Exposé écrit de la France

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186-20230725-WRI-18-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EXPOSÉ DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
25 juillet 2023
DEMANDE D’AVIS CONSULTATIF
CONSEQUENCES JURIDIQUES DECOULANT DES
POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE
PALESTINIEN OCCUPE, Y COMPRIS JERUSALEM-EST
2
I. Compétence et pouvoir discrétionnaire de la Cour ............................................................ 4
II. Les questions posées à la Cour par l’Assemblée générale ................................................. 7
A. Le droit applicable ....................................................................................................... 7
B. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination .................................................. 9
C. La question de « [l’]occupation, [la] colonisation et [l’]annexion prolongées du
territoire palestinien occupé depuis 1967 » par Israël .......................................................... 12
1. La question du caractère prolongé de l’occupation des territoires palestiniens
occupés ............................................................................................................................. 12
2. La politique de colonisation des territoires palestiniens occupés .......................... 15
D. La question de l’adoption par Israël de « lois et mesures discriminatoires et de
mesures visant à modifier la composition démographique du territoire considéré » ........... 17
1. La question des « lois et mesures discriminatoires » ............................................. 17
2. Les mesures visant à modifier la composition démographique du territoire
considéré ........................................................................................................................... 18
E. La question des « mesures visant à modifier le caractère et le statut de Jérusalem » 19
F. Les conséquences juridiques pour tous les Etats et pour l’Organisation des Nations
Unies ..................................................................................................................................... 21
3
1. Par sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies
a prié la Cour internationale de Justice (ci-après « la C.I.J. » ou « la Cour ») de rendre un
avis consultatif sur les questions suivantes :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël
du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa
colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis
1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le
caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des
lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a)
ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les
conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des
Nations Unies ? »
2. La demande d’avis consultatif a été notifiée par lettres en date du 19 janvier 2023 à tous
les États admis à ester devant la Cour, conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du
Statut. Dans son ordonnance en date du 3 février 2023, la Cour a décidé que
« l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres […] sont jugés susceptibles de
fournir des renseignements sur les questions soumises à la Cour pour avis consultatif et
qu’ils pourront le faire dans les délais fixés par la présente ordonnance ». Elle a fixé au 25
juillet 2023 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur la question
pourront être présentés à la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut.
3. Le présent exposé écrit est soumis par la France en vertu de cette ordonnance et
s’articulera en deux parties, consacrées à la compétence et au pouvoir discrétionnaire de
la Cour de répondre à la demande d’avis, puis à l’analyse des questions posées à la Cour
dans la présente procédure consultative.
4
I. COMPETENCE ET POUVOIR DISCRETIONNAIRE DE LA COUR
4. Sur le fondement de l’article 65, paragraphe 1, de son Statut, « [l]a Cour peut donner un
avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui
aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à
demander cet avis ». Il convient donc, en premier lieu, de déterminer si la Cour « a
compétence pour donner l’avis demandé et, dans l’affirmative, examiner s’il existe une
quelconque raison pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de répondre à
la demande »1.
5. En ce qui concerne la compétence d’abord, le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la
Cour limite le nombre d’entités compétentes pour lui demander un avis consultatif. La
compétence de l’Assemblée générale des Nations Unies pour procéder à une telle demande
ne fait en l’espèce aucun doute. L’article 96, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies
dispose en effet que « [l]’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la
Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique ».
6. Ce constat peut appeler deux remarques. L’article 10 de la Charte confère à l’Assemblée
générale une compétence générale à l’égard de « toutes questions ou affaires rentrant dans
le cadre de la présente Charte ». Les politiques et pratiques d’Israël dans les territoires
palestiniens occupés, objet de la présente demande d’avis, sont régulièrement soumises
pour examen à l’Assemblée générale, notamment en ce qu’elles soulèvent diverses
questions de droit international. Partant, les questions posées à la Cour dans cette procédure
consultative peuvent être rattachées au mandat que la Charte a confié à l’Assemblée
générale.
7. D’autre part, comme l’a précisé la Cour dans son avis de 2004 relatif aux Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, le fait que le
Conseil de sécurité demeure, par ailleurs, « saisi » de ces mêmes questions2, n’empêche
pas l’exercice de sa compétence par l’Assemblée générale en la matière3.
8. En ce qui concerne, ensuite, la formulation de la question posée dans le cadre de la présente
procédure, en vertu du paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, la Cour peut rendre un
avis sur « toute question juridique ». La France relève que, au regard de la jurisprudence
de la Cour, la question posée par l’Assemblée générale à la Cour présente indéniablement
un caractère « juridique », nonobstant ses implications politiques4.
1 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019, p. 111, par. 54.
2 E.g., résolution S/RES/2334(2016), 23 décembre 2016.
3 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), pp. 148-150, par. 24-28.
4 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 234.
5
9. Les questions posées à la Cour dans la présente procédure peuvent, à certains égards,
paraître imprécises, orientées ou ambiguës. Une telle formulation pourrait être de nature à
ne pas faciliter l’exercice, par la Cour, de sa fonction juridictionnelle.
10. Il en va, par exemple, ainsi de l’expression « occupation et annexion prolongées » dont le
sens ne paraît pas, au regard du droit international pertinent, des plus évidents à cerner. La
France note que la Cour dispose du pouvoir d’« élargir, [d’]interpréter, voire [de]
reformuler les questions qui lui [sont] posées »5, en particulier lorsqu’elle est confrontée à
un « manque de clarté dans [leur] libellé »6.
11. En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire dont la Cour dispose dans le choix de
répondre à la question posée par l’Assemblée, la France peut rappeler la jurisprudence
selon laquelle le fait « [q]ue la Cour ait compétence ne signifie pas, cependant, qu’elle soit
tenue de l’exercer »7.
12. Aussi a-t-elle « l’obligation de s’assurer, chaque fois qu’elle est saisie d’une demande
d’avis, de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire » en s’assurant qu’il n’existe pas
de « raisons décisives » qui feraient obstacle à l’exercice d’une telle fonction8.
13. En décembre 2022, la France, s’est abstenue lors du vote de la résolution 77/247, qui a été
adoptée par une majorité de 87 voix contre 26, avec 53 abstentions. Lors de l’adoption de
cette résolution, elle s’est associée à la quasi-totalité des États membres de l’Union
européenne pour rappeler la nécessité de discussions et consultations pour l’appréciation
de l’opportunité d’une demande d’avis consultatif à la Cour.
14. En janvier 2023, à la suite de mesures prises par Israël contre l’Autorité et la population
palestiniennes après l’adoption de la résolution 77/247 porteuse de la saisine pour avis de
la C.I.J., la France, ainsi que de nombreux États membres des Nations Unies, dont 23 États
membres de l’Union européenne, ont conjointement réitéré, indépendamment de leur vote,
leur soutien indéfectible à la C.I.J.et au droit international en tant que piliers de l’ordre
international. Dans ce contexte, la France souhaite rappeler son attachement à un règlement
juste et durable du conflit israélo-palestinien fondé sur le droit international, les résolutions
pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies et les paramètres internationalement
agréés. La France réitère son soutien constant à une solution négociée à deux États, vivant
5 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), pp. 153-154, par. 38 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en
1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 112, par. 61.
6 Demande de réformation du jugement n° 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1982, pp. 349-350, par. 47-48 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 423, par. 50 ; Conséquences juridiques
de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153, par.
38.
7 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019, p. 113, par. 63.
8 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 157, par. 45.
6
côte à côte en paix et en sécurité au sein de frontières sûres et reconnues, fondées sur les
lignes du 4 juin 1967, et ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale.
15. Enfin, il est possible de se demander si la question posée à la Cour porte en réalité sur un
différend bilatéral qui devrait relever, le cas échéant, de sa compétence contentieuse et non
consultative. A ce sujet, la Cour a rappelé, en maintes occasions, le principe fondamental
selon lequel « [i]l est bien établi en droit international qu’aucun État ne saurait être obligé
de soumettre un différend avec d’autres États […] à n’importe quel procédé de solution
pacifique, sans son consentement »9. Il en résulte qu’en matière consultative,
« le défaut de consentement d’un État intéressé peut, dans certaines circonstances,
rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire
de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre aurait
pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un
différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant »10.
16. Il semble ressortir de la jurisprudence de la Cour, dont la France a pris note, que des
divergences de vues entre deux États identifiés au sujet des interrogations soulevées par
une demande d’avis ne suffisent pas, à elles seules, à empêcher la Cour d’exercer sa
compétence consultative. En 2004, la Cour a estimé que la question de la construction d’un
mur sur le territoire palestinien occupé justifiait l’exercice, par elle, de sa compétence
consultative11. Elle a indiqué que rendre un avis sur le sujet « n’aurait pas pour effet de
tourner le principe du consentement au règlement judiciaire »12. Dans l’avis relatif aux
Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice, la Cour a résumé
sa jurisprudence en ces termes : dès lors que les questions posées « intéresse[nt]
particulièrement les Nations Unies » et s’inscrivent, de manière indissociable, dans un
cadre dépassant le seul différend bilatéral13, l’existence de ce dernier ne peut être
considérée comme une « raison décisive » justifiant un refus de donner un avis.
17. C’est à la lumière de ces différents éléments que la Cour devra déterminer sa compétence
et fixer les conditions auxquelles elle pourra répondre aux questions posées par
l’Assemblée générale en la présente procédure consultative.
9 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, C.P.J.I., série B n° 5, 1923, p. 27.
10 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33 ; Conséquences juridiques de l’édification
d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158, par. 47.
11 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 159, par. 50.
12 Idem.
13 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019, p. 118, par. 98.
7
II. LES QUESTIONS POSEES A LA COUR PAR L’ASSEMBLEE GENERALE
A. Le droit applicable
18. Par sa résolution 77/247, l’Assemblée générale a sollicité un avis consultatif de la Cour sur
deux questions, « compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte
des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de
l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de
l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 »14.
Ce faisant, l’Assemblée a entendu préciser le cadre juridique applicable à l’examen des
questions qu’elle a posées à la Cour. Toutefois, c’est à cette dernière qu’il appartient de
« déterminer […] les règles et principes de droit international qui sont pertinents pour
l’appréciation de la licéité des mesures prises par Israël »15.
19. La Cour a déjà procédé à une telle détermination lorsqu’il lui a été demandé de préciser les
conséquences juridiques découlant de l’édification par Israël d’un mur dans le territoire
palestinien occupé. Elle a ainsi indiqué qu’étaient applicables à l’examen de la licéité du
comportement israélien :
 Les « principes énoncés dans la Charte au sujet de l’usage de la force », lesquels
« reflètent le droit international coutumier » et, comme « corollaire, l’illicéité de
toute acquisition de territoire résultant de la menace ou de l’emploi de la force »16 ;
 Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il a été consacré
par la Charte, la résolution 2625 (XXV) portant « Déclaration relative aux principes
du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre États »
et dans les deux pactes sur les droits de l’homme du 16 décembre 1966 – droit
s’appliquant à « tous les peuples »17 et « opposable erga omnes »18 ;
 Les règles et principes du droit international humanitaire, tels qu’ils découlent des
dispositions du règlement de La Haye de 1907, qui ont valeur coutumière19, et de
la quatrième convention de Genève du 12 août 1949, « applicable dans tout
territoire occupé »20 ;
14 A/RES/77/247, par. 18.
15 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 171, par. 86.
16 Ibid., par. 87.
17 Ibid., pp. 171-172, par. 88.
18 Ibidem. La Cour cite l’arrêt rendu le 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J.
Recueil 1995, p. 102, par. 29. Dans son avis consultatif relatif aux Effets juridiques de la séparation de l’archipel
des Chagos de Maurice en 1965, la Cour a réitéré le « caractère normatif en droit international coutumier » du
droit à l’autodétermination et souligné qu’il avait, « en tant que droit humain fondamental, […] un champ
d’application étendu » (C.I.J. Recueil 2019, p. 133, par. 155 et p. 131, par. 144 respectivement).
19 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 172, par. 89.
20 Ibid., p. 177, par. 101.
8
 Les deux pactes internationaux du 16 décembre 1966 relatifs aux droits
économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques, ainsi que la
Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre
198921, traités dont la protection « ne cesse pas en cas de conflit armé »22. A cet
égard, la Cour a estimé que « le pacte international relatif aux droits civils et
politiques est applicable aux actes d’un État agissant dans l’exercice de sa
compétence en dehors de son propre territoire »23.
20. De l’avis de la France, il n’existe aucune raison objective qui conduirait à remettre en cause
les conclusions auxquelles la Cour est parvenue en 2004 quant à l’identification du droit
applicable à l’examen des questions que l’Assemblée a posées à la Cour dans la résolution
77/247.
21. Pour avoir une vision exhaustive du cadre juridique pertinent, il convient de souligner que
la Palestine est, de son côté, devenue partie à plusieurs traités multilatéraux dont le
Secrétariat des Nations Unies est dépositaire : peuvent être cités notamment, outre les deux
Pactes de 1966 et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, la
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des
femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Statut de
Rome de la Cour pénale internationale24. Par ailleurs, la Palestine est devenue partie à la
convention de La Haye d’octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre, aux
quatre conventions de Genève et à leurs Protocoles I à III ainsi qu’à la Convention de
l’UNESCO pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
22. En outre, sont également pertinents au regard du statut des territoires palestiniens et des
droits de son peuple, les résolutions spécifiques du Conseil de sécurité, celles de
l’Assemblée générale pour autant qu’elles reflètent le droit international coutumier ou
encore les instruments juridiques conclus entre le gouvernement d’Israël et l’Organisation
de Libération de la Palestine (ci-après « l’O.L.P. »), notamment la Déclaration de principes
sur des arrangements intérimaires d’autonomie du 13 septembre 199325 et l’Accord
21 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), pp. 180-181, pars. 111-113.
22 Ibid., p. 178, par. 106. V. également l’arrêt rendu le 19 décembre 2005 dans l’Affaire des activités armées sur le
territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), dans lequel la Cour, s’appuyant sur l’avis
consultatif du 9 juillet 2004, a confirmé que les « deux branches du droit international, à savoir le droit international
relatif aux droits de l’homme et le droit international humanitaire, devaient être prises en considération » (C.I.J.
Recueil 2005, p. 243, par. 216).
23 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 180, par. 111
24 À l’exception du Statut de Rome, Israël est partie à l’ensemble des traités cités.
25 A/48/486-S/2650.
9
intérimaire israélo-palestinien sur la Rive occidentale et la Bande de Gaza du 28 septembre
199526.
23. C’est en prenant en considération l’ensemble de ces éléments que la France présentera ses
observations sur les questions principales soulevées par la demande d’avis :
 Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination (B) ;
 La situation « [d’]occupation, de [la] colonisation et de [l’]annexion prolongées du
territoire palestinien occupé depuis 1967 » (C) ;
 L’adoption par Israël de « lois et mesures discriminatoires et de mesures visant à
modifier la composition démographique du territoire considéré » (D) ;
 Les « mesures visant à modifier le caractère et le statut de Jérusalem » (E) ; et
 Les conséquences juridiques découlant des violations constatées sur ces points (F).
B. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination
24. Dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, la Cour a souligné que « l’existence d’un
‘peuple palestinien’ ne saurait plus faire débat »27 et qu’elle avait d’ailleurs été reconnue
par Israël, à la fois dans l’échange de lettres du 9 septembre 1993 entre Yasser Arafat et
Yitzhak Rabin et dans l’accord intérimaire du 28 septembre 1995 sur la Cisjordanie et la
bande de Gaza28. Le Conseil de sécurité a également évoqué la nécessité d’un règlement
juste et durable du conflit qui tienne compte « des droits politiques légitimes du peuple
palestinien »29.
25. S’ils ne s’y limitent pas, ces droits renvoient au droit du peuple palestinien à
l’autodétermination30. Celui-ci comporte lui-même plusieurs déclinaisons, dont rend
notamment compte l’article premier, paragraphe 1er, commun aux deux pactes de 1966 :
26 A/51/889-S/1997/357.
27 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), pp. 182-183, par. 118.
28 V. not. le 8ème al. du préambule de l’Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Rive occidentale et la Bande
de Gaza du 28 septembre 1995 (A/51/889-S/1997/357). L’article III de la Déclaration de principes sur des
arrangements intérimaires d’autonomie du 13 septembre 1993 soulignait également que les élections au Conseil
de l’Autorité palestinienne « constituer[aien]t une étape préparatoire intérimaire importante sur la voie de la
réalisation des droits légitimes du peuple palestinien et de ses justes revendications » (A/48/486-S/2650, art.
III (3)).
29 S/RES/672 (1990), 12 octobre 1990, 2ème al. du préambule. V. la résolution S/RES/605 (1987), du 22 décembre
1987, dans laquelle le Conseil déclare avoir à l’esprit, au sujet des territoires occupés par Israël, « les droits
inaliénables de tous les peuples, reconnus par la Charte des Nations Unies et proclamés dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme » (2ème al. du préambule).
30 L’Assemblée générale prie ainsi le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien « de
continuer de tout mettre en oeuvre pour promouvoir l’exercice effectif des droits inaliénables du peuple palestinien,
y compris son droit à l’autodétermination » (A/RES/77/22, par. 2).
10
« Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils
déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur
développement économique, social et culturel ».
26. Quelles qu’en soient les manifestations concrètes au regard de la situation particulière d’un
peuple, le droit à l’autodétermination se réalise par le respect de diverses conditions,
permettant à ce peuple de disposer effectivement de lui-même.
27. Comme la Cour l’a souligné dès 1975, l’exercice de ce droit implique « de respecter la
volonté librement exprimée des peuples »31. Dans son avis relatif aux Chagos, la Cour a
encore précisé que le droit à l’autodétermination « doit être l’expression de la volonté libre
et authentique du peuple concerné »32, même si, « en droit international coutumier, [il]
n’impose pas un mécanisme particulier pour sa mise en oeuvre dans tous les cas »33. C’est
donc le respect de la volonté réelle et authentique du peuple considéré qui permet à
l’autodétermination de s’exercer en tant que droit, dans les multiples déclinaisons qu’il
peut connaître dans une situation donnée.
28. En ce qui concerne le peuple palestinien, ce droit a d’abord une dimension politique
largement consacrée, qui se caractérise par « son droit à un État de Palestine
indépendant »34 ou encore son droit « d’exercer sa souveraineté sur son territoire »35 et
« d’accéder à l’indépendance dans son État, la Palestine »36. Cette perspective s’inscrit
pleinement dans « la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine,
vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières reconnues et sûres »37.
29. Il convient de préciser que, dans ce contexte, toute action allant à l’encontre de la nécessité
de « préserver l’unité, la continuité et l’intégrité de l’ensemble du territoire palestinien
occupé, y compris Jérusalem-Est »38 constitue une violation du droit du peuple palestinien
à un État de Palestine indépendant dans l’exercice de son droit à l’autodétermination.
30. De ce point de vue, la poursuite de l’occupation mais aussi le développement de colonies
de peuplement et le morcellement qui en découle, entravent l’édification d’un État de
Palestine viable, dont la perspective s’éloigne au fur et à mesure que les atteintes à
l’intégrité du territoire palestinien perdurent et s’amplifient.
31 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 33, par. 59.
32 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019, p. 134, par. 157.
33 Ibid., par. 158.
34 A/RES/77/208, par. 1. V. aussi par ex. A/RES/77/22, par. 8.
35 A/RES/58/292, « Statut du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 6 mai 2004, par. 1.
36 Ibid., 6ème al. du préambule.
37 S/RES/1397 (2002), 12 mars 2002, 2ème al. du préambule. V. aussi, par ex., la résolution A/RES/77/25, dans
laquelle l’Assemblée réaffirme son appui « au règlement prévoyant deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à
côte dans la paix et la sécurité, à l’intérieur de frontières reconnues sur la base de celles d’avant 1967 » (par.1).
38 A/RES/77/208, 9ème al. du préambule.
11
31. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination comporte également une dimension
économique, que l’Assemblée générale a mise en lumière en consacrant le principe de
souveraineté permanente sur les ressources et les richesses naturelles, dont la Cour a
ultérieurement consacré le caractère coutumier39. Dans la résolution 1803 (XVII),
l’Assemblée déclare ainsi que « le droit de souveraineté permanent des peuples et des
nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du
développement national et du bien-être de la population de l’État intéressé »40.
32. Au regard du respect de ce droit, Israël doit s’abstenir de tout acte qui aurait pour effet
d’exploiter, d’altérer, de détruire, d’épuiser et de mettre en péril les ressources et les
richesses naturelles du territoire palestinien occupé41.
33. Plus fondamentalement, la persistance des manquements imputables à Israël menace la
possibilité pour le peuple palestinien d’exercer effectivement son droit à
l’autodétermination. A cet égard, le constat dressé par la Cour en 200442 perdure mais le
passage du temps n’est pas neutre : il obère les perspectives d’une concrétisation du droit
à l’autodétermination du peuple palestinien.
34. Au regard du droit de la responsabilité internationale, la violation de ce droit constitue un
fait internationalement illicite ayant un caractère continu. Aux termes des Articles sur la
responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite adoptés par la Commission du
droit international en 2001, l’État responsable conserve le devoir d’exécuter l’obligation
violée, si celle-ci est encore en vigueur (ce qui est à l’évidence le cas ici) ; il a aussi pour
obligation de mettre fin au fait internationalement illicite43.
35. Ce devoir s’impose d’autant plus que la réalisation du droit à l’autodétermination « est une
condition essentielle à la garantie et au respect effectifs des droits humains ainsi qu’à la
préservation et à la promotion de ces droits »44.
36. Dans le cas des territoires palestiniens occupés, cette obligation apparaît particulièrement
pertinente45. Près de vingt ans après l’avis consultatif rendu par la Cour sur les
conséquences juridiques de la construction du mur en Cisjordanie, le maintien de la
situation d’occupation, la multiplication des mesures qui l’accompagnent et le
39 V. l’arrêt rendu le 19 décembre 2005 dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), C.I.J. Recueil 2005, p. 251, par. 244.
40 A/RES/1803 (XVII), 18 décembre 1962, par. 1.
41 A/RES/77/187, 14 décembre 2022, par. 2.
42 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122
43 V. A/RES/56/83, 12 décembre 2001, articles 29 et 30.
44 Ibid., par. 1.
45 Dans sa dernière résolution en date sur « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination », l’Assemblée
« [e]xhorte tous les États ainsi que les institutions spécialisées et les organismes des Nations Unies à continuer
d’apporter soutien et aide au peuple palestinien en vue de la réalisation rapide de son droit à l’autodétermination »
(A/RES/77/208, par. 2 ; v. aussi A/RES/77/22, par. 8).
12
développement des colonies de peuplement forment autant d’obstacles à la réalisation
effective du droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
C. La question de « [l’]occupation, [la] colonisation et [l’]annexion prolongées du
territoire palestinien occupé depuis 1967 » par Israël
37. Les questions posées par l’Assemblée générale des Nations Unies à la Cour peuvent être
décomposées pour répondre à un ordre logique. Les conséquences juridiques de la
« violation persistante » du droit à l’autodétermination en raison de « l’occupation », de la
« colonisation » et de ce que l’Assemblée générale désigne comme « l’annexion
prolongées » sont d’abord visées dans le paragraphe 18 a) de la résolution 77/247. Ensuite,
les incidences qui en découlent sur le « statut juridique » de l’occupation sont visées par
son paragraphe18 b).
38. Dès lors, il s’agit, d’une part, de s’interroger sur les conséquences juridiques du caractère
prolongé de l’occupation israélienne (1) et, d’autre part, de se demander si cette occupation
prolongée, en lien avec la question de la colonisation, implique en elle-même une
« violation persistante » du droit du peuple palestinien à l’autodétermination (2).
1. La question du caractère prolongé de l’occupation des territoires
palestiniens occupés
39. Depuis la fin de la guerre des six jours en 1967, Israël occupe les territoires de la Bande de
Gaza46 et la Cisjordanie au sens de l’article 42 du Règlement de La Haye de 1907
concernant les lois et coutumes de la guerre, ce qui implique l’application des normes
internationales prévues en cas d’occupation militaire.
40. Lors de son avis de 2004, la Cour avait pu constater que la construction du mur se situait
presque entièrement sur le territoire palestinien dit « occupé », c’est-à-dire à l’intérieur de
la frontière définie par la ligne des armistices du 3 avril 1949 (qualifiée de « ligne verte »,
au-delà de laquelle la souveraineté territoriale d’Israël n’est pas établie47).
46 Israël a mis fin à l’essentiel de son régime militaire dans la bande de Gaza et imposé le retrait de ses colons
depuis 2005, mais ceci ne modifie pas le statut du territoire toujours considéré comme occupé au regard du droit
international comme le rappelle la résolution 1860 (2009) du Conseil de sécurité du 8 janvier 2009 qui portait
spécifiquement sur la situation à Gaza. Cette résolution rappelle d’ailleurs les résolutions antérieures pertinentes
du Conseil de sécurité 242 (1967), 338 (1973), 1397 (2002), 1515 (2003) et 1850 (2008), et indique : « que la
bande de Gaza fait partie intégrante du territoire palestinien occupé depuis 1967 et fera partie de l’État
palestinien. » V. aussi les résolutions A/63/855-S/2009/250, S/2015/286, annexe ; A/HCR/12/48, A/HCR/29/52.
47 La Cour dans son avis de 2004 a eu l’occasion de rappeler l’histoire de cette démarcation, par. 71 et 72. Depuis,
la résolution du Conseil de sécurité 2334 (2016) du 23 décembre 2016 a rappelé l’obligation de ne pas reconnaître
les changements opérés par rapport aux frontières de 1967 qui ne seraient pas agréés par les parties au conflit.
13
41. L’occupation est une situation de fait objective qui se caractérise par le contrôle effectif
exercé par un État sur un territoire déterminé. Le régime juridique de l’occupation
s’applique indépendamment de la licéité de l’opération ayant permis à l’État d’exercer son
contrôle effectif sur le territoire occupé.
42. Le territoire palestinien fait donc l’objet d’une occupation militaire au sens du droit de la
guerre et du droit humanitaire. De très nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des
Nations Unies utilisent les expressions « territoires occupés » ou « territoires palestiniens
occupés », à commencer par la résolution 242 du 22 novembre 1967 qui demande le
« retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit »48.
43. Le statut d’occupation militaire impose des obligations positives dont la principale est la
protection des populations soumises à cette occupation. La puissance occupante est
également tenue de respecter les obligations découlant du droit de la guerre tel que défini
dans la quatrième convention de La Haye (et son règlement annexé) et le droit humanitaire
tel que défini par la quatrième convention de Genève, droits qui ont largement acquis une
valeur coutumière. La France souhaite, à cet égard, rappeler les obligations explicites
mentionnées par la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre du 12 août 194949. Son article 6 précise :
« La présente Convention s’appliquera dès le début de tout conflit ou occupation
mentionnés à l’article 2. Sur le territoire des Parties au conflit, l’application de la
Convention cessera à la fin générale des opérations militaires. En territoire occupé,
l’application de la présente Convention cessera un an après la fin générale des
opérations militaires ; néanmoins, la Puissance occupante sera liée pour la durée de
l’occupation – pour autant que cette Puissance exerce les fonctions de
gouvernement dans le territoire en question – par les dispositions des articles
suivants de la présente Convention : 1er à 12, 27, 29 à 34, 47, 49, 51, 52, 53, 59, 61
à 77 et 143. Les personnes protégées, dont la libération, le rapatriement ou
l’établissement auront lieu après ces délais resteront dans l’intervalle au bénéfice
de la présente Convention »50.
44. A propos de cet article, la Cour, dans son avis de 2004, a pu préciser :
« 125. […] Les opérations militaires qui conduisirent en 1967 à l’occupation de la
Cisjordanie ayant pris fin depuis longtemps, seuls les articles de la quatrième
48 La Cour, dans son avis de 2004, a rappelé que : « 74. Le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité adopta à
l’unanimité la résolution 242 (1967) qui soulignait « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre »
et appelait au « [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit », et à la
« cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance » ».
49 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 75, n° 973.
50 Comme il est rappelé dans la résolution A/77/247, la déclaration du 15 juillet 1999, ainsi que les déclarations
des 5 décembre 2001 et 17 décembre 2014 des Hautes Parties contractantes à la quatrième convention de Genève
ont réaffirmé l’application de la convention aux territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-
Est (A/69/711-S/2015/1, annexe).
14
convention de Genève visés au troisième alinéa de l’article 6 demeurent applicables
dans ce territoire occupé » (nous soulignons).
45. En cas d’occupation prolongée, les termes de l’article 47 de la quatrième convention de
Genève sont également explicites :
« Les personnes protégées qui se trouvent dans un territoire occupé ne seront
privées, en aucun cas ni d’aucune manière, du bénéfice de la présente Convention,
soit en vertu d’un changement quelconque intervenu du fait de l’occupation dans
les institutions ou le gouvernement du territoire en question, soit par un accord passé
entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante, soit encore en
raison de l’annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé ».
46. Pour la Cour, dans son avis de 2004 :
« 95. […] Cette interprétation reflète l’intention des auteurs de la quatrième
convention de Genève de protéger les personnes civiles se trouvant d’une manière
ou d’une autre au pouvoir de la puissance occupante. […] [L]es auteurs de la
quatrième convention de Genève ont cherché à assurer la protection des personnes
civiles en temps de guerre indépendamment du statut des territoires occupés,
comme en témoigne l’article 47 de la convention ».
47. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a eu l’occasion de rappeler à Israël ses obligations
dans ce cadre en l’appelant, en tant que puissance occupante, à s’acquitter des obligations
juridiques et des responsabilités qui lui incombent en vertu de la quatrième convention de
Genève, qui est applicable à tous les territoires occupés par Israël depuis 196751. Il en a été
de même pour l’Assemblée générale des Nations Unies52.
48. Le statut d’occupation militaire d’un territoire, sans qu’il soit possible par définition
d’indiquer une durée, fut envisagé dans son essence comme temporaire. Dans ce contexte,
au regard de la demande d’avis adressée à la Cour, peut se poser la question de savoir si
l’occupation peut, en tant que telle, devenir illicite en raison de son caractère prolongé.
49. Comme le souligne le « commentaire Pictet », « [l]’occupation de guerre […] est un état
de fait essentiellement provisoire »53. Avec une occupation du territoire palestinien qui dure
depuis 1967, ce caractère prolongé paraît difficilement pouvoir être justifié par les
51 Résolution 271 (1969) du 15 septembre 1969, 446 (1979) du 22 mars 1979, 465 (1980) du 1er mars 1980, 484
(1980) du 19 décembre 1980, 672 (1990) du 12 octobre 1990, 904 (1994) du 18 mars 1994, 1435 (2002) du 24
septembre 2002 ; voir aussi les résolutions 605 (1987) du 22 décembre 1987, 681 (1990) du 20 décembre 1990,
726 (1992) du 6 janvier 1992 ou 1322 (2000) du 7 octobre 2000.
52 Voir notamment la résolution 3240 B (XXIV) du 29 novembre 1974 ou 43/58 B du 6 décembre 1988. Ajoutons
que la Cour suprême israélienne elle-même reconnaît l’applicabilité de la quatrième convention de Genève ;
Jugement du 3 septembre 2002 : HCJ 7015/02 et 7019/02, Ajuri v. IDF Commander, 2002 – IsLR.
53 Commentaire – La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre,
Genève, C.I.C.R., 1956, p. 296.
15
« nécessités de guerre », au sens de l’article 23 g) du Règlement de La Haye de 190754. En
effet, si les restrictions permises par un régime d’occupation étaient justifiables dans la
période suivant les opérations militaires, elles ne le sont plus aujourd’hui. Ces points ont
d’ailleurs été rappelés par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale à de nombreuses
reprises concernant l’obligation pour Israël de se retirer des territoires « occupés »55.
50. Le caractère prolongé de l’occupation se trouve accentué, en l’espèce, par le transfert d’une
partie de la population de l’État occupant sur les territoires occupés, au sein des colonies.
Ces implantations permanentes paraissent de toute évidence incompatibles avec le
caractère nécessairement provisoire de l’occupation.
51. De l’avis de la France, les conséquences juridiques de ce constat doivent être appréciées à
leur exacte mesure. Le caractère prolongé d’une occupation, s’il est contraire au fait que
celle-ci devrait être provisoire par nature, n’a pas pour conséquence de rendre celle-ci
illicite per se. En effet, ce constat d’illicéité per se pourrait conduire à soutenir
l’inapplicabilité du régime juridique de l’occupation. Cela aboutirait à un résultat,
manifestement absurde ou déraisonnable, qui serait de priver les populations civiles de la
protection offerte par ce régime, protection d’autant plus nécessaire que ladite occupation
dure dans le temps.
2. La politique de colonisation des territoires palestiniens occupés
52. La colonisation de territoires occupés est contraire aux conventions de Genève. A cet égard,
l’article 49 de la quatrième convention de Genève dispose que « [l]a Puissance occupante
ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population
civile dans le territoire occupé par elle ». Le Conseil de sécurité a eu, à plusieurs reprises,
l’occasion de dénoncer cette situation, y compris récemment56.
54 Justifications écartées par la Cour dans son avis relatif aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur
dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 185, par. 124.
55 Notamment, pour l’Assemblée générale : 2799 (XXVI) du 13 décembre 1971, 37/123 A du 20 décembre 1982
ou 44/40 A du 4 décembre 1989, ES-10/13 du 21 octobre 2003, ES-10/15 du 20 juillet 2004, ES-10/18 du 16
janvier 2009, 67/19 du 29 novembre 2012, 75/98 du 10 décembre 2020 ; et notamment pour le Conseil de sécurité :
252 (1968) du 21 mai 1968, 476 (1980) du 30 juin 1980, 478 (1980) du 20 août 1980 ou 681 (1990) du 20 décembre
1990.
56 Lors de sa déclaration présidentielle du 20 février 2023 adoptée à l’unanimité (S/PRST/2023/1), le Conseil de
Sécurité a rappelé : « que la poursuite des activités de colonisation israéliennes met en péril la viabilité de la
solution des deux Etats » et a réaffirmé : « son attachement indéfectible à la vision de la solution des deux États
où deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, en paix, à l’intérieur de frontières sûres et
reconnues, dans le respect du droit international et des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations
Unies », ce qu’il avait déjà fait, notamment lors de sa résolution 1850 (2008) du 16 décembre 2008 en soutien au
processus d’Annapolis et à l’initiative arabe de paix de 2002 en « [r]éitérant son ambition d’une région où deux
États démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues »
16
53. Il convient de rappeler que, dans son avis de 2004, la Cour avait conclu que « les colonies
de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris
Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international »57.
54. Ce constat d’illicéité demeure aujourd’hui d’autant plus fondé que, depuis 2004, Israël a
poursuivi et accentué sa politique d’implantation de colonies en territoire palestinien
occupé, en violation de ses obligations au regard du droit international. La France réitère
sa condamnation de la politique de colonisation mise en oeuvre par Israël.
55. Actuellement, les colonies israéliennes recouvrent près de 10 % de la Cisjordanie, et leurs
conseils régionaux sont compétents sur environ 63 % de la Zone C (soit 40 % de la
Cisjordanie), où vivent la majorité des colons. A cet égard, la politique de colonisation
apparaît bien comme une violation persistante des obligations découlant du régime
d’occupation prévu par le droit international.
56. Comme l’a souligné le représentant permanent de la France auprès des Nations Unies le 23
décembre 2016, lors de l’adoption de la résolution 2334 (2016) :
« Au cours de la dernière décennie, la colonisation israélienne a connu une accélération
incontestable qui n’a fait qu’attiser les tensions sur le terrain et l'exaspération
de la communauté internationale. La colonisation, qui est illégale au regard du droit
international, procède d’une politique délibérée. Cette politique vise à mettre les
populations comme la communauté internationale devant un fait accompli, en Cisjordanie
comme à Jérusalem-Est. Elle se décline sous de multiples facettes : expansion
des colonies au-delà de la ligne verte, y compris à Jérusalem-Est, annexion de
facto de la zone C, transferts forcés de populations, démolitions d’habitations et de
structures palestiniennes, restrictions aux accès et mouvements, construction du
mur au -delà de la ligne de 1967. Cette politique n’est pas seulement illégale au
regard du droit international ; elle met aussi en péril la perspective de la création
d’un État palestinien viable et indépendant, qui est le meilleur gage de la sécurité
d’Israël et d’une solution durable à ce conflit. C’est le message que la France, en
votant en faveur de cette résolution, a souhaité adresser aujourd’hui »58.
57. Comme l’avait indiqué la Cour dans le cadre de la construction du mur, une telle situation
peut amener à un « fait accompli » et à un processus d’annexion de facto :
« 121. Tout en notant l’assurance donnée par Israël que la construction du mur
n’équivaut pas à une annexion et que le mur est de nature temporaire […], la Cour
ne saurait pour autant rester indifférente à certaines craintes exprimées devant elle
d’après lesquelles le tracé du mur préjugerait la frontière future entre Israël et la
Palestine, et à la crainte qu’Israël pourrait intégrer les colonies de peuplement et les
57 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 184, par. 120.
58 S/PV.7853, 23 décembre 2016, p. 8.
17
voies de circulation les desservant. La Cour estime que la construction du mur et le
régime qui lui est associé créent sur le terrain un « fait accompli » qui pourrait fort
bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël
donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto ».
58. Le statut de puissance occupante ne confère rigoureusement aucun titre juridique justifiant
une annexion. A cet égard, le fait que l’occupation soit d’une durée particulièrement longue
ne saurait, en tout état de cause, permettre de légitimer des prétentions d’annexion. Le
passage du temps ne suffit pas, en matière d’acquisition de territoires par la force, à rendre
licite une situation gravement illicite.
59. Bien au contraire, l’un des principes cardinaux du droit international est celui prohibant ce
type d’annexion. Comme cela ressort notamment de la résolution 2625 (XXV), « [n]ulle
acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue
comme légale ».
D. La question des lois et mesures « discriminatoires » et des mesures « visant à
modifier la composition démographique du territoire considéré »
1. La question des « lois et mesures discriminatoires »
60. La question posée par l’Assemblée générale vise les « lois et mesures discriminatoires
connexes ». De l’avis de la France, cette question vise les lois et mesures appliquées aux
territoires palestiniens occupés, mais en contradiction avec le régime international prévu
pour les territoires occupés. Les lois et mesures qui présenteraient un caractère
discriminatoire contreviendraient non seulement aux dispositions des conventions
précitées de La Haye et de Genève, mais également aux principaux textes internationaux
en matière de droits de l’Homme qui lient Israël et qui sont applicables au territoire
palestinien occupé59.
61. La France relève que le droit international humanitaire n’exclut pas nécessairement qu’un
statut différencié puisse s’appliquer à la population des territoires occupés. Ce statut ne
peut cependant justifier l’adoption de lois et mesures qui présenteraient un caractère
discriminatoire.
62. Comme la Cour l’a précisé dans son avis de 2004, « la protection offerte par les conventions
régissant les droits de l’Homme ne cesse pas en cas de conflit armé »60. Le droit de
l’occupation doit donc être mis en oeuvre en tenant compte du droit international des droits
l’Homme applicable. La puissance occupante est, en particulier, tenue d’exercer ses droits
59 V. supra, par. 18-22.
60 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), par. 106, p. 178.
18
et devoirs en tenant compte de l’obligation de non-discrimination, laquelle découle
notamment de l’article 2 du PIDCP.
63. Cette lecture combinée du droit international des droits de l’Homme et du droit
international humanitaire est renforcée par l’article 4 du PIDCP, relatif aux clauses
dérogatoires liées aux circonstances dans lesquelles « un danger public exceptionnel
menace l’existence de la nation ». En effet, cette clause dérogatoire permet à l’État partie
d’adopter des mesures exceptionnelles pourvu « qu’elles n’entraînent pas une
discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou
l’origine sociale ».
64. Le fait que le Gouvernement israélien ait souhaité bénéficier d’une dérogation sur la
question du droit à la liberté et à la sécurité des personnes ne paraît pas de nature à modifier
les obligations d’Israël, tant ces mesures semblent incompatibles avec les autres obligations
du Pacte n’autorisant pas de dérogations, telles que rappelées par l’article 4, paragraphe 2,
du Pacte relatif aux droits civils et politiques61.
65. L’établissement d’un statut séparé, dans le cadre d’une situation d’occupation, ne peut dès
lors servir de justification à l’adoption de mesures ou législations discriminatoires. Or, la
situation actuelle dans les territoires palestiniens occupés soulève d’importantes difficultés
au regard de cette obligation de non-discrimination. Ces mesures concernent de nombreux
aspects de la vie quotidienne des individus dans les territoires occupés (citoyenneté, accès
à la propriété et au logement, éducation, soins de santé, liberté de circulation, fiscalité,
transports, sécurité, etc.). En particulier, un système de justice militaire s’applique aux
Palestiniens en Cisjordanie, et non aux colons juifs.
2. Les mesures visant à modifier la composition démographique du
territoire considéré
66. L’article 49 de la quatrième convention de Genève dispose que :
« […] Toutefois, la puissance occupante pourra procéder à l’évacuation totale ou
partielle d’une région occupée déterminée, si la sécurité de la population ou
d’impérieuses raisons militaires l’exigent. Les évacuations ne pourront entraîner le
déplacement de personnes protégées qu’à l’intérieur du territoire occupé, sauf en
cas d’impossibilité matérielle. La population ainsi évacuée sera ramenée dans ses
foyers aussitôt que les hostilités dans ce secteur auront pris fin » (nous soulignons).
61 Rappelons également que l’article 12 de ce Pacte protège la liberté de circulation des personnes qui parait tout
à fait illusoire en l’espèce, liberté qui avait été rappelée par l’Assemblée générale (résolution 56/111 du 14
décembre 2001), et qui est théoriquement protégée – ou, pour le moins, permise – par l’accord de Taba du 28
septembre 1995.
19
67. De la même manière, l’article 53 de la même convention, déjà mentionné, limite la
destruction de biens mobiliers ou immobiliers aux cas où celles-ci seraient « rendues
absolument nécessaires par les opérations militaires ».
68. Le droit international interdit clairement la mise en oeuvre, par la puissance occupante, de
mesures qui seraient de nature à modifier la composition démographique du territoire
considéré. La Cour avait déjà pu, en détail, expliciter ce point en 2004, lorsqu’elle a
constaté que la « contribu[tion] aux changements démographiques »62 du mur construit par
Israël en territoire palestinien occupé constituait une violation de l’article 49 de la
quatrième convention de Genève.
69. Sur cette question, la France renvoie également à ses présentes observations en ce qu’elles
concernent la politique de colonisation mise en oeuvre par Israël. Cette politique, illégale
au regard du droit international, concourt en effet à modifier la composition démographique
des territoires palestiniens occupés.
E. La question des « mesures visant à modifier le caractère et le statut de Jérusalem »
70. La loi israélienne du 30 juillet 1980 fait de Jérusalem la capitale de l’État d’Israël, situation
qualifiée d’annexion en violation du droit international par la résolution 478 (1980), du 20
août 1980, du Conseil de sécurité. Celle-ci affirme en outre que cette annexion n’entrave
pas l’application de la quatrième convention de Genève, ainsi que dans le reste des
territoires occupés. Jérusalem, y compris Jérusalem-Est, a donc fait l’objet d’une annexion
juridiquement confirmée dans le droit interne israélien au mépris du statut international
particulier prévu pour cette ville dans le plan de partage entériné par la résolution 181 (II)
du 29 novembre 1947.
71. Comme la Cour a eu l’occasion de le rappeler dans son avis de 2004 :
« 75. A partir de 1967, Israël a pris dans ces territoires diverses mesures tendant à
modifier le statut de la ville de Jérusalem. Le Conseil de sécurité, après avoir
rappelé à plusieurs reprises que ‘le principe que l’acquisition d’un territoire par la
conquête militaire est inadmissible’, a condamné ces mesures et a confirmé, par
résolution 298 du 25 septembre 1971 (1971), de la façon la plus explicite que :
‘toutes les dispositions législatives et administratives prises par Israël en
vue de modifier le statut de la ville de Jérusalem, y compris
l’expropriation de terres et de biens immeubles, le transfert de
populations et la législation visant à incorporer la partie occupée, sont
totalement nulles et non avenues et ne peuvent modifier le statut de la
ville’.
62 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 192, par. 134.
20
Puis, à la suite de l’adoption par Israël le 30 juillet 1980 de la loi fondamentale
faisant de Jérusalem la capitale ‘entière et réunifiée’ d’Israël, le Conseil de
sécurité, par résolution 478 (1980) du 20 août 1980, a précisé que l’adoption de
cette loi constituait une violation du droit international et que ‘toutes les mesures
et dispositions législatives et administratives prises par Israël, la puissance
occupante, qui ont modifié ou visent à modifier le caractère et le statut de la Ville
sainte de Jérusalem … étaient nulles et non avenues’. Il a en outre décidé ‘de ne
pas reconnaître la ‘loi fondamentale’ et les autres actions d’Israël qui, du fait de
cette loi, cherchent à modifier le caractère et le statut de Jérusalem’ ».
72. Il ne fait donc aucun doute que le statut unilatéral imposé par Israël à Jérusalem est nul et
non avenu au regard du droit international, et que les mesures protectrices prévues par la
quatrième convention de Genève s’y appliquent, comme dans le reste des territoires
palestiniens occupés.
73. Les statuts dédiés aux habitants palestiniens de Jérusalem-Est constituent autant de
manquements à l’obligation de prendre de telles mesures protectrices.
74. En effet, la majorité des habitants palestiniens de Jérusalem-Est ne sont pas des citoyens
israéliens mais relèvent du droit civil israélien, ce qui contrevient au statut d’occupation et
intègre directement les mesures applicables dans le droit interne ordinaire d’Israël. Cette
translation de législations – qui s’appuient sur le statut d’occupation – à des lois intégrées
dans le droit interne israélien contrevient clairement au traitement de territoires, et de sa
population, dans la situation d’une occupation régie par le droit international. Il ne s’agit
donc pas seulement de mesures militaires qui contreviennent au statut d’occupation, mais
de mesures dont la translation vers le droit interne israélien modifie la physionomie des
mesures applicables dans un sens qui n’est pas conforme au statut d’occupation.
75. Les Palestiniens résidant à Jérusalem-Est ont le statut précaire de résident permanent, qui
les autorise simplement à vivre et à travailler dans la ville, ainsi qu’à y bénéficier de
services sociaux. En vertu de diverses lois, les autorités israéliennes ont révoqué le statut
de milliers de Palestiniens, parfois rétroactivement, quand ils ne peuvent pas démontrer
que Jérusalem est leur « principal lieu de vie »63. Depuis 1967, la résidence permanente de
plus de 14 000 Palestiniens a été révoquée à la discrétion du ministère de l’Intérieur. Entre
1967 et 2017, environ 38 % des terres palestiniennes à Jérusalem-Est ont été expropriées.
76. Il en découle des conséquences importantes en matière démographique et de droits de
l’Homme contrevenant à la quatrième convention de Genève qui reste applicable à
Jérusalem-Est. À l’inverse, les colons juifs israéliens qui vivent à Jérusalem-Est ont la
63 « Presque tous les Palestiniens de Jérusalem-Est ont un statut de résident, et non de citoyen israélien ; ils
bénéficient ainsi de certains droits sociaux reconnus aux Israéliens (notamment le droit à l’assurance maladie),
mais leur statut de résident peut être annulé s’ils quittent Jérusalem pendant un certain temps, une menace qui ne
pèse pas sur les Israéliens juifs. » (Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les
territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk – A/HCR/49/87 du 12 août 2022, par. 44).
21
citoyenneté israélienne et sont exemptés des lois et règlements imposés aux habitants
palestiniens de Jérusalem-Est.
77. Israël est, au regard du droit international, plus largement tenu de ne pas adopter de mesures
législatives ou autres tendant à modifier le statut de Jérusalem. En particulier, et comme le
rappelle la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité du 20 février 2023, la France
considère qu’il convient de maintenir inchangé le statu quo historique sur les lieux saints
à Jérusalem.
F. Les conséquences juridiques pour tous les États et pour l’Organisation des
Nations Unies
78. La demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale porte enfin sur les conséquences
juridiques découlant des violations du droit international susceptibles d’être constatées par
la Cour64. A cet égard, il est utile de rappeler que, dans son avis de 2004, la Cour avait
répondu à la demande d’avis en distinguant les conséquences juridiques pour Israël et celles
pour les autres États, ainsi que, le cas échéant, pour l’Organisation des Nations Unies ellemême65.
Il en sera de même dans les présentes observations.
79. En ce qui concerne Israël, la première conséquence juridique résultant de la responsabilité
est la cessation de l’illicite. Selon les termes de l’article 30 (a) des Articles de 2001 de la
Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait
internationalement illicite, l’État responsable d’un fait illicite a l’obligation « d’y mettre
fin si ce fait continue »66. Les deux conditions classiques en sont : i/ le caractère continu de
l’acte illicite et ii/ le fait que la règle violée soit toujours en vigueur67.
80. L’examen de la situation dans les territoires palestiniens occupés fait apparaître des
violations continues du droit international auxquelles Israël doit mettre un terme. Elles
portent sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dont le caractère coutumier est
établi, et sur les règles actuellement en vigueur du droit international humanitaire et du
droit international des droits de l’Homme applicables à la situation dans les territoires
palestiniens occupés68.
81. La France considère qu’il existe une violation continue du droit du peuple palestinien à
l’autodétermination notamment à deux égards. D’une part, en raison de l’occupation
64 A/RES/77/247, par. 18 (b) (« … et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les Etats
et l’Organisation des Nations Unies »).
65 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 192, par. 148.
66 Articles de la Commission du droit international sur la Responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite et commentaires, Ann. C.D.I., 2001, vol. II(2), p. 26, et annexe à la résolution A/RES/56/83 du 12 décembre
2001, article 30(a).
67 Voir la sentence arbitrale du 30 avril 1990 dans l’affaire du Rainbow Warrior, Recueil des sentences arbitrales,
vol. XX, p. 270, par. 113 ; voir également Articles de 2001, commentaires, Ann. C.D.I., 2001, vol. II(2), p. 234.
68 V. supra, par. 18-22.
22
prolongée du territoire palestinien par Israël. D’autre part, du fait de la politique menée par
Israël dans les territoires occupés dans la mesure où cela affecte la possibilité pour le peuple
palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination, y compris dans la perspective d’un
État de Palestine viable et indépendant69. Ces politiques et pratiques incluent le
développement de colonies de peuplement, la démolition d’habitations palestiniennes, les
atteintes aux ressources naturelles et à l’environnement, la dégradation d’infrastructures
essentielles.
82. De plus, certaines violations du droit international humanitaire et du droit international des
droits de l’Homme ont également un caractère continu car elles ne se limitent pas à une
succession de faits instantanés mais font l’objet d’une politique ou de pratiques constantes.
Sont notamment concernés les transferts de population israélienne dans le cadre de la
politique de colonisation menée par Israël70 et les mesures discriminatoires ou restreignant
certains droits et libertés de la population palestinienne dans les territoires occupés sans
justification découlant de nécessités militaires71.
83. L’obligation de cessation a des implications tant juridiques que matérielles. On rappellera
ainsi que, dans son avis de 2004, la Cour avait estimé, à propos de l’édification du mur
dans le territoire palestinien occupé, que :
« la cessation […] implique le démantèlement immédiat des portions de cet ouvrage
situées dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour
de Jérusalem-Est. L’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue
de son édification et de la mise en place du régime qui lui est associé doivent
immédiatement être abrogés ou privés d’effet »72.
84. La Cour ne mentionnait comme exception à l’obligation d’abroger les instruments
juridiques en cause que les mesures de réparation adoptées par Israël en faveur de la
population palestinienne dans l’hypothèse où la restitution n’était pas possible.
85. Dans le cadre de la présente procédure et semblablement, l’obligation de cessation
implique que les politiques et pratiques identifiées comme violant le droit international
prennent fin et que soient abrogés les actes juridiques internes sur lesquels elles sont
fondées. Cela implique également des actions positives pour garantir le respect du droit
international. Il est à cet égard possible de rappeler les termes dans lesquels le Conseil de
sécurité s’est penché sur cette question dans sa résolution 2334 (2016) :
« Le Conseil de sécurité […] 2. Exige de nouveau d’Israël qu’il arrête
immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le
Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement
69 V. supra, par. 24-36.
70 V. supra, par. 49-56.
71 V. supra, par. 57-62.
72 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupe, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), C.I.J. Recueil 2004, p. 192, par. 151.
23
toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard ; […] 4. Souligne
qu’il est essentiel qu’Israël mette un terme à toutes ses activités de peuplement pour
préserver la solution de deux États, et demande l’adoption immédiate de mesures
énergiques afin d’inverser les tendances négatives sur le terrain, qui mettent en péril
la solution de deux États »73.
86. Offrir des assurances et garanties de non-répétition peut également être une conséquence
de la responsabilité, comme le prévoit l’article 30 (b) des Articles de 2001, afin de prévenir
des violations futures. De telles mesures consistent, par exemple, à adopter des codes de
conduite ou donner des instructions aux agents de l’État afin de ne pas reproduire des
comportements antérieurs jugés contraires au droit international74. Cela doit cependant
répondre à des circonstances particulières, qu’il appartiendrait à la Cour de déterminer dans
le contexte propre à la présente demande d’avis consultatif. La France s’en remet à cet
égard à l’avis de la Cour.
87. La deuxième obligation générale résultant d’une violation du droit international est la
réparation. Celle-ci doit, conformément au célèbre dictum de la Cour permanente de Justice
internationale dans l’affaire de l’Usine de Chorzów, être « intégrale », de manière à
« effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait
vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »75.
88. Là encore, on peut rappeler la position de la Cour dans son avis de 2004. Elle avait estimé
qu’Israël avait « l’obligation de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes
physiques ou morales concernées »76. Il en résultait notamment une obligation de
restitution de terres, vergers, oliveraies et autres biens immobiliers saisis aux fins de la
construction du mur ou, en cas d’impossibilité matérielle, une obligation d’indemniser77.
89. Dans le cadre de la présente demande d’avis consultatif, la France considère que cette
obligation de réparation s’étend à l’ensemble des dommages causés à la population
palestinienne du fait de la politique et des pratiques d’Israël ne respectant pas le droit
international. L’obligation de réparation doit, autant que faire se peut, prendre la forme de
la restitution et, à défaut, celle de l’indemnisation si la restitution n’est plus possible78.
S’agissant de violations concernant le peuple palestinien dans son ensemble, des formes de
réparation collectives ou symboliques seraient envisageables. Au titre de la satisfaction, il
conviendrait, s’agissant de violations graves du droit international humanitaire et du droit
international des droits de l’Homme commises dans le territoire palestinien occupé,
73 S/RES/2334 (2016), par. 2 et 4.
74 Articles de 2001, Ann. C.D.I., 2001, vol. II(2), commentaires de l’art. 30 (b), pp. 236-240, par. 9-13.
75 Usine de Chorzów (fond), arrêt, C.P.J.I., série A n° 17, 1928, p. 47. Voir également Articles de 2001, Ann. C.D.I.,
2001, vol. II(2), p. 240, art. 31 (1) et commentaires.
76 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupe, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 198, par. 151.
77 Ibid., par. 153.
78 Articles de 2001, Ann. C.D.I., 2001, vol. II(2), pp. 256-283, art. 35 et 36 et commentaires.
24
qu’Israël procède à la recherche et la divulgation des faits et mène des enquêtes pour
identifier et poursuivre les personnes responsables79.
90. La France rappelle que, pour donner suite à l’avis de 2004 et plus précisément à ses
paragraphes 152 et 153 relatifs à la réparation, l’Assemblée générale des Nations Unies a
demandé au Secrétaire général de créer un registre des dommages causés aux personnes
physiques et morales80. Il s’agit là d’un moyen mis à la disposition d’Israël pour exécuter
son obligation de réparation.
91. En ce qui concerne les autres États, la Cour avait déjà constaté dans son avis de 2004 le
caractère erga omnes des obligations internationales violées par Israël à l’occasion de la
construction du mur dans le territoire palestinien occupé. Selon elle,
« [l]es obligations erga omnes violées par Israël sont l’obligation de respecter le
droit du peuple palestinien à l’autodétermination ainsi que certaines des obligations
qui sont les siennes en vertu du droit international humanitaire »81.
92. Le constat portait alors sur ces obligations dans la mesure où elles étaient affectées par la
construction du mur, conformément aux termes de la demande d’avis. Dans le cadre de la
présente demande d’avis consultatif, le même constat s’impose à propos des atteintes au
droit des peuples à l’autodétermination découlant de l’occupation prolongée par Israël de
territoires palestiniens, ainsi que de la politique et des pratiques menées dans le territoire
palestinien occupé. Il s’impose également s’agissant des violations du droit international
humanitaire et du droit international des droits de l’homme mentionnées supra.
93. Il en résulte une obligation de non-reconnaissance de toute situation territoriale créée en
violation du droit international. Toute forme d’annexion, y compris partielle, ne saurait
ainsi être reconnue au regard du droit international. A cet égard, dans les territoires
palestiniens occupés, comme partout ailleurs, la France ne reconnaîtra jamais l’annexion
illégale de territoires.
94. Le respect du statut international des territoires palestiniens occupés emporte également
des effets sur le plan économique. On rappellera à ce propos que, dans sa résolution 2334
(2016), le Conseil de sécurité des Nations Unies a demandé à tous les États « de faire une
distinction dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les
territoires occupés depuis 1967 »82. Cela se traduit notamment, dans le droit de l’Union
79 A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Annexe, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un
recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de
violations graves du droit international humanitaire, IX. Réparation du préjudice subi, par. 22.
80 A/RES/ES-10/15, 2 août 2004, par. 4.
81 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupe, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 199, par. 155.
82 S/RES/2334 (2016), 23 décembre 2016, par. 5.
25
européenne, par la prise en compte du droit international et de l’avis de la Cour de 2004
afin de traiter différemment les produits en fonction de leur origine83.
95. Il incombe encore à l’ensemble des États de ne pas aider au maintien d’une situation
contraire au droit international et de faire respecter le droit international humanitaire. Cela
avait été rappelé par la Cour dans son avis de 2004 à propos de la construction du mur dans
le territoire palestinien occupé84. Ces obligations s’appliquent aussi aux violations entrant
dans le cadre de la présente demande d’avis consultatif.
96. En ce qui concerne l’Organisation des Nations Unies, les préconisations faites par la
Cour dans son avis de 2004 peuvent, là aussi, servir de guide. La Cour avait estimé que
« l’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le
Conseil de sécurité, doivent, en tenant dûment compte du présent avis consultatif,
examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la
situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est
associé »85.
97. Dans le cadre plus large de la demande d’avis actuelle, l’Organisation des Nations Unies
devrait semblablement préciser les suites à donner à l’avis de la Cour à propos du droit du
peuple palestinien à l’autodétermination et des risques d’atteinte au statut international des
territoires palestiniens occupés, notamment s’agissant des garanties offertes par ce statut à
la population palestinienne.
98. Enfin, il faut rappeler que la Cour avait demandé, en 2004, à l’Organisation des Nations
Unies dans son ensemble de redoubler d’efforts pour « mettre rapidement un terme au
conflit israélo-palestinien », afin d’« établir une paix juste et durable dans la région »86.
Cette demande reste plus que jamais pertinente. Elle fait écho à l’obligation pesant sur
Israël et sur la Palestine au titre de la Charte des Nations Unies et du droit international
coutumier de résoudre pacifiquement leur différend en s’engageant dans la voie de
négociations de paix et en mettant en oeuvre les résolutions pertinentes des Nations Unies.
83 Voir notamment CJUE, 25 février 2010, Firma Brita GmBH c. Hauptzollamt Hamburg-Hafen, C-386/08, et
CJUE, gr. Ch., 12 novembre 2019, Organisation juive européenne et Vignoble Psagot ltd c. Ministère de
l’Économie et des Finances, C-363/18.
84 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupe, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 200, par. 159.
85 Ibid., p. 200, par. 160.
86 Ibid., p. 200, par. 161.

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