanité et protégées notamment contre tout acte de violence ou d'intimidation, [contre les insultes] ». L’Article 32 de la convention interdit à Israël « de prendre toute mesure de nature à causer soit des souffrances physiques … des personnes protégées en leur pouvoir » y compris « le meurtre, la torture, les peines corporelles, les mutilations et … toutes autres brutalités, qu'elles soient le fait d'agents civils ou d'agents militaires ». Pour remplir ces devoirs, Israël doit « faire en sorte que tous les membres de ses forces armées et de police s’abstiennent d'avoir recours à la force à l’encontre des habitants du territoire, à moins que la situation l’exige ».972
3.138 « [L]e fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé » et la torture sont des violations graves de la GC IV973 et constituent des crimes de guerre en vertu de l’Article 8(2)(a)(ii) et (iii) du Statut de Rome.
3.139 L’usage excessif de la force par Israël dans l’exercice du pouvoir d'application de la loi, y compris la commission d’exécutions extrajudiciaires, tel que décrit aux paragraphes 2.139 à 2.178, violent ses obligations de protéger les Palestiniens contre les violences. Cette obligation est également violée en soumettant les Palestiniens placés en détention administrative à la torture et à des traitements cruels, tel que décrit au paragraphe 2.205.
972 D. Fleck, THE HANDBOOK OF INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW (4e Éd., OUP, 2021), p. 306, par. 9.08(1).
973 Quatrième Convention de Genève, art. 147.
261
3.140 L’obligation générale d’Israël de garantir l’ordre et la sécurité publics en vertu de l’Article 43 du règlement de La Haye exige également qu'il « prenne toutes les mesures pour protéger les habitants [des TPO] contre les violences commises par des tiers », y compris des « particuliers ou des groupes ».974 Israël ne peut pas « tolérer les activités de ces groupes, et encore moins les aider ou faire appel à eux à leurs propres fins ».975 Israël est défaillant à cet égard en omettant d’empêcher et de sanctionner les violences perpétrées par les colons à l’encontre des Palestiniens, et en tolérant de telles activités et en les utilisant à ses propres fins, tel que décrit aux paragraphes 2.179 à 2.185. « [L]e Secrétaire général et la Haute-Commissaire [aux droits de l’homme] ont insisté sur le fait que, contrairement à l’obligation de garantir la sûreté et la sécurité de la population occupée qui incombe à Israël en tant que Puissance occupante, les colons qui commettent des attaques à l’encontre de Palestiniens jouissent d’une grande impunité ».976
Israël viole l’interdiction de transfert forcé stipulée à l’Article 49(1) de la Quatrième Convention de Genève
3.141 L’Article 49(1) de la GC IV interdit « [l]es transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre Etat … ».977 Même si la GC IV ne définit pas le « transfert forcé », le Statut de Rome le définit comme « le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par
974 D. Fleck, The Handbook of International Humanitarian Law (4e Éd., OUP, 2021), p. 307, par. 9.08(2).
975 Ibid.
976 Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/43/67 (30 janv. 2020), par. 59.
977 Quatrième Convention de Genève, art. 49.
262
d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement ».978 Selon le Secrétaire général,
[L]e transfert forcé … peut être déclenché par des circonstances particulières qui font que les individus ou les communautés n’ont pas d’autre choix que de partir. L’existence de pareilles circonstances constitue ce que l’on appelle un environnement coercitif. Tout transfert effectué sans que les personnes concernées n’y consentent véritablement, en connaissance de cause, est considéré comme forcé. Toutefois, on ne peut présumer qu’il a été véritablement consenti à un transfert dans un environnement marqué par le recours ou la menace de recours à la force physique, la contrainte, la peur de la violence ou la contrainte.979
3.142 Le transfert forcé constitue une grave violation de la GC IV980 et est un crime de guerre en vertu de l’Article 8(2)(a)(vii) du Statut de Rome.
3.143 Les mesures prises par Israël ont eu pour effet de contraindre les Palestiniens résidents en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est) à quitter leurs habitations et leurs terres, y compris les confiscations de terres, les démolitions d’habitations, les expulsions forcées, les violences systématiques, les restrictions à l'octroi de droits de résidence.981 Elles constituent des actes de transferts forcés interdits.
978 Statut de Rome, art. 7(2)(d).
979 Conseil des droits de l'homme, Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/CDH/34/38 (13 avr. 2017), par. 28.
980 Quatrième Convention de Genève, art. 147. Voir également Commentaire de 1958 sur la Quatrième Convention de Genève, art. 147, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
981 Voir supra Chapitre 2, §§ I-IV.
263
3.144 En effet, de nombreux organes des Nations Unies ont reconnu qu’Israël procédait à des transferts forcés de Palestiniens en Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est). Notamment, rien que l’année dernière :
 en avril 2022, le HCDH a constaté que « [l]e déplacement et la réinstallation dans d'autres zones résidentielles du fait d’un tel climat pourraient constituer des formes de transfert forcé, contraires aux obligations incombant à Israël au regard du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme »982 ;
 en septembre 2022, la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem, et Israël a conclu que les politiques d’Israël qui « ont contribué au déplacement forcé de la population palestinienne qui vivait dans certaines zones, modifié la composition démographique du Territo ire palestinien occupé et abouti à l’encerclement presque total des communautés palestiniennes par les colonies israéliennes, sont susceptibles de constituer le crime de déportation ou de transfert forcé de population, crime contre l’humanité visé au paragraphe 1 d) de l’article 7 du Statut de Rome ».983
L'application par Israël du droit interne israélien viole son obligation de respect des lois en vigueur
3.145 En vertu de l’Article 43 du règlement de La Haye, Israël doit respecter le système juridique et judiciaire qui existait en Cisjordanie avant l’occupation.984 De même, l’Article 64 de la GC IV stipule que la « législation pénale du territoire occupé demeurera en vigueur, sauf dans la mesure où elle pourra être abrogée ou suspendue par la Puissance occupante si cette législation constitue une menace pour
982 Conseil des droits de l'homme, Israeli settlements in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and in the occupied Syrian Golan, Doc. ONU A/CDH/49/85 (28 avr. 2022), par. 53.
983 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 86.
984 Voir règlement de La Haye, art. 43.
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la sécurité de cette Puissance ou un obstacle à l’application de la [Quatrième] Convention [de Genève] ». Il est communément admis que l’Article 64 s’applique à « l’intégralité du système écologique des territoires occupés ».985 Par conséquent, Israël peut uniquement adopter de nouvelles lois dans les TPO « essentielles pour [lui] permettre de remplir ses obligations en vertu de la [Quatrième] Convention [de Genève], pour maintenir le gouvernement organisé du territoire, et garantir [sa propre] sécurité … ». Selon Sylvain Vité, du Comité international de la Croix-Rouge, « aucune autre raison ne peut être avancée pour justifier des modifications de l’ordre juridique interne ». 986
3.146 Au lieu de prendre « toutes les mesures en [son] pouvoir » pour garantir le respect des lois en vigueur en Cisjordanie au moment de l’occupation, il a affirmativement déplacé ces lois et appliqué le droit israélien en Cisjordanie, comme expliqué au Chapitre 2, Section V. Cela n’est pas « essentiel pour [lui] permettre de satisfaire ses obligations » en tant que puissance occupante et, par conséquent, contrevient à ces normes du DIH.
B. LA CONDUITE DE L’OCCUPATION A GAZA VIOLE LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
Israël viole les normes fondamentales régissant le recours à la force lors d’attaques militaires à l’encontre de Gaza
3.147 En vertu du DIH, Israël est tenu de se conformer aux normes de base régissant le recours à la force lors d'attaques militaires à l’encontre de Gaza. Ces normes exigent qu’il (i) applique « des considérations élémentaires d'humanité » lors du recours à la force, (ii) fasse la distinction entre les cibles militaires et les
985 D. Fleck, THE HANDBOOK OF INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW (4e Éd., OUP, 2021), p. par. 9.19(2).
986 S. Vité, « Occupation », dans B. Saul et D. Akande, THE OXFORD GUIDE TO INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW (2020), p. 313.
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civils ou les biens de caractère civil, et ne cible pas de civils ; (iii) ait recours à une force proportionnelle en lien avec l’objectif militaire prévu ; et (iv) ait uniquement recours à la force « effectivement nécessaire à la réalisation d'objectifs militaires légitimes ».987
3.148 L’omission de se conformer à ces obligations atteint le niveau de « violations graves » de la GC IV.988 Notamment, les actes suivants, lorsqu'ils sont commis délibérément, constituent des crimes de guerre en vertu du Statut de Rome : tuer des civils ;989 causer [intentionnellement] de grandes souffrances ou porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé ;990 diriger des attaques contre la population civile, des personnes civiles et des biens de caractère civil ;991 lancer une attaque sans discrimination atteignant la population civile ou des biens de caractère civil, en sachant que cette attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil ;992 attaquer ou bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires ;993 et causer la destruction et l'appropriation de biens, non
987 ICDE, Fundamental principles of DIH, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ycks8x94 ; ICDE, Military Necessity, disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mvjxtzfu.
988 Quatrième Convention de Genève, art. 147.
989 Ibid., art. 147 ; Statut de Rome, art. 8(2)(a)(i).
990 Quatrième Convention de Genève, art. 147 ; Statut de Rome, art. 8(2)(a)(iii).
991 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, et relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) (8 juin 1977) (ci-après dénommé « Protocole additionnel I »), art. 85(3)(a) ; Statut de Rome, art. 8(2)(b)(i)-(ii).
992 Protocole additionnel I, art. 85(3)(b) ; Statut de Rome, art. 8(2)(b)(ii).
993 Statut de Rome, art. 8(2)(b)(v). Voir également Armed Activities Judgment on the Merits, par. 208.
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justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire.994
3.149 Comme décrit ci-dessus au Chapitre 2, Section IV(A), Israël a ciblé sans distinction des civils et a mis en oeuvre la soi-disant « Doctrine Dahiya ». La caractéristique principale de cette doctrine est le recours excessif à la force dans des zones civiles densément peuplées. Son exécution dans le cadre d’attaques militaires à l’encontre de Gaza constitue les violations graves identifiées dans le paragraphe précédent. Par ailleurs, il est prouvé, comme indiqué au paragraphe 2.123, que ces actes ont été commis délibérément et, par conséquent, constituent des crimes de guerre.
Israël a omis de satisfaire ses obligations de répondre aux besoins essentiels de la population, et de la vie civile, à Gaza
3.150 En vertu de l’Article 55(1) de la GC IV, Israël, en tant que puissance occupante, doit « assur[er] l'approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux ; [elle] devra notamment importer les vivres, les fournitures médicales et tout autre article nécessaire lorsque les ressources du territoire occupé seront insuffisantes ».995 Les mesures privant la population d'alimentation et de produits médicaux violent ipso facto cette obligation. De même, en vertu de l’Article 56(1), Israël doit « garant[ir] … les établissements et les services médicaux et hospitaliers, ainsi que la santé et l'hygiène dans le territoire occupé ».996 Au minimum, cela signifie que « l’infrastructure médicale d’un
994 Quatrième Convention de Genève, art. 147 ; Statut de Rome, art. 8(2)(a)(iv), 8(2)(b)(iv).
995 Cet article de la Quatrième Convention de Genève, et tous les autres non mentionnés à l’Article 6 de celle-ci, continuent à s’appliquer à Gaza car l’Article 6(3) de la Quatrième Convention de Genève ne limite pas les dispositions applicables de la GCIV à Gaza de la même manière qu’en Cisjordanie car « la fin générale des opérations militaires » n’a pas encore eu lieu à Gaza. Voir Avis consultatif sur le Mur, par. 125.
996 Quatrième Convention de Genève, art. 56.
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territoire occupé doit être autorisée à continuer à desservir la population locale ».997 Par ailleurs, l’obligation générale de garantir la vie civile en vertu de l’Article 43 de la Convention de La Hague exige qu’Israël s’abstienne de perturber la vie civile à Gaza.
3.151 En raison de son blocus, Israël a violé l’ensemble de ces obligations. Notamment, il a
 privé Gaza d'alimentation et de produits médicaux, tel que décrit aux paragraphes 2.94 à 2.97, 2.99 à 2.101 et 2.103 ;
 entravé le fonctionnement de l’infrastructure médicale et de santé publique, y compris l’infrastructure d'assainissement, tel que décrit aux paragraphes 2.98 à 2.99 ; et
 empêché le fonctionnement normal de la vie civile, notamment, en soumettant la population au spectre de la violence (décrit aux paragraphes 2.108 à 2.136) et en maintenant des contrôles stricts des importations vers, et des exportations depuis Gaza (tel que décrit aux paragraphes 2.94 à 2.97).
3.152 Comme la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU sur les manifestations dans les TPO l’a conclu en 2019,
En droit international, Israël a des obligations en tant que Puissance occupante dont découle la responsabilité de garantir la santé et le bien-être de la population palestinienne placée sous son contrôle. La Commission d’enquête a conclu que le blocus de Gaza, compte tenu de ses répercussions sur le système de santé gazaouite et la privation qu’il entraîne de biens et de services essentiels pour garantir des conditions de vie dignes, tels que des fournitures médicales de base, l’eau potable, l’électricité et les systèmes d’assainissement,
997 D. Fleck, THE HANDBOOK OF INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW (4e Éd., OUP, 2021), p. par. 9.40(2).
268
constitue une violation des droits fondamentaux à la vie et à la santé ….998
Les mesures prises par Israël à Gaza constituent une sanction collective interdite
3.153 Le droit international interdit d'imposer des peines ou des restrictions d’une quelconque nature de manière collective. L’Article 50 du règlement de La Haye stipule ce qui suit : « Aucune peine collective, pécuniaire ou autre, ne pourra être édictée contre les populations à raison de faits individuels dont elles ne pourraient être considérées comme solidairement responsables. » Par ailleurs l’Article 33 de la GC IV stipule ce qui suit : « Aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu'elle n'a pas commise personnellement. Les peines collectives, de même que toute mesure d'intimidation ou de terrorisme, sont interdites. »
3.154 The Guide sur le droit humanitaire dans les conflits armés [Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflict] décrit les sanctions collectives de la manière suivante :
Les peines collectives … et toutes les mesures d’intimidation et de terrorisme appliquées par la puissance occupante ont généralement un objectif unique : forcer la population du territoire occupé de se soumettre à son autorité. Ces mesures peuvent prendre différentes formes, telles qu'un couvre-feu … empêchant les habitants de remplir leurs fonctions quotidiennes, la punition ou la détention de plusieurs membres d’un groupe ou d'une famille en raison d'une infraction alléguée par l’un de leurs membres, ou la destruction de l’habitation appartenant à la famille d’un auteur présumé d'infraction. Ces actes sont interdits, sans exception, par l’Article 33 [de la GC IV].999
998 Conseil des droits de l'homme, Report of the independent international commission of inquiry on the protests in the Occupied Palestinian Territory, Doc. ONU A/CDH/40/74 (6 mars 2019), par. 100(a).
999 D. Fleck, The Handbook of International Humanitarian Law (4e Éd., OUP, 2021), p. par. 9.09(3).
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3.155 Comme expliqué, Israël a mené des attaques, a détruit des structures et infrastructures civiles, a imposé des restrictions à la liberté de mouvement, a restreint le mouvement de biens, a limité l’électricité disponible, et a établi des zones tampons à Gaza.1000
3.156 Plus de 2,2 millions de personnes vivent à Gaza et la grande majorité sont des personnes civiles. Toutefois, tous les habitants de Gaza subissent les conséquences des attaques militaires menées par Israël. Selon le Secrétaire général des Nations Unies, ils subissent un « impact défavorable significatif concernant l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels » dus au blocus imposé par Israël.1001
3.157 En déterminant si les mesures prises par Israël à Gaza constituent une sanction collective, Human Rights Watch a suggéré que « il faut prendre en considération le moment, la durée et l'étendue des mesures imposées, les raisons invoquées par la puissance occupante concernant les mesures restrictives, la proportionnalité de ces mesures par rapport aux raisons invoquées, et l’effet des mesures sur la population affectée ».1002 Le mode des attaques militaires et le blocus, qui ont dominé et gravement affecté chaque aspect de la vie à Gaza pendant plus de 15 ans, ne sont pas appropriés pour atteindre les objectifs de sécurité légitimes. Cela correspond clairement à une sanction collective interdite.
1000 Voir supra Chapitre 2, §§ III(B) et IV(A)-(B).
1001 Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/73/420 (10 oct. 2018), par. 9.
1002 Human Rights Watch, The Obligations of Israel and the Palestinian Authority Under International Law (2001), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4t53z5du, p. 23.
270
3.158 Cette conclusion est partagée par différents organes des Nations Unies1003 ainsi que des organisations des droits de l’homme réputées.1004 Comme l'a déclaré le Secrétaire Général, Israël « puni[t] des personnes pour des actes qu’elles n’ont pas commis ».1005
C. LES MESURES PRISES PAR ISRAËL CONCERNANT LES RESSOURCES NATURELLES ET L’ECONOMIE DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPE VIOLENT SES OBLIGATIONS EN TANT QUE PUISSANCE OCCUPANTE
3.159 En vertu des principes généraux de la loi régissant l’occupation, Israël « doit uniquement prendre des mesures pour le bénéfice de l’économie locale, et
1003 Voir, p. ex., Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/70/421 (14 oct. 2015) (Dossier N° 856), par. 29 ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/72/565 (1er nov. 2017) (Dossier N° 858), par. 28 ; HCDH, Press Release : Closure of Gaza commercial crossing : UN expert calls on Israel to reverse decision (13 juillet 2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/mtfrx3y9 (« Le blocus aérien, maritime et terrestre imposé depuis 11 ans par Israël a régulièrement fait reculer les conditions sociales et économiques à Gaza. Cela constitue la sanction collective des deux millions d’habitants de Gaza, ce qui est strictement interdit en vertu de la Quatrième Convention de Genève. ») ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/73/420 (10 Oct. 2018) (Dossier N° 859), par. 7, 9 ; Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/74/468 (2 oct. 2019) (Dossier N° 860), par. 22 ; Conseil des droits de l'homme, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/CDH/50/21 (9 mai 2022), par. 42 ; Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 20.
1004 Voir, p. ex., Euro-Med Human Rights Monitor, The Gaza Strip : Undocumented Citizens (mars 2021), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/56269m5r, pp. 38-39 ; Conseil des droits de l'homme, Joint NGO Statement on the human rights situation in Palestine, Doc. ONU A/CDH/24/NGO/51 (22 août 2013), p. 2 (« En appliquant la fermeture, Israël a déclaré son intention de mener une « guerre économique ». Cette politique illégale constitue une forme de sanction collective de la population civile, en violation de l’Article 33 de la Quatrième Convention de Genève. »).
1005 Assemblée générale des Nations Unies, Israeli practices affecting the human rights of the Palestinian people in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Doc. ONU A/72/565 (1er nov. 2017) (Dossier N° 858), par. 18.
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non pour ses propres intérêts économiques, tout en respectant, comme point de départ, le status quo ante ».1006 Il « a le droit d’utiliser les ressources naturelles d’un territoire occupé dans une mesure limitée ».1007 Pour être plus précis, comme la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem, et Israël l’ont expliqué, Israël « doit sauvegarder le fonds de ces propriétés [les ressources naturelles des TPO] et les administrer conformément aux règles de l'usufruit ».1008
3.160 L’obligation de « sauvegarder le fonds » signifie que la puissance occupante peut autoriser une exploitation continue des ressources non renouvelables déjà exploitées, mais doit « s’abstenir de diminuer les ressources au-delà de ce que le propriétaire aurait fait, comme en témoignent les niveaux de production ante ».1009 Par ailleurs, les ressources, « ou les produits de leur vente », peuvent uniquement être utilisés pour satisfaire « les besoins de la population locale et les intérêts en matière de sécurité de l’occupant, et non l’exploitation économique ».1010 L’extraction de nouvelles ressources est généralement considérée comme illicite.1011
3.161 Par ailleurs, les articles 28 et 47 du règlement de La Haye, ainsi que l’Article 33 de la GC IV, interdisent le pillage. Cela s'applique à tous les types de
1006 E. Lieblich & E. Benvenisti, OCCUPATION IN INTERNATIONAL LAW (2022), p. 203.
1007 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 40.
1008 Ibid.
1009 E. Lieblich & E. Benvenisti, OCCUPATION IN INTERNATIONAL LAW (2022), § 6.3.2.
1010 Ibid., § 6.3.3.
1011 Voir ibid. (« le libellé de l’Article 55 … ne peut pas permettre, en tant que « sauvegarde du capital », une exploitation des ressources au-delà des niveaux de production que le souverain aurait entreprise de toute façon. … Le principe de « souveraineté permanente » pousse également à comprendre de manière plus restrictive la règle concernant l’extraction de nouvelles ressources ».).
272
biens, indépendamment du fait qu’ils appartiennent à des particuliers ou à l’État.1012 « [L]’essentiel du délit de pillage consiste à s'approprier des biens pour un usage privé », ce qui peut inclure l'appropriation « pour le bénéfice d’un tiers ».1013 Ainsi, l’« exploitation injustifiée des ressources par l’occupant pour le bénéfice de tiers » et « l’octroi de concessions à des tiers d'une manière contrevenant aux obligations de tutelle de l’occupant » violent l’interdiction de pillage.1014
3.162 Israël a violé ces interdictions en traitant les ressources économiques des TPO comme si elles lui appartenaient. Notamment, son appropriation de l’eau, des hydrocarbures et des ressources minérales des TPO, et l'utilisation de ces ressources pour le bénéfice économique d’Israël et des colonies (tel que décrit aux paragraphes 2.23 et 2.247 à 2.256) violent ses obligations en tant que puissance occupante de sauvegarder les ressources naturelles des TPO. Elles constituent également un acte de pillage car les ressources naturelles des TPO ont été prises pour l'usage privé des Israéliens.
3.163 En effet, en 2022, la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem, et Israël a déterminé que l’exploitation par Israël des ressources naturelles des TPO peut violer les interdictions du DIH en matière de pillage,1015 et que cela « pouvait constituer le crime de guerre [de pillage] en vertu de l’Article 8 (2) (b) (xvi) du Statut de Rome ».1016
1012 Ibid., § 6.1.1.
1013 Ibid.
1014 Ibid.
1015 Voir, Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 31 à 40.
1016 Ibid., par. 87.
273
IV. La conduite de l’occupation implique des crimes contre l’humanité
3.164 En plus de commettre des violations graves des droits de l'homme internationaux et du droit international humanitaire pendant son occupation, Israël a également commis plusieurs crimes contre l’humanité dans les TPO.
3.165 Les crimes contre l’humanité « heurtent profondément la conscience humaine » et « menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ».1017 L’actus rei des crimes contre l’humanité comprend les délits les plus graves : meurtre, extermination, esclavage, transfert forcé, détention arbitraire, torture, violence sexuelle, persécution, disparition forcée et apartheid.1018 Pour constituer un crime contre l’humanité, ces actes doivent être « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».1019
3.166 Comme l’a affirmé la CDI à plusieurs occasions,1020 l’interdiction de crimes contre l’humanité est jus cogens. En tant que norme impérative du droit international général, cette interdiction est contraignante pour Israël et aucune circonstance ne peut être invoquée pour y déroger. L’Article 7 du Statut de Rome,
1017 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), Préambule.
1018 Ibid., art. 2. Voir également Statut de Rome, art. 7(1).
1019 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2. Voir également Statut de Rome, art. 7(1).
1020 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2019 (Vol. II, Pt. 2), commentaire du Préambule, par. 5 (notant que le statut impératif de l'interdiction des crimes contre l’humanité est « clairement accepté et reconnu ») ; CDI, Peremptory norms of general international law (jus cogens) : Texts of the draft conclusions and Annex adopted by the Drafting Committee on second reading, Doc. ONU A/CN.4/L.967 (11 mai 2022), Conclusion 23 (Annexe (c)).
274
qui s'applique dans les TPO, prévoit également la responsabilité criminelle individuelle en cas de crimes contre l’humanité.
3.167 Cela dit, comme l’a affirmé la Cour, la responsabilité criminelle individuelle n'a pas besoin d’être établie pour tenir un État responsable de crimes internationaux.1021 Par ailleurs, dans le cadre de la confirmation de responsabilité d’un État, « il est inutile que la Cour parvienne à un prononcé sur les faits s’agissant de chacun des incidents allégués ».1022 Au lieu de cela, tout comme dans le contexte de violation graves du DIH, la Cour doit trouver une « concordance suffisante entre les informations émanant de sources crédibles pour la convaincre que » des crimes contre l’humanité ont été commis.1023
3.168 Au vu de toutes ses conduites décrites au Chapitre 2 ci-dessus, il ne fait aucun doute qu’Israël a commis et continue de commettre plusieurs crimes contre l’humanité dans les TPO. À titre préliminaire, tel que déterminé par plusieurs organisations internationales des droits de l'homme,1024 l’occupation menée par Israël constitue une (i) « attaque dirigée contre [une] population civile », qui est à la fois (ii) « étendue » et (iii) « systématique ».1025
1021 Voir Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007, p. 43, par. 173. Voir également CDI, Draft Articles on Responsibility of États for Internationally Wrongful Acts, with commentaries, dans l’Annuaire DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2001 (Vol. II, Pt. 2), Commentaire à l’Article 58, par. 3 (« la question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer de celle de la responsabilité des États »).
1022 Voir Armed Activities Judgment on the Merits, par. 205.
1023 Ibid., par. 207.
1024 Voir, p. ex., Amnesty International 2022 Rapport, p. 30 ; HRW 2021 Rapport, pp. 10, 29-30, 186, 204.
1025 L’exigence de « connaissances des attaques » est surtout pertinente dans le contexte de la responsabilité criminelle individuelle. Lorsque l’État agit par le biais de ses mandataires afin de poursuivre sa propre politique consistant à attaquer une population civile, il le fait irrémédiablement en ayant connaissance de l’attaque.
275
3.169 « Une « attaque lancée contre [une] population civile » est définie en tant que « comportement qui consiste en la commission multiple » d'actes interdits « à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque ».1026 Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (« ICTY ») a expliqué dans Tadić que « [t]raditionnellement, il était entendu que cette exigence signifiait qu’il devait y avoir une forme de politique pour commettre ces actes. … Il est toutefois important de souligner qu'une telle politique n’a pas besoin d’être formalisée et peut être déduite de la manière dont les actes se produisent ».1027 Une déduction minime est requise en cas d’occupation ; par définition, il s’agit d’une politique de État israélien affectant tous les Palestiniens dans les TPO. Par ailleurs, comme abordé tout au long du Chapitre 2, les moyens et méthodes auxquels Israël a recours pour imposer l’occupation sont essentiellement dirigés contre les civils.1028
3.170 Les attaques commises par Israël pendant l’occupation sont également « généralisées ». En distillant la compétence de plusieurs tribunaux pénaux internationaux, la CDI expliqué que l’adjectif « généralisé » « indique “un grand nombre de victimes” et exclut les actes de violence isolés … [a] l'attaque
1026 Statut de Rome, art. 7(2)(a). Voir également CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire de la Commission du droit international DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), Article 2 Commentary, par. 17.
1027 ICTY, Prosecutor v. Duško Tadić a/k/a « Dule », Affaire N° IT-94-1-T, Avis et jugement (7 mai 1997), Chambre de première instance, par. 653. Voir également CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans L’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), pp. 34 à 42.
1028 Tel que déterminé par une Chambre de première instance de la CPI, « [l]orsqu’une attaque est menée dans une zone hébergeant des civils et des non-civils, les facteurs pertinents pour déterminer si une attaque a été dirigée contre une population civile incluent les moyens et méthodes utilisés pendant l’attaque, le statut des victimes, leur nombre, la nature discriminatoire de l’attaque, la nature des crimes commis pendant celle-ci, la forme de résistance aux assaillants au moment de l’attaque, ainsi que la mesure dans laquelle la force attaquante s’est conformée aux exigences de précaution des lois de la guerre. » Voir CPI, Prosecutor v. Jean-Pierre Bemba Gombo, Affaire N° CPI-01/05-01/08, Jugement en vertu de l’Article 74 du Statut (21 mars 2016), Chambre de première instance III, par. 162.
276
“généralisée” peut être “massive, fréquente, menée collectivement d’une gravité considérable et dirigée contre un grand nombre de victimes” ».1029 Des millions de Palestiniens sont, au quotidien, les victimes collectives de l’occupation miliaire massive par Israël ; cela est très grave.
3.171 Les attaques commises par Israël sont en fin de compte « systématiques » dans le sens où elles découlent d’« un plan organisé dans la poursuite d’une politique commune, qui suit un schéma régulier et se traduit par la commission continue d'actes ».1030 Elles sont également systématiques car elles impliquent des « “types de délits” tels que ces délits constituent une “répétition délibérée et régulière de comportements criminels similaires” ».1031 Comme démontré au Chapitre 2 ci-dessus, l’occupation revêt une cruauté minutieuse, et implique un type de politiques et pratiques bien documentées qui ont été répétées et affinées pendant des décennies.
3.172 Dans le cadre de ses attaques généralisées et systématiques à l’encontre de la population civile palestinienne, Israël a commis plusieurs crimes contre l’humanité. Le plus important de ces crimes est le crime d’apartheid. Comme expliqué au Chapitre 4, Section II ci-dessous, l’occupation totale par Israël, considérée dans son ensemble, constitue un régime d’apartheid. Dans le cadre de ce régime, Israël a également commis les crimes contre l’humanité de meurtre (Section A), de déportation et de transfert forcé (Section B), de détention arbitraire
1029 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire de la Commission du droit international DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), Commentaire à l’Article 2, par. 12.
1030 Ibid., Commentaire à l’Article 2 , par. 16.
1031 Ibid., Commentaire à l’Article 2 , par. 15.
277
(Section C), de disparition forcée (Section D), d'autres actes inhumains de caractère analogue (Section E) et de persécution (Section F).
A. MEURTRE
3.173 Le meurtre ou la privation de la vie par les auteurs d'une attaque généralisée ou systématique à l’encontre d’une population civile, en ayant connaissance de l’attaque, constitue le crime contre l’humanité de meurtre.1032 Comme expliqué ci-dessus, Israël a tué des milliers de Palestiniens rien qu’au cours des vingt dernières années, en violant de nombreuses normes du DIDH et du DIH.1033 Notamment, Israël a :
 ciblé et tué des civils non armés, y compris des femmes, des enfants, des handicapés et des personnes âgées ;1034
 eu recours à une force excessive et arbitraire à l’encontre de civils dans le cadre des activités d'application de la loi, en entraînant régulièrement de nombreux décès, notamment parmi les enfants ;1035 et
 ciblé des civils et des objets de nature civile lors de ses attaques armées contre Gaza, et eu recours à une force sans discrimination et disproportionnée dans des zones où des civils étaient présents.1036
1032 Voir, p. ex., Cour pénale internationale, Elements of Crimes (2013), art. 7(1)(a) (« Éléments 1. L’auteur a tué une ou plusieurs personnes. 2. La conduite a eu lieu dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. 3. L’auteur savait que la conduite faisait partie de ou avait prévu que cette conduite fasse partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile »), note 7 (« Le terme « tué » peut être remplacé par le terme « causé la mort volontaire de ». »), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
1033 Voir supra Chapitre 2, § IV ; Chapitre 3, §§ II-III.
1034 Voir supra Chapitre 2, §§ IV(C).
1035 Voir supra Chapitre 2, §§ IV(B)-(C).
1036 Voir supra Chapitre 2, §§ IV(A), IV(C).
278
3.174 Les exemples les plus évidents de commission par Israël du crime contre l’humanité de meurtre incluent le meurtre de plus de deux cents manifestants civils pendant la Grande marche du retour à Gaza de 2018 et 2019. Comme indiqué au Chapitre 2, Section IV(B), la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU sur les manifestants dans les TPO a déterminé qu’Israël avait ciblé délibérément des manifestants civils ne présentant aucune mise en danger imminente de la vie, en vertu de règles d'engagement illégales. En abordant la responsabilité criminelle individuelle, elle a expressément déclaré ce qui suit : « Dans le cadre de son enquête, la Commission a constaté que de graves violations des droits de l’homme pouvant être qualifiées de crimes contre l’humanité avaient été commises » y compris le « [m]eurtre et d’‘autres actes inhumains’ causant de grandes souffrances ou des blessures graves ».1037 Même si cela est insuffisant pour établir la responsabilité criminelle individuelle pour des auteurs spécifiques, les conclusions factuelles de la Commission sont suffisantes pour établir la responsabilité de l’État d’Israël conformément à la norme en matière de preuve appliquée par la Cour.1038 Par conséquent, la Cour devrait parvenir à la même conclusion.
B. DEPORTATION ET TRANSFERT FORCE
3.175 Comme expliqué à la Section III(A)(4) ci-dessus, Israël a commis de grave violations du DIH en raison de son transfert forcé de civils palestiniens hors de leurs habitations en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Cela équivaut également au crime contre l’humanité de « déportation ou transfert forcé de
1037 Conseil des droits de l'homme, Report of the independent international commission of inquiry on the protests in the Occupied Palestinian Territory, Doc. ONU A/CDH/40/74 (6 mars 2019), par. 115.
1038 Voir Armed Activities Judgment on the Merits, par. 207 (déterminant l’existence d’une « concordance suffisante entre les informations émanant de sources crédibles pour la convaincre que … de graves manquements au droit international humanitaire ont été commis ».).
279
population », qui est défini comme « le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ».1039
3.176 En septembre 2022, la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, et Israël a conclu que les politiques d’Israël qui « ont contribué au déplacement forcé de la population palestinienne qui vivait dans certaines zones, modifié la composition démographique du Territoire palestinien occupé et abouti à l’encerclement presque total des communautés palestiniennes par des colonies israéliennes, sont susceptibles de constituer le crime de déportation ou de transfert forcé de population, crime contre l’humanité visé au paragraphe 1 d) de l’article 7 du Statut de Rome ».1040
3.177 Au vu de la preuve présentée ci-dessus, la Cour peut et doit déclarer définitivement que la conduite d’Israël constitue le crime contre l’humanité de déportation ou de transfert forcé.
1039 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire de la Commission du droit international DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(2)(d). Voir également Statut de Rome, art. 7(1)(d).
1040 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 86.
280
C. DETENTION ARBITRAIRE
3.178 « [L’]emprisonnement ou les autres formes de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international » constituent un crime contre l’humanité.1041 Cela inclut la détention arbitraire.1042
3.179 Comme expliqué aux Sections II(B) et (L) ci-dessus, le système draconien d’Israël de détention administrative des Palestiniens (c.-à-d., sans inculpation ni jugement et sur la base de preuves secrètes, viole les normes des droits de l'homme.1043 Dans son tout dernier rapport, la Rapporteuse spéciale des TPO a documenté « une privation de liberté arbitraire généralisée et systématique dans le Territoire palestinien occupé »,1044 qui peut impliquer une responsabilité criminelle individuelle pour le crime contre l’humanité de privation de liberté.1045 Elle a expliqué l’étendue du phénomène, et son caractère primordial dans le cadre de l’occupation :
La privation de liberté a été un élément central de l’occupation par Israël depuis le début. Entre 1967 et 2006, Israël a incarcéré plus de 800 000 Palestiniens dans le territoire occupé. Même si elle augmente pendant les soulèvements palestiniens, l’incarcération est devenue une réalité quotidienne. … Environ 7 000 Palestiniens, y compris 882 enfants, ont été arrêtés en 2022. À l’heure actuelle, près
1041 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans l’Annuaire de la Commission du droit international DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(1)(e). Voir également Statut de Rome, art. 7(1)(e).
1042 Voir Conseil des droits de l'homme, Avis adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-douzième session, 15 au 19 novembre 2021 : Avis N° 61/2021 concernant Jamal Afif Suleiman al-Niser (Israël), Doc. ONU A/CDH/WGAD/2021/61(3 déc. 2021), par. 57.
1043 Voir supra Chapitre 2, § V ; Chapitre 3, § II(B).
1044 Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/53/59 (9 juin 2022), par. 1.
1045 Ibid., par. 9, 22 à 25.
281
de 5 000 Palestiniens, y compris 155 enfants, sont détenus par Israël, dont 1 014 sans inculpation ni jugement.1046
3.180 De même, le Groupe de travail de l'ONU sur la Détention arbitraire a relevé un « type familier » de détention arbitraire de Palestiniens par Israël, rappelant que ces détentions peuvent constituer des crimes contre l’humanité.1047 Par conséquent, Israël est responsable du crime contre l’humanité de détention arbitraire.
D. DISPARITION FORCEE
3.181 La disparition forcée en tant que crime contre l’humanité est définie comme :
[l]es cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.1048
1046 Ibid., par. 6.
1047 Conseil des droits de l'homme, Avis adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-douzième session, 15 au 19 novembre 2021 : Avis N° 61/2021 concernant Jamal Afif Suleiman al-Niser (Israël), Doc. ONU A/CDH/WGAD/2021/61, par. 57 (« Le Groupe de travail constate que de nombreux cas impliquant la détention administrative en Israël et dans le Territoire palestinien occupé suivent un schéma traditionnel de détention de durée indéterminée par le biais d'ordonnances de détention administrative consécutives sans inculpation ni jugement (souvent sur la base de preuves secrètes et relevant de la compétence militaire), et avec un recours judiciaire limité ou une absence de recours judiciaire à l’examen du caractère légal de la détention. Le Groupe de travail rappelle que, dans certaines circonstances, l’emprisonnement généralisé ou systématique ou une autre forme de privation grave de la liberté contraire aux règles du droit international peuvent constituer des crimes contre l’humanité. »).
1048 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans L’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(2)(i).
282
3.182 Comme expliqué à la Section II(B) ci-dessus, Israël a commis plusieurs disparitions forcées dans le cadre de son occupation des TPO, en violation de ses obligations internationales relatives aux droits de l'homme. Cela a lieu lorsque des individus, et notamment des enfants, sont arrêtés et détenus sans en informer leur famille.1049 Cela a également lieu lorsque les autorités israéliennes « dissimule[nt] la détention, la localisation et le sort d’une personne ou d’un corps ».1050 Compte tenu de leur recours dans le cadre des attaques systématiques et généralisées menées par Israël à l’encontre du Peuple palestinien, ces disparitions forcées constituent également des crimes contre l’humanité. Par conséquent, la Cour doit en conclure qu’Israël a commis le crime de disparition forcée.
E. AUTRES ACTES INHUMAINS
3.183 Les crimes contre l’humanité ne sont pas limités à ceux spécifiquement énumérés et définis par la CDI et le Statut de Rome, mais incluent également « d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances, ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ».1051 Entre autres actions, les sanctions collectives et le blocus de Gaza par Israël satisfont aisément ces conditions.
3.184 Comme expliqué au Chapitre 2, Sections III(B), IV(A) et IV(B), le blocus et les attaques de Gaza menés par Israël causent de grandes souffrances, et ont eu des impacts défavorables généralisés sur la santé physique et mentale des
1049 Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/CDH/53/59 (9 juin 2022), par. 67.
1050 Ibid., par. 78.
1051 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans L’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(1)(k) ; Statut de Rome, art. 7(1)(k).
283
Palestiniens qui y vivent. Selon l’UNRWA : « L’insécurité alimentaire et l'augmentation de la pauvreté signifient que la plupart des résidents ne peuvent pas satisfaire leurs besoins caloriques journaliers, tandis que plus de 90 % de l’eau à Gaza a été déterminée impropre à la consommation humaine. »1052 Par ailleurs, « [d]ans la Bande de Gaza, les traumatismes psychologiques, la pauvreté et la dégradation environnementale ont eu un impact défavorable sur la santé physique et mentale des habitants ».1053
3.185 La sanction collective infligée à Gaza est également un acte inhumain dont le caractère est similaire à d'autres crimes contre l’humanité décrits ci-dessus. Les Palestiniens de Gaza sont effectivement confinés dans « la plus grande prison à ciel ouvert »,1054 ce qui constitue une « privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ».1055 Le blocus de Gaza est également apparenté à une forme de persécution dans le sens où il prive de façon discriminatoire les Palestiniens de leurs droits de l'homme les plus fondamentaux. Par ailleurs, le contrôle et l’isolement par Israël de Gaza est un outil essentiel de son régime d’apartheid et de domination et oppression raciale.1056
F. PERSECUTION
3.186 La persécution est définie comme « le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international pour des motifs liés à l'identité du
1052 UNRWA, « Health in the Bande de Gaza » (dernière consultation : 11 juillet 2023)), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/ydwuxe95.
1053 Ibid.
1054 R. Høvring, « Gaza : The world’s largest open-air prison », Conseil norvégien des réfugiés (26 avr. 2018), disponible à l'adresse https://tinyurl.com/4rkcpceb.
1055 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans L’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(1)(e).
1056 Voir infra Chapitre 4, Section II.
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groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet ».1057 Pour constituer un crime contre l’humanité, la persécution doit également avoir lieu « en corrélation avec tout acte » constituant lui-même l’actus reus d’un crime contre l’humanité.1058 La CDI a expliqué que cette exigence de « corrélation » « fournit des indications sur la nature de la persécution et constitue un crime contre l’humanité, notamment des actes de persécution de caractère et de gravité similaire à » d'autres crimes contre l’humanité.
3.187 Par conséquent, le meurtre, la détention et l’expulsion ont tous été déterminés comme constituant des actes de persécution lorsqu’ils sont commis à l’encontre de civils en raison de leur identité raciale, ethnique ou autre.1059 D'autres offenses à la dignité humaine (y compris l’humiliation, les mauvais traitements psychologiques et l’incitation1060) peuvent également contribuer à une conclusion de persécution en fonction de « leur effet cumulé ».1061 Il en va de même concernant la destruction des habitations et des biens,1062 ou les actes ciblant les biens et symboles culturels et religieux.1063 Dans l’ensemble, « les actes de
1057 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans L’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(2)(g). Voir également Statut de Rome, art. 7(2)(g).
1058 CDI, Draft Articles on Prevention and Punishment of Crimes against Humanity, with commentaries (2019), dans L’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL DE 2019 (Vol. II, Pt. 2), art. 2(1)(h). Voir également Statut de Rome, art. 7(1)(h).
1059 ICTY, Prosecutor v. Kupreškić et al., Case N° IT-95-16-T, Jugement de la Chambre de première instance (14 janv. 2000), par. 600.
1060 ICTR, Prosecutor v. Nahimana et al., Case N° ICTR-99-52, Jugement de la Chambre d'appel (28 nov. 2007), par. 986 à 988.
1061 ICTY, Prosecutor v. Kvočka et al., Case N° IT-98-30/1-A, Jugement de la Chambre d'appel (28 fév. 2005), par. 325.
1062 ICTY, Prosecutor v. Blaskić, Case N° IT-95-14-T, Jugement de la Chambre de première instance (3 mars 2000), par. 234 ; ICTY, Prosecutor v. Kordić & Cerkez, Case N° IT-95-14/2, Jugement de la Chambre de première instance (26 fév. 2001), par. 203 à 206.
1063 ICTY, Prosecutor v. Blaskić, Case N° IT-95-14-T, Jugement de la Chambre de première instance (3 mars 2000), par. 227 (« La persécution peut donc prendre la forme de confiscation ou de destruction de … bâtiments symboliques ») ; ICTY, Prosecutor v. Kordić & Cerkez, Case N° IT-95-14/2, Jugement de la Chambre de première instance (26 fév. 2001), par. 207 ; ICTY, Prosecutor v. Brđanin, Case N° IT-99–36-T, Jugement de la Chambre de première instance (1er sept. 2004), par. 1050 (« [L]a campagne de persécution menée à l’encontre des Musulmans de Bosnie et des Croates de Bosnie a inclus … la destruction de biens, de bâtiments religieux et
285
persécution doivent être évalués non pas isolément, mais dans leur contexte, en examinant leur effet cumulé » et les « conséquences globales ».1064
3.188 Human Rights Watch a confirmé qu’Israël « commet le crime contre l’humanité de persécution en raison de l'intention discriminatoire du traitement par Israël des Palestiniens et des mauvais traitements graves qu'il a commis dans les TPO ».1065 De même, la commission d'enquête indépendante internationale de l’ONU dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, et Israël a estimé en 2022 que les pratiques menées par Israël visant à modifier la composition démographique des TPO « sont également susceptibles de constituer le crime de persécution, crime contre l’humanité visé au paragraphe 1 h) de l’article 7 du Statut de Rome ».1066
3.189 En effet, comme indiqué aux Sections II(A) à (L) ci-dessus, les Palestiniens font l’objet d’une discrimination extrême dans l’exercice de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels les plus fondamentaux. Comme décrit au Chapitre 2, Israël non seulement impose une discrimination de jure par le biais de son système juridique double, mais applique également des politiques privant gravement les Palestiniens de terres, d’eau, d’alimentation, d’hébergement, de soins de santé, d’opportunités économiques et de liberté de mouvement. Cela s'accompagne d'actes de violence routiniers et extrêmes, d’incitation et de discours haineux, ainsi que du ciblage et de la suppression délibérés de la religion et de la culture palestiniennes. De manière cumulée, ces mesures signifient que, en vertu de leur identité, les Palestiniens sont forcés de quitter leurs habitations en raison de conditions de vie désastreuses, ou doivent faire face à des indignités quotidiennes
culturels … Ces actes étaient discriminatoires de fait et ont été commis par les auteurs aux fins discriminatoires requises pour des raisons politiques, raciales et religieuses »).
1064 ICTY, Prosecutor v. Kupreškić et al., Case N° IT-95-16-T, Jugement de la Chambre de première instance (14 janv. 2000), par. 622.
1065 Rapport HRW 2021, p. 205.
1066 Assemblée générale des Nations Unies, Report of the Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and Israel, Doc. ONU A/77/328 (14 sept. 2022), par. 86.
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dans leur propre pays d'origine. Elles constituent une persécution qui devrait être déclarée par la Cour.
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CHAPITRE 4 L’OCCUPATION COLON-COLONIE PROLONGÉE PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN VIOLE LE DROIT INTERNATIONAL
4.1 Comme indiqué au Chapitre 3 ci-dessus, la conduite de l’occupation par Israël du territoire palestinien viole plusieurs règles et principes du droit international, y compris le DIDH et le DIH. Par ailleurs, la simple existence de l’occupation (au-delà de sa conduite), est, en elle-même, illégale car elle viole le droit à l’autodétermination et l’interdiction de l’apartheid, qui sont deux normes impératives du droit international. Ces violations flagrantes de deux des principes les plus fondamentaux stipulés dans les présentes sont inhérentes à la simple existence de l’occupation, et la rendent illégale dans son ensemble ou « existentiellement illégale ».1067 Le seul recours dans de tels cas est de mettre un terme immédiat à l’occupation.1068
4.2 Ce chapitre montre que l’occupation prolongée par Israël des TPO implique la violation de durée indéterminée du droit à l’autodétermination (Section I) et constitue un régime d’apartheid (Section II). Pour chacune de ces raisons, l’occupation menée par Israël est illégale dans son ensemble et doit prendre fin.
1067 Conseil des droits de l’homme, Report of Special Rapporteur F. Albanese on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Doc. ONU A/HRC/53/59 (9 juin 2023), par. 98. Voir également Y. Ronen, « Illegal Occupation and Its Consequences », Document de recherche N° 17-08 (30 oct. 2008), p. 210 (« En substance, cela définit une occupation illégale en tant qu’occupation reposant que la violation d’une norme impérative opérant erga omnes et inhérente à l’existence de l’occupation. ») ; O. Ben-Naftali et al., « Illegal Occupation: Framing the Occupied Palestinian Territory », 23 BERKELEY JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 551 (2005), pp. 554 à 556 ; A. Imseis, « Negotiating the Illegal: On the United Nations and the Illegal Occupation of Palestine, 1967-2020 », 31(3) JOURNAL EUROPEEN DE DROIT INTERNATIONAL 1055 (2020), pp. 1072 et 1073.
1068 Voir infra Chapitre V(I).
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I. L’occupation prolongée d’Israël est illégale dans son ensemble car elle constitue une violation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination
4.3 L’occupation prolongée du TPO par Israël est illégale sur le plan existentiel car elle constitue une violation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Le principe d’autodétermination est un principe fondamental de l’ordre juridique international, une norme de jus cogens. Tel qu’il est consacré dans la Charte des Nations Unies, l’un des buts et principes des Nations Unies consiste à « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».1069 Le principe de l’autodétermination a été codifié en 1966 avec l’adoption du PIDCP et du PIDESC.1070
4.4 Plus précisément, l’article 1 commun aux deux pactes prévoit que :
1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
1069 Charte des Nations Unies, Art. 1(2). Voir aussi ibid., Art. 55 (relatif aux « conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ») ; ibid., Art. 56 (« Tous les Membres s’engagent, en vue d’atteindre les buts énoncés à l’Article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation ») ; ibid., Art. 73.
1070 Voir PIDCP, Art. 1 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (16 décembre 1966), 993 RTNU 3 (ci-après le « PIDESC »), Art. 1.
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3. Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.1071
4.5 Le droit à l’autodétermination a acquis une importance particulière dans le contexte de la décolonisation, dans laquelle il a servi de principe directeur à l’émancipation de nombreux peuples des puissances coloniales. La résolution 1514 (XV) des Nations Unies du 14 décembre 1960 intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » a affirmé d’emblée que « [l]a sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, [et qu’elle] est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales ».1072 Pour encourager et obtenir une décolonisation, l’Assemblée générale a reconnu dans cette Déclaration que « tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national »1073 et que « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes ».1074
4.6 La Cour a décrit l’autodétermination comme « l’un des principes essentiels du droit international contemporain ».1075 Elle a expliqué que le droit à
1071 PIDCP, Art. 1; PIDESC, Art. 1.
1072 Déclaration coloniale (14 décembre 1960), par. 1.
1073 Ibid., Préambule.
1074 Ibid., par. 2.
1075 Arrêt Timor oriental, par. 29. Voir aussi Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, rapports CIJ 1971, p. 16 (ci-après l’« avis consultatif sur la Namibie »), p. 31 ; Sahara occidental, avis consultatif, rapports CIJ 1975, p. 12, pp. 31-33 ; avis consultatif sur le mur, pp. 181-83 ; résolution 2625 (XXV) de l’AGNU, annexe, par. 3 (reconnaissant le droit à l’autodétermination comme l’un des « principes fondamentaux du droit international »).
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l’autodétermination s’étend au territoire du peuple dans son ensemble, dont l’intégrité doit être protégée par la puissance occupante.1076 La CDI a identifié le droit à l’autodétermination comme une norme impérative du droit international.1077
4.7 La Cour a également reconnu que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes revêt un caractère erga omnes.1078 En tant que tel, l’existence et l’exercice du droit à l’autodétermination par un peuple doivent être respectés par l’ensemble de la communauté internationale des États.1079 Comme il a été décidé par l’Assemblée générale des Nations Unies,
[t]out État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations
1076 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, rapports CIJ 2019, p. 95 (ci-après l’« avis consultatif sur l’archipel des Chagos »), par. 160 (« La Cour considère que les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante. Il en découle que tout détachement par la puissance administrante d’une partie d’un territoire non autonome, à moins d’être fondé sur la volonté librement exprimée et authentique du peuple du territoire concerné, est contraire au droit à l’autodétermination. »).
1077 CDI, Projet de conclusions sur l’identification et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs, Doc. A/77/10 (2022), Conclusion 23 (Annexe (h)). Voir aussi CDI, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quinzième session (6 juillet 1963), Documents officiels de l’Assemblée générale, dix-huitième session, Supplément (A/5509), Doc. A/CN.4/163 (6 juillet 1963), dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 1963 (Vol. II), commentaire de l’article 37, par. 3 ; CDI, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa dix-huitième session (du 4 mai au 19 juillet 1966), Documents officiels de l’Assemblée générale, vingt et unième session, Supplément nº 9 (A/6309/Rev.1), Doc. A/CN.4/191 (du 4 mai au 19 juillet 1966), dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 1966 (Vol. II), commentaire de l’Article 50, par. 3.
1078 Voir l’arrêt Timor oriental, par. 29 (dans laquelle la Cour a décrit la déclaration selon laquelle l’autodétermination revêtait d’un caractère erga omnes comme étant « irréprochable »). Voir aussi l’avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 180 (considérant le droit à l’autodétermination comme revêtant d’un caractère erga omnes).
1079 A. Tancredi, « Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination », dans LA PALESTINE : D’UN ÉTAT NON MEMBRE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES A UN ÉTAT SOUVERAIN (T. Garcia (dir.), 2016), p. 42.
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Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe.1080
4.8 En outre, « [t]out État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait les peuples [...] de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».1081 En conséquence, le respect du droit à l’autodétermination d’un peuple entraîne une obligation erga omnes de s’abstenir d’interférer avec l’exercice de ce droit, « donc aussi d’occuper un territoire étranger de manière à restreindre le droit des peuples étrangers à disposer d’eux-mêmes ».1082
4.9 Le droit à l’autodétermination n’est pas respecté « chaque fois que se produit une invasion militaire ou une occupation belligérante d’un territoire étranger, sauf lorsque l’occupation, bien qu’illégale, est d’une durée minimale ou est uniquement destinée à repousser, en vertu de l’Article 51 de la Charte des Nations Unies, une attaque armée par la puissance vaincue et, par conséquent, n’est pas prolongée ».1083
1080 Résolution 2625 (XXV) de l’AGNU, pp. 123-124. Voir aussi l’avis consultatif sur le Mur, par. 156.
1081 Résolution 2625 (XXV) de l’AGNU, p. 124.
1082 A. Cassese, SELF-DETERMINATION OF PEOPLES: A LEGAL REAPPRAISAL (Hersch Lauterpacht Memorial Lectures, numéro de série 12) (CUP, 1999), p. 66 ; AGNU, Rapport du Comité des droits de l’homme, Doc. A/39/40 (1984), p. 143, par. 6 ; Résolution 2625 (XXV) de l’AGNU, p. 124 (« Tout État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait les peuples [...] dans l’élaboration du présent principe de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance. ») ; avis consultatif sur le Mur, par. 156 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, opinion individuelle du juge Cançado Trindade, par. 119.
1083 A. Cassese, SELF-DETERMINATION OF PEOPLES: A LEGAL REAPPRAISAL (Hersch Lauterpacht Memorial Lectures, numéro de série 12) (CUP, 1999), p. 99.
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4.10 En conséquence, lorsqu’une occupation n’est pas d’une durée minimale (autrement dit, qu’elle est indéfinie, prolongée ou permanente), une violation persistante du droit à l’autodétermination rend l’occupation illégale en soi.1084
4.11 L’occupation israélienne du TPO pendant plus de 55 ans constitue une violation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et est donc illégale dans son ensemble.1085
4.12 Comme indiqué ci-dessous, le peuple palestinien est en droit d’exercer son droit à l’autodétermination sur l’ensemble du TPO (Article A). Entre autres, l’occupation prolongée d’Israël a privé le peuple palestinien d’une population permanente (Article B) ; d’un territoire sur lequel disposer de lui-même (Article C) ; de la capacité d’exercer sa volonté collective et de déterminer son statut politique interne (Article D) ; et de son droit de poursuivre librement son développement économique, social et culturel (Article E). En tant que telle,
1084 Voir A. Imseis, « Negotiating the Illegal: On the United Nations and the Illegal Occupation of Palestine, 1967-2020 », 31(3) EUROPEAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 1055 (2020), pp. 1071-72 ; AGNU, Rapport du Rapporteur spécial M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/72/43106 (23 octobre 2017), par. 31-32 ; O. Ben-Naftali et al., « Illegal Occupation: Framing the Occupied Palestinian Territory », 23 BERKELEY JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 551 (2005), pp. 554-556.
1085 Conseil des droits de l’homme, Résolution 49/28, Droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Doc. A/HRC/RES/49/28 (1er avril 2022), Préambule (« Réaffirmant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination conformément aux dispositions de la Charte, aux résolutions et déclarations pertinentes des Nations Unies et aux dispositions des pactes et instruments internationaux relatifs au droit à l’autodétermination en tant que principe international et droit de tous les peuples du monde, et soulignant que cette norme de jus cogens du droit international est une condition préalable fondamentale pour parvenir à une paix juste, durable et globale au Moyen-Orient ») ; ibid., par. 7 (« Demande à tous les États de s’acquitter de leur obligation de n’accorder ni reconnaissance ni aide ni assistance s’agissant des violations graves de normes impératives de droit international par Israël, en particulier de l’interdiction d’acquérir des territoires par la force, afin de garantir l’exercice du droit à l’autodétermination, et leur demande également de coopérer davantage afin de mettre un terme, par des moyens licites, à ces violations graves et aux politiques et pratiques illégales d’Israël »).
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l’occupation prolongée constitue une violation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et est donc illégale sur le plan existentiel.
A. LE PEUPLE PALESTINIEN A LE DROIT D’EXERCER SON DROIT A L’AUTODETERMINATION SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPE
4.13 Il ne fait aucun doute que le peuple palestinien existe et a un droit inaliénable à l’autodétermination dans le TPO. La Cour elle-même a reconnu ce fait, déclarant que « l’existence d’un “peuple palestinien” ne saurait plus faire débat ».1086 En outre, la Cour a souligné que « l’Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza du 28 septembre 1995 mentionne à son tour à plusieurs reprises le peuple palestinien et ses « droits légitimes » »,1087 parmi lesquels figure le droit à l’autodétermination.1088
4.14 L’Assemblée générale des Nations Unies a également reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.1089 Il a également reconnu que le peuple palestinien a le droit d’exercer son autodétermination sur l’ensemble de son
1086 Avis consultatif sur le Mur, par. 118.
1087 Ibid. (citant Oslo II, Préambule, par. 4, 7, 8 ; Art. II, par. 2, Art. III, par. 1 et 3 ; Art. XXII, par. 2).
1088 Ibid.
1089 Voir AGNU, Résolution 2672/C (XXV), Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, Doc. A/RES/2672(XXV) (8 décembre 1970) (dossier nº 946), Partie C, par. 1 (qui proclamait que le peuple de Palestine avait « droit à l’égalité des droits et à l’autodétermination, conformément à la Charte des Nations Unies ») ; AGNU, Résolution 2535/B (XXIV), Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, Doc. A/RES/2535(XXIV)[B] (10 décembre 1969) (dossier nº 945) ; AGNU, Résolution 3236 (XXIX), Question de Palestine, Doc. A/RES/3236(XXIX)[B] (22 novembre 1974) (dossier nº 382) ; AGNU, Résolution 37/43, Importance de la réalisation universelle du droit des peuples à l’autodétermination et de l’octroi rapide de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux pour la garantie et le respect effectifs des droits de l’homme, Doc. A/RES/37/43 (3 décembre 1982) (dossier nº 298).
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territoire, qu’Israël occupe depuis 1967.1090 Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour, qui consacre le droit d’un peuple à l’intégrité territoriale de son unité non autonome.1091
4.15 Le territoire du peuple palestinien couvre Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, où le peuple palestinien vit depuis des millénaires.1092 C’est pourquoi la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza, ont toujours été désignées par la communauté internationale, y compris l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité des Nations Unies, comme le territoire palestinien occupé, ne laissant aucun doute sur qui a droit à ce territoire particulier. Par exemple, dans sa résolution 67/19 qui a accordé le statut d’État observateur à la Palestine, l’Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’indépendance dans un État de Palestine situé sur le territoire palestinien occupé depuis 1967 ».1093
4.16 Dans sa résolution 2334, le Conseil de sécurité des Nations Unies a également appelé tous les États « [à] faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».1094 La résolution indique donc clairement qu’Israël n’a aucune
1090 AGNU, Résolution 43/177, Question de Palestine, Doc. A/RES/43/177 (15 décembre 1988) (dossier nº 398), Art. 2.
1091 Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 160.
1092 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 26.
1093 AGNU, Résolution 67/19, Statut de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies, Doc. A/RES/67/19 (29 novembre 2012), par. (soulignement ajouté)
1094 Résolution 2334 du CSNU (2016), par. 5.
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revendication ni aucun droit à la souveraineté sur ces territoires, et que seul le peuple palestinien y a droit.1095
4.17 Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à la souveraineté sur son territoire dans son ensemble en vertu du droit international ne saurait donc être plus clair.
B. L’OCCUPATION ISRAELIENNE PRIVE INDEFINIMENT LE PEUPLE PALESTINIEN D’UNE POPULATION PERMANENTE
4.18 L’occupation persistante du TPO par Israël depuis 1967 s’inscrit dans la continuité d’un projet de colonisation qui remonte à bien avant la création de l’État d’Israël.1096 Cette entreprise coloniale est intrinsèque à l’occupation elle-même. Comme indiqué au Chapitre 2, Israël cherche à remplacer le peuple palestinien par une population de Juifs israéliens par le biais de politiques telles que les colonies de peuplement illégales, les déportations forcées, les démolitions de maisons, les expulsions forcées et d’autres mesures visant à déplacer le peuple palestinien de son territoire et à le priver ainsi d’une population permanente.
1095 Voir, par exemple, la résolution 242 du CSNU (1967), par. 1 (« l’accomplissement des principes de la Charte exige [...] l’application des deux principes suivants : (i) [l]e retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ; [et] (ii) [...] le respect et la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région ») ; CSNU, Résolution 446 (1979), Sur la création d’une commission chargée d’examiner la situation relative à la colonisation dans les territoires arabes occupés par Israël, Doc. S/RES/446 (1979) (22 mars 1979) (dossier nº 1262), par. 3 (« Demande une fois encore à Israël [...] de s’abstenir de toute mesure qui modifierait le statut juridique et le caractère géographique des territoires arabes occupés depuis 1967 »).
1096 Voir Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023).QWS, Vol. II, Annexe 1.
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4.19 Les Palestiniens arabes sont parmi les premiers habitants du TPO ; ils y ont été la population majoritaire « depuis bien plus d’un millénaire ».1097 Depuis 1967, cependant, Israël s’est efforcé de modifier la composition démographique et le caractère du TPO en remplaçant les Palestiniens de souche par des Israéliens, malgré plus de 40 résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies exhortant Israël à ne pas prendre de telles mesures.1098
4.20 Israël a toujours cherché à assurer de manière permanente son contrôle effectif sur la grande majorité du TPO et à y installer sa population au détriment des Palestiniens, une politique coloniale par excellence.1099 Selon Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale du TPO : « Depuis le début de l’occupation, les gouvernements israéliens se succédant agissent comme si le territoire “conquis” était une terra nullius ».1100 Mais comme l’explique le professeur Khalidi dans son rapport qui l’accompagne, le récit de la terra nullius est une pure fiction :
Au début du XXe siècle, la Palestine n’était ni stérile, ni vide, ni arriérée. Néanmoins, de nombreux ouvrages sont empreints de déformations historiques, affirmant qu’à cette époque, le pays était peu peuplé par une petite population de nomades sans racines qui n’avaient aucune identité fixe et aucun attachement à la terre qu’ils traversaient, pour ainsi dire comme des personnes de passage.
Le corollaire de cette fiction est que l’arrivée des immigrants sionistes « a fait fleurir le désert », transformant le pays en un jardin
1097 R. Khalidi, THE HUNDRED YEARS’WAR ON PALESTINE: A HISTORY OF SETTLER COLONIALISM AND RESISTANCE, 1917-2017 (2020), pp. 75, 246.
1098 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 44.
1099 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 12 et 13. Voir aussi Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023). QWS, Vol. II, Annexe 1.
1100 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 37.
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verdoyant, et qu’eux seuls étaient capables de s’identifier à la terre, de l’aimer et d’y avoir un droit (divin). Cette attitude se résume dans le slogan « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », utilisé par les partisans chrétiens d’un « retour » des Juifs en Palestine et par les premiers sionistes. Pour les sionistes européens qui sont venus s’y installer, la Palestine était une terra nullius, dont le peuple était amorphe et sans nom. Ces mensonges persistent encore aujourd’hui et masquent l’histoire réelle du pays à l’ère moderne.1101
4.21 En effet, pour les politiciens israéliens, le TPO a servi à la création d’un « Grand Eretz Israël [Terre d’Israël], d’un point de vue stratégique, ainsi que d’un État juif, d’un point de vue démographique ».1102 Les décideurs politiques israéliens ont donc considéré les Palestiniens comme une menace démographique pour l’existence d’Israël en tant qu’État juif.1103
4.22 Les récentes déclarations du gouvernement israélien ne laissent aucun doute sur le fait que le projet colonialiste sur les Territoires palestiniens occupés
1101 Voir Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023), p. 2. QWS, Vol. II, Annexe 1.
1102 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 38 (citant R. Friedman, ZEALANDOTS FOR ZION: INSIDE ISRAEL’S WEST BANK SETTLEMENT MOVEMENT (Random House, 1992) (discours du commandant israélien Yigad Allon).
1103 D. Perry et K. Laub, « In Israel, the ‘demographic issue’ gains resonance », Times of Israel (20 février 2014), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/kzzpbv3w (« Chaque fois que nous ne nous séparons pas des Palestiniens, l’existence d’Israël en tant qu’État juif est clairement menacée. »). Voir aussi AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 13 (« Le colonialisme, une démarche souvent travestie en “projet de civilisation” et, dans le passé, imposée par les “pays occidentaux” aux pays du “tiers monde”, se concrétise par la subordination culturelle des indigènes, ainsi que par l’exploitation économique de leurs terres et de leurs ressources et l’étouffement de leurs revendications politiques. La notion de colonialisme « de peuplement » s’utilise pour désigner une colonisation dont l’objectif est également d’éliminer le « caractère indigène de la terre colonisée ». Ce type de colonialisme se manifeste par la création et la promotion de colonies, à savoir des zones de peuplement de personnes étrangères aménagées parmi la population indigène dans le but de soumettre cette dernière et de la déposséder de ses biens et de « s’assurer de façon permanente » la mainmise sur des secteurs spécifiques. La violation du droit des peuples à l’autodétermination est inhérente au colonialisme de peuplement. »).
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reste une priorité de l’État. L’objectif d’assurer le caractère juif israélien et la domination dans le TPO a été explicitement affirmé dans la Loi fondamentale : Israël en tant qu’État-nation du peuple juif, adoptée en 2018. Cette loi décrit la « Terre d’Israël », considérée comme comprenant le TPO, comme « la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été établi », à travers laquelle ils remplissent leur « droit historique à l’autodétermination », qui est « exclusif au peuple juif ».1104 En 2022, le gouvernement nouvellement assermenté d’Israël est allé encore plus loin en publiant des « Principes directeurs » qui proclament que l’exercice de l’autodétermination dans « toutes les régions de la Terre d’Israël » est « exclusif » au peuple juif.1105 Comme l’explique le professeur Shlaim dans son rapport d’expert, « [d]ans la vision du monde de [Premier ministre israélien Benjamin] Netanyahu [...] seuls les Juifs ont des droits historiques sur “la Judée et la Samarie” ».1106
4.23 Le principal moteur de cette politique de « dé-palestinisation », qui vise à « diminuer la présence, l’identité et la résilience des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé »1107, a été les activités de colonisation d’Israël, décrites plus en détail au Chapitre 2, Section I. Depuis les premières années d’occupation, Israël a
1104 Israël, Loi fondamentale : Israël en tant qu’État-nation du peuple juif (19 juillet 2018), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/5n9b4nhs, Art. 1 ; Adalah Legal Center, « Israel’s Jewish Nation-State Law » (20 décembre 2020), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/mrxbp95z ; Clinique internationale des droits de l’homme de la faculté de droit de Harvard et Addameer, Apartheid in the Occupied West Bank: A Legal Analysis of Israel’s Actions (28 février 2022) (ci-après le « rapport HLS IHRC et Addameer »), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/2bkmfwf7, p. 21.
1105Adalah, Adalah’s Analysis of the New Israeli Government’s Guiding Principles and Coalition Agreements and their Implications on Palestinians’ Rights (10 janvier 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/2twea6zv, p. 1 ; C. Keller-Lynn et M. Bachner, « Judicial reform, boosting Jewish identity: The new coalition’s policy guidelines », Times of Israel (28 décembre 2022), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/yvzn42b2.
1106 Prof. Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023), p. 43. QWS, Vol. II, Annexe 2.
1107 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 67.
299
établi, encouragé, maintenu et étendu les activités de colonisation dans toute la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.
4.24 En 2013, la Mission d’établissement des faits des Nations Unies sur les colonies de peuplement israéliennes dans le TPO a constaté
qu’il y a clairement violation par Israël, du fait de l’existence et de l’expansion continue des colonies de peuplement, du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris du droit de déterminer comment mettre en oeuvre l’autodétermination, du droit d’avoir une présence démographique et territoriale dans le Territoire palestinien occupé et du droit à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.1108
La Mission a également affirmé que
[l]’installation de colonies de peuplement en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est ... [est] un « filet » de constructions et d’infrastructures qui conduit subrepticement à une annexion qui empêche la création d’un État palestinien d’un seul tenant et viable et porte atteinte au droit du peuple palestinien à l’autodétermination.1109
4.25 Le Mur a en outre atteint son objectif de consolidation de la majorité de ces colonies de peuplement. Comme la Cour l’a observé dans l’avis consultatif sur le Mur, la construction du Mur a contraint les Palestiniens à quitter certaines régions,
1108 Conseil des droits de l’homme, rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 38.
1109 Ibid., par. 101.
300
modifiant la composition démographique du TPO et dressant ainsi « un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ».1110
4.26 Comme indiqué au Chapitre 2, Section II, alors même qu’il promeut la colonisation des Juifs israéliens dans le TPO, Israël refuse arbitrairement les permis de construire et l’enregistrement foncier dans le TPO ; démolit les bâtiments appartenant aux Palestiniens, y compris les écoles ; et expulse les Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres. En outre, Israël empêche les Palestiniens résidant en dehors du TPO (dont beaucoup ont été déplacés pendant la Nakba ou sont des descendants de ces personnes1111) de retourner et de résider dans le TPO. Ces pratiques ont entraîné le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur du TPO au fil des ans.1112
4.27 En outre, comme indiqué au Chapitre 2, Section IV, Israël a institutionnalisé un système d’oppression des Palestiniens, normalisant la violence et les abus à leur encontre.1113 Sous le faux prétexte de la sécurité nationale, Israël a mené d’innombrables attaques et raids contre le peuple palestinien, y compris dans les camps de réfugiés et les lieux de culte.1114
1110 Avis consultatif sur le Mur, par. 122. Voir aussi ibid., par. 133.
1111 Voir Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023), pp. 31-36. QWS, Vol. II, Annexe 1.
1112 Voir supra par. CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.52-CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.62, CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.157 ; AGNU, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem, et Israël, Doc. A/77/328 (14 septembre 2022), par. 86.
1113 Voir HCDH, Communiqué de presse : Israël/Palestine : les experts de l’ONU condamnent la montée de la violence et les actes de terreur commis par Israël à l’encontre des Palestiniens en Cisjordanie occupée (27 janvier 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/52z2b27m.
1114 Voir supra Chapitre 2, §§ IV, VI(B).
301
4.28 Le résultat de toutes ces politiques a été le déplacement forcé de centaines de milliers de Palestiniens.1115 En transférant intentionnellement sa population dans le TPO et en provoquant le déplacement de Palestiniens à l’intérieur du TPO, Israël prive indéfiniment le peuple palestinien d’une population permanente.1116
C. L’OCCUPATION ISRAELIENNE PRIVE INDEFINIMENT LE PEUPLE PALESTINIEN D’UN TERRITOIRE SUR LEQUEL IL PEUT EXERCER SON DROIT A L’AUTODETERMINATION
4.29 Le territoire est une composante essentielle de l’identité palestinienne1117 et la préservation de l’intégrité territoriale de la Palestine fait partie intégrante du droit du peuple à l’autodétermination.1118 Comme la Cour l’a récemment reconnu dans un contexte connexe, « tout détachement [...] d’une partie d’un territoire non autonome, à moins d’être fondé sur la volonté librement exprimée et authentique du peuple du territoire concerné, est contraire au droit à l’autodétermination ».1119 Ce principe a également été consacré au paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, selon lequel « toute tentative visant à détruire
1115 Voir supra Chapitre 2, § II ; supra Chapitre 3, §§ III(A)(4), IV(B) ; AGNU, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem, et Israël, Doc. A/77/328 (14 septembre 2022), par. 86.
1116 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 35 (« Au total, l’imposition de colons, de colonies de peuplement et d’infrastructures de colonisation dans la topographie et l’espace des Palestiniens a servi à empêcher la réalisation du droit des Palestiniens à l’autodétermination, constituant une violation d’un certain nombre de normes impératives du droit international, formellement interdites par le droit international. »).
1117 AGNU, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, Doc. A/77/328 (14 septembre 2022), par. 39.
1118 Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 160 (« La Cour considère que les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante. »).
1119 Ibid.
302
partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et principes de la Charte des Nations Unies ».1120
4.30 En plus d’annexer illégalement Jérusalem-Est et la zone C de la Cisjordanie,1121 les politiques et pratiques d’Israël dans le TPO ont privé le peuple palestinien d’une partie importante de son territoire sur laquelle il pourrait chercher à réaliser son droit à l’autodétermination. Il s’agit notamment :
 d’établir et de faciliter les colonies de peuplement juives israéliennes dans le TPO, y compris en s’emparant des terres utilisées et/ou détenues par les Palestiniens à Jérusalem-Est et dans la zone C de la Cisjordanie, en construisant des infrastructures desservant ces colonies de peuplement et en construisant le Mur, qui intègre de fait le territoire de la Cisjordanie où les colonies de peuplement sont situées dans les frontières d’Israël d’avant 1967, comme décrit au Chapitre 2, Section I ;
 de fragmenter le TPO par l’imposition de restrictions à la libre circulation en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), comme indiqué au Chapitre 2, Section III(A) ;1122
 de perturber la libre circulation des Palestiniens entre Gaza et la Cisjordanie, bien qu’en les ayant précédemment reconnues comme une seule unité territoriale et en s’étant engagé à permettre un « passage
1120 Déclaration coloniale (14 décembre 1960), par. 6. La nature et le champ d’application du droit à l’autodétermination des peuples, y compris le respect de « l’unité nationale et de l’intégrité territoriale d’un État ou d’un pays », ont été réaffirmées dans des résolutions ultérieures, y compris la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies de 1970. Voir la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies, préambule. Voir aussi AGNU, Résolution 2325 (XXII), Question du Sud-Ouest africain, Doc. A/RES/2325(XXII) (16 décembre 1967), par. 4, 6 ; AGNU, Résolution 74/139, Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Doc. A/RES/74/139 (18 décembre 2019) (dossier nº 378), Préambule (« Soulignant également la nécessité de respecter et de préserver l’unité, la continuité et l’intégrité de l’ensemble du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et rappelant à cet égard sa résolution 58/292 du 6 mai 2004 ») (soulignement ajouté).
1121 Voir supra Chapitre 3, § I.
1122 Voir supra Chapitre 2, §§ I et III.
303
sûr » régulier entre ces deux territoires,1123 comme indiqué au Chapitre 2, Section III(B) ; et
 d’imposer des restrictions quant à savoir si et où les Palestiniens peuvent résider dans le TPO et en provoquant le déplacement interne de Palestiniens dans le TPO, comme indiqué au Chapitre 2, Section II.
4.31 Ces mesures ont également privé le TPO de tout semblant de caractère contigu. Comme l’a déclaré le représentant de la Palestine au Conseil de sécurité en 2011, « [t]outes ces mesures ont pour conséquence la séparation des parties nord et sud de la Cisjordanie, l’encerclement de Jérusalem-Est occupée qui est son environnement naturel palestinien et la mise en péril de la continuité et de la viabilité de notre État. »1124
4.32 En s’engageant intentionnellement dans des politiques qui fragmentent le territoire palestinien et en dépossédant les Palestiniens, Israël prive indéfiniment le peuple palestinien d’un territoire sur lequel il peut exercer son droit à l’autodétermination.
D. L’OCCUPATION ISRAELIENNE PRIVE INDEFINIMENT LE PEUPLE PALESTINIEN DE LA CAPACITE D’EXERCER SA VOLONTE COLLECTIVE ET DE DETERMINER SON STATUT POLITIQUE INTERNE
4.33 L’occupation prolongée d’Israël prive également le peuple palestinien du droit d’exercer sa volonté collective et de déterminer son statut politique interne, constituant ainsi une violation persistante du droit à l’autodétermination.
1123 Voir Oslo II, Art. XI(1). En effet, Israël a pris des engagements spécifiques pour permettre un « passage sûr » régulier entre la Cisjordanie et Gaza. Protocole concernant le passage sûr ; Principes convenus pour le passage de Rafah.
1124 CSNU, Aperçu de la 6636e séance : La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne, Doc. S/PV.6636 (24 octobre 2011), p. 7.
304
4.34 Le droit et la capacité d’un peuple à se gouverner lui-même sont expressément prévus à l’Article 1 commun du PIDCP et du PIDESC, qui consacrent le droit des peuples à « déterminer librement leur statut politique ».1125
4.35 En raison de l’occupation militaire israélienne et de son régime associé, le peuple palestinien n’a pas été autorisé à former un gouvernement qui exerce un contrôle significatif sur le TPO. En effet, le Conseil national palestinien n’a jamais été en mesure d’exercer des pouvoirs gouvernementaux au sein du TPO, même s’il bénéficie du soutien de l’écrasante majorité des résidents palestiniens du TPO.1126 L’OLP ne fonctionne pas non plus comme un gouvernement dans le TPO, bien qu’elle exerce une influence générale sur le TPO et qu’elle représente le peuple palestinien sur la scène internationale.1127 À cet égard, la Cour a reconnu que si un certain nombre d’accords entre Israël et l’OLP ont abouti à transférer aux autorités palestiniennes certains pouvoirs et responsabilités, ces transferts « demeurent partiels et limités ».1128
4.36 Israël écrase activement toute aspiration du peuple palestinien à exprimer sa volonté politique, à déterminer son statut politique interne et à former un gouvernement capable d’exercer un véritable contrôle sur le territoire palestinien. Ce faisant, entre autres :
 en interdisant ou en supprimant les symboles et les manifestations de la culture, de l’histoire et de l’identité palestiniennes, comme indiqué au Chapitre 2, Section VI(C) ;
1125 Voir PIDCP, Art. 1 ; PIDESC, Art. 1.
1126 J. Crawford, THE CREATION OF STATES IN INTERNATIONAL LAW (2e éd., OUP, 2007), p. 437.
1127 Ibid.
1128 Avis consultatif sur le Mur, par. 77.
305
 en supprimant la capacité du peuple palestinien à exercer ses droits civils et politiques, notamment en criminalisant les manifestations pacifiques contre l’occupation (comme indiqué au Chapitre 2, Section V(C)), en ciblant et en entravant le travail des journalistes qui cherchent à documenter ou à faire connaître la brutalité de l’occupation (comme indiqué au Chapitre 2, Section VII(A)), et en réprimant les efforts des militants palestiniens des droits de l’homme et des ONG (comme indiqué au Chapitre 2, Section VII(B)) ; et
 en harcelant systématiquement les dirigeants politiques palestiniens, y compris les représentants élus, les ministres et les maires, comme indiqué au Chapitre 2, Section VII.
4.37 En outre, les restrictions imposées par Israël aux droits à la liberté de circulation et au choix de sa propre résidence, décrites en détail au Chapitre 2, Sections II et III, isolent les Palestiniens dans des enclaves et limitent leur capacité à se fondre en un « groupe national cohésif ».1129
4.38 Ensemble, tous ces outils de privation des droits ont entravé la formation et le fonctionnement organiques d’une direction politique palestinienne cohésive, la formation de la pensée politique palestinienne et, en définitive, une résistance politique efficace contre l’assujettissement étranger, qui constituent tous le coeur battant du droit à l’autodétermination.1130 En effet, il a été reconnu que
[L]’exercice du droit à l’autodétermination nécessitait le processus démocratique, qui, à son tour, était inséparable du plein exercice de droits humains tels que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; le droit à la liberté d’expression ; le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ; le droit de participer à la vie culturelle ; le droit à la liberté et à la sécurité de
1129 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 16.
1130 Ibid., par. 56. La Rapporteuse spéciale Albanese a observé que « [l]’expulsion de dirigeants élus, en empêchant les Palestiniens de voter et en interférant avec la politique palestinienne, a entravé la formation indépendante d’une direction palestinienne et d’une volonté politique qui pourraient défier les intérêts coloniaux israéliens ». Ibid. par. 59.
306
la personne ; et le droit de circuler librement dans son pays et de quitter tout pays, y compris le sien, ainsi que de retourner dans son pays.1131
4.39 En résumé, les politiques d’Israël privent le peuple palestinien du droit d’exercer sa volonté collective et ses droits politiques, ce qui constitue une violation persistante de son droit à l’autodétermination.
E. L’OCCUPATION ISRAELIENNE PRIVE INDEFINIMENT LE PEUPLE PALESTINIEN DE SON DROIT A POURSUIVRE LIBREMENT SON DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, SOCIAL ET CULTUREL
4.40 L’Article 1 commun au PIDCP et au PIDESC dispose qu’en vertu du droit à l’autodétermination, tous les peuples peuvent « disposer librement de leurs richesses1132 et ressources naturelles » et qu’« en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance ».1133 Il exige également que les peuples puissent « assurer librement leur développement économique, social et culturel ».1134 Les politiques d’Israël privent le peuple palestinien de son droit de poursuivre librement son développement économique, social et culturel. Là aussi, le résultat est la violation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, rendant l’occupation illégale.
4.41 Israël empêche le peuple palestinien de poursuivre son développement économique de trois manières principales.
1131 AGNU, Compte rendu analytique de la 7e réunion de la 3e Commission (13 octobre 1988), Doc. A/C.3/43/SR.7, déclaration du délégué allemand, paras. 76-77 Voir aussi G. Marston (éd.), UNITED KINGDOM MATERIALS ON INTERNATIONAL LAW (1984), p. 431.
1132 PIDCP, Art. 1(1) et 1(2).
1133 Ibid., Art. 1(2).
1134 Ibid., Art. 1(1).
307
4.42 Premièrement, Israël prive le peuple palestinien de l’accès et de la jouissance des ressources du TPO, dont le contrôle exclusif fait partie intégrante du droit à l’autodétermination.1135 Plus particulièrement, il :
 contrôle les ressources en eau, en hydrocarbures et en minéraux de la Cisjordanie et les utilise au profit des colons et des entreprises israéliens, comme décrit au Chapitre 2, Section VIII ;
 exploite les réserves de gaz offshore de Gaza, comme décrit au Chapitre 2, Section VIII ;
 limite la capacité des Palestiniens à utiliser les terres du TPO, rendant une grande partie de celles-ci indisponibles pour les Palestiniens, comme décrit au Chapitre 2, Section II(C) ; et
 restreint l’accès des Palestiniens aux terres agricoles et aux pâturages dans tout le TPO et aux zones de pêche au large de Gaza, comme décrit au Chapitre 2, Section III.
4.43 Deuxièmement, Israël prive les Palestiniens de moyens de subsistance. Plus frappant encore, les restrictions d’accès à la terre et aux zones de pêche ont laissé les communautés palestiniennes qui étaient « par le passé, étaient capables de subvenir à leurs propres besoins grâce à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche (à Gaza), ainsi qu’aux revenus générés par la vente de leurs produits [...] piégées dans un cercle vicieux de dépendance vis-à-vis tant de l’économie israélienne que de l’aide internationale ».1136 Comme l’explique Haneen Zoabi, ancien membre arabe israélien de la Knesset, « il est pratiquement impossible pour les Palestiniens de
1135 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 16(b), 47.
1136 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 48 (citant B’Tselem, Expel and exploit: the Israeli practice of taking over rural Palestinian land (2016), note 89).
308
construire une maison, de louer un champ agricole ou de créer une entreprise ».1137 En outre, les restrictions de mouvement à l’intérieur de la Cisjordanie, décrites au Chapitre 2, Section III(A), entravent la capacité des Palestiniens à accéder à leurs lieux de travail, tandis que le blocus de Gaza a rendu la situation des Palestiniens qui y vivent plus que désastreuse.1138
4.44 Troisièmement, comme expliqué dans le Chapitre 2, Section VIII, Israël prend des mesures qui entravent le fonctionnement normal de l’économie palestinienne et prive systématiquement l’Autorité palestinienne de la capacité d’adopter et de mettre en oeuvre des politiques visant à promouvoir le développement économique dans le TPO. À cet égard, la CNUCED explique que la population palestinienne est « privée de ressources, empêchée d’exercer une activité économique rémunératrice, privée de tout commerce avec des partenaires extérieurs et dépourvue de la capacité de promouvoir son développement économique futur ».1139
1137 Why did MK Haneen Al Zoabi challenge the State of Israel?, DW (8 novembre 2014), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/sxaaxwdx ( بات من غیر الممكن تقریبا للفلسطینیین بناء منزل أو استئجار حقل زراعي
مشروع تجاري .“ ).”أو إنشاء
1138 Ibid., par. 50 (« En 2021, le taux de chômage à Gaza a dépassé 50 % et 80 % de la population dépendait de l’aide. Les offensives militaires israéliennes à grande échelle répétées, associées aux pénuries d’électricité imposées par Israël, ont aggravé les difficultés rencontrées par le peuple palestinien à Gaza, pour qui une vie digne est rendue inaccessible. »). Voir aussi Banque mondiale, Stratégie d’assistance pour la Cisjordanie et Gaza pour la période 2022/2025 (156451-GZ) (2021), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/v28thd4h, p. 6 ; Programme alimentaire mondial, « Where We Work: Palestine », disponible à l’adresse https://tinyurl.com/3ms647tm (« Les conditions humanitaires à Gaza et l’effondrement de tous les secteurs productifs, des services sociaux de base et des infrastructures sont alarmants. La pauvreté et l’insécurité alimentaire dans la bande de Gaza touchent respectivement 59,4 % et 63 % de la population[...] Les troubles sécuritaires, politiques et économiques continus à grande échelle en Cisjordanie et le blocus maritime, terrestre et aérien depuis 15 ans sur la bande de Gaza ont entraîné la stagnation économique, la perte de terres et la restriction du commerce et de l’accès aux ressources, ainsi que des taux élevés de chômage et de pauvreté. »).
1139 CNUCED, Coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : le potentiel gazier et pétrolier inexploité, Doc. UNCTAD/GDS/APP/2019/1 (2019), p. 3.
309
4.45 Comme l’a affirmé Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale du TPO, la politique de « dé-développement » qu’Israël a imposée au TPO prive le peuple palestinien des moyens nécessaires pour développer une économie indépendante et un État viable et « est aux antipodes du principe d’autodétermination auquel ont adhéré les Nations Unies dans leur rejet du colonialisme ».1140
4.46 Israël limite également la capacité des Palestiniens à poursuivre leur développement social et culturel. Comme expliqué plus en détail dans le Chapitre 2, Section VI, Israël a cherché à effacer et à supplanter l’identité culturelle et religieuse palestinienne dans le TPO. Selon Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale du TPO, « [l]es attaques perpétrées à l’encontre de biens culturels importants dans le but d’éliminer toutes traces et manifestations de l’existence palestinienne, de même que les tentatives de réécrire l’histoire pour justifier des revendications (sans fondements) de souveraineté dans le territoire palestinien occupé, sont la preuve de l’intention de l’occupant de dépouiller définitivement la terre de son identité d’origine ».1141
4.47 L’occupation prolongée d’Israël prive ainsi le peuple palestinien de son droit de poursuivre librement son développement économique, social et culturel, et constitue une violation persistante de son droit à l’autodétermination.
***
4.48 Le droit à l’autodétermination est une norme impérative du droit international à laquelle aucune dérogation n’est permise. L’occupation prolongée
1140 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 52 (citant S. Roy, « De-development revisited: Palestinian economy and society since Oslo », 28(3) JOURNAL OF PALESTINE STUDIES 64 (1999), pp. 64-82).
1141 Ibid., par. 55.
310
d’Israël constitue néanmoins une violation fondamentale et persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination en le privant d’une population permanente ; d’un territoire ; de la capacité d’exercer sa volonté collective et de déterminer son statut politique interne ; et de son droit de poursuivre librement son développement économique, social et culturel. En conséquence, l’occupation israélienne est illégale dans son ensemble.
II. L’occupation israélienne du TPO constitue un régime d’apartheid et est donc illégale dans son ensemble
4.49 L’occupation israélienne des territoires palestiniens équivaut à un régime d’apartheid. En tant que norme de jus cogens, l’apartheid ne peut être justifié en aucune circonstance, y compris en cas de conflit armé ou d’occupation. La présente Section établit d’abord que l’apartheid est interdit par le droit international général (Section A), puis explique que l’occupation d’Israël, en vertu de son objectif et des politiques et pratiques associées, ne peut être considérée que comme un régime institutionnalisé d’apartheid (Section B). En conséquence, l’occupation dans son ensemble est illégale et son maintien permanent entraîne une violation grave d’une norme impérative (Section C).
A. L’APARTHEID EST INTERDIT PAR LE DROIT INTERNATIONAL
4.50 L’interdiction de l’apartheid est contraignante pour Israël et applicable dans le TPO (Section 1). En abordant cette question, le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait appliquer la définition largement acceptée de l’apartheid en vertu du droit international conventionnel et coutumier (Section 2).
311
L’interdiction de l’apartheid est contraignante pour Israël et applicable dans le TPO
4.51 L’interdiction de l’apartheid se reflète dans de nombreuses sources du droit international. Dès 1965, le CERD, auquel Israël et la Palestine sont parties, a codifié l’interdiction de l’apartheid dans son article 3 :
Les États parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature.1142
4.52 S’appuyant expressément sur l’article 3 du CERD,1143 ainsi que sur la Déclaration universelle des droits de l’homme,1144 la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (ci-après la « Convention sur l’apartheid ») a été adoptée en 1973. Elle prévoit « que l’apartheid est un crime contre l’humanité » qui « v[a] à rencontre des normes du droit international, en particulier des buts et des principes de la Charte des Nations Unies ».1145
4.53 Bien qu’Israël n’y soit pas partie, la Convention sur l’apartheid a simplement codifié une interdiction de l’apartheid déjà existante en droit
1142 CERD, art. 3. En outre, le préambule du CERD indique clairement que les États ont été « [a]larmés par des manifestations de discrimination raciale encore en évidence dans certaines régions du monde et par des politiques gouvernementales fondées sur la supériorité ou la haine raciale, telles que des politiques d’apartheid, de ségrégation ou de séparation ».
1143 Voir la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (18 juillet 1976), 1015 RTNU 243 (ci-après la « Convention sur l’apartheid »), préambule (« Rappelant que, aux termes de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale , les Etats condamnent spécialement la ségrégation raciale et l'apartheid et s'engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature »).
1144 Voir ibid., préambule (« Considérant la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans ladite Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur ou d’origine nationale »).
1145 Ibid., Art. I(1).
312
international coutumier. Comme indiqué dans son préambule, au moment où la Convention sur l’apartheid a été adoptée il y a 50 ans, « l’Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies a adopté toute une série de résolutions dans lesquelles la politique et les pratiques d'apartheid sont condamnées en tant que crime contre l’humanité », et « le Conseil de sécurité a souligné que l’apartheid et son intensification et son élargissement continus troublent et menacent gravement la paix et la sécurité internationales ».1146
4.54 En effet, aussi bien avant qu’après l’adoption de la Convention sur l’apartheid, le Conseil de sécurité1147 et l’Assemblée générale1148 ont dénoncé à plusieurs reprises et avec force l’apartheid comme étant interdit par le droit international. Cela n’est pas surprenant, étant donné que l’interdiction de l’apartheid est enracinée dans l’aversion à la discrimination raciale en droit international consacrée par les Articles 1(3) et 55 de la Charte des Nations
1146 Ibid., Préambule.
1147 Voir, par exemple, CSNU, Résolution 473, Appelant l’Afrique du Sud à prendre des mesures pour éliminer la politique d’apartheid et accorder à tous les citoyens sud-africains des droits égaux, Doc. S/RES/473(1980) (13 juin 1980) ; CSNU, Résolution 418, Sur l’établissement d’un embargo sur les armes à l’encontre de l’Afrique du Sud, Doc. S/RES/418(1977) (4 novembre 1977) ; CSNU, Résolution 554 (1984), Sur la « nouvelle constitution » de l’Afrique du Sud, Doc. S/RES/554(1984) (17 août 1984) ; CSNU, Sur les sanctions contre l’Afrique du Sud, Doc. S/RES/569(1985) (26 juillet 1985).
1148 Voir, par exemple, la Déclaration coloniale (14 décembre 1960), par. 1 ; AGNU, Résolution 2202 (XXI), Les politiques d’apartheid du gouvernement de la République d’Afrique du Sud, Doc. A/RES/2202(XXI) (16 décembre 1966), partie A, par. 1 ; AGNU, Résolution 3411 (XXX), Politiques d’apartheid du gouvernement sud : responsabilité spéciale des Nations Unies et de la communauté internationale pour aider le peuple opprimé d’Afrique du Sud, Doc. A/RES/3411(XXX) (28 novembre 1975), partie C, par. 1 ; AGNU, Résolution 32/105, Politiques d’apartheid du gouvernement de l’Afrique du Sud, Doc. A/RES/32/105 (14 décembre 1977), partie J, par. 2 à 4 ; AGNU, Résolution 31/6, Politiques d’apartheid du gouvernement de l’Afrique du Sud, Doc. A/RES/31/6 (26 octobre 1976), partie A, par. 1 ; AGNU, Résolution 34/93, Déclaration sur l’Afrique du Sud, Doc. A/RES/34/93 (12 décembre 1979), partie O, par. 1 ; AGNU, Résolution 39/72, Politiques d’apartheid du gouvernement de l’Afrique du Sud, Doc. A/RES/39/72 (13 décembre 1984) (ci-après la « résolution 39/72 de l’AGNU »), partie A ; ibid., partie G, par. 1. Voir aussi ONU, Acte final de la Conférence internationale sur les droits de l’homme : Téhéran, Doc. A/CONF.32/41 (du 22 avril au 13 mai 1968), Chapitre II : Proclamation de Téhéran (ci-après la « Proclamation de Téhéran (1968) »), par. 7.
313
Unies.1149 La Cour elle-même a jugé que la politique d’apartheid, telle qu’étendue à la Namibie par l’Afrique du Sud, constituait un déni des droits fondamentaux de l’homme et une « violation flagrante des buts et principes de la Charte ».1150
4.55 Au cours du dernier demi-siècle, de nombreux autres traités ont été adoptés consacrant ou reconnaissant l’interdiction de l’apartheid, y compris, entre autres,1151 la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité,1152 la Convention internationale contre l’apartheid dans le
1149 Charte des Nations Unies, Art. 1(3), qui prévoit que l’un des objectifs fondamentaux des Nations Unies est « réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion ». Ibid., Art. 55(c), selon lequel : « En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : [...] le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».
1150 Voir l’avis consultatif sur la Namibie, par. 129 à 131 (« C’est un fait incontesté [...] que la politique gouvernementale officielle [d’apartheid] du Gouvernement sud-africain en Namibie tend à une séparation physique complète des races et des groupes ethniques, chacun étant installé dans une zone distincte du territoire. Ainsi que l’Afrique du Sud l’a reconnu, la mise en oeuvre de cette politique nécessite des mesures restrictives de contrôle, adoptées et appliquées officiellement dans le territoire par le pouvoir coercitif de l’ancien mandataire. Ces mesures ont pour objet de limiter, d’exclure ou de restreindre la participation des membres des groupes de population autochtones à certains types d’activité, à certains domaines d’étude ou de formation et à certains travaux ou emplois, et d’imposer aux autochtones des restrictions ou des prohibitions en matière de résidence et de déplacement dans de vastes régions du territoire. Le fait d’établir et d’imposer, au contraire, des distinctions, exclusions, restrictions et limitations qui sont uniquement fondées sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique et qui constituent un déni des droits fondamentaux de la personne humaine, est une violation flagrante des buts et principes de la Charte ».
1151 Voir, par exemple, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (18 décembre 1979) 1249 RTNU 13 (ci-après la « CEDAW »), Préambule (« Soulignant que l’élimination de l’apartheid [...] est indispensable à la pleine jouissance par l’homme et la femme de leurs droits »).
1152 Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (26 novembre 1968), 754 RTNU 73, Art. 1.
314
sport,1153 le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève1154 et le Statut de Rome.1155 Le fait que presque tous les États aient adhéré à au moins l’un des traités susmentionnés indique que, même si l’interdiction de l’apartheid ne constituait pas déjà une norme du droit international coutumier lorsque la Convention sur l’apartheid a été adoptée (quod non), elle s’est depuis concrétisée comme telle.1156
4.56 Non seulement le statut coutumier de l’interdiction de l’apartheid ne fait aucun doute, mais il existe également, selon les termes de la CDI, un « large consensus » sur le fait que l’interdiction de l’apartheid constitue une norme impérative du droit international (jus cogens).1157 Ce statut péremptoire faisait déjà l’objet d’un « accord général » entre les États au moment de l’adoption de la Convention de Vienne sur le droit des traités en 1969.1158 Depuis lors, il est devenu l’une des « normes de jus cogens les plus citées ».1159 Ceci est logique étant donné
1153 Convention internationale contre l’apartheid dans les sports (10 décembre 1985), 1500 RTNU 161 (ci-après la « Convention internationale contre l’apartheid dans les sports »), Préambule, Art. 1 et 2.
1154 Protocole additionnel I, Art. 85(4)(c).
1155 Statut de Rome, Art. 7(1)(j), 7(2)(h).
1156 Voir CDI, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-dixième session (du 30 avril au 1er juin et du 2 juillet au 10 août 2018)), Doc. A/73/10, pp. 143-144 (« Le nombre de parties à un traité peut être un facteur important lorsqu’il s’agit de déterminer si les règles particulières énoncées dans le traité reflètent le droit international coutumier, les traités acceptés par la quasi-totalité des États pouvant être particulièrement révélateurs à cet égard »). Seuls onze États n’ont ratifié aucun de ces traités. Voir, par exemple, Collection des traités des Nations Unies, « Statut des traités : Chapitre IV, Droits de l’homme » (consulté le : 17 juillet 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/yun6j4ca.
1157 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL (2001) (Vol. II, Pt. 2), Commentaire de l’Article 40, par. 4. Voir aussi CDI, Normes impératives du droit international général (jus cogens) : textes du projet de conclusions et de l’annexe adoptés par le Comité de rédaction en deuxième lecture, Doc. A/CN.4/L.967 (11 mai 2022), Conclusion 23 (Annexe (e)).
1158 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL (2001) (Vol. II, Pt. 2), Commentaire de l’Article 40, par. 4.
1159 CDI, Quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) par le Rapporteur spécial D. Tladi, Doc. A/CN.4/727 (31 janvier 2019), par. Art. 101. Dans sa
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que l’apartheid constitue l’une des manifestations les plus graves de la discrimination raciale, dont l’interdiction constitue également une norme impérative.1160
4.57 Il est donc interdit à Israël, comme à tous les États, de s’engager dans l’apartheid. Cette interdiction s’étend d’ailleurs au TPO pour au moins quatre raisons. Premièrement, le caractère impératif de la norme signifie qu’aucune circonstance ne peut être invoquée pour déroger à l’interdiction de l’apartheid, qui s’applique sans limitations territoriales. Deuxièmement, en vertu du CERD, Israël a l’obligation de « prévenir, [d’]interdire et [d’]éliminer » l’apartheid « sur les territoires relevant de [sa] juridiction »,1161 qui comprennent le TPO.1162 Troisièmement, en vertu de l’adhésion de l’État de Palestine au Statut de Rome, tout individu, quelle que soit sa nationalité ou sa capacité officielle, encourt une responsabilité pénale individuelle pour le crime contre l’humanité d’apartheid s’il
discussion sur le statut impératif de l’interdiction de l’apartheid, le Rapporteur spécial développe de nombreux exemples de soutien généralisé parmi les États, les cours et tribunaux et les universitaires. Ibid., paras. 91 à 101.
1160 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL (2001) (Vol. II, Pt. 2), Commentaire de l’Article 26, par. 5. Voir aussi Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, rapports CIJ 1970, p. 3, par. 34 (reconnaissant le caractère erga omnes de l’interdiction de la discrimination raciale).
1161 CERD, Art. 3.
1162 Comme l’a expliqué Patrick Thornberry, le principal commentateur du CERD : [la formulation] « les « territoires relevant de leur juridiction » est moins ostensiblement restrictive que celle du PIDCP « sur son territoire et soumis à sa juridiction ». En conséquence, la pratique en vertu de l’Article 3 se fond dans les archives plus larges du CERD d’application extraterritoriale de la Convention, en particulier en cas d’occupation ou de contrôle du territoire, l’extension « spatiale » de la Convention. Les recommandations de 2012 du Comité à Israël concernant les activités dans « [l]e Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan occupé » fournissent un exemple clair de l’extension de l’Article 3 aux territoires relevant de la juridiction d’un État partie mais au-delà de ses frontières internationalement reconnues ». P. Thornberry, THE INTERNATIONAL CONVENTION ON THE ELIMINATION OF ALL FORMS OF RACIAL DISCRIMINATION: A COMMENTARY (OUP, 2016), p. 259. Voir aussi supra par. 3.25 à 3.28.
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est commis dans le TPO.1163 Quatrièmement, cette Cour a condamné l’extension par l’Afrique du Sud de sa politique d’apartheid en Namibie dans le cadre du système du mandat comme une « violation flagrante des buts et principes de la Charte ».1164 Il en va de même mutatis mutandis pour la conduite d’Israël dans le TPO.
2. La définition applicable de l’apartheid
4.58 Compte tenu de la multiplicité de ses sources, les contours précis de l’interdiction de l’apartheid dépendent du contexte de son application. Comme indiqué ci-dessus, l’apartheid constitue un crime contre l’humanité en droit pénal international,1165 une violation grave du droit international humanitaire1166 et une pratique interdite en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme.1167 Bien que ces normes se renforçant mutuellement ne laissent guère de doute quant
1163 Le champ d’application de la responsabilité pénale individuelle en vertu du Statut de Rome est coextensive avec la compétence de la Cour pénale internationale (ci-après la « CPI »). Voir Statut de Rome, Art. 25(2) (« Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et passible de sanctions conformément au présent Statut »). La compétence personnelle de la CPI s’étend à l’auteur d’un crime, quelle que soit sa nationalité, lorsque le comportement en question s’est produit sur le territoire d’un État partie au Statut de Rome. Voir Statut de Rome, Art. 12(2)(a). L’État de Palestine est partie au Statut de Rome et « la juridiction territoriale de la Cour dans la situation en Palestine s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ». Voir Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, Décision relative à la demande présentée par l’Accusation en vertu de l’article 19(3) pour une décision sur la compétence territoriale de la Cour en Palestine (5 février 2021), ICC-01/18, par. 118. La qualité officielle n’exclut pas la responsabilité pénale internationale en vertu du statut de Rome. Voir Statut de Rome, Art. 27 (« Le présent Statut s’applique également à toutes les personnes sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou de fonctionnaire du gouvernement n’exonère en aucun cas une personne de sa responsabilité pénale en vertu du présent Statut »).
1164 Voir l’avis consultatif sur la Namibie, par. 131.
1165 Statut de Rome, Art. 7(1)(j). Voir aussi CDI, Projet d’articles relatifs à la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2019 (Vol. II, Pt. 2), Art. 2(1)(j).
1166 Protocole additionnel I, Art. 85(4)(c).
1167 CERD, Art. 3.
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à la nature globale et inconditionnelle de l’interdiction de l’apartheid, elles soulèvent des questions quant à la définition précise de la norme à appliquer par la Cour dans ce contexte.
4.59 L’article 3 du CERD, qui est la source conventionnelle la plus ancienne pour l’interdiction de l’apartheid, ne définit pas le terme.1168 Une définition est toutefois fournie dans trois instruments pertinents adoptés après le CERD, qui fournissent un contexte pertinent1169 pour préciser le sens du terme à la fois en vertu du CERD et du droit international coutumier :
 La Convention sur l’apartheid, adoptée en 1977, définit le « crime d’apartheid » comme « englobant les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu'elles sont pratiquées en Afrique australe » et comme s’appliquant à divers « actes inhumains commis en vue d'instituer ou d'entretenir la domination d'un groupe racial d'êtres humains sur n'importe quel autre groupe racial d'êtres humains et d'opprimer systématiquement celui-ci » ;1170
 La Convention internationale contre l’apartheid dans les sports, adoptée en 1985, prévoit que « [l]’expression “apartheid” désigne un système de ségrégation et de discrimination raciales institutionnalisées ayant pour objet d'établir et d'entretenir la domination d'un groupe racial d'êtres humains sur un autre groupe racial d'êtres humains et d'opprimer systématiquement celui-ci » ;1171
1168 Ce n’est pas non plus le cas de l’article 85(4)(c) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève. Voir Protocole additionnel I, Art. 85(4)(c) (« Outre les infractions graves définies aux paragraphes précédents et dans les Conventions, les actes suivants sont considérés comme des infractions graves au Protocole lorsqu’ils sont commis intentionnellement et en violation des Conventions ou du présent Protocole : [...] les pratiques de l’apartheid et les autres pratiques inhumaines et dégradantes, fondées sur la discrimination raciale, qui donnent lieu à des outrages à la dignité personnelle »).
1169 Voir, par exemple, J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 880.
1170 Convention sur l’apartheid, Art. II.
1171 Convention internationale contre l’apartheid dans les sports, Art. 1(a).
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 Le Statut de Rome, adopté en 1998, prévoit que « par “crime d’apartheid”, on entend des actes inhumains analogues à ceux visés au paragraphe 1 [soit d’autres crimes contre l’humanité], commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».1172
4.60 Pour dégager de ce qui précède une définition de l’apartheid à appliquer par la Cour, au moins cinq considérations sont pertinentes :
4.61 Premièrement, bien que les définitions ne soient pas identiques dans leur formulation, elles soulignent toutes les mêmes caractéristiques fondamentales de l’apartheid. Comme l’expliquent les professeurs Dugard et Reynolds, compris dans le contexte plus large de l’histoire de l’apartheid, « [l]’essence de la définition de l’apartheid est donc le caractère systématique, institutionnalisé et oppressif de la discrimination en cause et le but de la domination qui en découle ».1173 Bien que l’apartheid ait été pratiqué pour la première fois en Afrique australe avant 1994, il existe un large consensus sur le fait que son application juridique ne se limite pas à ce contexte.1174 Plutôt que la dimension géographique, « c’est cet élément
1172 Statut de Rome, Art. 7(2)(h). Voir aussi CDI, Projet d’articles relatifs à la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2019 (Vol. II, Pt. 2), Art. 2(2)(h).
1173 J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 881.
1174 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 29 (« Lorsque le Statut de Rome a été rédigé et adopté vingt-cinq ans plus tard, l’époque de l’apartheid en Afrique australe était révolue, et l’instrument avait pour objectif de proposer une définition d’application universelle, orientée vers l’avenir. En particulier, il n’était fait mention ni de l’Afrique du Sud ni de l’Afrique australe. Compte tenu de cela, il n’existe aucun motif raisonnable de penser que l’apartheid a une portée temporelle ou géographique limitée. »). Les travaux de la Convention sur l’apartheid le confirment. Voir J. Dugard & J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), pp. 884-885 (citant, entre autres, la déclaration du délégué de Chypre au cours du processus de rédaction : « Lors de la rédaction et de l’adoption d’une telle convention internationale, il faut se rappeler qu’elle ferait partie du corps du droit international et pourrait durer au-delà de l’époque où l’apartheid était pratiqué en Afrique du Sud. »). Les études juridiques contemporaines en Afrique du Sud le confirment également. Voir, par exemple, J. Dugard et al., DUGARD’S INTERNATIONAL LAW: A
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institutionnalisé, impliquant un régime de droit, de politique et d’institutions sanctionné par l’État, qui distingue la pratique de l’apartheid des autres formes de discrimination interdite ».1175
4.62 Deuxièmement, bien que les trois définitions de l’apartheid varient quelque peu dans leur approche des actes sous-jacents constituant l’apartheid, il est préférable de lire les textes comme complémentaires.
4.63 La Convention sur l’apartheid fournit la liste la plus complète des actes sous-jacents, notamment :
a) Refuser à un membre ou à des membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux le droit à la vie et à la liberté de la personne :
i) En ôtant la vie à des membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux ;
ii) En portant gravement atteinte à l'intégrité physique ou mentale, à la liberté ou à la dignité des membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, ou en les soumettant à la torture ou à des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
iii) En arrêtant arbitrairement et en emprisonnant illégalement les membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux ;
b) Imposer délibérément à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux des conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique totale ou partielle ;
SOUTH AFRICAN PERSPECTIVE (5e éd., Juta, 2018), pp. 229-230 ; M. du Plessis, « International Criminal Law: The Crime of Apartheid Revisited Recent Cases », 24 SOUTH AFRICAN JOURNAL OF CRIMINAL JUSTICE 417 (2011), p. 417.
1175 J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 881.
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c) Prendre des mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés, en particulier en privant les membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux des libertés et droits fondamentaux de l'homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l'éducation, le droit de quitter son pays et d'y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d'opinion et d'expression et le droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques ;
d) Prendre des mesures, y compris des mesures législatives, visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, en interdisant les mariages entre personnes appartenant à des groupes raciaux différents, et en expropriant les biens-fonds appartenant à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux ou à des membres de ces groupes ;
e) Exploiter le travail des membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, en particulier en les soumettant au travail forcé ;
(f) Persécuter des organisations ou des personnes, en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu'elles s'opposent à l’apartheid.1176
4.64 Pour sa part, le Statut de Rome fait référence à des « actes inhumains de caractère analogue à ceux visés au paragraphe 1 », à savoir :
a) Meurtre ;
...
1176 Convention sur l’apartheid, Art. II.
321
d) Déportation ou transfert forcé de population ;
e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
f) Torture;
...
h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
i) Disparitions forcées de personnes ;
...
k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.1177
4.65 Comme l’a déclaré l’ancien Rapporteur spécial du TPO Michael Lynk, entre autres,1178 « une lecture comparative des listes des deux instruments fait ressortir d’importants chevauchements, et on peut raisonnablement affirmer que le caractère général du libellé du Statut de Rome − à savoir « autres actes inhumains » − englobe les mêmes dispositions prohibées figurant dans la liste de la Convention
1177 Statut de Rome, Art. 7(1).
1178 G. Mettraux, « Apartheid », dans INTERNATIONAL CRIMES: LAW AND PRACTICE: VOLUME II: CRIMES AGAINST HUMANITY (OUP, 2020), p. 741.
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[d’apartheid] ».1179 En effet, de par leur libellé, ces deux listes peuvent être qualifiées de non exhaustives.1180 Il s’ensuit que « [c]es différences entre la [Convention sur l’apartheid] et le Statut de Rome sont mineures et compatibles entre elles ».1181
4.66 En outre, comme l’illustre l’absence de l’exigence d’actes sous-jacents spécifiques dans la définition contenue dans la Convention contre l’apartheid dans les sports, les traitements cruels ou les actes inhumains sont à bien des égards inévitables dans le maintien d’un « système de ségrégation et de discrimination raciales institutionnalisées ».1182 Dans le même temps, l’absence de cet élément dans la définition énoncée dans la Convention contre l’apartheid dans les sports suggère également que l’identification et la qualification des actes sous-jacents d’apartheid est une exigence moins rigide (si elle existe) dans le contexte de la responsabilité des États que dans le contexte de la responsabilité pénale individuelle. Cette dernière implique l’application stricte de principes tels que nullum crimen sine lege.1183
4.67 Troisièmement, et à cet égard, les définitions ci-dessus servent des objectifs différents en fonction des instruments respectifs qui les contiennent, ce qui doit être
1179 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 30.
1180 L’article II de la Convention sur l’apartheid indique clairement, de manière non limitative, que l’apartheid « comprendra des politiques et des pratiques similaires de ségrégation et de discrimination raciales telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe » (soulignement ajouté). En outre, l’article 7(2)(h) du Statut de Rome prévoit que la définition de l’apartheid s’étend aux « actes inhumains d’un caractère analogue » (soulignement ajouté).
1181 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 31.
1182 Convention internationale contre l’apartheid dans les sports, Art. 1.
1183 Voir, par exemple, le Statut de Rome, Art. 22.
323
pris en compte pour tirer des conclusions sur la signification de l’apartheid en vertu du CERD et du droit international coutumier. La Convention sur l’apartheid et le Statut de Rome concernent principalement la responsabilité pénale individuelle pour le crime contre l’humanité de l’apartheid. Cependant, la Cour, par sa nature même et à la lumière de la demande dont elle est saisie, n’est pas appelée à établir la responsabilité pénale des individus, mais plutôt à vérifier « le statut juridique de l’occupation » et « les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ».1184 Il s’ensuit que la définition de l’apartheid à appliquer par la Cour doit s’inspirer des définitions énoncées dans le Statut de Rome et la Convention sur l’apartheid, mais doit également être adaptée pour s’appliquer, mutatis mutandis, dans le contexte de la responsabilité des États.1185
4.68 Par exemple, la Cour n’a pas besoin de vérifier si l’apartheid a été commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », comme l’exige la définition des crimes contre l’humanité énoncée dans le Statut de Rome.1186 S’il est certainement vrai qu’il est interdit aux États de se livrer au crime contre l’humanité de l’apartheid, il est également interdit1187 aux États de se livrer à la pratique de
1184 Demande, par. 18(b)
1185 Voir, par exemple, J. Dugard & J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 880 (« La présente étude porte sur l’évaluation de la responsabilité de l’État israélien en vertu des normes du droit international public, par opposition à la responsabilité de ses agents individuels en vertu du droit pénal international. Ainsi, le recours à la formulation de lois pénales, parmi les sources de droit les plus élaborées sur la question de l’apartheid, a pour but d’éclairer une définition complète plutôt que toute évaluation de la culpabilité pénale individuelle. »).
1186 Statut de Rome, Art. 7(1). Voir aussi CDI, Projet d’articles relatifs à la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2019 (Vol. II, Pt. 2), Art. 2(1).
1187 Voir CDI, Projet d’articles relatifs à la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2019 (Vol. II, Pt. 2), Art. 3 (« Tout État a l’obligation de ne pas se livrer à des actes constitutifs de crimes contre l’humanité »). Voir aussi l’affaire relative à l’application de la convention pour la
324
l’apartheid, qu’elle constitue ou non également un crime contre l’humanité1188 et que la responsabilité pénale individuelle ait ou non été établie.1189
4.69 Quatrièmement, selon toutes les définitions susmentionnées, l’apartheid doit être perpétré par un « groupe racial » sur au moins un autre « groupe racial ». Comme cela a été largement observé, la notion de « groupe racial » dans le contexte de l’apartheid ne se limite pas à des concepts étroits de race ou de couleur.1190 Au contraire, conformément au CERD1191 et au droit international coutumier,1192 le terme « racial » doit également être compris comme englobant l’ascendance et l’origine nationale ou ethnique.
4.70 À la lumière et sous réserve des considérations ci-dessus, il existe maintenant un consensus parmi les principaux universitaires, experts et organisations de défense des droits de l’homme selon lequel l’apartheid est défini
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro), arrêt, rapports CIJ 2007, p. 43, paras. 166, 172-173.
1188 Bien que les définitions de l’apartheid contenues dans le Statut de Rome et la Convention sur l’apartheid soient les plus importantes et les plus couramment invoquées, la définition contenue dans la Convention contre l’apartheid dans les sports indique clairement que l’apartheid a longtemps été considéré comme une pratique interdite indépendamment de son statut de crime contre l’humanité. Voir P. Thornberry, THE INTERNATIONAL CONVENTION ON THE ELIMINATION OF ALL FORMS OF RACIAL DISCRIMINATION: A COMMENTARY (OUP, 2016), p. 242. Voir aussi CDI, Quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) du Rapporteur spécial D. Tladi, Doc. A/CN.4/727 (31 janvier 2019), paras. 91/101.
1189 Voir aussi l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro), arrêt, rapports CIJ 2007, p. 43, par. 173. Voir aussi CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL (2001) (Vol. II, Pt. 2), commentaire de l’Article 58, par. 3 (« la question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer de celle de la responsabilité des États »).
1190 Voir, par exemple, J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 885-891.
1191 CERD, Art. 1 (« l’expression “discrimination raciale” vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique »).
1192 Voir l’avis consultatif sur la Namibie, par. 131.
325
par trois caractéristiques fondamentales : (i) un régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciales systématiques, (ii) qui est établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre, et (iii) qui présente des actes inhumains (ou des traitements cruels) commis en tant que partie intégrante du régime.1193 Lorsque ces trois caractéristiques sont présentes, la pratique de l’apartheid existe au sens du CERD et du droit international coutumier. Il est non seulement interdit aux États de se livrer à cette pratique, mais ils ont également l’obligation positive de la « prévenir, [de l’]interdire et [de l’]éliminer ».1194
B. L’OCCUPATION ISRAELIENNE CONSTITUE UN REGIME D’APARTHEID
4.71 L’application de la norme juridique qui précède conduit à la conclusion inévitable que l’occupation israélienne du TPO équivaut à un régime d’apartheid. Ce qui pouvait autrefois être une occupation militaire temporaire au sens de ce terme en droit international est aujourd’hui un régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciales systématiques, établi dans l’intention de maintenir la domination des Juifs israéliens sur les Palestiniens, et qui comporte des actes inhumains commis en tant que partie intégrante de ce régime.
4.72 Des voix proéminentes ont averti pendant des décennies que l’occupation israélienne présentait de plus en plus les caractéristiques de l’apartheid et qu’en l’absence du renversement de ses politiques par Israël et de la réalisation de l’autodétermination des Palestiniens, elle deviendrait en fait un régime d’apartheid. L’ancien président des États-Unis Jimmy Carter a émis cet avertissement, par
1193 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 31. Voir aussi G. Mettraux, « Apartheid », dans INTERNATIONAL CRIMES: LAW AND PRACTICE: VOLUME II: CRIMES AGAINST HUMANITY (OUP, 2020), p. 740.
1194 CERD, Art. 3.
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exemple, dans son livre Palestine : Peace Not Apartheid de 2006.1195 De même, dans un rapport de 2007 publié en sa qualité de Rapporteur spécial du TPO, le professeur John Dugard a estimé que « les pratiques et les politiques appliquées par Israël dans le territoire palestinien occupé sont souvent comparées à celles utilisées à l’époque de l’apartheid [...] et tombent vraisemblablement sous le coup de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973 ».1196
4.73 Depuis que ces avertissements ont été émis, les pratiques et les politiques discriminatoires d’Israël se sont intensifiées à un tel point que l’apartheid n’est plus un spectre à l’horizon, mais la triste réalité de l’occupation aujourd’hui. En 2013, le professeur Dugard a réexaminé les conclusions provisoires qu’il avait faites en tant que Rapporteur spécial en 2007 et a conclu, à peine six ans plus tard, qu’il restait peu de doute sur l’existence de l’apartheid :
Sur la base de la nature systémique et institutionnalisée de la domination raciale qui existe, il y a en effet de fortes raisons de conclure qu’un système d’apartheid s’est développé dans le Territoire palestinien occupé. Les pratiques israéliennes dans le territoire occupé rappellent non seulement l’apartheid – et, dans certains cas, sont pires que celui-ci – tel qu’il existait en Afrique du Sud, mais sont en violation de l’interdiction légale de l’apartheid.1197
1195 J. Carter, PALESTINE: PEACE NOT APARTHEID (Simon & Schuster, 2006), p. 215.
1196 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial J. Dugard sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/4/17 (29 janvier 2007), par. 61.
1197 J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 912 (soulignement ajouté). Voir aussi J. Dugard, CONFRONTING APARTHEID: A PERSONAL HISTORY OF SOUTH AFRICA, NAMIBIA AND PALESTINE (Jacanda Media, 2018), pp. 206-232.
327
4.74 Dix années de plus se sont écoulées et la situation n’a fait qu’empirer. À la suite de leur visite dans le TPO en juin 2023, l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, et l’ancienne Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Mary Robinson, ont déclaré n’avoir « entendu aucune réfutation détaillée des preuves de l’apartheid. Au contraire, les déclarations et les politiques du gouvernement israélien actuel, dont les directives de la coalition stipulent que « le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël », montrent explicitement l’intention de poursuivre l’annexion permanente plutôt que l’occupation temporaire, fondée sur la suprématie juive ».1198
4.75 Même d’éminents anciens fonctionnaires israéliens ont reconnu la réalité de l’apartheid. Il s’agit notamment de deux anciens ambassadeurs d’Israël en Afrique du Sud, qui ont estimé en juin 2021 qu’« [i]l est temps que le monde reconnaisse que ce que nous avons vu en Afrique du Sud il y a des décennies se produit également dans les Territoires palestiniens occupés ».1199 En outre, l’ancien procureur général d’Israël, Michael Benyair, a déclaré en février 2022 :
C’est avec une grande tristesse que je dois également conclure que mon pays a sombré dans une telle profondeur politique et morale qu’il est désormais devenu un régime d’apartheid. Il est temps que la communauté internationale reconnaisse également cette réalité [...] Il est impossible de conclure autrement : l’occupation est une réalité permanente. Il s’agit de la réalité d’un seul État, où deux peuples différents vivent avec des droits inégaux.1200
1198 Rapport The Elders 2023, p. 1.
1199 F. Ebel, « Israel-Palestine: Former Israeli ambassadors to South Africa call occupation ‘apartheid’ », Middle East Eye (8 juin 2021), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/3mzyz9dc.
1200 M. Benyair, « Former AG of Israel: With great sadness I conclude that my country is now an apartheid regime », The Journal (10 février 2022), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/2r6p6wtm.
328
4.76 De plus en plus d’experts des droits de l’homme et d’organisations israéliennes, palestiniennes et internationales de défense des droits de l’homme ont conclu qu’Israël a mis en oeuvre un régime d’apartheid. Entre autres, les avis et analyses juridiques suivants ont été publiés depuis 2019 seulement :
 En novembre 2019, une coalition de huit organisations palestiniennes et internationales de défense des droits de l’homme a soumis un rapport détaillé au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale « attestant qu’Israël a créé et maintenu un régime d’apartheid sur le peuple palestinien dans son ensemble, en violation de ses obligations en vertu du droit international » ;1201
 En juillet 2020, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme Yesh Din a émis un avis juridique concluant que l’occupation de la Cisjordanie équivaut à un régime d’apartheid ;1202
 En janvier 2021, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a publié un document d’orientation détaillant sa conclusion selon laquelle le gouvernement israélien met en oeuvre un système d’apartheid ;1203
 En avril 2021, la Human Rights Watch a publié un rapport de plus de 200 pages dans laquelle elle conclut que les autorités israéliennes ont perpétré le crime d’apartheid dans le TPO ;1204
1201 Al-Haq, Centre de ressources BADIL pour le droit à la résidence et le droit des réfugiés palestiniens, Centre palestinien pour les droits de l’homme, Centre Al Mezan pour les droits de l’homme, Association Addameer de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l’homme, Coalition civique pour la défense des droits des Palestiniens de Jérusalem, Institut du Caire pour les études des droits de l’homme et Habitat International Coalition, Joint Parallel Report to the United Nations Committee on the Elimination of Racial Discrimination on Israel’s Seventeenth to Nineteenth Periodic Reports (10 novembre 2019), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/3vbnyj42, par. 3.
1202 Yesh Din et Me M. Sfard, The Israeli Occupation of the West Bank and the Crime of Apartheid: Legal Opinion (juin 2020), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/52ts3abj, pp. 6, 57.
1203 B’Tselem, A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid (12 janvier2021), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4yzzwvuv.
1204 Rapport 2021 HRW, p. 10.
329
 En février 2022, la clinique des droits de l’homme de la faculté de droit de Harvard et l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme Addameer ont publié une analyse juridique « constatant que les actions d’Israël en Cisjordanie occupée sont contraires à l’interdiction de l’apartheid » ;1205
 Toujours en février 2022, Amnesty International a publié un rapport de près de 300 pages constatant que « le système israélien de ségrégation et de discrimination institutionnalisées à l’encontre des Palestiniens, en tant que groupe racial, dans toutes les zones sous son contrôle, équivaut à un système d’apartheid » ;1206
 En mars 2022, Michael Lynk, alors Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, a publié un rapport dans lequel il concluait « que le système politique de gouvernement bien ancré dans le Territoire palestinien occupé [...] satisfait aux normes de preuve généralement reconnues pour déterminer l’existence d’un apartheid » ;1207 et
 En novembre 2022, l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme Al-Haq a publié un rapport de plus de 200 pages, approuvé par sept autres ONG palestiniennes, dans lequel elle conclut qu’Israël pratique l’apartheid dans le cadre de son projet colonial de peuplement en cours.1208
4.77 En plus des rapports mentionnés ci-dessus, il est à noter qu’en Afrique du Sud même, le Conseil de recherche en sciences humaines d’Afrique du Sud (ci-
1205 Rapport HLS IHRC et Addameer, p. 1.
1206 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 267.
1207 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 52.
1208 Al-Haq, Israeli Apartheid: Tool of Zionist Settler Colonialism (29 novembre 2022), p. 181. Les autres organisations qui soutiennent sont Addameer, Al Mezan, le Centre palestinien pour les droits de l’homme, la Coalition civique pour la défense des droits des Palestiniens de Jérusalem, le Centre d’aide juridique et des droits de l’homme de Jérusalem, le Centre d’action communautaire de l’Université Al-Quds et l’Initiative palestinienne pour la promotion du dialogue mondial et de la démocratie (MIFTAH). Ibid., pp. i-iii.
330
après le « HSRC ») a publié un rapport en 2009 confirmant qu’Israël pratique à la fois le colonialisme et l’apartheid dans le TPO.1209
4.78 Bien que certaines des autorités susmentionnées aient limité leurs conclusions sur l’apartheid aux TPO, le Qatar souligne, comme l’a constaté Amnesty International, qu’« Israël a imposé un système d’oppression et de domination sur les Palestiniens partout où il exerce un contrôle sur la jouissance de leurs droits – en Israël et dans le TPO et à l’égard des réfugiés palestiniens ».1210 Il existe des preuves irréfutables qu’Israël commet le crime d’apartheid non seulement dans le TPO, mais aussi en Israël même. Les citoyens palestiniens d’Israël vivent dans l’inégalité et sont confrontés à une discrimination de jure en ce qui concerne la nationalité et le regroupement familial, ainsi qu’à de nombreuses politiques discriminatoires ayant un impact sur leur accès aux services et aux prestations, leur capacité à vivre là où ils le souhaitent, à participer à la vie politique et à parler leur propre langue.1211 Depuis la promulgation de la loi sur l’État-nation en 2018, ils vivent dans un État où le droit à l’autodétermination est « exclusif au
1209 Voir HSRC Democracy and Governance Programme, Occupation, Colonialism, Apartheid? A re-assessment of Israel’s practices in the occupied Palestinian territories under international law (juin 2009), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ywkk7hsj, pp. 15-22. Le rapport de 300 pages du HSRC était axé sur la définition de l’apartheid telle qu’elle figure dans la Convention sur l’apartheid. Le rapport a noté que les trois piliers de l’apartheid en Afrique du Sud sont tous pratiqués par Israël dans le TPO. En Afrique du Sud, le premier pilier consistait à délimiter la population sud-africaine en groupes raciaux et à accorder des droits, des privilèges et des services supérieurs au groupe racial blanc. Le deuxième pilier consistait à séparer la population en différentes zones géographiques, qui étaient attribuées par la loi à différents groupes raciaux, et à restreindre le passage des membres de tout groupe dans la zone attribuée à d’autres groupes. Puis, le troisième pilier était une matrice de lois et de politiques « de sécurité » draconiennes qui étaient utilisées pour réprimer toute opposition au régime et pour renforcer le système de domination raciale, en prévoyant la détention administrative, la torture, la censure, l’interdiction et l’assassinat.
1210 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 12 (soulignement ajouté).
1211 Ibid., pp. 82-84, 114-122, 178-180. Voir aussi Adalah, The Inequality Report: The Palestinian Arab Minority in Israel (mars 2011), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ynxdd7p6, pp. 7-12, pp. 16-18, pp. 39-47, pp. 51-58 ; CESCR, Concluding observations on the fourth periodic report of Israel, Doc. E/C.12/ISR/CO/4 (12 novembre 2019), par. 68.
331
peuple juif ».1212 Comme l’explique Ayman Odeh, citoyen palestinien d’Israël et membre de la Knesset :
Aujourd’hui, je vais devoir dire à mes enfants, ainsi qu’à tous les enfants des villes arabes palestiniennes [...] que l’État a déclaré qu’il ne veut pas de nous ici [...] Il a adopté une loi de suprématie juive et nous a dit que nous serons toujours des citoyens de seconde classe.1213
4.79 Bien que les questions dont la Cour est saisie ne concernent pas les pratiques d’Israël à l’intérieur de ses frontières, le régime général de discrimination à l’égard des Palestiniens fournit, où qu’ils se trouvent et quel que soit leur statut, un contexte important pour l’analyse par la Cour des pratiques d’Israël dans le TPO.
2. L’occupation israélienne constitue un régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciales
4.80 L’occupation israélienne constitue un « régime institutionnalisé » dans le sens où elle « implique un régime de droit, de politique et d’institutions sanctionné par l’État ».1214 En effet, l’occupation est menée par un appareil militaire massif avec le soutien d’une bureaucratie et d’institutions civiles, qui régissent tous les aspects de la vie à travers un cadre de droit militaire et civil complexe.1215 Il n’est
1212 Israël, Loi fondamentale : Israël, l’État-nation du peuple juif (19 juillet 2018), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/5n9b4nhs, Art. 1 ; Adalah Legal Center, « Israel’s Jewish Nation-State Law » (20 décembre 2020), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/5fdbf6an.
1213 I. Ben Zion, « Israeli parliament passes contentious Jewish nation Bill », Associated Press (19 juillet 2018), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/2p98afwn.
1214 J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », 24 (3) EJIL 867 (2013), p. 881.
1215 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 41.
332
donc pas surprenant que l’occupation et, en particulier, sa manifestation en Cisjordanie, ait été reconnue comme un régime institutionnalisé « distinct ».1216
4.81 Il est également bien établi que le régime d’Israël est un régime d’« oppression et de discrimination raciales ».1217 Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a expliqué en termes non équivoques que la discrimination raciale et la ségrégation imprègnent tous les aspects de la conduite d’Israël dans le TPO :
S’agissant de la situation particulière du Territoire palestinien occupé, le Comité demeure préoccupé par les conséquences des politiques et des pratiques assimilables à la ségrégation appliquées dans ce territoire, illustrées notamment par l’existence de deux systèmes juridiques et institutionnels totalement distincts, dont l’un est conçu pour les communautés juives vivant dans les implantations illégales, d’une part, et l’autre pour les populations palestiniennes habitant dans les villes et les villages palestiniens, d’autre part. Le Comité est consterné par le caractère hermétique de la séparation entre ces deux groupes, qui vivent sur le même territoire mais ne sont pas sur un pied d’égalité pour ce qui est de l’utilisation du réseau routier et des infrastructures et de l’accès aux services de base et aux ressources en eau. Cette séparation se manifeste concrètement par l’existence d’un ensemble complexe de restrictions à la liberté de circulation découlant de la présence du Mur, des implantations, des barrages routiers et des postes de contrôle militaires, ainsi que de l’obligation d’utiliser des routes
1216 Yesh Din et Me M. Sfard, The Israeli Occupation of the West Bank and the Crime of Apartheid: Legal Opinion (juin 2020), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/52ts3abj, pp. 23-26. Cela dit, « l’un de ces éléments empêche une analyse alternative de cette question qui considère Israël et les territoires qu’il contrôle comme un régime unique. Cependant, nous pensons que bien que le régime israélien, dans le sens d’un système de gouvernement, soit clairement en cours d’expansion en Cisjordanie, à ce stade, ce sont deux régimes qui subissent un processus fluctuant d’unification. » Ibid., p. 25.
1217 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 31 (a).
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distinctes et de l’application d’un régime de permis qui a des conséquences préjudiciables pour la population palestinienne.1218
4.82 La nature oppressive et discriminatoire de l’occupation se manifeste d’au moins cinq façons.
4.83 Premièrement, comme l’a noté le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans le passage qui vient d’être cité, une caractéristique clé de l’occupation est le double système juridique, qui s’applique de manière radicalement différente aux Palestiniens et aux colons juifs israéliens. Selon l’ancien Rapporteur spécial du TPO Michael Lynk, les cadres juridiques régissant la vie des Palestiniens et des colons juifs israéliens sont totalement distincts :
La vie des Palestiniens en Cisjordanie est régie par plus de 1 800 ordonnances militaires prises depuis 1967 par le commandant des forces de défense israéliennes dans des domaines comme la sécurité, la fiscalité, les transports, l’aménagement du territoire et le zonage, les ressources naturelles, les déplacements et l’administration de la justice. En particulier, Israël a imposé un système de justice militaire en Cisjordanie qui s’applique aux Palestiniens mais non aux colons juifs.1219
4.84 Cette « application d’un double ensemble de lois a créé une réalité où deux personnes vivent sur le même territoire, mais une seule bénéficie d’une protection solide de ses droits ».1220 Comme expliqué dans le Chapitre 2, Section V, cela signifie notamment que :
1218 Observations finales du CERD 2020, par. 22.
1219 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 41.
1220 Rapport HRW 2021, p. 86.
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 Les Palestiniens (y compris les enfants) sont poursuivis dans un système de justice pénale militaire qui les prive du droit à une procédure régulière et leur offre des protections distinctes et inférieures à celles offertes aux colons juifs israéliens ;
 Les Palestiniens, contrairement aux colons juifs israéliens, sont détenus pour des raisons de sécurité « pour une durée indéterminée, sans inculpation ni jugement [sur la base d’]éléments de preuves tenus secrets, sans sans qu’il soit possible de … contester valablement [la détention] » ;1221 et
 L’exercice des droits civils et politiques des Palestiniens dans le TPO est limité par l’application de la loi martiale, tandis que les colons juifs israéliens font face à des restrictions distinctes et plus permissives.
4.85 Deuxièmement, l’occupation a fragmenté le peuple palestinien à travers des restrictions discriminatoires à la circulation et la création d’enclaves strictement séparées. Non seulement Gaza, Jérusalem-Est et la Cisjordanie sont physiquement séparées les unes des autres, mais même la « Cisjordanie elle-même est fractionnée en 165 enclaves déconnectées ».1222 Comme expliqué dans le Chapitre 2, Section III, cette fragmentation physique est obtenue, entre autres, par le blocus de Gaza,1223 le Mur,1224 les exigences en matière de permis de voyage à l’intérieur et
1221 Conseil des droits de l’homme, Mise en oeuvre des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, Doc. A/HRC/40/39 (15 mars 2019), par. 32.
1222 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 42.
1223 Voir supra Chapitre 2, § III(B).
1224 Voir supra par. CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.70-CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.74.
335
à l’extérieur du TPO,1225 le maintien d’un réseau complexe de centaines de postes de contrôle et de barrages routiers1226 et un système routier séparé.1227
4.86 Troisièmement, les Palestiniens sont confrontés à une discrimination extrême en ce qui concerne l’utilisation des terres dans le TPO. En plus d’être constamment séparés de leur propre propriété privée et de leurs terres agricoles par le Mur, les Palestiniens sont privés de l’utilisation des terres restantes auxquelles ils peuvent accéder. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, comme expliqué dans le Chapitre 2, Section II(C) :
 Israël alloue la majeure partie des terres publiques dans le Territoire palestinien occupé aux colons juifs israéliens, ce qui permet la construction des colonies de peuplement qui abritent aujourd’hui environ 700 000 colons juifs israéliens,1228 alors que les Palestiniens n’ont reçu que 0,7 % de ces terres ;1229
 Les Palestiniens sont réellement empêchés de construire de nouvelles structures, notamment par le refus généralisé de permis de construire ; et
 Israël démolit systématiquement les structures appartenant aux Palestiniens dans le TPO, invoquant fréquemment des violations des règles de construction.
4.87 À Gaza, qui est l’un des territoires les plus densément peuplés du monde, Israël impose une « zone tampon » qui se trouve à l’intérieur de Gaza plutôt qu’en
1225 Voir supra par. CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.72-CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.76.
1226 Voir supra par. CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.77-CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.81.
1227 Voir supra par. CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.82-CHAPITRE 1.I. A.1(a)i.2.85.
1228 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 9.
1229 C. Levinson, « Just 0.7% of State Land in the West Bank has been allocated to Palestinians, Israel admits », Haaretz (28 mars 2013), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/46s6c9w2.
336
Israël, privant ainsi les Palestiniens de terres précieuses pour le logement ou l’agriculture.1230
4.88 Quatrièmement, comme démontré au Chapitre 3, Sections II(E)-(J), les Palestiniens sont confrontés à une discrimination extrême dans la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels les plus fondamentaux. En outre, comme indiqué au Chapitre 3, Section IV(F), et comme il a été confirmé par Human Rights Watch, cette privation intentionnelle et grave des droits fondamentaux contraire au droit international en raison de l’identité équivaut au crime contre l’humanité de persécution.1231 Cette constatation n’a rien de surprenant, car, en plus d’imposer une discrimination à la jouissance par les Palestiniens de leurs droits civils et de leurs droits à une procédure régulière,1232 le régime d’occupation impose des disparités sociales et économiques considérables entre les Palestiniens et les colons juifs israéliens :
Les [475 000] colons israéliens de Cisjordanie, qui vivent tous dans des implantations exclusivement juives, bénéficient, à titre personnel et de manière extraterritoriale, de l’ensemble des lois israéliennes et des avantages liés à la citoyenneté israélienne. Tout comme les Israéliens de Tel Aviv ou d’Eilat, les colons de Cisjordanie ont accès à l’assurance maladie, à l’assurance nationale, aux services sociaux, à l’éducation et aux services municipaux ordinaires et ont le droit d’entrer en Israël et dans une grande partie de la Cisjordanie et d’en sortir. Ils bénéficient également de prestations et de mesures incitatives ciblées de la part du Gouvernement israélien pour vivre et travailler dans les colonies. Les colons font partie intégrante d’une société prospère de niveau de vie européen. Les équipements collectifs et les services dont bénéficient les colonies (eau, électricité, logement, accès à des
1230 Voir supra Chapitre 2, § III(B).
1231 Rapport HRW 2021, p. 205.
1232 Voir supra Chapitre 3, §§ II(A)-(D), (K).
337
emplois bien rémunérés, routes et investissements industriels) sont bien supérieurs à ceux dont disposent les Palestiniens.1233
4.89 Cinquièmement, l’occupation opprime les Palestiniens en imposant leur isolement du monde extérieur. Le TPO n’a aucun accès terrestre, maritime ou aérien au reste du monde. Comme expliqué dans le Chapitre 2, Sections II(A) et III, Israël contrôle strictement la capacité des Palestiniens à entrer ou à quitter leur patrie, les privant de possibilités éducatives et économiques à l’étranger, du regroupement familial, des investissements étrangers et du tourisme, et du potentiel d’exister culturellement et politiquement en tant que société tout entière. En effet, « aucune autre société dans le monde ne fait face à une telle accumulation de difficultés; elle connaît en effet une occupation de guerre, un morcellement de son territoire, des différends politiques et administratifs et un isolement à la fois géographique et économique ».1234
2. L’occupation israélienne poursuit ouvertement le maintien de la domination d’un groupe racial, les Juifs israéliens, sur un autre, les Palestiniens
4.90 Comme il est précisé dans le rapport d’expert du professeur Rashid Khalidi, le sionisme en tant que doctrine sous-tendant la création de l’État d’Israël est incompatible avec la simple présence d’une population palestinienne autochtone substantielle, sans parler de sa participation égale à la société.1235 L’intention d’Israël de maintenir sa domination sur les Palestiniens remonte à sa création en tant qu’État en 1948 et à l’expulsion de la moitié de la population autochtone de
1233 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 39.
1234 AGNU, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/71/554 (19 octobre 2016), par. 41.
1235 Voir Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023).QWS, Vol. II, Annexe 1.
338
Palestine de leurs foyers pendant la Nakba. L’intention de maintenir la domination est mise en évidence d’au moins trois façons.
4.91 Premièrement, la domination raciale juive israélienne est expressément inscrite dans la loi israélienne et ouvertement approuvée par des fonctionnaires israéliens de haut rang. Par exemple, la loi de 2018 sur l’État-nation affirme la suprématie juive en tant que valeur nationale de caractère constitutionnel. La loi ne fait aucune référence à l’égalité, mais prévoit que « la réalisation du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est exclusive au peuple juif » et que « [l]’État considère le développement de la colonisation juive comme une valeur nationale et agit pour encourager et promouvoir son établissement et sa consolidation ».1236 Le Premier ministre Netanyahu a été on ne peut plus clair à ce sujet : « Israël n’est pas un État de tous ses citoyens ».1237
4.92 La doctrine de la suprématie est exacerbée par les discours de haine généralisés et l’incitation à la haine à l’encontre des Palestiniens à tous les niveaux de la société israélienne. C’est pourquoi le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a relevé avec inquiétude « [l]a montée des discours de haine à caractère raciste dans la sphère publique, en particulier ceux tenus par des personnalités publiques et des dirigeants politiques ou religieux, dans certains médias et dans les programmes et manuels scolaires ».1238 Parmi de nombreux autres exemples, les fonctionnaires israéliens au niveau ministériel ont approuvé
1236 Israël, Loi fondamentale : Israël, l’État-nation du peuple juif (19 juillet 2018), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/5n9b4nhs, arts. 1(c), 7.
1237 N. Landau, « Arabs Are not ‘Second-class Voters’ President Rivlin Rebukes Netanyahu », Haaretz (11 mars 2019), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/3tkdtky9 ; « Benjamin Netanyahu says Israel is ‘not a state of all its citizens’ », The Guardian (10 mars 2019), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/mrxw9xw8.
1238 Observations finales du CERD 2020, par. 26 (a).
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les pogroms et appelé à la destruction complète des villes palestiniennes.1239 Cela a conduit le Conseil de sécurité des Nations Unies à publier une déclaration sans précédent en février 2023, dans laquelle il « note avec une profonde inquiétude les cas de discrimination, d’intolérance et de discours de haine motivés par le racisme ».1240
4.93 Deuxièmement, l’intention d’Israël de maintenir sa domination sur les Palestiniens est attestée par ses politiques et ses pratiques d’ingénierie démographique et de purification ethnique des Palestiniens de leurs terres.
4.94 Il existe de nombreux documents politiques officiels précisant les plans d’Israël visant à aménager démographiquement le territoire sous son contrôle, à restreindre les Palestiniens à la plus petite superficie possible, et à construire et peupler autant de colonies de peuplement que possible.1241 Par exemple, le plan officiel d’Israël pour la municipalité de Jérusalem (y compris Jérusalem-Est) consiste à « maintenir une solide majorité juive dans la ville », ce qui signifie maintenir la population palestinienne sous les 40 %.1242 Dans le même temps, les fonctionnaires israéliens ont ouvertement justifié le choix de cesser les activités de colonisation à Gaza « pour des raisons démographiques ».1243 En août 2005, à l’approche du retrait de Gaza, le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, a expliqué que l’obtention d’une majorité juive à Gaza n’était pas réaliste car « un
1239 Voir, par exemple, M. Bachner, « Israel should ‘wipe out’ Palestinian town of Huwara, says senior minister Smotrich », Time of Israel (1er mars 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4unj8hhy.
1240 CSNU, Déclaration du Président du Conseil de sécurité, Doc. S/PRST/2023/1 (20 février 2023) (Dossier nº 1400), p. 2.
1241 Voir le rapport HRW 2021, pp. 66-72.
1242 Ibid., p. 63.
1243 Ibid., pp. 73-74.
340
million de Palestiniens y vivent, et leur nombre double à chaque génération ».1244 A Gaza, il a donc plutôt choisi de traiter avec le peuple palestinien en imposant un blocus et en le retirant du « calcul démographique ».1245
4.95 Les déclarations explicites des politiciens israéliens soulignant leur intention de maintenir une majorité démographique juive sur autant de territoires que possible ne manquent pas. Cela inclut les Premiers ministres actuels et anciens tels que Yitzhak Rabin, Ehud Barak, Ariel Sharon, Benjamin Netanyahu et Yair Lapid.1246 Ce dernier, qui est aujourd’hui considéré comme un leader « modéré » de l’opposition politique au gouvernement Netanyahu, a déclaré en 2016 que son « principe directeur est un maximum de Juifs sur un maximum de terres où la sécurité est maximale et où vivent un minimum de Palestiniens ».1247
4.96 Comme l’explique Amnesty International, cette ingénierie démographique et de territoire est directement liée à une intention de maintenir la domination sur les Palestiniens :
1244 Ibid.
1245 Ibid., p. 127.
1246 Rapport 2022 d’Amnesty International, pp. 67-68 (« en décembre 2003, alors qu’il était ministre des Finances, Benjamin Netanyahu a déclaré : « S’il y a un problème démographique, et il y en a un, c’est avec les Arabes israéliens qui resteront citoyens israéliens. » [...] Lorsque Yitzhak Rabin, Premier ministre entre 1992 et 1995, a déclaré : « La ligne rouge pour les Arabes est de 20 % de la population ; cela ne doit pas être dépassé. », il a ajouté : « Je veux préserver le caractère juif de l’État d’Israël. » Ehud Barak, lorsqu’il était Premier ministre entre 1999 et 2001, a assimilé une « majorité musulmane » à la « destruction d’Israël en tant qu’État juif ». Ariel Sharon, en tant que Premier ministre, a déclaré lors d’un débat à la Knesset en 2002 que si les citoyens palestiniens avaient des « droits sur la terre », « tous les droits sur la terre d’Israël sont des droits juifs ». Ehud Olmert a déclaré en 2003, alors qu’il était vice-Premier ministre, et trois ans avant de devenir Premier ministre, que « la question démographique » « dicterait la solution que nous devons adopter » et que la « formule pour les paramètres d’une solution unilatérale est : maximiser le nombre de Juifs ; minimiser le nombre de Palestiniens. »).
1247 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 46.
341
Les déclarations des principaux politiciens israéliens au fil des ans confirment que l’intention de maintenir une majorité démographique juive et d’opprimer et de dominer les Palestiniens a guidé les politiques d’Israël depuis la création de l’État [...] Les hommes politiques israéliens qui se sont succédé – indépendamment de leur affiliation politique – ont publiquement déclaré leur intention de minimiser l’accès des Palestiniens à la terre et leur contrôle sur l’ensemble des territoires sous le contrôle effectif d’Israël.1248
4.97 Troisièmement, Israël supprime toute forme de dissidence et empêche la réalisation de toute forme d’autodétermination ou d’indépendance pour les Palestiniens. Comme l’explique Amnesty International :
Les politiques israéliennes visent à fragmenter les Palestiniens en différents domaines géographiques et juridiques de contrôle, non seulement pour les traiter différemment, ou pour les séparer de la population juive, mais aussi pour les traiter différemment les uns des autres afin d’affaiblir les liens entre les communautés palestiniennes, de supprimer toute forme de dissidence soutenue contre le système qu’ils ont créé, et d’assurer un contrôle politique et sécuritaire plus efficace sur la terre et les personnes dans tous les territoires.1249
4.98 L’intention de parvenir à la domination par la fragmentation physique est ouvertement reconnue dans un plan directeur de 1980 pour la colonisation de la Cisjordanie préparé par l’Organisation sioniste mondiale quasi-gouvernementale. Le plan, connu sous le nom de « Plan Drobles », propose « de coloniser le territoire entre les centres de population de la minorité et leurs environs » afin de rendre « difficile pour les Palestiniens de créer une contiguïté territoriale et une unité politique ».1250 Une comparaison de la carte du plan Drobles et de la carte de la
1248 Rapport d’Amnesty International 2022, p. 67.
1249 Ibid., p. 17.
1250 Rapport HRW 2021, p. 68.
342
Cisjordanie d’aujourd’hui, reproduite au Figure 4.1 en page suivant, révèle que ce plan de fragmentation a réussi.
4.99 Cela a conduit de nombreux acteurs, y compris deux anciens ambassadeurs israéliens en Afrique du Sud, à établir des parallèles avec le système bantoustan du
régime d’apartheid sud-africain : Les bantoustans d’Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid et
la carte des Territoires palestiniens occupés aujourd’hui reposent
sur la même idée de concentrer la population « indésirable » dans une zone aussi petite que possible, dans une série d’enclaves non contiguës. En chassant progressivement ces populations de leurs
terres et en les concentrant dans des poches denses et morcelées,
l’Afrique du Sud d’alors et Israël d’aujourd’hui s’efforcent de contrecarrer l’autonomie politique et la véritable démocratie.1251
4.100 Compte tenu de ce qui précède, il ne fait aucun doute que le régime de domination d’Israël est intentionnel. Comme l’explique Amnesty International, après un demi-siècle d’occupation, la situation actuelle n’est pas le fruit du hasard :
« l’intention de maintenir ce régime peut être déduite de la nature prolongée du traitement cruel et discriminatoire, qui témoigne de la nature non accidentelle de l’oppression et de la domination perpétrées à l’encontre des Palestiniens ».1252
3. L’occupation israélienne est maintenue par de multiples actes inhumains
4.101 Les actes inhumains nombreux et répandus qu’Israël a commis et continue de commettre pour maintenir l’occupation ont été détaillés au Chapitre 3 ci-dessus et il n’est pas nécessaire de les répéter ici. Entre autres, la conduite d’Israël consiste en de multiples crimes contre l’humanité, qui constituent des « actes inhumains »
1251 F. Ebel, « Israel-Palestine: Former Israeli ambassadors to South Africa call occupation ‘apartheid’ », Middle East Eye (8 juin 2021), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/3mzyz9dc. 1252 Rapport 2022 d’Amnesty International, p. 218.
Figure 4.1

343
au sens du Statut de Rome.1253 Il s’agit notamment du meurtre, de la déportation et du transfert forcé de populations, de l’emprisonnement et de la privation grave de liberté physique en violation des règles fondamentales du droit international, de la torture et de la persécution.1254
4.102 En outre, comme l’exposent en détail les rapports mentionnés au paragraphe 4.76 ci-dessus, Israël s’est livré à de nombreux « actes inhumains » mentionnés dans la Convention sur l’apartheid, notamment :
 « des mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et [la création délibérée] de conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés » ;
 priver les Palestiniens de leur « droit de quitter [leur] pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir [leur] résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques » ;
 « des mesures, y compris des mesures législatives, visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux » ;
 « l’expropriation des biens-fonds appartenant à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux ou à des membres de ces groupes » ; et
1253 Statut de Rome, Art. 7(2)(h).
1254 Voir, par exemple, le rapport 2022 d’Amnesty International, pp. 219-263 ; Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 55.
344
 « la persécution d’organisations ou de personnes en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu'elles s'opposent à l’apartheid. »1255
4.103 Comme il est précisé au Chapitre 2, tous les actes inhumains susmentionnés sont régulièrement perpétrés à l’encontre des Palestiniens dans le contexte et la poursuite de l’occupation.
4.104 L’article précédent a établi que l’occupation constitue un régime institutionnalisé poursuivant l’oppression raciale et la discrimination à l’encontre des Palestiniens, que le régime est destiné à assurer la domination des Juifs israéliens sur les Palestiniens, et qu’il est mené et maintenu par d’innombrables actes inhumains. La conclusion incontournable est que l’occupation elle-même constitue un régime d’apartheid interdit par le droit international.
C. EN TANT QUE REGIME D’APARTHEID, L’OCCUPATION EST ILLEGALE ET SON EXISTENCE CONTINUE ENTRAINE UNE VIOLATION GRAVE D’UNE NORME IMPERATIVE
4.105 La Cour a reconnu à maintes reprises que plus d’une source de droit ou d’un régime juridique peut régir les mêmes actes ou manquements d’un État.1256 Il importe donc peu que l’occupation israélienne puisse également être considérée comme une occupation belligérante (illégale) au sens du terme en droit international. Cela n’empêche pas de constater que le même état de fait peut également être qualifié de régime d’apartheid. De plus, comme il a été démontré, l’occupation est bien plus qu’une opération militaire : il s’agit d’un appareil intégré qui contrôle tous les aspects de la vie de millions de Palestiniens depuis plus de deux générations. C’est un mécanisme civil et militaire extrêmement sophistiqué
1255 Convention sur l’apartheid, Art. II(c, d, f).
1256 Affaire concernant des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), Compétence et recevabilité, arrêt, rapports CIJ 1984, p. 392, par. 73 ; Avis consultatif sur le Mur, par. 106.
345
conçu pour être maintenu indéfiniment et faire perdurer le projet colonial de longue date d’Israël.
4.106 Après plus d’un demi-siècle, il n’est plus possible de passer à côté de l’essentiel. Ce changement de paradigme a été correctement expliqué par l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme Yesh Din :
Après 15 ans de recherche et de représentation légale de Palestiniens vivant sous occupation, nous pensons que le moment est venu de nous demander quel est le phénomène juridique que nous voyons dans ce domaine. Le paradigme de l’occupation explique-t-il pleinement ce qui se passe dans ce domaine et ce qu’Israël y a créé, ou une autre construction juridique est-elle en jeu en plus de cela ?1257
4.107 Yesh Din est finalement arrivée à la même conclusion que des dizaines d’autres organisations de défense des droits de l’homme réputées : c’est l’apartheid.
4.108 L’interdiction de l’apartheid étant une norme de jus cogens, le constat selon lequel l’occupation équivaut à un régime d’apartheid entraîne, ipso facto, la conclusion que le maintien de l’occupation constitue une violation d’une norme impérative. De plus, compte tenu de son ampleur et de son existence prolongée, il ne peut y avoir aucun doute quant au « manquement flagrant ou systématique »1258 d’Israël à respecter l’interdiction impérative de l’apartheid. Par conséquent, le maintien de l’occupation constitue « une violation grave [...] d’une obligation
1257 Yesh Din et Me M. Sfard, The Israeli Occupation of the West Bank and the Crime of Apartheid: Legal Opinion (juin 2020), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/52ts3abj, pp. 5-6 (souligné dans l’original).
1258 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL (2001) (Vol. II, Pt. 2), Art. 40(2).
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découlant d’une norme impérative du droit international général »1259 et entraîne toutes les conséquences correspondantes pour Israël, les États tiers et les organisations internationales décrites au Chapitre 5.
***
4.109 En conclusion, l’occupation israélienne du TPO entraîne la violation persistante du droit à l’autodétermination et l’interdiction de l’apartheid, deux normes de jus cogens du droit international. Ces violations flagrantes des normes impératives du droit international rendent l’occupation illégale dans son ensemble. L’occupation israélienne, telle que discutée plus en détail au Chapitre 5, doit donc prendre fin rapidement.
1259 Ibid., Art. 40(1).
347
CHAPITRE 5 LES CONSEQUENCES JURIDIQUES DECOULANT DE L’OCCUPATION ILLEGALE ET DES POLITIQUES ET PRATIQUES DISCRIMINATOIRES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPE
5.1 Il s’agit de la quatrième demande à la Cour demandant un avis consultatif sur les conséquences juridiques découlant d’une situation illégale,1260 et la seconde relative à la conduite d’Israël dans le TPO.1261 Dans son avis consultatif sur la Namibie, la Cour a jugé que « [q]uand un organe compétent des Nations Unies constate d'une manière obligatoire qu'une situation est illégale, cette constatation ne peut rester sans conséquence ».1262 Dans le cas présent, de nombreuses conséquences juridiques découlent de l’occupation illégale et des politiques et pratiques discriminatoires d’Israël dans le TPO. Ces conséquences juridiques font l’objet du présent Chapitre.
5.2 La résolution 77/247 de l’Assemblée générale demande expressément à la Cour d’examiner les conséquences juridiques découlant du comportement illicite d’Israël « pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ».1263 Par conséquent, la Section I se concentre sur les conséquences juridiques pour Israël, la Section II traite des conséquences juridiques qui en découlent pour tous les autres États à la lumière des violations graves par Israël des normes impératives, et
1260 Avis consultatif sur la Namibie ; Avis consultatif sur le Mur ; Avis consultatif sur l’archipel des Chagos.
1261 Avis consultatif sur le Mur.
1262 Avis consultatif sur la Namibie , par. 117.
1263 AGNU, Résolution 77/247, Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le territoire occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. A/RES/77/247 (30 décembre 2022) (Dossier nº 3) (ci-après la « résolution 77/247 de l’AGNU »), par. 18(b).
348
la Section III traite des conséquences juridiques qui en découlent pour les Nations Unies.
5.3 Comme le démontrent ces Sections, les conséquences juridiques découlant des nombreuses violations flagrantes et de longue date d’Israël ont une portée considérable et découlent directement de principes bien établis du droit international. L’avis consultatif sur le Mur de la Cour étant malheureusement resté lettre morte, le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait énoncer aussi précisément et aussi exhaustivement que possible toutes les conséquences juridiques découlant des actes préjudiciables d’Israël pour chacune des trois catégories de sujets de droit identifiés dans les trois Sections suivantes (à savoir Israël, tous les autres États et les Nations Unies). Tous les États et les Nations Unies seront ainsi guidés par l’avis consultatif de la Cour afin d’aider efficacement et sur le plan juridique à mettre fin aux graves violations en cours perpétrées par Israël et à atténuer autant que possible les souffrances actuelles du peuple palestinien.
5.4 La Cour est également appelée par l’Assemblée générale à déterminer « [q]uelle incidence [...] les politiques et pratiques d’Israël [...] ont sur le statut juridique de l’occupation ».1264 À cet égard, le Qatar invite la Cour à indiquer clairement que les politiques et pratiques illicites d’Israël n’ont aucun effet juridique sur le statut du TPO. Ex injuria jus non oritur. En outre, les politiques et les pratiques d’Israël n’ont pas changé le caractère illégal de son occupation, qui, en même temps, découle et constitue une violation continue du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination. Cependant, ces politiques et pratiques ont exacerbé l’occupation dans la mesure où elles ont ajouté un niveau d’illicéité particulièrement flagrant à l’occupation illégale d’Israël. En effet, grâce à ces politiques et pratiques, l’occupation illégale d’Israël s’est transformée en un régime
1264 Résolution 77/247 de l’AGNU, par. 18(b).
349
de discrimination institutionnalisée et enracinée à l’encontre des Palestiniens. Le Qatar invite la Cour à dénoncer l’occupation illégale d’Israël pour ce qu’elle est devenue en vertu du droit international : un apartheid.
I. Conséquences juridiques pour Israël
5.5 Le cadre le plus largement accepté pour les conséquences juridiques applicables aux États responsables de faits internationalement illicites se trouve dans la partie II des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après l’« ARSIWA »). En conséquence, Israël a l’obligation de : cesser son occupation et ses politiques et pratiques discriminatoires (Section A) ; offrir des assurances et des garanties appropriées de non-répétition (Section B) ; et réparer intégralement le préjudice causé (Section C).
A. ISRAËL A L’OBLIGATION DE CESSER SON OCCUPATION ET SES POLITIQUES ET PRATIQUES DISCRIMINATOIRES
5.6 L’article 30(a) de l’ARSIWA, qui reflète le droit international coutumier,1265 prévoit que « [l]’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation [...] [d]’y mettre fin si ce fait continue ».1266 Les Chapitres III et IV ont démontré que l’occupation du TPO par Israël et ses politiques et pratiques discriminatoires dans le TPO sont internationalement illicites et se poursuivent. Israël est donc dans l’obligation de les faire cesser immédiatement.
1265 Avis consultatif sur la Namibie, par. 118 ; Avis consultatif sur le Mur, par. 150 ; Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 178.
1266 CDI, Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2001 (Vol. II, Pt. 2) (ci-après l’« ARSIWA »), Art. 30(a).
350
5.7 Plus important encore, cela implique le retrait immédiat d’Israël de son administration du TPO et de son contrôle effectif de ce territoire. Le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait expressément reconnaître cette obligation dans le dispositif de son avis consultatif, tout comme elle l’a fait dans l’avis consultatif sur la Namibie, où elle a jugé que « la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie étant illégale, l’Afrique du Sud a l’obligation de retirer immédiatement son administration de la Namibie et de cesser ainsi d’occuper le territoire ».1267
5.8 Le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait indiquer dans le dispositif des mesures spécifiques supplémentaires qu’Israël doit prendre pour cesser son occupation. En particulier, Israël doit :
 abroger ou rendre inefficaces les lois, statuts, règlements ou autres mesures par lesquels Israël prétend exercer l’autorité gouvernementale dans le TPO ;
 abroger ou rendre inefficaces toutes les ordonnances militaires applicables au TPO ;
 cesser le développement de colonies de peuplement juives israéliennes supplémentaires en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et retirer les colonies de peuplement qui existent déjà ;
 démanteler le Mur en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est (comme la Cour l’a déjà jugé dans l’avis consultatif sur le Mur1268) ; et
 cesser le blocus de la bande de Gaza.
1267 Avis consultatif sur la Namibie, par. 133(1).
1268 Avis consultatif sur le Mur, par. 163(3)(B).
351
5.9 Ce n’est pas seulement l’occupation israélienne en soi qui est internationalement illicite. Comme décrit au Chapitre 3, la législation et les mesures discriminatoires d’Israël, y compris celles visant à modifier la composition démographique de la ville sainte de Jérusalem, le sont aussi. En conséquence, Israël est également tenu d’abroger ou de rendre inefficaces toutes ces lois et mesures, comme l’ont affirmé l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité à plusieurs reprises.1269
5.10 En outre, Israël a l’obligation de libérer les Palestiniens injustement détenus en raison de leur militantisme en faveur de l’autodétermination palestinienne. Il doit également cesser d’exploiter économiquement les ressources naturelles du TPO. Enfin, il doit démanteler les obstacles physiques à l’exercice de la liberté de circulation des Palestiniens et leur permettre de voyager librement entre la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza, et de quitter le TPO.
5.11 De l’avis du Qatar, la Cour devrait expressément reconnaître les obligations d’Israël de prendre toutes les mesures susmentionnées dans le dispositif de son avis consultatif.
1269 Voir, par exemple, AGNU, Résolution ES-10/19, Statut de Jérusalem, Doc. A/RES/ES-10/19 (21 décembre 2017) (Dossier nº 1231), par. 1 (« Affirme que toute décision ou action qui visent à le caractère, le statut ou la composition démographique de la Ville sainte de Jérusalem n’ont aucun effet juridique, sont nulles et non avenues et doivent être rapportées [annulées] en application des résolutions sur la question adoptées par le Conseil de sécurité, et à cet égard demande à tous les États de s’abstenir d’établir des missions diplomatiques dans la Ville sainte de Jérusalem ») ; AGNU, Résolution 26/82, La situation au Moyen-Orient, Doc. 46/82 (16 décembre 1991) (Dossier nº 583), Partie A, par. 8 ; ibid., Partie B, par. 1. AGNU, Résolution 76/12, Jérusalem, Doc. A/RES/76/12 (6 décembre 2021) (Dossier nº 638), par. 1 ; Résolution 77/126 de l’AGNU, par. 2 ; Résolution 478 du CSNU (1980), par. 3 ; Résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité des Nations Unies, Préambule.
352
B. ISRAËL EST TENU D’OFFRIR DES ASSURANCES ET DES GARANTIES DE NON-REPETITION APPROPRIEES
5.12 L’article 30(b) de l’ARSIWA prévoit que « [l]’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation [...] [d]’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances l’exigent. »1270
5.13 La Cour a souligné qu’elle « peut ordonner [...] à l’État responsable d’un comportement internationalement illicite de fournir à l’État lésé des assurances et des garanties de non-répétition [...] si les circonstances le justifient ».1271 En outre, la Cour a jugé que les assurances et les garanties de non-répétition « ne seront ordonnées que “dans des circonstances spéciales” », car « il n’y a pas lieu de supposer qu’un État dont un acte ou un comportement a été déclaré illicite par la Cour répétera à l’avenir cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi doit être présumée ».1272 Dans l’affaire LaGrand, la Cour a jugé que la demande de l’Allemagne d’une assurance générale de non-répétition avait été satisfaite parce que les États-Unis avaient exprimé un « engagement [...] d’assurer la mise en oeuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution de leurs obligations » auquel ils avaient manqué.1273
5.14 Contrairement aux États-Unis dans cette affaire, Israël ne s’est pas engagé à adopter ni n’a réellement adopté de mesures pour mettre en oeuvre les obligations
1270 ARSIWA, Art. 30(b).
1271 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, rapports CIJ 2009, p. 213, par. 150.
1272 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, rapports CIJ 2015, p. 665, p. 717, par. 141 (citant le Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, rapports CIJ 2009, p. 213, par. 150).
1273 LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt, rapports CIJ 2001, p. 466, par. 124.
353
qu’il enfreint actuellement et enfreint depuis plus de 55 ans. Au contraire, la politique de longue date d’Israël est de maintenir son occupation illégale. Le pays a poursuivi cette politique au mépris flagrant de l’avis consultatif sur le Mur de la Cour et des résolutions répétées de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Tout porte donc à croire qu’Israël répétera ses graves violations du droit international à l’avenir.
5.15 La CDI a estimé que, outre le risque de répétition, la nature de l’obligation ou des obligations enfreintes et la gravité de la violation ou des violations sont également des facteurs à prendre en compte pour déterminer si les circonstances exigent des assurances et des garanties de non-répétition.1274 Dans le cas présent, compte tenu des normes impératives enfreintes par Israël et de la gravité de ces violations, ces facteurs pèsent lourdement en faveur de la conclusion selon laquelle Israël doit fournir lesdites assurances et garanties.
5.16 Par conséquent, dans ces circonstances, Israël doit être tenu d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées non seulement en ce qui concerne son occupation du Territoire palestinien occupé, mais aussi en ce qui concerne toutes ses politiques et pratiques discriminatoires dans ce territoire, ainsi que toutes les autres mesures prises dans le cadre de son occupation. Le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait énoncer cette exigence dans le dispositif.
1274 CDI, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-deuxième session (2000), Doc. A/CN.4/513 (15 février 2001), par. 57.
354
C. ISRAËL A L’OBLIGATION DE REPARER INTEGRALEMENT LE PREJUDICE CAUSE PAR SON OCCUPATION ET SES POLITIQUES ET PRATIQUES DISCRIMINATOIRES
5.17 Dans son arrêt sur le fond dans l’affaire des Activités armées, la Cour a jugé qu’« il est bien établi en droit international général que l’État responsable d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer en totalité le préjudice causé par ce fait ».1275 Cette règle est reflétée dans l’article 31 de l’ARSIWA, qui précise également que le « [p]réjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral ».1276
5.18 Les articles 34 à 37 de l’ARSIWA précisent en outre que : la réparation intégrale prend la forme d’une restitution (Section 1) ; dans la mesure où le dommage n’est pas réparé par restitution, la réparation intégrale prend la forme d’une indemnisation (Section 2) ; et dans la mesure où le préjudice ne peut être réparé par restitution ou indemnisation, la réparation intégrale prend la forme d’une satisfaction (Section 3).
1. Israël est dans l’obligation de restituer
5.19 En vertu de l’article 35 de l’ARSIWA, Israël est avant tout tenu de procéder à la restitution, c’est-à-dire « [de rétablir] la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis ».1277 Après plus de 55 ans, il n’est pas possible de revenir entièrement à la situation qui existait avant l’occupation illégale du TPO par Israël. La blessure qu’Israël a infligée est littéralement irréversible. Cependant, il existe un certain nombre d’actions spécifiques qu’Israël peut et doit prendre pour rétablir, dans la mesure du possible, la situation préexistante. Certaines de ces actions
1275 Arrêt sur le fond Activités armées, par. 259.
1276 ARSIWA, Art. 31(2).
1277 Ibid., Art. 35.
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peuvent être réalisées efficacement en ayant recours aux actes de cessation énoncés ci-dessus à la Section I(A).
5.20 En plus de ces actes de cessation, Israël est également tenu d’effectuer une restitution en facilitant le retour des Palestiniens déplacés de force par Israël. Cette facilitation exigerait qu’Israël restitue toutes les terres que le pays a confisquées aux Palestiniens dans le TPO. Il est bien évidemment impossible pour Israël de contraindre tous ceux qu’il a déplacés de force à rentrer chez eux, mais il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter ce retour si les victimes souhaitent revenir.
5.21 L’exécution de cette obligation, en plus de celles énoncées à la Section I(A), serait nécessaire pour qu’Israël remplisse son obligation de restitution. La Cour devrait donc les préciser expressément dans le dispositif de son avis consultatif.
2. Israël est dans l’obligation de réparer les dommages causés
5.22 Conformément à l’article 36 de l’ARSIWA, dans la mesure où le dommage n’est pas réparé par restitution, la réparation intégrale prend la forme d’une indemnisation.1278 L’indemnisation « couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi ».1279
1278 ARSIWA, Art. 36. Voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Réparations, arrêt, p. 34 (ci-après l’« arrêt sur les réparations dans l’affaire des activités armées »), par. 101 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), indemnisation, arrêt, rapports CIJ 2018, p. 15, par. 31 ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, rapports CIJ 2010, p. 14, par. 273.
1279 ARSIWA, Art. 36(2).
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5.23 La Cour s’est déjà exprimée clairement à cet égard en ce qui concerne le comportement d’Israël. Dans l’avis consultatif sur le Mur, elle a déclaré :
Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du Mur dans le Territoire palestinien occupé. Au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l’indemnisation des personnes en question pour le préjudice subi par elles. De l’avis de la Cour, Israël est également tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction de ce Mur.1280
5.24 En l’espèce, Israël est tenu d’indemniser tous les dommages causés à des personnes physiques ou morales individuelles (en particulier, des personnes palestiniennes) en raison de son occupation à long terme du TPO et de ses politiques et pratiques discriminatoires qui y sont menées. Cela comprend, mais sans s’y limiter : le meurtre ; la détention ; les blessures physiques ; les blessures psychologiques et de santé mentale ; la destruction et les dommages aux maisons et autres biens qui ne peuvent pas être restaurés ; et les dommages financièrement évaluables aux entreprises.
5.25 L’indemnisation des victimes individuelles de persécution discriminatoire est ancrée dans la pratique des États.1281 Par exemple, entre 1952 et 1999, le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne a promulgué une législation et conclu des accords avec de nombreux États ainsi qu’avec la Jewish Claims
1280 Avis consultatif sur le Mur, par. 153.
1281 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale T. Achiume sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Doc. A/74/321 (21 août 2019), paras. 42-44.
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Conference pour indemniser les victimes du régime nazi.1282 À ce jour, plus de 80 milliards d’euros ont été distribués par le biais de ces mécanismes.1283 Autre exemple, la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud en 1998 a recommandé le paiement de 21 700 ZAR par an pendant six ans à chaque victime de l’apartheid dans le pays.1284 Bien que le gouvernement n’ait pas pleinement mis en oeuvre cette recommandation, il a approuvé le paiement unique de 30 000 ZAR à titre d’indemnisation à chaque victime.1285 Pour donner un exemple encore plus récent, en 2013, le Royaume-Uni a accepté de payer 19,9 millions de GBP de dommages et intérêts pour sa persécution discriminatoire de Kényans impliqués dans la révolte des Mau-Mau dans les années 1950.1286
5.26 Outre l’indemnisation individuelle, Israël a également l’obligation d’indemniser tous les dommages causés à la société palestinienne dans son ensemble en raison de son occupation et de ses politiques et pratiques discriminatoires. Bien entendu, ces dommages ne sont pas facilement quantifiables. Aucune somme d’argent ne pourrait non plus rétablir entièrement la société palestinienne telle qu’elle était avant l’occupation, ou telle qu’elle serait
1282 République fédérale d’Allemagne, ministère fédéral des Finances, Wiedergutmachung: Provisions relating to compensation for National Socialist injustice (mai 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/mrykek4j, pp. 6-22.
1283 Ibid., p. 24 (Annexe 1).
1284 Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Rapport de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Vol. 5 (29 octobre 1998), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ymsp9tt7, pp. 184-185.
1285 République d’Afrique du Sud, Justice on Truth and Reconciliation Commission recommendations for identified victims (11 novembre 2014), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/msmu6ece. Ce montant a été largement critiqué car il était bien inférieur à ce que la Commission vérité et réconciliation avait recommandé. Voir « Apartheid victims struggle on for justice », Al Jazeera (28 mai 2003), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4xrxjduh ; « Apartheid victims reject compensation fund », Al Jazeera (10 décembre 2003), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ycysd2c9.
1286 O. Bowcott, « Mau Mau rebellion victims claim parliament was misled over torture », The Guardian (23 mai 2016), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/8e4hrfxm.
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aujourd’hui si Israël n’occupait pas le territoire palestinien et n’y mettait pas en oeuvre des politiques et des pratiques discriminatoires. Néanmoins, Israël pourrait s’acquitter de cette obligation en s’engageant aux côtés de la Palestine dans le but de fixer un montant compensatoire raisonnable qu’Israël s’engagerait à payer pour ces dommages sociétaux.
5.27 La réparation des dommages causés à la société comporte également des précédents. Par exemple, en septembre 1952, la République fédérale d’Allemagne a conclu un accord avec Israël pour lui verser 3 milliards de DM « pour aider les réfugiés juifs déracinés sans moyens qui venaient d’Allemagne et de territoires qui étaient auparavant sous domination allemande ».1287 La Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud a également recommandé la mise en oeuvre de programmes de réadaptation communautaire pour les communautés victimes de l’apartheid,1288 et le gouvernement a alloué 30 millions de ZAR à chacun de ces programmes.1289
5.28 Outre les blessures causées aux Palestiniens et à la société palestinienne, comme expliqué dans le Chapitre 2, Section VII, Israël a également exploité les ressources naturelles appartenant à l’État de Palestine. Le pays est donc également tenu d’indemniser l’État de Palestine pour la valeur de ces ressources, tout comme
1287 République fédérale d’Allemagne, ministère fédéral des Finances, Wiedergutmachung: Provisions relating to compensation for National Socialist injustice (mai 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/mrykek4j, p. 6.
1288 Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Rapport de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Vol. 5 (29 octobre 1998), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ymsp9tt7, p. 190-194.
1289 Voir « South Africa: Nearly R2 Billion for Apartheid Reparations Is Unspent », National African-American Reparations Commission (13 décembre 2022), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/2md5hncn.
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la Cour a exigé à l’Ouganda d’indemniser la République démocratique du Congo pour l’exploitation illégale de ses ressources naturelles.1290
5.29 Il existe de multiples moyens par lesquels Israël pourrait s’acquitter de son obligation d’indemnisation. Par exemple, il pourrait créer unilatéralement un fonds destiné à recevoir des demandes d’indemnisation pour les dommages causés par l’occupation illégale, à la manière du modèle adopté en Afrique du Sud. Israël pourrait également s’acquitter de son obligation en contribuant aux fonds établis par des accords bilatéraux, comme ce fut le cas pour une grande partie de l’indemnisation versée par la République fédérale d’Allemagne.
3. Israël est dans l’obligation de donner satisfaction
5.30 Conformément à l’article 37, paragraphe 1, de l’ARSIWA, dans la mesure où le préjudice ne peut être réparé par restitution ou indemnisation, la réparation intégrale prend la forme d’une satisfaction.1291 Ceci a été confirmé par la Cour dans son arrêt de 2022 sur la question des réparations en l’affaire des Activités armées.1292 En outre, en vertu de l’article 37(2) de l’ARSIWA, « [l]a satisfaction peut consister en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée ».1293
5.31 Il est évident que la restitution ou l’indemnisation, ou les deux, ne suffisent pas à réparer l’intégralité du préjudice causé par Israël au cours de son occupation illégale. La satisfaction est donc également requise.
1290 Arrêt sur le fond Activités armées, par. 409(1)(c).
1291 ARSIWA, Art. 37(1).
1292 Arrêt sur le fond Activités armées, par. 387.
1293 ARSIWA, Art. 37(2).
360
5.32 Compte tenu de la nature grave, persistante et flagrante de ses actes préjudiciables, Israël a l’obligation de reconnaître expressément ses violations et de présenter des excuses officielles et publiques. Le pays doit s’excuser non seulement pour son occupation illégale du TPO, mais aussi pour sa violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ainsi que pour ses politiques et pratiques discriminatoires dans le TPO. Bien que la satisfaction prenne habituellement la forme d’une déclaration contraignante de violation par la Cour dans une procédure contentieuse, le caractère consultatif de la procédure empêche le dispositif de la Cour d’accorder ce recours particulier. Par conséquent, la Cour devrait se prononcer clairement sur le fait qu’Israël a l’obligation de reconnaître ses violations et de s’en excuser publiquement.
5.33 Dans le contexte actuel, il convient également de donner satisfaction en exigeant d’Israël qu’il poursuive les personnes relevant de sa juridiction, y compris les fonctionnaires, qui ont commis de graves crimes internationaux contre les Palestiniens en toute impunité tout au long de l’occupation.1294 Ces poursuites contribueraient à réparer pleinement tous les dommages causés par les actes préjudiciables d’Israël, comme l’a reconnu la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud en ce qui concerne l’apartheid en Afrique du Sud.1295
5.34 En outre, en s’appuyant sur le précédent sud-africain ainsi que sur d’autres précédents dans divers pays d’Amérique latine comme l’Uruguay, le Pérou, le Chili et l’Équateur, il conviendrait de donner satisfaction en exigeant qu’Israël coopère à la création et au fonctionnement d’une commission de vérité et de réconciliation.
1294 Pour une discussion sur les poursuites comme forme de satisfaction, voir C. Hoss, « Satisfaction », Max Planck Encyclopedia of Public International Law (avril 2011), par. 18-19.
1295 Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Rapport de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Vol. 5 (29 octobre 1998), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ymsp9tt7, p. 309.
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La Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, d’une part, a été créée pour enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme qui ont été perpétrées sous le régime de l’apartheid entre 1960 et 1994, notamment les enlèvements, les meurtres et la torture.1296 Son mandat s’étendait aux violations commises à la fois par l’État et par les mouvements de libération, et elle a tenu des audiences spéciales consacrées à des secteurs, des institutions et des individus spécifiques.1297 Comme mentionné ci-dessus, la Commission vérité et réconciliation, à la fin de son mandat, a formulé des recommandations détaillées pour un programme de réparations comprenant des réparations financières, symboliques et communautaires.1298 Le Qatar considère qu’une approche similaire en Palestine contribuerait matériellement à faire progresser la justice internationale.
5.35 Le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait, dans le dispositif, exiger d’Israël qu’il entreprenne toutes ces différentes formes de satisfaction.
II. Conséquences juridiques pour tous les autres États
5.36 Comme expliqué dans les Chapitres 3 et 4, l’occupation israélienne et les politiques et pratiques discriminatoires dans le TPO constitue une violation de multiples normes impératives du droit international. Conformément à l’article 41 de l’ARSIWA, certaines conséquences juridiques s’imposent donc à tous les États.
1296 République d’Afrique du Sud, Promotion of National Unity and Reconciliation Act 34 (1995), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4jj6wsyf, Art. 3.
1297 Ibid., Art. 3(1)(a), 5(d) ; United States Institute of Peace, Truth Commission: South Africa (1er décembre 1995), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/y8ywn3fz. Voir aussi Centre international pour la justice transitionnelle, Afrique du Sud (consulté le : 13 juillet 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/yc4c8jd5.
1298 Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Rapport de la Commission vérité et réconciliation d’Afrique du Sud, Vol. 5 (29 octobre 1998), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ymsp9tt7.
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5.37 Ces conséquences juridiques comprennent les obligations : de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents (Section A) ; de ne pas fournir d’aide ou d’assistance pour maintenir cette situation (Section B) ; et de coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents (Section C). En outre, tous les États sont tenus d’aider à protéger le peuple palestinien des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité (Section D). Enfin, tous les États sont tenus de rendre compte, en vertu du droit international, des crimes internationaux commis sous l’occupation israélienne (Section E).
A. TOUS LES ETATS ONT L’OBLIGATION DE NE PAS RECONNAITRE COMME LICITE LA SITUATION CREEE PAR L’OCCUPATION ISRAELIENNE ET LES ACTES Y AFFERENTS
5.38 L’article 41(2) de l’ARSIWA, qui reflète le droit international coutumier,1299 prévoit qu’« [a]ucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave » d’une norme impérative du droit international général.1300
5.39 Conformément à cette règle, dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour a déclaré dans son dispositif que « [t]ous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du Mur [...] ».1301 Dans son avis consultatif sur la Namibie, la Cour avait également estimé que « les États Membres des Nations Unies ont l’obligation de reconnaître l’illégalité de la
1299 Dès 2001, la Commission du droit international avait reconnu que les devoirs de non-reconnaissance et de non-assistance faisaient partie du droit international coutumier. Voir CDI, Projet de conclusions sur l’identification et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs, Doc. A/77/10 (2022), p. 76 (note 258).
1300 ARSIWA, Art. 41(2).
1301 Avis consultatif sur le Mur, par. 163(3)(D). Voir aussi ibid., par. 159.
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présence de l’Afrique du Sud en Namibie et le défaut de validité des mesures prises par elle au nom de la Namibie ou en ce qui la concerne [...] ».1302
5.40 La Cour devrait parvenir à la même conclusion en ce qui concerne la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents. En particulier, elle devrait statuer dans le dispositif que tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par l’occupation israélienne du TPO, et les politiques et pratiques discriminatoires dans le TPO.
5.41 Il est important d’ajouter qu’il est interdit à tous les États de reconnaître la légalité de la situation non seulement expressément, mais aussi implicitement.1303 La Cour l’a elle-même souligné dans l’avis consultatif sur la Namibie, dans le dispositif dans lequel elle a précisé que « les États Membres des Nations Unies ont l’obligation [...] de s’abstenir de tous actes en particulier de toutes relations avec le Gouvernement sud-africain qui impliqueraient la reconnaissance de la légalité de [...] cette présence et de cette administration ».1304
5.42 En conséquence, les États sont tenus, dans leurs relations avec Israël, de faire la distinction entre le territoire qu’il contrôle légalement et le TPO. En effet, en 2016, le Conseil de sécurité a décidé de « [demander] à tous les États [...] de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 »,1305 une distinction que la Cour a
1302 Avis consultatif sur la Namibie, par. 133(2).
1303 Voir AGNU, Résolution 181 (II), Futur gouvernement de la Palestine, Doc. A/RES/181(II) (29 novembre 1947).
1304 Avis consultatif sur la Namibie, par. 133(2).
1305 CSNU, Résolution 2334 (2016), Sur la cessation des activités de colonisation israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. S/RES/2334 (23 décembre 2016) (Dossier nº 1372) (ci-après la « résolution 2334 du CSNU »), par. 5.
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reconnue dans l’avis consultatif sur le Mur.1306 Il a en outre décidé qu’« il ne reconnaîtra aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autre que celles convenues par les parties par la voie de négociations ».1307 Tous les États ont l’obligation de faire de même.
5.43 Le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait en faire de même et déclarer expressément, dans le dispositif, que tous les États ont l’obligation de s’abstenir de toutes relations avec Israël qui impliqueraient la reconnaissance de la légalité de la situation créée par l’occupation d’Israël et par les politiques et pratiques discriminatoires du pays.
B. TOUS LES ETATS ONT L’OBLIGATION DE NE PAS PRETER AIDE OU ASSISTANCE AU MAINTIEN D’UNE SITUATION CREEE PAR L’OCCUPATION ISRAELIENNE ET LES ACTES Y AFFERENTS
5.44 L’article 41(2) de l’ARSIWA, qui reflète le droit international coutumier,1308 prévoit qu’« [a]ucun État ne doit [...] prêter aide ou assistance au maintien [de la] situation » créée par une violation grave d’une norme impérative du droit international général.1309
5.45 La Cour a reconnu cette obligation dans son avis consultatif sur le Mur, estimant que « [t]ous les États sont dans l’obligation [...] de ne pas prêter aide ou
1306 Voir l’avis consultatif sur le Mur, par. 67.
1307 Résolution 2334 du CSNU, par. 3 (soulignement ajouté).
1308 Avis consultatif sur le Mur, par. 159. Voir aussi S. Olleson, THE IMPACT OF THE ILC’S ARTICLES ON RESPONSIBILITY OF STATES FOR INTERNATIONALLY WRONGFUL ACTS (avant-projet, BIICL, 2007), pp. 237-241, disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ua9fv9mw ; A. Gattini, « A Return Ticket To ‘Communitarisme’, Please », 13 EUROPEAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 1181 (2002), pp. 1185-1195.
1309 ARSIWA, Art. 41(2).
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assistance au maintien de la situation créée par [la] construction [du Mur] ».1310 De même, dans son avis consultatif sur la Namibie, la Cour avait jugé que « les États Membres des Nations Unies ont l’obligation [...] de s’abstenir de tous actes en particulier de toutes relations avec le Gouvernement sud-africain [...] de prêter aide ou assistance à [la présence et à l’administration] » de l’Afrique du Sud en Namibie.1311
5.46 La Cour devrait adopter la même position en l’espèce et considérer que tous les États ont donc l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien d’une situation créée par l’occupation israélienne du TPO et par ses pratiques et politiques discriminatoires.
5.47 En conséquence, il est interdit aux États de s’engager dans toute forme de coopération militaire, économique ou autre avec le gouvernement d’Israël pour lui prêter une aide ou une assistance directe dans le maintien de son occupation et dans la poursuite de ses actes. Cela comprend, par exemple, l’interdiction d’exporter leurs marchandises vers les colonies de peuplement juives israéliennes illégales dans le TPO et l’interdiction d’importer des marchandises en provenance de ces colonies de peuplement, que ces exportations et importations soient de nature militaire ou simplement économique. Cela comprend, à titre de nouvel exemple, l’interdiction des entreprises exerçant leurs activités dans leur juridiction, ou y étant domiciliées ou y ayant leur siège, de se livrer à une quelconque activité économique avec les colonies de peuplement juives israéliennes.
5.48 Les États ont également l’interdiction de s’engager dans toute forme de coopération avec le gouvernement d’Israël qui prête indirectement toute aide ou
1310 Avis consultatif sur le Mur, par. 159.
1311 Avis consultatif sur la Namibie, par. 133(2).
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assistance de ce type. Autrement dit, les États qui s’engagent dans toute forme de coopération avec l’État d’Israël doivent s’assurer que la coopération ne prête pas aide ou assistance au maintien de l’occupation israélienne du TPO ou de ses pratiques et politiques discriminatoires qui y sont menées. Tout au moins, cela exige que les États soumettent toutes leurs relations avec Israël à un contrôle préalable renforcé.1312
5.49 En ce qui concerne la coopération militaire avec Israël en particulier, le Qatar fait remarquer que l’Assemblée générale des Nations Unies a déjà appelé tous les États Membres à s’abstenir de fournir à Israël des équipements militaires et d’en acquérir auprès de celui-ci, et à suspendre tout accord d’assistance militaire avec Israël.1313 Compte tenu de la nature fortement militarisée de l’occupation, toute forme de coopération militaire avec Israël prête nécessairement aide ou assistance au maintien de la situation créée par le comportement illégal d’Israël. La Cour devrait donc considérer dans le dispositif que les États doivent s’abstenir de vendre ou de livrer à Israël des armes, des munitions, des véhicules militaires, du matériel militaire, du matériel de sécurité, du matériel paramilitaire ou toute pièce de rechange pour les articles susmentionnés. À titre subsidiaire, il est tout au moins interdit aux États de vendre ou de livrer à Israël toute forme de matériel militaire ou de sécurité sans avoir pris l’engagement explicite que cet équipement ne sera ni
1312 Voir, par exemple, Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 117 (« La mission demande à tous les États Membres de prendre les mesures qui s’imposent pour faire en sorte que les entreprises commerciales domiciliées sur leur territoire et/ou relevant de leurs compétences, y compris celles qui sont la propriété de l’État ou contrôlées par l’État, qui ont des activités dans les colonies de peuplement ou des activités en relation avec les colonies de peuplement, respectent les droits de l’homme dans toutes leurs activités. »).
1313 Voir AGNU, Résolution ES-9/1, La situation dans les territoires arabes occupés, Doc. A/RES/ES-9/1 (5 février 1982) (Dossier nº 1213), paras. 12(a) (b).
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utilisé dans le TPO ni déployé pour faciliter la poursuite de l’occupation israélienne.
5.50 En ce qui concerne la coopération économique avec Israël, tous les États ont l’obligation de faire la distinction, dans leurs relations économiques, entre Israël et le TPO.1314 Cela est conforme à la responsabilité de tous les États de se protéger contre les violations des droits de l’homme par des tiers,1315 y compris les entreprises qui « ont, directement et indirectement, permis la construction et de la croissance des colonies de peuplement, les ont facilitées et en ont profité ».1316
5.51 À cet égard, le Conseil des droits de l’homme a demandé en 2013 au HCDH de créer une base de données pour les entreprises impliquées dans des activités qui ont « directement et indirectement permis la construction et de la croissance des colonies de peuplement israéliennes, les ont facilitées et en ont profité » et qui « soulèvent des préoccupations particulières en ce qui concerne les violations des droits de l’homme ».1317 Le Conseil a également demandé à ce que la base de données soit mise à jour chaque année.1318 Bien que cette base de données ne soit
1314 Voir Résolution 2334 du CSNU, par. 5.
1315 Voir Conseil des droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en oeuvre du cadre « Protéger, respecter et réparer » des Nations Unies, Doc. A/HRC/17/31 (21 mars 2011), Annexe, Principe directeur 1.
1316 Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. A/HRC/22/63 (7 février 2013), par. 96. 1317 Ibid. La base de données a été mandatée par la résolution 31/36 du Conseil des droits de l’homme (24 mars 2016) et le paragraphe 96 du rapport de l’Independent International Fact-Finding a défini les paramètres des activités commerciales à inclure dans la base de données.
1318 Voir Conseil des droits de l’homme, Base de données de toutes les entreprises impliquées dans les activités détaillées au paragraphe 96 du rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. A/HRC/37/39 (1er février 2018), par. 1.
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pas publique, il semblerait que le HCDH ait contacté les États dans lesquels les entreprises sont domiciliées pour les informer de la base de données et des activités dans lesquelles les entreprises auraient été engagées et pour les inviter à faire part de leurs commentaires et de leurs observations.1319 Ces États doivent donc éviter de traiter avec les entreprises figurant dans la base de données.1320
C. TOUS LES ÉTATS ONT L’OBLIGATION DE COOPERER POUR METTRE FIN A L’OCCUPATION ISRAELIENNE ET AUX ACTES Y AFFERENTS
5.52 L’article 41(1) de l’ARSIWA prévoit que « les États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave » par un État d’une norme impérative du droit international général.1321 Comme précisé ci-dessus, la conduite d’Israël dans le TPO constitue une violation de multiples normes impératives. Tous les États doivent donc coopérer pour mettre fin à ces actes.
5.53 Dans l’avis consultatif sur le Mur, la Cour a reconnu une obligation similaire en ce qui concerne le Mur, estimant qu’ « [i]l appartient par ailleurs à tous les États [...] de veiller à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à
1319 Ibid., par. 15.
1320 Il est important de noter que la liste n’est pas exhaustive et que « [l]a base de données ne couvre pas toutes les activités des entreprises liées aux colonies de peuplement, ni ne s’étend à toutes les activités des entreprises dans le Territoire palestinien occupé qui peuvent soulever des préoccupations en matière de droits de l’homme. En outre, bien qu’il puisse y avoir d’autres types d’entités engagées dans des activités corporatives importantes liées aux règlements, seules les entités établies en tant qu’entreprises commerciales sont considérées ; les organisations non gouvernementales, les organismes de bienfaisance, les associations ou fédérations sportives et d’autres entités sont donc exclues de la considération ». Voir Conseil des droits de l’homme, Base de données de toutes les entreprises impliquées dans les activités détaillées au paragraphe 96 du rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Doc. A/HRC/37/39 (1er février 2018), par. 6.
1321 ARSIWA, Art. 41.
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l’autodétermination ».1322 Dans le même ordre d’idées, dans son avis consultatif sur l’archipel des Chagos, la Cour, a souligné dans le dispositif que « tous les États Membres sont tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice ».1323 Le Qatar fait respectueusement valoir qu’en l’espèce, la Cour devrait également affirmer l’obligation de tous les États de coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents dans le dispositif de son avis consultatif.
5.54 Selon le commentaire de l’article 41(1) de l’ARSIWA, l’obligation de coopérer implique que « [f]ace à des violations graves, un effort concerté et coordonné de tous les États s’impose pour en contrecarrer les effets ».1324 En ce qui concerne la situation en Palestine en particulier, le Conseil des droits de l’homme a « demandé à tous les États [...] de coopérer davantage afin de mettre un terme, par des moyens licites, à ces violations graves et aux politiques et pratiques illégales d’Israël ».1325
5.55 En outre, la CDI a en outre souligné qu’une telle action conjointe et coordonnée est particulièrement appropriée en réponse à une violation du droit à « l’autodétermination » et des « principes fondamentaux du droit humanitaire ».1326 Elle a également observé qu’une telle action coopérative est appropriée en réponse
1322 Avis consultatif sur le Mur, par. 159.
1323 Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 183(5).
1324 CDI, Projet d’articles relatifs à la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2001 (Vol. II, Pt. 2), commentaire de l’article 41, par. 3.
1325 Conseil des droits de l’homme, Résolution 49/28, Droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Doc. A/HRC/RES/49/28 (11 avril 2022), par. 7.
1326 Voir CDI, Projet de conclusions sur l’identification et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs, Doc. A/77/10 (2022), pp. 72-73.
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à un comportement qui constitue une violation de la norme impérative contre la discrimination raciale, citant la Convention sur l’apartheid.1327
5.56 En outre, la CID a expliqué que ce ne sont pas seulement des mesures dans le cadre de mécanismes de coopération institutionnalisés qui peuvent être adoptées. L’obligation de coopérer pour mettre fin aux violations graves des normes impératives peut également être mise à exécution par le biais d’une coopération non institutionnalisée, y compris par le biais de dispositions ad hoc par un groupe d’États agissant ensemble.1328
5.57 Compte tenu de la gravité de la situation, de la violation répétée et continue par Israël de multiples normes impératives et de la récalcitrance d’Israël, le Qatar soutient qu’il serait utile que la Cour précise davantage dans son avis consultatif les actions concrètes qu’un tel effort conjoint et coordonné pourrait entraîner. Ces actions peuvent inclure, par exemple : condamner expressément l’occupation israélienne et les politiques et pratiques discriminatoires, unilatéralement1329 ou par le biais d’organisations internationales ;1330 déclarer les ambassadeurs ou les
1327 Voir ibid., p. 72 (note 246) (citant la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (30 novembre 1973), 1015 RTNU 243, Art. VIII (« Tout État partie à la présente Convention peut demander à tout organe compétent des Nations Unies de prendre, en vertu de la Charte des Nations Unies, les mesures qu’il juge appropriées pour prévenir et réprimer le crime d’apartheid. »)).
1328 Voir CDI, Projet de conclusions sur l’identification et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs, adopté par la CDI à sa soixante-treizième session, en 2022, Doc. A/77/10 (2022), p. 75.
1329 Voir, par exemple, Foreign, Commonwealth & Development Office, Communiqué de presse : Israeli settlements: statement by France, Germany, Italy, Spain and the UK (6 mai 2021), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4xfcjw83.
1330 Outre les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations Unies déjà mentionnées dans les présentes observations, l’attention est portée sur les résolutions d’autres organisations internationales, telles que l’Union européenne, qui ont reconnu que les colonies de peuplement israéliennes sont illégales en vertu du droit international. Voir le Service Diplomatique de l’Union européenne, EU Positions on the Middle East Peace Process (3 août 2021), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ywch4j8w (« L’UE considère que l’implantation de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, est illégale en vertu du
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diplomates israéliens personae non gratae ; mettre un terme aux liens scientifiques et culturels (comme l’a récemment demandé l’Union africaine en réponse à ce qu’elle a appelé « les pratiques colonialistes et discriminatoires israéliennes dans les Territoires palestiniens occupés »1331) ; mettre en oeuvre des boycotts des produits israéliens ;1332 appliquer des sanctions ciblées contre Israël, les entités israéliennes et les fonctionnaires israéliens ; et soutenir les résolutions des Nations Unies visant à mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents.
5.58 Des mesures ciblées découlant de la violation par Israël de la norme impérative contre la discrimination raciale et l’apartheid devraient également être identifiées.
droit international, constitue un obstacle à la paix et menace de rendre impossible une solution fondée sur la coexistence de deux États »). Le Comité international de la Croix-Rouge a également réaffirmé l’illégalité des colonies de peuplement. Voir Comité international de la Croix-Rouge, Mise en oeuvre de la quatrième Convention de Genève dans les Territoires palestiniens occupés : historique d’un processus multilatéral (1997-2001) (30 septembre 2002), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4j3z8mub, annexe 1, par. 12 (« Les Hautes Parties contractantes participantes appellent la Puissance occupante à respecter pleinement et effectivement la Quatrième Convention de Genève dans le Territoire Palestinien Occupé, y compris Jérusalem-Est, et de s’abstenir de commettre toute violation de la Convention. Elles réaffirment l’illégalité des colonies de peuplement dans lesdits territoires ainsi que de leur extension. »).
1331 Voir W. Sawahel, « AU declaration on Israel’s observer status draws support », University World News (28 février 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/5bjxrbzj.
1332 Certains pays qui boycottent le commerce avec Israël sont le Liban (concernant la création du Bureau du boycott d’Israël, voir Liban, Boycottage d’Israël (23 juin 1955) ; Liban, décret n° 12562 (19 avril 1963)) et l’Iran (voir Iran, Loi relative à la loi islamique unifiée sur le boycottage d’Israël (1992)). D’autres pays comme l’Irlande (voir Irlande, Projet de loi 2018 sur le contrôle des activités économiques (territoires occupés), (24 janvier 2018), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/y4b8zst9) interdisent l’importation de produits en provenance des colonies de peuplement israéliennes en Palestine. En outre, des acteurs non étatiques, tels que le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions, un mouvement dirigé par les Palestiniens, ont également « appelé à agir en faisant pression sur Israël pour qu’il se conforme au droit international ». Voir BDS, What is BDS? (consulté le : 12 juillet 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/ycxpmcsd. Le mouvement utilise le boycottage, les désinvestissements et les sanctions comme moyens d’atteindre ses objectifs en « solidarité avec la lutte du peuple palestinien pour la liberté, la justice et l’égalité ». Ibid.
372
5.59 En particulier, l’obligation de tous les États de coopérer pour mettre fin à toute violation par Israël implique nécessairement l’obligation de s’abstenir d’exercer leur droit de veto dans la prise de décision des organisations internationales afin d’empêcher l’adoption de résolutions et de décisions visant à mettre fin à l’occupation israélienne et aux politiques et pratiques discriminatoires.1333 La CDI a expliqué :
L’obligation faite aux États d’agir collectivement pour mettre fin aux violations graves des normes impératives du droit international général (jus cogens) a des conséquences particulières pour la coopération au sein des organes de l’Organisation des des Nations Unies et des autres organisations internationales. Elle signifie que, face à des violations graves de normes impératives du droit international général (jus cogens), les organisations internationales doivent agir, dans les limites de leurs mandats respectifs et lorsque le droit international le leur permet, pour mettre fin à de telles violations. Ainsi, lorsqu’une organisation internationale a le pouvoir discrétionnaire d’agir, l’obligation de coopérer impose à ses membres d’agir de telle manière qu’elle exerce ce pouvoir discrétionnaire pour mettre fin à la violation d’une norme impérative du droit international général (jus cogens).1334
5.60 Le Qatar fait respectueusement valoir qu’il serait approprié que la Cour confirme la responsabilité collective des États à cet égard, y compris le devoir de ne pas agir de manière à protéger Israël de ses violations des normes fondamentales. L’applicabilité universelle des normes impératives signifie qu’il
1333 Voir R. M. Essawy, « The Responsibility Not to Veto Revisited under the Theory of ‘Consequential Jus Cogens’ », 12 GLOBAL RESPONSIBILITY TO PROTECT 299 (2020), pp. 302-303. Les États-Unis, par exemple, ont utilisé leur droit de veto pour bloquer plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies condamnant Israël, notamment la résolution S/2018/516 condamnant la violence israélienne contre les manifestants pendant la « Grande marche du retour » et la résolution S/2011/24 condamnant les colonies de peuplement israéliennes établies depuis 1967 comme illégales.
1334 Voir CDI, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs, Doc. A/77/10 (2022), pp. 75-76.
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n’y a aucune possibilité pour un État d’échapper à ses obligations en utilisant un droit de veto ; cela porterait atteinte à la notion même d’intangibilité de la norme.1335
D. TOUS LES ETATS ONT L’OBLIGATION D’AIDER A PROTEGER LE PEUPLE PALESTINIEN CONTRE LES CRIMES DE GUERRE, LE NETTOYAGE ETHNIQUE ET LES CRIMES CONTRE L’HUMANITE
5.61 Tous les États ont également l’obligation d’aider à protéger le peuple palestinien contre les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. Cette obligation découle de la responsabilité de protection, dont les paramètres sont énoncés aux paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 de l’Assemblée générale,1336 qui reflètent le droit international coutumier. En vertu de cette responsabilité, tous les États doivent prendre les mesures nécessaires et appropriées pour aider à protéger le peuple palestinien de la perpétration des crimes susmentionnés dans le TPO. Ces mesures, comme indiqué dans le Document final du Sommet mondial, peuvent inclure des mesures diplomatiques, humanitaires et autres mesures pacifiques conformément aux
1335 Comme l’a également expliqué la Commission du droit international, « [l]’idée que les normes impératives du droit international général (jus cogens) sont universellement applicables, comme celle de leur supériorité hiérarchique, découle de ce qu’elles ne souffrent aucune dérogation. Le fait qu’il ne puisse être dérogé à une norme signifie par extension que cette norme est applicable à tous, car les États ne peuvent s’en affranchir en créant leurs propres règles spéciales qui seraient incompatibles avec elle. L’applicabilité universelle des normes impératives du droit international général (jus cogens) est à la fois une caractéristique et une conséquence des normes impératives du droit international général (jus cogens). » Ibid., p. 23.
1336 AGNU, Résolution 60/1, Document final du Sommet mondial de 2005, Doc. A/RES/60/1 (24 octobre 2005), par. 138 à 139 Voir aussi AGNU, Mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Doc. A/63/677 (12 janvier 2009).
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Chapitres VI et VIII de la Charte des Nations Unies, ainsi que des mesures coercitives en vertu du Chapitre VII si nécessaire.1337
5.62 Le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait déclarer expressément, dans le dispositif de son avis consultatif, que tous les États ont cette obligation d’aider à protéger le peuple palestinien des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité.
5.63 Le caractère coutumier de cette obligation est irréfutable. L’Assemblée générale l’a affirmé en adoptant par consensus le Document final du Sommet mondial de 2005.1338 Suite à son adoption, M. Amr Moussa, Secrétaire général de la Ligue des États arabes, a proclamé :
Il s’agit d’un engagement pour nous tous – États, organisations régionales et organisations internationales. C’est pour cela que l’engagement de la Ligue des États arabes dans ce cadre est un engagement juridique et moral.1339
5.64 Le Conseil de sécurité a réaffirmé l’obligation dans sa résolution 1674 relative à la protection des civils en période de conflit armé.1340 Le Secrétaire général de l’ONU, dans son rapport de 2009 sur la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, a déclaré :
1337 Voir AGNU, Résolution 60/1, Document final du Sommet mondial de 2005, Doc. A/RES/60/1 (24 octobre 2005), par. 139.
1338 AGNU, Documents officiels de la 8e séance plénière, Doc. A/60/PV.1008 (16 septembre 2005), p. 46.
1339 Ibid., p. 50 (soulignement ajouté).
1340 CSNU, Résolution 1674 (2006), Sur la protection des civils dans les conflits armés, Doc. S/RES/1674 (28 avril 2006), par. 4 (« Réaffirme les dispositions des paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial de 2005 relatives à la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité »).
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Il faut souligner que les dispositions des paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet sont fermement ancrées dans des principes bien établis de droit international. En vertu du droit international conventionnel et coutumier, les États sont tenus de prévenir et de réprimer le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Le nettoyage ethnique n’est pas en soi un crime en droit international, mais des actes de purification ethnique peuvent constituer l’un des trois autres crimes.1341
5.65 L’obligation de tous les États d’aider à protéger les populations des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité a été appliquée dans la pratique dans le contexte de la guerre civile libyenne de 2011. Peu après l’éclatement du conflit armé, le Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution S-15/1, qui a réaffirmé que « tous les États ont l’obligation de protéger les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ».1342 Peu de temps après, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1973, qui autorisait « les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification [...] à prendre toutes mesures nécessaires [...] pour protéger les populations et [les] zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne ».1343 En conséquence, dans le cadre de l’« opération Unified Protector », une alliance dirigée par l’OTAN, a procédé à des frappes aériennes contre des cibles militaires qui menaçaient la population civile.1344
5.66 La Cour est donc respectueusement invitée à déclarer dans le dispositif de son avis consultatif que tous les États ont l’obligation d’aider à protéger le peuple
1341 AGNU, Mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, Doc. A/63/677 (12 janvier 2009), par. 3 (soulignement ajouté).
1342 Conseil des droits de l’homme, Résolution S-15/1, Situation des droits de l’homme en Jamahiriya arabe libyenne, Doc. A/HRC/RES/S-15/1 (3 mars 2011), Préambule.
1343 CSNU, Résolution 1973 (2011), Sur l’établissement d’une interdiction des vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne, Doc. S/RES/1973 (17 mars 2011), par. 4.
1344 Voir OTAN, « NATO and Libya (Archived) » (dernière mise à jour : 9 novembre 2015), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/26x8pdzt.
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palestinien contre les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. Cette déclaration contribuerait grandement à fournir les orientations nécessaires aux États, ainsi qu’à l’Assemblée générale, en ce qui concerne leurs obligations en matière de protection du peuple palestinien.
E. TOUS LES ETATS DOIVENT GARANTIR LA RESPONSABILITE EN VERTU DU DROIT INTERNATIONAL POUR LES CRIMES INTERNATIONAUX COMMIS SOUS L’OCCUPATION ISRAELIENNE
5.67 Tous les États ont l’obligation de garantir la responsabilité en vertu du droit international pour les crimes internationaux commis sous l’occupation israélienne. Comme l’a recommandé la Rapporteuse spéciale du TPO dans son dernier rapport, tous les États devraient
[a]gir pour garantir la tenue d’une enquête approfondie, indépendante et transparente sur toutes les violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire commises dans le Territoire palestinien occupé, notamment celles qui constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre potentiels ou qui se rapportent au crime d’agression.1345
5.68 Les obligations propres aux États en matière de responsabilité pénale découlent en grande partie du droit conventionnel.1346 Plus particulièrement, en
1345 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 78(c).
1346 Voir, par exemple, la Convention de Genève (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (12 août 1949), 75 RTNU 31, Art. 49 ; la Convention de Genève (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949), 75 RTNU 85, Art. 50 ; la Convention de Genève (III) relative au traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949), 75 RTNU 135, Art. 129 ; la quatrième Convention de Genève, Art. 146 ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984), 1465 RTNU 85 (ci-après la « CAT »), Art. 7 ; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948), 78 RTNU 277, Art. VI, VII ; Convention sur l’apartheid, Art. IV, XI.
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vertu de l’article 146 de la CG IV qui, selon l’avis consultatif sur le Mur de la Cour, « est applicable dans les territoires palestiniens »1347, tous les États ont l’obligation de poursuivre ou d’extrader toute personne ayant commis une « violation grave » de cette Convention.1348 L’article 147 définit une « violation grave » de la Convention comme une violation impliquant l’un des actes suivants, entre autres : l’homicide intentionnel ; la torture ou les traitements inhumains ; le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé ; la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale d’une personne protégée ; ou le fait de priver intentionnellement une personne protégée de son droit d’être jugée régulièrement et impartialement.1349
5.69 Conformément à cette obligation, la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël a recommandé dans son rapport de 2022 que
Les États Membres de l’Organisation des Nations Unies s’acquittent de leurs obligations que leur impose le droit international, notamment de leurs obligations extraterritoriales en matière de droits humains et des obligations découlant de l’article premier commun aux quatre Conventions de Genève et des articles 146, 147 et 148 de la Quatrième Convention de Genève, y compris en engageant des enquêtes et des poursuites visant les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de droit international dans le Territoire palestinien occupé ou d’avoir apporté leur aide ou leur
1347 Avis consultatif sur le Mur, par. 101.
1348 Quatrième Convention de Genève, Art. 146.
1349 Ibid., Art. 147.
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concours aux personnes qui ont commis ces crimes ou tenté de les commettre.1350
5.70 Il est important de noter que si un État souhaite ne pas poursuivre l’auteur d’une « violation grave » de la CG IV, il peut choisir à la place de l’extrader vers un autre État capable et désireux de le poursuivre. De même, les États devraient faire preuve de prudence en acceptant les demandes d’extradition présentées par Israël en ce qui concerne les crimes commis dans le TPO, et ces demandes devraient généralement être refusées lorsqu’elles concernent des personnes faisant l’objet d’accusations pénales en Israël pour des activités liées à l’opposition à l’occupation. En effet, Israël a une longue tradition d’infliger harcèlements et mauvais traitements à l’encontre des activistes qui s’opposent à ses politiques.1351
5.71 Les obligations propres aux États de garantir la responsabilité pénale figurent également dans d’autres sources conventionnelles. Par exemple, les États parties à la Convention contre la torture1352 ont l’obligation de promulguer une législation interdisant tous les actes de torture et prévoyant des sanctions appropriées.1353 La Convention exige des États parties qu’ils prévoient une
1350 AGNU, Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, Doc. A/77/328 (14 septembre 2022), par. 95.
1351 Par exemple, en 2016, deux militants palestiniens des droits de l’homme ont été arrêtés et ont été inculpés devant un tribunal militaire israélien pour leur implication dans des manifestations contre les restrictions de mouvement imposées par l’armée israélienne aux Palestiniens à Hébron, en Cisjordanie. Les accusations ont été fermement condamnées par Amnesty International, qui « pense que Amro et al-Atrash ont été détenus uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique ». Amnesty International, Communiqué de presse : Le gouvernement israélien doit mettre un terme à l’intimidation des personnes qui défendent les droits humains, et les protéger contre les attaques (12 avril 2016), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/mr38pudx.
1352 Au 17 juillet 2023, 173 États étaient parties à la Convention contre la torture. Voir Recueil des traités des Nations Unies, « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (consulté le : 17 juillet 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/4m8fxakc.
1353 CAT, Art. 4 (« 1. Tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou
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compétence territoriale et une compétence de personnalité active en matière de torture, et une compétence de personnalité passive « si cet État le juge approprié ».1354 En outre, la Convention contre la torture exige que les États parties prennent des mesures pour établir la compétence universelle à l’égard des personnes soupçonnées de torture, à moins qu’ils ne décident d’extrader les suspects.1355
5.72 De même, les États parties à la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid1356 sont tenus d’adopter une législation visant à « empêcher que le crime d'apartheid et autres politiques ségrégationnistes semblables ou leurs mani festations ne soient encouragés de quelque manière que ce soit ainsi que pour éliminer tout encouragement de cette nature et pour punir les personnes coupables de ce crime ».1357 La Convention demande également aux États parties d’adopter une législation visant à poursuivre les personnes responsables de l’apartheid, « que ces personnes résident ou non sur le territoire de
de tout acte commis par n’importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l’acte de torture. 2. Tout État partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité. »).
1354 Ibid., Art. 5(1) Tout État partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants :
a) Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit État ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet État ;
b) Quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit État ;
c) Quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié.).
1355 Voir ibid., Art. 5(2) (« Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit État ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des États visés au paragraphe 1 du présent article. »).
1356 Au 12 juillet 2023, 109 États étaient parties à la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Voir Recueil des traités des Nations Unies, « Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid » (consulté le : 12 juillet 2023), disponible à l’adresse https://tinyurl.com/74kbxxfh.
1357 Convention sur l’apartheid, Art. IV(a).
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l’État dans lequel ces actes ont été perpétrés, et qu'il s'agisse de ressortissants de cet État ou d'un autre État ou de personnes apatrides ».1358 Enfin, la Convention demande aux États parties de s’engager à « accorder l’extradition conformément à leur législation et aux traités en vigueur ».1359
5.73 Dans le même ordre d’idées, les États parties à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ont l’obligation d’incriminer, d’enquêter et de traduire en justice les responsables des actes définis à l’article 2 de la Convention.1360 Les États parties doivent également prendre les « mesures nécessaires pour établir [leur] compétence aux fins de connaître d’un crime de disparition forcée ».1361 Les États sur le territoire desquels se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis un crime de disparition forcée ont l’obligation de « soumettre l’affaire à [leurs] autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale »,1362 à moins qu’ils ne décident « d’extrader cette personne ou de la remettre à un autre État conformément à [leurs] obligations internationales ou de la remettre à une juridiction pénale internationale dont [ils ont] reconnu la compétence ».1363
1358 Ibid., Art. IV(b) Voir aussi la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, note introductive du professeur J. Dugard, disponible à l’adresse https://tinyurl.com/mu26mvae, p. 2 (« Au lieu de cela, il a été laissé aux États le soin d’adopter une législation leur permettant de poursuivre les criminels d’apartheid sur la base d’une forme de compétence universelle. La Convention sur l’apartheid permet aux États parties de poursuivre des non-ressortissants pour un crime commis sur le territoire d’un État non partie lorsque l’accusé se trouve physiquement sous la juridiction d’un État partie »).
1359 Convention sur l’apartheid, Art. XI.
1360 Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (20 décembre 2006), 2716 RTNU 3, Art. 3, 4, 6.
1361 Ibid., Art. 9(1).
1362 Ibid., Art. 11(1).
1363 Ibid.
381
5.74 En plus des obligations conventionnelles de poursuivre ou d’extrader les auteurs de crimes internationaux, tous les États ont un droit permissif en vertu du droit international coutumier d’établir et d’exercer la compétence universelle à l’égard des crimes internationaux.
5.75 Comme l’explique Jean-Marie Henckaerts, chef du projet du CICR sur le droit international humanitaire coutumier, le principe de compétence universelle « a été progressivement élargi pour s’appliquer à toutes les violations graves du droit humanitaire en tant que règle permissive ».1364
5.76 C’est également le cas des crimes contre l’humanité.1365 Dans leur opinion individuelle commune sur l’arrêt relatif au mandat d’arrêt, les juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal ont expliqué que
1364 Voir aussi J. Henckaerts, « Customary International Humanitarian Law: A Response to US Comments », 89 REVUE INTERNATIONALE DE LA CROIX-ROUGE 473 (2007), p. 476 (« Mais cela ne veut pas dire que la pratique n’est pas suffisamment dense, comme il a été suggéré, pour démontrer l’existence d’une règle coutumière, d’autant plus qu’il s’agit d’une règle permissive. Le principe de compétence universelle signifie que les crimes de guerre sont des crimes de droit international, au même titre que la piraterie, l’esclavage et l’apartheid, et que tous les États ont donc intérêt à ce qu’ils soient poursuivis. Ce principe a d’abord été établi dans la Convention de Genève en tant qu’obligation en ce qui concerne les violations graves (« infractions graves ») figurant dans la Convention et a été confirmé plus tard dans le Protocole additionnel I. Il a été progressivement étendu pour s’appliquer à toutes les violations graves du droit humanitaire en tant que règle permissive. ») (soulignement ajouté).
1365 Voir, par exemple, AGNU, Résolution 177 (II), Formulation des principes reconnus dans le Statut du Tribunal de Nuremberg et l’arrêt du Tribunal, Doc. A/RES/177(II) (21 novembre 1947) ; CDI, Rapport de la Commission du droit international couvrant sa deuxième session (5 juin – 29 juillet 1950), Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquième session, Supplément nº 12 (A/1316), dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 1950 (Vol. II, Pt. 3), p. 376, principe VI des Principes de Nuremberg (la Commission a produit en 1950 les Principes de droit international reconnus dans le Statut du Tribunal de Nuremberg et dans l’arrêt du Tribunal, qui a déclaré que les crimes contre l’humanité étaient « punissables en tant que crimes de droit international ») ; CDI, Projet de code des infractions contre la paix et la sécurité de l’humanité, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 1954 (Vol. II), Art. 1 ; Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Art. 5 ; Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Art. 3 ; TPIY, Procureur c. Anto Furundžija, Affaire nº IT-95-17/1, arrêt (10 décembre 1998), par. 156 (« De surcroît, à l’échelon individuel, à savoir celui de la responsabilité pénale, il semblerait que l’une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue
382
La série de traités multilatéraux avec leurs dispositions juridictionnelles spéciales montre que la communauté internationale est résolue à agir pour que ceux qui se livrent à des crimes de guerre, des détournements d’aéronefs, des prises d’otages et des actes de torture ne demeurent pas impunis. Bien que les crimes contre l’humanité ne fassent pas encore l’objet d’une convention distincte, on ne peut douter que de tels actes suscitent une indignation internationale comparable.
[...]
On a pris grand soin, lorsqu'on a formulé les dispositions conventionnelles pertinentes, de ne pas exclure d'autres chefs de compétence, laquelle peut être exercée sur une base volontaire.1366
5.77 Les projets d’articles de la CDI sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité « auraient vocation à devenir une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité ».1367 Cependant, la CDI a souligné que les projets d’articles « sont sans préjudice du droit international coutumier en vigueur ».1368 Le projet d’articles « ne traite pas non plus des conséquences de
à l’interdiction de la torture par la communauté internationale fait que tout État est en droit d’enquêter, de poursuivre et de punir ou d’extrader les individus accusés de torture, présents sur son territoire. [...] On a estimé que les crimes internationaux étant universellement condamnés quel que soit l’endroit où ils ont été commis, chaque État a le droit de poursuivre et de punir les auteurs de ces crimes. ») ; CDI, Projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, Doc. A/74/10 (2019), Commentaire de l’article 3, par. 19.
1366 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), opinion individuelle conjointe des juges Higgins, Kooijmans et Buergenthal (14 février 2002), par. 51 (soulignement ajouté). Voir aussi l’affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro), arrêt, rapports CIJ 2007, p. 43, par. 442.
1367 Voir CDI, Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-cinquième session (2013), Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-huitième session, Supplément nº 10 (A/68/10), dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2013 (Vol. II, Pt. 2), Annexe B, par. 3.
1368 CDI, Projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, Doc. A/74/10 (2019), Commentaire général, par. 3. Voir aussi ibid., Art. 2(3) (« Ce projet d’article est sans préjudice de toute définition plus large prévue par tout instrument international, par le droit international coutumier ou par loi nationale. »).
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l’interdiction [de commettre de crimes contre l’humanité] ayant un statut [de jus cogens] ».1369 Ainsi, alors que le projet d’articles prévoit une obligation conventionnelle pour les États parties de poursuivre ou d’extrader un auteur présumé d’infraction présent sur leur territoire,1370 le commentaire explique qu’il « n’empêche pas un État d’adopter, à tout moment, une loi nationale relative aux crimes contre l’humanité, tant qu’elle est compatible avec les obligations de l’État en vertu du droit international ».1371 Les États sont donc fortement encouragés à exercer ce droit pour s’acquitter de leur obligation de veiller à ce que les auteurs de ces crimes rendent compte de leurs actes.
5.78 Enfin, il convient de noter que, compte tenu de l’enquête en cours de la CPI sur la situation dans l’État de Palestine, un auteur pourrait potentiellement être extradé vers cette Cour. Les États parties au Statut de Rome ont l’obligation de « coopérer pleinement avec la Cour dans ses enquêtes et ses poursuites relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour »,1372 ce qui inclut l’obligation de se conformer aux demandes d’arrestation et de remise.1373
5.79 En effet, l’actuelle Rapporteuse spéciale du TPO, Mme Albanese, a spécifiquement recommandé dans son dernier rapport que la communauté internationale « [fasse] en sorte que les auteurs de ces crimes aient à répondre de leurs actes, à la fois par l’intermédiaire de la CPI dans le cadre de son enquête en cours sur la situation en Palestine et au moyen de mécanismes de compétence
1369 Ibid., Commentaire du préambule, par. 5.
1370 Ibid., Art. 10.
1371 CDI, Projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, Doc. A/74/10 (2019), Commentaire de l’article 1, par. 3.
1372 Statut de Rome, Art. 86.
1373 Ibid., Art. 89.
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universelle ».1374 Le prédécesseur de Mme Albanese, M. Michael Lynk, a également recommandé dans son rapport final que la communauté internationale « soutienne tout renvoi ou demande à la Cour pénale internationale ou à la Cour internationale de Justice en ce qui concerne les conséquences juridiques de la pratique de l’apartheid dans le Territoire palestinien occupé ».1375
5.80 Le Qatar demande respectueusement à la Cour d’indiquer dans le dispositif de son avis consultatif que tous les États parties à des conventions internationales ayant l’obligation de poursuivre ou d’extrader doivent se conformer à cette obligation lorsque les crimes en question ont été commis sous l’occupation israélienne et dans le cadre des actes y afférents. Par ailleurs, le Qatar demande à la Cour de préciser que tous les États ayant des obligations conventionnelles d’exercer la compétence universelle sur les crimes internationaux se conforment à leurs obligations, et que les États qui n’ont pas cette obligation peuvent néanmoins établir et exercer une compétence universelle sur ces crimes afin de garantir leur responsabilité.
III.Conséquences juridiques pour les Nations Unies
5.81 L’occupation israélienne et les pratiques et politiques discriminatoires dans le TPO ont des conséquences juridiques non seulement pour les États, mais aussi pour les Nations Unies. En effet, la demande de l’Assemblée générale en l’espèce, contrairement à la demande dans l’affaire du Mur, demande spécifiquement à la
1374 AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale Francesca Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 78(c).
1375 Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 58 (b).
385
Cour de se prononcer sur les « conséquences juridiques qui en découlent pour [...] l’Organisation des Nations Unies ».1376
5.82 De l’avis du Qatar, la loi sur les conséquences juridiques pour les organisations internationales découlant de violations graves par les États des normes impératives du droit international général peut être déduite par analogie des articles de la CDI sur la responsabilité des organisations internationales (ci-après les « ARIO ») et de l’ARSIWA. Comme il apparaît dans la Section II ci-dessus, l’article 41 de l’ARSIWA prévoit que si un État commet une violation grave d’une norme impérative, tous les États sont tenus de coopérer pour mettre fin à la violation,1377 de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par la violation1378 et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation.1379 L’article 42 de l’ARIO prévoit également que si une organisation internationale commet une violation grave d’une norme impérative, tous les États et organisations internationales sont soumis aux mêmes trois obligations.1380 Un corollaire nécessaire de ces règles veut que si un État commet une violation grave d’une norme impérative, toutes les organisations internationales, et plus particulièrement les Nations Unies, sont également soumises aux mêmes trois obligations.
5.83 Cela étant, l’occupation israélienne et les actes y afférents donnent lieu à des obligations juridiques pour les Nations Unies de ne pas reconnaître comme légale la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents (Section A) ; de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation
1376 Résolution 77/247 de l’AGNU, par. 18(b).
1377 ARSIWA, Art. 41(1).
1378 Ibid., Art. 41(2).
1379 Ibid.
1380 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales, dans l’ANNUAIRE DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL 2011 (Vol. II, Pt. 2), Art. 42.
386
(Section B) ; et de coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents (Section C).
A. LES NATIONS UNIES NE DOIVENT PAS RECONNAITRE COMME LEGALE LA SITUATION CREEE PAR L’OCCUPATION ISRAELIENNE ET LES ACTES Y AFFERENTS
5.84 Comme tous les États, les Nations Unies ont l’obligation de ne pas reconnaître comme légale la situation créée par l’occupation illégale du TPO par Israël et ses pratiques et politiques discriminatoires qui y sont menées.
5.85 Cela signifie, entre autres, que tous les organes de l’ONU ont l’obligation de « faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».1381 En conséquence, toute référence à Israël dans les documents de l’ONU ne devrait englober que le « territoire même d’Israël »,1382 tel qu’il ressort des lignes du 4 juin 1967. Aucun organe de l’ONU ne peut reconnaître expressément ou implicitement le TPO comme faisant partie d’Israël.
B. LES NATIONS UNIES NE DOIVENT PAS PRETER AIDE OU ASSISTANCE AU MAINTIEN DE LA SITUATION CREEE PAR L’OCCUPATION ISRAELIENNE ET LES ACTES Y AFFERENTS
5.86 Les Nations Unies ont également l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par l’occupation, la colonisation et l’annexion par Israël, ainsi que par les pratiques et politiques discriminatoires dans le TPO.
1381 Résolution 2334 du CSNU, par. 5.
1382 Avis consultatif sur le Mur, par. 67.
387
5.87 Concrètement, cela signifie qu’aucun organe de l’ONU ne peut fournir de fonds pour maintenir la situation illégale dans le TPO. Tous les fonds destinés à Israël doivent être soumis à une diligence raisonnable appropriée pour s’assurer qu’ils n’ont pas pour effet direct ou indirect de prêter aide ou assistance au maintien de la situation illégale dans le TPO.
C. LES NATIONS UNIES DOIVENT COOPERER POUR METTRE FIN A L’OCCUPATION ISRAELIENNE ET AUX ACTES Y AFFERENTS
5.88 Les Nations Unies, comme tous les États, ont également l’obligation de coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne du TPO et à ses pratiques et politiques discriminatoires. Le Qatar fait respectueusement valoir que, dans son avis consultatif, la Cour devrait préciser qu’il s’agit d’une obligation et non d’une simple recommandation.
5.89 À cet égard, le Qatar observe que dans l’avis consultatif sur le Mur, la Cour a jugé que « [l]’Organisation des Nations Unies [...] doit examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé ».1383 La présente affaire appelle toutefois une position plus ferme, et ce, non seulement parce que l’avis précédent de la Cour est resté lettre morte. Comme indiqué ci-dessus, dans l’affaire précédente, la demande d’avis consultatif ne portait pas exclusivement sur les conséquences juridiques pour les Nations Unies. La Cour a donc dépassé les limites strictes de la question qui lui était posée. En revanche, en l’espèce, la demande invite expressément la Cour à identifier les « conséquences juridiques qui en découlent pour [...] l’Organisation des Nations Unies ».1384 Par conséquent, dans son avis consultatif, la Cour peut et doit clairement indiquer que les Nations Unies
1383 Avis consultatif sur le Mur, par. 163(3)(E) (soulignement ajouté).
1384 Résolution 77/247 de l’AGNU, par. 18(b)
388
ont l’obligation de coopérer pour mettre fin à l’occupation et aux politiques et pratiques discriminatoires d’Israël.
5.90 Il va sans dire que les Nations unies ont déjà adopté de nombreuses mesures à cette fin, notamment un certain nombre de résolutions du Conseil de sécurité1385 et de résolutions de l’Assemblée générale.1386 Elles peuvent cependant faire plus.
1385 Voir, par exemple, Résolution 2334 du CSNU (2016), par. 4 (« Souligne qu’il est essentiel qu’Israël mette un terme à toutes ses activités de peuplement pour préserver la solution des deux États, et demande l’adoption immédiate de mesures énergiques afin d’inverser les tendances négatives sur le terrain, qui mettent en péril la solution des deux États. »); CSNU, Résolution 1397 (2002), Sur le règlement politique de la situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne, Doc. S/RES/1397 (12 mars 2002), Préambule (« Attaché à la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte à l’intérieur de frontières reconnues et sûres [...] Demande aux parties israélienne et palestinienne ainsi qu’à leurs dirigeants de coopérer à la mise en oeuvre du Plan de travail Tenet et des recommandations du rapport Mitchell visant la reprise des négociations en vue d’un règlement politique. ») ; CSNU, Résolution 1435 (2002), Sur la cessation de tous les actes de violence et le retrait des forces israéliennes des villes palestiniennes, Doc. S/RES/1435 (24 septembre 2002), Préambule et par. 3 (« Alarmé par la réoccupation de villes palestiniennes ainsi que par les restrictions sévères imposées à la liberté de circulation des personnes et des biens, et gravement préoccupé par la situation humanitaire à laquelle est confronté le peuple palestinien [...] Exige également le retrait rapide des forces d’occupation israéliennes des villes palestiniennes et le retour aux positions tenues avant septembre 2000. »).
1386 Voir, par exemple, AGNU, Résolution 67/19, Statut de la Palestine aux Nations Unies, Doc. A/RES/67/19 (29 novembre 2012), par. 2, 4, 6 (Accordant à la Palestine le statut d’État observateur non membre auprès des Nations Unies, affirmant sa « détermination à contribuer à la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien et à la réalisation d’un règlement pacifique au Moyen-Orient qui mette fin à l’occupation remontant à 1967 » et exhortant « tous les États et les institutions spécialisées et les organismes du système des Nations Unies à continuer de soutenir et d’aider le peuple palestinien à réaliser rapidement son droit à l’autodétermination, à l’indépendance et à la liberté. ») ; Résolution 77/247 de l’AGNU, par. 6 (Exigeant, entre autres, « d’Israël, Puissance occupante, qu’il mette fin à toutes ses activités d’implantation, à la construction du mur et à toute autre mesure visant à modifier le caractère, le statut ou la composition démographique du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et son pourtour, qui ont toutes des conséquences graves et préjudiciables, entre autres pour les droits humains du peuple palestinien, notamment son droit à l’autodétermination, et pour la perspective de mettre fin le plus tôt possible à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 et de parvenir à un accord de paix juste, durable et global entre les parties israélienne et palestinienne. ») ; AGNU, Résolution 77/208, Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Doc. A/RES/77/208 (15 décembre 2022) (Dossier nº 381), par. 2 (Exhortant, entre autres, « tous les États ainsi que les institutions spécialisées et les organismes des Nations Unies à continuer d’apporter soutien et aide au peuple palestinien en vue de la réalisation rapide de son droit à l’autodétermination. ») ; AGNU, Résolution 77/187, Souveraineté permanente du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé sur leurs ressources naturelles, Doc. A/RES/77/187 (14 décembre 2022) (Dossier nº 272), par. 5 (« Demande à Israël,
389
Comme Israël ne s’est pas conformé aux résolutions du Conseil de sécurité lui demandant de mettre fin à l’occupation, le Conseil peut, conformément à l’Article 41 de la Charte, prendre d’autres mesures à l’encontre d’Israël pour « donner effet à ses décisions », y compris « l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques ».1387 En outre, conformément à l’Article 42, le Conseil peut prendre des mesures « au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres », y compris « des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies ».1388 Enfin, conformément à l’Article 5, l’Assemblée générale pourrait, sur la recommandation du Conseil de sécurité, suspendre Israël de l’exercice de ses droits et privilèges de membre des Nations Unies.1389
5.91 Bien évidemment, ce n’est pas parce que les Nations Unies peuvent faire certaines choses qu’elles doivent les faire en exécution de leur obligation de coopérer avec les États pour mettre fin à l’occupation israélienne. Néanmoins, compte tenu du fait que le régime israélien dans le TPO constitue un apartheid, les Nations Unies devraient sérieusement envisager de prendre au moins des mesures similaires à celles qu’elles ont prises à l’égard de l’apartheid en Afrique du Sud et en Afrique du Sud-Ouest (Namibie). En particulier, le Conseil de sécurité devrait
Puissance occupante, de s’acquitter scrupuleusement des obligations que lui impose le droit international, notamment le droit international humanitaire, et de mettre un terme immédiatement et complètement à toutes les politiques et mesures visant à modifier le caractère et le statut du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »).
1387 Charte des Nations Unies, Art. 41.
1388 Ibid.
1389 Ibid., Art. 5.
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sérieusement envisager d’imposer un embargo obligatoire sur les armes à Israël.1390 Quant à l’Assemblée générale, elle devrait sérieusement envisager de demander aux États Membres de s’abstenir de fournir du pétrole à Israël,1391 de rompre les relations diplomatiques avec Israël, de fermer leurs ports à tous les navires battant pavillon israélien, d’interdire à leurs navires d’entrer dans les ports israéliens, de boycotter les marchandises israéliennes, de boycotter les équipes sportives israéliennes, de s’abstenir d’exporter des marchandises vers Israël et de créer un comité spécial chargé de surveiller les politiques et les pratiques discriminatoires d’Israël lorsque l’Assemblée n’est pas en session.1392 Toutes ces mesures ont été prises à l’encontre de l’Afrique du Sud, et rien n’empêche de les prendre également à l’encontre d’Israël.
5.92 En outre, les Nations Unies devraient également envisager de prendre des mesures pour soutenir l’exercice de la juridiction pénale sur les crimes internationaux graves commis sous l’occupation israélienne du Territoire palestinien occupé et dans le cadre de ses pratiques et politiques discriminatoires. Ce soutien pourrait être dirigé vers les États qui exercent leur compétence sur ces crimes dans leurs juridictions nationales, mais pourrait également prendre la forme d’une action directe des Nations Unies elles-mêmes.
5.93 Par exemple, les Nations Unies pourraient mettre en place un mécanisme d’enquête pour recueillir des preuves contre les auteurs présumés des crimes susmentionnés en vue de leur utilisation éventuelle dans de futures procédures
1390 Voir CSNU, Résolution 181 (1963), Sur la situation de l’Afrique du Sud, Doc. S/RES/181(1963) (7 août 1963) ; CSNU, Résolution 418 (1977), Sur l’établissement d’un embargo sur les armes contre l’Afrique du Sud, Doc. S/RES/418 (4 novembre 1977).
1391 Voir AGNU, Résolution 1899 (XVIII), Question du Sud-Ouest africain, Doc. A/RES/1899 (XVIII) (13 novembre 1963), par. 7 (b).
1392 Voir AGNU, Résolution 1761 (XVII), Les politiques d’apartheid du gouvernement de la République d’Afrique du Sud, Doc. A/RES/1761(XVII) (6 novembre 1962), par. 4-5.
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pénales. Cela ne serait pas sans précédent. En 2016, l’Assemblée générale a créé le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables.1393 De même, en 2017, le Conseil de sécurité a créé l’Équipe d’enquête chargée de promouvoir la responsabilité pour les crimes commis par Daech.1394 Enfin, en 2018, le Conseil des droits de l’homme a créé le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar.1395 Les Nations Unies devraient mettre en place un mécanisme similaire pour le TPO. Ce mécanisme pourrait fonctionner à l’appui de l’enquête de la CPI mentionnée ci-dessus, ou indépendamment de celle-ci.
5.94 En outre, les Nations Unies devraient envisager de rétablir le Comité spécial contre l’apartheid, comme l’a recommandé le Rapporteur spécial Michael Lynk, « afin d’enquêter sur toutes les pratiques de discrimination et d’oppression systématiques qui seraient assimilables à l’apartheid où que ce soit dans le monde, y compris dans le Territoire palestinien occupé ».1396 À défaut, en vertu de l’article IX de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, le Président de la Commission des droits de l’homme peut nommer un comité des États parties chargé d’examiner les rapports périodiques présentés par
1393 AGNU, Résolution 71/248, Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011, Doc. A/RES/71/248 (21 décembre 2016).
1394 CSNU, Résolution 2379 (2017), Sur la création d’une équipe d’enquête pour soutenir les efforts nationaux visant à tenir l’État islamique en Irak et au Levant responsable de ses actions en Irak, Doc. S/RES/2379 (21 septembre 2017).
1395 Conseil des droits de l’homme, Résolution 39/2, Situation des droits de l’homme des musulmans rohingyas et d’autres minorités au Myanmar, Doc. A/HRC/RES/39/2 (27 septembre 2018).
1396 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial S. M. Lynk sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/HRC/49/87 (12 août 2022), par. 59.
392
d’autres États parties sur les mesures législatives, judiciaires, administratives ou autres qu’ils ont adoptées et qui donnent effet aux dispositions de la Convention en ce qui concerne le traitement réservé par Israël aux Palestiniens.
5.95 Les Nations Unies pourraient également agir de manière à instaurer un tribunal pénal international chargé de poursuivre les crimes pertinents, sur le modèle du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Ou encore, elles pourraient travailler avec le gouvernement d’Israël pour instaurer une cour ou un tribunal hybride, comme le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens et le Tribunal spécial pour le Liban. Là encore, un tel mécanisme pourrait fonctionner en appui de l’enquête de la CPI ou indépendamment de celle-ci.
5.96 Enfin, compte tenu de la violence croissante et du nombre quotidien de morts qui ont atteint des niveaux sans précédent,1397 le Conseil de sécurité devrait envisager d’établir une mission de maintien de la paix pour la Palestine. Cette solution ne serait pas non plus sans précédent dans la région. Après l’invasion du Liban par Israël en 1978, le Conseil de sécurité a créé une force intérimaire des Nations Unies « aux fins de confirmer le retrait des forces israéliennes, de rétablir la paix et la sécurité internationales et d’aider le Gouvernement libanais à assurer la restauration de son autorité effective dans la région ».1398 Une mission similaire devrait être déployée dans le contexte actuel afin de s’assurer, entre autres, que le retrait d’Israël se déroule de manière ordonnée sans générer d’hostilités avec les Palestiniens, et que la paix soit maintenue entre le peuple palestinien et Israël. Cette démarche serait conforme à la recommandation de la Rapporteuse spéciale
1397 Voir supra Chapitre 2, § IV.
1398 CSNU, Résolution 425 (1978), Sur l’établissement d’une force intérimaire des Nations Unies pour le Sud-Liban, Doc. S/RES/425 (19 mars 1978), par. 3.
393
Albanese selon laquelle les états devraient « [d]éployer une force internationale de protection dans le territoire palestinien occupé pour y limiter les actes de violence, qui sont monnaie courante, et défendre la population palestinienne,».1399
***
5.97 Bien que cette discussion se soit limitée aux conséquences juridiques incombant en particulier aux Nations Unies, le Qatar fait respectueusement valoir que la Cour devrait préciser que ces obligations ne sont pas seulement applicables aux Nations Unies mais aussi à toutes les autres organisations internationales, dans leurs sphères d’influence et d’autorité institutionnelle respectives.
1399 Voir AGNU, Rapport de la Rapporteuse spéciale F. Albanese sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Doc. A/77/356 (21 septembre 2022), par. 78(b).

395
CHAPITRE 6 COMPETENCE ET POUVOIR DISCRETIONNAIRE
6.98 La Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé en vertu de l’Article 65(1) de son Statut, qui prévoit que « [l]a Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique à la demande de tout organe qui peut être autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ces dispositions à demander cet avis. »1400 L’article 96(1) de la Charte autorise expressément l’Assemblée générale à demander des avis consultatifs « sur toute question juridique ».1401 Les questions posées sont tout à fait légales car elles demandent l’évaluation des politiques et pratiques d’Israël dans le TPO par référence au droit international.1402
6.99 Bien que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à une demande d’avis consultatif, elle a toujours jugé que sa réponse à une telle demande, « en principe, ne devrait pas être refusée ».1403 Par ailleurs, la Cour a affirmé à plusieurs reprises que « seules des “raisons décisives” peuvent conduire la Cour à opposer un refus à une demande d’avis relevant de sa compétence ».1404 En effet, la Cour de céans n’a jamais exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de répondre à une demande d’avis consultatif.1405
1400 Statut de la Cour internationale de justice, Art. 65(1).
1401 Charte des Nations Unies, Art. 96(1).
1402 Voir l’avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 58 ; Avis consultatif sur le Mur, par. 37.
1403 Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 65 ; Conformité au droit international de la Déclaration unilatérale d’indépendance à l’égard du Kosovo, avis consultatif, rapports CIJ 2010, p. 403 (ci-après l’« avis consultatif sur le Kosovo »), par. 30 ; Avis consultatif sur le Mur, par. 44.
1404 Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, par. 65. Voir aussi l’avis consultatif sur le Kosovo, par. 30 ; avis consultatif sur le Mur, par. 44.
1405 La Cour permanente de Justice internationale ne l’a fait qu’à une seule reprise. Voir Statut de la Carélie orientale, Avis consultatif, 1923, CPJI, Série B, nº 5.
396
6.100 En l’espèce, rien ne saurait justifier que la Cour refuse de répondre à la demande de l’Assemblée générale. Au contraire, l’avis serait d’une grande utilité à l’Assemblée générale et aux Nations Unies en général dans l’exercice de leurs fonctions. L’Assemblée générale a reconnu à plusieurs reprises que les Nations Unies ont « une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale ».1406 Les questions posées par la demande de l’Assemblée générale intéressent donc tout particulièrement les Nations Unies.
6.101 La Cour a reconnu ce point dans l’avis consultatif sur le Mur :
Compte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’Organisation des Nations Unies à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, la Cour est d’avis que la construction du Mur doit être regardée comme intéressant directement l'organisation des Nations Unies. La responsabilité de l'Organisation à cet égard trouve également son origine dans le mandat et dans la résolution relative au plan de partage de la Palestine [...]. Cette responsabilité a été décrite par l’Assemblée générale comme « une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale » (Résolution 57/107 de l’Assemblée générale, en date du 3 décembre 2002). Dans le cadre institutionnel de l’Organisation, cette responsabilité s’est concrétisée par l’adoption de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de
1406 AGNU, Résolution 57/107, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Doc. A/RES/57/107 (3 décembre 2002) (Dossier nº 417), Préambule ; AGNU, Résolution 58/18, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Doc. A/RES/58/18 (3 décembre 2003) (Dossier nº 418), Préambule ; AGNU, Résolution 74/10, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Doc. A/RES/74/10 (3 décembre 2019) (Dossier nº 434), Préambule ; AGNU, Résolution 75/20, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Doc. A/RES/75/20 (2 décembre 2020) (Dossier nº 435) (ci-après la « résolution 75/20 de l’AGNU »), Préambule ; AGNU, Résolution 77/22, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Doc. A/RES/77/22 (30 novembre 2022) (Dossier nº 436) (ci-après la « résolution 77/22 de l’AGNU »), Préambule.
397
l’Assemblée générale, ainsi que par la création de plusieurs organes subsidiaires spécifiquement établis pour oeuvrer à la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien.1407
6.102 La même analyse s’applique avec encore plus de force à ces procédures. L’occupation, la colonisation et l’annexion du TPO par Israël, ainsi que ses politiques et pratiques discriminatoires, dont la construction du Mur n’est qu’une facette, constituent une grave menace pour l’accomplissement par les Nations Unies de leur « responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine ».1408 En effet, à la suite de l’avis consultatif sur le Mur de la Cour, l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et d’autres organes des Nations Unies ont continué à prendre des mesures concernant l’occupation par Israël et ses politiques et pratiques discriminatoires dans le TPO.1409
6.103 La Cour ne devrait pas être dissuadée de répondre à la demande de l’Assemblée générale par une quelconque préoccupation nominale selon laquelle le fait de rendre l’avis consultatif pourrait entraver une solution politique négociée à l’occupation israélienne du TPO. En effet, la Cour a précédemment rejeté cet argument dans l’avis consultatif sur le Mur.1410 La Cour a expliqué : « On ignore [...] l’influence que l’avis de la Cour pourrait avoir sur ces négociations n'apparaît
1407 Avis consultatif sur le Mur, par. 49. Pour établir un lien entre la situation actuelle et le mandat de la Société des Nations pour la Palestine et la résolution relative au plan de partage de l’Assemblée générale des Nations Unies, voir Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-1967) (20 juillet 2023), pp. 45-46. QWS, Vol. II, Annexe 1 ; Prof. Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023). QWS, Vol. II, Annexe 2.
1408 L’Assemblée générale a réaffirmé à plusieurs reprises cette responsabilité. Voir, par exemple, la résolution 77/22 de l’AGNU ; la résolution 75/20 de l’AGNU ; la résolution 74/10 de l’AGNU.
1409 Voir, par exemple, la résolution 77/247 de l’AGNU ; la résolution 2334 (2016) du CSNU ; ECOSOC, résolution 2021/4, Répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé, Doc. E/RES/2021/4 (14 septembre 2020) (Dossier nº 121).
1410 Avis consultatif sur le Mur, par. 51-53
398
[...] pas de façon evidente ».1411 Au contraire, l’avis de la Cour contribuerait probablement à la résolution de l’affaire en question plutôt qu’elle ne l’entraverait. Comme l’a déclaré la Cour à ce moment-là :
La Cour sait que, quelles que soient les conclusions auxquelles elle pourrait parvenir dans l'avis qu'elle donnerait, ces conclusions seraient pertinentes au regard du débat qui se poursuit à l'Assemblée générale, et apporteraient dans les négociations sur la question un élément supplémentaire.1412
6.104 Pour ces raisons, la Cour a conclu dans cette affaire qu’elle « ne saurait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence ».1413
6.105 En l’occurrence, rien ne saurait justifier une conclusion différente. Compte tenu de l’absence totale de progrès dans les négociations, comme décrit en détail dans le rapport ci-joint du professeur Avi Shlaim,1414 il est particulièrement important que la Cour s’acquitte de la responsabilité que l’Assemblée générale lui a récemment confiée. Comme la Cour l’a déjà déclaré, « [l]orsque des considérations politiques jouent un rôle marquant il peut être particulièrement nécessaire à une organisation internationale d'obtenir un avis consultatif de la Cour sur les principes juridiques applicables à la matière en discussion [...] ».1415 Des réponses claires et définitives aux questions posées fourniront des indications essentielles aux Nations Unies et à la communauté internationale dans son
1411 Ibid., par. 53.
1412 Ibid., par. 51 (citant Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, rapports CIJ 1996, p. 226 (ci-après l’« avis consultatif sur les armes nucléaires »), par. 17).
1413 Ibid., par. 53.
1414 Voir Prof. Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023). QWS, Vol. II, Annexe 2.
1415 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, rapports CIJ 1980, p. 73, par. 33 ; Avis consultatif sur les armes nucléaires, par. 13.
399
ensemble sur les principes juridiques à appliquer pour résoudre ces problèmes à l’avenir.
6.106 Pour les raisons qui précèdent, la Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé et rien ne saurait justifier qu’elle refuse de le faire.

401
CHAPITRE 7 CONCLUSIONS
7.1 Pour les raisons exposées dans la présente déclaration écrite, l’État du Qatar fait respectueusement valoir les conclusions suivantes à la Cour :
I. La Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022, et rien ne saurait justifier le refus d’exercer cette compétence.
II. La Cour devrait déclarer ce qui suit :
A. Israël n’a aucun titre territorial sur le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est et la bande de Gaza, et son maintien en tant que puissance occupante de ce territoire ne repose sur aucune base juridique ;
B. L’occupation prolongée d’Israël, y compris son blocus continu de la bande de Gaza, constitue une violation continue du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ;
C. L’annexion de jure de Jérusalem-Est par Israël constitue une violation du droit international et est par conséquent nulle, non avenue et sans effet juridique ;
D. L’annexion de facto par Israël de la zone C de la Cisjordanie constitue une violation du droit international et est par conséquent nulle, non avenue et sans effet juridique ;
E. L’établissement et la facilitation par Israël des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est constituent une violation du droit international et n’ont aucun effet juridique sur le statut des zones concernées ;
F. La pratique israélienne d’exclusion et de déplacement de Palestiniens du Territoire palestinien occupé dans le but de modifier sa composition démographique constitue une violation du droit international ;
402
G. La fragmentation et les restrictions imposées par Israël au mouvement en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, constituent une violation du droit international ;
H. La pratique israélienne de la violence systématique et de l’usage excessif de la force à l’encontre des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris sa tolérance pour la violence des colons, constitue une violation du droit international ;
I. L’occupation illégale d’Israël entraîne de nombreuses violations des droits civils, politiques, culturels, économiques et sociaux des Palestiniens et du droit international humanitaire ; et
J. Les politiques et pratiques discriminatoires d’Israël affectant les Palestiniens dans les Territoires palestiniens occupés constituent, dans leur ensemble, un régime illégal d’apartheid.
III. La Cour devrait déclarer que certaines conséquences juridiques découlent des violations nombreuses et flagrantes du droit international susmentionnées, comme suit :
A. Pour Israël :
1. Israël est dans l’obligation de mettre immédiatement fin à son occupation et à ses politiques et pratiques discriminatoires et à toutes ses violations continues des droits de l’homme et du droit international humanitaire ;
2. Israël est tenu d’offrir des assurances et des garanties appropriées de non-répétition ; et
3. Israël est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par son occupation et ses politiques et pratiques discriminatoires.
B. Pour tous les autres États :
1. Tous les États ont le devoir de ne pas reconnaître comme légale la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ;
2. Tous les États ont le devoir de ne pas prêter aide ou assistance, directement ou indirectement, au maintien de la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ;
403
3. Tous les États doivent coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents ;
4. Tous les États doivent aider à protéger le peuple palestinien contre les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité ; et
5. Tous les États doivent garantir la responsabilité en vertu du droit international pour les crimes internationaux commis dans le Territoire palestinien occupé, y compris en enquêtant sur toute personne qui y a commis ou est soupçonnée d’y avoir commis des crimes internationaux, en la poursuivant ou en l’extradant, conformément à leurs obligations conventionnelles et à leur droit permissif d’établir et d’exercer leur compétence universelle sur les crimes internationaux.
C. Pour les Nations Unies:
1. Les Nations Unies ne doivent pas reconnaître comme légale la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ;
2. Les Nations Unies ne doivent pas prêter aide ou assistance, directement ou indirectement, au maintien de la situation créée par l’occupation israélienne et les actes y afférents ; et
3. Les Nations Unies doivent coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne et aux actes y afférents.

402
Soumis respectueusement par
___________________________
S.E. l’Ambassadeur Nasser bin Ibrahim Al Lingawi
AGENT DE L’ÉTAT DU QATAR
25 JUILLET 2023

403
CERTIFICATION
Je certifie que les Annexes sont des copies conformes des documents auxquels il est fait référence.
___________________________
S.E. l’Ambassadeur Nasser bin Ibrahim Al Lingawi
AGENT DE L’ÉTAT DU QATAR
25 JUILLET 2023

VOLUME I FIGURES Figure 2.1 L’effet cumulatif des mesures israéliennes concernant les terres des TPO sur la Cisjordanie après p. 22
Figure 2.2 Photo : Vue de la colonie israélienne d’Ofra,
dans le centre de la Cisjordanie, avec la ville palestinienne d’Ein Yabrud en arrière plan p. 24 Figure 2.3 Photo : Piscine à Ma’ale Adumim. Avec un
approvisionnement en eau environ quatre fois supérieur à celui des communautés palestiniennes, les colonies israéliennes
telles que Ma’ale Adumim contrastent fortement avec les quartiers voisins palestiniens
p. 28 Figure 2.4 Photo : Des colons juifs vivant dans le complexe de la Tombe de Rachel profitent de leur terrain de jeu situé à côté d’une section du Mur israélien les séparant de la ville de Bethléem en Cisjordanie p. 30 Figure 2.5 Photo: Une femme passe devant des vêtements laissés à sécher dans le camp de réfugiés de Burj al-Barajneh à Beyrouth,
Liban
p. 32
Figure 2.6 Photo: Le Palestinien Motasem Farrah (au centre) démolit sa maison, aidé par un ami,
dans un quartier arabe de Jérusalem-Est, 12 mars 2012. Israël explique souvent aux
Palestiniens qui érigent une construction
sans permis qu’ils doivent démolir eux-
mêmes la maison, sans quoi Israël leur facturera le coût de la démolition. p. 46 Figure 2.7 Photo: Une pelleteuse de l’armée israélienne démolit un bâtiment dans le village palestinien de Sur Baher p. 47 Figure 2.8 Photo: Un garçon palestinien ramasse des
papiers et des livres sur le site d’une école démolie par les autorités israéliennes dans le village de Jabbet al- Dhib, à l’est de Bethléem, en Cisjordanie occupée p. 49 Figure 2.9 Photo: Nora Ghaith-Sub Laban, au centre, est réconfortée par son fils après l’expulsion de sa famille de sa maison pour faire place à des
colons israéliens dans la vieille ville de Jérusalem p. 52 Figure 2.10 Photo: Des Palestiniens attendent au poste de contrôle de Qalandia, le long du Mur séparant Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie p. 57 Figure 2.11 Les obstacles physiques à la circulation
d’Israël en Cisjordanie après p. 62 Figure 2.12 Le système routier israélien séparé après p. 64
Figure 2.13 Restrictions d'accès dans la zone de peuplement de la ville d'Hébron après p. 66 Figure 2.14 Un colon israélien passe devant une maison palestinienne dont les vérandas sont recouvertes de grillage dans la rue Shuhada,
contrôlée par Israël, dans la ville d’Hébron en Cisjordanie p. 64 Figure 2.15 Les zones tampons de Gaza après p. 74 Figure 2.16 Photo: Des Israéliens se sont rassemblés sur une colline à l’extérieur de la ville de Sderot lundi pour regarder le bombardement de Gaza p. 82 Figure 2.17 Photo: des Palestiniens marchent à côté des
restes d’un immeuble de 15 étages détruit par des frappes aériennes israéliennes dans la ville de Gaza p. 85 Figure 2.18 Photo: Ibrahim Al-Masri, 10 ans, se fait photographier assis dans sa chambre qui a subi des dégâts lors de la destruction du
bâtiment voisin par une frappe aérienne p. 86 Figure 2.19 Photo: les cinq enfants tués lors de l’attaque du cimetière d’Al-Falluja p. 88 Figure 2.20 Photo: Des Palestiniens inspectent leurs
maisons détruites suite aux frappes aériennes israéliennes de la nuit dans la ville de Beit Hanoun, au nord de la bande de Gaza p. 92
Figure 2.21 Photo: Des Palestiniens ramassent des restes
humains dans une salle de classe de l’école de Jabaliya après qu’elle ait été bombardée p. 94 Figure 2.22 Photo: Fumée et incendie après l’explosion
de la centrale électrique de Gaza p. 96 Figure 2.23 Photo: Tireurs d’élite israéliens lors de la Grande marche du retour p. 99 Figure 2.24 Photomontage: 10 photos prises des Palestiniens blessés aux jambes lors de manifestations à la frontière de la bande de Gaza avec Israël posent en attendant d’être soignés dans une clinique de la ville de Gaza gérée par Médecins sans frontières p. 101 Figure 2.25 Photo: L’infirmière palestinienne Razan Najjar sur le site de la manifestation avant d’être tuée par un tireur d’élite israélien p. 102 Figure 2.26 Photo: Khairi et Rana al-Hallaq, les parents
d’un Palestinien autiste abattu par un policier israélien, avec une photo de leur fils p. 109 Figure 2.27 Photo: Muhammad Al-Tamimi p. 114 Figure 2.28 Photo: Les rues détruites du camp de réfugiés de Jénine après l’opération israélienne de juillet 2023 p. 123 Figure 2.29 Image de vidéosurveillance: Abdul Rahman
Hardan avant et après avoir été abattu par les forces israéliennes
p. 124
Figure 2.30 Photo tirée d’une vidéo: Le soldat israélien
Elor Azaria quelques instants avant de tirer une balle dans la tête d’Abd al-Fatah a-
Sharif p. 127 Figure 2.31 Photo: ousef Abu Jazar, 15 ans, qui aurait été tué par les forces israéliennes en avril 2018
p. 129 Figure 2.32 Photo: Une vue aérienne montre des
véhicules incendiés par des colons israéliens
lors d’une attaque à Huwara p. 134 Figure 2.33 Photo: Les forces israéliennes détiennent le Palestinien Fevzi El-Junidi, 14 ans, à la suite d’affrontements dans la ville d’Hébron
en Cisjordanie p. 142 Figure 2.34 Photo: Ahed Tamimi, menottée et en
uniforme de prison, escortée dans un tribunal militaire israélien
p. 145 Figure 2.35 Photo: photo aérienne prise par le service de presse du gouvernement israélien le 12 juin
1967 montrant les bâtiments restants du
quartier maghrébin dans la vieille ville de Jérusalem, près du Mur occidental et de l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, après la guerre des Six Jours
p. 154 Figure 2.36 Carte: la vieille ville de Jérusalem et ses
quartiers p. 155 Figure 2.37 Photo: Shireen Abu Akleh p. 179
Figure 2.38 Photo: Le bâtiment abritant les bureaux de l’Associated Press et d’autres médias dans
la ville de Gaza s’effondre après avoir été frappé par un bombardement israélien p. 183 Figure 3.1 Enquête sur Israël, GovMap après p. 202 Figure 4.1 Comparaison entre la carte des blocs de colonisation du plan Drobles et les zones
des accords d'Oslo après p. 342
LISTE DES ANNEXES
VOLUME II RAPPORTS D’EXPERTS Annexe 1
Annexe 2
Prof. Rashid Khalidi, Settler Colonialism in Palestine (1917-
1967) (20 juillet 2023) Prof. Avi Shlaim, The Diplomacy of the Israeli-Palestinian
Conflict (1967-2023) (20 juillet 2023)

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Exposé écrit du Qatar

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3
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