Exposé écrit des États-Unis d'Amérique

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186-20230725-WRI-20-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18876
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
Chapitre I. INTRODUCTION ..........................................................................................................1
Chapitre II. LE CADRE ÉTABLI POUR PARVENIR À UN RÈGLEMENT NÉGOCIÉ DU CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN ..........................................................................................................4
A. L’élaboration du cadre de négociation établi .........................................................................4
B. L’ONU a apporté un soutien indéfectible à un règlement du conflit fondé sur ce cadre de négociation établi de longue date .....................................................................................7
C. Les parties ont maintenu le cadre de négociation en question ................................................8
D. La confirmation du cadre de négociation dans la résolution par laquelle l’Assemblée générale a saisi la Cour....................................................................................................... 10
Chapitre III. DES RAISONS DÉCISIVES JUSTIFIENT QUE LA COUR TRAITE LES QUESTIONS DONT ELLE EST SAISIE DANS LES LIMITES DU CADRE ÉTABLI ............................................... 13
A. Le respect manifesté par la Cour, dans la procédure sur l’édification d’un mur, pour le rôle joué par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale dans le règlement du différend israélo-palestinien et pour le cadre de négociation établi reste de mise ................. 14
B. Le fait de dépasser le cadre de négociation établi risquerait de porter atteinte au principe du consentement ................................................................................................... 19
Chapitre IV. LA DEMANDE INVITE À PROCÉDER À UN EXAMEN DU CADRE ÉTABLI SUR LA BASE DE PRÉSOMPTIONS SANS FONDEMENT EN DROIT INTERNATIONAL ................... 21
Chapitre V. CONCLUSION : UNE PAIX JUSTE ET DURABLE EXIGE LA TENUE DE NÉGOCIATIONS DIRECTES ENTRE LES PARTIES ................................................................ 23
CHAPITRE I INTRODUCTION
1.1. Dans son ordonnance datée du 3 février 2023, la Cour a invité, entre autres, les États Membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à présenter des exposés écrits sur les questions dont l’Assemblée générale l’a saisie par la résolution 77/247 du 30 décembre 2022. Les États-Unis se félicitent de l’occasion qui leur est donnée de soumettre le présent exposé, dans lequel sont formulées leurs observations sur ces questions en vue d’aider la Cour dans l’examen de la demande de l’Assemblée générale.
1.2. Les États-Unis soutiennent depuis des décennies la recherche d’un règlement définitif négocié du conflit israélo-palestinien, en tant que participants, facilitateurs ou témoins de certaines initiatives, dont les plus notables sont la conférence de Madrid de 1991, les accords d’Oslo, le quatuor pour le Moyen-Orient, le sommet de Camp David de 2000, la conférence d’Annapolis de 2007 et d’autres négociations directes parrainées par eux, les plus récentes ayant eu lieu en 2013 et 2014. À Aqaba, en Jordanie, et à Charm el-Cheikh, en Égypte, les États-Unis ont pris part cette année à des pourparlers qui se sont déroulés selon un format visant à favoriser une désescalade et à faciliter le dialogue direct entre représentants israéliens et palestiniens. Forts de ce rôle unique, ils ont voté contre la résolution 77/247 par crainte de voir la demande qui y est formulée détourner les parties au conflit israélo-palestinien de l’objectif d’une solution négociée à deux États — lequel est consacré par nombre de résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, ainsi que par les initiatives et accords bilatéraux susmentionnés1.
1.3. Les États-Unis sont profondément préoccupés par l’érosion de la confiance entre les parties constatée ces dernières années et les épisodes de violence accrue. En février 2023, le président du Conseil de sécurité a publié une déclaration, à laquelle se sont joints les États-Unis, dans laquelle il exprimait sa ferme opposition aux mesures unilatérales adoptées par l’une ou l’autre partie pour entraver la paix, demandant à tous de
« faire preuve de calme et de retenue et de s’abstenir de tout acte de provocation et d’incitation à la violence, et de toute déclaration incendiaire, dans le but, notamment, de désamorcer la situation sur le terrain, de rétablir la confiance, de montrer par leurs politiques et leurs actes, un véritable attachement à la solution des deux États et de créer les conditions nécessaires à la promotion de la paix »2.
Les événements survenus dans les mois qui ont suivi n’ont fait que souligner l’importance de cette priorité donnée à la désescalade en tant que première étape indispensable.
1 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), p. 3-6 ; voir aussi Andrew Weinstein, mission des États-Unis d’Amérique auprès des Nations Unies, General Statement on the UN General Assembly Fourth Committee Resolutions on Israeli-Palestinian Issues, 11 novembre 2022, accessible à l’adresse suivante : https://usun.usmission.gov/general-statement-on-the-un-general-assembly-fourth-committee-resolutions-on-israeli-palestinian-issues/ (page consultée le 17 juillet 2023) ; Richard Mills, ambassadeur, mission des États-Unis d’Amérique auprès des Nations Unies, 10 novembre 2022, accessible à l’adresse suivante : usun.usmission.gov/remarks-at-the-un-general-assemblys-fourth-committee-meeting-on-israeli-practices-and-settlement-activities/ (page consultée le 17 juillet 2023). (Les documents officiels des réunions de la Quatrième Commission qui se sont tenues à ces dates ne sont pas encore disponibles.)
2 Nations Unies, déclaration de la présidente du Conseil de sécurité, 20 février 2023, doc. S/PRST/2023/1 [dossier, pièce no 1400].
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1.4. Comme l’a relevé la Cour, « seule la mise en oeuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) », est susceptible de mettre un terme à la situation tragique au Moyen-Orient3. Depuis l’adoption de la résolution 242 en 1967, les négociations pour parvenir à une fin globale, juste et durable du conflit sont fondées sur le principe de « l’échange de territoires contre la paix »4. Ce principe de base prévoit que l’instauration de la paix et de la sécurité dans la région repose sur deux éléments interdépendants : le retrait des forces armées du territoire occupé et la fin du conflit et le respect et la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État dans la zone, auxquels s’ajoute le droit de chaque État de vivre en paix, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues. Aucun de ces éléments ne suffit à lui seul pour assurer une paix globale, juste et durable ; aucun ne peut être atteint sans l’autre. C’est sur ce socle organisationnel de « l’échange de territoires contre la paix », réaffirmé dans la résolution 338 du Conseil de sécurité5, que s’appuie la recherche d’une paix négociée depuis un demi-siècle. Au cours de cette période, ce principe a été à la base de plusieurs accords historiques, tels que le traité de paix égypto-israélien, le traité de paix israélo-jordanien et les accords d’Oslo, aux termes desquels Israéliens et Palestiniens s’étaient notamment engagés à négocier ensemble un règlement du conflit et à mettre sur pied la première autorité autonome palestinienne intérimaire. Il demeure vrai à ce jour que c’est seulement par des négociations de ce type qu’il sera possible d’atteindre la paix globale, juste et durable initialement envisagée par les Nations Unies, qui permettrait à deux États de coexister et aux Israéliens et Palestiniens de bénéficier à part égale de la paix, de la sécurité et de la prospérité.
1.5. Même s’il est actuellement permis de s’inquiéter de ce que les conditions requises pour instaurer la paix ou conduire des négociations à cette fin ne soient pas réunies, les États-Unis restent déterminés à préserver cette voie pour les Israéliens et les Palestiniens. De ce fait, ils s’attachent dans l’immédiat à favoriser la désescalade et la reprise d’échanges fructueux entre représentants des deux parties ainsi qu’à éviter que ne s’éloigne la perspective d’une solution négociée à deux États, fondée sur le cadre défini par les résolutions précitées, puis sans cesse réaffirmé tant par le Conseil de sécurité que par l’Assemblée générale, et conforme à ce cadre6. Les États-Unis continuent de déployer des efforts pour créer des conditions plus propices à un règlement négocié du conflit israélo-palestinien et demandent instamment aux autres membres de la communauté internationale d’oeuvrer à cette même fin. Ces efforts incluent notamment les récentes rencontres d’Aqaba et de Charm el-Cheikh, qui ont vu les États-Unis se joindre aux délégations égyptienne, jordanienne, israélienne et palestinienne pour favoriser une désescalade des tensions, dissuader les actions
3 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I) (ci-après l’avis consultatif sur l’« édification d’un mur »), p. 200-201, par. 162-163.
4 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 73/89 du 18 décembre 2018, « Pour une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient », doc. A/RES/73/89 [dossier, pièce no 592] ; Conseil de sécurité, résolution 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334, par. 9 [dossier, pièce no 1372] ; Conseil de sécurité, résolution 242 du 22 novembre 1967, doc. S/RES/242, par. 1 [dossier, pièce no 1245] (annexe 1).
5 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 338 du 22 octobre 1973, doc. S/RES/338, par. 2 (annexe 2).
6 Voir, par exemple, département d’État des États-Unis, Secretary Blinken’s Call with Israeli Foreign Minister Cohen, 27 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https ://www.state.gov/secretary-blinkens-call-with-israeli-foreign-minister-cohen-2/ (page consultée le 17 juillet 2023) ; Antony Blinken, secrétaire d’État, Remarks at the 2023 American Israel Public Affairs Committee Policy Summit, 5 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https ://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-at-the-2023-american-israel-public-affairs-committee-policy-summit/ (page consultée le 17 juillet 2023) ; secrétaire d’État, Remarks at Press Availability, 31 janvier 2023, accessible à l’adresse suivante : https ://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-at-a-press-availability-28/#:~:text=Upon%20arriving%20in %20Israel%2C%20I,a%20synagogue%20in%20Neve%20Yaakov (page consultée le 17 juillet 2023) ; Weinstein, voir supra, note 1.
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unilatérales qui éloignent les parties de la paix et renforcer l’engagement de celles-ci à respecter leurs accords antérieurs7.
1.6. Les États-Unis font valoir que c’est par de tels efforts que pourront être créées les conditions nécessaires pour parvenir à une solution négociée à deux États qui conduirait à l’instauration de la paix et de la sécurité pour les deux parties, ainsi qu’à la pleine réalisation de l’autodétermination palestinienne. Comme cela est exposé ci-après, la résolution par laquelle l’Assemblée a saisi la Cour reconnaît elle-même la nécessité de faire avancer des négociations constructives visant à conclure un accord de paix à cette fin. En conformité avec les fonctions respectives que leur confère la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont plaidé de longue date en faveur de l’établissement d’un cadre de négociation pour régler le conflit. Les questions posées à la Cour doivent donc être comprises comme une demande d’avis dont l’objet est de faciliter l’exercice par l’Assemblée générale du rôle et des fonctions qui lui sont propres au sein du système des Nations Unies afin de promouvoir un règlement négocié du conflit. Il est essentiel que l’avis consultatif de la Cour aide à atteindre cet objet.
1.7. Le présent exposé commence, au chapitre II, par décrire le cadre initialement défini par les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, entériné par l’Assemblée générale, reconnu par la Cour dans son avis consultatif sur l’édification d’un mur, et adopté par l’État d’Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans leurs propres accords comme base de règlement négocié du conflit israélo-palestinien.
1.8. S’appuyant sur des principes que la Cour a jugés fondamentaux pour l’intégrité de sa fonction consultative et de son rôle en tant qu’organe principal de l’ONU, le chapitre III expose ensuite des raisons décisives pour lesquelles la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en examinant les questions dont elle a été saisie dans le cadre de négociation établi. Cette approche est également justifiée par le fait que les questions de l’Assemblée invitent la Cour à se prononcer sur certains points qui sont au coeur du conflit, traitent d’actes présumés commis par une seule partie en avançant des conclusions de droit international, et ont été incorporées très tardivement dans la résolution 77/247 après des consultations a minima entre États Membres de l’ONU.
1.9. Le chapitre IV met en lumière certaines présomptions qui sous-tendent la seconde question posée et méconnaissent les principes constants du droit international. Dans la mesure où cette question peut être interprétée comme l’invitant à dire que l’occupation israélienne a été frappée d’illicéité ou de nullité, la Cour devrait s’y refuser, au motif qu’une telle appréciation est sans fondement en droit international.
1.10. Enfin, dans le chapitre V, les États-Unis concluent le présent exposé en priant respectueusement la Cour de faire montre de prudence, de ne pas écorner le principe fondamental de « l’échange de territoires contre la paix » qui sous-tend le cadre établi pour la paix et la sécurité israélo-palestiniennes et de rechercher, dans son avis, la meilleure manière de servir l’objectif de facilitation du rôle et de la fonction de l’Assemblée générale par la promotion d’un règlement négocié du conflit.
7 Communiqué conjoint publié à l’issue de la réunion du 19 mars à Charm el-Cheikh (ci-après « communiqué de Charm el-Cheikh »), 19 mars 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.state.gov/joint-communique-from-the-march-19-meeting-in-sharm-el-sheikh/ (page consultée le 17 juillet 2023) ; communiqué conjoint d’Aqaba (ci-après le « communiqué d’Aqaba »), 26 février 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.state.gov/aqaba-joint-communique/ (page consultée le 17 juillet 2023).
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CHAPITRE II LE CADRE ÉTABLI POUR PARVENIR À UN RÈGLEMENT NÉGOCIÉ DU CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN
2.1. Tout au long de l’histoire tumultueuse et souvent violente du conflit israélo-palestinien, l’ONU n’a eu de cesse de soutenir la proposition selon laquelle une paix globale, juste et durable devait résulter de négociations directes entre les parties au conflit, et non être imposée de l’extérieur ou par une seule partie. Ce principe est au coeur des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et a été repris dans des résolutions adoptées depuis lors par celui-ci et l’Assemblée générale, y compris celle par laquelle la Cour a été saisie en l’espèce. De même, Israéliens et Palestiniens ont eux-mêmes entériné ce principe dans les années 1990 en l’incluant dans la déclaration de principes et d’autres accords, dénommés collectivement les « accords d’Oslo ». Il convient notamment de noter que les parties ont précisément élaboré leur accord afin de négocier les « [questions touchant] le statut permanent » essentielles au règlement de leur différend, notamment celles de Jérusalem, des colonies, des dispositifs de sécurité, des frontières et autres8. Malgré les tragiques épisodes de violence, les actions unilatérales entreprises de part et d’autre et les allégations de chacune des parties dénonçant les manquements de l’autre à ses engagements, ni les parties, ni l’Assemblée générale, ni le Conseil de sécurité n’ont renoncé au précepte central selon lequel des négociations directes sur la base du principe de « l’échange de territoires contre la paix » constituent la voie vers une paix et une sécurité globales, justes et durables.
2.2. Les États-Unis soutiennent respectueusement que c’est dans ce contexte que la Cour doit examiner les questions soumises par l’Assemblée générale. Pour l’aider dans cette tâche, le présent chapitre expose le cadre de négociation à la lumière duquel les questions posées doivent être entendues. Dans la section A est décrit le cadre de négociation en tant que tel, qui trouve son origine dans les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, et a été précisé et consigné dans les accords bilatéraux conclus par la suite par les Israéliens et les Palestiniens. La section B montre l’adhésion constante de l’ONU à ce même cadre de négociation. La section C revient sur les efforts déployés ces dernières années par les parties dans ce cadre de négociation. Enfin, la section D décrit le processus par lequel la résolution de saisine a été adoptée et la manière dont elle fait également sien le cadre de négociation établi.
A. L’élaboration du cadre de négociation établi
2.3. Le cadre établi en vue d’un règlement négocié du conflit israélo-palestinien est le fruit de plusieurs décennies d’élaboration, qui ont débuté par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées en réponse aux guerres arabo-israéliennes de 1967 et de 1973 ; il a ensuite été précisé et entériné par les Israéliens et les Palestiniens dans leurs accords bilatéraux, en particulier les accords d’Oslo. Au cours de cette période, le principe fondamental était que la voie à suivre pour parvenir à une paix et une sécurité globales, justes et durables au Moyen-Orient était la négociation fondée sur le principe de « l’échange de territoires contre la paix ».
2.4. Les bases du cadre de négociation ont été établies par la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité, dans laquelle il
« [a]ffirm[ait] que … l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient … devrait comprendre l’application des deux principes suivants :
8 Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie, préambule et art. I, doc. A/48/486-S/26560, 13 septembre 1993 [dossier, pièce no 1302] (annexe 4) ; voir aussi infra, chap. II. A. C.
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i) [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ; [et]
ii) [c]essation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force »9.
Ce sont ces éléments interdépendants qui définissent la notion d’« échange de territoires contre la paix ». Dans ce texte, le Conseil de sécurité poursuivait en demandant que soit désigné un représentant spécial pour « favoriser un accord » et « seconder les efforts tendant à aboutir à un règlement pacifique et accepté, conformément aux dispositions et aux principes » de la résolution10.
2.5. Dans sa résolution 338 (1973), le Conseil de sécurité a ensuite réitéré son appel à l’application des dispositions susdites et exhorté au commencement immédiat de négociations « en vue d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient »11.
2.6. Ces résolutions ont été le socle sur lequel a reposé la recherche d’une paix globale négociée entre Israël et ses États voisins, mais aussi entre Israël et les Palestiniens. Israël et l’Égypte se sont appuyés sur le principe de « l’échange de territoires contre la paix » pour conclure le traité de paix de 1979, tout comme l’ont fait la Jordanie et Israël lorsqu’ils sont parvenus à leur propre accord de paix en 199412. En 1991, à la conférence de paix de Madrid sur le Moyen-Orient, convoquée par les États-Unis et l’Union soviétique, les Israéliens, Jordaniens, Libanais et Syriens, mais aussi les Palestiniens, se sont réunis pour la première fois, aux côtés d’autres interlocuteurs, avec pour objectif commun de parvenir à une paix globale par la voie de négociations directes sur la base de ce même paradigme13.
2.7. Par la suite, en 1993, les accords d’Oslo ont permis d’engranger d’autres réussites. L’OLP a reconnu l’État d’Israël et les Israéliens ont reconnu l’OLP comme représentant du peuple
9 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 242 du 22 novembre 1967, doc. S/RES/242, par. 1 [dossier, pièce no 1245] (annexe 1).
10 Ibid., par. 3.
11 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 338 du 22 octobre 1973, doc. S/RES/338, par. 2-3 (annexe 2). Plus précisément, le Conseil de sécurité
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« 2. [d]emand[ait] aux parties en cause de commencer immédiatement après le cessez-le-feu l’application de la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité, en date du 22 novembre 1967, dans toutes ses parties ; [et]
3. [d]écid[ait] que, immédiatement et en même temps que le cessez-le-feu, des négociations commencer[aie]nt entre les parties en cause sous des auspices appropriés en vue d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient. »
12 Voir traité de paix entre l’État d’Israël et le Royaume hachémite de Jordanie, Israël-Jordanie, 26 octobre 1994, Recueil des traités (RTNU), vol. 2042, p. 351 ; traité de paix, Égypte-Israël, 26 mars 1979, RTNU, vol. 1136, p. 115.
13 Voir, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 47/64 du 11 décembre 1992, « Question de Palestine », doc. A/47/64, sect. D, par. 4 [dossier, pièce no 406] ; rapport du Secrétaire général sur la « Question de Palestine — La situation au Moyen-Orient », 8 novembre 1991, doc. A/46/623-S/23204, par. 5 [dossier, pièce no 524].
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palestinien
14. Les parties se sont en outre engagées, dans le premier des accords d’Oslo, à savoir la déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie (ci-après la « déclaration de principes ») signée à Washington, à parvenir à un « règlement de paix juste, durable et global » par le processus politique convenu, à reconnaître « leurs droits légitimes et politiques mutuels » et à mener des négociations pour établir une autorité palestinienne intérimaire autonome pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza pendant une période transitoire, ainsi que des négociations sur le statut permanent qui seraient fondées sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et conduiraient à leur application15. Autrement dit, elles ont adopté dans leurs accords bilatéraux le paradigme de négociation de « l’échange de territoires contre la paix » qui avait été énoncé dans ces résolutions.
2.8. Plus spécifiquement, la déclaration de principes définissait un cadre pour les négociations israélo-palestiniennes et inaugurait le processus de mise en place d’institutions palestiniennes autonomes. Il y était réaffirmé que les parties avaient pour objectif commun de trouver une solution négociée à des questions liées au statut permanent qui « aboutir[ait] à l’application des résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité »16 et précisé que ces négociations « sur le statut permanent » visaient à couvrir un certain nombre de questions, parmi lesquelles Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les dispositifs de sécurité, les frontières, les relations et la coopération avec d’autres voisins, et d’autres questions d’intérêt commun17. Enfin, elle décrivait les modalités de la tenue d’élections palestiniennes en tant qu’« étape préparatoire intérimaire importante sur la voie de la réalisation des droits légitimes du peuple palestinien et de ses justes revendications », tout en exposant un premier cadre de distribution des pouvoirs et responsabilités entre l’autorité palestinienne intérimaire et le gouvernement militaire israélien et son administration civile18.
2.9. Dans le deuxième accord d’Oslo, l’accord intérimaire israélo-palestinien de 1995 sur la Rive occidentale [Cisjordanie] et la bande de Gaza (ci-après l’« accord intérimaire »), les parties réaffirmaient « que les négociations sur le statut permanent … conduir[aie]nt à la mise en oeuvre des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité »19.
2.10. L’accord intérimaire exposait en détail les arrangements auxquels étaient parvenues les parties quant à l’attribution des responsabilités et de la compétence en Cisjordanie et à Gaza dans l’attente d’une solution négociée, établissant, par exemple, différents arrangements en matière de compétence entre le gouvernement militaire israélien et son administration civile, d’un côté, et l’entité intérimaire palestinienne (désormais appelée « autorité palestinienne »), de l’autre, en ce qui concerne les zones A, B et C de la Cisjordanie, ainsi que sur la répartition des responsabilités en matière de sécurité20. De plus, ainsi que cela est indiqué dans la section C ci-après, bien que le souhait, qui y était formulé, de parvenir à un règlement négocié définitif au terme d’un délai bien défini n’ait pas été exaucé, les accords d’Oslo n’en demeurent pas moins le cadre de référence pour la répartition intérimaire des pouvoirs entre Israël et l’autorité palestinienne et les relations et
14 Échange de lettres entre Yitzhak Rabin, premier ministre d’Israël, et Yasser Arafat, président de l’OLP, concernant la reconnaissance d’Israël et de l’OLP, 9 septembre 1993, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-205528/ (page consultée le 17 juillet 2023) (annexe 3).
15 Déclaration de principes, supra, note 8, préambule et art. I.
16 Ibid. art. I.
17 Ibid. art. V.
18 Ibid., art. III, V, VI.
19 Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Rive occidentale [Cisjordanie] et la bande de Gaza, 28 septembre 1995, doc. A/51/889-S/1997/357, préambule [dossier, pièce no 1306] (annexe 5).
20 Voir, d’une manière générale, ibid.
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négociations israélo-palestiniennes. Tel a toujours été le cas, même dans les périodes de fortes tensions.
B. L’ONU a apporté un soutien indéfectible à un règlement du conflit fondé sur ce cadre de négociation établi de longue date
2.11. Même lorsque les conditions pour des négociations sur le statut permanent ont été troublées par des épisodes de violence, d’actions unilatérales et de défiance, l’ONU n’a cessé d’apporter son soutien au cadre établi en tant que base pour parvenir à une solution à deux États et mettre fin au différend. En 2008, exprimant son soutien aux négociations directes qui se déroulaient à la conférence d’Annapolis, le Conseil de sécurité a ainsi relevé, dans sa résolution 1850 (2008), l’« irréversibilité des négociations bilatérales » et déclaré qu’il « appu[yait] les principes convenus par les parties pour le processus de négociations bilatérales et leurs efforts résolus visant à atteindre l’objectif de la conclusion d’un traité de paix qui résoudrait toutes les questions non réglées »21. En 2016, il a de nouveau préconisé vivement
« l’intensification et l’accélération des efforts diplomatiques entrepris et de l’appui apporté aux niveaux international et régional en vue de parvenir sans tarder à une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient, sur la base de résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies, du mandat de la conférence de Madrid, y compris le principe de l’échange de territoires contre la paix, de l’Initiative de paix arabe et de la Feuille de route du Quatuor, et de mettre fin à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 »22.
Le Conseil a aussi « [r]appel[é] qu’il [était] déterminé à apporter son appui aux parties tout au long des négociations et dans la mise en oeuvre d’un accord »23.
2.12. Cette année encore, le Conseil de sécurité a publié une déclaration de sa présidente ainsi libellée :
« Le Conseil réaffirme son attachement indéfectible à la vision de la solution des deux États où deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, en paix, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, dans le respect du droit international et des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies. »24
2.13. Quant à l’Assemblée générale, organe qui a sollicité l’avis de la Cour en l’espèce, elle a, de la même manière, continué de souligner avec constance et vigueur la nécessité pour les parties de
21 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1850 du 16 décembre 2008, doc. S/RES/1850, préambule, par. 1-5 [dossier, pièce no 1354] ; voir également résolutions 1515 du 19 novembre 2003, doc. S/RES/1515, par. 1-2 [dossier, pièce no 1337] et 1397 du 12 mars 2002, doc. S/RES/1397, par. 2 [dossier, pièce no 1316].
22 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334, par. 9 [dossier, pièce no 1372].
23 Ibid., par. 10.
24 Nations Unies, déclaration de la présidente du Conseil de sécurité, 20 février 2023, doc. S/PRST/2023/1 [dossier, pièce no 1400].
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se conformer à leurs accords bilatéraux et de négocier un règlement définitif de leur différend sur la base du cadre établi à cette fin, y compris le principe de « l’échange de territoires contre la paix »
25.
2.14. De fait, dans les semaines qui ont précédé l’adoption de la résolution par laquelle elle a saisi la Cour, l’Assemblée générale a, dans sa résolution récurrente intitulée « Règlement pacifique de la question de Palestine », engagé
« la communauté internationale à redoubler d’efforts coordonnés pour rétablir un horizon politique et pour favoriser et accélérer la conclusion d’un traité de paix dans la perspective de mettre fin sans délai à l’occupation israélienne remontant à 1967 en réglant toutes les questions en suspens, y compris toutes celles relatives au statut final, sans exception, en vue de parvenir à un règlement juste, durable et pacifique du conflit israélo-palestinien sur la base de la solution des deux États reconnue sur le plan international et, à terme, du conflit arabo-israélien dans son ensemble afin d’instaurer une paix globale au Moyen-Orient »26.
2.15. Dans la résolution précitée, s’agissant en particulier du règlement du différend, l’Assemblée générale a de nouveau appelé à l’instauration d’une paix globale « sur le fondement des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies … du mandat de la Conférence de Madrid, y compris le principe de l’échange de territoires contre la paix … et […] réaffirm[é] son appui indéfectible … au règlement prévoyant deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité »27.
2.16. Ainsi que cela est exposé plus avant dans la section D, dans la résolution même par laquelle elle adressait ses questions à la Cour, l’Assemblée générale a une fois encore saisi l’occasion pour réaffirmer son appui à un règlement du différend qui aboutirait à deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, sur le fondement du cadre de négociation établi de longue date.
C. Les parties ont maintenu le cadre de négociation en question
2.17. Avec l’appui de l’ONU et par l’entremise des États-Unis et d’autres, les parties se sont régulièrement, depuis les accords d’Oslo, retrouvées à la table des négociations pour échanger sur leur avenir et elles ont reconnu le besoin persistant de négociations directes sur la base du cadre établi
25 Voir, par exemple, dossier, pièces no 252-72 (« Souveraineté permanente du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé sur leurs ressources naturelles ») ; par. 353-381 (« Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ») ; par. 403 et 405 (« Conférence internationale de la paix sur le Moyen-Orient ») ; par. 406-409 (« Question de Palestine ») ; par. 490-516 (« Règlement pacifique de la question de Palestine ») ; par. 811-836 (« Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ») ; voir également, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/30 du 8 décembre 2022, doc. A/RES/77/30, « Assistance au peuple palestinien ».
26 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/25 du 30 novembre 2022, doc. A/RES/77/25, « Règlement pacifique de la question de Palestine », préambule [dossier, pièce no 516] ; voir également résolution 73/89 du 6 décembre 2018, doc. A/RES/73/89, « Pour une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient » [dossier, pièce no 592] (« Demande à nouveau qu’une paix globale, juste et durable soit instaurée sans délai au Moyen-Orient sur le fondement des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies, notamment la résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité en date du 23 décembre 2016, du mandat de la Conférence de Madrid, y compris le principe de l’échange de territoires contre la paix, de l’Initiative de paix arabe et de la feuille de route du Quatuor, et que soit mis fin à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967, y compris à Jérusalem-Est, et, à cet égard, réaffirme son appui indéfectible, conforme au droit international, au règlement prévoyant deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, à l’intérieur de frontières reconnues sur la base de celles d’avant 1967. »)
27 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/25 du 30 novembre 2022, doc. A/RES/77/25, « Règlement pacifique de la question de Palestine », par. 1 [dossier, pièce no 516] (les italiques sont de nous).
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à cet effet
28. Malgré l’absence de progrès réalisés ces dernières années, elles ont réaffirmé leur volonté de respecter leurs accords antérieurs dans lesquels avait été adopté le principe de « l’échange de territoires contre la paix ». Par exemple, le 20 décembre 2019, le procureur général d’Israël a publié un mémorandum concernant la question de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) dans l’affaire de la Situation dans l’État de Palestine, dans lequel il affirmait ce qui suit :
« Les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité de l’ONU … énoncent le mandat des négociations israélo-palestiniennes (étant donné qu’elles ont été acceptées comme telles par les parties) [et] Israël considère également que la tragédie du conflit israélo-palestinien ne peut trouver d’issue que par un dialogue direct entre les parties qui soit sensible aux besoins et aspirations des Israéliens comme des Palestiniens. »29
2.18. Dans les observations qu’ils ont présentées devant la CPI en 2020, les Palestiniens ont eux aussi confirmé leur volonté de respecter les accords d’Oslo et le cadre de négociation établi en
« réaffirm[ant] [leur] engagement en faveur d’un règlement du conflit israélo-palestinien fondé sur une solution à deux États … par la voie de négociations se déroulant sous une égide internationale (telle que le Quatuor international) et dans le cadre d’une conférence de paix internationale, sur la base des résolutions de l’ONU et du droit international »30.
2.19. De plus, ainsi que cela a déjà été indiqué, en février de cette année, Palestiniens et Israéliens se sont réunis à Aqaba, en Jordanie, aux côtés des États-Unis, de l’Égypte et de la Jordanie pour des pourparlers de désescalade, au cours desquels ils « ont affirmé leur volonté de respecter tous leurs accords bilatéraux antérieurs et d’oeuvrer en vue de parvenir à une paix juste et durable »31.
28 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1850 du 16 décembre 2008, doc. S/RES/1850, par. 1-5 [dossier, pièce no 1354] (exprimant son soutien aux négociations directes ayant eu lieu à la Conférence d’Annapolis) ; Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1515 du 19 novembre 2003, doc. S/RES/1515, par. 1-2, [dossier, pièce no 1337] (approuvant la feuille de route axée sur les résultats en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États, établie par le Quatuor) ; Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1397 du 12 mars 2002, doc. S/RES/1397, par. 3 [dossier, pièce no 1316] (exprimant son soutien aux efforts déployés pour reprendre le processus de paix) ; Nations Unies, Secrétaire général, Règlement pacifique de la question de Palestine, 4 septembre 2014, doc. A/69/371-S/2014/650, par. 7-12 [dossier, pièce no 547] (décrivant la reprise des négociations sur le statut définitif en juillet 2013 et leur poursuite jusqu’en 2014 avec le soutien des États-Unis) ; Nations Unies, Secrétaire général, Règlement pacifique de la question de Palestine, 4 septembre 2013, doc. A/68/363-S/2013/524, par. 8, 11-15 [dossier, pièce no 546] (décrivant les efforts consentis par les États-Unis pour initier la reprise des négociations sur le statut définitif en 2013) ; Nations Unies, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, rapport du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, 6 octobre 2008, doc. A/63/35, par. 5, 19, 20, 93 (préparé par Paul Badji) [dossier, pièce no 469] (décrivant la reprise en 2007, à la conférence d’Annapolis, des négociations bilatérales sur le statut permanent) ; Nations Unies, Secrétaire général, rapport du Secrétaire général, La situation au Moyen-Orient, Question de Palestine, 22 novembre 2000, doc. A/55/639-S/2000/1113, par. 5 [dossier, pièce no 533] (décrivant les négociations historiques qui se sont tenues au sommet de Camp David) ; accord et déclarations communs d’Annapolis adoptés par le premier ministre Ehud Olmert et le président Mahmoud Abbas ( 27 novembre 2007), accessible à l’adresse suivante : https://peacemaker.un.org/node/457 (page consultée le 17 juillet 2023) ; déclaration trilatérale sur le sommet pour la paix au Moyen-Orient de Camp David, faite par le président des États-Unis William J. Clinton, le premier ministre israélien Ehud Barak et le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, 25 juillet 2000, accessible à l’adresse suivante : https://2001-2009.state.gov/p/nea/rls/22698.htm (page consultée le 17 juillet 2023).
29 The International Criminal Court’s Lack of Jurisdiction over the So-Called “Situation in Palestine”, procureur général, 20 décembre 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/BlobFolder/reports/20-12-2019/en/Memorandum-Attorney-General.pdf (page consultée le 17 juillet 2023).
30 « Situation dans l’État de Palestine », no ICC-01/18, The State of Palestine’s response to the Pre-Trial Chamber’s Order requesting additional information, annexe A, p. 3, 4 juin 2020, accessible à l’adresse suivante : https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/RelatedRecords/CR2020_02278.PDF (page consultée le 17 juillet 2023).
31 Communiqué d’Aqaba, supra, note 7.
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2.20 Le mois suivant, en mars 2023, Palestiniens et Israéliens se sont rencontrés, en présence des États-Unis et d’autres, à Charm el-Cheikh, en Égypte, où ils ont de nouveau exprimé, dans un communiqué conjoint, leur engagement indéfectible envers tous les accords antérieurs qui les lient32. Les parties ont réitéré « leur accord en vue de traiter toutes les questions en suspens par un dialogue direct »33. Il convient surtout de relever qu’elles ont affirmé leur engagement à créer les conditions d’un règlement du conflit par des négociations directes, déclarant qu’elles
« se réjouiss[ai]ent de coopérer ensemble afin de consolider les fondements des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens, dans la perspective de parvenir à une paix globale, juste et durable, et entend[ai]ent encourager la coopération et la coexistence entre tous les peuples du Moyen-Orient »34.
2.21. Ainsi, les parties israélienne et palestinienne ont reconnu, pas plus tard que cette année et nonobstant les niveaux actuels de violence et de défiance, que leurs accords antérieurs demeuraient pertinents. En outre, elles n’ont cessé de maintenir des échanges confortant les principes auxquels elles ont toutes deux souscrit35. Ces accords et efforts sont fondés sur le principe de négociation de l’« échange de territoires contre la paix » en vue d’atteindre une paix globale, juste et durable, principe initialement formulé, et sans cesse confirmé par la suite, par l’ONU.
D. La confirmation du cadre de négociation dans la résolution par laquelle l’Assemblée générale a saisi la Cour
2.22. Dans ce contexte, le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale a adopté la résolution 77/247 par le vote affirmatif de seulement 87 de ses États membres36. Bien qu’il soit pour le reste largement identique à la plus récente d’une longue série de résolutions de l’Assemblée générale ayant le même intitulé — la résolution 75/98 (2020)37 —, ce texte a, depuis cette résolution,
32 Communiqué de Charm el-Cheikh, supra, note 7.
33 Ibid.
34 Ibid.
35 Les pourparlers de Charm el-Cheikh et d’Aqaba visant à désamorcer les tensions s’inscrivent dans une succession d’échanges — se déroulant publiquement ou en coulisses — entre de hauts dirigeants israéliens et palestiniens. Ces discussions s’efforcent dans une large mesure de promouvoir la désescalade, objectif essentiel à la création des conditions pour mener les négociations visant à régler les questions liées au statut définitif et parvenir en fin de compte à une solution à deux États. Ces échanges se sont poursuivis sous les différents gouvernements israéliens. Voir, par exemple, E. Fabian et L. Berman, “Herzog calls Abbas to urge fight against terror, condemn settler violence”, The Times of Israel, 27 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.timesofisrael.com/herzog-calls-abbas-to-condemn-settler-violence-gallant-pledges-to-combat-riots/ (page consultée le 17 juillet 2023) (appels de juin 2023 entre Herzog-Abbas et Gallant-Hussein Al Sheikh, 27 juin ; B. Ravid, “Scoop: Israelis and Palestinians have been holding secret talks for weeks”, Axios, 20 février 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.axios.com/2023/02/20/israelis-palestinians-secret-talks-west-bank (page consultée le 17 juillet 2023) (article laissant entendre que des appels/réunions de portée plus importante ont eu lieu entre Hussein Al-Sheikh et Tzachi Hanegbi) ; T. Staff, “Gantz meets PA’s Abbas to discuss security coordination ahead of Biden visit”, The Times of Israel, 8 juillet 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.timesofisrael .com/gantz-meets-pas-abbas-to-discuss-security-coordination-ahead-of-biden-visit/ (page consultée le 17 juillet 2023) (rencontre Gantz/Abbas sous le précédent gouvernement) ; A. Carey et K. Khadder, “Israeli and Palestinian leaders speak by phone for the first time in years”, CNN, 8 juillet 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.cnn.com /2022/07/08/middleeast/lapid-abbas-phone-call-intl/index.html (page consultée le 17 juillet 2023) (appel entre Lapid/Abbas sous le précédent gouvernement).
36 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1). Plus de la moitié des États membres de l’Assemblée générale, soit 106 États, ont voté contre, se sont abstenus ou n’étaient pas présents au moment de l’adoption de la résolution.
37 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 75/98 du 10 décembre 2020, « Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/RES/75/98 [dossier, pièce no 835] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-quinzième session, 41e séance plénière, 10 décembre 2020, doc. A/75/PV.41, p. 8.
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perdu l’appui de 60 États membres lorsqu’il a été modifié pour inclure une demande d’avis consultatif adressée à la Cour sur les deux questions suivantes :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées … ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?38
2.23. Ainsi qu’exposé dans le chapitre III, certains États membres se sont dits préoccupés de ce que cet appel à la Cour puisse compromettre la perspective de la tenue de négociations israélo-palestiniennes à l’avenir — ce qui ne serait pas en phase avec l’appui constant apporté par l’Assemblée générale au règlement du différend par voie de négociations.
2.24. La résolution 77/247 elle-même réitère la proposition fondamentale selon laquelle la seule voie à emprunter pour résoudre le conflit est celle de la négociation sur les questions liées au statut permanent, conformément au cadre établi. Elle relève la nécessité urgente de
« rétablir un horizon politique qui permette de faire avancer et d’accélérer des négociations constructives visant à conclure un accord de paix qui mettra totalement fin à l’occupation israélienne commencée en 1967 et à résoudre, sans exception, toutes les questions fondamentales relatives au statut final afin de parvenir à un règlement pacifique, juste, durable et global de la question de Palestine39 ».
2.25. La résolution souligne également
« que les accords israélo-palestiniens conclus dans le cadre du processus de paix au Moyen-Orient, y compris les accords de Charm el-Cheikh, doivent être pleinement respectés et que la feuille de route du Quatuor en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États doit être mise en oeuvre »40.
2.26. De surcroît, il est précisé dans le libellé de la demande adressée à la Cour que celle-ci doit rendre son avis consultatif en prenant en considération les résolutions pertinentes du Conseil de
38 Voir dossier, pièces no 811-836 (« Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »).
39 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », préambule, doc. A/RES/77/247 [dossier, pièce no 3].
40 Ibid.
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sécurité et de l’Assemblée générale ainsi que son avis sur l’édification d’un mur, qui, tous, confirment le cadre de négociation établi
41.
2.27. Par conséquent, la résolution par laquelle l’Assemblée générale s’est adressée à la Cour se réfère et souscrit au cadre susmentionné visant à parvenir à une paix négociée, notamment par une solution permanente à deux États, les questions soumises devant donc être examinées dans ce contexte. La Cour devra également tenir compte des vues qui ont toujours été celles de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, et sur lesquelles les parties se sont appuyées dans leur dialogue, à savoir que ce n’est que par la voie des négociations que le conflit peut être réglé globalement, en ce compris toutes les questions relatives au statut définitif telles que les frontières et les arrangements de sécurité.
41 L’Assemblée générale prie aussi la Cour de prendre dûment en considération les résolutions pertinentes du Conseil des droits de l’homme (CDH). Le CDH, organe subsidiaire de l’Assemblée générale réunissant 47 États Membres de l’Organisation des Nations Unies, a un mandat important : celui de contribuer à promouvoir et à protéger les droits de l’homme dans le monde. C’est néanmoins à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité qu’incombe, au sein de l’ONU, la responsabilité générale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. De surcroît, le CDH a aussi, comme dans la résolution sur le « Droit du peuple palestinien à l’autodétermination », « réaffirm[é] [] la nécessité de parvenir à un règlement pacifique juste, global et durable du conflit israélo-palestinien, conformément au droit international et aux autres paramètres convenus au niveau international, y compris toutes les résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies ». Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 49/28 du 1er avril 2022, doc. A/HRC/RES/49/28, par. 2, [dossier, pièce no 1589] (les italiques sont de nous).
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CHAPITRE III DES RAISONS DÉCISIVES JUSTIFIENT QUE LA COUR TRAITE LES QUESTIONS DONT ELLE EST SAISIE DANS LES LIMITES DU CADRE ÉTABLI
3.1. Les États-Unis font valoir qu’il existe des raisons décisives pour que la Cour traite les questions que lui a posées l’Assemblée générale dans les limites du cadre établi afin que les parties négocient le règlement des questions liées au statut permanent qui sont au coeur de leur différend, telles que la question des frontières ou celle des arrangements de sécurité. Ces raisons procèdent de deux considérations étroitement liées : en premier lieu, le rôle important que continue de jouer l’ONU dans les efforts entrepris pour régler le conflit israélo-palestinien, notamment au moyen des multiples résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale appelant à un règlement négocié ; et, en second lieu, la mesure dans laquelle les questions posées à la Cour mettent en jeu le principe du consentement au règlement judiciaire d’un différend d’ordre territorial pour lequel il existe un cadre établi aux fins de l’examen des questions litigieuses par voie de négociation. En outre, étant donné que les questions sont rédigées de sorte à couvrir les actes d’une seule des parties au différend et à ne tirer des conclusions juridiques qu’à leur égard, la prudence est de mise.
3.2. Il est bien établi que la Cour est dans « l’obligation de s’assurer, chaque fois qu’elle est saisie d’une demande d’avis, de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire »42. La Cour, tout comme sa devancière la Cour permanente de Justice internationale, a reconnu les limites inhérentes à la compétence consultative qui découlent de son caractère judiciaire43. Ces considérations, dont elle a estimé qu’elles pouvaient la conduire à refuser de donner un avis, lui permettent aussi de décider de répondre aux questions posées dans leur totalité ou de restreindre la portée de sa réponse44. La Cour a également reconnu la nécessité de tenir compte de « l’origine et [de] la portée du différend » pour apprécier l’opportunité d’exercer sa compétence consultative, notamment lorsqu’il s’agit de confirmer que son avis aiderait l’Assemblée générale à « exercer comme il convient ses
42 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 157, par. 45 ; voir aussi Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 64 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 31 ; p. 415 et 417, par. 29 et 33 (relevant que « [l]e pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à une demande d’avis consultatif vise à protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour et sa nature en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies »).
43 Voir Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, par. 23 ; Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65, 71 ; Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 29. La Cour a par exemple indiqué qu’il pouvait y avoir des « raisons décisives » de refuser de donner un avis consultatif lorsque cet avis « aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant ». Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33 ; voir également infra, note 66.
44 En répondant à une demande d’avis consultatif, la Cour garde le pouvoir discrétionnaire d’élargir, d’interpréter ou de reformuler les questions qui lui sont posées, notamment dans le but de dégager les principes et règles applicables et existants. Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 423, par. 50 (notant que la Cour peut redéfinir la portée et le sens des questions qui lui sont présentées dans les cas suivants : 1) lorsque la question n’est pas correctement formulée, 2) lorsque la Cour constate, en examinant le contexte de la demande, que celle-ci ne met pas en évidence les « points de droit … véritablement … en jeu », ou 3) lorsque la question posée est peu claire ou vague). La Cour a maintes fois exercé ce pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle y a été amenée par les faits de l’espèce, le fond ou le libellé d’une résolution de saisine. Voir, par exemple, Demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 348, par. 46 (la Cour y clarifiant une question de saisine vague ou ambiguë) ; Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 87-89, par. 34-36 (la question posée ne correspondait pas à la « véritable question juridique » à l’examen) ; Interprétation de l’accord gréco-turc du 1er décembre 1926 (protocole final, article IV), avis consultatif, 1928, C.P.J.I. série B no 16), p. 14-16 (la question sur laquelle l’avis de la Cour était sollicité n’était pas correctement énoncée) ; voir Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion dissidente de la juge Donoghue, p. 266, par. 22 (« La Cour aurait pu choisir d’exercer son pouvoir discrétionnaire en donnant une réponse plus limitée à la demande (qu’elle aurait pu reformuler dans ce but). … L’Assemblée générale aurait pu bénéficier de cette réponse juridique sans que l’intégrité judiciaire de la Cour ne soit compromise. »)
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fonctions »
45. Elle a jugé que, pour rester fidèle à son caractère judiciaire, elle devait d’abord s’assurer de la signification de la question présentée et en mesurer toute la portée dans la situation de fait et de droit où il convenait de l’examiner46.
3.3. Dans le présent chapitre est exposé le fait que ces importantes considérations énoncées par la Cour doivent la conduire à examiner la résolution par laquelle elle a été saisie en respectant le cadre établi exposé au chapitre II.
3.4. La section A explique pourquoi la Cour devrait adopter, en l’espèce, la méthode qu’elle a déjà employée dans la procédure consultative sur l’édification d’un mur pour répondre à la précédente demande d’avis présentée par l’Assemblée générale au sujet du conflit israélo-palestinien, afin de ne pas perturber le cadre de négociation existant. Dans la section B est exposée en détail la manière dont les questions posées en l’espèce mettent en jeu le principe du consentement au règlement judiciaire, et ce, bien davantage que dans la procédure sur l’édification d’un mur, car elles invitent la Cour à examiner des questions qui constituent l’objet même du différend et portent sur des points dont le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont maintes fois reconnu qu’ils devaient être réglés par voir de négociations directes entre les parties.
A. Le respect manifesté par la Cour, dans la procédure sur l’édification d’un mur, pour le rôle joué par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale dans le règlement du différend israélo-palestinien et pour le cadre de négociation établi reste de mise
3.5. La relation entre la Cour et les autres organes principaux de l’ONU a été décrite comme étant une relation de « coordination et [de] coopération fonctionnelle en vue d’atteindre les objectifs communs de l’Organisation »47. À cet égard, dans l’exercice de sa compétence tant contentieuse que consultative, la Cour s’attache à tenir compte des pouvoirs respectifs des organes politiques principaux en ce qui concerne toute question relevant de la paix et de la sécurité internationales48. Comme l’a affirmé le juge Azevedo dans l’avis consultatif sur l’Interprétation des traités de paix,
« la Cour, désignée comme organe principal et ainsi plus dans l’engrenage de l’O.N.U., doit faire de son mieux pour collaborer avec les autres organes en vue d’atteindre les buts et principes visés »49.
45 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 26-27, par. 39, 42 ; voir également Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 32 (déterminant que le prononcé d’un avis consultatif n’était pas destiné à assister le Conseil de sécurité dans le règlement pacifique d’un différend entre États, mais à offrir un avis juridique sur « les conséquences et les incidences de ces décisions »).
46 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 76, par. 10.
47 V. Gowlland-Debbas, M. Forteau, « Art. 7 UN Charter », dans The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, A. Zimmermann et al. (sous la dir. de), troisième édition, 2019, p. 146.
48 Voir infra, par. 3.10.
49 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, opinion individuelle du juge Azevedo, p. 82 ; voir également M. N. Shaw, Rosenne’s Law and Practice of the International Court 1920-2015, cinquième édition, 2016, vol. 1, p. 110-111 :
« D’une façon générale, il est hors de doute que les relations mutuelles entre les organes principaux doivent être fondées sur le principe général que ces organes doivent coopérer en vue de réaliser les objectifs de l’Organisation (sous réserve de la responsabilité principale du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales).
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3.6. La Cour a reconnu à juste titre que, en exerçant sa compétence consultative, son rôle consistait à prêter assistance aux autres organes intéressés de l’ONU dans l’accomplissement de leurs tâches50, tout en respectant les responsabilités et décisions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale sur les questions de paix et de sécurité et en s’efforçant d’éviter un résultat qui pourrait compromettre ces décisions ou les priver d’effet51. Il s’ensuit que, en se penchant sur les questions formulées dans la résolution 77/247, elle peut et doit exercer son pouvoir discrétionnaire en formulant tout avis qu’elle pourrait donner de sorte à ne pas invalider ou compromettre le cadre établi dont le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont jugé qu’il constituait la meilleure et unique voie à suivre pour parvenir à une paix durable. À cet égard, l’approche adoptée par la Cour dans son avis consultatif sur l’édification d’un mur est instructive.
3.7. Dans la procédure sur l’édification d’un mur, la Cour a dû examiner l’opportunité de donner un avis à l’Assemblée générale sur certains aspects du différend israélo-palestinien nés d’un acte particulier, à savoir la construction par Israël d’une barrière de séparation. Elle a pris soin de préciser que la question posée par l’Assemblée générale était « limitée aux conséquences juridiques de la construction du mur »52 et s’est attachée à ne pas fragiliser le cadre de négociation établi et confirmé par les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale. La Cour a bien veillé à ne pas donner un avis qui aurait semblé dicter l’issue des questions liées au statut définitif sur lesquelles les parties étaient convenues de négocier, n’examinant « d’autres éléments que dans la mesure où ceux-ci [étaient] nécessaires aux fins de l’examen de cette question » et faisant observer que « seule la mise en oeuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) » pouvait permettre de mettre un terme au conflit envisagé plus globalement53.
3.8. Dans ladite procédure, la Cour a soigneusement pris en considération le rôle de l’ONU à l’égard du conflit israélo-palestinien. Elle a notamment recherché si elle avait été dûment saisie de la question au regard de la résolution 1515 (2003) du Conseil de sécurité, texte alors récemment adopté dans lequel avait été approuvé un plan précis visant à parvenir à un règlement négocié du conflit sur la base du cadre de négociation établi. Elle a mentionné la responsabilité de l’ONU à l’égard des questions concernant le maintien de la paix et de la sécurité internationales, précisant
Cette approche ouvre la voie à une conception fonctionnelle de la tâche que remplit la Cour en sa qualité d’organe principal de l’ONU. Selon cette conception, sous réserve de certaines considérations juridiques primordiales (concernant notamment l’opportunité judiciaire), la Cour, en exerçant sa fonction judiciaire consistant à régler des différends (paragraphe 1 de l’article 38 du Statut) ou en donnant des avis consultatifs (article 96 de la Charte et paragraphe 1 de l’article 65 du Statut), doit coopérer à la réalisation des buts de l’Organisation et s’efforcer de donner effet aux décisions des principaux organes de celle-ci, et non de parvenir à des conclusions qui les rendraient sans effet. »
50 Voir, par exemple, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403, par. 421 ; la procédure sur l’édification d’un mur, p. 159, par. 50 ; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 188-189, par. 31 ; Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19.
51 Voir, par exemple, Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, déclaration du juge Ni, p. 132 ; ibid., p. 134 (citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 434, par. 95) (où il est indiqué qu’« [i]l ne faut pas négliger » la référence faite par la Cour dans Activités militaires et paramilitaires à des « fonctions complémentaires » et où est examinée la façon dont les organes politique et judiciaire principaux peuvent traiter de différents aspects de la même question : « ces fonctions peuvent être liées les unes aux autres. Les relations entre les deux organes doivent être caractérisées par une coordination et une coopération et non par une concurrence ou une exclusion réciproque. ») ; voir aussi M. N. Shaw, vol. 1, supra, note 49, p. 111 ; V. Gowlland-Debbas et M. Forteau, supra, note 47, p. 147.
52 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 160, par. 54.
53 Ibid. p. 200-201, par. 162.
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que, « [d]ans le cadre institutionnel de l’Organisation, cette responsabilité s’[étai]t concrétisée par l’adoption de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale »
54 relatives au conflit.
3.9. Plus précisément, la Cour a reconnu que « [l]a “feuille de route” approuvée par la résolution 1515 (2003) du Conseil de sécurité constitu[ait] l’effort le plus récent en vue de provoquer des négociations à cette fin »55, et appelé l’attention de l’Assemblée générale sur
« la nécessité d’encourager ces efforts en vue d’aboutir le plus tôt possible, sur la base du droit international, à une solution négociée des problèmes pendants et à la constitution d’un État palestinien vivant côte à côte avec Israël et ses autres voisins, et d’assurer à chacun dans la région paix et sécurité »56.
3.10. Cette reconnaissance par la Cour des responsabilités des autres organes principaux de l’ONU à l’égard du conflit cadre avec le fait qu’elle a, dans d’autres contextes, souligné la nécessité de faire preuve de prudence en traitant de questions liées aux domaines de compétence des différentes entités de l’Organisation57. Une telle approche s’impose d’autant plus en ce qui concerne les questions dont est aujourd’hui saisie la Cour.
3.11. Dans la procédure sur l’édification d’un mur, la Cour a constaté que c’est par des résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale que l’ONU avait défini son intérêt à l’égard du conflit israélo-palestinien. Ces mêmes résolutions, dont beaucoup continuent à ce jour d’être adoptées tous les ans ou semestres par l’Assemblée générale — la résolution par laquelle la Cour a été saisie en l’espèce en étant d’ailleurs un exemple —, ont confirmé à maintes reprises l’idée selon laquelle le différend ne pouvait être réglé que par une négociation fondée sur le principe de « l’échange de territoires contre la paix » énoncé pour la première fois dans les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, et dans le cadre établi à cet effet. Ces résolutions soulignent que les parties au conflit « doivent … pleinement respect[er] » le cadre établi pour régler leurs différends58. Le fait qu’elles aient élaboré ce cadre et y aient apporté un soutien continu en tant que moyen de résoudre les questions liées au statut permanent, dont les frontières et les arrangements de sécurité, est crucial
54 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 159, par. 49.
55 Ibid. p. 201, par. 162.
56 Ibid. ; voir également ibid., p. 201, par. 161 (saisissant l’occasion pour « souligner la nécessité urgente que l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble redouble ses efforts en vue de mettre rapidement un terme au conflit israélo-palestinien, qui continue de poser une menace à la paix et à la sécurité internationales, et d’établir ainsi une paix juste et durable dans la région »).
57 « Pour apprécier l’opportunité de donner un avis consultatif, la Cour doit tenir compte des responsabilités particulières qui lui sont conférées dans l’architecture de la Charte des Nations Unies. » Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), opinion individuelle du juge Sepulveda-Amor, p. 492-493, par. 8-9 (les responsabilités propres à la Cour en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales l’éclairent sur la manière dont elle doit appliquer les résolutions) ; voir également ibid., opinion dissidente du juge Skotnikov, p. 517-518, par. 8 (citant Jaworzina, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B no 8, p. 37 (« [S]uivant une doctrine constante, le droit d’interpréter authentiquement une règle juridique appartient à celui-là seul qui a le pouvoir de la modifier ou de la supprimer »)) ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, opinion dissidente du juge Bedjaoui, p. 145, par. 7 (« [L]a Cour n’a généralement pas pour rôle de contrôler en forme d’appel les décisions du Conseil de sécurité dans sa haute mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales[.] »)
58 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247, « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », préambule, 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247 [dossier, pièce no 3].
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non seulement pour définir l’intérêt de l’Organisation à cet égard, mais aussi pour comprendre la saisine elle-même et la portée appropriée de l’examen de la Cour
59.
3.12. Enfin, dans la procédure sur l’édification d’un mur, la Cour a conclu qu’il était difficile de savoir quelle influence son avis aurait sur les négociations, y compris celles auxquelles invitait la résolution 1515 du Conseil de sécurité ; aussi n’a-t-elle pas considéré ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence60. Il est loin d’en être de même en l’espèce, où les questions posées sont fondamentalement différentes, tant par leur nature que par leur portée. Contrairement à la question bien circonscrite à laquelle la Cour était appelée à répondre dans la procédure sur l’édification d’un mur, les questions soumises en l’espèce risquent d’entraîner des répercussions considérables sur des points qui sont au coeur même des négociations. Certains chantres de cette saisine sont allés jusqu’à dire qu’était soumise à la Cour « la question de la Palestine dans son intégralité », laissant en réalité entendre que la Cour devait se prononcer définitivement sur tous les aspects du conflit israélo-palestinien61.
3.13. Il ne fait aucun doute que les questions soulevées en l’espèce pourraient, à défaut d’un examen minutieux et d’un respect scrupuleux du cadre approuvé par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale et adopté par les parties au différend, donner lieu à un avis de très large portée. La première question interroge la Cour sur les conséquences juridiques de trois grandes catégories d’actes allégués : 1) la « violation … par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination » ; 2) « [l’]occupation, [l]a colonisation et [l’]annexion prolongées [par Israël] du territoire palestinien occupé depuis 1967 » ; et 3) les « lois et mesures discriminatoires connexes ». La seconde question demande à la Cour de se prononcer sur le « statut juridique » de l’occupation israélienne in toto, y compris en ce qui concerne les conséquences juridiques qui en découlent pour l’ONU et pour les États tiers. Considérées conjointement, ces questions — avec le caractère péremptoire et partial de leur formulation — peuvent aisément être lues comme tendant à obtenir un avis sur les questions mêmes dont l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité n’ont eu de cesse de souligner qu’elles devaient être réglées par voie de négociations directes entre les parties.
3.14. Or, là encore, la résolution 77/247 de l’Assemblée générale réaffirme que le cadre établi « doi[t] être pleinement respecté[] » pour que les parties au conflit puissent régler leur différend. Cela place donc la Cour dans la situation peu enviable de devoir tenter de répondre à des questions dont la portée peut être importante sans mettre à mal le cadre de négociation établi auquel l’Assemblée générale elle-même s’est référée en sollicitant le présent avis consultatif.
3.15. Dès le moment où elle les a examinées, l’Assemblée générale s’est inquiétée de ce que les questions posées elles-mêmes puissent donner à penser que la Cour était invitée à donner un avis dépassant le cadre établi. Ainsi que cela est indiqué dans le chapitre II, la résolution 77/247 a recueilli 60 voix de moins que la précédente, la résolution 75/98, qui ne contenait pas les questions adressées à la Cour62. Pendant les travaux de la Quatrième Commission et les séances plénières de l’Assemblée
59 Voir l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, opinion individuelle du juge Owada, p. 265, par. 14 (« [L]a Cour doit avant tout s’attacher à présenter, certes, les conclusions en droit qu’elle aura objectivement tirées, mais dans la stricte mesure du nécessaire et d’une manière qui soit utile à l’organe qui l’a saisie, à savoir l’Assemblée générale, permettant à celui-ci de s’acquitter de ses fonctions relativement à la situation qui est à l’origine de la demande, et s’abstenir de statuer sur l’objet du différend entre les parties concernées. »)
60 Ibid., p. 160, par. 53.
61 Permanent Observer Briefs Palestinian Rights Committee on Situation in Occupied Territory Situation, Submissions Guidelines for Opinion Case to the World Court, 3 mai 2023, Nations Unies, doc. GA/PAL/1452, accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/en/2023/gapal1452.doc.htm (page consultée le 17 juillet 2023).
62 Voir supra, par. 2.22-2.23.
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générale, des États ont dit craindre de voir la demande d’avis consultatif entraver, plutôt que de faciliter, le règlement du conflit israélo-palestinien et ne pas servir l’objectif d’une reprise du dialogue entre les parties
63. Certains ont estimé n’avoir pas été avisés suffisamment à l’avance de ce que la demande d’avis consultatif avait été ajoutée à la résolution et que les concertations et débats préalables à ce sujet avaient été insuffisants64. Les États-Unis ne sont donc pas le seul État Membre de l’Organisation à exprimer des réserves sur la partie de la résolution consacrée à la saisine de la Cour et, en particulier, les effets négatifs que cela pourrait avoir sur la perspective de futures négociations israélo-palestiniennes.
3.16. Le traitement par la Cour de la question posée dans la procédure sur l’édification d’un mur peut éclairer la manière dont elle devrait répondre à celles qui sont contenues dans la résolution 77/24765. À l’époque, la Cour avait recherché si certaines violations du droit international avaient été commises et quelles en étaient les conséquences juridiques, telles que l’obligation pour Israël de mettre fin au comportement ayant entraîné les violations en cause. Ce faisant, elle avait toutefois procédé d’une manière qui ne compromettait ou n’entravait pas le cadre de négociation existant et son principe de « l’échange de territoires contre la paix ». En l’espèce, il lui faudra également accorder une attention particulière aux fonctions exercées par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale dans le traitement du conflit et s’efforcer d’ajuster son avis de façon à préserver le cadre établi, sans porter atteinte à la capacité des parties de négocier dans ce cadre sur les questions qui sont au coeur du différend, telles que les frontières et les arrangements de sécurité.
3.17. Si la Cour devait s’écarter de cette approche, le risque serait grand que, plutôt que de faciliter les efforts déployés par l’ONU pour que les parties reprennent les négociations et respectent pleinement le cadre établi, son avis ne préjuge de l’issue desdites négociations ou donne malencontreusement à entendre aux parties qu’il est inutile de négocier sur les éléments interdépendants du principe de « l’échange de territoires contre la paix », pourtant approuvé et encouragé de si longue date par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. Un tel avis serait en
63 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), p. 3-6 (déclarations de la Mongolie, de la Roumanie et du Royaume-Uni) ; déclarations des États-Unis devant la Quatrième Commission, supra, note 1 ; voir également Nations Unies, Couverture des réunions et communiqués de presse, Fourth Committee, Concluding Its Work, Approves Six Draft Resolutions, Including Request for ICJ Opinion on Israeli Occupation, 11 novembre 2022, Nations Unies, doc. GA/SPD/771, accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/en/2022/gaspd771.doc.htm (page consultée le 17 juillet 2023) (résumant les déclarations de l’Australie, d’Israël, du Japon, du Royaume-Uni, de Singapour et de l’Uruguay). (Les documents officiels des réunions de la Quatrième Commission qui se sont tenues à ces dates ne sont pas encore disponibles.)
64 Voir, par exemple, Journal des Nations Unies, « Déclaration de la France au nom de l’Union européenne », soixante-dix-septième session, 26e séance plénière de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale, 11 novembre 2022, accessible à l’adresse suivante : https://journal.un.org/en/new-york/meeting/officials/f7d34375-ae42-43fa-cd84-08da63695862/2022-11-11/statementsid (page consultée le 17 juillet 2023) (soulignant que « les demandes d’avis consultatif auprès de la CIJ doivent être soigneusement examinés et débattus avec les États Membres des Nations Unies ») ; M. l’ambassadeur Richard Mills, supra, note 1. Même des États ayant voté en faveur de la résolution ont relevé que la décision de demander un avis consultatif n’avait pas été étudiée de façon approfondie. Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), p. 3-5 (déclaration de Malte soulignant que la demande tendant à obtenir un avis consultatif « aurait bénéficié de discussions et de consultations plus approfondies avec l’ensemble des Membres de l’ONU » et déclaration du Portugal faisant état de « doutes raisonnables en matière de procédure » concernant le paragraphe de la résolution demandant un avis consultatif et indiquant qu’« il aurait dû y avoir des consultations plus approfondies »).
65 Il convient de noter à cet égard que la Cour, dans cette procédure, était parvenue à des conclusions sur les conséquences des activités de colonisation, d’actions modifiant la composition démographique, le caractère et le statut des territoires palestiniens occupés — y compris Jérusalem-Est —, et de politiques et pratiques faisant obstacle à l’exercice du droit palestinien à l’autodétermination. La Cour a appelé à mettre fin à toutes les violations de cet ordre qu’elle avait constatées et, le cas échéant, à réparer les dommages causés. Voir l’avis sur l’édification d’un mur, p. 184, par. 120-122 ; p. 201-202, par. 163.
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contradiction avec les résolutions pertinentes de l’ONU et les travaux du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, et n’aiderait donc pas celle-ci dans l’exercice de ses fonctions.
B. Le fait de dépasser le cadre de négociation établi risquerait de porter atteinte au principe du consentement
3.18. La Cour a toujours jugé que le fait qu’un avis ait « pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant »66 entrait dans la catégorie des « raisons décisives » pour ne pas répondre à la demande. Dans la procédure sur l’édification d’un mur, elle a rejeté l’argument selon lequel son avis sur la question plus restreinte qui lui était alors posée aurait un tel effet, étayant cette position en se référant à la responsabilité de l’ONU à l’égard des questions relatives à la paix et à la sécurité internationales, responsabilité qui « s’est concrétisée par l’adoption de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale » concernant la paix au Moyen-Orient67.
3.19. En l’espèce, en revanche, les questions de l’Assemblée sont formulées de façon à couvrir un large spectre de problèmes touchant les différends qui sont au coeur du conflit israélo-palestinien, y compris le statut du territoire en cause68. Or, non seulement aucun consentement n’a été recueilli aux fins d’un règlement judiciaire de ces problèmes par la Cour, mais les questions posées invitent celle-ci à apprécier les actes allégués d’une seule partie au différend, sans se prononcer sur les actes ou omissions de l’Autorité [nationale] palestinienne, de l’Organisation de libération de la Palestine ou d’autres entités69. De surcroît, ainsi que cela a déjà été indiqué, tant le Conseil de sécurité que l’Assemblée générale n’ont cessé d’affirmer que, pour parvenir à une paix durable, les questions liées au statut permanent que recouvre le différend doivent être réglées par voie de négociations directes.
3.20. Comme cela vient d’être rappelé, la Cour, dans la procédure sur l’édification d’un mur, a estimé que l’effet que pourrait avoir son avis sur le cadre de négociation n’était pas assez évident pour être considéré comme un facteur décisif devant l’amener à se poser la question de l’opportunité d’exercer sa compétence consultative. Une telle conclusion ne serait pas plausible en l’espèce, où les questions posées invitent à donner un avis qui reviendrait, en substance, à statuer sur l’objet même
66 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33 ; voir également la procédure sur l’édification d’un mur, p. 136, par. 14 ; ibid., opinion individuelle du juge Owada, p. 265, par. 13 (soulignant que, même si la demande de l’Assemblée générale ne vise pas à saisir la Cour d’un différend juridique, il n’en reste pas moins que la réponse apportée à cette demande serait incompatible avec la fonction judiciaire de la Cour si elle « rev[enait] … à statuer sur l’objet même du différend bilatéral ») ; affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et États-Unis d’Amérique), question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32 ; Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I., série B no 5, p. 28-29.
67 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 158-159, par. 49.
68 De surcroît, à la différence de la question posée dans la procédure sur l’édification d’un mur, les questions formulées en l’espèce sont rédigées de façon à établir les conclusions mêmes au sujet desquelles l’avis est sollicité. Or, ainsi que l’a expliqué la Cour dans la procédure au sujet du Kosovo, lorsqu’un point reste contesté et pourrait avoir une incidence sur la réponse qui serait donnée à la question juridique dont est saisie la Cour, « [i]l serait incompatible avec le bon exercice de sa fonction judiciaire que la Cour considère ce point comme ayant été tranché par l’Assemblée générale ». Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 424, par. 52. Les deux questions en cause en l’espèce font intervenir ce principe. Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », par. 18, al. a), doc. A/RES/77/247 [dossier, pièce no 3] (où il est fait référence à la « violation persistante » par Israël du droit des Palestiniens à l’autodétermination et indiqué qu’Israël prend diverses mesures « visant à modifier » des questions liées au statut définitif, comme Jérusalem, et qu’il a adopté « des lois et mesures discriminatoires connexes ») ; ibid., par. 18, al. b) (où il est demandé à la Cour de se prononcer sur le statut juridique de l’occupation et sur les conséquences juridiques qui en découlent sur la base des postulats factuels énoncés dans la première question).
69 Cf. procédure sur l’édification d’un mur, p. 200, par. 162 (où il est indiqué que « [d]es actions illicites ont été menées et des décisions unilatérales ont été prises par les uns et par les autres »).
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des négociations. Un avis de la Cour qui semblerait régler, ou réglerait effectivement, toute question liée au statut permanent, ne tiendrait pas compte de la distribution intérimaire des pouvoirs et des responsabilités convenue par les parties ou indiquerait que l’une des conséquences juridiques des actes d’Israël l’oblige à se retirer des territoires occupés sans qu’ait été réalisée la paix globale, juste et durable par « l’échange de territoires contre la paix », pourrait contrevenir au cadre établi et risquerait fort de le supplanter. Il pourrait nuire à la capacité des parties de négocier un règlement de leur différend, notamment en compliquant de manière involontaire les efforts déployés pour parvenir à une désescalade des tensions croissantes en Cisjordanie, tels que les rencontres organisées selon le format encore balbutiant d’Aqaba-Charm El-Cheikh, en poussant les parties à camper sur leurs positions et en les divisant davantage. Pareil avis pourrait aussi encourager certains éléments de chaque côté à se livrer à des actes qui éloigneraient encore la perspective d’une paix négociée juste et pérenne, au lieu d’oeuvrer dans ce sens.
3.21. Le fait que la Cour doive veiller à ne pas empiéter sur l’objet même du différend sous-jacent ressort en outre de l’avis consultatif qu’elle a donné dans la procédure au sujet du Sahara occidental. La Cour y a indiqué que l’avis qu’elle donnerait à l’Assemblée générale sur la question des droits du Maroc sur le Sahara occidental à l’époque de la colonisation serait sans effet sur les droits détenus par l’Espagne en tant que puissance administrante du territoire70. Elle a aussi précisé que l’Assemblée générale ne l’avait pas consultée afin d’« exercer … ses pouvoirs et ses fonctions en vue de régler pacifiquement ce différend ou cette controverse »71.
3.22. Répondre aux questions posées en l’espèce en donnant un avis qui reviendrait, en pratique, à rendre superflu le moyen prescrit par le Conseil de sécurité et approuvé par l’Assemblée générale pour régler le différend — à savoir les négociations directes — ferait jouer à la Cour le rôle de mécanisme de règlement du différend et non d’organe consultatif. Bien qu’il s’agisse d’un rôle qu’elle est nécessairement amenée à jouer dans le cadre des procédures contentieuses fondées sur le consentement des parties, la Cour a maintes fois souligné que sa compétence consultative était distincte et ne constituait pas le moyen approprié pour régler un différend72. Elle devrait garder cette distinction à l’esprit et ne pas céder à ceux qui cherchent à éviter ou à compromettre le recours à des négociations directes en lui demandant de trancher des questions dont les parties, comme le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale, ont considéré qu’elles étaient au coeur du différend et ne pouvaient être résolues que par la voie de telles négociations. Il est essentiel que tout soit fait pour préserver le cadre établi et créer les conditions d’une reprise des négociations directes entre les parties, qui permettraient à celles-ci de régler toutes les questions liées au statut permanent. Il est également crucial d’encourager les parties à s’abstenir de toutes actions unilatérales qui iraient à l’encontre d’un retour à la table des négociations.
70 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27, par. 42.
71 Ibid. p. 26-27, par. 39 ; voir aussi l’avis sur l’édification d’un mur, opinion individuelle de la juge Higgins, p. 210, par. 12-13.
72 Voir Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), opinion dissidente du juge Bennouna, p. 503, par. 15 (« Il est essentiel pour la Cour de veiller, dans l’exercice de sa fonction consultative, à ce qu’elle ne soit pas instrumentalisée en faveur de telle ou telle stratégie proprement politique… ») ; procédure sur l’édification d’un mur, opinion individuelle du juge Higgins, p. 210, par. 12-13 ; voir également Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27, par. 42 (le défaut de consentement est un facteur moins important pesant en faveur d’un refus discrétionnaire de statuer lorsque la position juridique de l’État n’apparaît pas compromise par l’avis de la Cour) ; Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72 (où la demande d’avis consultatif concernait la procédure de règlement de différend, et non le fond des différends sous-jacents, « la position juridique des parties à ces différends ne saurait à aucun degré être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire aux questions qui lui sont posées »).
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CHAPITRE IV LA DEMANDE INVITE À PROCÉDER À UN EXAMEN DU CADRE ÉTABLI SUR LA BASE DE PRÉSOMPTIONS SANS FONDEMENT EN DROIT INTERNATIONAL
4.1. Ainsi que cela a été précisé, pour s’acquitter de ses obligations, la Cour « doit d’abord s’assurer de [l]a signification [de la question] et en mesurer toute la portée dans la situation de fait et de droit où il convient de l’examiner »73.
4.2. La deuxième question de l’Assemblée générale repose sur un postulat erroné. Elle prie la Cour d’émettre un avis sur « [l’]incidence » que les politiques, pratiques et violations alléguées visées dans la première question, notamment l’occupation, la colonisation et l’annexion prolongées du territoire occupé « ont[] sur le statut juridique de l’occupation ». La réponse qui s’impose d’évidence est que le statut juridique de l’occupation en droit international humanitaire résulte du seul fait de l’occupation. Selon le droit international humanitaire, le statut juridique d’une occupation de guerre ne change pas en cas de prolongement de l’occupation ou de commission alléguée, par la puissance occupante, de violations du droit international humanitaire ou d’autres règles du droit international74.
4.3. Conformément au droit international coutumier, qui trouve son expression à l’article 42 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (ci-après le « règlement IV de La Haye »), un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie75. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer76. Le fait de l’occupation est le fondement de l’exercice, par la puissance occupante, de son autorité — notamment au moyen d’une présence de sécurité sur le territoire occupé —, et de l’application, par cette puissance, d’un cadre juridique de droits et d’obligations auquel elle est tenue77. Bien que l’occupation de guerre soit par nature provisoire, le droit international humanitaire continue de s’appliquer pendant toute la durée effective, quelle qu’elle soit, d’une occupation78.
73 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 76, par. 10.
74 Les États doivent se conformer au jus in bello — y compris le droit de l’occupation de guerre —, indépendamment des questions de savoir si un État peut être considéré comme étant l’agresseur ou si le recours initial à la force était licite selon le jus ad bellum. Dans une occupation faisant suite à une agression, le fait de l’occupation demeure reconnu selon le jus in bello et les droits et devoirs de la puissance occupante restent applicables.
75 Règlement IV de La Haye, art. 42, 18 octobre 1907, Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ; avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 167, par. 78 ; voir également Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 229-230, par. 172.
76 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 229-230, par. 172.
77 Voir ibid., p. 230, par. 173 (« En vue de parvenir à une conclusion sur la question de savoir si un État dont les forces militaires sont présentes sur le territoire d’un autre État du fait d’une intervention est une « puissance occupante » au sens où l’entend le jus in bello, la Cour examinera tout d’abord s’il existe des éléments de preuve suffisants démontrant que ladite autorité se trouvait effectivement établie et exercée dans les zones en question par l’État auteur de l’intervention. »)
78 Des experts réunis par le Comité international de la Croix-Rouge n’ont pas été en mesure d’établir une quelconque limite qu’imposerait le droit international humanitaire à la durée d’une occupation. Voir T. Ferrero, Expert Meeting: Occupation and Other Forms of Administration of Foreign Territory, CICR, mars 2012, p. 72, (« [L]es participants s’accordent à dire que le droit international humanitaire ne fixe pas de limite à la durée d’une occupation. Il s’ensuit que ce droit n’empêche en rien une puissance occupante de s’engager dans une occupation à long terme et que, dans cette hypothèse, le droit de l’occupation demeure le cadre juridique applicable. »)
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4.4. Dans la procédure sur l’édification d’un mur, la Cour a estimé qu’Israël avait enfreint certaines interdictions imposées aux puissances occupantes par le droit international humanitaire et qu’il devait, par conséquent, y mettre fin et fournir une indemnisation appropriée79. Dans le même temps, elle a reconnu que le statut d’Israël en tant que puissance occupante s’était poursuivi pendant de nombreuses années et réaffirmé l’applicabilité de la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (ci-après la « quatrième convention de Genève ») au territoire occupé depuis 196780.
4.5. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont déclaré que toute action visant à modifier le statut d’un territoire occupé était nulle et non avenue et ne pouvait avoir d’incidence sur le maintien de l’application de la quatrième convention de Genève81. Le droit de l’occupation prévoit en outre clairement que les personnes protégées se trouvant dans le territoire occupé continuent de bénéficier des protections qu’il accorde, quelles que soient les modifications juridiques qu’ait pu vouloir apporter la puissance occupante, et ce, jusqu’à ce que l’occupation prenne fin82.
4.6. Comme elle l’a fait dans son avis sur l’édification d’un mur, la Cour, dans l’hypothèse où elle répondrait à la seconde question, devrait rappeler que le droit de l’occupation continue de s’appliquer du seul fait de l’occupation. En tant que puissance occupante, Israël a d’importants droits et obligations au regard du droit international humanitaire qui continuent de s’appliquer, indépendamment des violations alléguées de ce droit ou d’autres règles de droit international83. Ainsi, dans la mesure où la seconde question peut être interprétée comme l’invitant à déclarer que l’occupation israélienne a été frappée de nullité ou d’illicéité, la Cour devrait s’y refuser, au motif qu’une telle appréciation est sans fondement en droit international.
79 Voir notamment « édification d’un mur », p. 184, par. 120 ; p. 189, par. 132 ; p. 198, par. 153.
80 Ibid., p. 167, par. 78 ; p. 177, par. 101.
81 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 478 du 20 août 1980, doc. S/RES/478, par. 3 [dossier, pièce no 1274] (« Considère que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, la Puissance occupante, qui ont modifié ou visent à modifier le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem, et en particulier la récente « loi fondamentale » sur Jérusalem, sont nulles et non avenues et doivent être rapportées immédiatement ») ; Assemblée générale, résolution 36/120 E du 10 décembre 1981, « Question de Palestine », doc. A/RES/36/120 E, par. 1 [dossier, pièce no 389] ; voir également Assemblée générale, résolution ES-11/4 du 12 octobre 2022, doc. A/RES/ES-11/4, par. 3 (« Déclare que les actes illicites de la Fédération de Russie concernant les soi-disant référendums illégaux organisés du 23 au 27 septembre 2022 dans des parties des régions ukrainiennes de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijia qui se trouvent ou se sont trouvées en partie sous le contrôle militaire temporaire de la Fédération de Russie ainsi que la tentative d’annexion illégale de ces régions qui a suivi n’ont aucune validité au regard du droit international et ne sauraient servir de fondement à une quelconque modification du statut de ces régions d’Ukraine ») ; Conseil de sécurité, résolutions 670 du 25 septembre 1990, doc. S/RES/670, par. 13 (« Réaffirme que la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, s’applique au Koweït et que, en tant que Haute Partie contractante à la Convention, l’Iraq est tenu d’en respecter pleinement toutes les dispositions et, en particulier, que sa responsabilité est engagée, en vertu de la Convention, en ce qui concerne les infractions graves commises par lui, comme est engagée la responsabilité des particuliers qui commettent ou donnent l’ordre de commettre de telles infractions. ») ; et 662 du 9 août 1990, doc. S/RES/662, 9 août 1990, par. 1 (« Déclare que l’annexion du Koweït par l’Iraq, quels qu’en soient la forme et le prétexte, n’a aucun fondement juridique et est nulle et non avenue »).
82 Voir l’avis sur l’édification d’un mur, p. 185-187, par. 126 (citant la quatrième convention de Genève, art. 47).
83 Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, opinion individuelle du juge Kooijmans, p. 157, par. 58 (« Du fait de leur corrélation, les règles relatives à l’occupation constituent une part importante du jus in bello ou droit international humanitaire. Le principal objectif de ce droit est de protéger des personnes prises dans un conflit, même s’il prend effectivement en compte les intérêts des parties belligérantes, entre lesquelles il n’opère aucune distinction. En particulier, une occupation résultant d’un recours licite à l’emploi de la force n’est pas distinguée, dans le jus in bello, de celle qui découle d’une agression. Cette dernière question est tranchée par l’application du jus ad bellum, le droit relatif à l’emploi de la force, qui permet d’attribuer la responsabilité d’actes dont l’occupation est le résultat. »)
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CHAPITRE V CONCLUSION : UNE PAIX JUSTE ET DURABLE EXIGE LA TENUE DE NÉGOCIATIONS DIRECTES ENTRE LES PARTIES
5.1. Il demeure crucial de déployer tous les efforts possibles pour créer les conditions nécessaires à une reprise par les parties de négociations directes leur permettant de traiter des questions liées au statut permanent, qui sont essentielles pour atteindre l’objectif de deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Comme l’ont reconnu le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, la Cour et les parties elles-mêmes, ce n’est que par de telles négociations se tenant dans le cadre établi fondé sur le principe de « l’échange de territoires contre la paix » qu’il sera possible de parvenir à un règlement global, juste et durable du conflit. Dès lors, et compte tenu du contexte actuel, il est urgent que l’ONU, ses États Membres et les parties prennent des mesures pour créer les conditions requises à cette fin. Il est également crucial que l’avis de la Cour en l’espèce serve cet objectif et ne compromette pas involontairement le cadre établi, conformément aux intérêts du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, aux fonctions qui leur sont propres et au principe fondamental du consentement au règlement judiciaire.
5.2. Le fait que des négociations directes sur le statut permanent n’aient pas lieu à l’heure actuelle entre les parties ne signifie pas qu’une solution négociée à deux États ne soit plus viable. Si l’escalade de la violence et l’existence d’une profonde défiance peuvent entraver le processus, des mesures pragmatiques peuvent toutefois encore être adoptées afin de créer les conditions requises pour une reprise des négociations nécessaires à l’instauration de la paix, de la sécurité et de la pleine réalisation de l’autodétermination palestinienne. Comme l’a souligné l’Assemblée générale dans sa résolution de décembre 2022 intitulée « Règlement pacifique de la question de Palestine », il est
« urgent de déployer collectivement des efforts pour engager des négociations crédibles sur toutes les questions relatives au statut final dans le processus de paix au Moyen-Orient … [L’Assemblée] demande une fois de plus aux parties de redoubler d’efforts, y compris par la voie de négociations constructives, avec l’appui de la communauté internationale, en vue de parvenir à un règlement juste, durable et global »84.
5.3. Ces efforts recouvrent notamment les rencontres organisées selon le format d’Aqaba-Charm el-Cheikh, qui ont commencé cette année afin de parvenir à une désescalade des tensions et à un regain du dialogue politique entre les parties. Avec l’appui des États-Unis et des partenaires régionaux que sont l’Égypte et la Jordanie, Israéliens et Palestiniens se sont de nouveau engagés à respecter leurs précédents accords et ont exprimé leur intérêt à « consolider les bases de négociations directes entre [eux] en vue d’atteindre une paix globale, juste et durable »85. Bien que les États-Unis aient conscience des préoccupations qui ont conduit l’Assemblée générale à solliciter le présent avis consultatif, ces rencontres et ce dialogue démontrent qu’un règlement négocié demeure d’actualité et peuvent servir à la communauté internationale pour jeter les bases d’une reprise des négociations, telle que préconisée par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. Les parties ont aussi, malgré les difficultés rencontrées et les désaccords affichés, continué d’entretenir des contacts qui confortent les principes auxquels elles ont souscrit dans les accords d’Oslo, notamment en ce qui concerne la coopération en matière de sécurité86.
84 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/25 du 30 novembre 2022, doc. A/RES/77/25, par. 2 [dossier, pièce no 516].
85 Communiqué de Charm el-Cheikh, supra, note 7.
86 Voir supra, note 35.
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5.4. Ce nonobstant, pour faire avancer le processus, il est également fondamental que les parties respectent leurs engagements et accords et cessent d’entreprendre des actions unilatérales qui ne font qu’exacerber les tensions, éloigner la perspective de la solution à deux États et les détourner davantage de la paix. Parmi ces actions, on mentionnera le développement des colonies, la poursuite d’objectifs étatiques en dehors du cadre des négociations, la démolition d’habitations et l’incitation à des actes de violence ou leur glorification87. Lorsque les Israéliens et les Palestiniens se livrent à de tels actes unilatéraux au lieu de mener des négociations selon le cadre établi, il s’ensuit une montée des violences et de la défiance qui dessert leurs intérêts respectifs. Cela dessert aussi les objectifs du cadre sans cesse soutenu par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. Les parties doivent au contraire mener des négociations directes, puisque ce n’est que par cette voie, dans le respect du cadre établi, qu’elles pourront parvenir à une paix durable conduisant à la création d’un État palestinien indépendant et viable qui vivrait en toute sécurité et sérénité aux côtés d’Israël, les deux populations pouvant jouir à part égale de la liberté et de la prospérité. Ainsi que l’a fait observer la Cour dans son avis sur l’édification d’un mur, il existe une « nécessité urgente que l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble redouble ses efforts en vue de mettre rapidement un terme au conflit israélo-palestinien … et d’établir ainsi une paix juste et durable dans la région »88. En la présente espèce, la Cour devrait appuyer cette exhortation, qui n’a à ce jour rien perdu de sa justesse.
5.5. Alors que la Cour a, en 2004, donné un avis consultatif sur un aspect particulier du conflit israélo-palestinien, les questions étendues en même temps que partiales et conclusives formulées en l’espèce pourraient être interprétées comme l’invitant à régler les problèmes liés au statut permanent eux-mêmes — au sujet desquels les parties étaient convenues de négocier dans les accords d’Oslo — et à tirer des conclusions juridiques touchant au coeur du principe corrélé de « l’échange de territoires contre la paix », lequel sous-tend le cadre de négociation établi toujours approuvé et soutenu par l’ONU.
5.6. Afin de préserver l’intégrité de sa fonction judiciaire, la Cour devrait faire usage du pouvoir discrétionnaire qui est le sien en matière consultative en tenant dûment compte des responsabilités que le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont exercées à l’égard de ce conflit au moyen d’un cadre de négociation, et en respectant le principe du consentement. Il est impératif que la Cour, même si elle se penche sur les conséquences juridiques des violations alléguées du droit international, veille à formuler son avis de sorte à préserver la capacité des parties de négocier les termes de la paix et d’une solution à deux États, conformément au cadre établi tel qu’il résulte des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, constamment appuyé par l’Assemblée générale et adopté dans les accords conclus entre les parties89. Face à toute préoccupation quant à sa capacité de traiter les questions qui lui sont posées sans sortir du cadre de négociation établi, il est essentiel que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en matière consultative afin ne pas mettre ce cadre en péril.
87 L’Assemblée générale a récemment demandé aux
« deux parties d’agir de façon responsable dans le respect du droit international et de leurs précédents accords et obligations, tant dans leurs politiques que dans leur action, afin d’inverser d’urgence, avec l’appui du Quatuor et d’autres parties intéressées, les tendances négatives, y compris toutes les mesures prises sur le terrain qui contreviennent au droit international, et de mettre en place les conditions nécessaires à la création d’un horizon politique crédible et à la promotion des efforts de paix ».
Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/25 du 30 novembre 2022, doc. A/RES/77/25, par. 5 [dossier, pièce no 516] ; voir également ibid., par. 7 (« [s]ouligne qu’il importe, en particulier, de mettre immédiatement fin à toutes les activités d’implantation de colonies de peuplement, à la confiscation de terres et aux démolitions de maisons »).
88 Avis sur l’édification d’un mur, p. 200, par. 161.
89 Voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/25 du 30 novembre 2022, « Règlement pacifique de la question de Palestine », doc. A/RES/77/25, par. 2 [dossier, pièce no 516].
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5.7. Les États-Unis appellent respectueusement la Cour à faire montre de prudence en pesant la réponse qu’elle donnera à la demande de l’Assemblée générale. Si la Cour venait à rendre un avis qui recouvrirait « la question de la Palestine dans son intégralité »90, comme d’aucuns ont pu l’avancer, ou préjugerait — ou semblerait trancher — des questions liées au statut permanent réservées aux négociations, telles que les frontières ou les arrangements de sécurité, cette décision ne contribuerait ni à atteindre les objectifs poursuivis par le cadre de négociation établi, ni à réunir les conditions favorables à une paix négociée, ni, en définitive, à servir les intérêts et fonctions de l’ONU. Il s’ensuit que les questions posées devraient être comprises comme une demande d’avis consultatif visant à faciliter l’exercice par l’Assemblée générale de son rôle et de ses fonctions en promouvant un règlement négocié du conflit, conformément au cadre établi. L’avis de la Cour devrait aider à atteindre cet objectif91.
Le 25 juillet 2023.
Le conseiller juridique par intérim,
département d’État des États-Unis,
(Signé) Richard C. VISEK.
___________
90 Nations Unies, Assemblée générale, Comité pour les droits inaliénables du peuple palestinien, 411e séance, couverture des réunions, Permanent Observer Briefs Palestinian Rights Committee on Situation in Occupied Territory Situation, Submissions Guidelines for Opinion Case to the World Court, doc. GA/PAL/1452, 3 mai 2023, accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/en/2023/gapal1452.doc.htm (page consultée le 27 juillet 2023).
91 Voir Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), déclaration du juge Tomka, p. 150, par. 6 (« Si la Cour adopte ce raisonnement, elle doit aussi prendre garde de ne pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire et utile pour l’organe dont émane la demande. »)

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