Exposé écrit du Liban

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186-20230724-WRI-06-00-EN
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République libanaise
Ministère des Affaires Etrangères
et des Emigrés
Beyrouth
Demande d'avis consultatif adressée par l'Assemblée générale des
Nations Unies à la Cour internationale de Justice
au sujet des conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est,
Exposé du Liban
En application du paragraphe 2 de l'article 66 du Statut de la Cour
et de l'ordonnance de la Cour en date du 3 février 2023
Le Gouvernement libanais,
Vu l'ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice le 3 février 2023 concernant la requête pour avis consultatif, que lui a soumise l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022, au sujet des conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ;
Vu la lettre du Greffier de la Cour, adressée au Ministère des Affaires Etrangères et des Emigrés, portant notification de la requête pour avis consultatif, conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du Statut de la Cour ;
Considérant que la Cour a décidé dans son ordonnance que les États membres de l'Organisation des Nations Unies « sont jugés susceptibles de fournir des renseignements sur les questions soumises à la Cour pour avis consultatif, » conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut de la Cour ;
Considérant que, dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022, intitulée « pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », l'Assemblée générale des Nations Unies a décidé,1
1 Para. 18.
2
conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article 65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 Juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du Territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
A l'honneur de communiquer à la Cour internationale de Justice ce qui suit :
1. Cette demande adressée à la Cour, la veille du vingtième anniversaire de l’avis consultatif historique qu’elle avait rendu en 2004 sur les « conséquences juridiques de l'édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé »2 arrive dans un contexte politique extrêmement tendu au Moyen-Orient, en particulier entre Israël et la Palestine.
2. Cette grave tension politique est le résultat de la continuation et même l'aggravation des violations israéliennes du droit international dans les Territoires palestiniens occupés. Des violations qui ont été dénoncées par plusieurs rapports onusiens, dont on ne citera que les plus récents : les deux rapports de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël 3, créée par le Conseil des droits de l’homme. Les deux
2 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004.
3 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/HRC/50/21, 9 mai 2022.
Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022.
3
rapports décrivent clairement la politique des gouvernements israéliens successifs encourageant la colonisation : « l’établissement, le maintien et l’expansion des colonies israéliennes dans toute la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est qui ont fragmenté la population palestinienne et isolé les Palestiniens de leurs terres ainsi que des autres communautés palestiniennes. La Commission souligne que les colonies, où qu’elles soient situées, ont des effets en cascade sur les Palestiniens de l’ensemble de la Cisjordanie. En omettant dans une grande mesure de faire respecter les lois, en continuant d’autoriser rétroactivement la création d’avant-postes de colonies, en négligeant les violences commises par les colons dans ces avant-postes et en dispensant de sanctions juridiques les colons qui enfreignent les lois, Israël indique clairement aux colons que les avant-postes sont un moyen viable et quasi légal d’établir de nouvelles colonies et d’étendre la présence israélienne en Cisjordanie. »
4 Le rapport évoque aussi l’expropriation des terres agricoles, et l'exploitation des ressources naturelles palestiniennes par Israël5. Il constate aussi la politique discriminatoire d'Israël vis-à-vis des Palestiniens6. Le rapport conclut par affirmer que les agissements d'Israël ne constituent pas seulement des violations des droits humains, mais sont aussi une annexion de facto des Territoires palestiniens7.
3. Du point de vue juridique, on constate une évolution du droit international durant ces vingt dernières années, grâce au travail des différents organes des Nations Unies, en particulier la Cour et la Commission du droit international. Cette évolution précise et codifie diverses notions du droit international. De ces notions, deux sont particulièrement pertinentes au sujet de l’avis consultatif demandé à la Cour par la résolution A/RES/77/247 de l‘Assemblée générale : les normes impératives en droit international (jus cogens) et la responsabilité internationale des États8.
4. L'Assemblée générale avait d’ailleurs indiqué dans sa résolution susmentionnée le droit applicable à l'avis juridique, à savoir les « règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international, les droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif rendu par la Cour le 9 juillet 2004 »9.
4 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 30.
5 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 31 à 41.
6 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 45 à 117.
7 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 75- 76.
8 Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 30 décembre 2022, Soixante-dix-septième session A/RES/77/247.
9 Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 30 décembre 2022, Soixante-dix-septième session A/RES/77/247.
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5. La Cour avait énuméré dans son avis sur l'édification du mur les mêmes règles susmentionnées10 et la logique juridique voudrait que ces règles qui s'appliquent à une mesure prise par Israël en 2004 soient également applicables aux mesures israéliennes actuelles auxquelles fait référence l’Assemblée générale dans cette nouvelle requête d’avis.
6. Sur cette base, le Liban exposera ses observations à la Cour, en évoquant d’abord la compétence consultative de la Cour, et ensuite les questions de fond en procédant à un examen allant du général au particulier des différentes règles du droit international violées par Israël.
I) La compétence de la Cour et l'opportunité de son intervention:
A- La compétence de la Cour pour donner l’avis demandé :
7. Le paragraphe 1er de l’article 96 de la Charte des Nations Unies prévoit que « l'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique. »
8. Le paragraphe 1er de l’article 65 du Statut de la Cour énonce que « la Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis. »
9. Ces articles définissent les deux conditions nécessaires pour établir la compétence consultative de la Cour, qui sont (1) une demande soumise par une autorité compétente et (2) que cette demande porte sur une question juridique.
10. La compétence de l'Assemblée générale des Nations Unies à demander un avis consultatif est clairement établie par l’article 96 paragraphe 1er de la Charte qui la nomme expressément comme l’un des organes qui peuvent formuler cette demande. La Cour a pour sa part précisée que cette compétence de l’Assemblée générale couvre les questions de paix et de sécurité et qu’il y a « une tendance croissante à voir l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité examiner parallèlement une même question relative au maintien de la paix et de la sécurité internationales11 ».
10 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, par. 136.
11 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, p. 136. par. 27.
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11. La Cour a défini à plusieurs reprises le caractère juridique d’une question. Ainsi elle a affirmé dans son avis sur le Sahara occidental que les questions qui « ont été libellées en termes juridiques et soulèvent des problèmes de droit international (…) Ces questions sont, par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit (…) elles ont en principe un caractère juridique. »12 Plus récemment la Cour a déclaré « qu'une demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale tendant à ce qu’elle examine une situation à l’aune du droit international concerne une question juridique. »13
12. La Cour a également précisé que « pour trancher le point — qui touche à sa compétence — de savoir si la question qui lui est posée est d’ordre juridique, elle ne doit tenir compte ni de la nature politique des motifs qui pourraient avoir inspiré la demande, ni des conséquences politiques que pourrait avoir son avis. »14
B- L’opportunité de l’intervention de la Cour :
13. La Cour considère la compétence que lui confère l’article 65 paragraphe 1er de son Statut comme une compétence discrétionnaire, vu qu’il est stipulé qu’« elle peut donner un avis consultatif… ». Ceci dit, la Cour a toujours observé qu'en principe la réponse à une demande d’avis consultatif ne doit pas être refusée15 . Elle ajoute dans un autre avis que seules « des raisons décisives devant la conduire à refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale. »16
14. La Cour ne s’est abstenue de rendre un avis consultatif qu’à l’occasion d’une seule affaire. Le refus concernait la demande de l’OMS à la Cour de donner un avis consultatif concernant la licéité de l’utilisation éventuelle d’armes nucléaires au cours de conflits armés internationaux. La Cour avait refusé de donner l’avis demandé au motif que cette question était fondée sur le défaut de compétence de la Cour, et non sur des considérations touchant l'opportunité judiciaire.17 Dans toutes les autres
12 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15., et conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p.414-415 par. 25, et Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975 p.18 par. 15
13 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 58.
14 Conditions de l’admission d’un État comme membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61, et Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13.
15 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif C.I.J. Recueil 1971, p. 16. par. 41.
16 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 22 par. 65 ; Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44.
17 C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14.
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situations, la Cour a accueilli favorablement les demandes d’avis consultatif « en tant que participation de la Cour elle-même organe des Nations Unies à l'action de l’organisation ».
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15. Vu tout ce qui précède, le Liban considère que la Cour est compétente pour donner un avis consultatif dans l’affaire présente, et qu’il n’existe pas de raisons décisives devant la conduire à refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale.
II- Les questions de fond:
16. L’Assemblée générale des Nations Unies sollicite l’avis de la Cour sur « les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du Territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes » et elle demande à la Cour de constater « l’incidence» de ces « politiques et pratiques d’Israël » sur le «statut juridique de l’occupation» et « les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies »19. Pour ce faire il faudra déterminer la nature et la teneur de ces normes avant d’examiner les conséquences juridiques de leur violation.
A- Les normes du droit international violées par Israël :
17. Par son occupation prolongée des Territoires palestiniens et ses pratiques persistantes et systématiques dans ces territoires, telle que le constatent diverses résolutions et rapports du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, Israël viole des normes impératives du droit international ainsi que des normes établies dans plusieurs conventions de droit international humanitaire et des droits humains.
1- Les normes impératives du droit international :
18. Les normes impératives (jus cogens) du droit international est une notion qui se concrétise graduellement. La Cour admet de plus en plus explicitement l’existence de ces règles20. La Commission du droit international (CDI) a de son côté fait une grande
18Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 22 par. 65 ; Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44.
19 Résolution de l’Assemblée générale 77/247 (2022), para. 18.
20 Réserves à la Convention sur le Génocide, Avis consultatif, CIJ, Recueil 1951, p.15, para 23.
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avancée depuis 2017 dans son travail visant à définir la notion des normes impératives et déterminer leur régime juridique21. Les conclusions finales de la Commission22 devraient aider la Cour, la Commission ayant même établi dans ses conclusions une liste non exhaustive de huit normes impératives et les conséquences juridiques qui découlent de leur violation.
19. Dans la présente affaire, on peut dire qu’Israël viole au moins quatre des huit normes citées par la CDI, à savoir l’interdiction de l’agression, les règles fondamentales du droit international humanitaire, l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid, et surtout le droit à l’autodétermination.
20. Si les règles fondamentales du droit international humanitaire ont bien été codifiées dans les conventions de La Haye de 1907 et de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels, il faut noter, dès maintenant que leur qualification comme normes impératives empêche Israël d'invoquer toute circonstance excluant l’illicéité de ses violations à leur encontre. En effet, la CDI a bien constaté dans sa conclusion 18 qu’aucune circonstance excluant l’illicéité en vertu des règles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite ne peut être invoquée à l’égard de tout fait d’un État qui n’est pas conforme à une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (jus cogens)23. Il en va de même pour la norme interdisant la discrimination raciale et l’apartheid.24.
a- L’interdiction du recours à la force :
21. L’interdiction du recours à la force est une des normes impératives bien établies25 et elle est clairement énoncée par l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies qui stipule que « les membres de l’Organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou l’emploi de la force, soit contre l’intégrité
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, Arrêt. C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 89 à 91.
21 Cinquième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) présenté par Dire Tladi, Rapporteur spécial, Commission du droit international, A/CN.4/747, 17 janvier 2022.
22 Normes impératives du droit international général (jus cogens), texte du projet de conclusions et d’annexe tel qu’adopté par le Comité de rédaction en seconde lecture, détermination et conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), Commission du droit international, A/CN.4/L.967, 11 Mai 2022.
23 Normes impératives du droit international général (jus cogens), texte du projet de conclusions et d’annexe tel qu’adopté par le Comité de rédaction en seconde lecture, détermination et conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), Commission du droit international, A/CN.4/L.967, 11 Mai 2022, conclusion 18.
24 La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention internationale des Nations Unies de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973.
25 Quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) présenté par Dire Tladi, Rapporteur spécial, Commission du droit international, A/CN.4/727, 31 janvier 2019.
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territoriale ou l’indépendance politique de tout État soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. »
22. L’Assemblée générale avait adopté en 1974 par sa résolution 3314 une définition de l’agression qui énumère d’une façon non exhaustive plusieurs modalités de recours illicite à la force. Selon l’annexe de la résolution 3314, est agression « toute occupation militaire même temporaire… toute annexion par l’emploi de la force du territoire ou d’une partie du territoire d’un autre État … le blocus des ports ou des côtes d’un État »26. Ainsi, l’occupation des Territoires palestiniens par Israël et son blocus de la bande de Gaza constituent des actes d’agression. Ce fait a été constaté à maintes reprises par le Conseil de sécurité des Nations Unies qui ne cesse depuis 1967 de demander à Israël de mettre fin à son occupation27.
23. L’Assemblée générale de son côté est plus explicite dans sa condamnation de l’occupation israélienne des Territoires palestiniens. Elle a déclaré récemment par exemple « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force et donc le caractère illégal de l’annexion de toute partie du Territoire palestinien occupée, y compris Jérusalem qui constitue une violation du droit international… et se dit gravement préoccupée par les déclarations récentes au sujet de l’annexion par Israël de secteurs dans le Territoire palestinien occupé »28.
24. La Cour a bien affirmé de son côté l’illicéité du recours à la force et de l’acquisition des territoires par la force dans son avis consultatif sur l’édification du mur, et a également constaté le caractère coutumier de cette interdiction29.
25. Certains pourraient émettre des doutes sur l’application de la norme interdisant le recours à la force sur la base que c’est une norme interétatique, insinuant que les Territoires palestiniens occupés ne font pas partie d’un État. A cela on peut répondre que le Liban ainsi que 138 États membres des Nations Unies reconnaissent l’État de Palestine et Jérusalem comme sa capitale. Ça serait d’ailleurs une occasion opportune pour la Cour de donner son avis sur ce point. L’État de Palestine est membre de plusieurs Organisations internationales comme l’Unesco, l’OIAC, l’OIC, la Ligue des États Arabes et la CPA, et la Palestine est membre observateur des Nations Unies. L’interdiction du recours à la force ne se limite pas par ailleurs en droit international
26 Définition de l’agression, résolution de l’Assemblée générale, AG 3314, 14 décembre 1974.
27 Résolution du Conseil de Sécurité 2334 (2016), 476 (1980), 471 (1980), 242 (1967).
28 Résolution de l’Assemblée générale, A/RES/77/126, soixante-dix-septième session, 15 décembre 2022.
29 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, par. 87 et 117.
9
aux relations entre États mais à toute utilisation contraire aux principes et buts de la Charte des Nations Unies
30.
26. Israël continue malgré les résolutions successives du Conseil de sécurité, à commencer par la résolution 242, son occupation et ses politiques qui visent clairement à annexer les Territoires palestiniens. Il encourage la colonisation, la confiscation des terres, la destruction des bâtiments publics et privés afin de rendre sa présence un fait accompli et irréversible.
27. Vu ce qui précède, le Liban considère que la Cour devrait réitérer dans son avis consultatif la violation d’Israël du principe fondamental de l’illicéité du recours à la force et son corollaire de l’illégalité d’annexion des territoires par la force.
b- Le doit à l’autodétermination :
28. Le Liban considère que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination est irréfutable et on ne peut trouver de mots plus éloquents que ceux employés par la Cour pour affirmer cette réalité : « la Cour observe que l’existence d’un peuple palestinien ne saurait plus faire de débat … et que parmi les droits de ce peuple figure le droit à l’autodétermination.31 »
29. Le droit à l’autodétermination est une norme impérative de droit international consacrée dans divers textes y compris la Charte des Nations Unies, qui établit ce droit comme un des fondements des relations amicales entre les nations.32 Or ce socle du droit international moderne comporte plusieurs facettes, toutes violées par Israël.
30. La Cour s’est penchée dans son avis consultatif sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 sur la nature et surtout le contenu de droit à l’autodétermination. Elle a rappelé que le droit à l'autodétermination est une règle coutumière et que la résolution de l’Assemblée générale 1514 a un « caractère déclaratoire.33 » Cette résolution adoptée en 1960 fut l’un des premiers textes à préciser le contenu et la portée du droit à l’autodétermination. On y affirme que l’autodétermination des peuples implique qu’ils puissent déterminer librement leur statut politique et poursuivre leur développement économique et social. La résolution mentionne aussi qu’il faut mettre fin « à toute
30 Article 2 para. 4 de la Charte Des Nations Unies.
31 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 51, par. 118.
32 Article 1 para 2 de la Charte des Nations Unies.
33 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 41 par. 152.
10
action armée et à toutes mesure de répression de quelque sorte qu’elles soient dirigées contre les peuples dépendants pour permettre à ces peuples d’exercer pacifiquement et librement leur droit à l’indépendance complète et l’intégrité de leurs territoire national sera respectée » elle indique clairement aussi « que toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale est incompatible avec les buts et principes de la Charte des Nations Unies.
34»
31. Le premier article commun aux Pactes des droits civils et politiques et le Pacte des droits économique et sociaux et culturels affirme aussi le droit des peuples à l'autodétermination et reprend les principaux éléments qui constituent ce droit35.
32. Comme il a été mentionné plus haut, le Liban considère qu’Israël viole tous les éléments constitutifs du droit du peuple palestinien à l’autodétermination : qui sont (1) l’indépendance politique et économique (2) la souveraineté permanente sur les richesses et ressources naturelles, (3) l’intégrité territoriale.
33. La tergiversation d’Israël depuis des décennies malgré tous les accords qu’elle a conclus et les appels de la communauté internationale à reconnaitre l’indépendance de l’Etat palestinien36 est une violation continue du premier élément du droit à l’autodétermination. La politique israélienne de confiscation des territoires agricoles, d’exploitation des ressources hydrauliques et minières des Territoires palestiniens occupés37 est une violation continue du deuxième élément constitutif du droit à l’autodétermination, qui est la souveraineté permanente des peuples sur leurs ressources naturelles. Le troisième élément constitutif du droit à l’autodétermination, l’intégrité territoriale, a été rappelé par la Cour quand elle a déclaré que « le droit à l’autodétermination du peuple concerné est défini par référence à l’ensemble du territoire non autonome ainsi que le souligne le paragraphe 6 de la résolution (1514). La Cour considère que les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leurs droits à l’autodétermination sur l’ensemble de leurs territoires dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante38». Or, Israël par sa politique de colonisation et la construction d’infrastructures qui relient ses colonies grignote et morcelle les Territoires palestiniens y compris Jérusalem. Cette atteinte
34 Résolution adoptée par L’Assemblée générale, déclaration sur l’octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, 14 décembre 1960, AG 1514.
35 Article 1 de la PICP, PIESC.
36 Voir par exemple la résolution de l’Assemblée générale AG A/RES/77/25 adoptée le 30 novembre 2022.
37 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 31 à 41.
38 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 43 par. 160.
11
systématique et continue à l’intégrité du territoire du peuple palestinien est constatée et documentée dans plusieurs rapports d’enquêtes internationales
39.
2- Les normes conventionnelles violées par Israël :
34. Comme il a été mentionné plus haut, la communauté internationale, les tribunaux internationaux y compris la Cour à laquelle est adressée cette requête d’avis consultatif considèrent que les conventions du droit international humanitaire, ainsi que les conventions des droits humains sont des traités qui reflètent et codifient des normes coutumières impératives40.
a- Le droit international humanitaire :
35. Les conventions de La Haye de 1907 et surtout la IV convention de Genève de 1949 et le deuxième protocole additionnel contiennent plusieurs principes qu’Israël devrait respecter, en tant que puissance occupante, vis-à-vis des civils qui se trouvent sur les territoires qu’elle occupe. On se base encore une fois sur les faits constatés par la Commission internationale indépendante d’enquête pour détailler les violations d’Israël des principes susmentionnés.
36. Le sixième alinéa de l’article 49 de la IV convention de Genève stipule que « la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle.41 » La Cour avait considéré en 2004 sur la base de cet article et de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’ont été en méconnaissance du droit international »42. Il serait opportun que la Cour constate qu’Israël continue à ce jour cette violation du droit43.
37. On peut dire aussi qu’Israël par sa politique systématique de destruction des Territoires palestiniens, d’expropriation des terres, d’interdiction d’accès aux ressources naturelles, sans parler de la violence qu’elle fait subir aux Palestiniens, maintient « un environnement coercitif qui pousse les Palestiniens à quitter leur
39 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 5-6 et par. 14-15.
40 Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226, par. 75 et surtout par. 79 ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, exceptions préliminaires, arrêt C.I.J., recueil 1964, p.6 par. 33-34.
41 Article 49 de la IV Convention de Genève.
42 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, page 51-52, par. 120.
43 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, page 9 à 11, par. 25 à 30.
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domicile ce qui est considéré un crime de déportation ou de transfert forcé de la population interdit par le même article 49 de la IV convention de Genève
44. »
38. Un autre principe fondamental du droit international humanitaire est violé d’une façon continue par Israël en tant que puissance occupante : l’interdiction d’exploiter les ressources naturelles des territoires occupés. La puissance occupante doit se comporter comme administrateur des territoires, toute exploitation industrielle ou agricole de ces territoires par la dite puissante étant considérée un pillage45.
39. La destruction de maisons et de terres agricoles palestiniennes a été considérée dans plusieurs rapports onusiens comme des peines collectives interdites par l’article 33 de la IV convention de Genève. Le blocus imposé à la bande de Gaza peut être considéré comme une peine collective46 .
b-) Les droits humains :
40. La Cour a déjà confirmé dans son avis concernant les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé que contrairement aux prétentions d’Israël, les droits humains codifiés dans les différentes conventions depuis les deux Pactes sur les droits politiques civiles et socio-économiques sont applicables aux Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est47. Or on constate dans les nombreux rapports rédigés depuis 2004 par les divers organes compétents, que ce soit le Conseil des droits de l’homme48, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale49, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels50, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes,
44 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, page 19-20, par. 55 à 57.
45 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, par. 31 à 40
46 Article 33 de la IV convention de Genève et par exemple le rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Conseil des droits de l'homme, 45ème session, 15 juillet 2020, page 7 et suivant par. 24 à 27.
47 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, par. 46 et par. 106 à 109.
48 Human Rights Committee, Concluding observations on the fifth periodic report of Israel, CCPR/C/ISR/CO/5, date 5 May 2022. UN Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967 Michael Lynk, A/HRC/49/87, 12/08/2022.
49 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, CERD/C/ISR/CO/14-16, 3 avril 2012.
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, CERD/C/ISR/CO/17-19, 17 janvier 2020.
50 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, E/C.12/ISR/CO/4, 12 novembre 2019.
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le Comité des droits de l’enfant
51, qu’Israël persiste dans ses violations des droits établis dans ces traités.
41. Par souci de brièveté et afin de respecter le raisonnement de l’Assemblée générale, on soulignera les principaux droits violés par Israël pour se concentrer ensuite sur les mesures discriminatoires adoptées par Israël en violation des normes codifiées par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
42. Le droit à la vie, est la base même du système des droits humains modernes, où « tout individu a droit à la vie, la liberté et à la sûreté de sa personne », selon l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948. Le Pacte des droits civils et politiques précisa en 1966 ce droit vital en stipulant « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit est protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.52 » Le nombre élevé de fatalités palestiniennes, pour la plupart sous les balles de l'armée d’occupation israélienne ou les colons israéliens, sans que ceci n'entraîne la poursuite des tueurs impliquent clairement et directement la responsabilité d’Israël53.
43. Le droit à la liberté énoncé à l’article 3 de la déclaration des droits de l’homme ainsi que l’article 9 du Pacte des droits civil et politiques est évidemment violé par Israël qui détient d’une façon arbitraire sans procès ou condamnation des centaines de Palestiniens54.
44. La liberté de circulation, énoncée à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme est violée de façon continue par Israël, qui applique un contrôle draconien sur le déplacement des Palestiniens au sein des territoires occupés ainsi que sur leurs sorties hors des territoires. Cette politique visant à pousser les Palestiniens à quitter définitivement les territoires occupés atteint son apogée à Jérusalem-est.
45. Les droits des femmes et des filles : l’environnement coercitif et violent causé par l’occupation israélienne atteint plus durement les femmes palestiniennes. Le deuxième rapport de la Commission internationale d’enquête le constate clairement : « les effets conjugués des différentes pratiques d’occupation, notamment les restrictions des
51 Committee on the Rights of the Child, concluding observations on the second to fourth periodic reports of Israel, adopted by the Committee at its sixty-third session (27 May – 14 June 2013), CRC/C/ISR/CO/2-4, 4 July 2013.
52 Article 3 de la déclaration des droits de l’homme et article 6 par. 1 du Pacte des droits civils et politiques.
53 Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, A/77/501, 3 octobre 2022, p. 5, par. 9-10.
54 Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, A/77/501, 3 octobre 2022, p. 16-17, par. 43 à 45 et Le Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, A/HRC/47/57, p. 6-7 par. 23.
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déplacements pèsent sur l’égalité des droits des deux sexes et entravent l’autonomie des femmes et des filles. Les femmes et filles sont particulièrement exposées à la violence fondée sur le genre dans le cadre de leurs activités quotidiennes. Les fouilles effectuées par des soldats de sexe masculin et les actes de harcèlement qui sont commis notamment aux points de contrôle, compromettent les déplacements des femmes et des filles et tendent à les priver d’un accès égal à la vie familiale, à l’éducation, aux soins de santé et à l’emploi. Les femmes et les filles sont également victimes d’actes de harcèlement et d’attaques violentes perpétrés par des colons
55.
46. Les droits de l’enfant : les enfants sont une autre composante de la société palestinienne gravement affectée par l’occupation israélienne. La violence infligée à la population civile, la destruction des écoles et des hôpitaux violent le droit des enfants palestiniens à la vie, à l’éducation et à une croissance saine et protégée. Le rapport de l’UNICEF daté du 15 mars 2023 décrit une situation tragique des enfants dans les territoires occupés56. La situation décrite dans le rapport montre qu’Israël porte atteinte aux droits de l’enfant mentionnés notamment aux articles 19, 24 et 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant57.
c-) Les politiques discriminatoires raciales d’Israël :
47. Israël adopte depuis des années des lois et des directives dans les territoires occupés, mais aussi à l’encontre de ses propres citoyens arabes, qui visent à discriminer une partie des personnes qui vivent sous son contrôle et même à asseoir une suprématie légale d’un groupe, « les Juifs », sur un autre groupe humain « les Arabes »58.
48. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale ne cesse de rappeler Israël qu’il doit respecter les obligations de la convention et « il invite instamment l’État partie (Israël) à donner pleinement effet à l’article 3 de la Convention en éliminant toutes les formes de ségrégation entre les communautés juives et les communautés non juives et toutes les politiques ou pratiques à caractère ségrégationniste qui ont des conséquences graves pour la population palestinienne en Israël proprement dit et dans le Territoire palestinien occupé et l’affectent de manière disproportionnée.59 »
55 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328 p. 21 par. 59 voir aussi le rapport de la haute commissaire, p. 7 à 9, para 24 à 32.
56 Humanitarian situation report N.3, UNICEF, reporting period 1 January to 31 December 2022, 15 March 2023, available online https://www.unicef.org/appeals/state-of-palestine/situation-reports (accessed on 8 May 2023).
57 Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989.
58 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328, 14 septembre 2022, p. 16 par. 46-47.
59 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, CERD/c/ISR/CO/17-19, 27 janvier 2020, p. 4 par. 16 et p.5 par. 21 à 23.
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49. La politique ségrégationniste d’Israël a atteint un tel niveau d’injustice durable vis-à-vis des Palestiniens que plusieurs experts internationaux et organisations non gouvernementales affirment que cette politique constitue le crime d’apartheid, un crime qui entraîne la responsabilité de l’État pour violation d’une norme impérative selon la conclusion de la Commission du droit international, 60 et implique aussi la responsabilité pénale des personnes qui le commettent, vu qu’il est considéré l’un des crimes contre l’humanité énoncés dans le statut de la Cour pénale internationale61.
50. L’ancien rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, après avoir clairement situé le crime de l’apartheid en droit international, et décrit la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, conclut son rapport62 en déclarant : « en appliquant chacun des trois critères cumulatifs énoncés dans la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime de l’apartheid et le statut de Rome (….) le système politique de gouvernement bien ancré dans le Territoire palestinien occupé, qui confie à un groupe racial, national et ethnique des droits, des avantages et des privilèges substantiels tout en contraignant intentionnellement un autre groupe à vivre derrière des murs et des points de contrôle et sous un régime militaire permanent, sans droits, sans égalité, sans dignité et sans liberté, satisfait aux normes de preuves généralement retenues pour déterminer l’existence d’un apartheid. » Le rapporteur spécial énumère les trois critères cumulatifs « premièrement, un régime institutionnalisé d’oppression raciale systématique et de discrimination a été bien mis en place. Les juifs israéliens et les arabes palestiniens de Jérusalem et de Cisjordanie vivant sous un régime unique qui répartit différemment les droits et les avantages en fonction de l’identité nationale et ethnique et qui organise la suprématie d’un groupe sur un autre et au détriment d’administration étrangère a été établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial national et ethnique sur un autre. Les dirigeants politiques israéliens d’hier et d’aujourd’hui ont à maintes reprises répété qu’ils avaient l’intention de conserver le contrôle de l’ensemble du territoire occupé afin d’étendre l'assise territoriale des parcelles de colonies juives actuelles et futures tout en maintenant les Palestiniens confinés dans des réserves de population (….) ce système de discrimination institutionnalisée visant à exercer une domination permanente a été imposée en recourant régulièrement à des actes cruels et inhumains, des exécutions arbitraires et extrajudiciaires et des actes de tortures, en acceptant que des enfants meurent de mort violente, en privant des personnes de leurs droits humains
60 Normes impératives du droit international général (jus cogens), texte du projet de conclusions et d’annexe tel qu’adopté par le Comité de rédaction en seconde lecture, détermination et conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), Commission du droit international, A/CN.4/L.967, 11 mai 2022.
61 Article 7 para. (j) du Statut de Rome.
62 Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, Conseil des droits de l’homme, A/HRC/49/87, date 12/08/2022.
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fondamentaux, en mettant en place un système de tribunaux militaires fondamentalement défectueux, et en ne respectant pas les garanties d’une procédure pénale régulière, en procédant à des détentions arbitraires, et en imposant des punitions collectives. La répétition de tels actes sur de longues périodes et le fait que la Knesset et le système judiciaire israélien les cautionnent, montrent qu’ils ne sont pas le fruit du hasard et n’ont rien de faits isolés mais font partie intégrante du système de domination mis en place par Israël. Ces actes relèvent de l’apartheid.
63»
51. L’un des éléments importants du crime d’apartheid commis par Israël est son refus d’autoriser les Palestiniens à retourner aux villes ou villages dont ils ont été chassés que ce soit en Israël ou dans les Territoires palestiniens occupés et ceci malgré les appels incessants des Nations Unies comme par exemple les résolutions 194 (1948) et 3236 (1974) de l’Assemblée générale.
52. Ce déni de droits aux palestiniens est d’autant plus flagrant qu’Israël depuis sa création encourage tout Juif, quel que soit sa nationalité, à venir s’établir en Israël ou les Territoires palestiniens occupés, en lui accordant la nationalité israélienne et diverses incitations matérielles64.
B-) Les conséquences juridiques des violations d’Israël :
53. Les points précédents montrent qu’Israël continue de violer des normes impératives du droit international, des normes qui créent des obligations erga omnes. La Cour avait déjà constaté ce fait dans son avis consultatif en 2004 où elle a déclaré « qu’au rang des obligations internationales violées par Israël, figurent des obligations erga omnes…. de telles obligations par leur nature même, concernent tous les États et vu l’importance des droits en cause tous les États peuvent être considérés comme ayant des intérêts à ce que ces droits soient protégés65. »
54. La nature des obligations violées entraîne dans ce cas une responsabilité spécifique vis-à-vis d’Israël, mais aussi une responsabilité des États tiers. En effet, le caractère continu et systématique des actions et politiques israéliennes constitue une violation aggravée qui entraîne trois genres d’obligations pour les États selon l’article 41 du projet d’articles sur la responsabilité des États recommandé par l’Assemblée générale des Nation Unies en 200166. Ainsi on abordera les conséquences juridiques vis-à-vis d’Israël, puis vis-à-vis des États tiers.
63 Ibid. p. 19 par. 52 à 56.
64 Amnesty International, Israel’s apartheid against Palestinians: Cruel system of domination and crime against humanity. 1/02/2022 available online: https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/ (accessed on 9 May 2023)
65 Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, p. 67, par. 155.
66 James Crawford, State responsibility the general part, Cambridge university press, 2014, p. 106.
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1- Les conséquences juridiques vis-à-vis d’Israël :
55. Comme il a été mentionné plus haut, Israël commet une violation grave du droit international public selon la définition de l’article 40 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, ces violations étant systématiques et continues. Israël est tenu de cesser ces actes illicites et d’offrir des assurances de non répétition selon l’article 30 du projet d’articles sur la responsabilité des États.
56. Concrètement, Israël est tenu dans ce cas, afin de respecter le principe du non recours à la force et son corollaire de l’inadmissibilité de l’annexion des territoires, de démanteler les colonies dans les Territoires palestiniens occupés. La Cour avait déjà affirmé dans son arrêt sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé qui’« Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les verges, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale, en vue de l’implantation des colonies.67 » Israël est tenu aussi de cesser sa violation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien de mettre fin à son occupation des Territoires palestiniens et de reconnaitre l’État de Palestine
57. Israël viole gravement le droit international tant qu’il continue d’appliquer des mesures discriminatoires vis-à-vis des Palestiniens, et tant qu’il maintient un régime d’apartheid dans les Territoires palestiniens occupés. Israël doit notamment abroger ou modifier diverses lois qui instaurent une discrimination contre les Palestiniens, comme par exemple la loi du retour 5710 et la loi de la propriété des absents.
58. Par ailleurs Israël restera dans une situation illégale tant qu’il n’applique pas les résolutions du Conseil de sécurité qui traitent des différents aspects de son occupation des territoires palestiniens comme les résolutions 242 (1967), 252 (1968), 271 (1969), 267(1969), 452 (1970), 298 (1971), 452 (1979), 446 (1979), 465 (1980), 471 (1980), 476 (1980), 478 (1980), 605 (1987), 904 (1994), 2334 (2016). En effet, « lorsque le Conseil de sécurité adopte une décision aux termes de l’article 25, conformément à la Charte il incombe aux États membres de se conformer à cette décision, notamment aux États qui ont voté contre elle et aux membres des Nations Unies qui ne siègent pas
Voir aussi Normes impératives du droit international général (jus cogens), texte du projet de conclusions et d’annexe tel qu’adopté par le Comité de rédaction en seconde lecture, détermination et conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), Commission du droit international, A/CN.4/L.967, 11 Mai 2022, Conclusion 19 ; et projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, 2001.
67 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, p. 66, par. 153.
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au Conseil. Ne pas l’admettre serait privé cet organe principal des fonctions et pouvoirs essentiels qu’il tient de la Charte.
68 »
59. L'occupation Israélienne du Territoire Palestinien est illégale tant dans sa conduite que dans son but. Par conséquent, Israël est dans l'obligation de mettre un terme immédiat et inconditionnel à cette situation illégale dont il est internationalement responsable et de fournir réparation.
2- Les conséquences vis-à-vis des États tiers :
60. Vu que les normes violées par Israël sont des normes impératives, ces violations affectent tous les États du fait de leur caractère erga omnes69. Le projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite stipule dans son article 41 que : « 1- les États doivent coopérer pour mettre fin par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40.
2-Aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation.70 »
61. La Cour avait déjà confirmé ces trois éléments qui incombent aux États en cas de violation d’obligation erga omnes quand elle déclara dans son avis sur les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé en 2004 : « vu la nature et l’importance des droits et obligations en cause, la Cour est d’avis que tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaitre la situation illicite … Ils sont également dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation… il appartient par ailleurs à tous les États de veiller, dans le respect de la Charte et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves … à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination71. »
62. De ce qui précède on peut dire que les conséquences des violations israéliennes sur les États tiers sont :
68 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, p.66, par. 153.
69 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54 par. 116.
70 Article 40 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite 2001 ; Normes impératives du droit international général (jus cogens), texte du projet de conclusions et d’annexe tel qu’adopté par le Comité de rédaction en seconde lecture, détermination et conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), Commission du droit international, A/CN.4/L.967, 11 Mai 2022, Conclusion 19.
71 Conséquences juridiques de L'édification d'un mur dans le Territoire palestinien occupé, avis consultatif ; C. I. J. Recueil 2004, p. 68, par. 159.
19
• Les États doivent coopérer par tout moyen licite afin qu’Israël se retire des Territoires palestiniens occupés, arrête sa politique d’expansion des colonies et démantèle les colonies existantes, annule ses politiques discriminatoires et enfin accorde aux Palestiniens le droit à l’autodétermination.
• Les États ne doivent pas reconnaître la situation de fait accompli qu’Israël crée dans les Territoires palestiniens occupés et surtout le changement du statut et de la situation démographique de Jérusalem-Est.
• Les États doivent aussi coopérer et oeuvrer dans le respect de la Charte et du droit international à ce qu’Israël mette fin au système d’apartheid qu’elle met en place dans les Territoires palestiniens occupés, directement ou à travers l’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité.
63. En somme, l'occupation israélienne du Territoire palestinien est illégale et doit cesser immédiatement et sans condition. En conséquence, les États tiers et les Organisations internationales sont tenus de soutenir sans délai les efforts visant à mettre un terme immédiat et inconditionnel à cette occupation et de s'abstenir de toute action ou omission qui contribue au maintien de la situation illégale.
3- Les conséquences vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies :
64. L’Organisation des Nations Unies, et en particulier l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, devraient prendre les mesures nécessaires pour assurer la mise en oeuvre de leurs résolutions pertinentes sans aucun retard et examiner les mesures supplémentaires nécessaires pour :
• Mettre fin à tout obstacle à la réalisation par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination.
• Mettre fin à l’occupation, la colonisation et l’annexion prolongées du Territoire palestinien par Israël, notamment aux mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem.
• Mettre fin au système de ségrégation et de discrimination raciales équivalant à l'apartheid mis en place par Israël.
• Mettre un terme immédiat et inconditionnel à l'occupation israélienne illégale des Territoires palestiniens occupés.
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65. En conclusion, Le Liban considère la Cour compétente pour répondre à la demande d’avis consultatif contenue dans la résolution 77/247 de l'Assemblée générale, et prie la Cour de le faire à la lumière des observations qui précèdent.
Ambassadeur du Liban auprès du Royaume des Pays-Bas
Abdel Sattar Issa

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Exposé écrit du Liban

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