Exposé écrit de la Namibie

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186-20230721-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18862
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DE NAMIBIE
Juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ......................................................................................................................... 1
II. COMPÉTENCE DE LA COUR....................................................................................................... 5
III. L’INTERDICTION DE L’APARTHEID EN DROIT INTERNATIONAL ................................................ 6
A. L’existence de l’interdiction de l’apartheid en droit international ...................................... 7
i) L’apartheid en droit international coutumier ................................................................. 7
ii) L’apartheid au regard de l’article 3 de la CIEDR .......................................................... 8
B. Définition de l’apartheid dans la coutume et la CIEDR ...................................................... 9
i) Pertinence de la définition de l’article II de la convention contre l’apartheid à l’égard de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier .................. 10
ii) Pertinence de la définition de l’article II de la convention contre l’apartheid à l’égard de l’article 3 de la CIEDR ............................................................................... 11
iii) L’apartheid dans le Statut de Rome ............................................................................. 13
iv) L’apartheid dans le protocole additionnel I aux conventions de Genève .................... 13
C. Champ d’application de l’interdiction de l’apartheid ........................................................ 13
IV. LES PRATIQUES D’APARTHEID CONTRE LE PEUPLE PALESTINIEN .......................................... 15
A. Éléments de l’interdiction de l’apartheid .......................................................................... 16
B. L’élément matériel de l’apartheid ..................................................................................... 17
i) L’élément matériel défini au paragraphe c) de l’article II de la convention contre l’apartheid .................................................................................................................... 17
ii) L’élément matériel défini au paragraphe d) de l’article II de la convention contre l’apartheid .................................................................................................................... 25
iii) Conclusion relative à l’élément matériel de l’apartheid .............................................. 29
C. La question des groupes raciaux ....................................................................................... 29
D. Élément de l’intention spécifique de l’acte illicite d’apartheid ......................................... 32
i) Signification de l’intention spécifique associée à l’apartheid ...................................... 32
ii) Déduction de l’intention spécifique — Analogie avec le droit relatif au génocide ..... 33
iii. Application aux pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et en Israël ............................................................................................................................ 34
E. Conclusion — Apartheid contre le peuple palestinien ...................................................... 36
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V. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DE LA PRATIQUE DE L’APARTHEID PAR ISRAËL ............................................................................................................................. 36
A. Caractère impératif de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier....... 36
B. Conséquences juridiques pour Israël ................................................................................. 37
C. Conséquences juridiques pour tous les autres États .......................................................... 39
D. Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies..................................... 41
VI. L’ADMINISTRATION PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ CONTREVIENT AU DROIT DU PEUPLE PALESTINIEN À L’AUTODÉTERMINATION ET EST ILLICITE ................... 41
VII. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DE L’OCCUPATION ISRAÉLIENNE ILLICITE .......... 43
VIII. CONCLUSION ET RÉSUMÉ ....................................................................................................... 44
I. INTRODUCTION
1. Le présent exposé écrit est déposé par la République de Namibie conformément à l’ordonnance que la Cour a rendue le 3 février 2023 au sujet de la demande d’avis consultatif présentée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 20221.
2. Dans la résolution précitée, l’Assemblée générale a sollicité un avis consultatif dans les termes suivants :
« L’Assemblée générale,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18. Décide, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’article 65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »2
3. La demande peut être divisée en cinq parties. L’alinéa a) du paragraphe 18 de la résolution 77/247 comporte trois questions. Premièrement, la Cour est priée de se pencher sur les conséquences juridiques de la violation par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et de formuler un avis sur ce point. Deuxièmement, il lui est demandé d’apprécier la licéité (ou l’illicéité) de l’occupation prolongée par Israël du Territoire palestinien occupé depuis 1967, constitué de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza, y compris les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem. Troisièmement, la Cour est priée d’examiner « l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ». Les quatrième et cinquième questions sont énoncées à l’alinéa b) du paragraphe 18, la Cour étant appelée à déterminer « [l’]incidence [d]es politiques et pratiques d’Israël [susmentionnées] … sur le statut juridique de l’occupation » et les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies.
1 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247.
2 Ibid., par. 18.
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4. La Namibie prie respectueusement la Cour d’adopter une interprétation extensive des cinq questions qui lui sont posées par l’Assemblée générale. À ce stade de la procédure, elle s’attachera quant à elle aux première et quatrième questions qui ont trait à la « violation … par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination » et à l’illicéité de l’occupation israélienne. La Namibie examinera également en détail la troisième question relative aux « lois et mesures discriminatoires » adoptées par Israël contre le peuple palestinien. Ces trois questions sont interdépendantes, quoique distinctes.
a) Pour ce qui concerne les deux premières, la Namibie s’appuie sur le précédent constitué par l’avis donné en 1971 par la Cour dans la procédure concernant les Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité (ci-après l’« avis consultatif sur la Namibie »). Elle considère que la poursuite de l’administration par Israël de l’ancien territoire sous mandat de la Palestine, de la mer Méditerranée jusqu’au Jourdain, mandat qui constituait une mission sacrée de civilisation exercée au profit du peuple palestinien autochtone, et son occupation du territoire palestinien depuis 1967 dénient au peuple palestinien dans son ensemble le droit à l’autodétermination. L’occupation israélienne était illicite ab initio et cette illicéité se trouve encore aggravée par l’occupation, la colonisation et l’annexion prolongées par Israël du territoire palestinien, ainsi que par ses violations d’autres normes impératives.
b) Pour ce qui concerne la troisième question, la Namibie soutient que l’adoption par Israël de « lois et mesures discriminatoires » contre les Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé et le peuple palestinien dans son ensemble est assimilable à l’imposition d’un système d’apartheid qui constitue également une violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, entre autres libertés et droits fondamentaux.
5. À cet égard, la Namibie est d’avis que les politiques et pratiques d’Israël constituent une violation de l’interdiction de l’apartheid imposée par le droit international coutumier et par l’article 3 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR »), qui ont l’un comme l’autre un caractère contraignant pour Israël3. Elle prie respectueusement la Cour de se prononcer dans ce sens en l’espèce et d’énoncer les conséquences juridiques découlant de cette conclusion.
6. Bien qu’elle ait décidé de mettre l’accent dans le présent exposé sur l’interdiction de l’apartheid au regard du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR, la Namibie tient également à appeler l’attention sur le fait que l’apartheid engage la responsabilité pénale individuelle en tant que crime contre l’humanité au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale4. Les caractéristiques fondamentales de l’apartheid examinées par la Namibie constituent aussi des éléments importants du crime d’apartheid tel que défini dans le Statut de Rome.
7. La Namibie soumet le présent exposé écrit pour les motifs suivants :
a) La Namibie estime qu’il est fondamental de préciser l’existence, la définition et le champ d’’application de l’acte illicite d’apartheid en droit international afin de garantir l’éradication de
3 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), adoptée le 21 décembre 1965 et entrée en vigueur le 4 janvier 1969, Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 660, p. 195.
4 Statut de Rome de la Cour pénale internationale (adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002) art. 7, par. 1, al. j), Nations Unies, RTNU, vol. 2187, p. 3. L’État de Palestine a adhéré au Statut de Rome le 2 janvier 2015. Les États parties à la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (ci-après la « convention contre l’apartheid ») sont également tenus d’incriminer l’apartheid, et de faire juger et punir les personnes responsables du crime d’apartheid — article IV de la convention contre l’apartheid (adoptée le 30 novembre 1973 et entrée en vigueur le 18 juillet 1976), Nations Unies, RTNU, vol. 1015, p. 243.
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cette forme odieuse de discrimination raciale. Cela est d’autant plus nécessaire que l’interdiction de l’apartheid et l’incrimination de cette pratique revêtent un caractère impératif. La Namibie prie respectueusement la Cour d’apporter ces précisions dans l’exercice de ses fonctions d’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies.
b) La Namibie souligne le rôle historique joué par l’Assemblée générale dans la décolonisation en général et la lutte contre la discrimination raciale en particulier. L’avis consultatif qui sera donné en la présente procédure sera d’une très grande utilité pour l’Assemblée générale dans la poursuite de ce rôle.
c) La Namibie a fait elle-même par le passé l’expérience de la discrimination raciale systématique imposée par l’Afrique du Sud, tant avant qu’après l’abrogation par l’Assemblée générale en 1966 du mandat pour le Sud-Ouest africain conféré par la Société des Nations5. Dans sa résolution 2074 (XX) de 1965, l’Assemblée générale a condamné « la politique d’apartheid et de discrimination raciale pratiquée par le Gouvernement sud-africain au Sud-Ouest africain, qui constitue un crime contre l’humanité »6. Cette politique — imposée par le régime sud-africain au peuple de Namibie — s’est poursuivie jusqu’à l’indépendance le 21 mars 1990.
8. C’est à la lumière de ces considérations que la Namibie a voté en faveur de la résolution 77/2477, qui contenait la demande d’avis consultatif. À cette occasion, le représentant permanent du Gouvernement de la Namibie a fait la déclaration suivante :
« L’Organisation des Nations Unies est investie d’une responsabilité permanente dans le règlement de la question de la Palestine. Nous soutenons et respectons donc pleinement l’ensemble des processus prescrits par l’Organisation pour parvenir à un règlement de cette question complexe. Il est par conséquent déroutant de constater qu’Israël continue d’être épargné, en dépit de ses violations constantes et flagrantes du droit international, ainsi que du droit humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme, violations qui dénient au peuple palestinien ses droits les plus fondamentaux. Cette incohérence manifeste reste difficilement compréhensible.
Le Gouvernement de la Namibie ne cesse d’implorer Israël de coopérer avec les systèmes, institutions et processus internationaux afin de leur permettre un accès sans restriction pour qu’ils s’acquittent de leurs responsabilités conformément à leurs mandats respectifs, notamment dans le domaine humanitaire. Dans le même esprit, nous enjoignons en outre à Israël d’honorer les obligations découlant de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies, ainsi que du droit international et du droit international relatif aux droits de l’homme. La poursuite ininterrompue de l’annexion et de l’expansion des colonies n’est pas tenable. La guerre dévaste, mutile, blesse et détruit. L’oppression est synonyme de cruauté. L’occupation n’est pas une solution pour parvenir à la paix.
C’est dans cet esprit que la Namibie se félicite de la proposition concrète consistant à demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’occupation et de la colonisation prolongées par Israël du territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est, et de sa violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ainsi que des politiques et mesures discriminatoires prises contre ce dernier. Vingt années s’étant écoulées depuis que l’Assemblée générale
5 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2145 (XXI) du 27 octobre 1966, doc. A/RES/2145. Voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16.
6 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2074 (XX) du 17 décembre 1965, doc. A/RES/2074, par. 4.
7 Ibid., résolution77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247.
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a demandé pour la dernière fois à la Cour de donner un avis consultatif sur la question de la Palestine, nous soutenons la décision de solliciter une fois encore les conseils du système juridique international pour déterminer la meilleure voie de recours pour le peuple de Palestine si longtemps opprimé. »
9. Le présent exposé écrit se compose de la manière suivante :
a) La section II est consacrée à une analyse succincte de la compétence de la Cour. La Namibie estime que celle-ci a compétence pour donner un avis consultatif en l’espèce et qu’il n’existe aucune raison décisive qui l’empêche de le faire.
b) La section III traite A) de l’existence ; B) de la définition ; et C) du champ d’application géographique et territorial de l’interdiction de l’apartheid. Tout d’abord, la Namibie présentera A) l’interdiction de l’apartheid découlant du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR. Elle montrera ensuite B) que la définition de l’apartheid contenue dans ces règles est fondée sur celle qui figure dans la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (ci-après la « convention contre l’apartheid ») de 1973. Enfin, elle démontrera C) que l’interdiction prescrite par le droit coutumier et l’article 3 de la CIEDR est applicable à Israël, à raison de la manière dont celui-ci traite le peuple palestinien, y compris en déniant à celui-ci le droit à l’autodétermination.
c) Dans la section IV, la Namibie appliquera l’interdiction de l’apartheid découlant du droit coutumier et de l’article 3 de la CIEDR au traitement du peuple palestinien par Israël. Elle exposera d’abord A) les éléments de l’acte illicite en cause, avant de traiter de B) ses éléments matériels, de C) la question des groupes raciaux, et de D) l’intention spécifique requise pour caractériser l’apartheid. En ce qui concerne le point B), la Namibie montrera que les pratiques d’Israël correspondent en particulier aux éléments matériels définis aux alinéas c) et d) de l’article II de la convention contre l’apartheid. Au titre du point C), elle montrera que ces pratiques sont commises contre un groupe racial au profit d’un autre groupe racial. Enfin, s’agissant du point D), elle montrera que ces pratiques ont été commises et continuent de l’être avec l’intention spécifique associée à l’acte illicite d’apartheid.
d) La section V traite des conséquences pour Israël, les États tiers ainsi que l’Organisation des Nations Unies de l’imposition par Israël d’un régime d’apartheid contre les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé et contre le peuple palestinien dans son ensemble. Ces conséquences découlent notamment du caractère impératif de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier.
e) La section VI traite de l’illicéité de la poursuite de l’administration par Israël du Territoire palestinien occupé, en procédant plus particulièrement à une comparaison entre la situation actuelle dans ce territoire et celle qui est décrite dans l’avis consultatif sur la Namibie.
f) Dans la section VII sont exposées les conséquences pour Israël, les États tiers et l’Organisation des Nations Unies d’une constatation d’occupation illicite.
g) Dans la section VIII sont présentées les conclusions et le résumé de l’exposé de la Namibie.
10. La Namibie se réserve le droit d’aborder d’autres questions de fond touchant au droit international dans ses observations sur les exposés écrits déposés par d’autres États et organisations internationales en la présente procédure.
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II. COMPÉTENCE DE LA COUR
11. La Namibie estime que la Cour a compétence pour donner un avis consultatif en l’espèce et qu’il n’existe aucune raison décisive l’empêchant de le faire.
12. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour se lit comme suit : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis. »
13. Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations dispose que « [l]’Assemblée générale … peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique ».
14. S’agissant de la compétence de la Cour en l’espèce :
a) Premièrement, la demande a été dûment adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/2478, avant d’être transmise à la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 65 du Statut de celle-ci.
b) Deuxièmement, chacun des aspects de la demande concerne une « question juridique », comme l’exigent le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour et le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies. Dans la résolution 77/247, il est demandé à la Cour de donner son avis sur les conséquences juridiques découlant d’un ensemble spécifique de mesures et de pratiques de l’État d’Israël, ainsi que sur le statut juridique de l’occupation du territoire palestinien.
c) Troisièmement, bien que la demande ait trait à des sujets suscitant de profondes préoccupations politiques, la Cour a toujours considéré que le fait « qu’une question revête des aspects politiques ne suffi[sai]t pas à lui ôter son caractère juridique »9. Elle a également conclu ce qui suit :
« La Cour ne saurait refuser de répondre aux éléments juridiques d’une question qui, quels qu’en soient les aspects politiques, l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir, en la présente espèce, l’appréciation d’un acte au regard du droit international. »10
15. Même dans les cas où elle a compétence, la Cour a interprété le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut comme lui conférant le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif dans certaines circonstances11. Cela vise à « protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies »12. Toutefois, la Cour a
8 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247.
9 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif (ci-après l’« avis consultatif sur le Kosovo »), C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27 ; Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 172, par. 14.
10 Avis consultatif sur le Kosovo, p. 415, par. 27.
11 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif (ci-après l’« avis consultatif sur le mur »), C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44 ; avis consultatif sur le Kosovo, p. 415-416, par. 29 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif (ci-après l’avis consultatif sur l’archipel des Chagos »), C.I.J. Recueil 2019 (I)), p. 113, par. 63.
12 Avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 113, par. 64.
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invariablement jugé que seules des « raisons décisives » pouvaient l’amener à refuser de donner son avis
13.
16. En la présente procédure, il n’existe aucune raison décisive touchant à l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour :
a) Tout d’abord, la requête porte sur des questions revêtant de longue date une grande importance pour les travaux et les fonctions de l’Assemblée générale. Depuis la résolution 181 (II) de 1947 au moins, la question de la Palestine occupe une place centrale dans les travaux de l’Assemblée générale. Au fil des décennies, celle-ci a toujours exprimé son soutien en faveur des droits inaliénables du peuple palestinien, y compris le droit à l’autodétermination, en particulier depuis l’adoption de la résolution 3236 (XXIX) de 197414, notamment par le biais du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien établi par la résolution 3376 de 197515.
b) Ensuite, le fait de répondre aux questions juridiques énoncées dans la demande sera particulièrement utile pour l’Assemblée générale dans la poursuite de ses activités et l’exercice de ses fonctions. De plus, et en tout état de cause, la Cour a toujours estimé que ce n’était pas à elle — la Cour — qu’il appartenait « de prétendre décider si l’Assemblée a ou non besoin d’un avis consultatif pour s’acquitter de ses fonctions. L’Assemblée générale est habilitée à décider elle-même de l’utilité d’un avis au regard de ses besoins propres »16.
c) Enfin, la Cour sera en mesure de parvenir à toutes les conclusions factuelles nécessaires pour répondre à la demande. Le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies lui a transmis un dossier comprenant certains des « documents pertinents des Nations Unies … publiés depuis 1967, date de début de l’occupation, jusqu’à présent »17. La Cour recevra également, dans le cadre de la présente procédure, des informations détaillées et pertinentes sous la forme d’exposés écrits, d’observations écrites et d’exposés oraux d’États et d’organisations internationales18.
17. Selon la Namibie, il s’ensuit que la Cour a compétence pour donner un avis consultatif et qu’il n’existe aucune raison décisive qui l’empêche de le faire.
III. L’INTERDICTION DE L’APARTHEID EN DROIT INTERNATIONAL
18. Dans sa demande, l’Assemblée générale mentionne les conséquences juridiques de « l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ». Lorsqu’elle examinera cet aspect, il serait particulièrement utile que la Cour précise le cadre juridique international applicable à une politique et à des pratiques discriminatoires caractéristiques et odieuses, à savoir l’imposition d’un régime d’apartheid aux Palestiniens.
13 Avis consultatif sur le mur, p. 156, par. 44 ; avis consultatif sur le Kosovo, p. 416, par. 30 ; avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 113, par. 65.
14 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3236 (XXIX) du 22 novembre 1974, doc. A/RES/3236 (XXIX).
15 Ibid., résolution 3376 (XXX) du 10 novembre 1975, doc. A/RES/3376 (XXX).
16 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 16 ; avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 115, par. 76.
17 Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, note introductive relative à la procédure consultative concernant la Palestine en date du 31 mai 2023, par. 5.
18 De la même façon, avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 114-115, par. 73.
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19. Dans cette partie de son exposé, la Namibie examinera : A) l’existence de l’interdiction de l’apartheid au regard du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR ; B) la définition de l’apartheid s’appliquant dans le cadre de ces deux règles ; et C) leur champ d’application géographique et territorial.
A. L’existence de l’interdiction de l’apartheid en droit international
i) L’apartheid en droit international coutumier
20. En 1962, l’Assemblée générale a créé un Comité spécial chargé d’étudier la politique d’apartheid du Gouvernement de la République sud-africaine19. L’année suivante, le Comité faisait état de l’adoption par l’Afrique du Sud d’« un grand nombre de lois de discrimination et de répression ». Cette législation, associée aux pratiques administratives et judiciaires de l’État, a établi un régime de domination raciale dans tout le pays ainsi qu’en Namibie.
21. En réponse à cette évolution, une règle de droit international coutumier interdisant la pratique de l’apartheid s’est cristallisée. L’existence de cette interdiction ressort en particulier clairement du rejet catégorique par la communauté internationale de la pratique de l’apartheid par l’Afrique du Sud du début des années 1960 jusqu’à la fin des années 1980.
22. C’est l’Organisation des Nations Unies qui a servi de cadre principal au processus de cristallisation de l’interdiction de l’apartheid. L’Assemblée générale a demandé, dans sa déclaration sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée en 1963, qu’il soit « mis fin sans retard aux politiques de ségrégation raciale des gouvernements et des autres pouvoirs publics et notamment aux politiques d’apartheid »20. S’en est suivie une série de résolutions, adoptées à une large majorité, dans lesquelles l’Assemblée générale condamnait les pratiques et politiques d’apartheid de l’Afrique du Sud21. La résolution 2396 de 1968, dans laquelle l’Assemblée générale réitérait sa « condamnation de la politique d’apartheid pratiquée par le Gouvernement sud-africain comme un crime contre l’humanité », a ainsi été adoptée par 85 voix pour et deux voix contre, avec 14 abstentions22. La résolution 43/50 de 1988, qui condamnait également « le régime raciste [de l’Afrique du Sud] ainsi que sa politique et ses pratiques d’apartheid », a été adoptée par 144 voix pour et une voix contre, avec 9 abstentions23.
23. Dans sa résolution 473 adoptée en 1980, le Conseil de sécurité a réaffirmé à l’unanimité que
« la politique d’apartheid [était] un crime contre la conscience et la dignité de l’humanité et [étai]t incompatible avec les droits de l’homme et sa dignité, la Charte des
19 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1761 (XVII) du 6 novembre 1962, doc. A/RES/1761.
20 Ibid., résolution 1904 (XVIII) du 20 novembre 1963, doc. A/RES/18/1904, art. 5.
21 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 2054 (XX) du 15 décembre 1965, doc. A/RES/2054 (XX), par. 4 ; 2074 (XX) du 17 décembre 1965, doc. A/RES/2074 (XX), par. 4 ; 2202 (XXI) du 16 décembre 1966, doc. A/RES/2202 (XXI), par. 1 ; 2307 (XXII) du 13 décembre 1967, doc. A/RES/2307 (XXII), par. 1 ; et 2396 (XXXIII) du 2 décembre 1968, doc. A/RES/2396, par. 1.
22 Bibliothèque numérique des Nations Unies, données relatives au vote de la résolution 2396 par l’Assemblée générale en 1968.
23 Ibid., données relatives au vote de la résolution 43/50 par l’Assemblée générale en 1988.
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Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, et port[ait] gravement atteinte à la paix et à la sécurité internationales »
24.
24. Les parties pertinentes des résolutions en question de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité ont un caractère normatif et déclaratif en ce qui concerne l’illicéité des pratiques d’apartheid en droit international25. Elles fournissent des éléments démontrant la consolidation dans le temps de la pratique et de l’opinio juris des États dans le sens d’une acceptation quasi universelle de l’illicéité de l’apartheid26. De fait, depuis la chute du dernier gouvernement d’apartheid en Afrique du Sud et la tenue des premières élections démocratiques dans le pays en 1994, aucun État ne soutient plus que l’imposition d’une telle politique serait admissible. Dans son quatrième rapport, le professeur Dire Tladi, rapporteur spécial sur les normes impératives du droit international général de la Commission du droit international (ci-après la « CDI »), a précisé que les résolutions adoptées par les Nations Unies signifiaient le « rejet intégral de la politique d’apartheid et des politiques discriminatoires qui en découlent »27 par la communauté internationale.
25. En tant que règle de droit international coutumier, l’interdiction de l’apartheid a un caractère contraignant pour tous les États, y compris Israël.
ii) L’apartheid au regard de l’article 3 de la CIEDR
26. La référence contenue dans la demande d’avis consultatif à l’adoption par Israël de « lois et mesures discriminatoires connexes » implique également que soient prises en compte les dispositions de la CIEDR, pierre angulaire du système moderne du droit international relatif aux droits de l’homme. De fait, la volonté politique ayant conduit à l’adoption même de cet instrument résulte, au moins en partie, de l’aversion profonde de la communauté internationale à l’égard des pratiques de discrimination raciale de l’Afrique du Sud28.
27. Outre qu’elle régit la discrimination raciale en général, la CIEDR évoque expressément l’apartheid, et ce, dans les termes suivants :
« Les États parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature. »29
28. Israël a ratifié la CIEDR le 3 janvier 197930, sans émettre de réserves pertinentes. Il s’ensuit qu’il est tenu de respecter l’obligation faite par l’article 3 de prévenir, interdire et éliminer toutes les pratiques d’apartheid sur les territoires relevant de sa juridiction.
24 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 473 du 13 juin 1980, doc. S/RES/473 (1980), par. 3.
25 Tout comme pour ce qui concerne le droit à l’autodétermination dans l’avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 132-133, par. 151-153.
26 Voir de même avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 130, par. 142.
27 Nations Unies, quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) présenté par Dire Tladi, rapporteur spécial, CDI, 31 janvier 2019, doc. A/CN.4.727, par. 98.
28 P. Thornberry, The International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination: A Commentary, 2016, p. 236.
29 CIEDR, art. 3.
30 L’État de Palestine a adhéré à la CIEDR le 2 avril 2014.
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B. Définition de l’apartheid dans la coutume et la CIEDR
29. Dans la précédente sous-section, la Namibie a constaté l’existence de l’interdiction de l’apartheid dans la coutume et à l’article 3 de la CIEDR. La présente partie traite de la définition de l’apartheid au regard de chacune de ces règles.
30. Pour ce qui concerne la règle coutumière, tout au long des années 1960 à 1980, les politiques de discrimination raciale de l’Afrique du Sud ont suscité la condamnation des États. Cela n’éclaire toutefois guère la signification du terme en tant que tel. De même, la CIEDR ne donne pas de définition de l’« apartheid », qu’elle interdit en son article 3. En conséquence, il serait particulièrement utile que la Cour précise la signification de l’interdiction de l’apartheid en droit international. Une définition claire assisterait l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions. Elle aiderait aussi grandement les États à se conformer à leurs obligations internationales et à coopérer pour mettre fin à de telles pratiques par d’autres États.
31. La Namibie soutient que c’est la définition de l’apartheid énoncée dans la convention contre l’apartheid de 1973 qui s’applique à l’interdiction de cette pratique telle que prescrite par le droit international coutumier et l’article 3 de la CIEDR.
32. L’article II de la convention contre l’apartheid, négociée et rédigée au sein de la Troisième Commission des Nations Unies de 1971 à 1973, définit l’apartheid comme suit :
« Aux fins de la présente Convention, l’expression “crime d’apartheid”, qui englobe les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe, désigne les actes inhumains indiqués ci-après, commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci :
a) Refuser à un membre ou à des membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux le droit à la vie et à la liberté de la personne :
i) en ôtant la vie à des membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux ;
ii) en portant gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale, à la liberté ou à la dignité des membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, ou en les soumettant à la torture ou à des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants :
iii) en arrêtant arbitrairement et en emprisonnant illégalement les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux ;
b) Imposer délibérément à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux des conditions de vie destinées à entraîner leur destruction physique totale ou partielle ;
c) Prendre des mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés, en particulier en privant les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir,
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le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ;
d) Prendre des mesures, y compris des mesures législatives, visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, en interdisant les mariages entre personnes appartenant à des groupes raciaux différents, et en expropriant les biens-fonds appartenant à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux ou à des membres de ces groupes ;
e) Exploiter le travail des membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, en particulier en les soumettant au travail forcé ;
f) Persécuter des organisations ou des personnes, en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu’elles s’opposent à l’apartheid. »31
33. Pour les États parties à la convention contre l’apartheid — soit 109 États, dont la Palestine, mais pas Israël —, cette définition détermine l’applicabilité des obligations qui y sont énoncées. La convention contre l’apartheid est, par essence, une convention de nature répressive ; elle impose aux États parties de réprimer, décourager et poursuivre les actes d’apartheid32. Cela signifie qu’elle vise à assurer l’incrimination et le châtiment du crime d’apartheid.
34. La Namibie tient à préciser que son argument ne consiste pas à avancer qu’Israël ou tout autre État qui n’en est pas partie serait lié par la convention contre l’apartheid — et les obligations de nature répressive qu’elle énonce ; il s’agit de dire que c’est cette définition de l’apartheid qui détermine le champ d’application de l’interdiction coutumière et de l’obligation mentionnée à l’article 3 de la CIEDR. Chacun de ces éléments sera examiné tour à tour.
i) Pertinence de la définition de l’article II de la convention contre l’apartheid à l’égard de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier
35. S’agissant tout d’abord de l’interdiction coutumière, les travaux de la Troisième Commission relatifs à la rédaction et à l’adoption de la convention contre l’apartheid s’inscrivaient dans le programme de travail juridique et politique qui a par ailleurs débouché sur la cristallisation de la règle coutumière. Le préambule de la convention contre l’apartheid fait d’ailleurs expressément référence aux résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité condamnant l’apartheid, qui ont joué un rôle essentiel dans la cristallisation de ladite règle33. Comme l’a constaté Jackson,
« [r]ien n’indique que les États aient eu deux notions à l’esprit dans le cadre de ce processus — à savoir une définition rattachée à la cristallisation de l’interdiction
31 Convention contre l’apartheid, art. II.
32 Ibid., art. IV.
33 Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, préambule :
« Rappelant que l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies a adopté toute une série de résolutions dans lesquelles la politique et les pratiques d’apartheid sont condamnées en tant que crime contre l’humanité,
Rappelant que le Conseil de sécurité a souligné que l’apartheid et son intensification et son élargissement continus troublent et menacent gravement la paix et la sécurité internationales ».
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coutumière liant les États et une autre définition associée à la tentative d’incrimination dans la convention contre l’apartheid »
34.
36. Autrement dit, la définition de l’apartheid énoncée dans la convention contre l’apartheid recouvre ce que les États condamnaient eux-mêmes dans leur pratique, laquelle constitue le fondement de l’interdiction coutumière.
37. De plus, la définition a été adoptée en 1973 par 88 voix pour, 3 voix contre, avec 21 abstentions au sein de la Troisième Commission35. Cela représente un accord suffisamment général et représentatif entre les États sur la signification du terme à l’époque. En outre, aucune pratique générale des États n’a été relevée depuis lors qui aurait pu entraîner une évolution de la signification du terme.
38. Il s’ensuit que la définition de l’apartheid figurant dans la convention contre l’apartheid est applicable à l’interdiction coutumière.
ii) Pertinence de la définition de l’article II de la convention contre l’apartheid à l’égard de l’article 3 de la CIEDR
39. Il en va de même pour la référence à l’apartheid figurant à l’article 3 de la CIEDR. Cet instrument est entré en vigueur le 4 janvier 1969. Au cours des négociations relatives à la convention contre l’apartheid entre 1971 et 1973, il est manifeste que les États avaient également à l’esprit leurs obligations conventionnelles préexistantes découlant de l’article 3 de la CIEDR. Cela ressort clairement des préambules des premières moutures de la convention soumises par différents États en 197136 et 197237, ainsi que de la version finale du texte adoptée en 1973, laquelle renvoie expressément à l’obligation faite aux États parties par l’article 3 de la CIEDR de « prévenir, … interdire et … éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature »38.
40. Il est par conséquent légitime de considérer la convention contre l’apartheid comme un instrument visant à l’incrimination — en reprenant la même définition de l’apartheid — des pratiques mentionnées à l’article 3 de la CIEDR39. Pour les États qui étaient parties à la CIEDR à l’époque, cela constitue une pratique ultérieure contribuant « à préciser le sens d’un traité »40, en tant que moyen complémentaire d’interprétation au sens de l’article 32 de la convention de Vienne sur le
34 M. Jackson, ‘The Definition of Apartheid in Customary International Law and the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination’, International & Comparative Law Quarterly (ICLQ), 2022, vol. 71, p. 831, 839.
35 UNGA, Report of the Third Committee (Part II), ‘Draft Convention on the Suppression and Punishment of the Crime of Apartheid’, 19 November 1973, A/9233/Add. 1, par. 28.
36 UNGA Third Committee, ‘Guinea and Union of Soviet Socialist Republics: draft of a Convention on the suppression and punishment of the crime of apartheid’, 28 October 1971, A/C.3/L.1871.
37 UNGA Third Committee, ‘Guinea, Nigeria and the Union of Soviet Socialist Republics: revised draft Convention on the suppression and punishment of the crime of apartheid’, 24 October 1972, A/C.3/L.1942/Rev.1.
38 Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, préambule.
39 M. Jackson, ‘The Definition of Apartheid in Customary International Law and the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination’, ICLQ, 2022, vol. 71, p. 831, 841.
40 Nations Unies, Commission du droit international (ci-après la « CDI »), projet de conclusions sur les accords et la pratique ultérieurs dans le contexte de l’interprétation des traités et commentaires y relatifs, conclusion 7 2), Annuaire de la Commission du droit international (ACDI), 2018, vol. II, deuxième partie.
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droit des traités
41. Ainsi que la CDI l’a relevé dans ses récentes conclusions sur les accords et la pratique ultérieurs dans le contexte de l’interprétation des traités, « [u]ne pratique ultérieure en tant que moyen complémentaire d’interprétation en vertu de l’article 32 est constituée par toute conduite d’une ou de plusieurs parties dans l’application du traité, après la conclusion de celui-ci »42.
41. Comme exposé précédemment, au sein de la Troisième Commission, la définition de l’apartheid énoncée dans la convention contre l’apartheid a été adoptée en 1973 par 88 voix pour et 3 voix contre, et 21 abstentions43. Nombre des États ayant voté en faveur de la définition étaient à l’époque parties à la CIEDR — et ce vote doit s’entendre comme la conduite desdits États indiquant leur compréhension de la signification du terme « apartheid » à l’article 3 de la CIEDR. En outre, il semble qu’il n’y ait eu aucune tentative de la part d’autres États parties à cet instrument d’énoncer une définition différente.
42. Depuis 1973, on ne relève aucune pratique générale des États relative au sens de l’article 3 de la CIEDR ayant employé une définition différente44. En outre, ainsi que cela sera examiné au paragraphe suivant, la rédaction et l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale n’ont eu aucune incidence sur la définition de l’obligation conventionnelle préexistante des États au regard de la CIEDR. Enfin, s’agissant de la pratique du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, par opposition à celle des États, Thornberry relève qu’elle « ne fait guère apparaître de définition plus précise de la notion d’apartheid »45.
43. En résumé, la définition de l’apartheid figurant dans la convention contre l’apartheid de 1973 est applicable à l’obligation que l’article 3 de la CIEDR impose à tous les États parties de « prévenir, … interdire et … éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature ».
41 Convention de Vienne sur le droit des traités (adoptée le 23 mai 1969, entrée en vigueur le 27 janvier 1980), art. 32, Nations Unies, RTNU, vol. 1155, p. 331.
42 CDI, projet de conclusions sur les accords et la pratique ultérieurs dans le contexte de l’interprétation des traités et commentaires y relatifs, conclusion 4 3), ACDI, 2018, vol. II, deuxième partie. Il est précisé ce qui suit dans le commentaire du paragraphe 35 :
« La “pratique ultérieure” au sens large (relevant de l’article 32) désigne donc toute application du traité par une ou plusieurs parties (mais pas toutes). Elle peut revêtir différentes formes. Cette “conduite d’une ou plusieurs parties dans l’application du traité” peut être constituée, en particulier, par une application directe du traité en question, conduite qui sera attribuable à un État partie en tant qu’application du traité, ou par une déclaration ou décision juridictionnelle au sujet de l’interprétation ou de l’application du traité. »
43 UNGA, Report of the Third Committee (Part II), ‘Draft Convention on the Suppression and Punishment of the Crime of Apartheid’, 19 November 1973, A/9233/Add.1, par. 28.
44 Dans sa communication interétatique faite en application de l’article 11 de la CIEDR, l’État de Palestine adopte les vues présentées dans cet exposé écrit — à savoir que la convention contre l’apartheid « fournit la meilleure définition aux fins de l’interprétation de l’article 3 de la CIEDR » — CERD, ‘Communication submitted to the Committee on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination by the State of Palestine pursuant to Article 11 of the International Convention on the Elimination of all Forms of Racial Discrimination’, 23 April 2018, ICERDISC-2018/3, par. 586.
45 P. Thornberry, The International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination: A Commentary, 2016, p. 236.
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iii) L’apartheid dans le Statut de Rome
44. Pour conclure, on notera que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale reconnaît le « crime d’apartheid » en tant que crime contre l’humanité en son article 7. Le paragraphe 2 de l’article 7 définit ce crime comme étant constitué par
« des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».
45. Cette définition, qui renvoie à la responsabilité pénale individuelle en droit international, est assez proche de celle qui figure dans la convention contre l’apartheid. Pour ce qui concerne la définition de l’interdiction de l’apartheid au regard du droit coutumier et de l’article 3 de la CIEDR, il est essentiel de noter que rien n’indique que, lors de la négociation et de la rédaction de l’article 7 du Statut de Rome, les États considéraient qu’ils étaient également en train de proposer une interprétation relative à la règle de droit coutumier ou à l’article 3 de la CIEDR46. Il s’ensuit que la teneur des obligations liant les États reste inchangée par l’adoption d’une définition légèrement différente touchant à la responsabilité pénale individuelle dans le cadre du Statut de Rome.
46. Ce nonobstant, compte tenu des similitudes entre les deux définitions, toute précision que la Cour pourra apporter quant à la signification et à l’application de la règle de droit coutumier et de l’article 3 de la CIEDR se révélera aussi particulièrement utile aux fins de l’interprétation et l’application du Statut de Rome47.
iv) L’apartheid dans le protocole additionnel I aux conventions de Genève
47. Dans un souci d’exhaustivité, la Namibie signale que, aux termes de l’alinéa c) du paragraphe 4 de l’article 85 du protocole additionnel I aux conventions de Genève, l’apartheid est considéré comme une infraction grave. Il ressort du commentaire de ces conventions que les actes d’apartheid étaient déjà interdits par les conventions de Genève de 1949 en tant qu’atteintes à la dignité des personnes et infractions graves48. Il convient de relever que la quatrième convention de Genève s’impose directement à Israël en tant qu’État partie, tout en ayant également un caractère obligatoire au regard du droit international coutumier.
C. Champ d’application de l’interdiction de l’apartheid
48. Après avoir traité de l’existence et de la définition de l’apartheid en tant que règle liant les États au regard du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR, la Namibie examinera, dans la présente sous-section, le champ d’application géographique et territorial de chacune de ces règles.
46 M. Jackson, ‘The Definition of Apartheid in Customary International Law and the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination’, ICLQ, 2022, vol. 71, p. 831, 844.
47 Dans sa décision du 5 février 2021, la Chambre préliminaire de la CPI a conclu que cette dernière pouvait exercer sa compétence pénale à l’égard de la situation en Palestine, et que sa compétence territoriale s’étendait « aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est » : CPI, décision relative à la demande présentée par l’accusation en vertu de l’article 19-3 du Statut pour que la Cour se prononce sur sa compétence territoriale en Palestine, Chambre préliminaire I, no ICC-01/18, 5 février 2021, p. 60.
48 Y. Sandoz et al., “Commentary on the Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of 12 August 1949”, 1986, par. 3513-3515.
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49. En premier lieu, s’il est vrai que ces règles résultent de la réaction de la communauté internationale face aux pratiques d’un État donné, rien ne porte à penser que leur champ d’application géographique se limite au territoire de l’Afrique du Sud ou à la région de l’Afrique australe49. En outre, leur application ne se limite pas aux actes commis par un État donné — l’Afrique du Sud — au cours d’une période donnée. L’interdiction de l’apartheid constitue un principe fondamental de l’ordre juridique international, confirmé par la ratification quasi universelle de la CIEDR ainsi que, comme exposé à la section V du présent exposé écrit, par son caractère impératif en droit international général. Ces règles lient les États en général, conformément à leurs caractères respectifs : tous les États dans le cas de la règle coutumière, et les États parties à la CIEDR pour ce qui est de la règle conventionnelle50.
50. En second lieu, tant la règle coutumière que l’article 3 de la CIEDR s’appliquent de manière extraterritoriale ainsi que dans les situations d’occupation, auxquelles s’appliquent les règles du droit international humanitaire :
a) S’agissant de la règle coutumière, cela ressort clairement du fait que la dénonciation par la communauté internationale des pratiques du régime sud-africain s’étendait à l’imposition par ce dernier de l’apartheid en Namibie. Ainsi, l’Assemblée générale n’a cessé de condamner ces pratiques extraterritoriales, aussi bien avant51 qu’après la cessation du mandat de la Société des Nations en 196652. De la même manière, le Conseil de sécurité a condamné les mesures prises par l’Afrique du Sud pour appliquer sa politique d’apartheid au-delà de ses frontières53. La Cour a par ailleurs conclu, dans son avis consultatif sur la Namibie, que la mise en oeuvre par l’Afrique du Sud de l’apartheid en Namibie constituait « une violation flagrante des buts et principes de la Charte » des Nations Unies54.
b) S’agissant de l’article 3 de la CIEDR, son texte lui-même comporte l’obligation pour les États parties de « prévenir, … interdire et … éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques [d’apartheid] », ce qui, dans la pratique de la CIEDR, inclut clairement les situations d’occupation55, comme dans la présente procédure. Cela est conforme à la jurisprudence constante de la Cour, qui a confirmé à maintes reprises l’application extraterritoriale du droit international relatif aux droits de l’homme, y compris dans des situations d’occupation auxquelles s’applique le droit international humanitaire56.
51. Le fait que l’article 3 de la CIEDR sur l’apartheid s’applique aux politiques et pratiques d’Israël aussi bien en Israël que dans le Territoire palestinien occupé trouve une confirmation
49 Cela est également confirmé par le Statut de Rome qui ne fait aucune référence à l’Afrique australe dans sa définition de l’apartheid comme crime contre l’humanité.
50 Voir également CERD, ‘General Recommendation XIX: The Prevention, Prohibition and Eradication of Racial Segregation and Apartheid’, A/50/18 (1995) par. 1.
51 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2074 (XX) du 17 décembre 1965, doc. A/RES/2074, par. 4.
52 Voir également Report of the Committee on the Elimination of Racial Discrimination, UN GAOR, 26th sess, Supp No 18, A/8418 (1971), p. 36 ; avis consultatif sur la Namibie, p. 57, par. 130, 131.
53 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 282 du 23 juillet 1970, doc. S/RES/282 (1970) (deuxième considérant).
54 Avis consultatif sur la Namibie, p. 57, par. 131.
55 P. Thornberry, The International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination: A Commentary, 2016, p. 259.
56 Avis consultatif sur le mur, p. 178, par. 106 ; et p. 180, par. 111 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 242-243, par. 216.
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supplémentaire dans les observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale adressées à Israël en 2019. Au paragraphe 23 de ce document, le Comité
« appelle l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale no 19 (1995) concernant l’article 3 de la Convention, qui porte sur la prévention, l’interdiction et l’élimination de toutes les politiques et pratiques de ségrégation raciale et d’apartheid. Il invite instamment l’État partie à donner pleinement effet à l’article 3 de la convention en éliminant toutes les formes de ségrégation entre les communautés juives et les communautés non juives et toutes les politiques ou pratiques à caractère ségrégationniste qui ont des conséquences graves pour la population palestinienne en Israël proprement dit et dans le Territoire palestinien occupé et l’affectent de manière disproportionnée »57.
52. Il est à noter que ces observations indiquent que les politiques et pratiques de discrimination raciale, de ségrégation et d’apartheid qui y sont visées touchent la population palestinienne dans deux juridictions, Israël et le Territoire palestinien occupé. Le Comité de la CIEDR a par ailleurs mis en place une commission de conciliation chargée d’étudier les violations de l’article 3, dont « les politiques de ségrégation raciale et d’apartheid » entre l’État de Palestine et Israël58.
IV. LES PRATIQUES D’APARTHEID CONTRE LE PEUPLE PALESTINIEN
53. La présente section traite de l’application de l’interdiction de l’apartheid issue du droit coutumier et de l’article 3 de la CIEDR à la situation en cause dans la présente procédure. On rappellera que chacune de ces règles, dont la définition est fournie à l’article II de la convention contre l’apartheid, est contraignante pour Israël et applicable sur les territoires relevant de sa juridiction, à savoir le territoire situé à l’intérieur de la Ligne verte (en Israël même), le Territoire palestinien occupé et le Golan syrien occupé. Pour ce qui concerne ce dernier territoire, la Namibie souhaite appeler l’attention sur la similitude des politiques et pratiques d’Israël envers les Syriens qui s’y trouvent, à savoir une occupation prolongée, des colonies et une annexion illicites, le déni du droit au retour et d’autres mesures discriminatoires.
54. La Namibie relève que rien dans la question posée par l’Assemblée générale ne limite l’examen de l’apartheid au seul Territoire palestinien occupé. Elle appelle notamment l’attention sur l’utilisation de la conjonction « et » dans le texte de la requête — « et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes » —, qui introduit une question distincte. La Namibie prie respectueusement la Cour d’examiner les mesures discriminatoires prises par Israël contre le peuple palestinien dans son ensemble.
55. À cet égard, la Namibie soutient qu’Israël manque à ses obligations découlant de l’interdiction de l’apartheid prescrite par le droit coutumier et l’article 3 de la CIEDR. Israël a imposé un système d’apartheid aux i) Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé, en particulier, ainsi qu’au ii) peuple palestinien dans son ensemble.
57 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques du 12 décembre 2019, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 23.
58 CERD/C/100/3, Inter-state communication submitted by the State of Palestine against Israel (12 décembre 2019) par. B(I) 2.6), accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/HRBodies/CERD/ CERD-C-100-3.pdf.
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a) La sous-section A est consacrée à une présentation générale des éléments constitutifs de l’interdiction de l’apartheid en droit international.
b) La sous-section B porte sur les éléments matériels de l’apartheid. La Namibie soutient que les pratiques d’Israël correspondent notamment aux éléments matériels énoncés aux paragraphes c) et d) de l’article II de la convention contre l’apartheid. Ces pratiques recouvrent des actes inhumains commis contre les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, en particulier, ainsi que contre le peuple palestinien dans son ensemble.
c) La sous-section C concerne la question des groupes raciaux. La Namibie soutient que les pratiques d’Israël sont mises en oeuvre contre un groupe racial, comme l’exige la définition de l’apartheid. Le groupe en question est formé par i) les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé ; et ii) le peuple palestinien dans son ensemble, constitué par les populations palestiniennes qui ont été fragmentées dans le Territoire palestinien occupé, les citoyens palestiniens d’Israël ainsi que les réfugiés et exilés palestiniens. De surcroît, ces pratiques sont mises en oeuvre au profit d’un autre groupe racial, à savoir les Israéliens juifs dans le Territoire palestinien occupé et en Israël.
d) La sous-section D traite de la condition de l’intention spécifique associée à l’apartheid. La Namibie soutient que les pratiques d’Israël ont été et continuent d’être mises en oeuvre avec l’intention spécifique de commettre l’acte illicite d’apartheid.
A. Éléments de l’interdiction de l’apartheid
56. Conformément à la définition énoncée plus haut, l’interdiction de l’apartheid au regard du droit coutumier et de l’article 3 de la CIEDR est composée de trois éléments :
a) Premièrement, l’État — par l’intermédiaire de ses organes et agents — doit commettre un ou plusieurs des actes inhumains d’apartheid visés aux paragraphes a) à f) de l’article II de la convention contre l’apartheid. Dans bien des cas, les actes inhumains ainsi énumérés emportent violation de libertés et de droits fondamentaux protégés par le droit international. Cela peut s’entendre comme l’élément matériel de l’acte illicite d’apartheid59.
b) Deuxièmement, ces actes inhumains doivent être commis contre un groupe racial ou des membres dudit groupe60.
c) Troisièmement, l’État — par l’intermédiaire de ses organes et agents — doit commettre ces actes inhumains « en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci », comme indiqué à l’article II de la convention contre l’apartheid. Cela peut s’entendre comme l’élément d’intention spécifique de l’acte illicite d’apartheid61.
59 Voir de même Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (ci-après « Bosnie c. Serbie »), p. 154, par. 276 ; et p. 175, par. 319 au sujet de l’élément matériel du génocide.
60 L’acte inhumain défini au paragraphe f) de l’article II de la convention contre l’apartheid n’est pas perpétré uniquement contre le groupe racial ou ses membres : « Persécuter des organisations ou des personnes, en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu’elles s’opposent à l’apartheid. »
61 Voir de même Bosnie c. Serbie, p. [121], par. 187.
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57. Au sujet de ces éléments, la Cour dispose d’abondants éléments de preuve factuels fournis par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies ; elle recevra également des éléments de preuve factuels détaillés de la part des participants à la présente procédure.
58. Dans la présente section, la Namibie mettra en exergue les éléments de preuve factuels relatifs à certaines politiques, pratiques et déclarations spécifiques qui, pris conjointement, démontrent que le manquement à l’interdiction de l’apartheid a bel et bien été établi. La quasi-totalité des documents mentionnés ci-après figurent dans le dossier du Secrétariat de l’ONU et émanent d’un organe ou d’une entité officielle de l’Organisation Nations Unies. Tous les autres documents mentionnés sont facilement accessibles en ligne, y compris les rapports d’organisations non gouvernementales palestiniennes, israéliennes et internationales qui ont examiné en détail la question de l’apartheid dans les territoires palestiniens occupés62.
B. L’élément matériel de l’apartheid
59. La commission par l’État de l’un quelconque des actes inhumains énumérés aux paragraphes a) à f) de l’article II de la convention contre l’apartheid suffit à établir l’élément matériel correspondant à l’interdiction de l’apartheid en droit international.
60. La présente sous-section est axée sur deux éléments de l’interdiction de l’apartheid, à savoir les éléments matériels visés aux paragraphes c) et d) de l’article II de la convention contre l’apartheid.
61. On notera pour mémoire que le dossier factuel qui a été déposé devant la Cour contient des éléments de preuve attestant la commission d’autres actes illicites d’apartheid énumérés. Il s’agit notamment des pratiques généralisées de privation illégale de liberté, en violation de l’alinéa iii) du paragraphe a) de l’article II de la convention contre l’apartheid63, auxquelles s’ajoutent également les mesures toujours plus restrictives de persécution des personnes qui s’opposent à l’imposition d’un régime d’apartheid, telles que décrites au paragraphe f) de l’article II de la convention contre l’apartheid64.
i) L’élément matériel défini au paragraphe c) de l’article II de la convention contre l’apartheid
62. Le paragraphe c) de l’article II de la convention contre l’apartheid qualifie d’acte inhumain d’apartheid le fait de
62 B’Tselem, ‘A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid’ (12 janvier 2021), position paper, p. 4 ; Al-Haq, ‘Israeli Apartheid: Tool of Zionist Settler Colonialism’ (2022), p. 99-110; Human Rights Watch, ‘A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution’ (rapport, 27 avril 2021), p. 176-183 ; Amnesty International, ‘Israel’s Apartheid against Palestinians: Cruel System of Domination and Crime against Humanity’ (rapport, 1er février 2022), p. 113-162.
63 Le paragraphe a) de l’article II de la convention contre l’apartheid se lit comme suit : « Refuser à un membre ou à des membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux le droit à la vie et à la liberté de la personne : en arrêtant arbitrairement et en emprisonnant illégalement les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux » — voir Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la rapporteuse spéciale Francesca Albanese, 21 septembre 2022, doc. A/77/356, par. 59.
64 Le paragraphe f) de l’article II de la convention contre l’apartheid se lit comme suit : « Persécuter des organisations ou des personnes, en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu’elles s’opposent à l’apartheid. » — voir à ce sujet Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 9 mai 2023, doc. A/HRC/53/22.
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« [p]rendre des mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés, en particulier en privant les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».
63. Le paragraphe c) de l’article II est au coeur de l’acte illicite d’apartheid en droit international en ce qu’il décrit les moyens structurels et systémiques pouvant être mis en oeuvre par un État pour empêcher l’épanouissement et le développement d’un groupe.
64. Depuis 1948, Israël a adopté des lois, politiques et pratiques visant à fragmenter le peuple palestinien. Celui-ci a été divisé en plusieurs « domaines » ou groupes administratifs65, jouissant de droits de degrés divers, dans un objectif de séparation et de ségrégation des domaines palestiniens entre eux. Cela empêche le groupe de s’épanouir et, ce faisant, prive le peuple palestinien de la possibilité d’exercer son droit à l’autodétermination.
65. Israël a) dénie depuis 1948 aux Palestiniens réfugiés, déplacés et exilés le droit de retrouver leurs logements, leurs terres et leurs biens, à raison de leur identité raciale ; b) pratique des discriminations contre les citoyens palestiniens, au bénéfice des ressortissants juifs, comme pendant la période du régime militaire de 1948 à 1966, ainsi que par le biais d’une oppression et d’une domination raciales persistantes ; c) contrôle le peuple palestinien en Cisjordanie occupée au moyen des lois sur l’occupation ; d) traite les Palestiniens dans Jérusalem-Est occupée comme des « résidents permanents », statut temporaire et révocable ; et e) traite la bande de Gaza occupée comme une « entité ennemie », ce qui a de graves répercussions pour les Palestiniens qui y vivent.
66. Deux objectifs sous-tendent cette fragmentation stratégique : celle-ci empêche tout d’abord la mobilisation collective des Palestiniens contre l’entreprise coloniale de peuplement d’Israël ; ensuite, elle garantit la poursuite de cette entreprise en maintenant la domination juive israélienne sur le peuple palestinien. Les lois, politiques et pratiques discriminatoires d’Israël sont apparues lors de la fondation de l’État d’Israël en 1948 et se sont poursuivies après l’occupation du territoire palestinien en 1967, en application des ordonnances militaires.
67. La Namibie maintient sa position selon laquelle l’apartheid pratiqué par Israël s’étend sur deux juridictions de part et d’autre de la Ligne verte et constitue un régime de domination sur les Palestiniens aussi bien en Israël que dans le Territoire palestinien occupé. Elle a fait la déclaration suivante devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies :
« Si Israël continue d’ignorer les appels à mettre fin à son occupation illégale, à son système d’apartheid et aux violations des droits de l’homme qui en découlent, le Conseil devra examiner la possibilité d’établir un mécanisme destiné à traiter
65 Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale, ‘Israeli Practices towards the Palestinian People and the Question of Apartheid’ (2017), doc. E/ESCWA/ECRI/2017/1 ; State of Palestine, It Is Apartheid: The Reality of Israel’s Colonial Occupation of Palestine (2021) p. 18, accessible à l’adresse suivante : https://www.nad.ps/sites/default/files/20201230.pdf.
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exclusivement des pratiques d’apartheid d’Israël contre le peuple palestinien de part et d’autre de la Ligne verte. »
66
68. Depuis 1948, Israël a adopté des lois, politiques et pratiques discriminatoires contre le peuple palestinien dans son ensemble. La teneur de ces mesures est décrite en détail dans les rapports d’organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch et Amnesty International67.
a) La loi du retour (1950) et la loi sur la citoyenneté (1952) prévoient que la citoyenneté « est accordée à tout Juif ayant exprimé le désir de s’établir en Israël » et que « tout Juif a le droit de venir dans ce pays en tant qu’oleh », tout en pratiquant une discrimination contre le peuple palestinien originaire du territoire68. La loi sur la citoyenneté et la loi du retour prévoient que tout « oleh », c’est-à-dire « tout Juif » qui entre sur le territoire contrôlé par Israël, « devient citoyen israélien », en omettant une fois encore expressément toute disposition relative au droit au retour des Palestiniens69.
b) La loi sur les biens des absents prévoit la confiscation des biens des réfugiés palestiniens classés dans les catégories des « absents » ou des « personnes qui ont été expulsées, ont fui ou ont quitté le pays après le 29 novembre 1947, principalement en raison de la guerre »70. Les biens palestiniens ainsi saisis ont été redistribués à des Juifs israéliens en application de la loi sur l’acquisition des terres (1953), dans le cadre d’une vaste entreprise de colonisation71.
66 Point 7 du débat général (suite) — 31e réunion, cinquante et unième session ordinaire du Conseil des droits de l’homme (30 septembre 2022), [UN Web TV] Namibie, Mme Hilleni Tangi Ndeyamo Shikongo (30:46) )[(accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1k/k1k9v1gs2x)]. Voir également la présentation des rapports et point 7 du débat général — 46e réunion, quarante-neuvième session ordinaire du Conseil des droits de l’homme (25 mars 2022), [UN Web TV] Namibie, M. Jerry Mika (52:00) [(accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/ k1b/k1b8kp6znv)] :
« La Namibie considère en outre qu’il se peut que les entreprises présentes dans les colonies soient complices des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, y compris l’apartheid, commis par Israël contre le peuple palestinien. »
67 Al-Haq, Israeli Apartheid: Tool of Zionist Settler Colonialism (29 November 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/advocacy/20931.html ; Al Mezan, The Gaza Bantustan — Israeli Apartheid in the Gaza Strip (29 November 2021), accessible à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/occupied-palestinian-territory/gaza-bantustan-israeli-apartheid-gaza-strip ; Amnesty International, Israel’s Apartheid Against Palestinians: A Look Into Decades of Oppression and Domination (February 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2022/02/israels-system-of-apartheid/ ; B’Tselem, A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid (12 January 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/publications/fulltext/202101_this_is_apartheid ; Harvard and Addameer, A Legal Analysis of Israel’s Actions, Joint Submission to the United Nations Independent International Commission of Inquiry on the Occupied Territory, including East Jerusalem, and Israel (28 February 2022), accessible à l’adresse suivante : http://hrp.law.harvard.edu/wp-content/uploads/2022/03/IHRC-Addameer-Submission-to-HRC-COI-Apartheid-in-WB.pdf ; Human Rights Watch, A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution (27 April 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution. Voir également, State of Palestine, It Is Apartheid: The Reality of Israel’s Colonial Occupation of Palestine (2021) p. 18, accessible à l’adresse suivante : https://www.nad.ps/sites/default/files/20201230.pdf.
68 Law of Return 5710-1950 (5 juillet 1950), accessible à l’adresse suivante : https://mfa.gov.il/mfa/mfa-archive/1950-1959/pages/law%20of%20return%205710-1950.aspx.
69 Nationality Law, 5712 – 1952, accessible à l’adresse suivante : https://www.knesset.gov.il/review/data/eng/law/ kns2_nationality_eng.pdf.
70 Le paragraphe a) de l’article 19 de la loi sur les biens des absents (Absentees’ Property Law, 1950) dispose qu’il est « légal pour l’administrateur-séquestre de vendre le bien à cette autorité chargée du développement ».
71 Land Acquisition (Validation of Acts and Compensation) Law (1953). Voir Adalah to Attorney General and Custodian of Absentee Property: Israel’s Sale of Palestinian, accessible à l’adresse suivante : https://www.adalah .org/en/content/view/7003.
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c) La colonisation juive des terres reste inscrite dans la loi fondamentale — Israël, État-nation du peuple juif (2018) qui dispose que « l’État d’Israël est l’État-nation du peuple juif » et y restreint le droit à l’autodétermination « au peuple juif », tout en définissant le développement des colonies juives comme une priorité nationale. En application de l’amendement 40 de la loi de finances, le ministre des finances peut refuser d’octroyer des financements publics aux institutions qui rejettent l’existence d’Israël en tant qu’« État juif et démocratique » ou qui tentent de célébrer « la fête de l’indépendance d’Israël ou le jour de la création de l’État comme un jour de deuil », ces lois ayant un effet discriminatoire direct sur le peuple palestinien72.
69. Les pratiques d’Israël à l’égard des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé constituent également une violation de l’élément matériel de l’interdiction de l’apartheid, visé au paragraphe c) de l’article II de la convention contre l’apartheid. Les mesures et pratiques suivantes en fournissent l’illustration :
a) l’établissement des colonies de peuplement et des régimes qui y sont associés ;
b) l’exploitation des ressources naturelles, et notamment des ressources en eau dans l’ensemble des zones sous contrôle israélien ;
c) le contrôle exercé sur le développement économique et social au moyen de pratiques de zonage restrictives, notamment au travers de l’attribution discriminatoire des ressources et des services au détriment du plein développement du peuple palestinien ;
d) l’imposition de restrictions disproportionnées à la liberté de mouvement des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé ainsi que la politique de déni du droit au retour des Palestiniens réfugiés, déplacés et exilés ;
e) l’absence de mesures raisonnables visant à protéger les Palestiniens contre les actes de violence privée commis par les colons dans le Territoire palestinien occupé ;
f) la mise en place plus générale d’un double système juridique dans le Territoire palestinien occupé dans lequel les droits fondamentaux des Palestiniens, dont les droits politiques de réunion, d’opinion et d’expression, ainsi que le droit d’association sont limités de manière injustifiable ; et
g) le déni des libertés et droits de l’homme fondamentaux aux Palestiniens, en particulier ceux qui sont maintenus en état de siège et de bouclage illicite dans la bande de Gaza.
70. Premièrement, Israël continue inlassablement d’établir et d’aider à établir des colonies de peuplement civiles73. En soi, cette pratique enfreint l’interdiction faite à un État de procéder au transfert de sa propre population civile dans un territoire occupé, prescrite par l’article 49 de la quatrième convention de Genève, qui présente un caractère contraignant pour Israël. Cela a été largement reconnu par la communauté internationale, dont le Conseil de sécurité74, l’Assemblée
72 “Nakba Law” — Amendment No. 40 to the Budgets Foundations Law, 2011, accessible à l’adresse suivante : https://www.adalah.org/en/law/view/496.
73 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 25 ; cinquième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 22 octobre 2020, doc. A/75/532, par. 14, relevant que « [r]ien qu’en 2020, Israël a approuvé ou avancé la construction de plus de 12 150 logements, le chiffre le plus élevé jamais enregistré depuis 2012, date à laquelle de tels chiffres ont commencé à être enregistrés par Peace Now ».
74 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 446 du 22 mars 1979, doc. S/RES/446 ; 465 du 1er mars 1980, doc. S/RES/465 ; et 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334.
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générale
75 et la Cour dans son avis consultatif sur le mur76. Une telle pratique constitue également un crime de guerre aux termes de l’alinéa viii) de la litt. b) du paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome77. En outre, le projet d’implantation de colonies de peuplement dans son ensemble — et le régime juridique qui les encadre — fait obstacle au plein développement des Palestiniens en tant que groupe78. Comme l’a conclu en 2022 le rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante,
« [l]’établissement, le maintien et l’expansion des colonies israéliennes dans toute la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, ont fragmenté la population palestinienne et isolé les Palestiniens de leurs terres ainsi que des autres communautés palestiniennes. La Commission souligne que les colonies, où qu’elles soient situées, ont des effets en cascade sur les Palestiniens de l’ensemble de la Cisjordanie. »79
71. Deuxièmement, les pratiques d’Israël en matière d’exploitation des ressources naturelles empêchent les Palestiniens de participer pleinement à la vie économique et font obstacle à leur plein développement en tant que groupe. Ces pratiques constituent également une atteinte au droit de souveraineté permanente du peuple palestinien sur ses ressources naturelles80 et dépassent le cadre des justifications possibles au titre du droit de l’occupation81. Pour ne prendre qu’un seul exemple — celui de l’eau —, on peut lire la conclusion suivante dans le rapport précité de la Commission d’enquête internationale indépendante : « Israël a pris le contrôle de toutes les ressources en eau de la Cisjordanie et en utilise une grande partie pour satisfaire ses propres besoins »82. Cela a des répercussions directes sur le potentiel économique de l’agriculture palestinienne83 et sur le développement économique général des Palestiniens en tant que groupe. La question de l’accès à l’eau a été examinée de manière plus détaillée par la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme dans le rapport qu’elle a présenté en 2021 au Conseil des droits de l’homme. Ce rapport montre de quelle manière « les politiques et pratiques de l’occupant israélien empêchent le peuple palestinien d’exercer ses droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est »84. En outre, dans ses observations finales concernant
75 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/126 du 12 décembre 2022, doc. A/RES/77/126.
76 Avis consultatif sur le mur, p. 183, par. 120.
77 Le crime de guerre défini à l’alinéa viii) de la litt. b) du paragraphe 2 de l’article 8 a été expressément mentionné dans la demande présentée en 2020 par le procureur de la CPI pour que la Cour se prononce sur sa compétence territoriale en Palestine — voir CPI, Prosecution request pursuant to article 19(3) for a ruling on the Court’s territorial jurisdiction in Palestine, Chambre préliminaire I, no ICC-01/18, 22 janvier 2020, par. 95.
78 Le projet de colonisation et les pratiques qui y sont associées constituent également une violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination — à ce sujet, voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 ; et avis consultatif sur le mur, p. 172, par. 88 ; et p. 184, par. 122.
79 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 30.
80 Voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/187 du 22 décembre 2022, doc. A/RES/77/187, par. 1 : L’Assemblée générale « [r]éaffirme les droits inaliénables du peuple palestinien et de la population du Golan syrien occupé sur leurs ressources naturelles, notamment leurs terres et les ressources en eau et en énergie » ; et, à titre de texte fondateur, la résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962, doc. A/1803 (XVII).
81 Règlement de La Haye (1907), art. 55. Voir aussi Nations Unies, Conseil économique et social, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « Questions de fond concernant la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels », art. 11, « Observation générale no 15 — Le droit à l’eau », 2002, doc. E/C.12/2002/11.
82 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 35.
83 Ibid., par. 72 et 74.
84 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, 15 octobre 2021, doc. A/HRC/48/43, par. 3.
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le quatrième rapport périodique d’Israël, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a exhorté Israël à « mettre un terme à la destruction des infrastructures hydrauliques palestiniennes et faire en sorte que les Palestiniens aient accès à une eau salubre et potable en quantité suffisante »
85.
72. Troisièmement, Israël exerce un contrôle sur le développement économique et social du peuple palestinien par le biais d’un vaste système de planification et de zonage en Cisjordanie86. Les demandes de permis de construire sont généralement rejetées87 et « [l]’application militaire par Israël des règles en matière de biens fonciers, de zonage et de propriété à Jérusalem-Est et en Cisjordanie bénéficie de manière discriminatoire aux colons juifs israéliens et désavantage considérablement les Palestiniens »88. Le système de planification et de zonage prévoit la démolition des logements construits sans permis dans la zone C ; associé aux démolitions punitives de logements et à la création d’environnements coercitifs89, il a provoqué le transfert forcé systématique et généralisé de la population palestinienne. Entre 2009 et juillet 2023, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a enregistré la destruction par Israël de 9 629 structures, ce qui a provoqué le déplacement forcé de 14 051 Palestiniens90. De fait, en 2022, dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, le Comité des droits de l’homme observait « qu’il … [étai]t quasi impossible [pour les Palestiniens] d’obtenir un permis de construire, à cause du régime restrictif de zonage et d’aménagement en Cisjordanie »91. Les pratiques afférentes à ce contrôle sont assimilables à la création délibérée des conditions faisant obstacle au plein développement du peuple palestinien. Elles ont également de graves conséquences sur le droit des Palestiniens au travail, qui est protégé par le droit international92.
73. Quatrièmement, la liberté de circulation des Palestiniens est entravée par l’imposition d’un système coercitif de points de contrôle et de fouilles, y compris des femmes et des filles93. Du fait de son application collective et de son caractère disproportionné, aucune justification découlant du droit international ne saurait s’appliquer à ce système coercitif94. En outre, dans le sixième rapport qu’il a
85 Nations Unies, Conseil économique et social, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, 12 novembre 2019, doc. E/C.12/ISR/CO.4, par. 47.
86 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 41-42 :
« Les Palestiniens obtiennent rarement les permis nécessaires pour construire des structures résidentielles ou des structures destinées à des activités économiques ou pour mettre en place des infrastructures. Pendant la période de 10 ans allant de 2009 à 2018, seulement 2 % environ des demandes de permis de construire ont été approuvées. En 2019 et en 2020, 32 demandes de permis et plans de construction présentés par des Palestiniens ont été approuvés et 310 autres ont été rejetés, tandis que l’Administration civile d’Israël a approuvé les plans relatifs à 16 098 unités dans les colonies israéliennes. »
87 Nations Unies, Assemblée générale, quatrième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 21 octobre 2019, doc. A/74/507, par. 15.
88 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 50.
89 OCHA, Coercive environment intensified on herding Communities in southern Hebron (15 décembre 2017), accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/coercive-environment-intensified-herding-communities-southern-hebron.
90 OCHA, Data on demolition and displacement in the West Bank (chiffres valables au 15 juillet 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/data/demolition.
91 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 42.
92 Au sujet de la teneur de ce droit, voir Nations Unies, Conseil économique et social, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 18, « Le droit au travail », 2005, doc. E/C.12/GC/186.
93 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 55 et 59.
94 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 12.
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présenté à l’Assemblée générale, Michael Lynk, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a relevé que ce système de points de contrôle et de barrages routiers « continu[ai]t d’entraver effectivement l’accès des Palestiniens à leurs droits et services, notamment en matière de santé, d’éducation et de travail »
95. Cela s’inscrit dans le prolongement de la conclusion spécifique à laquelle la Cour est parvenue dans son avis consultatif sur le mur lorsqu’elle a recensé les conséquences qu’avait le mur sur le droit des Palestiniens à la libre circulation, ainsi que sur leur accès aux services de santé, à l’éducation et à l’eau96.
74. Cinquièmement, en violation de ses devoirs en tant que puissance occupante ainsi que de ses obligations de protection découlant du droit international relatif aux droits de l’homme97, Israël n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour protéger les Palestiniens des actes de violence commis par les colons, apportant souvent une protection et un soutien à ceux qui commettaient de tels actes98. Cela a créé une « atmosphère d’impunité [autour des] attaques de colons »99, laquelle contribue à son tour à l’incapacité des Palestiniens d’exercer leurs libertés fondamentales garanties par le droit international.
75. Sixièmement, ces pratiques spécifiques se déroulent dans le contexte plus large d’un double système juridique qui assure des privilèges aux colons israéliens illicitement présents dans le Territoire palestinien occupé et bafoue les droits de l’homme du peuple palestinien100. Israël se livre à des arrestations et internements arbitraires massifs de Palestiniens, ce qui se traduit notamment par la généralisation des détentions administratives sans jugement101, qui dépassent le cadre des justifications possibles au titre de sa dérogation aux dispositions de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques102. Israël impose de strictes restrictions aux droits au regroupement familial103. La liberté de réunion, d’opinion et d’expression, ainsi que d’association du peuple palestinien fait l’objet de sévères restrictions104 d’une manière systématique et collective, ce qui se traduit par une limitation disproportionnée au regard du droit international105. En outre, les
95 Nations Unies, Assemblée générale, sixième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 22 octobre 2021, doc. A/76/433, par. 13.
96 Avis consultatif sur le mur, p. 189-190, par. 133 ; et p. 193-194, par. 137.
97 Règlement de La Haye (1907), art. 43 ; Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observation générale no 36 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par. 21.
98 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 66 ; quatrième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 21 octobre 2019, doc. A/74/507, par. 15 ; sixième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 22 octobre 2021, doc. A/76/433, par. 16-19 ; rapport du Comité spécial, 29 septembre 2021, doc. A/76/360, par. 25-26.
99 Nations Unies, Assemblée générale, sixième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 22 octobre 2021, doc. A/76/433, par. 19. Voir également Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 24.
100 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 47 ; Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 38-45.
101 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la rapporteuse spéciale Francesca Albanese, 21 septembre 2022, doc. A/77/356, par. 59.
102 Au sujet des limites des dérogations, Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observation générale no 29 – « États d’urgence (2001), doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.11.
103 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 24.
104 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 47 ; quatrième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 21 octobre 2019, doc. A/74/507, par. 18.
105 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 19, 21-22.
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libertés politiques du peuple palestinien, et notamment de la société civile, ont été gravement mises à mal
106. Cela s’est traduit par une législation ciblant l’espace civique, le recours à la législation antiterroriste, le harcèlement des défenseurs des droits de l’homme et l’adoption par Israël de mesures punitives collectives en tant que puissance occupante107.
76. Septièmement, les politiques et pratiques d’Israël dans la bande de Gaza ont des conséquences graves pour les Palestiniens. L’entrave à la liberté de circulation, qui a notamment pour effet d’empêcher des patients de se rendre ou d’arriver à l’heure à des rendez-vous médicaux pour suivre des séances de chimiothérapie ou d’autres traitements108, ainsi que le fait d’empêcher la population occupée assiégée d’avoir accès aux produits humanitaires de base, à savoir un approvisionnement suffisant en combustible, en électricité et en eau, ainsi que des services d’assainissement adéquat, sont assimilables à un châtiment collectif. Cela a été confirmé par le rapporteur spécial des Nations Unies, Michael Lynk109, et emporte violation de l’article 50 du règlement de La Haye et de l’article 33 de la quatrième convention de Genève110.
77. Ces mesures et pratiques constituent un système institutionnalisé dans lequel deux groupes de personnes relevant de la juridiction d’Israël sont traités de manière radicalement différente111. Comme l’a conclu en 2019 le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans ses observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, il y a dans le Territoire palestinien occupé deux groupes
« qui vivent sur le même territoire mais ne sont pas sur un pied d’égalité pour ce qui est de l’utilisation du réseau routier et des infrastructures et de l’accès aux services de base et aux ressources en eau. Cette séparation se manifeste concrètement par l’existence d’un ensemble complexe de restrictions à la liberté de circulation découlant de la présence du Mur, des implantations, des barrages routiers et des postes de contrôle militaires, ainsi que de l’obligation d’utiliser des routes distinctes et de l’application d’un régime de permis »112.
106 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 9 mai 2023, doc. A/HRC/53/22.
107 Ibid., par. 11-35.
108 National Library of Medicine, “Comparative survival of cancer patients requiring Israeli permits to exit the Gaza Strip for health care: A retrospective cohort study from 2008 to 2017” (2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8172025/.
109 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Israel’s collective punishment of Palestinians illegal and an affront to justice: UN expert (17 juillet 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/ en/press-releases/2020/07/israels-collective-punishment-palestinians-illegal-and-affront-justice-un.
110 Selon le rapport de l’ONG palestinienne Al Mezan, les politiques d’Israël « démontrent l’intention d’Israël de séparer et de diviser les Palestiniens, ainsi que de modifier la composition démographique de la population palestinienne tout entière afin d’asseoir sa domination sur elle. Enclave bouclée, coupée du reste du Territoire palestinien occupé et contrôlée par Israël dans le cadre de son système d’apartheid, Gaza est une bande de terre comparable à un bantoustan sud-africain » – The Gaza Bantustan: Israeli Apartheid in the Gaza Strip (2021) — accessible à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/occupied-palestinian-territory/gaza-bantustan-israeli-apartheid-gaza-strip. Voir aussi Human Rights Watch, A Threshold Crossed Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution (2021), p. 73-77, 128-14, accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2021/04/israel_palestine0421_web _0.pdf.
111 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 38-45.
112 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 22.
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78. De la même manière, au début de cette année, le Conseil des droits de l’homme a demandé à Israël, en tant que puissante occupante,
« [d]e prendre immédiatement des mesures pour interdire et abolir toutes les politiques et pratiques qui sont discriminatoires à l’égard de la population palestinienne du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et touchent de façon disproportionnée cette population, notamment en mettant un terme au système de routes séparées à l’usage exclusif des colons israéliens, qui résident illégalement dans ledit territoire, à la combinaison complexe de restrictions à la liberté de circulation, à savoir le mur, les barrages routiers et le régime de permis qui ne s’applique qu’à la population palestinienne, à l’application de deux systèmes juridiques distincts, qui a facilité la création et la consolidation des colonies, et à d’autres violations et formes de discrimination institutionnalisée »113.
79. En résumé, au regard du paragraphe c) de l’article II de la convention contre l’apartheid, les mesures législatives et autres prises par Israël constituent, en particulier du fait de la violation de droits fondamentaux protégés par le droit international :
a) des mesures destinées à empêcher les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que le peuple palestinien dans son ensemble, de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle ; et
b) la création délibérée de conditions faisant obstacle au plein développement des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé et du peuple palestinien dans son ensemble.
80. En tant que telles, lesdites mesures permettent d’établir l’élément matériel de l’interdiction de l’apartheid au regard du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR, tel que visé au paragraphe c) de l’article II de la convention contre l’apartheid.
ii) L’élément matériel défini au paragraphe d) de l’article II de la convention contre l’apartheid
81. Le paragraphe d) de l’article II de la convention contre l’apartheid qualifie d’acte inhumain d’apartheid le fait de
« [p]rendre des mesures, y compris des mesures législatives, visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, en interdisant les mariages entre personnes appartenant à des groupes raciaux différents, et en expropriant les biens-fonds appartenant à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux ou à des membres de ces groupes ».
82. Dans cette sous-section, la Namibie examinera l’imposition par Israël de mesures visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves séparées pour les Palestiniens, ainsi que l’expropriation des biens-fonds appartenant aux Palestiniens. Chacune de ces pratiques constitue une infraction à l’interdiction de l’apartheid au regard de l’élément matériel visé au paragraphe d) de l’article II de la convention contre l’apartheid.
113 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, résolution du 4 avril 2023, intitulée « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », 20 avril 2023, doc. A/HRC/RES/52/35, par. 7, al. c).
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83. Premièrement, s’agissant de l’imposition de mesures visant à diviser la population selon des critères raciaux, une conséquence essentielle et intentionnelle du projet de colonisation et des pratiques qui s’y rattachent est d’accentuer le confinement des Palestiniens dans des parties de territoire distinctes et à la superficie de plus en plus réduite. Ces mesures « visent » à diviser la population.
84. Comme cela a été mentionné précédemment, les Palestiniens sont séparés et répartis dans des domaines différents, divisés en « réserves » administratives distinctes, notamment par des mesures législatives. Cela empêche le peuple palestinien dans son ensemble de se retrouver ne serait-ce que physiquement — les Palestiniens de Gaza ne peuvent quitter la bande de Gaza et ne sont pas autorisés à rendre visite à d’autres Palestiniens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem, ou à des Palestiniens citoyens d’Israël. Les réfugiés palestiniens ne peuvent eux non plus rentrer voir d’autres Palestiniens. Le regroupement familial est refusé dans tous les domaines. En application de la loi israélienne sur la citoyenneté et l’entrée en Israël (dispositions temporaires) (2003), reconduite en 2023,
« le ministre de l’intérieur ne peut accorder la citoyenneté au résident d’une zone (la Cisjordanie et la bande de Gaza) en application de la loi sur la citoyenneté ; il ne peut lui octroyer l’autorisation de résider en Israël en application de la loi sur l’entrée en Israël ; le commandant de la zone ne peut délivrer audit résident un permis de séjour en Israël, en application de la législation sur la sécurité dans la zone »114.
85. Le refus du regroupement familial pour les Palestiniens de statuts différents fait partie intégrante de l’entrave à leur droit à l’autodétermination et est assimilable à un acte inhumain d’apartheid.
86. S’agissant de Gaza, l’État de Palestine constate que « [l]e confinement du peuple palestinien dans la bande de Gaza assiégée et densément peuplée, qui constitue une entité séparée et distincte, est clairement démontré par le caractère désormais permanent du bouclage et du blocus illicites de la bande de Gaza »115. Dans Jérusalem prétendument annexée, l’application par Israël du paragraphe b) de l’article premier de la loi sur l’entrée en Israël 5712–1952 impose un statut temporaire et révocable de « résident permanent » aux Palestiniens autochtones de Jérusalem, les contraignant à prouver continuellement que leur « centre de vie » se trouve dans la ville116. Les personnes qui ne sont pas en mesure de prouver leur statut de résident sont transférées de force hors de celle-ci. À ce jour, 14 500 personnes ont fait l’objet de cette mesure117. Dans le reste de la Cisjordanie, la circulation des Palestiniens est entravée par la construction du mur et le régime de permis qui lui est associé, qui privent les intéressés de l’accès à Jérusalem et fragmentent le territoire118. Les réfugiés palestiniens se voient systématiquement refuser le droit de rentrer dans leurs
114 The Citizenship and Entry into Israel Law (temporary provision) 5763 — 2003, accessible à l’adresse suivante : https://www.knesset.gov.il/laws/special/eng/citizenship_law.htm ; TOI Staff, Knesset extends law banning Palestinian family unification for another year, The Times [of] Israel (6 mars 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.times ofisrael.com/knesset-extends-law-banning-palestinian-family-unification-for-another-year/.
115 État de Palestine, ‘It Is Apartheid: The Reality of Israel’s Colonial Occupation of Palestine’ (2021) p. 32, accessible à l’adresse suivante : https://www.nad.ps/sites/default/files/20201230.pdf
116 Entry into Israel Law, 5712 – 1952, art. 1 b).
117 OCHA, West Bank Palestinians at Risk of Forcible Transfer, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/sites/default/files/palestinians_at_risk_of_forcible_transfer.pdf.
118 Voir avis consultatif sur le mur, p. 191-192, par. 134.
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foyers et de retrouver leurs terres et leurs biens en Israël et dans le Territoire palestinien occupé
119. Toutes ces mesures contribuent à diviser la population selon des critères raciaux, en séparant les Palestiniens en groupes distincts. De la même manière, les Palestiniens déplacés à l’intérieur de la Ligne verte se voient refuser le droit de rentrer dans leur ville d’origine ainsi que celui de reprendre possession de leurs terres et de leurs biens.
87. Pour ce qui concerne Jérusalem-Est, la Commission d’enquête internationale indépendante a conclu dans son rapport de septembre 2022 que « [p]lus d’un tiers de la superficie de Jérusalem-Est a[vait] été expropriée pour la construction de colonies israéliennes, seulement 13 % de la zone annexée étant actuellement affectée à la construction de bâtiments palestiniens ». On assiste à la généralisation de la pratique des expulsions forcées120 et à la création d’un « éventail de droits de résidence limité et ténu [pour les] 360 000 Palestiniens » vivant à Jérusalem-Est121.
88. De la même manière, l’implantation de nouvelles colonies de peuplement en Cisjordanie, autorisée par Israël et incluant des avant-postes sur des terres palestiniennes privées, a accru la fragmentation et l’isolement des communautés palestiniennes122. Dans la zone C, Israël a adopté une pratique généralisée consistant à désigner des zones comme « terres d’État » et à s’approprier les terres pour en faire, notamment, des zones d’entraînement militaire et des réserves naturelles ou archéologiques123, avec des conséquences néfastes pour les Palestiniens. Comme cela a été mentionné plus haut, les actes de violence privée « ont forcé de nombreux habitants palestiniens à quitter les zones touchées tandis que l’extension de l’implantation israélienne se poursuit, encerclant de fait les populations palestiniennes et réduisant l’espace dont elles disposent pour vivre »124.
89. Deuxièmement, s’agissant de l’expropriation des biens-fonds, Israël se livre à une pratique généralisée d’expropriation des biens palestiniens à l’intérieur de la Ligne verte et dans le Territoire palestinien occupé :
a) Cela a donné lieu à des expropriations à grande échelle dans Jérusalem-Est occupée pour la construction de colonies125, de même qu’en Cisjordanie126. Il a ainsi été procédé à de vastes transferts « à l’État des droits de propriété de Palestiniens de Jérusalem-Est », dans le but de
119 Nations Unies, étude du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, The Right of Return of the Palestinian People (1978), accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-210170/.
120 Nations Unies, Assemblée générale, quatrième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 21 octobre 2019, doc. A/74/507, par. 19 ; rapport du Comité spécial, 29 septembre 2021, doc. A/76/360, par. 22-24.
121 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 35.
122 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 27 et 30.
123 Ibid., par. 33 ; Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 15 ; Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76, par. 20-21.
124 Nations Unies, Assemblée générale, quatrième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 21 octobre 2019, doc. A/74/507, par. 15.
125 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 14.
126 Ibid., par. 31-40 ; voir également Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 43.
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faciliter l’expansion des colonies
127. Ces actions, ainsi que les pratiques qui y sont associées, dépassent sans conteste le cadre des justifications pouvant découler du droit de l’occupation ou du droit international relatif aux droits de l’homme, et sont, de fait, prohibées par les dispositions relatives aux biens des articles 46, 52, 55 et 56 du règlement de La Haye de 1907.
b) De plus, les démolitions de biens palestiniens en Cisjordanie, également associées à l’expansion des colonies, sont monnaie courante128. Aux termes de l’article 53 de la quatrième convention de Genève, les destructions de biens privés ne peuvent être justifiées que dans les cas où elles sont « rendues absolument nécessaires par les opérations militaires »129. Cette condition n’est pas remplie dans la grande majorité de ces pratiques actuelles. Plus généralement, comme l’a conclu la Commission d’enquête internationale indépendante dans son rapport de septembre 2022,
« [l]a démolition et la confiscation de structures de subsistance telles que des commerces, des abris pour le bétail, des murs et des entrepôts, ainsi que d’infrastructures comme des canalisations, des citernes et des routes, réduisent considérablement l’accès des Palestiniens aux moyens de subsistance »130.
c) Ces pratiques constituent un élément central de la création d’un régime institutionnalisé de discrimination et de contrôle et rappellent les politiques du Gouvernement de l’Afrique du Sud ciblant les Sud-Africains noirs ainsi que les déplacements forcés de ces derniers131.
90. Les pratiques d’expropriation et de confiscation de terres appartenant à des Palestiniens mises en oeuvre par Israël ont été condamnées à maintes reprises par l’Assemblée générale132 et par le Conseil des droits de l’homme133. En outre, en 2022, dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, le Comité des droits de l’homme a instamment prié cet État de « mettre fin à la pratique consistant à exproprier des Palestiniens et la population arabe syrienne de leurs terres et à déclarer celles-ci “terres d’État” à des fins de colonisation »134.
127 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 14.
128 Ibid., par. 45, et 60-63 ; Nations Unies, Assemblée générale, quatrième rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 21 octobre 2019, doc. A/74/507, par. 16.
129 Quatrième convention de Genève, art. 53.
130 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 62.
131 Voir, en particulier, Group Areas Act 41 de 1950 et Group Areas Act 36 de 1966.
132 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 77/126 du 12 décembre 2022, doc. A/RES/77/126, par. 8 ; et 76/82 du 9 décembre 2021, doc. A/RES/76/82, par. 8.
133 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, résolution du 20 avril 2023, intitulée « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/RES/52/35, par. 5 ; ibid., résolution du 11 avril 2022, intitulée « Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/RES/49/29, par. 5.
134 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 15.
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91. De plus, les rapports récents de plusieurs organisations non gouvernementales palestiniennes, israéliennes et internationales présentent les pratiques d’expropriation d’Israël comme constituant un élément central de l’imposition d’un régime d’apartheid par ce pays135.
92. En résumé, au regard du paragraphe d) de l’article II de la convention contre l’apartheid, ces pratiques, qui ciblent les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé ainsi que le peuple palestinien dans son ensemble, constituent :
a) des mesures visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d’un groupe racial ; et
b) des mesures d’expropriation des biens-fonds appartenant à des membres de ce groupe racial.
93. En tant que telles, elles permettent d’établir l’élément matériel constitutif de l’interdiction de l’apartheid au regard du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR, tel que visé au paragraphe d) de l’article II de la convention contre l’apartheid.
iii) Conclusion relative à l’élément matériel de l’apartheid
94. Les mesures et pratiques mises en oeuvre par Israël remplissent les conditions requises, visées aux paragraphes c) et d) de l’article II de la convention contre l’apartheid, pour conclure à l’existence de l’élément matériel d’apartheid selon le droit international coutumier et l’article 3 de la CIEDR. Considérées conjointement, et associées à d’autres violations des droits fondamentaux du peuple palestinien, ces mesures et pratiques établissent un régime de domination et d’oppression systématique s’appliquant aussi bien en Israël que dans le Territoire palestinien occupé.
C. La question des groupes raciaux
95. Dans la sous-section précédente, la Namibie a démontré que les pratiques d’Israël contrevenaient à l’élément matériel constitutif de l’interdiction de l’apartheid. Dans la présente sous-section, elle examinera le deuxième élément de l’interdiction, celui qui a trait aux groupes raciaux. Il serait particulièrement utile que la Cour procède à l’interprétation de cet élément et établisse sans équivoque que les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que le peuple palestinien dans son ensemble, constituent des groupes raciaux aux fins de l’acte illicite d’un État et du crime d’apartheid.
96. L’apartheid implique l’oppression systématique d’un groupe racial. En premier lieu, chacun de ses éléments matériels, visés aux paragraphes a) à e) de l’article II de la convention contre l’apartheid, concerne des actes inhumains commis contre un groupe racial ou les membres d’un groupe racial. Seul le paragraphe f) de l’article II fait exception à cette règle : « Persécuter des organisations ou des personnes, en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu’elles s’opposent à l’apartheid ». En second lieu, l’objectif de l’État doit être d’instituer ou d’entretenir la domination « d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial ».
135 Voir, par exemple, B’Tselem, ‘A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid’ (12 January 2021), position paper, p. 4 ; Al-Haq, ‘Israeli Apartheid: Tool of Zionist Settler Colonialism’ (2022), p. 99-110 ; Human Rights Watch, ‘A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution’ (report, 27 April 2021), p. 176-183 ; Amnesty International, ‘Israel’s Apartheid against Palestinians: Cruel System of Domination and Crime against Humanity’ (report, 1 February 2022), p. 113-162.
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97. La question initiale concerne donc la signification du mot « racial » dans ce contexte. Le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR dispose ce qui suit :
« Dans la présente Convention, l’expression “discrimination raciale” vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »136
98. Cette définition du terme « racial » s’applique pareillement au terme « apartheid » figurant à l’article 3 de la CIEDR. De fait, dans cet article, l’apartheid doit s’entendre comme une forme particulière de « discrimination raciale » systématique, telle que définie par la CIEDR, où l’objectif de l’État est d’instituer un régime de domination raciale.
99. Il en va de même de l’interdiction de l’apartheid en droit coutumier. La définition précitée énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, convention ratifiée par 182 États, correspond à l’interprétation générale par la communauté internationale de l’expression « discrimination raciale » en droit international. Rien n’autorise à penser que cette conception de la discrimination raciale ne s’applique pas également à l’interdiction de l’apartheid en droit coutumier137.
100. En résumé, l’expression « groupes raciaux » dans la définition de l’apartheid visée à l’article 3 de la CIEDR, et dans la règle coutumière, est définie en référence à une identité fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique138.
101. Si l’on applique cette définition à la situation en Israël et dans le Territoire palestinien occupé, il apparaît clairement que les mesures et pratiques décrites dans la section précédente ciblent les Palestiniens sur la base de leur identité en tant que membres du groupe.
102. Outre qu’ils forment un « peuple » aux fins du droit à l’autodétermination, comme l’a dit la Cour dans son avis consultatif sur le mur139, les Palestiniens constituent un groupe racial aux fins de l’application de l’interdiction de l’apartheid. Cela vaut aussi bien pour les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé que pour le peuple palestinien dans son ensemble, constitué par les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, les citoyens palestiniens d’Israël, et les réfugiés et
136 CIEDR, art. premier.
137 De même, J. Dugard, J. Reynolds, ‘Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory’, EJIL, 2013, vol. 24, p. 867 et 886.
138 M. Jackson, ‘The Definition of Apartheid in Customary International Law and the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination’, ICLQ, 2022, vol. 71, p. 831, 850. Cela ressort aussi implicitement du raisonnement de la Cour dans son avis consultatif sur la Namibie, p. 57, par. 131 :
« En vertu de la Charte des Nations Unies, l’ancien mandataire s’était engagé à observer et à respecter, dans un territoire ayant un statut international, les droits de l’homme et les libertés fondamentales pour tous sans distinction de race. Le fait d’établir et d’imposer, au contraire, des distinctions, exclusions, restrictions et limitations qui sont uniquement fondées sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique et qui constituent un déni des droits fondamentaux de la personne humaine, est une violation flagrante des buts et principes de la Charte. »
139 Avis consultatif sur le mur, p. 197, par. 149.
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exilés palestiniens. Leur statut en tant que groupe procède à la fois du fait qu’ils se perçoivent comme tel
140 et des perceptions et pratiques141 des autorités israéliennes dans les contextes spécifiques et localisés de leurs interactions.
103. De plus, les régimes discriminatoires constitués par ces pratiques bénéficient aux Israéliens juifs à l’intérieur de la Ligne verte, dans le Territoire palestinien occupé et dans le Golan syrien occupé. Ces communautés constituent un groupe racial dans leur relation avec les Palestiniens et de par leur propre perception. Elles tirent profit des services et des ressources ainsi que de la protection de leurs droits fondamentaux qui leur sont fournis de manière discriminatoire par l’État.
104. Ces éléments sont confirmés par la pratique du Comité des droits de l’homme142, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale143, ainsi que par les rapports de quatre rapporteurs spéciaux successifs des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967144. C’est également ce qui ressort des déclarations de l’Union africaine145, de la Ligue arabe146 et de l’Organisation de la coopération islamique147, de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon148 ainsi que des déclarations d’États membres du Conseil des droits de l’homme, dont l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Bolivie, le Brunéi Darussalam, l’Indonésie, l’Iran, la Libye, la Malaisie, la Mauritanie, la Namibie, le Pakistan,
140 Voir Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, recommandation d’ordre général VIII, 21 août 1990.
141 Voir Report of the International Commission of Inquiry on Darfur to the United Nations Secretary-General, 25 January 2005, par. 499.
142 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 42.
143 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 21-23.
144 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, John Dugard, 29 janvier 2007, doc. A/HRC/4/17, par. 62 ; ibid., rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Richard Falk, 13 janvier 2014, doc. A/HRC/25/67, par. 81, al. b); ibid., rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 32-33 ; ibid., rapport de la rapporteuse spéciale Francesca Albanese, 21 septembre 2022, doc. A/77/356, p. 5.
145 Lettre aux représentants de l’Union africaine à Genève (24 septembre 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_uploads/download/2021/09/27/joint-civil-society-letter-to-the-african-union-1632731199 .pdf.
146 “Arab League, OIC welcome Amnesty’s report on Israel’s ‘apartheid’ against Palestinians”, Arab News (3 February 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.arabnews.com/node/2017946/middle-east.
147 Ibid.
148 “Ban Ki-moon: US Should Back a New Approach to the Israeli-Palestinian Conflict”, Financial Times (21 June 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.ft.com/content/c1210a21-0209-4c4b-8cb3-cfa31c3fdee0.
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la Syrie et le Venezuela
149. Le Belize a en outre adopté une motion reconnaissant l’existence de l’apartheid contre le peuple palestinien150, tout comme le Parlement catalan en Espagne151.
105. En conclusion, le second élément de l’interdiction de l’apartheid est établi. Les actes inhumains sont commis contre un groupe racial au profit d’un autre groupe racial.
D. Élément de l’intention spécifique de l’acte illicite d’apartheid
i) Signification de l’intention spécifique associée à l’apartheid
106. La présente section traite du dernier élément de l’acte illicite d’apartheid, selon lequel les actes illicites doivent avoir été entrepris avec une intention spécifique. Comme l’indique l’article II de la convention contre l’apartheid, qui éclaire la règle coutumière et l’article 3 de la CIEDR, les actes inhumains d’apartheid doivent avoir été commis « en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ».
107. Cette forme distinctive d’intention spécifique fait de l’apartheid un acte illicite particulièrement grave en droit international.
108. S’agissant de la signification des termes pertinents de cette exigence — à savoir ce que l’État doit effectivement avoir l’intention de réaliser par l’intermédiaire de ses organes et de ses agents :
a) La domination peut être interprétée comme une forme sévère de contrôle exercé sur le groupe. Dans le cadre de leurs recherches, Amnesty International152 et Human Rights Watch153 ont conclu qu’Israël mettait en oeuvre un système d’oppression et de domination par le biais d’une discrimination institutionnalisée contre les Palestiniens partout où il exerce son contrôle. Dans son rapport, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a conclu que
« ce système d’administration étrangère a[vait] été établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial, national et ethnique sur un autre. Les dirigeants politiques israéliens d’hier et d’aujourd’hui ont à maintes reprises répété qu’ils avaient l’intention de conserver le contrôle de l’ensemble du territoire occupé afin d’étendre l’assise territoriale des parcelles des colonies juives actuelles et
149 Quarante-neuvième, cinquantième, cinquante et unième et cinquante-deuxième sessions du Conseil des droits de l’homme.
150 Chambre des représentants du Belize, HR9/1/13, 2021 accessible à l’adresse suivante : https://www.nationalassembly.gov.bz/wp-content/uploads/2021/10/Supplementary-26-octobre-2021-1.pdf. Le Parlement catalan a lui aussi déclaré qu’Israël commettait un crime d’apartheid contre le peuple palestinien — Catalan News, ‘Catalonia recognises Israel ‘committing crime of apartheid’ against Palestinians’ accessible à l’adresse suivante : https://www.middleeasteye.net/news/israel-apartheid-catalonia-first-european-parliament-recognise.
151 Chambre des représentants du Belize, HR9/1/13, 2021, accessible à l’adresse suivante : https://www.nationalassembly.gov.bz/wp-content/uploads/2021/10/Supplementary-26-octobre-2021-1.pdf.
152 Amnesty International (2022), Israel’s apartheid against Palestinians: Cruel system of domination and crime against humanity, accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/.
153 Human Rights Watch (2022), A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution, accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution.
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futures tout en maintenant les Palestiniens confinés dans des réserves de population »
154.
b) Le terme « systématiquement » peut être interprété par analogie avec son emploi dans la définition des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a défini le terme « systématique » comme renvoyant au « caractère organisé des actes de violence et l’improbabilité de leur caractère fortuit »155.
c) L’oppression peut s’interpréter comme supposant une cruauté exercée de manière prolongée156.
109. Il convient de souligner qu’il s’agit là d’une exigence constitutive de l’élément moral de l’acte illicite d’apartheid : l’intention de l’État — par l’intermédiaire de ses organes et agents — doit être d’instituer ou d’entretenir un tel régime de domination raciale et d’oppression systématique.
ii) Déduction de l’intention spécifique — Analogie avec le droit relatif au génocide
110. La question suivante a trait à la manière dont une telle intention peut être établie. À cet égard, il est opportun de se référer à la jurisprudence internationale relative au génocide. Le génocide requiert lui aussi l’établissement d’une intention spécifique, à savoir « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel »157.
111. En ce qui concerne cette obligation, il est reconnu de longue date qu’une telle intention peut être déduite des faits et du contexte de l’affaire. La Cour en a jugé ainsi tant dans l’affaire Bosnie c. Serbie158 que dans l’affaire Croatie c. Serbie159. Quant à la qualité de la déduction, elle a conclu dans Croatie c. Serbie que, « pour déduire l’existence du dolus specialis [l’intention spécifique] d’une ligne de conduite, il fa[llai]t et il suffi[sai]t que cette conclusion soit la seule qui puisse raisonnablement se déduire des actes en cause »160.
112. De plus, s’agissant de ce qui peut constituer le fondement d’une telle déduction, la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a conclu ce qui suit dans l’affaire Jelisić :
« Quant à la preuve de l’intention spécifique, elle peut, à défaut d’éléments de preuve directs et explicites, procéder d’un certain nombre de faits et de circonstances, tels le contexte général, la perpétration d’autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe, l’ampleur des atrocités commises, le fait de viser
154 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 54
155 TPIY, Chambre d’appel, Le Procureur c. Kunarac et consorts, IT-96-23 et IT-96-23/1-A, 12 juin 2002, arrêt, par. 94 citant TPIY, Chambre de première instance, Le Procureur c. Kunarac et consorts, IT-96-23 et IT-96-23/1, jugement, 22 février 2001, par. 429.
156 C. Lingaas, ‘The Crime against Humanity of Apartheid in a Post-Apartheid World’, Oslo L.R., 2015, p. 86 et 99.
157 Convention sur le génocide, art. II.
158 Bosnie c. Serbie, p. 196-197, par. 373.
159 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I) (ci-après « Croatie c. Serbie »), p. 66, par. 145.
160 Croatie c. Serbie, p. 67, par. 148.
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systématiquement certaines victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier, ou la récurrence d’actes destructifs et discriminatoires. »
161
113. Enfin, le rapport portant constatations détaillées de la mission indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar de 2018 fournit des orientations supplémentaires sur la manière dont on peut déduire l’existence d’une intention spécifique. Sur la question du génocide, il souligne l’importance probante que revêtent le « contexte général dans lequel les actes se sont déroulés et la rhétorique haineuse et méprisante largement répandue à l’encontre des Rohingya »162. Cela englobait une rhétorique déshumanisante et généralisée dirigée contre le groupe pris pour cible, ainsi que des déclarations et des discours violents et dégradants de la part de responsables des pouvoirs publics et de politiciens163.
114. Ces conclusions, qui concernent la question de l’établissement de l’intention spécifique de génocide, peuvent s’appliquer par analogie à l’intention spécifique de l’acte illicite d’apartheid.
iii) Application aux pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et en Israël
115. L’intention spécifique est établie pour ce qui concerne les actes illicites d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et en Israël.
116. Plus précisément, les faits suivants permettent de conclure que les actes illicites étaient et sont toujours commis « en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci » :
a) Premièrement, les actes illicites susmentionnés, ainsi que ceux qui sont détaillés dans la documentation plus abondante communiquée à la Cour par le Secrétariat, sont dirigés contre les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, les Palestiniens en Israël et les réfugiés et exilés palestiniens à raison de leur identité — à savoir leur appartenance au peuple palestinien164.
b) Deuxièmement, ces actes sont mis en oeuvre sur une très vaste échelle et sont imposés d’une manière institutionnalisée qui crée un système marqué par la contrainte et la cruauté. Ils sont le résultat de politiques législatives et administratives décidées aux plus hauts niveaux de l’État d’Israël. Collectivement, ils sont assimilables à l’imposition d’un régime de domination raciale et d’oppression systématique du peuple palestinien165 que l’État choisit de maintenir et de consolider.
161 TPIY, Chambre d’appel, Le Procureur c. Jelisić, IT-95-10-A, [arrêt], 5 juillet 2001, par. 47.
162 Nations Unies, ‘Report of the Detailed Findings of the Independent Fact-Finding Mission on Myanmar’, Conseil des droits de l’homme, 17 septembre 2018, doc. A/HRC/39/CRP.2, par. 1419.
163 Ibid., par. 1420-1424.
164 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 22 ; ibid., observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale — Israël, 3 avril 2012, doc. CERD/C/ISR/CO/14-16, par. 24 ; Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, résolution du 20 avril 2023, intitulée « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, doc. A/HRC/RES/52/35, par. 7, al. c).
165 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial Michael Lynk, 2022, doc. A/HRC/49/87, par. 38-45.
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c) Troisièmement, dans le même ordre d’idées, la durée de l’occupation — depuis 1967 — et l’intensification des actes discriminatoires au cours de ces dernières années sont la preuve d’une intention de maintenir en place le régime existant de domination raciale. De fait, le soutien qu’Israël continue d’apporter à l’implantation de nouvelles colonies dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, contribue à la consolidation de ce régime discriminatoire166. En outre, les récentes déclarations de responsables politiques de haut niveau démontrent l’intention de donner un caractère permanent aux colonies167.
d) Quatrièmement, le peuple palestinien, en tant que groupe, fait l’objet de discours déshumanisants et méprisants. Parmi ces discours, on notera les déclarations incendiaires et racistes prononcées par des dirigeants politiques de haut niveau ces dernières années. En mars de cette année, par exemple, le ministre des finances israélien, Bezalel Smotrich, a appelé à « anéantir » le village palestinien de Huwara168, quelques jours après que celui-ci eut été violemment saccagé169. L’intéressé aurait également déclaré que « les Palestiniens, ça n’existe pas, parce que le peuple palestinien, ça n’existe pas »170. M. Smotrich occupe toujours le poste de ministre des finances et s’est en outre vu attribuer l’autorité juridique sur l’administration de la quasi-totalité de la vie civile dans la zone C de Cisjordanie, y compris un programme d’extension des colonies existantes171.
117. Plus généralement, dans ses observations finales les plus récentes concernant les rapports périodiques d’Israël, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est dit préoccupé par la « montée des discours de haine à caractère raciste dans la sphère publique, en particulier ceux tenus par des personnalités publiques et des dirigeants politiques ou religieux, dans certains médias et dans les programmes et les manuels scolaires » et par la « multiplication des actes racistes et xénophobes » ciblant les minorités non juives, dont les Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé172.
118. Une seule conclusion peut raisonnablement être tirée des faits et du contexte général pris dans leur ensemble, à savoir que ces actes inhumains d’apartheid sont réalisés en vue d’instituer et d’entretenir dans le Territoire palestinien occupé et en Israël la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens ainsi que sur le peuple palestinien dans son ensemble, et d’opprimer systématiquement celui-ci.
119. Au vu de ce qui précède, il est satisfait à l’exigence de l’intention spécifique de l’apartheid.
166 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 77/126 du 15 décembre 2022, doc. A/RES/126 ; et 76/82 du 15 décembre 2021, doc. A/RES/76/82.
167 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, par. 52-53.
168 The Times of Israel, “US prods PM to condemn Smotrich’s ‘repugnant, disgusting’ call to wipe out Huwara”, 2 mars 2023.
169 BBC News, “Settlers rampage in West Bank villages after Israelis killed”, 27 février 2023.
170 The Times of Israel, “Smotrich says there’s no Palestinian people, declares his family ‘real Palestinians’”, 20 March 2023.
171 The Times of Israel, “Smotrich handed sweeping powers over West Bank, control over settlement planning”, 23 February 2023 ; The Times of Israel, “Netanyahu hands Smotrich full authority to expand existing settlements”, 18 June 2023.
172 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 26.
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E. Conclusion — Apartheid contre le peuple palestinien
120. Les mesures et pratiques mises en oeuvre par Israël contre les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël constituent des violations de l’interdiction de l’apartheid au regard du droit international coutumier et de l’article 3 de la CIEDR, lequel oblige les États parties « à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature ».
a) Premièrement, ces mesures et pratiques remplissent les critères de l’élément matériel de l’apartheid tel que défini aux paragraphes c) et d) de l’article II de la convention contre l’apartheid. Conjuguées à d’autres actes discriminatoires emportant violation des droits des Palestiniens, ces mesures et pratiques constituent un régime prolongé et persistant de domination raciale et d’oppression.
b) Deuxièmement, ces mesures et pratiques sont commises contre les membres d’un groupe racial, à savoir les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé et le peuple palestinien dans son ensemble.
c) Troisièmement, ces mesures et pratiques sont commises avec l’intention spécifique propre à l’apartheid. Elles le sont en vue d’instituer et d’entretenir la domination des Israéliens juifs dans les territoires palestiniens occupés et en Israël sur les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que sur le peuple palestinien dans son ensemble, et de les opprimer systématiquement.
V. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DE LA PRATIQUE DE L’APARTHEID PAR ISRAËL
121. La question posée par l’Assemblée générale porte sur les conséquences juridiques découlant des faits internationalement illicites d’Israël, y compris ses politiques et pratiques. Elle peut être interprétée comme renvoyant aux conséquences juridiques pour Israël lui-même, pour d’autres États et pour les Nations Unies.
A. Caractère impératif de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier
122. Le statut de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier en tant que norme impérative du droit international général constitue l’un des paramètres fondamentaux de l’examen des conséquences juridiques découlant de l’imposition par Israël d’un régime d’apartheid et de la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
123. À cet égard, les commentaires des articles sur la responsabilité de l’État adoptés par la CDI en 2001 mentionnent la « discrimination raciale et … l’apartheid » comme exemples de normes impératives ayant recueilli une « large adhésion »173. Ce statut est renforcé par l’inclusion de « l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid » dans l’annexe des conclusions de la CDI sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général, adoptées en 2022. Dans son quatrième rapport, le rapporteur spécial a relevé que la « pratique des États reconna[issai]t … largement l’interdiction de l’apartheid et de la discrimination
173 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 40, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 120, par. 4.
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raciale comme une norme impérative de droit international général »
174. De fait, il n’existe aucun État qui défende officiellement la licéité de l’imposition d’un tel régime de domination raciale.
B. Conséquences juridiques pour Israël
124. Israël a violé et continue de violer l’interdiction de l’apartheid prescrite par le droit international coutumier et l’article 3 de la CIEDR. Il s’agit d’actes illicites ayant un caractère continu.
125. Premièrement, Israël a l’obligation de mettre fin immédiatement à l’imposition d’un régime d’apartheid contre le peuple palestinien175.
a) Cette obligation implique l’abolition — dans sa totalité — du régime de discrimination institutionnalisée contre les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé et en Israël.
b) Cette obligation implique également la cessation de chacun des actes illicites d’apartheid176. Ceci recouvre, mais sans s’y limiter, l’implantation de colonies de peuplement, l’exploitation des ressources naturelles, le recours à des pratiques de zonage restrictives, l’imposition de restrictions disproportionnées à la liberté de circulation, le fait de ne pas prendre de mesures raisonnables pour protéger les Palestiniens des actes de violence privée, l’imposition de mesures visant à diviser les groupes dans le Territoire palestinien occupé selon des critères raciaux, les expropriations injustifiées et d’autres violations des droits fondamentaux des Palestiniens, ainsi que l’imposition du blocus de Gaza.
126. Deuxièmement, Israël a l’obligation de réparer intégralement le préjudice causé par l’imposition d’un régime d’apartheid contre le peuple palestinien177.
127. Comme énoncé à l’article 34 des articles sur la responsabilité de l’État, « [l]a réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite prend la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement »178.
128. Pour ce qui concerne la restitution, l’article 35 des articles sur la responsabilité de l’État se lit comme suit :
174 Nations Unies, Assemblée générale, quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) présenté par Dire Tladi, rapporteur spécial, CDI, doc. A/CN.4.727, 31 janvier 2019, par. 94. L’interdiction de l’apartheid s’impose également erga omnes : voir Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33-34 au sujet de la discrimination raciale.
175 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 30, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 146-149, par. 292.
176 Voir de même avis consultatif sur le mur, p. 197-198, par. 151.
177 Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 21 ; Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 31, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 43, par. 70.
178 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 34, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 101 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 50, par. 101.
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« L’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation de procéder à la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu’une telle restitution :
a) n’est pas matériellement impossible ;
b) n’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation. »
129. Dans le contexte de l’espèce, la restitution supposera :
a) La restitution de l’ensemble des terres et biens dans le Territoire palestinien occupé et en Israël appartenant à des Palestiniens et expropriés ou confisqués de manière illicite. Comme expliqué ci-après, si la restitution des terres et des biens en question n’est pas matériellement possible, Israël est tenu de verser une indemnisation assortie d’intérêts aux propriétaires au titre du dommage causé.
b) La libération de tous les Palestiniens détenus de manière illicite dans le cadre de l’imposition d’un régime d’apartheid et la mise en place de mesures permettant le retour de ceux qui ont fait l’objet d’une expulsion forcée.
c) La mise en place de mesures spécifiques pour permettre aux réfugiés palestiniens d’exercer leur droit au retour.
d) L’annulation de l’ensemble des lois, mesures ou décrets législatifs, administratifs et judiciaires qui constituent le régime d’apartheid contre le peuple palestinien.
130. L’article 36 des articles sur la responsabilité de l’État énonce la règle générale relative à l’indemnisation en droit international :
« 1. L’État responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la restitution.
2. L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi. »
131. La notion de « dommage » est par ailleurs définie dans son acception large au paragraphe 2 de l’article 31 comme comprenant les dommages de type « matériel » autant que « moral »179.
132. Dans le contexte de l’espèce, l’indemnisation inclura :
a) Une indemnisation au titre de l’ensemble des dommages matériels causés aux terres et biens des Palestiniens par les actes inhumains d’apartheid. Cela englobe l’ensemble des terres et des biens
179 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 31, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 97, par. 2 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt du 9 février 2022, p. 48, par. 93.
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dont la restitution est impossible, ainsi que les pertes causées par les démolitions et les expropriations, et recouvre également le manque à gagner
180.
b) Une indemnisation au titre des pertes en vies humaines, de la privation de liberté et d’autres préjudices subis par les Palestiniens181, ainsi que des violations systémiques de leurs droits fondamentaux du fait de l’imposition d’un régime d’apartheid.
c) Une indemnisation au titre du système empêchant le peuple palestinien de « participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle » et faisant obstacle à son « plein développement » en tant que groupe.
d) Une indemnisation au titre des dommages systématiques causés aux ressources naturelles dans le Territoire palestinien occupé et de leur exploitation.
e) Le montant des indemnisations peut être évalué à partir de l’étude de la Banque mondiale relative aux coûts économiques de l’occupation et des nombreux rapports de la CNUCED consacrés à la dépossession du développement palestinien182.
C. Conséquences juridiques pour tous les autres États
133. Ainsi que cela a été indiqué plus haut, le caractère impératif de l’interdiction de l’apartheid emporte des conséquences particulières pour tous les États.
134. Dans les articles sur la responsabilité de l’État, la CDI expose les conséquences spécifiques de ce qu’elle qualifie de violations « graves » de normes impératives, définies comme « un manquement flagrant ou systématique [de la part de l’État responsable] à l’exécution de cette obligation »183. La condition de l’existence d’une violation grave est remplie pour ce qui concerne l’imposition de l’apartheid et recouvre en l’espèce « une violation intentionnelle commise à large échelle »184.
135. L’article 41 des articles sur la responsabilité de l’État dispose ce qui suit dans sa partie pertinente :
« 1. Les États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40.
180 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 36, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 105.
181 Ibid., p. 107, par. 11-12 ; et p. 108-109, par. 17-20.
182 Nations Unies, CNUCED, « Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : arrêt du développement et pauvreté en Cisjordanie » ; ibid., « Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : pauvreté en Cisjordanie entre 2000 et 2019 » (2021), accessible à l’adresse suivante : https://unctad.org/system/files/official-document/a76d309_fr_0.pdf ; Banque mondiale, Economic Monitoring Reports, accessible à l’adresse suivante : https://www.worldbank.org/en/country/westbankandgaza/publication/economic-monitoring-report-ahlc ; ibid., « Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : le potentiel gazier et pétrolier inexploité » (2019) p. 15.
183 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 40, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 120, par. 2.
184 Ibid., p. 121, par. 8.
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2. Aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. »185
136. Deux obligations particulières pour tous les États en découlent : l’obligation de coopérer pour mettre fin à la situation d’apartheid et l’obligation de ne prêter ni aide ni assistance au maintien de ladite situation.
137. En premier lieu, tous les États ont l’obligation de coopérer pour mettre fin à la situation d’apartheid contre le peuple palestinien :
a) Cette obligation requiert ce que la CDI appelle « un effort concerté et coordonné de tous les États » pour mettre fin à ce régime d’apartheid. Les mécanismes institutionnalisés de coopération offriront sans doute le cadre le mieux adapté pour une telle coordination. Cela recouvre l’action de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité et d’autres organisations régionales. Il convient d’y ajouter la coopération avec les institutions et organes compétents des Nations Unies qui oeuvrent pour mettre un terme à cette grave violation du droit international186.
b) Cette obligation impose également aux États d’agir en dehors du cadre de la coopération institutionnalisée, ainsi que cela ressort des commentaires relatifs aux conclusions de la CDI sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) :
« L’obligation de coopérer pour mettre fin aux violations graves de normes impératives du droit international général (jus cogens) peut également être exécutée, par exemple, en vertu d’un arrangement ad hoc conclu par un groupe d’États agissant de concert pour mettre fin à la violation d’une norme impérative. »187
138. En second lieu, tous les États ont l’obligation de ne prêter ni aide ni assistance au maintien de la situation d’apartheid contre le peuple palestinien188.
a) Cette obligation impose à tous les États de s’abstenir de fournir à Israël des armes, des technologies, des équipements, une aide financière, ainsi que tout autre type d’appui matériel associé au maintien du régime institutionnalisé de discrimination.
b) Cette obligation impose également à tous les États de réglementer les activités des acteurs privés, y compris les entreprises, relevant de leur juridiction qui contribuent au maintien du régime institutionnalisé de discrimination contre le peuple palestinien. Cette exigence, qui relève du droit international général et revêt un caractère contraignant pour tous les États, est conforme à la démarche adoptée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans son
185 Nations Unies, CDI, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », avec commentaires, art. 41, ACDI, 2001, vol. II, deuxième partie, reproduit dans : Nations Unies, Assemblée générale, conclusion 19 — Conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), 2022, doc. A/77/10.
186 De même, avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 139, par. 180, ainsi que l’article 42, CDI, articles sur la responsabilité des organisations internationales, ACDI, 2011, vol. II, partie 2.
187 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la CDI, conclusion 19, commentaire, p. 78-79, par. 10 : projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), 2022, doc. A/77/10.
188 De même, avis consultatif sur le mur, p. 199-200, par. 158. Cette obligation complète la règle ordinaire relative à l’aide et à l’assistance énoncée à l’article 16 des articles sur la responsabilité de l’État et a été considérée comme une règle de droit international coutumier par la Cour dans Bosnie c. Serbie, p. 43, par. 420.
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observation générale no 24
189. Celui-ci reconnaît dans ce texte l’obligation des États parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels « [de] pren[dre] des mesures pour prévenir et réparer les violations des droits consacrés par le pacte qui surviennent en dehors de leur territoire du fait des activités d’entreprises sur lesquelles ils peuvent exercer un contrôle »190.
D. Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies
139. Dans l’avis consultatif sur le mur, la Cour est parvenue à la conclusion suivante :
« l’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doivent, en tenant dûment compte du présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé »191.
140. Il en va de même des mesures à prendre pour mettre un terme à la situation illicite d’apartheid contre le peuple palestinien.
VI. L’ADMINISTRATION PAR ISRAËL DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ CONTREVIENT AU DROIT DU PEUPLE PALESTINIEN À L’AUTODÉTERMINATION ET EST ILLICITE
141. Le ministère israélien des affaires étrangères, par la déclaration suivante, a clairement montré qu’Israël avait lancé une attaque préemptive contre l’Égypte en 1967 :
« Le 22 mai, par un acte constituant un casus belli [acte de nature à justifier la guerre], l’Égypte a fermé le détroit de Tiran aux navires israéliens, coupant ainsi la seule route maritime d’Israël vers l’Asie et l’Iran, son principal fournisseur de pétrole … Invoquant son droit naturel de légitime défense, Israël a devancé l’inévitable attaque en frappant l’armée de l’air égyptienne alors que ses avions étaient encore au sol. »192
142. En l’absence d’agression armée, l’emploi de la force par Israël contre l’Égypte et d’autres États arabes en 1967 était d’ordre préemptif et, partant, constituait un acte illicite d’agression, en violation du paragraphe 4 de l’article 2 et de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. La présence d’Israël sur le territoire palestinien est illicite depuis qu’elle a commencé en 1967 et l’occupation qui en a résulté l’est tout autant.
143. Cette illicéité est aggravée par la colonisation par Israël du territoire palestinien, qui a débuté en 1967 et continue à ce jour, ainsi que par sa prétendue annexion de territoire palestinien, en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte et de la règle de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force. La Namibie réaffirme la position qu’elle a déjà exprimée selon laquelle
189 Nations Unies, Comité économique et social, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « Observation générale no 24 (2017) sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises », 2017, doc. E/C.12/GC/24.
190 Ibid., par. 30.
191 Avis consultatif sur le mur, p. 200, par. 160 ; avis consultatif sur l’archipel des Chagos, p. 139, par. 179.
192 Ministère des affaires étrangères d’Israël, “1967: The Six-Day War and the Historic Reunification of Jerusalem” (2013).
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l’occupation par Israël du territoire palestinien (à savoir la Cisjordanie, y compris Jérusalem, et la bande de Gaza) est illicite
193. Devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, elle a souligné que l’occupation israélienne était caractérisée par de graves violations, « notamment par des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution commis par des représentants d’Israël dans le but de prolonger l’occupation illicite et de réprimer le droit à l’autodétermination », et qu’il était nécessaire d’agir au niveau international pour « démanteler le système d’apartheid et mettre un terme à l’occupation illicite »194.
144. L’occupation par Israël du territoire palestinien constitue une violation du droit à l’autodétermination externe du peuple palestinien, qui inclut le droit de ce dernier à un État indépendant.
145. Le statut particulier du droit du peuple palestinien à l’autodétermination externe a été reconnu à l’article 22 du Pacte de la Société des Nations. Celui-ci a classé la Palestine dans la catégorie des communautés sous mandat de type A, dont l’« existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules ». Comme l’a souligné la Cour dans son avis consultatif sur la Namibie, l’« objectif ultime » du mandat, en tant que mission sacrée de civilisation, était « l’autodétermination et l’indépendance des peuples en cause »195.
146. En tant que tel, le droit à l’autodétermination palestinienne reste une « mission sacrée de civilisation ». Il ne saurait y avoir de révocation de cette mission sacrée ni de retour à un statut colonial. En conséquence, Israël ne peut prétendre que le territoire palestinien était un no man’s land, ou qu’il y manquait un souverain. Comme l’a clairement souligné la Cour au sujet de l’Afrique du Sud dans son avis consultatif sur la Namibie, « [a]ccepter la thèse du Gouvernement sud-africain sur ce point aurait abouti au retour des territoires sous mandat au statut colonial et au remplacement virtuel du système des mandats par l’annexion, solution qui avait été résolument écartée en 1920 »196.
147. En 1948, Israël a pris le contrôle de 78 % de la Palestine sous mandat, en violation de la « mission sacrée ». En 1967, il a occupé le reste de la Palestine sous mandat et mène depuis lors des politiques visant à poursuivre l’annexion de territoire palestinien. Étant donné qu’elle constitue un acte continu d’agression et qu’elle empêche le peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination externe, l’occupation du territoire palestinien est une violation de normes impératives du droit international. La présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est analogue à la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie à l’époque où a été rendu l’avis consultatif sur la Namibie. À ce sujet, la Cour avait conclu « que la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie [étai]t illégale et contraire aux principes de la Charte »197.
193 Point 7 du débat général (suite) — 31e réunion de la cinquante et unième session ordinaire du Conseil des droits de l’homme (30 septembre 2022), [UN Web TV,] Namibie, Mme Hilleni Tangi Ndeyamo Shikongo (30:46) [(accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1k/k1k9v1gs2x)].
194 Point 7 du débat général (suite) — 47e réunion de la cinquante-deuxième session ordinaire du Conseil des droits de l’homme, [UN Web TV,] Namibie [(01:16:57)] [(accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1i/ k1i6hcfm50)].
195 Avis consultatif sur la Namibie, p. 31, par. 53.
196 Ibid., p. 33, par. 57.
197 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 264 du 20 mars 1969, intitulée « La situation en Namibie », par. 2 ; et 276 du 30 janvier 1970 ; voir également Assemblée générale, résolution 2403 (XXIII) du 16 décembre 1968, doc. A/RES/2403(XXIII).
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148. Le droit du peuple palestinien à l’indépendance et à la souveraineté nationales a été reconnu dans de nombreuses résolutions des Nations Unies. Ainsi, l’Assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution 3236 (XXIX) du 22 novembre 1974, reconnaît expressément le droit du peuple palestinien à l’autodétermination sans ingérence extérieure, ainsi que son « droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales », et, par l’alinéa a) du paragraphe 2 de sa résolution 3376 (XXX) du 10 novembre 1975, prévoit « le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure et le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales ». Dans sa résolution 77/208 du 15 décembre 2022, la plus récente, l’Assemblée générale « [r]éaffirme le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à un État de Palestine indépendant »198.
149. L’exercice du droit des Palestiniens à l’autodétermination et à disposer de leur propre État a également été gravement entravé par l’imposition de mesures illicites (dont l’expansion des colonies et la construction du mur et le régime qui y est associé en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est)199. Par suite de décennies d’une fragmentation stratégique imposée qui l’a réparti dans des domaines juridiques et administratifs séparés et dans des espaces géographiques différents, que ce soit en Palestine ou en exil, sous l’effet du régime de discrimination raciale et de domination d’Israël, le peuple palestinien se voit délibérément dénier le droit de se rassembler et d’exercer son droit inaliénable et collectif à l’autodétermination. Celui-ci recouvre la souveraineté sur les ressources et richesses naturelles, dont la plupart ont été illicitement confisquées, exploitées, épuisées et pillées par la puissance occupante — souvent de concert avec des personnes privées et des entreprises israéliennes et multinationales.
VII. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DE L’OCCUPATION ISRAÉLIENNE ILLICITE
150. Outre les conséquences juridiques énoncées dans le présent exposé écrit découlant de l’imposition d’un régime d’apartheid, la Namibie demande que soient également appliquées à l’occupation illicite par Israël des territoires palestiniens les conséquences juridiques essentielles formulées par la Cour dans son avis consultatif relatif à la Namibie et qui sont notamment les suivantes :
a) Sa présence continue dans le Territoire palestinien occupé et le territoire sous mandat étant illicite, Israël a l’obligation de retirer immédiatement son administration de la Palestine occupée et de cesser ainsi d’occuper le territoire.
b) Les États Membres de l’Organisation des Nations Unies ont l’obligation de reconnaître l’illicéité de la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et le défaut de validité des mesures prises par Israël au nom de la Palestine ou en ce qui la concerne, et de s’abstenir de tous actes et en particulier de toutes relations avec le Gouvernement israélien qui impliqueraient la reconnaissance de la licéité de cette présence et de cette administration, ou qui constitueraient une aide ou une assistance à cet égard.
c) Les États Membres sont tenus de ne pas établir avec Israël des relations conventionnelles dans tous les cas où le Gouvernement israélien prétendrait agir au nom du Territoire palestinien occupé ou en ce qui le concerne.
198 Ce droit a également été reconnu dans les résolutions 2672 (XXV) de 1970 et 3236 (XXIX) de 1974 de l’Assemblée générale, et réaffirmé à maintes reprises depuis lors.
199 CPI, Prosecution request pursuant to article 19(3) for a ruling on the Court’s territorial jurisdiction in Palestine, no ICC-01/18, 22 janvier 2020, par. 9.
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d) Conformément au devoir de non-reconnaissance, les États Membres doivent s’abstenir d’accréditer auprès d’Israël des missions diplomatiques ou des missions spéciales dont la juridiction s’étendrait au Territoire palestinien occupé.
e) Les États Membres ont l’obligation de ne pas entretenir avec Israël agissant au nom du Territoire palestinien occupé ou en ce qui le concerne des rapports ou des relations de caractère économique ou autre qui seraient de nature à affermir l’autorité d’Israël dans le territoire.
f) La cessation du mandat et la déclaration de l’illicéité de la présence israélienne dans le Territoire palestinien occupé sont opposables à tous les États, en ce sens qu’elles rendent illicites erga omnes une situation qui se prolonge en violation du droit international ; en particulier, aucun État qui établit avec Israël des relations concernant le Territoire palestinien occupé ne peut escompter que l’Organisation des Nations Unies ou ses Membres reconnaîtront la validité ou les effets de ces relations ou les conséquences qui en découlent.
g) Tous les États doivent se souvenir que le peuple à qui il est porté préjudice doit compter sur l’assistance de la communauté internationale pour atteindre les objectifs auxquels correspond la mission sacrée de civilisation, à savoir l’autodétermination.
VIII. CONCLUSION ET RÉSUMÉ
151. Pour les motifs exposés dans le présent exposé écrit, la Namibie soumet respectueusement les conclusions suivantes :
a) La Cour a compétence pour rendre un avis consultatif en l’espèce et il n’existe aucune raison décisive l’empêchant de le faire.
b) En ce qui concerne la référence faite dans la question posée à « l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes », la Cour devrait définir l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier et à l’article 3 de la CIEDR.
c) La définition de l’apartheid en droit international coutumier et à l’article 3 de la CIEDR est fournie par l’article II de la convention contre l’apartheid.
d) L’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier et à l’article 3 de la CIEDR revêt un caractère contraignant pour Israël, et est applicable en Israël ainsi que dans le Territoire palestinien occupé.
e) Les pratiques discriminatoires d’Israël contre les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé et contre le peuple palestinien dans son ensemble constituent une violation de l’interdiction de l’apartheid en droit international coutumier et de l’obligation énoncée à l’article 3 de la CIEDR de prévenir, interdire et éliminer toutes les pratiques d’apartheid sur les territoires relevant de sa juridiction.
f) Le peuple palestinien possède un droit inaliénable et permanent à l’autodétermination externe qui continue de relever de la mission sacrée de civilisation après la fin du mandat.
g) En conséquence, Israël est tenu de mettre fin à l’imposition de son occupation illicite du territoire palestinien et du régime d’apartheid contre le peuple palestinien et de réparer intégralement le préjudice causé à celui-ci.
h) En conséquence, tous les États sont tenus de coopérer pour mettre un terme à l’occupation illicite et à la situation illicite d’apartheid contre le peuple palestinien, de ne pas reconnaître cette situation comme licite et de s’abstenir d’apporter quelque aide ou assistance en vue du maintien de la situation.
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i) Il importe de relever que les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies appellent au « retrait … inconditionnel et total » d’Israël, ce qui signifie que ce retrait ne saurait faire l’objet de négociations, mais constitue la cessation d’un fait internationalement illicite200. La Namibie considère que la cessation de faits internationalement illicites ne saurait faire l’objet d’aucune négociation ni réserve201.
Fait à Windhoek, en Namibie, le 19 juillet 2023.
La vice-première ministre et ministre des relations internationales et de la coopération,
au nom du Gouvernement de la République
de Namibie,
(Signé) Mme Netumbo NANDI-NDAITWAH.
___________
200 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 36/147E du 16 décembre 1981 ; 36/226A du 17 décembre 1981 ; 37/123F du 20 décembre 1982 ; 38/180D du 19 décembre 1983 ; 39/146A du 14 décembre 1984 ; 40/168A du 16 décembre 1985 ; 41/162A du 4 décembre 1986 ; 42/209B du 11 décembre 1987 ; et 43/54A du 6 décembre 1988.
201 Voir A. Imseis, “Negotiating the Illegal: On the United Nations and the Illegal Occupation of Palestine, 1967-2020”, European Journal of International Law (EJIL), 2020, vol. 31, no 3, p. 1055.

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Exposé écrit de la Namibie

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