Exposé écrit du Japon

Document Number
186-20230725-WRI-01-00-EN
Document Type
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18843
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU JAPON
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
I. POSITION DU JAPON SUR LE PROCESSUS DE PAIX AU MOYEN-ORIENT
1. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » (A/RES/77/247), par laquelle elle a demandé à la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») :
« de donner … un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
2. En ce qui concerne le processus de paix au Moyen-Orient, le Japon soutient une solution à deux États où Israël et un futur État palestinien indépendant coexisteraient de manière pacifique et en toute sécurité. Il souligne que le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens, y compris la question du statut définitif de Jérusalem, ne peut être résolu que par des négociations et des efforts tendant à établir des rapports de confiance mutuels entre les parties. Il rappelle en outre que le terrorisme ne peut en aucun cas être justifié et exhorte toutes les parties impliquées à agir avec la plus grande retenue et à s’abstenir de toute violence et de tout autre acte de provocation afin d’éviter toute nouvelle escalade. Le Japon a eu à coeur de soutenir les Palestiniens en vue de créer un environnement favorable au rétablissement de la paix au Moyen-Orient et leur a accordé, depuis 1993, une aide de plus de 2,3 milliards de dollars des États-Unis afin d’améliorer la situation humanitaire de la Palestine et de promouvoir son autonomie économique.
3. Il est regrettable que les pourparlers de paix entre les deux parties soient au point mort depuis 2014 alors que des mesures unilatérales, telles que les activités d’implantation de colonies de peuplement, se poursuivent malgré les appels répétés de la communauté internationale. Comme la Cour l’a précisé dans son avis consultatif relatif aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (ci-après, l’«avis consultatif sur le mur»), la construction du mur dans le territoire palestinien occupé et le régime qui lui est associé sont contraires au droit international et compromettent la viabilité d’une solution à deux États.
4. Étant donné l’impasse dans laquelle se trouve le processus de paix au Moyen-Orient et la situation désastreuse sur le terrain, le Japon comprend parfaitement la volonté des Palestiniens d’explorer toutes les pistes. Il convient toutefois de déterminer soigneusement quelle approche est la plus appropriée pour parvenir à une paix durable au Moyen-Orient.
- 2 -
II. INTERDICTION DE L’ACQUISITION DE TERRITOIRE PAR LA FORCE
5. En ce qui concerne les questions posées à la Cour, le Japon estime que l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force constitue un élément essentiel de la primauté du droit parmi les nations, à laquelle il est profondément attaché, et revêt une importance capitale pour la paix et la stabilité dans la région et au sein de la communauté internationale. Ainsi qu’il l’a indiqué dans l’exposé écrit qu’il a présenté dans le cadre de la procédure relative à l’avis consultatif sur le mur, le Japon considère que l’« acquisition » de territoire par la force est inadmissible et que les mesures prises au titre d’une telle « acquisition » ne sauraient fonder l’attribution d’un titre territorial en droit international.
6. Compte tenu de l’importance particulière qu’il attache à la question de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, le Japon exposera les vues ci-après concernant la portée de cette interdiction.
7. Dans son avis consultatif sur le mur, la Cour a examiné le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force. Le paragraphe 121 de cet avis se lit comme suit :
« La Cour estime que la construction du mur et le régime qui lui est associé créent sur le terrain un “fait accompli” qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto. »
8. Ce prononcé de la Cour, en ce qu’il y est fait référence à une « annexion » de territoire, peut être interprété comme reflétant l’application du principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force à l’édification, par Israël, du mur dans le Territoire palestinien occupé. Si tel est le cas, il est permis de penser que la Cour considère que la construction du mur pourrait s’apparenter à une acquisition de territoire par la force, ce qui est interdit par le paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, car elle crée un « fait accompli ». Dans cet avis, la Cour ne s’est toutefois pas prononcée clairement sur la violation de la disposition précitée.
9. Le Japon estime que l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force énoncée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte constitue la pierre angulaire du système mis en place pour promouvoir la paix après la seconde guerre mondiale et fondé sur la primauté du droit parmi les nations. Comme la Cour l’a précisé dans l’avis consultatif sur le mur, l’illicéité de l’acquisition de territoire par la force est le corollaire de l’interdiction de l’emploi de la force énoncé dans la Charte des Nations Unies et reflète le droit international coutumier. La résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies » (ci-après la « déclaration sur les relations amicales »), se lit comme suit :
« Le territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une occupation militaire résultant de l’emploi de la force contrairement aux dispositions de la Charte. Le territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force. Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale. »
10. Dans leurs résolutions, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont, à maintes reprises, réaffirmé l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force. Dans le contexte de la situation au Moyen-Orient, les résolutions 242 (1967), 298 (1971) et 478 (1980) du Conseil de sécurité rappellent ce principe. Plus récemment, dans le contexte des actes russes en Ukraine, cette
- 3 -
interdiction a également été mise en exergue dans la résolution ES-11/4 de l’Assemblée générale intitulée « Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes consacrés par la Charte des Nations Unies », adoptée le 12 octobre 2022 avec le très large soutien de 143 États Membres de l’Organisation. Le Japon considère que cette interdiction constitue un important garde-fou pour la communauté internationale face au retour de la loi du plus fort.
11. Dans la même veine, les chefs d’État et de gouvernement du G7, qui se sont réunis le 20 mai 2023 à Hiroshima (Japon), ont publié un communiqué rappelant la primauté du droit parmi les nations1 :
« Nous défendrons les principes internationaux et nos valeurs communes :
 en défendant et en consolidant l’ordre international libre et ouvert fondé sur des règles de droit et en respectant la Charte des Nations Unies au profit de tous les pays, quelle que soit leur taille ;
 en nous opposant fermement à toute tentative unilatérale de modifier par la force ou la contrainte le statut établi pacifiquement de territoires, où que ce soit dans le monde, et en réaffirmant que l’acquisition de territoires par la force est prohibée» (p. 2).
12. Selon le Japon, l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force au regard de la Charte des Nations Unies : i) s’étend à l’envoi de forces régulières ou irrégulières sur un territoire situé à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’un autre État ou sur un territoire placé sous le contrôle établi pacifiquement d’un autre État, ainsi qu’à l’acquisition ou au renforcement par la contrainte du contrôle exercé sur un tel territoire ; et ii) s’applique même si ces actes ne causent ni morts, blessés et destructions.
13. La résolution ES-11/4 de l’Assemblée générale relative aux actes russes en Ukraine traite de tentatives d’acquisition de territoire au-delà de frontières internationalement reconnues par un emploi brutal de la force par des forces armées régulières, entraînant morts, blessés et destructions. Par ailleurs, la résolution 68/262 de l’Assemblée générale, adoptée le 27 mars 2014 dans le contexte de la tentative d’annexion de la Crimée, semble indiquer que ce processus constituait une acquisition illicite de territoire par la force, laquelle ne devait donc pas être reconnue2. Le processus en question ne semblait cependant pas inclure un emploi brutal de la force par des forces armées régulières. Ces forces auraient joué un rôle important dans le contrôle de la situation sur le terrain par la contrainte,
1 Communiqué des chefs d’État et de gouvernement du G7, accessible à l’adresse suivante : https://www.mofa.go. jp/files/100506878.pdf.
2 La résolution rappelait l’article 2 de la Charte des Nations Unies et le préambule de la déclaration sur les relations amicales. Les paragraphes pertinents de son dispositif se lisent comme suit :
« 1. Affirme son attachement à la souveraineté, à l’indépendance politique, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ;
2. Demande à tous les États de mettre fin et de renoncer à toute action visant à rompre partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris de s’abstenir de recourir à la menace, à l’emploi de la force ou à d’autres moyens illégaux pour modifier les frontières du pays ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6. Demande à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées de ne reconnaître aucune modification du statut de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol sur la base de ce référendum et de s’abstenir de tout acte ou contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance d’une telle modification de statut. » (Les italiques sont de nous.)
- 4 -
sans, toutefois, employer la force au point de causer des morts, des blessés et des destructions. Il a également été rapporté que la Russie avait admis que des forces opérant en Crimée sans insignes étaient russes. Si ces informations étaient confirmées, une telle tentative d’acquisition de territoire par la création d’un « fait accompli » en envoyant des forces armées sur un territoire situé à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’un autre État, en contrôlant la situation sur place par la contrainte et en déclarant unilatéralement l’annexion dudit territoire, constituerait une acquisition illicite de territoire par la force, prohibée par la Charte des Nations Unies. À cet égard, il convient également de noter que la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale sur la « Définition de l’agression » mentionne des actes ne correspondant pas nécessairement à un emploi brutal de la force entraînant morts, blessés et destructions
3.
14. Dans certaines affaires concernant des différends territoriaux dans lesquelles elle a été amenée à se prononcer sur l’application du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte au déploiement de personnels armés dans des territoires contestés, la Cour n’a pas exclu la possibilité d’appliquer cette disposition à des activités menées dans lesdits territoires, mais n’a pas jugé nécessaire de s’attarder sur cette question particulière4. Par ailleurs, outre les territoires situés à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’un autre État, ceux qui sont placés sous le contrôle établi pacifiquement d’un autre État ne peuvent pas non plus faire l’objet de tentatives d’acquisition par la force5.
15. Le 18 avril 2023, les ministres des affaires étrangères du G7 ont, dans leur communiqué, réaffirmé l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force en ces termes6 :
3 À titre d’exemple, à l’alinéa e) de l’article 3 de la définition, il est fait référence à « [l’]utilisation des forces armées d’un État qui sont stationnées sur le territoire d’un autre État avec l’accord de l’État d’accueil, contrairement aux conditions prévues dans l’accord ou toute prolongation de leur présence sur le territoire en question au-delà de la terminaison de l’accord ».
4 Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et en l’affaire jointe relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) (C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 740, par. 97), la Cour a jugé que,
« [d]ans les circonstances de l’espèce, … puisque le caractère illicite de ces activités a[vait] déjà été établi, [elle] n’a[vait] pas à s’attarder plus longuement sur ce chef de conclusions du Costa Rica. Tout comme en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), la Cour estime que, “du fait même du présent arrêt et de l’évacuation” du territoire litigieux, le préjudice subi par le Costa Rica “aura en tout état de cause été suffisamment pris en compte”. »
Dans son opinion individuelle, le juge Owada a cependant indiqué ce qui suit : « j’estime qu’il aurait été préférable que la Cour aille plus loin en déclarant que les faits internationalement illicites imputables aux autorités nicaraguayennes constituent un emploi illicite de la force au sens du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies » (par. 11-12). Le juge Robinson a souscrit à ces vues (par. 51). Voir T. Mikanagi, « Establishing a Military Presence in a Disputed Territory: Interpretation of Article 2(3) and (4) of the UN Charter », International & Comparative Law Quaterly (ICLQ), vol. 67, 2018, p. 1021-1034.
5 La Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie a conclu que l’Érythrée avait agi en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies en attaquant et en occupant en 1998 la ville de Badmé, sur laquelle l’Érythrée revendiquait la souveraineté mais dont la Commission a considéré qu’elle se trouvait, à l’époque, sous l’« administration pacifique » de l’Éthiopie. Par la suite, la Commission a jugé que Badmé appartenait à l’Érythrée et qu’il n’existait aucune « frontière internationalement reconnue » entre le territoire sous administration érythréenne et Badmé au moment de l’attaque en 1998. Elle a toutefois a reconnu que Badmé était sous l’administration pacifique de l’Éthiopie et que l’emploi de la force par l’Érythrée pour acquérir cette ville constituait une violation du paragraphe 4 de l’article 2. (Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, sentence partielle, Jus ad Bellum — Réclamations de l’Éthiopie 1-8, décision du 19 décembre 2015), Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVI, p. 465, par. 10-16.) La Commission n’a pas, dans sa sentence, défini l’expression « administration pacifique », mais celle-ci devrait englober le contrôle pacifiquement établi sur un territoire sans protestations de la part d’autres États.
6 G7 Japan 2023 Foreign Ministers’ Communiqué, April 18, 2023, Karuizawa, Nagano, available at https://www. mofa.go.jp/files/100492731.pdf.
- 5 -
« L’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies, constitue la pierre angulaire du système international mis en place après la seconde guerre mondiale. En dépit de cela, les ambitions territoriales ont de nouveau conduit certains États à recourir une fois de plus à la loi du plus fort, et nous avons redoublé d’efforts pour défendre la paix, guidés par le respect de l’état de droit. Le principe selon lequel un territoire ne peut faire l’objet d’une acquisition par un État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force a été réaffirmé dans la Déclaration de 1970 relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à [la] Charte des Nations Unies. Nous nous opposons fermement à toute tentative unilatérale de modifier par la force ou la contrainte le statut établi pacifiquement de territoires, où que ce soit dans le monde. À cet égard, l’envoi de troupes régulières ou irrégulières pour annexer unilatéralement un territoire est interdit. » (P. 10-11.)
16. Dans le préambule de sa résolution 242 (1967), le Conseil de sécurité a souligné l’inadmissibilité de « l’acquisition de territoire par la guerre » et l’engagement des États Membres à agir conformément à l’article 2 de la Charte des Nations Unies.
17. L’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force constituant la pierre angulaire du système international mis en place après la seconde guerre mondiale, et fondé sur la Charte des Nations Unies, l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force doit être observée de bonne foi, compte tenu de l’objet et du but de cet instrument.
___________

Document file FR
Document Long Title

Exposé écrit du Japon

Order
1
Links