Observantions écrites de la Jordanie

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186-20231024-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18885
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU ROYAUME HACHÉMITE DE JORDANIE
25 octobre 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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Introduction ...................................................................................................................................1
Section I  La Cour devrait répondre aux questions posées par l’Assemblée générale ...................2
Section II  La relation entre l’avis consultatif et le cadre de négociation ......................................8
Section III  Question a) ............................................................................................................ 14
Section IV  Question b) ............................................................................................................ 23
Conclusions ................................................................................................................................. 27
INTRODUCTION
1. Les présentes observations écrites tiennent compte des exposés écrits d’autres États et d’organisations internationales participant à la procédure consultative et traitent certaines des questions qui y sont soulevées.
2. Le Royaume hachémite de Jordanie (ci-après la « Jordanie ») réaffirme dans leur intégralité les arguments qu’il a présentés dans son exposé écrit du 25 juillet 2023. Le fait qu’il ne commente pas tout ce qui figure dans d’autres exposés ne signifie pas qu’il y souscrive nécessairement. Seuls certains points spécifiques seront abordés ci-dessous.
3. Les présentes observations écrites se composent de quatre sections. À la section I, la Jordanie répondra au petit nombre d’États qui soutiennent que la Cour devrait user de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas répondre aux questions posées par l’Assemblée générale, ou n’y répondre que dans une mesure limitée. La Jordanie note qu’aucun État ne conteste la compétence de la Cour.
4. S’ils ne lui conseillent pas d’user de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas répondre aux questions, certains États estiment toutefois que la Cour devrait faire preuve de prudence et ne pas donner d’avis consultatif susceptible de compromettre le cadre de négociation en vigueur entre la Palestine, Israël et les autres parties concernées. La section II traite de cet argument.
5. La section III est consacrée à la question a), en réponse à laquelle la plupart des exposés écrits parviennent à des conclusions similaires.
6. La section IV revient sur les réponses de certains États à la question b).
7. La Jordanie présente enfin ses conclusions qui restent les mêmes que celles de son exposé écrit.
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SECTION I LA COUR DEVRAIT RÉPONDRE AUX QUESTIONS POSÉES PAR L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
8. Comme l’a expliqué la Jordanie dans son exposé écrit, la Cour a compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 et il n’existe aucune raison décisive pourquoi elle refuserait de le faire1. La Cour devrait donc répondre aux questions posées par l’Assemblée générale, conformément à sa position constante, selon laquelle sa réponse à une demande d’avis consultatif « constitue [sa] participation … à l’action de l’Organisation [des Nations Unies] et, en principe, … ne devrait pas être refusée »2.
9. L’incompétence de la Cour n’est plaidée dans aucun des 57 exposés écrits qui lui ont été soumis. Il sera question dans la présente section des arguments présentés par les quelques États qui ont soutenu que la Cour devrait malgré tout s’abstenir d’exercer sa compétence et refuser de répondre aux questions posées par l’Assemblée générale. La Jordanie souligne d’entrée de jeu qu’aucun des motifs invoqués ne saurait justifier un tel refus.
10. Il a tout d’abord été avancé que les questions figurant dans la demande étaient formulées de manière partiale, car elles « pointent un seul camp du doigt » et « font litière des preuves irréfutables des incitations officielles persistantes, côté palestinien, à la violence contre les Juifs et les Israéliens »3. Il a également été soutenu qu’
« y répondre supposera[it] pour la Cour d’apprécier le comportement [d’une partie] tout en étant privée de “la situation d’ensemble”, dont les raisons — notamment les actes de l’autre partie au différend sous-jacent — qui ont motivé nombre de ces mesures, lois, politiques et pratiques, et sans analyser le comportement de la seconde »4.
Il est en outre donné à entendre que « la Cour ne peut être certaine de disposer d’une vision complète ou exacte des éléments de preuve », que répondre aux questions posées « l’obligerait à s’engager dans une mission d’établissement des faits … à laquelle [elle] ne peut se prêter dans l’exercice de sa fonction consultative » et qu’elle « mettrait en jeu l’intégrité de sa fonction judiciaire si elle venait à poursuivre sans la pleine participation d’Israël »5.
11. Aucun de ces arguments ne devrait être retenu par la Cour6. En premier lieu, nombre des faits sont incontestés : il est indéniable, par exemple, que la loi fondamentale israélienne de 1980
1 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 2.1-2.17.
2 Voir Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 65, renvoyant à Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44.
3 Exposé écrit d’Israël, p. 1-2. Voir aussi exposé écrit du Royaume-Uni, par. 76.2 ; exposé écrit des États-Unis, par. 3.13.
4 Exposé écrit du Guatemala, par. 38. Voir aussi exposé écrit du Royaume-Uni, par. 67.1.
5 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 66.3, 67.1 et 68.
6 Voir de même Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 160-162, par. 55-58 et p. 163-164, par. 63-64.
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qualifie Jérusalem de capitale « entière et unifiée » d’Israël7, ou que celle de 2018 considère « le développement des colonies juives comme une valeur nationale » et affirme que l’État « agira pour encourager et promouvoir leur création et leur consolidation »8.
12. En outre, le fait qu’un État intéressé puisse décider de ne pas communiquer des informations qu’il considère comme pertinentes pour analyser les questions juridiques posées par l’Assemblée générale ne saurait en soit empêcher la Cour de répondre à la demande. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné dans la procédure sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (ci-après l’« avis de 2004 »), la Cour a rejeté l’argument d’Israël selon lequel « elle en serait réduite à des conjectures sur des faits essentiels et à des hypothèses sur des arguments de droit » « d’autant qu’Israël serait seul à posséder une grande partie des renseignements nécessaires », de sorte que des questions de fait étaient prétendument « impossibles à éclaircir »9. Elle a en effet indiqué que ce qui était décisif dans ces circonstances était de savoir « si la Cour dispose de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une manière conforme à son caractère judiciaire »10.
13. Comme l’ont souligné la Jordanie et de nombreux autres États participants, les éléments de preuve versés au dossier11 ou qui se trouvent dans le domaine public sont plus que suffisants pour permettre à la Cour d’apprécier en connaissance de cause les faits qui sont à l’origine de la demande. Il est à noter en particulier, comme l’a observé la Cour dans l’avis de 2004, que de nombreux documents émanant du Gouvernement israélien et concernant les préoccupations d’Israël en matière de sécurité sont dans le domaine public12. La présente phase de soumission des observations écrites offre également à l’ensemble des États et des organisations internationales en possession de renseignements pertinents l’occasion de les communiquer à la Cour.
14. Enfin, en réponse aux préoccupations exprimées par un État au sujet des éléments de preuve communiqués à ce jour13, il suffit de rappeler qu’il relève de la fonction judiciaire de la Cour d’apprécier leur pertinence et leur valeur probante, exercice auquel la Cour ne s’est jamais soustraite14.
15. En deuxième lieu, quelques États ont estimé que la formulation des questions de l’Assemblée générale est tendancieuse en ce qu’elle postule qu’Israël a manqué aux obligations qui lui incombent en droit international15. Or, cette formulation fait écho à la conclusion de la Cour qui,
7 “Basic Law: Jerusalem, Capital of Israel”, 30 juillet 1980, art. premier.
8 2018 Basic Law: Israel — The Nation State of the Jewish People (disponible à l’adresse suivante : https://m. knesset.gov.il/EN/activity/documents/BasicLawsPDF/BasicLawNationState.pdf, consulté le 5 octobre 2023).
9 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 161, par. 55.
10 Ibid., p. 161, par. 56, renvoyant à Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28-29, par. 46.
11 Exposés écrits de la Jordanie, première partie, par. 2.11 ; de l’Union africaine, par. 51 ; du Bangladesh, par. 7 ; du Chili, par. 25-27 ; du Luxembourg, par. 17 ; de la Malaisie par. 19 ; de la Namibie, par. 16 ; de la Fédération de Russie, par. 24 ; de l’Arabie saoudite, par. 21 ; de la Suisse, par. 18-19.
12 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 162, par. 57.
13 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 67.3.
14 Voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 74 et suiv., par. 180, 190-191 et 196-197.
15 Voir en particulier exposés écrits d’Israël, p. 1 ; des Fidji, p. 5-8 ; du Royaume-Uni, par. 76.1.
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dans son avis de 2004, a dit que la construction du mur par Israël, s’ajoutant à d’autres mesures connexes, « dress[ait] … un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viol[ait] de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit »16. Elle va également dans le sens de la conclusion de la Cour, qui a dit que les colonies occupées dans le territoire palestinien « l’[avaie]nt été en méconnaissance du droit international »17 et que, en intégrant les colonies de peuplement et les voies de circulation les desservant et en maintenant le mur en place, Israël créerait sur le terrain des faits accomplis « équiva[lan]t à une annexion de facto »18. En outre, les questions posées à la Cour ne font que prendre acte de la conclusion à laquelle celle-ci est parvenue, à savoir que, « [à] partir de 1967, Israël a pris … diverses mesures tendant à modifier le statut de la ville de Jérusalem »19 et adopté des « mesures illégales » qui en modifiaient la composition démographique20. Malheureusement ces constats conservent toute leur validité ; loin de reposer sur des hypothèses dénuées de fondement et biaisées, la présente demande se fonde sur des constatations antérieures sans équivoque de manquements au droit international émanant des principaux organes de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont la Cour elle-même.
16. En tout état de cause, les questions telles qu’elles sont formulées dans la demande n’empêchent nullement la Cour de se pencher sur la licéité du comportement d’Israël dans tous ses aspects pertinents21 : la Cour est toujours en droit d’« élargir, [d’]interpréter, voire [de] reformuler les questions » qui lui sont posées dans une demande d’avis consultatif22. La Jordanie relève qu’aucun des États ni aucune des organisations internationales participants n’a simplement « supposé » qu’Israël avait manqué aux obligations lui incombant au regard du droit international, mais qu’ils ont au contraire présenté une analyse détaillée du comportement d’Israël avant d’apprécier les conséquences juridiques de tout manquement éventuel. C’est ainsi qu’elle a elle-même procédé dans son exposé écrit23.
17. En troisième lieu, certains États font valoir que la demande est de nature contentieuse et estiment que le défaut de consentement d’Israël à la compétence de la Cour devrait amener celle-ci à refuser d’exercer sa fonction consultative. Les États-Unis, par exemple, avancent que « les questions posées en l’espèce mettent en jeu le principe du consentement au règlement judiciaire, et ce, bien davantage que dans la procédure sur l’édification d’un mur, car elles invitent la Cour à examiner des questions qui constituent l’objet même du différend », « y compris le statut du territoire en cause »24. Selon les Fidji, « [u]n avis consultatif sur les conséquences juridiques des violations alléguées du droit international toucherait au coeur même [du conflit politique et armé entre Israéliens et Palestiniens] et obligerait la Cour à dire le droit à propos de l’ensemble dudit conflit »25. Pour sa part, le Royaume-Uni maintient que « la procédure consultative n’offre que trop peu de protection
16 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122.
17 Ibid., p. 184, par. 120.
18 Ibid., p. 184, par. 121.
19 Ibid., p. 166, par. 35.
20 Ibid., p. 183-184, par. 120 et 122.
21 Ibid., p. 154, par. 39.
22 Ibid., p. 154, par. 38. Voir aussi Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 129, par. 35.
23 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, chap. 4.
24 Exposé écrit des États-Unis, par. 3.4 et 3.19. Voir aussi exposé écrit du Canada, par. 13-16.
25 Exposé écrit des Fidji, p. 4.
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quant aux droits procéduraux des parties au différend bilatéral » cela suscitant prétendument des préoccupations relatives à la régularité de la procédure et à l’équité
26.
18. Sur ce point, il ressort clairement des paragraphes 2 et 3 de l’article 102 du Règlement de la Cour qu’un avis consultatif peut être demandé « au sujet d’une question juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs États ». Dans de tels cas de figure, la Cour « s’inspire … des dispositions du Statut et du … Règlement en matière contentieuse », qui lui permettent de tenir compte de la position particulière des États concernés par la procédure27. En tout état de cause, comme cela a été rappelé par la Jordanie dans son exposé écrit28 et observé par d’autres29, le fait que la Cour puisse être amenée à se prononcer sur des questions juridiques au sujet desquelles des vues divergentes ont été exprimées ne signifie pas que, en répondant à une demande, elle se prononce sur un différend bilatéral nécessitant le consentement des États concernés à sa compétence30. Cela a été dit par la Cour à plusieurs reprises, y compris dans son avis de 2004. Les conclusions auxquelles celle-ci est parvenue en 2004 sont directement applicables à la présente procédure consultative.
19. En 2004, la Cour a également estimé que la construction du mur ne pouvait être considérée seulement comme une question bilatérale entre Israël et la Palestine, soulignant à ce sujet les « pouvoirs et responsabilités de l’O[NU] à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales » et en faisant également référence à la responsabilité de l’ONU, qualifiée par l’Assemblée générale dans sa résolution 57/107 de « responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale » (les italiques sont de nous). La Cour a également rappelé que la responsabilité de l’ONU à cet égard « trouve également son origine dans le mandat et dans la résolution relative au plan de partage de la Palestine ». Elle a ajouté que
« [d]ans le cadre institutionnel de l’O[NU], cette responsabilité s’est concrétisée par l’adoption de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, ainsi que par la création de plusieurs organes subsidiaires spécifiquement établis pour oeuvrer à la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien »31.
20. Les éléments soumis à la Cour dans la présente procédure consultative relèvent également des responsabilités de l’ONU telles que définies par la Cour. Que la demande porte sur un éventail plus large de questions juridiques ne change rien au fait que, comme en 2004,
« [l]’objet de la requête dont la Cour est saisie est d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout particulièrement les
26 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 67.2 et 68. Sur la question du consentement à la compétence de la Cour, voir aussi exposés écrits du Guatemala, par. 37-40 ; de la Hongrie, par. 9-18 ; d’Israël, p. 4 ; de la Zambie, p. 2.
27 La possibilité pour la Cour d’« adapter la procédure » conformément au paragraphe 2 de l’article 102 du Règlement a été par exemple soulignée par l’Afrique du Sud. Voir exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 43.
28 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 2.14.
29 Voir, par exemple, exposés écrits de l’Algérie, p. 16-17 ; de la France, par. 16 ; de l’Afrique du Sud, par. 27 et 35.
30 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 118, par. 89.
31 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158-159, par. 49.
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Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral »
32.
En conséquence, donner un avis n’aurait pas « pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et … [la Cour] ne saurait dès lors, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif »33.
21. Enfin, un petit nombre d’États exhorte la Cour à refuser d’exercer sa compétence ou l’appelle à tout le moins à bien réfléchir avant de répondre aux questions posées par l’Assemblée générale, en invoquant la nécessité qu’Israël et la Palestine négocient un règlement pacifique de la question palestinienne. Plus précisément :
 Quelques États estiment que donner un avis consultatif risquerait de compromettre les chances de réussite du processus de négociation. Cet argument sera examiné à la section II ci-dessous.
 Certains soulignent l’importance des négociations et demandent à la Cour de donner son avis en gardant à l’esprit que celui-ci devrait constituer un apport utile pour Israël et la Palestine dans ce contexte34. À ce sujet, la Jordanie réaffirme qu’elle a toujours soutenu les négociations de paix entre Israël et la Palestine et continuera de le faire après que l’avis aura été donné. Il importe toutefois que les négociations en question aient un sens et ne se réduisent pas à un processus formel35. Ce point sera également examiné à la section II ci-dessous.
 Un petit nombre d’États considère que les négociations constituent le seul cadre concerté pour le règlement du conflit entre Israël et la Palestine, tel que défini par le Conseil de sécurité et accepté par les deux parties. D’après ces États, il s’agit d’une raison décisive devant amener la Cour à ne pas exercer sa fonction consultative36. Cet argument sera traité dans les paragraphes suivants.
22. La mobilisation active du Conseil de sécurité en ce qui concerne la situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne, n’empêche nullement la Cour de donner un avis consultatif en répondant à des questions juridiques s’y rapportant. L’avis de 2004 l’a confirmé. Le fait que le Conseil de sécurité ait fixé certains principes devant s’appliquer aux négociations entre Israël et la Palestine, et qu’une feuille de route pour un règlement permanent du conflit israélo-palestinien avalisant les principes en question ait été adoptée n’y change rien. En outre, aucune des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité ni aucun des accords conclus par les parties intéressées n’exclut la possibilité que la Cour donne un avis consultatif sur les aspects juridiques des questions négociées.
32 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158-159, par. 49-50 (les italiques sont de nous).
33 Ibid.
34 Voir, par exemple, exposé écrit de la Norvège, p. 2.
35 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85.
36 Exposés écrits du Canada, par. 6, 17-20 ; de la République tchèque, p. 1-2 ; d’Israël, p. 3-5 ; des Fidji, p. 4-6 ; de la Hongrie, par. 20-30 ; de Nauru, par. 3, 5-19 ; du Royaume-Uni, par. 69-72.
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23. Il ressort clairement des principes énoncés dans la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité que le respect du droit international doit occuper une place centrale dans les négociations entre Israël et la Palestine. Un avis consultatif apportant des éclaircissements sur les questions juridiques qui sont au coeur du conflit s’accorderait donc bien avec le cadre de négociation en place.
24. En outre, les questions posées par l’Assemblée générale n’obligent pas la Cour à écarter la répartition intérimaire des pouvoirs et des responsabilités convenue par la Palestine et Israël dans les accords d’Oslo. Les accords intérimaires existants restent en vigueur entre les parties dans l’attente d’un règlement définitif du statut. L’exercice de sa compétence par la Cour ne contreviendrait donc en rien au cadre de négociation existant entre les parties.
25. En conclusion, il n’existe aucune raison décisive devant conduire la Cour à ne pas exercer sa compétence. Au contraire, la Jordanie partage l’opinion des États qui insistent sur la nécessité d’un avis consultatif de la Cour dans les circonstances actuelles. Elle convient en particulier que la Cour devrait « fournir à l’Assemblée générale … une clarification faisant autorité sur les questions juridiques soulevées », « sans respect du droit international, il ne pourra y avoir de solution juste — et donc durable — au conflit israélo-palestinien »37.
37 Exposé écrit de l’Irlande, par. 58.
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SECTION II LA RELATION ENTRE L’AVIS CONSULTATIF ET LE CADRE DE NÉGOCIATION
26. Comme indiqué au paragraphe 21 ci-dessus, un petit nombre d’États ont avancé dans leurs exposés écrits qu’un avis consultatif de la Cour risquait d’éloigner encore davantage la Palestine et Israël d’une solution négociée à deux États. Ces États ne demandent pas expressément à la Cour de s’abstenir d’exercer sa compétence pour ce motif ; ils soutiennent plutôt que, lorsqu’elle examinera les éléments qui lui sont soumis, la Cour devrait tenir compte du cadre de négociation existant afin de ne pas lui porter préjudice. Les États concernés ne précisent pas comment la Cour doit procéder à cette fin ; ils soulignent simplement que, selon eux, la question palestinienne ne peut être réglée que par une solution négociée et que la Cour doit faire preuve de « prudence » en répondant aux questions posées par l’Assemblée générale.
27. Dans la mesure où cet argument vise à dissuader la Cour de répondre pleinement aux questions posées par l’Assemblée générale, il convient de le rejeter. Comme cela a été expliqué à la section précédente38, l’existence d’un cadre de négociation ne constitue pas une raison décisive devant conduire la Cour à refuser d’exercer sa compétence.
28. La Jordanie a fait une brève description des négociations dans son exposé écrit39. En dépit de l’impasse actuelle, elle reste fermement attachée à une solution négociée conforme aux résolutions pertinentes de l’ONU et aux accords conclus par les parties les plus directement concernées. En même temps, la Jordanie est convaincue qu’il faut mettre fin au conflit israélo-palestinien sur le fondement du droit international. La Cour ne saurait accepter quelque allégation générale et gratuite voulant que l’élucidation du droit puisse compromettre la capacité d’Israël et de la Palestine de s’accorder sur un règlement final du statut. Le droit international promeut les relations amicales entre les États et le règlement pacifique des différends.
29. Les États-Unis présentent de manière assez détaillée la position décrite au paragraphe 26 ci-dessus. Ils déclarent que
« [l]es questions posées à la Cour doivent … être comprises comme une demande d’avis dont l’objet est de faciliter l’exercice par l’Assemblée générale du rôle et des fonctions qui lui sont propres au sein du système des Nations Unies afin de promouvoir un règlement négocié du conflit. Il est essentiel que l’avis consultatif de la Cour aide à atteindre cet objet. »40
Ils relèvent également que « l’ONU n’a eu de cesse de soutenir la proposition selon laquelle une paix globale, juste et durable devait résulter de négociations directes entre les parties au conflit, et non être imposée de l’extérieur ou par une seule partie »41, ajoutant que « les parties israélienne et palestinienne ont reconnu … que leurs accords antérieurs demeuraient pertinents »42 et que certains
38 Voir par. 21-24 ci-dessus.
39 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 3.20-3.60.
40 Exposé écrit des États-Unis, par. 1.6.
41 Ibid., par. 2.1.
42 Ibid., par. 2.21.
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États Membres ont craint que « cet appel à la Cour puisse compromettre la perspective de la tenue de négociations israélo-palestiniennes à l’avenir »
43.
30. Des vues similaires sont exprimées par un petit nombre d’autres États, bien que plus succinctement. Le Guatemala déclare par exemple que « seules des négociations bilatérales permettront d’aboutir à un règlement définitif du différend israélo-palestinien »44, et que la Cour devrait « t[enir] dûment compte des négociations bilatérales … et contribue[r] à leur mise en oeuvre rapide »45. Le Canada estime que « seule une négociation … entre les parties permettra de parvenir à une paix durable »46. La Fédération de Russie déclare pour sa part que l’avis consultatif de la Cour « devra s’inscrire dans ce cadre [la résolution 2334 du Conseil de sécurité] et contribuer à sa mise à effet »47. Elle ajoute que
« la Cour, quel que soit l’avis consultatif qu’elle pourrait donner, devrait s’efforcer de faire en sorte que celui-ci contribue à la mission visant à créer les conditions qui permettraient d’assurer le succès des négociations sur le statut final, ou du moins à ce qu’il n’engendre pas de nouveaux obstacles à ces négociations »48.
L’Italie déclare que la Cour devrait « veille[r] à exercer ses fonctions d’une manière qui s’accorde avec les responsabilités et les intérêts déclarés de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, de façon à préserver la capacité des parties à négocier la paix et une solution des deux États »49. La République tchèque avance que, si la Cour devait décider de donner un avis, « ses réponses ne pourraient en aucun cas être interprétées comme une permission de s’écarter du cadre juridique établi pour mettre fin à des décennies d’affrontement et de conflit »50.
31. Ces arguments n’ont rien de nouveau. Dans son avis de 2004, la Cour a répondu à une position similaire de la façon suivante :
« L’influence que l’avis de la Cour pourrait avoir sur ces négociations n’apparaît … pas de façon évidente : les participants à la présente procédure ont exprimé à cet égard des vues divergentes. La Cour ne saurait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence. »51
Dans son avis consultatif sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, elle a déclaré de la même manière qu’elle « ne [pouvait] — tout particulièrement en l’absence d’éléments sur lesquels fonder cette appréciation —
43 Ibid., par. 2.23.
44 Exposé écrit du Guatemala, par. 29.
45 Ibid., par. 48.
46 Exposé écrit du Canada, par. 6.
47 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 43. Voir aussi par. 55-56.
48 Ibid., par. 59.
49 Exposé écrit de l’Italie, par. 5.
50 Exposé écrit de la République tchèque, p. 3.
51 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 160, par. 52-53.
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faire prévaloir son propre point de vue sur les conséquences négatives que risquerait d’emporter son avis »
52.
32. Le même raisonnement s’applique en la présente espèce. Même si les questions sur lesquelles l’avis de la Cour est sollicité sont d’une portée plus large que celles qui lui avaient été soumises en 2004, penser que l’avis de la Cour pourrait nuire aux négociations entre la Palestine et Israël revient à conjecturer. En résumé, les partisans de cette thèse ne présentent aucun « élément[] sur [lequel] fonder cette appréciation »53.
33. En outre, comme l’a souligné la Jordanie dans son exposé écrit, les négociations entre Israël et la Palestine n’ont pas progressé au cours des 20 dernières années54. Un avis de la Cour ne pourrait donc avoir qu’un effet positif sur leur tenue. Comme elle l’a indiqué dans son exposé écrit, la Jordanie estime qu’un avis de la Cour apportant des éclaircissements sur le droit pourrait contribuer à l’avancement des négociations entre les parties concernées. Le droit international constitue indéniablement un élément majeur dont il faut tenir compte dans le cadre de ces négociations. La Cour l’a formulé de la manière suivante dans son avis de 2004 :
« La Cour a abouti à la conclusion que la construction du mur par Israël dans le territoire palestinien occupé est contraire au droit international et a précisé les conséquences juridiques qu’il convient de tirer de cette illicéité. Elle croit devoir ajouter que cette construction doit être replacée dans un contexte plus général. Depuis 1947, année de l’adoption de la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale et de la fin du mandat pour la Palestine, se sont multipliés sur le territoire de l’ancien mandat les conflits armés, les actes de violence indiscriminés et les mesures de répression. La Cour relèvera qu’aussi bien Israël que la Palestine ont l’obligation de respecter de manière scrupuleuse le droit international humanitaire, dont l’un des buts principaux est de protéger la vie des personnes civiles. Des actions illicites ont été menées et des décisions unilatérales ont été prises par les uns et par les autres alors que, de l’avis de la Cour, seule la mise en oeuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier les résolutions 242 (1967) et 338 (1973), est susceptible de mettre un terme à cette situation tragique. La “feuille de route” approuvée par la résolution 1515 (2003) du Conseil de sécurité constitue l’effort le plus récent en vue de provoquer des négociations à cette fin. La Cour croit de son devoir d’appeler l’attention de l’Assemblée générale, à laquelle cet avis est destiné, sur la nécessité d’encourager ces efforts en vue d’aboutir le plus tôt possible, sur la base du droit international, à une solution négociée des problèmes pendants et à la constitution d’un État palestinien vivant côte à côte avec Israël et ses autres voisins, et d’assurer à chacun dans la région paix et sécurité. »55
34. La Cour n’a pas, pour répondre à la demande de l’Assemblée générale, à se prononcer sur des questions relatives au statut permanent. La Jordanie relève par exemple qu’il lui est demandé, au titre de la question b), de déterminer le statut de l’occupation par Israël du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Ainsi qu’elle l’explique au chapitre 5 de son exposé écrit et à la
52 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 418, par. 35. Voir aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 17.
53 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 418, par. 35.
54 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 3.20-3.60.
55 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200-201, par. 162 (les italiques sont de nous).
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section IV ci-dessous, la Jordanie estime que l’occupation est illicite en tant que telle et qu’Israël doit par conséquent se retirer de ce territoire dans les plus brefs délais. Cela étant, la Palestine et Israël ont toujours la possibilité de conclure un accord sur des questions touchant au statut final, et il est primordial qu’ils le fassent pour parvenir à la solution des deux États et à une paix globale, juste et durable dans la région.
35. En résumé, contrairement à ce qu’avancent certains États, l’avis donné par la Cour à l’Assemblée générale n’aura pas forcément des effets préjudiciables. Le peuple palestinien ne peut être privé de ses droits à cause d’un cadre de négociation qui n’a manifestement pas porté ses fruits à ce jour, du fait de l’absence de bonne foi d’Israël et de ses actions visant à créer des faits accomplis, comme l’a constaté la Cour en 200456, notamment le déplacement des Palestiniens de leurs terres et l’annexion de territoire de jure ou de facto. Cela est d’autant plus vrai lorsque, au lieu de respecter le cadre de négociation, les autorités israéliennes intensifient leurs actions et durcissent leur rhétorique, et ne semblent nullement désireuses de parvenir à une paix globale, juste et durable.
36. Comme cela a été souligné au paragraphe 21 ci-dessus, les négociations ne sauraient se réduire à un processus formel. Il faut que de véritables tentatives de négocier aient lieu57 et ces négociations doivent être menées de bonne foi, chacune des parties tenant « raisonnablement compte des droits de l’autre »58. La Cour a souligné que « [l]es États ont … l’obligation de se comporter de telle sorte que “les négociations aient un sens” »59, ce qui n’est pas le cas lorsque l’une des parties « insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification »60.
37. En outre, comme l’a déclaré l’Assemblée générale dans sa résolution consacrée aux « Principes devant guider la négociation internationale »61, les négociations doivent être menées « conformément au droit international d’une manière qui soit compatible avec la réalisation de leur objectif déclaré et favorable à cette réalisation ». Dans la présente espèce, l’objectif déclaré des négociations entre Israël et la Palestine, tel que défini par le Conseil de sécurité dans sa résolution 242 (1967), est d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient, qui doit comprendre notamment :
 le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du conflit de 1967 ;
56 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121.
57 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132-133, par. 157-159.
58 Voir en particulier Nations Unies, Assemblée générale, résolution 53/101 du 20 janvier 1999, par. 2 a) (« Les négociations doivent être menées de bonne foi »). Voir aussi Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 33, par. 78 ; Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 202, par. 69.
59 Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 685, par. 132.
60 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85. Voir aussi l’avis consultatif relatif au trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, dans laquelle la Cour permanente de Justice internationale a déclaré, à propos de l’obligation de négocier, qu’il ne s’agissait « pas seulement d’entamer des négociations, mais encore de les poursuivre autant que possible, en vue d’arriver à des accords » (Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, avis consultatif, 1931, C.P.J.I. série A/B no 42, p. 116). Ce passage de l’avis consultatif de la CPJI a été invoqué dans plusieurs arrêts de la Cour, dont celui rendu en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 132, par. 157.
61 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 53/101 du 20 janvier 1999.
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 la cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et le respect et la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ; et
 la nécessité de réaliser un juste règlement du problème des réfugiés62.
38. L’obligation d’appliquer la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité « dans toutes ses parties » a été réaffirmée dans sa résolution 338 (1973)63 ainsi qu’à de nombreuses reprises ultérieurement, y compris dans sa résolution 2334 (2016) du 23 décembre 2016. Dans la déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie (accord d’Oslo I), Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont expressément déclaré que « les négociations sur le statut permanent aboutir[aient] à l’application des résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité »64. Ils ont réaffirmé cet engagement dans l’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (accord d’Oslo II)65. La Jordanie relève qu’aucun des États participant à la présente procédure consultative n’a contesté le fait que ces résolutions continuent de constituer la base des négociations entre Israël et la Palestine.
39. Or, comme la Jordanie l’a mis en évidence dans son exposé écrit, Israël a systématiquement refusé de faire des propositions compatibles avec l’objectif déclaré des négociations défini ci-dessus66. Elle relève en particulier les éléments suivants :
 les gouvernements israéliens qui se sont succédé n’ont jamais admis la prémisse d’un État palestinien fondé sur les frontières antérieures à 1967 et toutes les propositions qu’ils ont avancées depuis la conclusion des accords d’Oslo partaient du principe que les négociateurs palestiniens devraient accepter les nouvelles « réalités » des colonies israéliennes construites depuis 196767 ;
 dans ses propositions et positions de négociation, Israël a constamment affirmé que l’ensemble de Jérusalem relevait de sa souveraineté. Les propositions consistant à restituer un nombre limité de quartiers arabes de Jérusalem-Est occupée au futur État palestinien exigeaient des Palestiniens qu’ils reconnaissent la souveraineté d’Israël sur la plus grande partie de ce territoire, qu’ils renoncent à tous droits à la souveraineté sur la mosquée al-Haram al-Charif/al-Aqsa et qu’ils consentent d’autres concessions de taille quant aux droits que le peuple palestinien tient du droit international68 ;
 pour ce qui est des réfugiés, Israël n’a fait aucune proposition dans laquelle il aurait reconnu la responsabilité qui lui incombe au regard du droit international de régler ce problème ou
62 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 242 (1967) du 22 novembre 1967.
63 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 338 (1973) du 22 octobre 1973.
64 Voir lettre datée du 8 octobre 1993 adressée au Secrétaire général par les représentants permanents des États-Unis d’Amérique et de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/48/486, et son annexe intitulée « Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie ».
65 Voir lettre datée du 27 décembre 1995 adressée au Secrétaire général par les représentants permanents de la Fédération de Russie et des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/51/889, et son annexe intitulée « Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza » (disponible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N97/119/99/PDF/N9711999.pdf?OpenElement/, consulté le 12 juillet 2023).
66 Voir exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 3.20-3.60.
67 Ibid., par. 3.55.
68 Ibid., par. 3.56.
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d’apporter une solution juste conformément au droit international. Il n’a jamais reconnu les droits au retour et à une indemnisation, et toutes ses propositions auraient eu pour effet de compromettre les droits fondamentaux des réfugiés palestiniens à son égard
69.
40. Compte tenu de ce qui précède, la Jordanie réaffirme avec force que toute négociation entre Israël et la Palestine doit être menée dans le respect de l’obligation des parties de négocier de bonne foi et de manière constructive, afin de parvenir à un accord conforme aux conditions énoncées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 242 (1967) et auxquelles les deux États ont expressément souscrit.
41. En conclusion de la présente section, la Palestine et Israël doivent s’efforcer de parvenir à un règlement négocié du conflit qui les oppose de longue date, dans le respect du droit international, y compris le cadre pertinent défini par l’ONU et leurs accords bilatéraux, et compte tenu de l’avis consultatif de la Cour. Un avis consultatif de la Cour apportant des éclaircissements sur certains aspects du conflit au regard du droit international n’est pas incompatible avec le cadre de négociation. Au contraire, le prononcé d’un avis par la Cour et la poursuite des négociations seraient mutuellement complémentaires. Tout argument laissant entendre qu’il en irait autrement devrait être rejeté.
42. Dans les affaires relatives à la Compétence en matière de pêcheries, la Cour a conclu que les parties avaient l’obligation mutuelle d’engager des négociations de bonne foi pour aboutir à la solution équitable de leurs divergences, en déclarant ce qui suit sur ce point :
« Dans les nouvelles négociations qui doivent se tenir sur la base du présent arrêt, les Parties bénéficieront de l’évaluation qui précède de leurs droits respectifs et de certains principes directeurs en définissant la portée. Leur tâche sera de conduire leurs négociations dans un esprit tel que chacune doive, de bonne foi, tenir raisonnablement compte des droits de l’autre … et prenant en considération les intérêts d’autres États qui ont dans la région des droits … bien établis. »70
Une conclusion analogue s’applique à la présente procédure, dans laquelle des éclaircissements par la Cour des aspects juridiques du conflit ne pourraient que contribuer aux négociations à venir entre les États concernés.
69 Ibid., par. 3.57. Au sujet du déni du droit au retour du peuple palestinien par Israël, voir, par exemple, l’exposé écrit du Belize, par. 57-61.
70 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 33, par. 78 ; Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 202, par. 69.
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SECTION III QUESTION A)
43. La question a) se lit comme suit :
Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
44. La Jordanie a répondu à cette question au chapitre 4 de la première partie, ainsi que dans la seconde partie de son exposé écrit. Ce chapitre comptait cinq sections, dont la première traitait de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; la deuxième, de l’occupation, de la colonisation et de l’annexion prolongées par Israël du Territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ; la troisième, des lois et mesures discriminatoires adoptées par Israël ; la quatrième, des crimes contre l’humanité ; et la cinquième, des conséquences juridiques des violations par Israël du droit international.
45. Les observations écrites de la Jordanie relatives aux exposés écrits d’autres participants à la procédure s’articuleront autour de ces cinq mêmes thèmes. La Jordanie relève que nombre de ces exposés portent sur les mêmes questions que celles qu’elle a traitées et en font parfois un examen très approfondi révélant une position semblable à la sienne. Les exposés écrits montrent qu’il existe quantité d’éléments permettant à la Cour d’apprécier la situation en connaissance de cause et de répondre pleinement à la question posée.
A. Violation par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination
46. Dans son exposé écrit, la Jordanie décrit la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à la souveraineté permanente sur ses ressources naturelles71. La plupart des exposés écrits parviennent aux mêmes conclusions.
47. Après avoir exposé les règles de droit applicables, y compris la reconnaissance du droit à l’autodétermination en tant que norme du jus cogens, la Palestine a examiné la violation persistante des différents éléments de ce droit — l’intégrité territoriale, l’interdiction de la manipulation démographique, la souveraineté permanente sur les ressources naturelles et le droit de déterminer librement son statut politique et d’assurer librement son développement économique, social et culturel. Elle a conclu que, si chaque politique ou pratique emporte en soi manquement grave au droit à l’autodétermination, elles en constituent collectivement « une violation manifeste, grave, de longue date et persistante »72.
48. Pour l’Irlande « les politiques et pratiques d’Israël relatives aux colonies dans le Territoire palestinien occupé sont en contradiction totale avec l’administration temporaire de territoires
71 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.7-4.25.
72 Exposé écrit de la Palestine, par. 5.86.
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conformément au droit de l’occupation militaire », et la situation d’annexion créée par le mur s’inscrit dans un processus plus large d’annexion de terres et « constitue[] une violation grave de son obligation de respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien »
73. Dans le même esprit, l’Égypte soutient que « la fragmentation et le démembrement des territoires palestiniens occupés, sous l’effet de la politique israélienne de colonisation et de l’annexion de facto et de jure, constituent donc une violation du principe fondamental d’autodétermination »74. Le Qatar ajoute qu’Israël prive indéfiniment le peuple palestinien de l’exercice de son droit à l’autodétermination « [e]n transférant intentionnellement sa population dans le Territoire palestinien occupé et en provoquant le déplacement de Palestiniens à l’intérieur du Territoire palestinien occupé » et « [e]n s’engageant intentionnellement dans des politiques qui fragmentent le territoire palestinien et en dépossédant les Palestiniens »75.
49. Le Chili a procédé à une lecture chronologique des rapports établis par les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 afin de mettre en évidence la détérioration continue de la situation humanitaire et des droits de l’homme depuis 29 ans. Il a adopté une position semblable à celle de la Jordanie, concluant que l’occupation israélienne prolongée et toutes les mesures prises pendant cette période avaient privé le peuple palestinien du « droit de déterminer son propre statut politique et de poursuivre librement son développement économique, social et culturel sans ingérence extérieure »76. Le Liban a ajouté « l’interdiction d’exploiter les ressources naturelles des territoires occupés » à la liste des règles fondamentales violées par Israël77, comme l’avait fait la Jordanie78. L’Algérie a également estimé que « [l]a spoliation des richesses naturelles des Palestiniens constitu[ait] une partie intégrante de la politique coloniale israélienne »79.
50. La Jordanie souscrit aux arguments importants présentés par d’autres participants à la procédure. Elle renouvelle en particulier sa dénonciation catégorique du « fait qu’Israël … et les colons israéliens exploitent, mettent en péril et épuisent les ressources naturelles » du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est80, et considère que les pratiques d’Israël à cet égard sont particulièrement préoccupantes s’agissant des ressources en eau, ce qu’ont souligné plusieurs participants à la procédure81. Comme l’a indiqué la Palestine, depuis le début de l’occupation en 1967, Israël interdit aux Palestiniens d’accéder au Jourdain ou d’y puiser la moindre goutte et limite fortement leur accès à toutes les autres ressources hydriques82. En Cisjordanie, l’ensemble du réseau
73 Exposé écrit de l’Irlande, par. 35, 38 et 44-45. Voir aussi exposé écrit de la Suisse, par. 38.
74 Exposé écrit de l’Égypte, par. 225 ; voir aussi par. 236-237. Voir également exposés écrits du Belize, par. 21-22 ; du Guyana, par. 29-31 ; des Émirats arabes unis, par. 73-74.
75 Exposé écrit du Qatar, par. 4.28 et 4.32.
76 Exposé écrit du Chili, par. 95, et par. 79-86. Voir aussi exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 70.
77 Exposé écrit du Liban, par. 38.
78 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.10-4.11.
79 Exposé écrit de l’Algérie, p. 48. Voir aussi exposé écrit de l’Organisation de la coopération islamique, par. 405.
80 Nations Unies, Conseil économique et social, résolution 2022/22 du 22 juillet 2022, mentionnée dans l’exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.22. Voir aussi le rapport de la commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, du 14 septembre 2022 (Nations Unies, doc. A/77/328), cité au paragraphe 3.251 de l’exposé écrit de la Palestine, faisant référence à « l’expropriation, [au] pillage et [à] l’exploitation de terres et de ressources naturelles vitales » par Israël en Cisjordanie.
81 Voir en particulier exposé écrit de la Palestine, par. 4.145-4.153 et 5.56-5.57. Voir aussi exposés écrits de la Bolivie, p. 10 et 16 ; de Cuba, p. 19 ; de la Malaisie par. 52 ; des Maldives, par. 38-41 ; de l’Union africaine, par. 183-189.
82 Exposé écrit de la Palestine, par. 3.249-3.256 et 4.147. Voir aussi exposé écrit de l’Union africaine, par. 188.
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de distribution d’eau est contrôlé par la société israélienne Mekorot (propriété de l’État d’Israël), qui prélève de l’eau dans les terres palestiniennes pour l’acheminer vers les colons
83.
51. Les Maldives ont mis en évidence le fait que
« [l]a répartition des ressources en eau du Territoire palestinien occupé entre Palestiniens et colons israéliens est profondément inéquitable. Selon une estimation de mai 2022, les colons israéliens avaient accès à 320 litres d’eau par personne et par jour, tandis que les Palestiniens des zones A et B de la Cisjordanie avaient accès à 75 à 100 litres par personne et par jour, et ceux de la zone C à 30 à 50 litres. Les Palestiniens sont contraints d’acheter de l’eau auprès de fournisseurs publics ou privés à un coût qui est environ six fois supérieur au prix national »84.
Les politiques d’Israël dans ce domaine ont été dénoncées notamment par la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme85, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED)86 et plusieurs organisations non gouvernementales87.
52. La Palestine a souligné à juste titre qu’Israël avait fait fi des demandes persistantes de la communauté internationale l’invitant à mettre fin à ses pratiques relatives à l’eau88. La Jordanie reprend à son compte la déclaration suivante de la Palestine :
« La prise de contrôle des réserves d’eau douce de la Cisjordanie — ses ressources naturelles les plus précieuses et essentielles à sa survie — par Israël et leur exploitation dans le propre intérêt de cet État et de celui des colons israéliens mettent en péril la sécurité de l’eau qui est indispensable à la subsistance et à l’économie du peuple palestinien. »89
Il est essentiel que la souveraineté sur ses ressources en eau soit restituée au peuple palestinien.
53. La Jordanie réaffirme à cet égard que l’appropriation et l’exploitation illicites par Israël des ressources en eau du Territoire palestinien occupé constituent également une violation flagrante
83 Exposé écrit de la Palestine, par. 4.148-4.149. Voir aussi exposé écrit des Maldives, par. 41.
84 Exposé écrit des Maldives, par. 41 e), renvoyant aux rapports de la commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël du 9 mai 2022 (Nations Unies, doc. A/HRC/50/21) et du 14 septembre 2022 (Nations Unies, doc. A/77/328). Voir aussi exposé écrit de l’Union africaine, par. 187.
85 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, « Répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est », doc. A/HRC/48/43, 15 octobre 2021), par. 31-32.
86 CNUCED, « Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : le coût des restrictions dans la zone C, vu du ciel » (Nations Unies, doc. UNCTAD/GDS/APP/2022/1), p. 7 :
« Les faits montrent que la Puissance occupante continue d’épuiser les ressources naturelles, en particulier l’eau, dans le territoire occupé, les exploitant à son avantage et au détriment du peuple palestinien. La politique d’Israël en matière d’eau favorise les colonies sur les plans économique et politique et facilite leur expansion, tout en privant l’économie et l’agriculture palestiniennes de ressources essentielles. »
87 Voir, par exemple, Amnesty International, « L’occupation de l’eau », 29 novembre 2017 (https://www.amnesty. org/fr/latest/campaigns/2017/11/the-occupation-of-water).
88 Exposé écrit de la Palestine, par. 3.256.
89 Ibid., par. 5.57.
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des règles relatives au pillage des ressources naturelles dans un territoire occupé
90, à l’usufruit91 en droit international humanitaire et à l’utilisation durable des ressources naturelles. Ces règles sont énoncées dans les principes de la Commission du droit international (ci-après la « CDI ») sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés92. Le principe 16 dispose que le pillage des ressources naturelles est interdit. Le principe 20 prévoit en outre qu’une puissance occupante n’est autorisée à administrer et à utiliser les ressources naturelles dans un territoire occupé qu’au bénéfice de la population protégée et à d’autres fins licites en vertu du droit des conflits armés.
B. Occupation, colonisation et annexion prolongées par Israël du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem
54. Dans son exposé écrit, la Jordanie a expliqué que l’occupation était par définition une situation temporaire, limitée par les critères de la nécessité militaire et circonscrite par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, y compris l’interdiction de la discrimination fondée sur plusieurs motifs, dont la race, qui est imposée tant par la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la « CIEDR ») que par le droit international coutumier.
55. Or, l’occupation israélienne n’a pas un caractère temporaire. Elle est manifestement destinée à s’inscrire dans la durée, comme le démontrent notamment les politiques et pratiques des colonies et des avant-postes, les routes à accès réservé, l’interdiction d’accès à la terre, l’appropriation et le contrôle des ressources naturelles, la tolérance vis-à-vis de la violence des colons, les mesures destinées à modifier la composition géographique des terres palestiniennes, la construction d’infrastructures permanentes, l’adoption de lois israéliennes directement applicables en Cisjordanie, le transfert de pouvoirs de contrôle et de gouvernance du Territoire palestinien occupé des responsables militaires aux responsables civils et les déclarations répétées des dirigeants du Gouvernement israélien proclamant leur « intention d’agir à titre de souverain ». Tous ces faits équivalent indéniablement à une annexion. Les exposés écrits convergent largement sur ces questions. L’intention d’Israël d’annexer le Territoire palestinien occupé est manifeste pour ce qui concerne Jérusalem-Est, dont la loi fondamentale de 1980 prétendait faire la capitale « entière et unifiée » d’Israël93. Comme l’a souligné la Jordanie dans son exposé écrit, cette prétendue annexion a été fermement rejetée par la communauté internationale94.
56. Dans son exposé écrit également, la Jordanie décrit les tentatives de modification par Israël de la composition démographique du Territoire palestinien occupé, notamment pour ce qui concerne la ville sainte de Jérusalem95. Plusieurs autres États ont commenté ces mesures dans des termes similaires, en rappelant que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité condamnaient cette
90 Règlement de La Haye, art. 28 et 47 ; quatrième convention de Genève, art. 33, par. 2.
91 Règlement de La Haye, art. 55.
92 Rapport annuel de la Commission du droit international, 2022 (Nations Unies, doc. A/77/10), chap. V. Voir aussi la résolution 77/104 en date du 19 décembre 2022, dans laquelle l’Assemblée générale des Nations Unies prend acte des principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, dont le texte est annexé à la résolution.
93 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 3.8, 3.13 et 4.83. Voir aussi chap. 3, partie A, de l’exposé écrit de la Palestine, relatif à l’annexion de Jérusalem par Israël.
94 Voir exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.87-4.88, renvoyant en particulier à la résolution 478 (1980) du 20 août 1980 du Conseil de sécurité et à la résolution 36/120E du 10 décembre 1981 de l’Assemblée générale.
95 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.85–4.94.
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pratique. La Palestine
96, par exemple, a évoqué une « manipulation démographique »97 ; le Qatar a qualifié les restrictions à la résidence des Palestiniens à Jérusalem-Est de « pièce maîtresse des politiques de contrôle démographique d’Israël »98 ; les Émirats arabes unis ont relevé que Jérusalem-Est était « intimement liée à la viabilité de la solution des deux États »99 ; la France a analysé le changement démographique dans le cadre de la politique israélienne de colonisation ou d’annexion du Territoire palestinien occupé, notamment Jérusalem-Est100 ; Djibouti a estimé que les mesures visant à modifier la composition démographique de Jérusalem-Est constituaient une violation du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme101 ; enfin, la Suisse a relevé que les mesures prises par Israël entraînaient
« des changements fondamentaux, notamment démographiques, pouvant endosser un caractère permanent. Elles affectent négativement la population palestinienne au lieu de lui être bénéfiques et contribuent à la création d’un environnement coercitif et vont donc à l’encontre des principes du droit de l’occupation »102.
57. La Jordanie a en outre dénoncé les tentatives israéliennes de modification du caractère religieux et historique de Jérusalem, appelant l’attention sur la destruction de lieux saints musulmans et sur les sévères restrictions de l’accès aux lieux saints musulmans et chrétiens, imposées non seulement aux fidèles, mais aussi aux autorités chargées d’en assurer l’entretien103. La Palestine a de même mis en évidence les politiques et pratiques israéliennes « visant à renforcer la dimension israélienne juive de Jérusalem au détriment de sa dimension palestinienne, musulmane et chrétienne », dénonçant les attaques contre les sites religieux musulmans, les restrictions imposées aux fidèles musulmans et chrétiens et les fouilles archéologiques menées à proximité immédiate de sites religieux musulmans et chrétiens qui contreviennent à plusieurs résolutions de l’UNESCO104.
58. La Jordanie a enfin rappelé dans son exposé écrit qu’Israël était tenu de respecter les obligations lui incombant en droit international humanitaire en tant que puissance occupante, et devait protéger le peuple palestinien et lui permettre de jouir de ses droits de l’homme sur l’ensemble du Territoire palestinien occupé, quelle que soit la durée de l’occupation. La violation par Israël de ses obligations à cet égard a été dénoncée dans la plupart des exposés écrits. La Jordanie rappelle à ce sujet que, à ses yeux, Gaza fait partie intégrante du Territoire palestinien occupé depuis 1967, et ce, en dépit du « désengagement » d’Israël en 2005, étant donné qu’Israël continue d’exercer son contrôle sur Gaza, surtout aux points de passage terrestres, ainsi que sur l’espace aérien et les zones maritimes situées au large105. Plusieurs États se sont expressément ralliés à cette position dans leurs
96 Exposé écrit de la Palestine, par. 3.12-3.30, 3.73-3.91 et 3.220-3.238.
97 Ibid., par. 5.2, 5.12–5.14 et 5.49–5.54.
98 Exposé écrit du Qatar, par. 2.45 et suiv.
99 Exposé écrit des Émirats arabes unis, par. 23-52.
100 Exposé écrit de la France, par. 52-69 et 70-77.
101 Exposé écrit de Djibouti, par. 43-49.
102 Exposé écrit de la Suisse, par. 48.
103 Exposé écrit de la Jordanie, deuxième partie.
104 Exposé écrit de la Palestine, par. 3.131-3.143.
105 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 3.9.
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exposés écrits
106. Il ne fait aucun doute que les obligations imposées à Israël par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme s’appliquent à Gaza107.
C. Lois et mesures discriminatoires d’Israël
59. Dans son exposé écrit, la Jordanie a mis en évidence les différentes mesures discriminatoires introduites par Israël sous couvert du droit militaire et fait la démonstration de leurs effets discriminatoires sur de multiples aspects de la vie quotidienne des Palestiniens soumis à l’occupation. Sont notamment en cause le refus d’autoriser la construction de logements, d’écoles et d’infrastructure sociale, l’obligation de démolir des constructions dites non autorisées, l’obligation de disposer d’un permis pour accéder à la terre et à l’emploi, le déni d’accès aux ressources naturelles, en particulier l’eau, le recours à l’armée pour réprimer l’expression d’opinions politiques au moyen de l’usage excessif de la force létale, ainsi que la détention « administrative » arbitraire, la prise pour cible des enfants et l’entrave à l’accès aux établissements d’enseignement, aux hôpitaux et aux services de santé. En outre, les Palestiniens doivent maintenant faire face à l’extrême violence de colons, souvent tolérée ou encouragée par les forces armées israéliennes qui manquent à leur devoir de protection.
60. Dans son exposé écrit, la Jordanie a traité en particulier de l’obligation incombant à Israël de ne pas exercer à l’égard des Palestiniens de discrimination fondée sur la race, en application de la CIEDR, ni sur d’autres motifs visés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et elle a mis en évidence les problèmes soulevés par l’application du droit militaire, le régime d’aménagement, la répression militaire et l’impunité des colons auteurs de violences108.
61. La question de la discrimination raciale a fait l’objet d’une grande attention dans l’ensemble des exposés écrits des États et des organisations internationales, certains estimant que le régime imposé par Israël équivalait à un apartheid. C’est ainsi qu’une bonne partie de l’exposé écrit de la Namibie est consacrée à l’apartheid, que celle-ci considère à la fois comme défini par la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (la « convention contre l’apartheid ») adoptée en 1973 et comme donnant un éclairage sur le champ d’application de l’article 3 de la CIEDR. La Namibie a examiné les différentes mesures discriminatoires adoptées par Israël à travers le prisme de l’apartheid109. Le Chili a renvoyé à la déclaration du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 qui a estimé qu’en 2007, celle-ci « pouvait être décrite comme une situation de colonisation et d’apartheid »110. Le Belize, la Gambie, l’Indonésie, le Liban et le Qatar sont allés dans le même sens111. Djibouti a également exhorté la Cour à déterminer en particulier si les pratiques d’Israël étaient constitutives d’apartheid112.
106 Voir, par exemple, exposés écrits de l’Algérie, p. 34-35 et 37 ; du Belize, par. 27-30, par. 52 et par. 56 e), qualifiant Gaza de « plus grande prison du monde » et de « partie intégrante de la politique israélienne de domination et d’emprise permanentes du peuple palestinien le privant de ses droits de l’homme fondamentaux et de son droit à l’autodétermination » ; de la Bolivie, p. 10-11 ; de Cuba, p. 7 ; de Djibouti, par. 37-39 ; de la Palestine, par. 4.192-4.202.
107 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 178, par. 106.
108 Exposé écrit de la Jordanie, par. 4.95-4.141.
109 Exposé écrit de la Namibie, par. 18-120.
110 Exposé écrit du Chili, par. 46.
111 Exposés écrits du Belize, par. 63-73 ; de la Gambie, par. 1.9-1.14 ; de l’Indonésie, par. 37-39 ; du Liban, par. 47-52 ; du Qatar, par. 4.49-4.108. Voir aussi exposé écrit du Koweït, par. 33.
112 Exposé écrit de Djibouti, par. 28-30.
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62. La Ligue des États arabes a analysé la discrimination raciale, l’apartheid et d’autres violations des droits de l’homme plus largement au regard de « l’illicéité de la conduite de l’occupation »113. La Palestine a inclus l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid dans le « droit applicable »114 avant de recenser dans le détail les politiques et pratiques israéliennes emportant violation dudit droit, y compris la CIEDR115. Après avoir donné de nombreux exemples, elle a conclu que le « régime de discrimination raciale solidement enraciné » fondé sur un double système juridique appliquant des lois différentes est « en réalité, indifférenciable du régime d’apartheid »116.
63. L’Afrique du Sud a évoqué « un système oppressif et institutionnalisé de domination d’Israël », la reproduction de diverses « atrocités qui relèvent de la logique de l’apartheid » et des politiques cherchant à servir les intérêts d’une nation juive
« dont les privilèges ne peuvent être maintenus que par la dépossession et le morcellement des terres palestiniennes, le préjudice économique et politique infligé aux Palestiniens, les restrictions imposées à leurs déplacements, le refus de reconnaître leur dignité et la privation de toute protection juridique dont ils pourraient bénéficier, au moyen de l’adoption de lois arbitraires et d’ordonnances militaires »117.
D. Crimes contre l’humanité
64. La Jordanie a pris note de la définition des crimes contre l’humanité, telle qu’elle figure dans le Statut de la Cour pénale internationale et dans les récents travaux de la CDI. Elle a conclu que le Territoire palestinien occupé était le théâtre de crimes contre l’humanité, se traduisant par des morts et des blessés, des mesures de détention administrative, une discrimination systématique et une impunité institutionnalisée, et qu’Israël avait aussi manqué à ses obligations de prévenir et de punir de tels crimes.
65. D’autres États sont parvenus à une conclusion similaire. La Palestine a par exemple rappelé que la CDI avait relevé que certains des faits illicites les plus graves étaient définis comme tels au vu de leur caractère composite, et cité à titre d’exemple les obligations concernant « l’apartheid ou les crimes contre l’humanité, les actes systématiques de discrimination raciale »118, qui sont précisément ceux qui sont décrits au chapitre 4 de l’exposé écrit de la Jordanie. Le Qatar a également exposé en détail les violations de normes fondamentales du droit international et conclu que la conduite de l’occupation donnait lieu à des crimes contre l’humanité, en sus de violations graves du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme119.
113 Exposé écrit de la Ligue des États arabes, par. 76-91.
114 Exposé écrit de la Palestine, par. 2.44-2.50.
115 Exposé écrit de la Palestine, par. 4.7-4.220.
116 Ibid., par. 4.221-4.253.
117 Exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 91, 93 et 118. Voir aussi exposés écrits de l’Organisation de la coopération islamique, par. 334 ; de l’Union africaine, par. 193 (notant que l’occupation israélienne prolongée avait soumis le peuple palestinien « à une domination étrangère, à une discrimination systématique et à la privation de ses droits de l’homme fondamentaux ») ; de l’Arabie saoudite, par. 29 ; de la Syrie, par. 20 ; du Yémen, par. 34-38.
118 Exposé écrit de la Palestine, par. 7.35-7.36 et 4.221-4.253.
119 Exposé écrit du Qatar, par. 3.164–3.189.
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66. Comme cela a été indiqué dans un exposé écrit, « Israël exige depuis sa création une sorte d’exceptionnalité par rapport au droit international qui régit la société mondiale »120 — point de vue qui est tout autant applicable à l’impunité pour les actes commis par l’armée et par des colons qu’à l’ensemble des principes et règles susceptibles de faire l’objet de la présente demande d’avis consultatif.
E. Les conséquences juridiques des violations du droit international par Israël
67. La Jordanie réaffirme que toutes les mesures adoptées en violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris celles qui ont été prises en vertu du droit israélien pour modifier le caractère et le statut juridiques, géographiques et démographiques de Jérusalem et du Territoire palestinien occupé dans son ensemble, sont nulles et non avenues et n’ont aucune validité juridique121.
68. En outre, la Jordanie souligne de nouveau avec force qu’Israël doit mettre un terme à toutes les politiques et pratiques qui violent : 1) le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; 2) le droit de l’occupation militaire, y compris l’interdiction d’établir des colonies et des « avant-postes » et l’interdiction de l’annexion de territoires occupés ; 3) le principe y afférent de la non-acquisition de territoire par la force ; 4) l’interdiction de toutes formes de discrimination ; 5) le droit international des réfugiés ; et 6) l’obligation de ne pas se livrer à des actes constitutifs de crimes contre l’humanité, et de prévenir et punir de tels crimes. Qui plus est, Israël doit garantir la liberté d’accès aux Lieux saints passés sous son contrôle à la suite du conflit de 1967 et ne pas porter atteinte aux pouvoirs de la direction jordanienne des Awqaf d’entretenir et d’administrer la mosquée al-Haram al-Charif/al-Aqsa ainsi que d’en réguler l’accès122.
69. Israël est également tenu de réparer intégralement le préjudice causé par ses faits internationalement illicites, que ce soit sous forme de restitution, d’indemnisation ou de satisfaction, séparément ou conjointement123. La Jordanie est d’accord avec les États qui ont insisté sur l’obligation pour Israël d’indemniser la Palestine afin de réparer intégralement le dommage causé par ses faits illicites, au cas où une restitution s’avérerait matériellement impossible. Elle relève en particulier que la Palestine a mentionné la nécessité d’indemniser
« les pertes causées par l’expropriation des ressources naturelles de la Palestine par Israël, notamment l’exploitation de terres, de ressources en eau et de quantités importantes de minerais précieux, la destruction de structures de gestion et de répartition de l’approvisionnement en eau des Palestiniens ainsi que la destruction d’oliviers et d’autres sources de moyens de subsistance »124.
Le Brésil estime dans le même esprit qu’« [i]l importe en outre, pour évaluer l’indemnisation financière, de prendre en considération les droits du peuple palestinien sur ses ressources naturelles, y compris les terres, l’eau et les ressources en énergie »125. La Malaisie en fait autant126. Le Belize
120 Exposé écrit de l’Organisation de la coopération islamique, par. 199.
121 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.178.
122 Ibid., première partie, par. 4.176.
123 Ibid., première partie, par. 4.177.
124 Exposé écrit de la Palestine, par. 7.68 d).
125 Exposé écrit du Brésil, par. 56.
126 Exposé écrit de la Malaisie par. 67. b).
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met également en avant l’obligation d’Israël de réparer le préjudice causé par l’exploitation des ressources naturelles palestiniennes, dont celles se trouvant dans les zones maritimes de Gaza
127. La Jordanie souscrit à ces points de vue.
70. La Jordanie réaffirme enfin que le manquement persistant d’Israël à ses obligations en droit international entraîne des conséquences juridiques pour tous les autres États et pour l’ONU128. Elle renvoie à son exposé écrit, dans lequel elle détaille les conséquences juridiques en question129, et convient avec Djibouti que :
« la persistance de la partie israélienne à ignorer toutes les injonctions de respecter ses obligations internationales, qu’elles émanent de cette Cour, du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale, du Conseil des droits de l’homme, du Secrétaire général, de missions d’enquête ou de très nombreux rapports de l’ONU rend particulièrement cruciale l’attitude de la communauté internationale, notamment les États et l’ONU afin d’amener la partie israélienne à se conformer au droit international. Il est dès lors essentiel que les États tiers remplissent pleinement les obligations que le droit international met à leur charge, en cas de violation grave et systématique d’une norme impérative par un autre État »130.
127 Exposé écrit du Belize, par. 80. Sur ce point, voir aussi l’exposé écrit de l’Algérie, p. 48, sect. VI-7.
128 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.179.
129 Ibid., première partie, par. 4.180-4.189.
130 Exposé écrit de Djibouti, par. 54.
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SECTION IV QUESTION B)
71. La question b) se lit comme suit :
Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
72. Cette question porte sur deux points : le statut juridique actuel de l’occupation et les conséquences juridiques qui en découlent. La Jordanie y a répondu au chapitre 5 de son exposé écrit avant de résumer sa position dans les termes suivants :
« Les politiques et pratiques d’Israël traitées dans le chapitre 4, qui constituent des violations graves et systématiques du droit à l’autodétermination, du droit international humanitaire et de l’interdiction de la discrimination raciale, ne laissent aucun doute quant au fait que l’occupation du territoire palestinien est illicite dans son ensemble. »131
« L’une des principales conséquences juridiques découlant de l’occupation illicite du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, est qu’Israël a l’obligation de se retirer, dans les plus brefs délais, de l’ensemble du territoire en question. En outre, cet État doit réparer intégralement ses faits internationalement illicites. »132
73. La Jordanie souhaite formuler les observations suivantes au sujet des déclarations d’autres participants concernant la question b).
74. Dans leurs exposés écrits, de nombreux États, dont la Jordanie, traitent des conséquences juridiques pour tous les États et pour l’ONU en vertu du droit international de la responsabilité. Pour ce qui concerne l’incidence des politiques et pratiques d’Israël sur le statut juridique de l’occupation, de nombreux États concluent que celles-ci confèrent à l’occupation un caractère illicite dans son ensemble133, et qu’il faut mettre un terme à ladite occupation134.
131 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 5.3.
132 Ibid., par. 5.14.
133 Voir, par exemple, exposés écrits de l’Union africaine, par. 90 ; de l’Algérie, p. 27-30 et 46 ; du Bangladesh, par. 30-31 ; du Belize, par. 31-34 ; de la Bolivie, p. 14 ; du Brésil, par. 45 ; du Chili, par. 119 ; de Djibouti, par. 5-31 ; de l’Égypte, par. 249 et 270 ; de la Gambie, par. 1.8, 1.15 et 1.31-1.32 ; du Guyana, par. 34 ; de l’Indonésie, par. 51-60 ; du Koweït, par. 27 ; du Liban, par. 59 ; de la Ligue des États arabes, par. 44 ; de la Malaisie par. 62 ; de l’Organisation de la coopération islamique, par. 405 ; du Qatar, chap. 4-5 et par. 7.1 ; de l’Arabie saoudite, par. 31 ; du Sénégal, p. 5 ; de l’Afrique du Sud, par. 95, 119, 140 et 158 et de la Syrie, par. 31.
134 Voir, par exemple, exposés écrits de l’Union africaine, par. 199 ; de l’Algérie, p. 30 ; du Bangladesh, par. 12 et 32-33 ; de la Bolivie, p. 14 ; du Brésil, par. 50 ; du Chili, par. 120 ; de Djibouti, par. 53 ; de l’Égypte, par. 298 ; de la Gambie, par. 1.33 ; du Guyana, par. 34 ; de l’Indonésie, par. 61-62 ; du Koweït, par. 34-35 ; du Liban, par. 56 et 59 ; de la Ligue des États arabes, par. 44 ; de la Malaisie par. 66 ; des Maldives, par. 48 ; du Sultanat d’Oman, p. 5 ; de l’Organisation de la coopération islamique, par. 405 ; de la Palestine, par. 6.19, 7.21-7.26, 7.50 et 7.86 ; du Qatar, par. 4.1 ; de l’Arabie saoudite, par. 32 ; de l’Afrique du Sud, par. 143 ; de la Syrie, par. 5 et 32 ; et du Yémen, par. 42.
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75. La Palestine estime que « l’occupation par Israël du Territoire palestinien occupé est en soi illicite, ce qui fait de la présence persistante d’Israël dans ce territoire un fait internationalement illicite, celle-ci constituant une grave violation d’au moins trois normes impératives du droit international général »135, à savoir l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la menace ou l’emploi de la force, l’interdiction de la discrimination raciale ou de l’apartheid, voire des deux, et l’obligation de respecter le droit à l’autodétermination136. La Palestine souligne que, « loin d’être de simples produits de l’occupation, ces violations en sont le fondement »137. Pour l’Arabie saoudite, nombre des mesures prises par Israël constituent non seulement de graves violations des obligations incombant à cet État au regard du droit international, mais « impose[nt aussi] des entraves majeures et systématiques » à l’exercice du droit à l’autodétermination138.
76. Le Chili estime que l’occupation en tant que telle est illicite, parce qu’elle est perpétuée intentionnellement par Israël afin de poursuivre ses politiques et pratiques de colonisation illicites, qu’elle ne se justifie pas en tant que mesure nécessaire pour la protection d’Israël, et parce que la politique d’implantation de colonies de peuplement atteste que l’occupation vise l’annexion, tandis qu’Israël manque à son obligation d’agir au mieux des intérêts de la population sous occupation139. Le Liban partage le même point de vue140, tandis que l’Algérie considère que les politiques et pratiques d’Israël remettent en question le statut juridique de l’occupation141. La Ligue des États arabes s’est quant à elle attachée à examiner l’illicéité de la conduite de l’occupation dans sa globalité142, concluant que, si les expressions « occupation illicite » et « occupation illégale » sont ambiguës, elles peuvent néanmoins faire référence à l’illicéité de l’existence même de l’occupation (par exemple l’occupation en tant que déni du droit à l’autodétermination, ou une occupation dont l’objectif est nul et non avenu, tel que l’annexion), ou simplement renvoyer à l’illicéité de la conduite de l’occupation, telle que la discrimination fondée sur la race ou les violations de la liberté d’expression et de réunion143. Selon elle, tous les actes d’Israël dans le Territoire palestinien occupé sont nuls et non avenus en droit international et constituent un exercice illicite de l’autorité144. L’Organisation de la coopération islamique145, le Guyana146, l’Union africaine147, le Pakistan148, la Gambie149, la Malaisie150, l’Indonésie151 et Djibouti152 ont un point de vue similaire. Dans son analyse détaillée, le Qatar soutient que l’occupation israélienne prolongée — « la simple existence de
135 Exposé écrit de la Palestine, par. 6.4.
136 Ibid., par. 6.5. Voir aussi exposé écrit du Qatar, par. 4.1 ; exposé écrit du Yémen, par. 39-41.
137 Exposé écrit de la Palestine, par. 6.18.
138 Exposé écrit de l’Arabie saoudite, par. 28 et 42-49.
139 Exposé écrit du Chili, par. 119.
140 Exposé écrit du Liban, par. 60-63. Voir aussi exposé écrit de l’Espagne, par. 8.1.
141 Exposé écrit de l’Algérie, p. 52.
142 Exposé écrit de la Ligue des États arabes, par. 76-91.
143 Ibid., par. 92.
144 Ibid., par. 93 et 106-108.
145 Exposé écrit de l’Organisation de la coopération islamique, par. 405.
146 Exposé écrit du Guyana, par. 34.
147 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 90-136.
148 Exposé écrit du Pakistan, par. 38-41.
149 Exposé écrit de la Gambie, par. 1.5-1.31.
150 Exposé écrit de la Malaisie par. 61-62.
151 Exposé écrit de l’Indonésie, par. 51-60.
152 Exposé écrit de Djibouti, par. 5-31.
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l’occupation » — est illicite dans son ensemble, car elle constitue une violation persistante du droit à l’autodétermination, ainsi qu’un régime d’apartheid
153.
77. Les États ont donc avancé différentes explications qui amènent à la conclusion que l’occupation israélienne dans son ensemble est illicite. Cette conclusion n’est nullement remise en question par la diversité des aspects privilégiés, qui se renforcent de fait mutuellement. Par essence, l’illicéité de l’occupation ne fait aucun doute : en occupant le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, pour une durée indéterminée, en annexant de jure ou de facto de vastes parties dudit territoire, et en empêchant le peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination, Israël bafoue fondamentalement des principes élémentaires du droit international, dont le droit de l’occupation.
78. Deux arguments spécifiques soulevés dans les exposés écrits méritent un examen plus approfondi.
79. En premier lieu, plusieurs États, dont la Jordanie, ont, dans leurs exposés écrits, fait la distinction entre, d’une part, l’illicéité de l’occupation du Territoire palestinien occupé (Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et Gaza) ab initio résultant du recours illicite par Israël à la force en juin 1967, en violation du jus ad bellum et, d’autre part, l’illicéité de l’occupation actuellement154. Il n’est pas demandé à la Cour, au titre de la présente procédure consultative, de traiter de la première, à savoir la licéité de l’occupation ab initio.
80. En deuxième lieu, dans son exposé écrit, la France avance qu’accepter l’illicéité per se d’une occupation pourrait conduire à l’inapplicabilité du régime juridique de l’occupation, ce qui aboutirait à un résultat déraisonnable155. Or, il n’en est rien. Le droit de l’occupation ne cesserait pas de s’appliquer en cas de constat de l’illicéité per se de l’occupation israélienne, qui aurait pour conséquence juridique l’obligation d’y mettre fin dans les plus brefs délais. Bien que l’occupation dans son ensemble soit illicite et qu’il faille y mettre fin, tant qu’elle se poursuit dans les faits, le Territoire palestinien occupé reste régi par le droit de l’occupation. Israël ne peut poursuivre son occupation tout en s’affranchissant dans le même temps des obligations qui lui incombent au titre du droit applicable.
81. La Suisse a présenté la question dans des termes très clairs :
« Le droit de l’occupation et la légalité de l’occupation sont deux questions distinctes. L’occupation est une situation qui est régie par le droit international humanitaire alors que la légalité de celle-ci est régie par la Charte des Nations Unies … Le droit de l’occupation continue donc de s’appliquer dans le Territoire palestinien indépendamment de la question de la légalité de l’occupation. »156
Aux yeux de la Suisse, il serait utile que la Cour se prononce sur les conséquences, au regard du droit international, du caractère permanent des mesures prises par Israël, dont les changements
153 Exposé écrit du Qatar, par. 4.1-4.109.
154 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, note 327 ; exposé écrit de la Palestine, note 1042.
155 Exposé écrit de la France, par. 51.
156 Exposé écrit de la Suisse, par. 51.
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démographiques
157. Pour reprendre les termes employés par la Suisse, le droit de l’occupation s’applique indépendamment de la licéité de cette dernière158.
82. Pour la Jordanie, le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme demeurent applicables sans préjudice du caractère illicite de l’occupation israélienne159. La Jordanie rejette l’argument par lequel les États-Unis soutiennent que « [l]a deuxième question … repose sur un postulat erroné » et que l’occupation ne saurait être considérée comme illicite puisque « le statut juridique de l’occupation … résulte du seul fait de l’occupation »160. Il ne s’ensuit pas, comme semble l’avancer la France, que le fait de qualifier l’occupation d’« illicite » aurait pour conséquence absurde ou déraisonnable de priver la population civile de la protection assurée par le régime juridique de l’occupation161. Comme le relève par ailleurs la France dans d’autres passages de son exposé écrit, l’occupation est un état de fait162, et qualifier un fait d’illicite ou d’illégal au regard du droit international n’entraîne pas la cessation de la protection, les obligations correspondantes découlant elles-mêmes du fait du contrôle et de l’autorité exercés sur le territoire et les habitants.
157 Exposé écrit de la Suisse, par. 51.
158 Ibid.
159 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, par. 4.28 et 4.40.
160 Exposé écrit des États-Unis, par. 4.2-4.6.
161 Exposé écrit de la France, par. 51 :
« Le caractère prolongé d’une occupation, s’il est contraire au fait que celle-ci devrait être provisoire par nature, n’a pas pour conséquence de rendre celle-ci illicite per se. En effet, ce constat d’illicéité per se pourrait conduire à soutenir l’inapplicabilité du régime juridique de l’occupation. Cela aboutirait à un résultat, manifestement absurde ou déraisonnable ».
162 Ibid., par. 41 et 49. Selon les États-Unis, « le statut juridique de l’occupation en droit international humanitaire résulte du seul fait de l’occupation ». (exposé écrit des États-Unis, par. 4.2 (les italiques sont de nous)). Les États-Unis soutiennent également qu’il n’existe aucun critère en droit international sur la base duquel on puisse déterminer si l’occupation a été frappée d’illicéité (ibid., par. 4.6). Il semblerait toutefois que ce critère soit établi par d’autres « faits » juridiques pertinents, tels que l’annexion ou l’imposition d’un régime d’apartheid.
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CONCLUSIONS
Le Royaume hachémite de Jordanie confirme dans les présentes observations les conclusions énoncées dans son exposé écrit163 :
Pour les raisons énoncées dans les première et seconde parties de son exposé écrit et dans les présentes observations écrites, le Royaume hachémite de Jordanie prie respectueusement la Cour :
1) de dire qu’elle a compétence pour donner l’avis consultatif sollicité dans la résolution 77/247 de l’Assemblée générale, et de donner suite à la demande ;
2) de répondre à la question a) comme suit :
a) les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, emportent violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, du droit de l’occupation, de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, du droit international des droits de l’homme, notamment l’interdiction de la discrimination, du droit international des réfugiés, et d’autres règles de droit international, y compris celles concernant les Lieux saints de Jérusalem-Est et celles qui ont trait à l’interdiction des crimes contre l’humanité ;
b) les conséquences juridiques de ces violations pour Israël, pour les États tiers et pour l’ONU et d’autres organisations internationales sont celles prévues par le droit international de la responsabilité pour fait internationalement illicite ;
c) en particulier :
i) Israël est dans l’obligation de cesser ses faits internationalement illicites, et notamment ses violations du droit international applicable à l’entretien, à la préservation et à l’administration des Lieux saints de Jérusalem-Est ainsi qu’à la liberté d’accès à ces lieux ;
ii) toutes les mesures prises en violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris celles prises en vertu du droit israélien qui visent à modifier le caractère et le statut juridiques, géographiques et démographiques de Jérusalem et du Territoire palestinien occupé dans son ensemble, sont nulles et non avenues et n’ont aucune validité juridique ;
iii) Israël est dans l’obligation de réparer intégralement l’ensemble des préjudices causés par ses faits internationalement illicites ;
iv) tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par les faits internationalement illicites d’Israël, et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ;
v) tous les États sont dans l’obligation de reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, et notamment l’exercice de ce droit au sein d’un État de Palestine viable et indépendant ;
vi) tous les États sont dans l’obligation de coopérer, notamment avec l’ONU, afin de mettre fin aux faits internationalement illicites d’Israël ;
163 Exposé écrit de la Jordanie, première partie, p. 109-111, reproduit dans la deuxième partie, p. 152-155.
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vii) l’ONU, et spécialement l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité, doit, en tenant dûment compte de l’avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises en vue de mettre un terme aux faits internationalement illicites d’Israël ;
3) de répondre à la question b) comme suit :
a) l’occupation par Israël du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, est illicite ;
b) Israël est dans l’obligation de mettre fin à l’occupation dans les plus brefs délais ;
c) tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite résultant de l’occupation illicite du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de ne pas prêter aide et assistance au maintien de la situation créée par l’occupation ;
d) tous les États parties à la quatrième convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ont en outre l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire en sorte qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que codifié dans cette convention ;
e) l’ONU, et spécialement l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité, doit, en tenant dûment compte de l’avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises en vue de mettre un terme à l’occupation illicite.
Le 25 octobre 2023.
Le ministre de la justice,
représentant du Royaume hachémite de Jordanie,
M. Ahmad ZIADAT.
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Observantions écrites de la Jordanie

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