Exposé écrit de l'Égypte

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186-20230724-WRI-14-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18869
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE ARABE D’ÉGYPTE
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
PARTIE I. OBSERVATIONS LIMINAIRES ................................................................................... 1
I. INTRODUCTION ..................................................................................................................... 1
PARTIE II. COMPÉTENCE.............................................................................................................. 4
I. INTRODUCTION ..................................................................................................................... 4
II. L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EST AUTORISÉE À DEMANDER UN AVIS CONSULTATIF ............... 5
A. La résolution 77/247 est valide ....................................................................................... 5
B. L’Assemblée générale est compétente pour demander un avis consultatif (ratione personae) ......................................................................................................................... 5
III. LA DEMANDE CONCERNE UNE « QUESTION JURIDIQUE » (COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE) ............................................................................................................................. 6
IV. LE DEVOIR DE LA COUR DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ ....................................................... 7
V. LA PORTÉE DE LA DEMANDE .............................................................................................. 11
A. Objet de la demande ...................................................................................................... 11
B. Dimension temporelle de la demande ........................................................................... 11
C. Couverture géographique de la demande : le « Territoire palestinien occupé » ........... 12
PARTIE III. CONTEXTE HISTORIQUE : L’ÉVOLUTION DE LA QUESTION PALESTINIENNE ...................................................................................................................... 13
PARTIE IV. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE LA VIOLATION PERSISTANTE PAR ISRAËL DU DROIT DU PEUPLE PALESTINIEN À L’AUTODÉTERMINATION ................................................................................................. 19
I. INTRODUCTION ................................................................................................................... 19
II. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION FAIT PARTIE DU DROIT INTERNATIONAL ................. 22
A. L’autodétermination en droit international coutumier .................................................. 23
B. Les résolutions de l’Assemblée générale sur le droit à l’autodétermination de tous les peuples ......................................................................................................... 24
C. La portée du droit à l’autodétermination ....................................................................... 28
D. Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien .................................................... 29
E. Intégrité de l’unité à l’intérieur de laquelle est exercé le droit à l’autodétermination .................................................................................................... 30
F. Décisions de la Cour confirmant le droit à l’autodétermination ................................... 31
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III. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION A ÉTÉ ET CONTINUE D’ÊTRE VIOLÉ PAR ISRAËL ...... 33
PARTIE V. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE L’OCCUPATION, DE LA COLONISATION ET DE L’ANNEXION PROLONGÉES DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ EN 1967 ............................................................ 35
A. Occupation prolongée ................................................................................................... 35
B. Colonisation .................................................................................................................. 37
C. Annexion ....................................................................................................................... 41
D. Mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ...................................................................... 42
E. Adoption des lois et des mesures discriminatoires connexes ........................................ 44
PARTIE VI. L’INCIDENCE DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL SUR LE STATUT JURIDIQUE DE L’OCCUPATION ET LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES QUI EN DÉCOULENT POUR TOUS LES ÉTATS ET L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES ........................................................................... 46
I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES ............................................................................................... 46
II. CONSÉQUENCES JURIDIQUES .............................................................................................. 47
A. Maintien du devoir d’Israël d’exécuter les obligations auxquelles il a manqué ........... 47
B. Cessation et non-répétition ............................................................................................ 48
C. Réparation et restitution ................................................................................................ 49
D. Satisfaction .................................................................................................................... 51
III. CONSÉQUENCES JURIDIQUES POUR LES AUTRES ÉTATS ET LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES .............................................................................................................. 52
PARTIE VII. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS .................................................................... 54
PARTIE I OBSERVATIONS LIMINAIRES
I. INTRODUCTION
1. À sa 56e séance plénière, tenue le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, au titre du point 47 de son ordre du jour, la résolution 77/247 intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »1. Dans cette résolution, elle a décidé, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») de donner, en vertu de l’article 65 de son Statut, un avis consultatif sur les questions ci-après :
« compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées [à l’alinéa] a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
2. La requête pour avis consultatif a été transmise à la Cour sous le couvert d’une lettre du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) datée du 17 janvier 2023, qui a été reçue au Greffe de la Cour le 19 janvier 2023.
3. Conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du Statut de la Cour, le greffier, par lettres en date du 19 janvier 2023, a notifié la requête pour avis consultatif à tous les États admis à ester devant la Cour.
4. Le 3 février, la Cour a rendu une ordonnance dans laquelle elle a décidé que l’ONU et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine, étaient jugés susceptibles de fournir des renseignements sur les questions soumises à la Cour pour avis consultatif. Elle a en outre fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits pourraient lui être présentés conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut, et au 25 octobre 2023 la date d’expiration du délai dans lequel les États ou organisations qui auraient présenté un exposé écrit
1 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/RES/77/247, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/wp-content/uploads/2023/01/A.RES_ 77.247_301222.pdf.
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pourraient présenter des observations écrites sur les exposés écrits faits par d’autres États et organisations conformément au paragraphe 4 de l’article 66 du Statut.
5. La République arabe d’Égypte (ci-après l’« Égypte ») attache la plus haute importance à la primauté du droit international, dans le respect des principes de justice et de paix, et au rôle de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’ONU. Forte de cette position de principe, elle souhaite saisir cette occasion pour soumettre un exposé écrit fournissant des renseignements à la Cour et faisant part de son point de vue sur la demande d’avis consultatif. Elle est persuadée que l’avis consultatif de la Cour contribuera aux efforts de consolidation de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient.
6. L’Égypte a accueilli avec satisfaction la résolution 77/247 de l’Assemblée générale et demande à nouveau à la communauté internationale de redoubler d’efforts pour donner effet à toutes les résolutions pertinentes de l’ONU, afin de mettre un terme à l’occupation israélienne, de parvenir à la réalisation de la justice internationale et de permettre au peuple palestinien d’exercer ses droits légitimes inaliénables, dont le droit au retour, le droit à l’autodétermination et le droit d’établir un État indépendant dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale.
7. Dans le présent exposé écrit, l’Égypte fait part de ses observations liminaires et de ses conclusions initiales sur les questions soumises à la Cour concernant les « pratiques israéliennes affectant les droits [de l’homme] du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est » conformément à la résolution 77/247 de l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après l’« Assemblée générale »).
8. Saisie de la question de Palestine depuis 1947, l’Assemblée générale a adopté de nombreuses résolutions appelant Israël à se conformer au droit international et à mettre fin à l’occupation continue des territoires palestiniens et aux violations flagrantes du droit international. En 2004, elle a demandé un avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, dont les dispositions n’ont, à ce jour, pas été mises en oeuvre. Elle revient aujourd’hui devant la Cour avec une nouvelle requête.
9. La Cour internationale de Justice a pour mission de préserver la primauté du droit au niveau international. L’expérience qu’elle a accumulée depuis plus d’un siècle doit la conforter dans cette tâche et nourrir sa détermination. La Cour est l’un des six organes principaux de l’ONU et son principal organe judiciaire. Elle applique les sources du droit international, visées à l’article 38 [du Statut]. Cependant, c’est la Charte elle-même qui la guide dans l’exercice de ses fonctions.
10. Les avis consultatifs ont un poids et une portée incontestables en ce qu’ils revêtent une importance considérable pour la préservation et le développement du droit international. La Cour a confirmé que ses avis consultatifs faisaient autorité. Conformément à l’alinéa d) du paragraphe 1) de l’article 38 du Statut, ses avis consultatifs constitueraient un « moyen auxiliaire de détermination des règles de droit ». De fait, la Cour s’est toujours appuyée sur ses conclusions antérieures et sa jurisprudence, tant dans les affaires contentieuses que dans les procédures consultatives, en particulier celles ayant trait à des questions relatives à l’interprétation et à l’application du droit international2. Elle devrait donc se déclarer compétente en la présente espèce sans hésitation.
2 Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 428, par. 53, citant Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 292, par. 28.
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11. En soumettant le présent exposé écrit, l’Égypte espère aider la Cour à répondre aux questions qui lui ont été posées. Pour ce faire, elle se propose :
 d’établir que la Cour est compétente pour donner l’avis demandé par l’Assemblée générale et de préciser la portée de la demande (partie II) ;
 de donner un aperçu du contexte historique pertinent (partie III) ;
 d’examiner la manière dont la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, du fait de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et du fait de l’adoption des lois et mesures discriminatoires connexes, constitue un manquement au droit international (parties IV-V) ;
 de passer en revue les conséquences juridiques découlant d’une telle situation illicite au regard du droit international général (partie VI).
12. L’Égypte souhaite un règlement juste, durable et global de la question palestinienne sous tous ses aspects, conformément au droit international, y compris la Charte des Nations Unies et les résolutions de l’ONU. Pays voisin de la Palestine et d’Israël, elle est intervenue au fil des années à de nombreuses reprises et dans un esprit constructif pour promouvoir au niveau régional des conditions propices à une paix viable et durable, fondée sur la justice et le droit international. Les efforts déployés ces dernières années ayant abouti à une impasse, la communauté internationale se doit d’oeuvrer à la consolidation des conditions requises pour préserver les droits légitimes et inaliénables du peuple palestinien et établir un État palestinien indépendant, sur la base des frontières du 4 juin 1967. L’Égypte attend donc avec le plus vif intérêt l’avis consultatif de la Cour sur cette question.
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PARTIE II COMPÉTENCE
I. INTRODUCTION
13. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, la Cour doit d’abord examiner si elle est compétente pour donner l’avis demandé et, dans l’affirmative, s’il existe une raison pour laquelle elle devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de répondre à la demande3.
14. Comme on le verra, une fois qu’elle a établi sa compétence, la Cour n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner un avis consultatif que s’il existe des « raisons décisives » d’opposer un tel refus4. À ce jour, elle ne l’a jamais fait5.
15. De l’avis de l’Égypte, le même critère devrait s’appliquer dans le contexte de la présente procédure consultative.
16. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour dispose que : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis. »6 (Les italiques sont de nous.)
17. La Cour a dit que :
« Toutefois, pour que la Cour ait compétence, il faut que l’avis consultatif soit demandé par un organe dûment habilité à cet effet conformément à la Charte, qu’il porte sur une question juridique et que, sauf dans le cas de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, cette question se pose dans le cadre de l’activité de cet organe. »7
18. Il ne fait aucun doute que les deux conditions préalables pour donner un avis consultatif, à savoir que la demande soit formulée par un organe dûment autorisé et que la question posée à la Cour soit de nature juridique, sont toutes deux remplies en la présente espèce, comme expliqué plus avant ci-dessous.
3 Cf. Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 232, par. 10 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 13 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 412, par. 17, et Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 112, par. 54.
4 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234-235, par. 14.
5 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I) ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I). Dans le seul cas où elle a refusé de donner un avis consultatif, la Cour a invoqué son absence de compétence  voir op. cit.
6 Article 65 du Statut de la Cour internationale de Justice, adopté à la conférence de San Francisco le 26 juin 1945, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/statute.
7 Demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 333-334, par. 21.
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II. L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EST AUTORISÉE À DEMANDER UN AVIS CONSULTATIF
A. La résolution 77/247 est valide
19. La Cour doit s’assurer que l’adoption de la résolution 77/247 a bien été conforme à la procédure. Cette résolution a été adoptée par un vote enregistré de 87 voix contre 26, avec 53 abstentions, selon les modalités prévues à l’article 86 du règlement intérieur de l’Assemblée générale8. Elle a donc été adoptée dans les règles et représente l’expression effective et juridiquement valide de la volonté de l’Assemblée.
20. Il convient maintenant d’examiner si cette résolution était intra vires.
B. L’Assemblée générale est compétente pour demander un avis consultatif (ratione personae)
21. En vertu du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte, l’Assemblée générale (de même que le Conseil de sécurité) « peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique »9. Elle est donc formellement autorisée par la Charte à déposer une requête « sur toute question juridique ».
22. Le large champ d’application de cet article témoigne de la compétence très étendue dont est investie l’Assemblée générale en vertu du chapitre IV de la Charte (en particulier les articles 10, 11 et 13) et, par conséquent, de sa liberté presque totale de solliciter un avis de la Cour. Celle-ci a elle-même confirmé cette compétence dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires10, souvent cité. Elle a également réaffirmé clairement sa position dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur11.
23. En l’espèce, les thèmes sur lesquels portent les questions soumises à la Cour sont les droits de l’homme et les libertés fondamentales, notamment le droit à l’autodétermination, l’adoption de lois et mesures discriminatoires, le maintien de la paix et de la sécurité internationales (au sens large) et les moyens de faire face à des situations résultant d’une violation des dispositions de la Charte énonçant les buts et les principes des Nations Unies, tous ces thèmes étant couverts par le chapitre IV de la Charte.
24. Dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos, la Cour a rappelé ce qu’elle avait déjà indiqué dans son avis consultatif au sujet du Sahara occidental12, à savoir que : « L’objet de la requête est … d’obtenir de la Cour un avis consultatif que
8 Article 83 du règlement intérieur de l’Assemblée générale, doc. A/520/Rev.20, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/en/ga/about/ropga/.
9 Paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies, entrée en vigueur le 24 octobre 1944, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text.
10 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 232-233, par. 11.
11 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 14.
12 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 117-118, par. 86 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 26-27, par. 39.
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l’Assemblée générale estime utile pour pouvoir exercer comme il convient ses fonctions relatives à la décolonisation du territoire. »
25. L’Assemblée générale a examiné activement la question palestinienne sous tous ses aspects, tant en session ordinaire qu’en session extraordinaire pendant plusieurs décennies, avant de décider de saisir la Cour pour avis. Il ne fait donc aucun doute qu’elle est autorisée à solliciter l’avis consultatif considéré.
III. LA DEMANDE CONCERNE UNE « QUESTION JURIDIQUE » (COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE)
26. Il a été noté qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte, l’Assemblée générale « peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique »13 (les italiques sont de nous).
27. La Cour doit donc déterminer s’il a été satisfait à la condition prévue à l’article 96 de la Charte (et à l’article 65 de son Statut) — à savoir que l’avis consultatif doit porter sur « une question juridique ».
28. L’Assemblée générale sollicite bien un avis consultatif de la Cour sur des questions juridiques. La nature juridique de la demande ressort expressément de la manière dont sont formulées les questions a) et b). « Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante … depuis 1967 … ? » et « [q]uelle incidence les politiques et pratiques … ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? » lesquelles ne peuvent être que qualifiées de « juridiques » et auxquelles il faut répondre en tenant compte du droit international.
29. Il s’agit, nécessairement et par définition, de questions juridiques au sens de la Charte, du Statut et de la jurisprudence de la Cour elle-même.
30. Ces questions supposent aussi l’interprétation des normes internationales, tâche d’ordre essentiellement judiciaire. Pour reprendre les mots employés par la Cour elle-même, les questions soumises par l’Assemblée générale « ont été libellées en termes juridiques et soulèvent des problèmes de droit international … [Elles] sont, par [leur] nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit », de sorte qu’il s’agit sans doute de questions de caractère juridique14.
31. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour a confirmé, au paragraphe 13, que
« le fait que cette question revête par ailleurs des aspects politiques, comme c’est, par la nature des choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent à se poser dans la
13 Charte des Nations Unies, op. cit., paragraphe 1 de l’article 96.
14 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153, par. 37.
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vie internationale, ne suffit pas à la priver de son caractère de “question juridique” et à “enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut” »
15.
32. En outre, comme la Cour l’a indiqué dans son avis consultatif au sujet de l’Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, « lorsque des considérations politiques jouent un rôle marquant il peut être particulièrement nécessaire à une organisation internationale d’obtenir un avis consultatif de la Cour sur les principes juridiques applicables à la matière en discussion »16.
33. La Cour a également déjà affirmé ce qui suit dans l’avis consultatif au sujet des Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité :
« Selon la Cour, ce n’est pas parce que la question posée met en jeu des faits qu’elle perd le caractère de “question juridique” au sens de l’article 96 de la Charte. On ne saurait considérer que cette disposition oppose les questions de droit aux points de fait. Pour être à même de se prononcer sur des questions juridiques, un tribunal doit normalement avoir connaissance des faits correspondants, les prendre en considération et, le cas échéant, statuer à leur sujet. »17
34. En résumé, l’Égypte considère que la demande concerne deux questions juridiques qui sont formulées précisément et clairement en termes juridiques et qui soulèvent des problèmes de droit international. La requête pour avis consultatif de l’Assemblée générale satisfait aux conditions énoncées à l’article 65 du Statut de la Cour et au paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte, tant ratione personae (l’Assemblée générale étant un organe dûment autorisé) que ratione materiae (la requête portant sur une question juridique).
35. En conséquence, la Cour est invitée à donner l’avis consultatif demandé.
IV. LE DEVOIR DE LA COUR DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ
36. La Cour a déclaré que le fait qu’elle « ait compétence ne signifie pas, cependant, qu’elle soit tenue de l’exercer »18. Elle a rappelé à plusieurs reprises par le passé que le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, selon lequel « [l]a Cour peut donner un avis consultatif », doit être
15 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 233-234, par. 13 ; Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 171-172, par. 14. Ce point a été réaffirmé par la Cour quand elle a déclaré : « Quels que soient les aspects politiques de la question posée, la Cour ne saurait refuser un caractère juridique à une question qui l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir l’appréciation de la licéité de la conduite éventuelle d’États au regard des obligations que le droit international leur impose » (cf. Admission d’un État aux Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1948, p. 61-62 ; Compétence de l’Assemblée pour l’admission aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 6-7 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 155).
16 Cf. Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 87, par. 33.
17 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 40 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 19, par. 16-17.
18 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 63.
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interprété comme signifiant qu’elle dispose d’un « pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même lorsque les conditions pour qu’elle soit compétente sont remplies »
19.
37. Le pouvoir discrétionnaire de faire droit ou non à une demande d’avis consultatif a pour objet de protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’ONU20.
38. La Cour s’est toutefois attachée à ne pas perdre de vue que sa réponse à une demande d’avis consultatif « constitue une participation de la Cour, elle-même “organe des Nations Unies” », « à l’action de l’Organisation et [qu’]en principe, elle ne devrait pas être refusée »21. Ainsi, selon sa jurisprudence constante, seules des « raisons décisives » peuvent la conduire à refuser de donner son avis en réponse à une demande relevant de sa compétence22.
39. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a déclaré ce qui suit :
« La Cour actuelle n’a jamais, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, refusé de répondre à une demande d’avis consultatif. La décision de ne pas donner l’avis consultatif que sollicitait l’Organisation mondiale de la Santé sur la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé a été fondée sur le défaut de compétence de la Cour, et non sur des considérations touchant à l’opportunité judiciaire23. … La devancière de la Cour, la Cour permanente de Justice internationale, estima une seule fois ne pas devoir répondre à la question qui lui avait été posée24 …, mais cela en raison des “circonstances toutes particulières de l’espèce, à savoir, notamment, [du fait] que cette question concernait directement un différend déjà né auquel était partie un État qui n’avait pas adhéré au Statut de la Cour permanente, n’était pas membre de la Société des Nations, s’opposait à la procédure et refusait d’y prendre part de quelque manière que ce [fût]”. »25
19 Ibid. ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29.
20 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44-45 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29.
21 Cf. Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44.
22 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30.
23 Cf. C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 156-157, par. 44.
24 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5.
25 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157, par. 46 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234-235, par. 14.
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40. En outre, pour déterminer si de telles raisons décisives existent, la Cour ne prendra pas en considération le contexte de la question. Comme elle l’a déclaré dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires :
« dès lors que l’Assemblée a demandé un avis consultatif sur une question juridique par la voie d’une résolution qu’elle a adoptée, la Cour ne prendra pas en considération, pour déterminer s’il existe des raisons décisives de refuser de donner cet avis, les origines ou l’histoire politique de la demande, ou la répartition des voix lors de l’adoption de la résolution »26.
41. La Cour a en outre affirmé sans ambiguïté qu’elle ne saurait refuser de répondre aux éléments juridiques d’une question qui, quels qu’en soient les aspects politiques, l’invitait à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir, en la présente espèce, l’appréciation d’un acte au regard du droit international27.
42. La Cour a également précisé que, pour savoir si la question qui lui était posée était d’ordre juridique, elle ne devait tenir compte ni de la nature politique des motifs qui pouvaient avoir inspiré la demande, ni des conséquences politiques que pourrait avoir son avis28.
43. Par le passé, la compétence consultative de la Cour a été contestée pour « absence de consentement » ou au motif que la demande concernait une question contentieuse et bilatérale. Dans la procédure relative à l’Interprétation des traités de paix, la Cour a estimé, s’agissant de l’exigence de consentement, qu’
« il en est autrement en matière d’avis, alors même que la demande d’avis a trait à une question juridique actuellement pendante entre États. … [A]ucun État, Membre ou non membre des Nations Unies, n’a qualité pour empêcher que soit donné suite à une demande d’avis dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre, auraient reconnu l’opportunité. »29
Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, elle a relevé que « l’absence de consentement à la juridiction contentieuse de la Cour de la part des États intéressés est sans effet sur la compétence qu’a celle-ci de donner un avis consultatif »30.
44. En outre, dans le même avis, la Cour « n’[a pas] estim[é] que la question qui fai[sai]t l’objet de la requête de l’Assemblée générale p[ût] être considérée seulement comme une question bilatérale entre Israël et la Palestine », étant donné « la responsabilité permanente à assumer [par l’ONU] en ce qui concern[ait] la question de la Palestine »31. Elle a considéré que la question qui lui était posée « s’inscri[vai]t dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral »32. De même, dans la
26 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16.
27 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27.
28 Op. cit.
29 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
30 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 157-158, par. 47.
31 Ibid., p. 159, par. 49.
32 Ibid., p. 157-159, par. 47-50.
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procédure au sujet de l’archipel des Chagos, elle a estimé que les interrogations soulevées par la demande s’inscrivaient dans le cadre plus large de la décolonisation
33.
45. En outre, les arguments selon lesquels l’avis consultatif risque de faire obstacle à un règlement politique du conflit peuvent également être rejetés. Face à des arguments similaires avancés au cours de la procédure concernant l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a déclaré ce qui suit :
« La Cour passera maintenant à un autre argument avancé au cours de la présente procédure pour étayer la thèse selon laquelle elle devrait refuser d’exercer sa compétence. Certains participants ont soutenu qu’un avis consultatif de la Cour sur la licéité du mur et les conséquences juridiques de son édification pourrait faire obstacle à un règlement politique négocié du conflit israélo-palestinien. … La Cour a déjà été appelée à examiner des arguments analogues plusieurs fois par le passé. Ainsi, dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. »34
46. La Cour a ajouté dans le même contexte qu’elle
« n’ignor[ait] pas que la “feuille de route”, entérinée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1515 (2003) …, constitu[ait] un cadre de négociation visant au règlement du conflit israélo-palestinien. L’influence que l’avis de la Cour pourrait avoir sur ces négociations n’appara[aissai]t cependant pas de façon évidente : les participants à la présente procédure [avaie]nt exprimé à cet égard des vues divergentes. La Cour ne saurait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence. »35
47. La compétence consultative de la Cour a pour finalité de permettre aux organes des Nations Unies et à d’autres institutions autorisées d’obtenir des avis qui les aideront dans l’exercice futur de leurs fonctions.
48. Enfin, la Cour ne peut savoir quelles mesures l’Assemblée générale pourrait juger utiles de prendre après avoir reçu son avis, ni quelle pourrait être l’incidence de celui-ci sur de telles mesures, et elle n’a pas à s’en soucier36.
49. Dans des avis consultatifs antérieurs, la Cour a déclaré qu’elle « examinera[it] simplement les questions qui se pos[aient], sous tous leurs aspects, en appliquant les règles de droit appropriées en la circonstance »37. C’est ce qu’il lui est demandé de faire en la présente espèce, étant donné qu’il n’y a pas de circonstances décisives justifiant qu’elle refuse de donner son avis à l’Assemblée générale.
33 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 118, par. 88.
34 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159, par. 51.
35 Ibid., p. 160, par. 53.
36 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 421, par. 44.
37 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 236, par. 15.
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50. L’Égypte conclut de ce qui précède qu’il n’y a pas de raisons décisives pour que la Cour refuse de donner l’avis demandé par l’Assemblée générale.
V. LA PORTÉE DE LA DEMANDE
51. La façon dont une demande d’avis consultatif est formulée en détermine la portée.
A. Objet de la demande
52. L’objet de la demande de l’Assemblée générale, énoncé dans la résolution 77/247, repose sur deux questions en réponse auxquelles la Cour est censée dire clairement en quoi et pourquoi les pratiques israéliennes sont illicites au regard du droit international et énoncer les conséquences juridiques qui découlent de cette illicéité. L’Assemblée générale a déjà établi, dans de nombreuses résolutions, que les pratiques d’Israël constituaient des violations du droit international.
53. Déterminer les « conséquences juridiques » ne se limite pas à faire une déclaration générale sur la responsabilité internationale. La fonction judiciaire de la Cour exige que celle-ci réaffirme la situation juridique existante, qui emporte violation d’un large éventail de règles spécifiques et détaillées du droit international général et conventionnel, de la Charte et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, y compris le droit à l’autodétermination, le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme.
54. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour, tout en répondant à une question unique, a dit clairement qu’elle devait d’abord établir si la construction du mur constituait une violation du droit international, avant de pouvoir déterminer les conséquences juridiques découlant de cette construction. Elle a déclaré ce qui suit :
« En l’espèce, si l’Assemblée générale prie la Cour de dire “[q]uelles sont en droit les conséquences” de la construction du mur, l’emploi de ces termes implique nécessairement de déterminer si cette construction viole ou non certaines règles et certains principes du droit international. Il est donc clair que la Cour est tout d’abord invitée à déterminer si ces règles et principes ont été violés et le demeurent du fait de la construction du mur selon le tracé projeté. »38
B. Dimension temporelle de la demande
55. Dans la question a), il est demandé à la Cour de donner à l’Assemblée générale un avis sur les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967 et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes.
56. La Cour est donc appelée à préciser et à définir ce qu’est le « Territoire palestinien occupé » depuis 1967, afin d’établir la dimension temporelle de la demande. Cette date détermine également les limites géographiques pertinentes de la demande. En fait et en droit, elle limite à la période comprise entre 1967 et aujourd’hui l’analyse de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de ses politiques et pratiques, y compris l’occupation, la
38 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39.
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colonisation et l’annexion prolongées, ainsi que de l’adoption des lois et mesures discriminatoires connexes (dont la Cour devra déterminer les conséquences).
57. L’Assemblée générale a ainsi précisé le moment historique où la requête situe les questions soumises à la Cour et les réponses à donner à ces questions, comme la Cour l’a observé dans des activités consultatives antérieures39.
C. Couverture géographique de la demande : le « Territoire palestinien occupé »
58. Il est demandé à la Cour de donner à l’Assemblée générale un avis sur les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du « Territoire palestinien occupé » ainsi que de ses lois discriminatoires. Il n’y a pas lieu pour la Cour de se livrer à un exercice géographique destiné à déterminer les frontières précises du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, afin de répondre aux questions qui lui sont posées, du moment qu’elle a conscience que les territoires se situent au-delà de la Ligne verte, qui sépare Israël du Territoire palestinien occupé. Il lui suffit de prendre en compte les problèmes concernant le Territoire palestinien « occupé » et le « peuple palestinien » ayant droit à l’autodétermination en vertu du droit international.
39 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 38, par. 76.
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PARTIE III CONTEXTE HISTORIQUE : L’ÉVOLUTION DE LA QUESTION PALESTINIENNE
59. Un bref rappel historique est nécessaire pour permettre à la Cour d’établir les circonstances factuelles dans lesquelles s’inscrivent les problèmes soulevés dans les questions posées dans la requête de l’Assemblée générale40. Ce contexte factuel sera présenté brièvement ici, sans que soient examinés les aspects juridiques qui ne présentent pas directement d’intérêt pour la demande présentée à la Cour, et tout en réservant la position juridique de l’Égypte à cet égard.
60. À l’origine de la question palestinienne se trouve la déclaration unilatérale publiée par le ministre britannique des affaires étrangères le 2 novembre 1917, pendant la première guerre mondiale, et annonçant le soutien de la Grande-Bretagne à « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif » (connue sous le nom de « déclaration Balfour »).
61. Le 28 juin 1919, la Palestine a été placée sous mandat britannique, conformément au Pacte de la Société des Nations, qui faisait partie intégrante du traité de Versailles.
62. L’article 2 du mandat disposait que
« [l]e mandataire assumera[it] la responsabilité d’instituer dans le pays un état de choses politique, administratif et économique de nature … à assurer également le développement d’institutions de libre gouvernement, ainsi que la sauvegarde des droits civils et religieux de tous les habitants de la Palestine, à quelque race ou religion qu’ils apparti[nss]ent ».
Il prévoyait également l’établissement d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine, conformément à la « déclaration Balfour ».
63. Tout au long de la période de son mandat, la Grande-Bretagne a assoupli les procédures d’immigration, levé les restrictions sur la vente de terres à des immigrants juifs ou l’acquisition de terres par ceux-ci et pris des mesures supplémentaires pour rendre effective une immigration juive à grande échelle venant de l’étranger. Ces mesures se sont heurtées à la résistance palestinienne.
64. En 1947, le Royaume-Uni a fait appel à l’ONU pour régler le problème. À la première session extraordinaire de l’Assemblée générale, la Commission spéciale des Nations Unies pour la Palestine a été créée. À sa deuxième session ordinaire, après un débat intense qui a duré deux mois, l’Assemblée a adopté, le 29 novembre 1947, la résolution 181 (II), approuvant, avec des modifications mineures, le plan de partage avec union économique (ci-après le « plan de partage »), tel que proposé par la majorité des membres de la Commission spéciale pour la Palestine. Le plan de partage, document détaillé en quatre parties joint à la résolution, prévoyait la fin du mandat, le retrait progressif des forces armées britanniques et la délimitation des frontières entre les deux États et la ville de Jérusalem.
40 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 165-167, par. 69-77.
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65. Le plan de partage prévoyait :
1) la création des États arabe et juif au plus tard le 1er octobre 1948 ;
2) le partage de la Palestine en huit parties : trois attribuées à l’État arabe et trois à l’État juif, la septième, la ville de Jaffa, devant former une enclave arabe au sein du territoire juif ;
3) le régime international de Jérusalem, la huitième partie, qui devait être administrée par le Conseil de tutelle des Nations Unies.
66. Le 14 mai 1948, le Royaume-Uni a renoncé unilatéralement à son mandat sur la Palestine. Le lendemain, l’« Agence juive » a proclamé la création de l’État d’Israël sur le territoire qui lui avait été attribué par le plan de partage. Au cours du conflit qui a suivi, l’armée israélienne a occupé environ la moitié des terres attribuées à l’État arabe par la résolution 181 (II). Le 29 mai 1948, le Conseil de sécurité a demandé une trêve de quatre semaines et les combats ont cessé.
67. La trêve a pris effet le 11 juin et a été supervisée par le médiateur des Nations Unies, avec l’assistance de l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (« ONUST »). Mais aucun accord n’a pu être trouvé sur la prolongation de la trêve et les combats ont repris le 8 juillet.
68. Le 15 juillet 1948, le Conseil de sécurité a déclaré que la situation en Palestine constituait une menace pour la paix et la sécurité internationales. Il a ordonné un cessez-le-feu et la deuxième trêve a pris effet. À cette date, Israël contrôlait la majeure partie du territoire attribué à l’État arabe par la résolution de partage, y compris la partie occidentale de Jérusalem. Près de 750 000 Palestiniens avaient été chassés de leur foyer et étaient devenus des réfugiés.
69. Des accords d’armistice ont été conclus entre Israël et l’Égypte en février 1949 et entre Israël et la Jordanie en avril 1949. Les limites de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, ont été fixées par l’accord d’armistice entre la Jordanie et Israël. La ligne d’armistice est connue sous le nom de « Ligne verte ». La bande de Gaza a été délimitée dans l’accord d’armistice entre l’Égypte et Israël et placée sous l’administration du Gouvernement égyptien le 13 avril 1950, avec l’approbation de la Ligue des États arabes.
70. Le 11 décembre 1948, l’Assemblée générale avait adopté la résolution 194 (III), qui prévoyait qu’il y avait lieu de permettre aux réfugiés qui le désiraient, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités devaient être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décidaient de ne pas rentrer dans leurs foyers. Cette résolution prévoyait également la démilitarisation et l’internationalisation de Jérusalem ainsi que la protection des lieux saints de Palestine et le libre accès à ces lieux.
71. Les dispositions de cette résolution ont été réaffirmées à plusieurs reprises par l’Assemblée générale.
72. Aux termes de la résolution 181 (II), la ville de Jérusalem a été constituée en corpus separatum sous un régime international et son administration a été confiée aux Nations Unies. Cependant, lorsque la guerre de 1948 a éclaté, les forces israéliennes ont occupé Jérusalem-Ouest et l’armée jordanienne est restée à Jérusalem-Est. La division de facto de la ville de Jérusalem a été officialisée par l’accord d’armistice jordano-israélien de 1949.
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73. Le 11 mai 1949, Israël est devenu Membre de l’ONU. L’Assemblée générale a pris note des déclarations faites précédemment par cet État à la Commission politique spéciale de l’Assemblée concernant l’application des résolutions 181 (II) et 194 (III)41.
74. Peu après, le 23 janvier 1950, Israël a fait de Jérusalem sa capitale, ce qui n’a été reconnu à l’époque par aucun autre État.
75. Au terme de l’attaque lancée le 5 juin 1967, Israël a occupé l’ensemble de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. La question posée à la Cour ne portant pas sur la licéité du recours à la force pendant la guerre de 1967, le présent exposé écrit n’abordera pas cette question, tout en réservant la position de l’Égypte à cet égard.
76. Le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait à l’unanimité la résolution 242 (1967), dans laquelle il était demandé à Israël de se retirer des territoires « occupés lors du récent conflit ». Depuis 1967, Israël gouverne le Territoire palestinien occupé (à savoir la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza) en tant que puissance occupante. La guerre a provoqué un deuxième exode de Palestiniens, touchant un demi-million de personnes selon les estimations.
77. Israël contrôlait ainsi désormais l’ensemble de Jérusalem. Le 27 juin 1967, la Knesset a intégré l’ensemble de la région de Jérusalem dans le cadre municipal et administratif du Gouvernement israélien.
78. Le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité la résolution 242 (1967) qui déclare ce qui suit :
« Le Conseil de sécurité,
Exprimant l’inquiétude que continue de lui causer la grave situation au Moyen-Orient,
Soulignant l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre et la nécessité d’oeuvrer pour une paix juste et durable permettant à chaque État de la région de vivre en sécurité,
Soulignant en outre que tous les États Membres, en acceptant la Charte des Nations Unies, ont contracté l’engagement d’agir conformément à l’Article 2 de la Charte,
1) Affirme que l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient qui devrait comprendre l’application des deux principes suivants :
i) Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ;
41 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 273 (III) du 11 mai 1949, intitulée « Admission d’Israël à l’Organisation des Nations Unies », doc. A/RES/273(III), accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un. org/record/210373?ln=fr.
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ii) Cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ».
79. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité a donc souligné le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force et le devoir de tous les États d’agir conformément au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Il a exigé le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du conflit qui avait eu lieu.
80. L’Assemblée générale a également convoqué sa cinquième session d’urgence du 19 juin au 3 juillet 1967.
81. Dans sa résolution 338, le Conseil de sécurité a réaffirmé comme suit la résolution 242 :
« Le Conseil de sécurité,
1. Demande à toutes les parties aux présents combats de cesser le feu et de mettre fin à toute activité militaire immédiatement, douze heures au plus tard après le moment de l’adoption de la présente décision, dans les positions qu’elles occupent maintenant ;
2. Demande aux parties en cause de commencer immédiatement après le cessez-le-feu l’application de la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité, en date du 22 novembre 1967, dans toutes ses parties ;
3. Décide que, immédiatement et en même temps que le cessez-le-feu, des négociations commenceront entre les parties en cause sous des auspices appropriés en vue d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient. »
82. Le 30 juillet 1980, la Knesset a adopté la loi fondamentale qui dispose que « Jérusalem, entière et unifiée, est la capitale d’Israël ».
83. En réponse, l’Assemblée générale a adopté la résolution 35/169E, en date du 15 décembre 1980, dans laquelle il est affirmé au paragraphe 2 du dispositif que :
« l’adoption de la “loi fondamentale” par Israël constitue une violation du droit international et n’affecte pas le maintien en application de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis juin 1967, y compris Jérusalem ».
84. Cette position a été constamment réaffirmée dans les résolutions ultérieures42.
42 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 42/209 B, 42/209 C et 42/209 D du 11 décembre 1987, accessible à l’adresse suivante : https://research.un.org/fr/docs/ga/quick/regular/42 ; et 44/42 du 6 décembre 1989, intitulée « Question de Palestine », 76e séance plénière, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/548/01/IMG/NR054801.pdf?OpenElement.
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85. De même, le Conseil de sécurité a toujours rejeté toute tentative d’Israël de modifier le statut juridique de Jérusalem. Dans sa résolution 252 (1968) du 21 mai 1968, il a ainsi
« [c]onsid[éré] que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tend[ai]ent à modifier le statut juridique de Jérusalem [étaie]nt non valides et ne p[ouvai]ent modifier ce statut ».
86. Cette position a été constamment réaffirmée dans les résolutions ultérieures43.
87. Depuis 1991, plusieurs séries de négociations ayant pour objectif de parvenir à un règlement définitif de la question palestinienne ont été engagées, notamment le processus de paix d’Oslo, qui a abouti aux accords d’Oslo de 1993, la conférence de Wye River de 1998, Camp David II et la feuille de route en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États. Pour parvenir à une paix véritable et durable entre les peuples israélien et palestinien, il doit exister deux États voisins viables et indépendants, et l’occupation militaire doit prendre fin.
88. En mars 2002, à son sommet de Beyrouth, la Ligue des États arabes a adopté l’initiative de paix arabe par laquelle elle demandait le retrait intégral d’Israël de tous les territoires occupés en juin 1967, conformément aux résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, telles que confirmées par la conférence de Madrid de 1991, et au principe « terres contre paix », ainsi que l’acceptation par Israël de l’avènement d’un État palestinien indépendant, ayant pour capitale Jérusalem-Est, en contrepartie de l’établissement de relations normales dans le contexte d’une paix globale avec Israël. Cette initiative a été saluée par le Conseil de sécurité dans ses résolutions 1397 (2002) et 1435 (2002).
89. Le 23 décembre 201[6], le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2234, qui est libellée comme suit :
« Le Conseil de sécurité,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Réaffirme que la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable ;
2. Exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
43 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 267 (1969) du 3 juillet 1969, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/90766?ln=fr ; 271 (1969) du 15 septembre 1969, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/90768?ln=fr ; 298 (1971) du 25 septembre 1971 ; et 478 (1980) du 20 août 1980, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/25618?ln=fr.
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5. Demande à tous les États, compte tenu du paragraphe 1 de la présente résolution, de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967. »
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PARTIE IV LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE LA VIOLATION PERSISTANTE PAR ISRAËL DU DROIT DU PEUPLE PALESTINIEN À L’AUTODÉTERMINATION
I. INTRODUCTION
173. La première question sur laquelle l’Assemblée générale demande un avis consultatif à la Cour est libellée comme suit :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ? »
174. L’Assemblée confirme par cette question qu’elle est convaincue qu’il existe déjà une « violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination », découlant « de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du Territoire palestinien occupé depuis 1967 ». Elle relève également, à titre d’exemple, que ces violations comprennent « notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ». En outre, elle fait référence à « l’adoption par Israël de[] lois et mesures discriminatoires connexes »44.
175. De manière générale, il convient de noter que la Cour s’est déjà prononcée sur le principe de l’autodétermination dans plusieurs procédures importantes, plus récemment dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos45. Néanmoins, l’Égypte juge utile, dans le cadre de la présente demande d’avis consultatif, de réexaminer ce principe et son évolution, afin de réaffirmer son statut de principe de droit international coutumier, y compris depuis l’occupation par Israël des territoires palestiniens en 1967, son applicabilité au peuple palestinien et son caractère d’obligation erga omnes.
176. L’établissement par la Cour des violations et des manquements dépend dans une large mesure des faits. Les éléments de preuve ne manquent pas pour confirmer les violations auxquelles la Cour est appelée à s’intéresser dans un premier temps. De nombreux documents des Nations Unies, d’institutions spécialisées du système des Nations Unies, d’autres organisations intergouvernementales et d’organismes de défense des droits de l’homme, entre autres, attestent la véritable nature des pratiques israéliennes et leur incidence sur la vie de la population palestinienne. Parmi les documents des Nations Unies figurent le rapport du Secrétaire général, établi conformément à la résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale46, les rapports présentés par les rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l’homme, le rapport du rapporteur spécial sur
44 Résolution 77/247, op. cit.
45 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 95.
46 Rapport du Secrétaire général établi en application de la résolution ES-10/13 de l’Assemblée générale, doc. A/ES-10/248 en date du 24 novembre 2003, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/ 507053.
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la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967
47 et celui du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation48. Des institutions spécialisées (Banque mondiale et Fonds monétaire international) se sont associées à l’Union européenne et aux Gouvernements des États-Unis d’Amérique et de la Norvège pour constituer un Comité de coordination de l’aide locale qui a présenté un rapport mis à jour régulièrement49. En ce qui concerne les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, il convient de mentionner diverses conclusions, observations et observations générales du Comité des droits de l’homme, du Comité des droits économiques, sociaux et culturels et du Comité des droits de l’enfant.
177. Dans le cadre de la présente procédure, la Cour réexaminera sans doute son avis antérieur concernant la Palestine, à savoir l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur50. Il peut néanmoins être utile de rappeler les principales conclusions auxquelles elle est parvenue dans cette procédure :
 Les territoires occupés par Israël en 1967, situés à l’est de la Ligne verte, y compris Jérusalem-Est, sont considérés comme des territoires occupés, dans lesquels Israël a la qualité de puissance occupante en vertu du droit international humanitaire51.
 Le règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye de 1907 (ci-après le « règlement de La Haye ») a acquis un caractère coutumier et est donc applicable dans les territoires occupés52. La convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (ci-après la « quatrième convention de Genève ») est applicable également aux territoires occupés53.
 Israël est tenu d’appliquer les conventions internationales relatives aux droits de l’homme qu’il a ratifiées54.
 L’établissement par Israël de colonies de peuplement dans les territoires occupés, y compris Jérusalem-Est, constitue un manquement à ses obligations en vertu du droit international55.
 L’édification de la barrière de séparation et le régime qui lui est associé, en modifiant la composition démographique des territoires occupés, sont en eux-mêmes contraires au
47 Rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, M. John Dugard, sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, soumis conformément à la résolution 1993/2 A de la Commission, doc. E/CN4/2004/6 en date du 8 septembre 2003, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/504468?ln=fr.
48 Le droit à l’alimentation : rapport du rapporteur spécial, M. Jean Ziegler, additif, mission dans les territoires palestiniens occupés, doc. E/CN.4/2004/10/Add.2 en date du 31 octobre 2003, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/506617?ln=fr.
49 The Impact of Israel’s Separation Barrier on Affected West Bank Communities, Report of the Mission to the Humanitarian and Emergency Policy Group (HEPG) of the Local Aid Coordination Committee (LACC), mai 2003, mis à jour en juillet et septembre 2003.
50 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
51 Ibid., p. 166-167, par. 75 et 78.
52 Ibid., p. 172, par. 89.
53 Ibid., p. 177, par. 101.
54 Ibid., p. 178, par. 107.
55 Ibid., p. 183, par. 120.
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paragraphe 6 de l’article 49 de la quatrième convention de Genève et aux résolutions du Conseil de sécurité susmentionnées
56.  L’édification du mur « dresse ainsi un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viole de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit »
57.
 L’édification du mur et le régime qui lui est associé empêchent la population locale d’exercer ses droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant, tels que proclamés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la convention relative aux droits de l’enfant, et les atteintes aux droits de l’homme ne peuvent être justifiées par des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public58.
 Israël doit assurer la liberté d’accès aux lieux saints passés sous son contrôle à la suite du conflit de 196759.
 Israël ne peut invoquer certaines résolutions du Conseil de sécurité (résolutions 1368 (12 septembre 2001) et 1373 (28 septembre 2001)) qui reconnaissent le droit des États à recourir à des mesures de légitime défense contre les attaques terroristes, car il exerce un contrôle sur les territoires occupés et cette « situation est donc différente de celle envisagée par les résolutions du Conseil de sécurité »60.
 L’état de « nécessité » tel que reconnu par le droit international coutumier ne peut être invoqué qu’à titre exceptionnel et la Cour « n’est pas convaincue que la construction du mur selon le tracé retenu était le seul moyen de protéger les intérêts d’Israël contre le péril dont il s’est prévalu pour justifier cette construction »61.
 Sa responsabilité étant engagée en droit international, Israël est tenu de respecter ses obligations internationales et a l’obligation de « cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est ». Il est tenu de démanteler « les portions de cet ouvrage situées dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est », d’abroger ou de priver d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de l’édification du mur et de la mise en place du régime qui lui est associé et de réparer les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées62.
 La violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination ainsi que les manquements au droit international humanitaire, concernent des obligations erga omnes, et tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à protéger les droits concernés63. Tous les États ont l’obligation « de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur » dans les territoires, « de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction » et « de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice
56 Ibid., p. 184 et 189, par. 122 et 132.
57 Ibid., p. 184, par. 122.
58 Ibid., p. 191, 192 et 193, par. 134, 136 et 137.
59 Ibid., p. 197, par. 149.
60 Ibid., p. 194, par. 139.
61 Ibid., p. 194, par. 140.
62 Ibid., p. 197 et 198, par. 147, 149, 151 et 152.
63 Ibid., p. 199, par. 155.
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par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ». Tous les États parties à la quatrième convention de Genève ont l’obligation « de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention »64.
178. Pour parvenir à ses conclusions, la Cour a examiné la licéité des actions d’Israël au regard des règles et principes applicables du droit international, y compris la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et du Conseil des droits de l’homme, et son avis consultatif du 9 juillet 2004. En la présente espèce, il lui est demandé d’aller au-delà de ces conclusions, en examinant la question de la licéité des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé en 1967, et bien entendu celle de la licéité de l’occupation elle-même.
II. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION FAIT PARTIE DU DROIT INTERNATIONAL
179. Le principe de l’autodétermination des peuples est consacré par le paragraphe 2 de l’article 1 et les articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies. Il est également consacré par l’article premier commun aux deux pactes internationaux de 1966.
180. Dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos, la Cour a analysé l’évolution du principe de l’autodétermination des peuples et territoires coloniaux depuis 1945 jusqu’à l’adoption par l’Assemblée générale en 1960 de la résolution 1514 (XV) (ci-après « résolution 1514 (XV) » ou « résolution 1514 »). Elle a estimé que, « dans la consolidation de la pratique des États en matière de décolonisation, l’adoption de la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 constitu[ait] un moment décisif »65. Il est désormais reconnu que ce droit s’applique à tous les peuples soumis à la subjugation, à l’occupation et à la domination étrangères, y compris le peuple palestinien.
181. Il n’est plus contesté en droit international que le droit des peuples à l’autodétermination  exprimé pour la première fois au XIXe siècle  est un principe central du droit international contemporain. Dans ses commentaires relatifs aux articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, la Commission du droit international considère qu’il ne peut être dérogé à ce principe66. Le droit des peuples à l’autodétermination ayant un caractère erga omnes, comme l’a confirmé la Cour dans l’affaire relative au Timor oriental, tous les États et toutes les organisations internationales ont le devoir de le respecter et de le protéger et un intérêt juridique à ce qu’il le soit67.
182. Une autre question pouvant se poser en la présente espèce est celle de savoir si le droit à l’autodétermination était applicable à la Palestine en 1967. Autrement dit, le droit à
64 Ibid., p. 200, par. 159.
65 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 132, par. 150 et 152.
66 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session, en 2001, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session (A/56/10). Ce rapport, qui contient en outre des commentaires relatifs au Projet d’articles, est reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, tel que corrigé », commentaire de l’article 26, p. 90, par. 5 ; commentaire de l’article 40, p. 121, par. 5 (ci-après le « projet d’articles sur la responsabilité de l’État »).
67 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
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l’autodétermination faisait-il partie du droit international coutumier à l’époque ? Et était-il applicable au peuple palestinien ?
A. L’autodétermination en droit international coutumier
183. Le paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte des Nations Unies prévoit que l’un des buts de l’Organisation est de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes »68.
184. Cette disposition est reprise à l’article 55 de la Charte, qui souligne la nécessité de favoriser certains objectifs dans le domaine de la coopération économique et sociale internationale « en vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes »69.
185. Il convient de noter que le paragraphe 2 de l’article 1 du texte français de la Charte introduit même la notion de droit à l’autodétermination des peuples, « leur droit à disposer d’eux-mêmes » (les italiques sont de nous). Il se lit comme suit : « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde » (les italiques sont de nous).
186. Ainsi, si l’autodétermination a été définie comme un droit par l’Assemblée générale dans les années 1950, elle était déjà mentionnée comme telle dans la Charte des Nations Unies en 1945.
187. Le droit à l’autodétermination est également reconnu dans des instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, notamment dans la partie VIII de l’acte final d’Helsinki de 1975, à l’article 20 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 et dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, adoptée en 199070.
188. Avant d’examiner le contenu des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale, il importe de souligner la relation entre ces résolutions et le développement du droit international coutumier. Le droit international coutumier découle d’une pratique générale et constante des États, acceptée comme étant le droit, ainsi qu’indiqué à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour.
189. Une série de résolutions successives peuvent illustrer l’évolution de l’opinio juris vers la création d’une règle de droit international coutumier, comme l’a confirmé la Cour dans l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, où elle a noté ce qui suit :
68 Charte des Nations Unies, op. cit., paragraphe 2 de l’article 1.
69 Charte des Nations Unies, op. cit., art. 55.
70 Acte final d’Helsinki, 1975, adopté à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe le 1er août 1975, accessible à l’adresse suivante : https://www.osce.org/files/f/documents/5/c/39502.pdf ; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, entrée en vigueur le 21 octobre 1989, accessible à l’adresse suivante : https://au.int/fr/treaties/charte-africaine- des-droits-de-lhomme-et-des-peuples ; Charte de Paris pour une nouvelle Europe (1990), adoptée par la réunion des chefs d’État ou de gouvernement des États participant à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe le 21 novembre 1990, accessible à l’adresse suivante : https://www.osce.org/files/f/documents/3/2/39517.pdf.
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« Les résolutions de l’Assemblée générale, même si elles n’ont pas force obligatoire, peuvent parfois avoir une valeur normative. Elles peuvent, dans certaines circonstances, fournir des éléments de preuve importants pour établir l’existence d’une règle ou l’émergence d’une opinio juris. Pour savoir si cela est vrai d’une résolution donnée de l’Assemblée générale, il faut en examiner le contenu ainsi que les conditions d’adoption ; il faut en outre vérifier s’il existe une opinio juris quant à son caractère normatif. Par ailleurs des résolutions successives peuvent illustrer l’évolution progressive de l’opinio juris nécessaire à l’établissement d’une règle nouvelle. »
71
190. L’analyse des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale montre qu’un droit à l’autodétermination opposable existait dans le droit international coutumier au moins déjà lorsque la résolution 1514 a été adoptée, en 1960. Cette résolution reflétait l’état du droit international au moment de son adoption, ainsi que la Cour l’a confirmé dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos72.
B. Les résolutions de l’Assemblée générale sur le droit à l’autodétermination de tous les peuples
191. Dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos, la Cour s’est limitée à examiner le droit à l’autodétermination dans le contexte colonial73. En 1950, dans sa résolution 421 (V), l’Assemblée générale avait fait référence au droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes74. En février 1952, elle a adopté la résolution 545 (VI), dans laquelle elle a noté que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes avait déjà été reconnu comme un droit fondamental75.
192. Plus tard la même année, l’Assemblée générale a adopté la résolution 637 (VII), par laquelle elle invitait en termes pressants les États Membres de l’ONU à reconnaître le droit des peuples et territoires coloniaux à disposer d’eux-mêmes et à favoriser la réalisation de ce droit :
« Les États Membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne les populations des territoires non autonomes et des Territoires sous tutelle placés sous leur administration, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »76 (Les italiques sont de nous.)
71 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 254-255, par. 70.
72 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 132, par. 150 et 152.
73 Ibid., par. 144.
74 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 421 (V) du 4 décembre 1950, intitulée « Projet de pacte international relatif aux droits de l’homme et mesures de mise en oeuvre : Travaux futurs de la Commission des droits de l’homme », doc. A/RES/421(V), accessible à l’adresse suivante : https://research.un.org/fr/docs/ga/quick/regular/5.
75 Ibid., résolution 545 (VI) du 5 février 1952, intitulée « Insertion dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme d’un article sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », doc. A/RES/545(VI), accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/068/00/PDF/NR006800.pdf? OpenElement.
76 Ibid., résolution 637 (VII) du 16 décembre 1956, intitulée « Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes », doc. A/RES/637(VII), accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/ RESOLUTION/GEN/NR0/080/71/PDF/NR008071.pdf?OpenElement.
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193. Des résolutions similaires ont été adoptées en 1953 (résolution 738 (VIII))77 et 1954 (résolution 833 (IX)). Dans sa résolution 833 (IX), l’Assemblée générale a examiné les projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme78. Tous deux comportaient un article premier identique79 faisant expressément référence au droit de tous les peuples de disposer d’eux-mêmes et à l’obligation des États parties de faciliter la réalisation de ce droit dans les territoires non autonomes et les territoires sous tutelle80.
194. En 1955, le Secrétariat de l’ONU, dans un document de travail relatif aux négociations des pactes, a précisé que l’Assemblée générale avait déjà reconnu le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes et qu’elle devait maintenant mettre en avant l’obligation pour les États de promouvoir et de respecter ce droit81.
195. Dans sa résolution 1188 (XII), adoptée en 1957, l’Assemblée générale a indiqué clairement, en termes prescriptifs, que les puissances coloniales avaient l’obligation d’assurer et de faciliter l’exercice du droit des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes. Au premier paragraphe du dispositif, elle a réaffirmé que « [l]es États Membres qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes contribuent à assurer et à faciliter l’exercice du droit précité [à disposer d’eux-mêmes] par les peuples de ces territoires »82.
196. La voie était ainsi ouverte à la résolution 1514 (XV), dans laquelle l’Assemblée générale a adopté — par 89 voix contre zéro, avec 9 abstentions — la « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ». Dans cette résolution, l’Assemblée a proclamé en des termes sans équivoque le droit des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes, en déclarant : « Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel. »83
77 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 738 (VIII) du 28 novembre 1953, intitulée « Le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes », doc. A/RES/738(VIII), par. 4, accessible à l’adresse suivante : https:// documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/086/97/PDF/NR008697.pdf?OpenElement.
78 Ibid., résolution 833 (IX) du 4 décembre 1954, intitulée « Projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme », doc. A/RES/833 (IX) accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/ RESOLUTION/GEN/NR0/096/69/PDF/NR009669.pdf?OpenElement ; Commission des droits de l’homme, rapport sur les travaux de sa dixième session, documents officiels du Conseil économique et social : dix-huitième session, supplément no 7 (E/2573 ; E/CN.4/705 d’avril 1954), annexes I, II, III (ci-après le « rapport de la Commission des droits de l’homme sur les travaux de sa dixième session ») ; Conseil économique et social, documents officiels : dix-huitième session, résolution, supplément no 1 (E/2654, en date du 15 août 1954), p. 8 ; résolution 545 B (XVIII), « Projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme », en date du 29 juillet 1954, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/NR0/755/43/IMG/NR075543.pdf?OpenElement/.
79 Rapport de la Commission des droits de l’homme sur les travaux de sa dixième session, op. cit., p. 62, 66 et 69.
80 Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies, « Projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme : Rapport de la Troisième Commission/rapporteur : Hermod Lannung (Danemark) » (A/3077), 8 décembre 1955, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/732492?ln=fr. Rapport de la Troisième Commission, op. cit., p. 22.
81 Nations Unies, commentaire préparé par le Secrétaire général sur les projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, doc. A/2929 (1er juillet 1955), annexe 15, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/ record/748971?ln=fr.
82 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1188 (XII) du 11 décembre 1957, intitulée « Recommandations concernant le respect, sur le plan international, du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes », doc. A/RES/1188(XII), par. 1 b), accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/ GEN/NR0/119/71/PDF/NR011971.pdf?OpenElement.
83 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », doc. A/RES/1514 (XV), par. 2, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/154/06/pdf/NR015406.pdf?OpenElement.
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197. L’Assemblée a en outre dénoncé la colonisation en ce que celle-ci constitue un déni des droits fondamentaux des peuples assujettis à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères et une violation de la Charte des Nations Unies (les italiques sont de nous)84. Elle a exigé que des mesures immédiates soient prises dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et « tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs voeux librement exprimés »85.
198. Depuis lors, l’Assemblée générale a fait état à plusieurs reprises de la résolution 151486.
199. Les mesures prises par les puissances administrantes à l’égard des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle dans les années 1950 et peu après l’adoption de la résolution 1514 montrent que ces puissances considéraient que le droit à l’autodétermination était un droit opposable en vertu du droit international coutumier.
200. Entre 1950 et 1960, avant l’adoption de la résolution 1514 le 14 décembre 1960, 30 territoires non autonomes et sous tutelle ont accédé à l’indépendance87, suivis par 19 autres pays entre 1960 et 196588.
201. Les États Membres de l’ONU ont également convenu de mettre en place un mécanisme d’exécution pour donner effet à la résolution 1514, considérant ainsi le droit à l’autodétermination comme un droit opposable en vertu du droit international.
202. Moins d’un an après l’adoption de la résolution 1514, la résolution 1654 (XVI), adoptée à l’unanimité, a créé le Comité spécial chargé d’étudier l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux89. Ce comité s’est vu confier des pouvoirs importants pour superviser la mise en oeuvre de la résolution 1514. Il a en outre été habilité à adopter des résolutions à soumettre pour examen à la Quatrième Commission de l’Assemblée générale et, en dernier ressort, à l’Assemblée générale elle-même90.
84 Ibid., par. 1.
85 Ibid., par. 5.
86 Par exemple, résolutions 1650 (XVI), 1724 (XVI), 1742 (XVI), 1746 (XVI), 1747 (XVI), 1807 (XVII), 1819 (XVII), 1897 (XVIII), 1913 (XVIII), 1949 (XVIII), 1954 (XVIII), 2063 (XX), 2107 (XX), 2184 (XX), 2183 (XXI), 2185 (XXI), 2226 (XXI), 2354 (XXII), 2379 (XXIII), 2383 (XXIII), 2428 (XXIII), 2983 (XXVII), 3162 (XXVIII) et 3292 (XXIX).
87 Voir Les Nations Unies et la décolonisation, « Liste des anciens territoires sous tutelle et territoires non autonomes », accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/dppa/decolonization/en/history/former-trust-and-nsgts.
88 Op. cit.
89 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1654 (XVI) du 27 novembre 1961, intitulée « La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », voir doc. A/RES/1654 (XVI), accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/ NR0/167/07/PDF/NR016707.pdf?OpenElement.
90 Ibid., par. 4-6.
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203. De même, l’Assemblée générale91 et le Conseil de sécurité92 ont adopté, dans les années qui ont suivi l’adoption de la résolution 1514, plusieurs résolutions appelant au respect de ses dispositions et condamnant les manquements des puissances administrantes à s’y conformer.
204. Il convient de prendre note en particulier de l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution 1803 (XVII) en date du 14 décembre 1962 sur la « [s]ouveraineté permanente sur les ressources naturelles ». Dans le préambule de cette résolution, il est fait expressément référence à la souveraineté permanente sur les richesses et les ressources naturelles en tant qu’« élément fondamental du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes »93. L’emploi de ces termes dans cette résolution est une preuve supplémentaire de l’existence, déjà au moment de l’adoption de la résolution 1514, d’une opinio juris bien établie selon laquelle le droit à l’autodétermination faisait partie du droit international coutumier.
205. Dans ce contexte, la résolution 2625 (XXV), adoptée en 1970 et intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », a codifié le droit international coutumier existant de longue date, faisant référence au principe de l’égalité des droits et au droit à l’autodétermination de tous les peuples dans les termes suivants :
« En vertu du principe de 1’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout État a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte. »94
206. L’Assemblée générale y déclarait en outre ce qui suit :
« Le territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’État qui l’administre ; ce statut séparé et distinct en vertu de la Charte existe aussi longtemps que le peuple de la colonie ou du territoire non autonome n’exerce pas son droit à disposer de lui-même conformément à la Charte et, plus particulièrement, à ses buts et principes. »95
91 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 1810 (XVII) du 17 décembre 1962, intitulée « La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », doc. A/RES/1810 (XVII), par. 4 ; 1956 (XVIII) du 11 décembre 1963, intitulée « La situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », doc. A/RES/1956 (XVIII), préambule, par. 5 et 7 ; 1979 (XVIII) du 17 décembre 1963, intitulée « Question du Sud-Ouest africain », doc. A/RES/1979, par. 1.
92 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 163 du 9 juin 1961, intitulée « Question relative à l’Angola », doc. S/4835 ; 180 du 31 juillet 1963, intitulée « Question relative à la situation dans les territoires administrés par le Portugal », doc. S/5380 ; 183 du 31 juillet 1963, intitulée « Question relative à la situation dans les territoires administrés par le Portugal », doc. S/5380, par. 3.
93 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962, intitulée « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles », doc. A/RES/1803 (XVII), préambule et par. 2.
94 Ibid., résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », doc. A/RES/2625(XXV), annexe, par. 1, principe 5, par. 1.
95 Ibid., annexe, par. 1, principe 5, par. 6.
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207. Dans la dernière partie de la résolution 2625 (XXV), l’Assemblée générale confirmait dans les termes suivants le caractère fondamental du droit à l’autodétermination :
« Les principes de la Charte qui sont inscrits dans la présente Déclaration constituent des principes fondamentaux du droit international, et [l’Assemblée générale] demande en conséquence à tous les États de s’inspirer de ces principes dans leur conduite internationale et de développer leurs relations mutuelles sur la base du respect rigoureux desdits principes. »96
208. Dans la majorité des ouvrages, y compris ceux qui ont été écrits au début des années 1960, il est considéré qu’un droit à l’autodétermination opposable faisait partie du droit international général, y compris au moment de l’adoption de la résolution 151497. Ce point de vue a également été défendu de nombreuses années après l’adoption de cette résolution98. En outre, dès 1963, certains membres de la Commission du droit international ont qualifié le droit à l’autodétermination de règle de jus cogens99.
C. La portée du droit à l’autodétermination
209. L’élément essentiel du droit à l’autodétermination est le principe selon lequel son application suppose l’expression libre et authentique de la volonté des peuples intéressés100. Comme indiqué précédemment, la résolution 1514 fait référence au droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, en précisant au paragraphe 5, dans tous territoires n’ayant pas encore accédé à l’indépendance101 (les italiques sont de nous).
210. En outre, dans sa résolution 1514 (XV), l’Assemblée générale a déclaré que « [l]a sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitu[ait]
96 Ibid., annexe, par. 3.
97 Voir, par exemple, R. Higgins, The Development of International Law Through the Political Organs of the UN (Oxford University Press (1963)), p. 100-101 ; G. Abi-Saab, The Newly Independent States and the Rules of International Law: An Outline (1962) 8 Howard L.J. (2) 95, p. 112 ; J. Castañeda, Legal Effects of United Nations Resolutions (New York, Columbia University Press (1969)), p. 105 ; M. Lachs, « The right of self-determination (169) », in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, Académie de droit international de La Haye (Brill, Boston (1980), première publication en ligne 1980).
98 G. Abi-Saab, Wars of National Liberation and the Development of Humanitarian Law, in Akkerman, Van Krieken et Pannenborg (sous la dir. de), Declarations on principles, A Quest for Universal Peace (Liber Röling) (Sijthoff, Leyden (1977)), p. 372 ; J. Crawford, The Creation of States in International law (deuxième edition, Clarendon Press (2006)), p. 604 (mentionnant que la résolution 1514 (XV) avait un statut quasi constitutionnel) ; M. Shaw, Title to territory in Africa: international legal issues (Clarendon Press (1986)), p. 88-89. Voir également A. Cassese, Self-Determination of Peoples (Cambridge University Press (1995)), p. 70 ; J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (huitième édition, Oxford University Press (2012)), p. 646 ; P. Daillier et A. Pellet, Droit international public (septième édition, LGDJ (2002)), p. 519-520.
99 Annuaire de la Commission du droit international (1963), vol. I, comptes rendus analytiques des séances de la cinquantième session (6 mai-12 juillet 1963), Nations Unies, doc. A/CN.4/SER.A/1963, p. 169, accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/publications/yearbooks/french/ilc_1963_v1.pdf.
100 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 1541 (XV) du 15 décembre 1960, intitulée « Principes qui doivent guider les États Membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e de l’Article 73 de la Charte, leur est applicable ou non », doc. A/RES/1541 (XV), annexe, principe VI, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/153/15/PDF/NR015315.pdf?Open Element ; et 742 (VIII) du 27 novembre 1953, intitulée « Facteurs dont il convient de tenir compte pour décider si un territoire est, ou n’est pas, un territoire dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes », doc. A/RES/742(VIII), par. 6, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/211635?ln=fr.
101 Résolution 1514 (XV), op. cit., par. 5.
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un déni des droits fondamentaux de l’homme et [était] contraire à la Charte des Nations Unies »
102. Dans sa résolution 2625 (XXV), elle a précisé que « soumettre des peuples à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères constitu[ait] une violation [du] principe … de l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »103. Les résolutions particulières confirmant l’applicabilité du droit à l’autodétermination du peuple palestinien sont examinées aux paragraphes 211 à 214.
D. Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien
211. En ce qui concerne l’existence d’un « peuple palestinien » et son droit à l’autodétermination, la Cour a déclaré ce qui suit dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur :
« S’agissant du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Cour observera que l’existence d’un “peuple palestinien” ne saurait plus faire débat. En outre, cette existence a été reconnue par Israël dans l’échange de lettres intervenu le 9 septembre 1993 entre M. Yasser Arafat, président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et M. Yitzhak Rabin, premier ministre d’Israël. Dans cette correspondance, le président de l’OLP reconnaissait “le droit d’Israël à vivre en paix et dans la sécurité” et prenait divers autres engagements. En réponse, le premier ministre israélien lui faisait connaître que, à la lumière des engagements ainsi pris, “le Gouvernement d’Israël a[vait] décidé de reconnaître l’OLP comme le représentant du peuple palestinien”. L’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza du 28 septembre 1995 mentionne à son tour à plusieurs reprises le peuple palestinien et ses “droits légitimes”. De l’avis de la Cour, parmi ces droits figure le droit à l’autodétermination, comme l’Assemblée générale l’a d’ailleurs reconnu à plusieurs occasions. »104
212. L’Assemblée générale a confirmé ce droit à plusieurs reprises, notamment dans sa résolution 2649 (XXV), en condamnant « les gouvernements qui refusent le droit à l’autodétermination aux peuples auxquels on a reconnu ce droit, notamment les peuples d’Afrique australe et de Palestine »105.
213. Dans sa résolution 67/19, l’Assemblée générale a décidé d’accorder à la Palestine le statut d’État non membre observateur sous occupation.
214. Le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé à la fin de l’occupation israélienne et à la réalisation de la solution des deux États, la Palestine et Israël, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité à l’intérieur de frontières reconnues fondées sur celles de 1967106. Le Conseil des droits de l’homme a également reconnu « le droit inaliénable, permanent et absolu du peuple palestinien à
102 Ibid., par. 1.
103 Résolution 2625 (XXV), op. cit., annexe, par. 1, principe 5.
104 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 182-183, par. 118.
105 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2649 (XXV) du 30 novembre 1970, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/349/14/PDF/NR034914.pdf?OpenElement.
106 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution S/RES/2334.
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disposer de lui-même, y compris son droit de vivre dans la liberté, la justice et la dignité, et son droit à l’État indépendant de Palestine »
107.
E. Intégrité de l’unité à l’intérieur de laquelle est exercé le droit à l’autodétermination
216. Le droit à l’autodétermination est un droit des peuples et suppose le droit de ceux-ci de déterminer leur statut politique interne et leur statut externe. Il est intrinsèquement lié à la notion d’intégrité territoriale, en ce sens qu’il ne peut être exercé par les peuples qu’à l’intérieur d’unités territoriales déterminées.
217. En conséquence, une unité territoriale ne peut être démembrée avant que le peuple de ce territoire ait exercé son droit à l’autodétermination.
218. Le droit à l’autodétermination s’applique à tous les habitants de l’unité territoriale concernée, le principe de l’intégrité territoriale étant affirmé dans le préambule de la résolution 1514 (XV) dans les termes suivants : « Convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national »108.
219. Le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël a plus récemment clarifié ce principe comme suit : « Le droit à l’autodétermination est étroitement lié à la notion de souveraineté territoriale. Un peuple ne peut exercer son droit à l’autodétermination qu’à l’intérieur d’un territoire donné. »109
220. Enfin, le fait que le droit à l’autodétermination soit exercé par les peuples à l’intérieur d’une unité donnée signifie que cette unité ne peut pas être démembrée avant l’indépendance110.
221. Cette interdiction de démembrer des unités coloniales avant leur indépendance a été réaffirmée à plusieurs reprises par l’ONU dans une série de résolutions, adoptées à une large majorité, après l’adoption de la résolution 1514 (XV).
222. En 1961, dans sa résolution 1654 (XVI), l’Assemblée générale a constaté avec inquiétude que, contrairement aux dispositions du paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV), des actes visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale étaient encore perpétrés
107 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolutions A/HRC/RES/34/29, A/HRC/RES/37/34, A/HRC/RES/40/22 et A/HRC/RES/49/28.
108 Résolution 1514 (XV), op. cit., par. 11.
109 Rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, soumis conformément à la résolution 1993/2 A de la Commission, 8 septembre 2003, E/CN.4/2004/6, par. 15. Plusieurs spécialistes du droit international public ont émis le même avis, notamment Crawford qui a expliqué que le principe de l’autodétermination « n’est pas un droit applicable à n’importe quel groupe de personnes recherchant l’indépendance ou l’autonomie politiques. … Il s’applique en tant que droit uniquement après que l’unité à l’intérieur de laquelle peut s’exercer l’autodétermination a été établie ». J. Crawford, The Creation of States, op. cit., p. 127.
110 D. Raic, Statehood and the Law of Self-Determination (Kluwer Law International (2002)), p. 304.
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dans le cadre du processus de décolonisation
111. Dans ses résolutions 2232 (XXI) et 2357 (XXII), elle a en outre réaffirmé que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux … [était] incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale »112.
223. Par exemple, peu après l’adoption de la résolution 1514 (XV), l’Assemblée générale a reconnu « la nécessité impérieuse de garanties adéquates et efficaces pour assurer que le droit de libre détermination sera[it] mis en oeuvre avec succès et avec justice sur la base du respect de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie »113.
224. Dans sa résolution 2066 (XX), l’Assemblée générale a noté avec une profonde inquiétude « que toute mesure prise par la Puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice … constituerait une violation de la[] déclaration et en particulier du paragraphe 6 de celle-ci », et a invité la « Puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale »114.
225. La fragmentation et le démembrement des territoires palestiniens occupés, sous l’effet de la politique israélienne de colonisation et de l’annexion de facto et de jure, constituent donc une violation du principe fondamental d’autodétermination.
F. Décisions de la Cour confirmant le droit à l’autodétermination
226. La Cour a fait siens à de nombreuses reprises le principe d’autodétermination et le droit à l’autodétermination, tels que formulés dans la résolution 1514 (XV), tant pour les peuples coloniaux et les autres peuples et territoires assujettis à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères que pour ceux qui n’avaient pas pleinement accédé à l’indépendance ou à l’autonomie.
227. Dans le récent avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos, la Cour a confirmé que « [d]ans la consolidation de la pratique des États en matière de décolonisation, l’adoption de la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 constitu[ait] un moment
111 Résolution 1654 (XVI), op. cit., préambule, par. 6.
112 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 2232 (XXI) du 20 décembre 1966, intitulée « Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert et Ellice, de l’île Maurice, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turques et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent », doc. A/RES/2232(XXI), par. 4 ; et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967, intitulée « Question d’Antigua, des Bahamas, des Bermudes, de la Dominique, de la Grenade, de Guam, des îles Caïmanes, des îles Cocos (Keeling), des îles Gilbert-et-Ellice, de l’île Maurice, des îles Salomon, des îles Samoa américaines, des îles Seychelles, des îles Tokélaou, des îles Turques et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de Nioué, des Nouvelles-Hébrides, de Pitcairn, de Saint-Christophe-et-Nièves et Anguilla, de Sainte-Hélène, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent et du Souaziland », doc. A/RES/2357 (XXII) préambule et par. 6, accessibles à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/236/92/PDF/NR023692.pdf?OpenElement.
113 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, intitulée « Question algérienne », doc. A/RES/1573 (XV), par. 2, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/ record/205864?ln=fr ; voir également ibid., résolution 1724 (XVI) du 20 décembre 1961, intitulée « Question algérienne », doc. A/RES/1724 (XVI), accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/ GEN/NR0/167/77/PDF/NR016777.pdf?OpenElement.
114 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965, intitulée « Question de l’île Maurice », doc. A/RES/2066 (XX), préambule, par. 5, dispositif, par. 4.
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décisif »
115. Elle a considéré que, « bien qu’elle soit formellement une recommandation, la résolution 1514 (XV) a[vait] un caractère déclaratoire s’agissant du droit à l’autodétermination en tant que norme coutumière, du fait de son contenu et des conditions de son adoption »116 (les italiques sont de nous).
228. Dans l’avis consultatif de 1971 sur les Conséquences juridiques de la présence de l’Afrique du Sud en Namibie, la Cour a expressément qualifié la résolution d’« étape importante » dans le développement du droit international relatif aux territoires non autonomes117, ajoutant ce qui suit :
« l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires. La notion de mission sacrée a été confirmée et étendue à tous les “territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes” (art. 73). Il est clair que ces termes visaient les territoires sous régime colonial. Manifestement la mission sacrée continuait à s’appliquer aux territoires placés sous le mandat de la Société des Nations auxquels un statut international avait été conféré antérieurement. Une autre étape importante de cette évolution a été la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960) applicable à tous les peuples et à tous les territoires “qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance”. »118
229. Dans l’avis consultatif au sujet du Sahara occidental, la Cour119 a estimé que
« [l]e principe d’autodétermination en tant que droit des peuples et son application en vue de mettre fin rapidement à toutes les situations coloniales [étaient] énoncés dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale intitulée “Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux” »120.
230. La Cour a également fait allusion à l’obligation pour les puissances administrantes de donner effet au droit à l’autodétermination. Elle a déclaré que « l’application du droit à l’autodétermination suppos[ait] l’expression libre et authentique de la volonté des peuples intéressés » et que la « validité du principe d’autodétermination » pouvait être « défini[e] comme répondant à la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples »121.
231. Dans son arrêt du 30 juin 1995, dans l’affaire relative au Timor oriental, la Cour a déclaré ce qui suit :
115 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 132, par. 150.
116 Ibid., p. 132, par. 152.
117 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 52.
118 Ibid.
119 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 32, par. 57.
120 Ibid., p. 31, par. 55.
121 Ibid., p. 31 et 33, par. 55 et 59.
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« Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes [avait] été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour … ; il s’agi[ssait] là d’un des principes essentiels du droit international contemporain. »122 (Les italiques sont de nous.)
« il n’y [avait] rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’[était] développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, [était] un droit opposable erga omnes »123.
232. En outre, dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a noté que le principe de l’autodétermination des peuples avait été consacré par la Charte des Nations Unies et réaffirmé par l’Assemblée générale dans la résolution 2625 (XXV), aux termes de laquelle « [t]out État [avait] le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination … les peuples mentionnés [dans ladite résolution] »124.
233. Dans son avis consultatif sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, la Cour a déclaré que,
« au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le droit international, en matière d’autodétermination, [avait] évolué pour donner naissance à un droit à l’indépendance au bénéfice des peuples des territoires non autonomes et de ceux qui étaient soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères »125.
Le droit à l’autodétermination s’applique donc à tous ces peuples, sans distinction.
III. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION A ÉTÉ ET CONTINUE D’ÊTRE VIOLÉ PAR ISRAËL
234. Dans sa première question à la Cour, l’Assemblée générale fait expressément référence à « la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ». Il ressort ainsi de manière implicite de cette question que l’Assemblée générale considère qu’Israël viole déjà le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
235. Comme il a déjà été mentionné, le principe de l’autodétermination a été réaffirmé par l’Assemblée générale dans de multiples résolutions et décisions, y compris des résolutions et décisions portant expressément sur la situation dans le Territoire palestinien occupé en 1967.
236. Israël continue d’entraver la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien, y compris son droit à l’autodétermination et son droit au retour. Nous verrons dans la partie V en quoi l’occupation, la colonisation et l’annexion de jure et de facto prolongées de territoires dans les
122 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
123 Ibid.
124 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 171-172, par. 88.
125 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 436 et 438, par. 79 et 82.
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territoires palestiniens occupés depuis 1967 constituent une violation du principe d’autodétermination ainsi que d’autres principes pertinents du droit international.
237. Israël est tenu de se conformer à son obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et de cesser immédiatement de violer cette obligation, y compris en mettant fin immédiatement à l’occupation.
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PARTIE V LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE L’OCCUPATION, DE LA COLONISATION ET DE L’ANNEXION PROLONGÉES DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ EN 1967
A. Occupation prolongée
238. L’occupation par Israël des territoires palestiniens dure depuis 56 ans. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont tous deux demandé à plusieurs reprises qu’il soit mis fin à l’occupation prolongée des territoires palestiniens, le Conseil de sécurité réaffirmant notamment dans sa résolution 471 « la nécessité primordiale de mettre fin à l’occupation prolongée des territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem »126.
239. Comme il a déjà été indiqué, la Cour a estimé dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur que les territoires situés à l’est de la Ligne verte et occupés par Israël en 1967, y compris Jérusalem-Est, étaient considérés comme des territoires occupés, dans lesquels Israël avait la qualité de puissance occupante selon le droit international coutumier127. Elle a également considéré que le règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye de 1907 reflétait le droit coutumier et était donc applicable dans les territoires occupés128. En outre, elle a estimé que la convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (quatrième convention de Genève) s’appliquait aux territoires palestiniens occupés sans qu’il y ait lieu de rechercher quel était auparavant le statut de ces territoires129.
240. Ces règles régissant l’occupation s’appliquent également à la bande de Gaza. Bien qu’il en ait retiré ses forces terrestres en 2005, Israël conserve une mainmise effective sur le territoire, notamment en exerçant un contrôle total sur l’espace aérien et les eaux territoriales de Gaza, en supervisant les mouvements de population et les flux de marchandises entrant à Gaza et en sortant, en contrôlant le registre de la population palestinienne (dont la liste des « résidents » de Gaza), en gardant la maîtrise de la politique fiscale et du transfert des recettes fiscales et en contrôlant la Cisjordanie, qui, avec Gaza, forme une seule unité territoriale.
241. La poursuite par Israël de ses incursions militaires et le contrôle qu’il maintient sur les frontières de Gaza témoignent de l’autorité qu’il continue d’exercer sur le territoire. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 considère que la persistance du contrôle par Israël de la bande de Gaza constitue une forme de punition collective130. Dans le même ordre d’idées, l’Assemblée générale, dans sa résolution 77/247 adoptée le 30 décembre 2022, a demandé à « Israël, Puissance occupante, de
126 Nations Unies, Conseil de sécurité, préambule de la résolution 471, doc. S/RES/471 (1980), adoptée à sa 2226e séance, le 5 juin 1980, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/13947?ln=fr.
127 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78.
128 Ibid., p. 172, par. 89.
129 Ibid., p. 177, par. 101.
130 Rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. A/HRC/44/60, 15 juillet 2020, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/ report-of-the-special-rapporteur-on-the-situation-of-human-rights-in-the-palestinian-territories-occupied-since-1967-report-a-hrc-44-60-advance-unedited-version/.
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mettre un terme aux bouclages prolongés et aux autres restrictions à l’activité économique et à la liberté de circulation, y compris celles qui correspondent de fait à un blocus de la bande de Gaza ».
242. Si la présence de forces terrestres est souvent un indicateur raisonnable de l’autorité exercée sur un territoire, aucune disposition de la convention de La Haye n’en fait en soi une condition préalable à l’applicabilité des règles d’occupation. C’est ce qu’a confirmé le Tribunal militaire international de Nuremberg, qui a estimé que la Grèce et la Yougoslavie étaient occupées même si « les partisans [étaient] en mesure de contrôler des parties de ces pays à divers moments », car « il [était] établi que les Allemands pouvaient à tout moment et à leur gré prendre le contrôle physique de n’importe quelle partie du pays »131. L’applicabilité des règles d’occupation à la bande de Gaza est confirmée par l’ONU qui continue de considérer ce territoire comme faisant partie du Territoire palestinien occupé132.
243. Le droit international humanitaire est fondé sur le principe du caractère temporaire de l’occupation. L’article 42 du règlement de La Haye donne la définition suivante d’un territoire occupé : « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »133
244. Le commentaire de l’article 4 des conventions de Genève précise que « l’occupation d’un territoire en temps de guerre est essentiellement une situation temporaire, de facto, qui ne prive la puissance occupée ni de son statut d’État ni de sa souveraineté ; elle ne fait qu’entraver son pouvoir d’exercer ses droits »134. Selon le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, « l’occupation … se définit comme la période de transition entre l’invasion et la conclusion d’un accord sur la cessation des hostilités »135.
245. En conséquence, une puissance occupante doit « g[eler] le statut juridique du territoire occupé tant que l’occupation reste effective, de sorte que ce statut ne peut être modifié par un acte ou une action unilatéraux de la puissance occupante »136. Ainsi, l’article 43 du règlement de La Haye demande à la puissance occupante de prendre toutes les mesures pour assurer « l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays »137.
131 Hostage Case, United States v List (Wilhelm) and others, Trial Judgment, Case No 7, (1948) 11 TWC 757, (1950) 11 TWC 1230, (1948) 8 LRTWC 34, ICL 491 (US 1948), (1948) 15 ILR 632, 19 février 1948, Tribunal militaire international ; Tribunal militaire de Nuremberg.
132 Organisation des Nations Unies, « Spokesperson’s Daily Highlights », 19 janvier 2012, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/sg/en/content/noon-briefing-highlight?date%5Bvalue%5D%5Bdate%5D=19%20January% 202012.
133 Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 18 octobre 1907, entrée en vigueur le 26 janvier 1910, règlement, art. 42 (ci-après le « règlement de La Haye »), accessible à l’adresse suivante : https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/hague- conv-iv-1907/regulations-art-43?activeTab=undefined.
134 Comité international de la Croix-Rouge, Commentary on the IV Geneva Convention Relative to the Protection of Civilian Persons in Time of War (sous la dir. de Jean S. Pictet), 1958 (ci-après le « commentaire de Pictet »), p. 275.
135 Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Mladen Naletilić et Vinko Martinović, affaire no IT-98-34-T, jugement (Chambre de première instance), 31 mars 2003, par. 214, accessible à l’adresse suivante : https://www.icty.org/x/cases/naletilic_martinovic/tjug/fr/tj030331f.pdf.
136 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, CR 2004/1 (Abi Saab) p. 43.
137 Règlement de La Haye, op. cit., art. 43.
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246. Il s’ensuit que toutes les mesures qui entraînent des modifications permanentes du territoire occupé sont illicites138. L’interdiction concerne à la fois le statut juridique formel du territoire occupé et toute modification de ses composantes démographiques et matérielles, ainsi qu’il est reflété à l’article 49 de la convention IV de Genève. Les puissances occupantes ne peuvent pas acquérir la souveraineté sur le territoire occupé par le biais de l’annexion. Leur autorité n’est qu’une autorité de facto et non de jure.
247. Selon l’article 47 de la convention IV de Genève :
« Les personnes protégées qui se trouvent dans un territoire occupé ne seront privées, en aucun cas ni d’aucune manière, du bénéfice de la présente Convention, soit en vertu d’un changement quelconque intervenu du fait de l’occupation dans les institutions ou le gouvernement du territoire en question, soit par un accord passé entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante, soit encore en raison de l’annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé. »139
248. Selon le rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël140, les Palestiniens sont soumis à un régime militaire prolongé ainsi qu’à une annexion de jure et de facto.
249. Une occupation prolongée, associée à des mesures visant à modifier de manière permanente les caractéristiques démographiques du territoire occupé et à acquérir des territoires en violation du principe fondamental de l’interdiction de l’acquisition de territoires par la force, est donc illicite en soi et équivaut à une annexion de facto141. Il s’ensuit que l’occupation israélienne du territoire palestinien est illicite au regard du droit international en raison de sa permanence et des actions entreprises par Israël pour annexer des parties du territoire de facto et de jure142.
B. Colonisation
250. Aux termes du paragraphe 6 de l’article 49 de la quatrième convention de Genève, « [l]a Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ». Cet article a pour but d’empêcher une pratique adoptée pendant la seconde guerre mondiale par certaines puissances, qui avaient transféré des parties de leur propre population dans des territoires occupés pour des raisons politiques et raciales
138 Voir V. Koutroulis, « The Application of International Humanitarian Law and International Human Rights Law in Situations of Prolonged Occupation: Only a Matter of Time? », vol. 94, no 885, Revue internationale de la Croix-Rouge (printemps 2012).
139 Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, article 47, accessible à l’adresse suivante : https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/gciv-1949/article-47?activeTab= undefined.
140 Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies intitulée « Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », doc. A/77/328 en date du 14 septembre 2022, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/ UNDOC/GEN/N22/591/34/PDF/N2259134.pdf?OpenElement.
141 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, CR 2004/1, op. cit., p. 46 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 181, par. 115.
142 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022 (publié le 20 octobre 2022), par. 75-76, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/591/34/PDF/N2259134.pdf?OpenElement.
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ou, comme elles le prétendaient, pour coloniser ces territoires
143. L’interdiction des transferts de population, y compris l’implantation de colons en territoire occupé, est absolue.
251. Il est également incontestable que la puissance occupante ne peut pas s’emparer de propriétés privées dans le territoire occupé, car de telles propriétés ne sauraient en aucun cas être considérées comme des prises de guerre. La puissance occupante ne peut pas les saisir, car elle doit les respecter et les protéger, qu’il s’agisse de biens mobiliers ou immobiliers.
252. L’article 55 du règlement de La Haye sur la guerre sur terre prévoit que
« [l]’État occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l’État ennemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces propriétés et les administrer conformément aux règles de l’usufruit. »144
L’article 46 du règlement souligne la nécessité de respecter les propriétés privées dans un territoire occupé et l’interdiction de les confisquer : « L’honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée, ainsi que les convictions religieuses et l’exercice des cultes, doivent être respectés. La propriété privée ne peut pas être confisquée. »145
253. Malgré les interdictions ci-dessus, de vastes colonies de peuplement ont été établies en Cisjordanie et ne cessent de s’étendre. Depuis la guerre de 1967, Israël poursuit une politique d’implantation de colonies en Cisjordanie et dans Jérusalem occupée, afin de créer un fait accompli sur le terrain et de rompre la contiguïté territoriale des territoires occupés.
254. Les colonies de peuplement israéliennes modifient la composition démographique du Territoire palestinien occupé. Elles entraînent nécessairement le départ de Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres, ce qui équivaut à une expulsion de facto, en violation du paragraphe 1 de l’article 49 de la quatrième convention de Genève. Elles donnent lieu à des changements permanents dans le statut du territoire. Associée à des mesures visant à inciter la population israélienne à venir s’installer dans les colonies, cette pratique conduit à un changement notable de la structure démographique du territoire palestinien, en violation du droit humanitaire international.
255. Tout mouvement de population, en direction ou en provenance du territoire occupé, qui modifie radicalement la composition démographique de ce territoire, constitue un changement permanent contraire aux principes fondamentaux du droit applicable dans les situations d’occupation belligérante. Le déplacement forcé de la population du territoire occupé et le transfert de citoyens de la puissance occupante dans le territoire occupé sont tous deux interdits par l’article 49 de la quatrième convention de Genève sur la protection des personnes civiles en temps de guerre et constituent des infractions graves au sens de l’article 147 de la convention.
256. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont condamné à plusieurs reprises les procédures et mesures mises en oeuvre par Israël dans les territoires palestiniens occupés s’agissant
143 Commentaire de Pictet, op. cit., p. 282.
144 Règlement de La Haye, op. cit., art. 55.
145 Ibid., art. 46.
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de la confiscation de terres, de la construction de colonies et du transfert d’immigrants juifs vers les territoires palestiniens. Dans sa résolution 465 (1980), le Conseil de sécurité a considéré que :
« toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et des autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci n’[avaient] aucune validité en droit et la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans ces territoires constitu[aient] une violation flagrante de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et f[aisaient] en outre gravement obstacle à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen-Orient »146.
257. Le Conseil a vivement déploré « qu’lsraël persiste et s’obstine dans ces politiques et pratiques » et a en outre demandé « au Gouvernement et au peuple israéliens » de « rapporter ces mesures, de démanteler les colonies de peuplement existantes et, en particulier, de cesser d’urgence d’établir, édifier et planifier des colonies de peuplement dans les territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem »147.
258. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a indiqué ce qui suit, à propos de la question de la licéité des colonies israéliennes :
« En ce qui concerne ces colonies, la Cour notera que, selon le sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève : “La puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle.” Cette disposition prohibe non seulement les déportations ou transferts forcés de population tels qu’intervenus au cours de la seconde guerre mondiale, mais encore toutes les mesures que peut prendre une puissance occupante en vue d’organiser et de favoriser des transferts d’une partie de sa propre population dans le territoire occupé. »148
259. Plus précisément, concernant les politiques d’Israël en matière de colonies, la Cour a dit qu’« Israël a[vait] mené une politique et développé des pratiques consistant à établir des colonies de peuplement dans le territoire palestinien occupé, contrairement aux prescriptions ainsi rappelées du sixième alinéa de l’article 49 [de la quatrième convention de Genève] »149.
260. Le Conseil de sécurité a réaffirmé sa position sur cette question en 2016, en déclarant ce qui suit dans la résolution 2334 :
« Condamnant toutes les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut du Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, notamment la construction et l’expansion de colonies de peuplement, le transfert de colons israéliens, la confiscation de terres, la destruction de
146 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 465 (1980) du 1er mars 1980, doc. S/RES/465 (1980), par. 5, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/399/81/PDF/NR039981. pdf?OpenElement.
147 Ibid, par. 6.
148 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 183, par. 120.
149 Ibid.
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maisons et le déplacement de civils palestiniens, en violation du droit international humanitaire et des résolutions pertinentes,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. Réaffirme que la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable150 ;
2. Exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard. »151
261. Étant donné que les colonies impliquent un transfert illicite de citoyens israéliens vers le territoire occupé afin d’y établir une présence permanente, leur illicéité s’étend à l’ensemble du régime qui leur est associé, englobant ainsi toutes les politiques, pratiques et infrastructures, y compris le mur, conçues pour permettre une telle présence illicite et déplacer les Palestiniens de leurs terres. Dans sa résolution 77/126, l’Assemblée générale a déploré la poursuite de l’édification illicite du mur et s’est déclarée préoccupée par le fait que le tracé de ce mur, qui s’écarte de la ligne d’armistice de 1949 et a été conçu de manière à inclure la plus grande partie des implantations israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, nuit à la continuité géographique du territoire palestinien dont il compromet la viabilité152. Il s’agit d’une violation du principe fondamental de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force.
262. La politique de colonisation stratégique d’Israël, qui est une « valeur nationale » selon les lois israéliennes, consiste essentiellement à « dé-palestiniser » de façon systémique le territoire occupé, empêchant ainsi la réalisation du droit des Palestiniens à l’autodétermination153.
263. La politique de colonisation ayant été établie en violation du droit international humanitaire, Israël avait et continue d’avoir l’obligation d’y mettre fin. Les transferts de population constituent aussi de toute évidence des violations du droit international des droits de l’homme, notamment du droit à la liberté de circulation, du principe de non-discrimination et du droit à l’autodétermination. La Cour et divers organes de l’ONU chargés des droits de l’homme ont reconnu que l’ensemble des obligations incombant à Israël aux termes des traités relatifs aux droits de l’homme continuent de s’appliquer à son comportement en Cisjordanie154. Cette position est
150 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution S/RES/2334 du 23 décembre 2016, adoptée à sa 7853e séance, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N16/463/92/PDF/N1646392.pdf? OpenElement.
151 Ibid.
152 Nations Unies, Assemblée générale, résolution du 12 décembre 2022, intitulée « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/RES/77/126, adoptée à sa cinquante-deuxième séance plénière le 12 décembre 2022, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/748/58/PDF/N2274858.pdf?OpenElement.
153 Rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. A/77/356, 21 septembre 2022, p. 23, par. 67, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/598/06/PDF/N2259806.pdf?OpenElement.
154 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 178-181, par. 106-113.
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confirmée par le Comité des Nations Unies contre la torture, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Comité des Nations Unies des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies
155.
C. Annexion
264. L’Assemblée générale a souligné, dans sa déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, que « le territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’État qui l’administre »156. Il en découle qu’une puissance administrante ne peut annexer le territoire d’une colonie ou d’un territoire dépendant.
265. De même, une puissance occupante ne peut annexer aucun des territoires occupés.
266. La Charte des Nations Unies prévoit une interdiction générale et absolue de l’acquisition d’un territoire par la force. Au sens strict, le paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte interdit l’annexion d’un territoire occupé. La puissance occupante n’exerce qu’une autorité de facto temporaire, c’est-à-dire qu’elle doit administrer le territoire, non seulement à ses propres fins militaires, mais aussi dans l’intérêt des habitants se trouvant sous son contrôle, ce qui signifie à l’évidence qu’elle a le devoir de préserver un statu quo dans le territoire qu’elle occupe. L’annexion, en revanche, a pour effet de modifier le statut juridique du territoire occupé, ce qui va à l’encontre de la simple administration.
267. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a estimé que « la construction du mur et le régime qui lui est associé créent sur le terrain un “fait accompli” qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto »157. De surcroît, l’Assemblée générale, dans la résolution 77/126 qu’elle a adoptée le 12 décembre 2022, a condamné en ces termes l’annexion par Israël de zones du Territoire palestinien occupé :
« [L]’occupation d’un territoire doit être un état de fait provisoire, par lequel la Puissance occupante ne peut ni revendiquer la possession de ce territoire ni exercer sa souveraineté sur le territoire qu’elle occupe[ ; l’Assemblée générale] rappelle à cet égard le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la force et donc le caractère illégal de l’annexion de toute partie du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui constitue une violation du droit international, compromet la viabilité de la solution des deux États et remet en cause les perspectives d’un règlement pacifique, juste, durable et global, et se dit gravement préoccupée par les déclarations
155 Comité contre la torture, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, CAT/C/ISR/CO/5, 3 juin 2016, par. 8-9 ; Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, observations finales concernant le sixième rapport périodique d’Israël, CEDAW/C/ISR/CO/6, 17 novembre 2017, par. 14-15 ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observations finales concernant le quatrième rapport périodique soumis par Israël, E/C.12/ISR/CO/4, 12 novembre 2019, par. 9-10 ; Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique soumis par Israël, CCPR/C/ISR/CO/5, 5 mai 2022, par. 7 b).
156 Résolution 2625 (XXV), op. cit.
157 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121.
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récentes au sujet de l’annexion par Israël de secteurs dans le Territoire palestinien occupé. »
158
268. Comme nous le verrons, considérant que i) l’occupation belligérante n’autorise pas la puissance occupante à annexer le territoire occupé ; ii) les prérogatives de la puissance occupante sont limitées à la gestion de l’ordre public et de la vie civile dans le territoire occupé ; et iii) l’occupation doit être temporaire, la violation de l’un quelconque de ces principes, en plus de la violation de la règle particulière qui en découle, rend en soi l’occupation illicite. L’occupation belligérante devient illicite dès lors que la puissance occupante prend des mesures qui visent à s’approprier le territoire occupé ou des parties de celui-ci, ou qui sont autrement incompatibles avec l’obligation de restituer ce territoire dès que possible.
269. L’annexion de jure de Jérusalem par Israël, officiellement proclamée en 1980, est à l’évidence contraire au droit international. Les colonies résidentielles, industrielles et agricoles ainsi que les infrastructures connexes, telles que les routes et les systèmes d’adduction d’eau, qui ont été établis et développés en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, depuis 1967, témoignent de la volonté d’Israël de rendre son occupation permanente. Le mur et le régime qui lui est associé ont renforcé l’intégration des principales colonies, en particulier celles situées autour de Jérusalem-Est, dans le territoire israélien, donnant lieu à une annexion de facto, qui viole encore davantage les droits des Palestiniens à l’autodétermination et à la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles159. Israël a également saisi et confisqué les biens privés de citoyens palestiniens, ainsi que leurs terres, en violation des principes du droit international humanitaire160. Outre leur illicéité, ces mesures sont contraires au principe du caractère temporaire de l’occupation.
270. En conséquence, l’Égypte fait valoir que l’occupation israélienne est illicite au regard du droit international humanitaire. Dans le cas contraire, une occupation indéfinie par Israël équivaudrait à annuler le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
D. Mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem
271. La Cour a déjà relevé ce qui suit :
« À partir de 1967, Israël a pris dans ces territoires diverses mesures tendant à modifier le statut de la ville de Jérusalem. Le Conseil de sécurité, après avoir rappelé à plusieurs reprises que “le principe que l’acquisition d’un territoire par la conquête militaire est inadmissible”, a condamné ces mesures et a confirmé, par résolution 298 [(1971)] du 25 septembre 1971 …, de la façon la plus explicite que :
“toutes les dispositions législatives et administratives prises par Israël en vue de modifier le statut de la ville de Jérusalem, y compris l’expropriation de terres et de biens immeubles, le transfert de populations et la législation
158 Doc. A/RES/77/126, op.cit.
159 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121 ; rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, doc. A/73/447, 22 octobre 2018, par. 25, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N18/332/92/PDF/N1833292.pdf?OpenElement.
160 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 185, par. 124 ; et p. 189, par. 133.
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visant à incorporer la partie occupée, sont totalement nulles et non avenues et ne peuvent modifier le statut de la ville”. »
161
272. La Cour a aussi dit que :
« Les territoires situés entre la Ligne verte … et l’ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat ont été occupés par Israël en 1967 au cours du conflit armé ayant opposé Israël à la Jordanie. Selon le droit international coutumier, il s’agissait donc de territoires occupés dans lesquels Israël avait la qualité de puissance occupante. Les événements survenus depuis lors dans ces territoires … n’ont rien changé à cette situation. L’ensemble de ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante. »162
273. L’incidence négative et illicite des colonies de peuplement sur la démographie de la Palestine a été reconnue sans réserve par le Conseil de sécurité. Dans sa résolution 465 (1980), celui-ci a déclaré que
« toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et des autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci n’ont aucune validité en droit ».
274. En outre, le mur construit par Israël dans le territoire occupé continue de modifier de façon illicite la composition démographique du territoire occupé, car
« la construction du mur et le régime qui lui est associé ont déjà obligé un nombre significatif de Palestiniens à quitter certaines zones  processus qui se poursuivra avec l’édification de nouveaux tronçons du mur , cette construction, combinée à l’établissement des colonies de peuplement …, tend à modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé »163.
275. Le 28 septembre 2000, une visite du premier ministre israélien, Ariel Sharon (alors chef du Likoud, parti d’opposition), à la mosquée Al-Aqsa a déclenché la deuxième Intifada, qui a conduit à des affrontements entre les Palestiniens et l’armée israélienne, soutenue par des colons armés. Durant la campagne militaire israélienne qui a suivi, des civils ont été tués, des habitations démolies et des infrastructures palestiniennes détruites.
276. Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1322 (2000), a déploré l’acte de provocation commis le 28 septembre 2000 au Haram al-Charif, à Jérusalem, de même que les violences qui y avaient eu lieu par la suite ainsi que dans d’autres lieux saints, et dans d’autres secteurs sur l’ensemble des territoires occupés par Israël depuis 1967. Il a condamné le recours excessif à la force contre les Palestiniens et a demandé à Israël, puissance occupante, de se conformer scrupuleusement à ses
161 Ibid., p. 166, par. 75.
162 Ibid., p. 167, par. 78.
163 Ibid., p. 184 et 189, par. 122 et 133.
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obligations juridiques et aux responsabilités qui lui incombaient en vertu de la quatrième convention de Genève, exigeant que les violences cessent immédiatement
164.
E. Adoption des lois et des mesures discriminatoires connexes
277. Israël a adopté des lois et des mesures discriminatoires dans les territoires palestiniens occupés en 1967. Il s’agit notamment de nombreuses ordonnances militaires qui pérennisent la discrimination raciale entre les Palestiniens, d’une part, et les colons israéliens, de l’autre. Outre les entraves à la liberté de circulation, Israël met en oeuvre des mesures de discrimination raciale de facto et de jure, notamment dans les domaines de la détention, de la justice et de la procédure pénales, du logement, de la planification et de l’aménagement urbains, de la confiscation de terres et de la démolition d’habitations. Selon le Conseil des droits de l’homme, dans sa résolution 49/29, ces mesures comprennent :
« la combinaison complexe de restrictions à la liberté de circulation, à savoir le mur, les barrages routiers et le régime de permis qui ne s’applique qu’à la population palestinienne, … l’application de deux systèmes juridiques distincts, qui a facilité la création et la consolidation des colonies, et … d’autres violations et formes de discrimination institutionnalisée »165.
278. La « loi fondamentale » d’Israël proclame le droit à l’autodétermination uniquement pour le « peuple juif », tout en consacrant l’annexion illégale de Jérusalem et l’établissement de colonies. En outre, la restriction de l’accès des Palestiniens à la « zone C » et les obstacles à l’accès et à la circulation des biens et des personnes entre la Cisjordanie et Gaza empêchent toute croissance de l’économie palestinienne et nuisent à l’unité géographique de l’État de Palestine et à son intégrité territoriale. Toutes ces politiques et mesures sont une cause constante d’affrontements et de tensions et sont autant de violations du droit des droits de l’homme, y compris l’interdiction fondamentale de la discrimination raciale.
279. La rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a déclaré :
« Depuis 1967, la situation des droits humains dans le territoire palestinien occupé n’a cessé de se dégrader, principalement en raison de violations flagrantes du droit international par Israël, Puissance occupante, telles que la ségrégation raciale et l’assujettissement. »166
280. Dans sa résolution 77/126, l’Assemblée générale a relevé que la démolition d’habitations palestiniennes et la construction de colonies mettaient en péril la viabilité de la solution des deux États. Dans le projet de résolution correspondant, il était exigé d’Israël, puissance occupante :
« qu’il renonce à l’ensemble des mesures contraires au droit international ainsi qu’aux lois, politiques et actes discriminatoires dans le Territoire palestinien occupé qui ont
164 [Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1322 (2000) du 7 octobre 2000, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N00/679/38/PDF/N0067938.pdf?OpenElement]
165 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 49/29 du 11 avril 2022, intitulée « Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/RES/49/29, par. 7 c).
166 Rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, doc. A/77/356, 21 septembre 2022, par. 6.
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pour effet de violer les droits humains du peuple palestinien, à savoir tuer ou blesser des civils, les détenir ou les emprisonner arbitrairement, les déplacer de force, notamment chercher à transférer de force des familles bédouines, transférer sa propre population dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, détruire ou confisquer les biens des civils, en particulier démolir les habitations, notamment en guise de châtiment collectif, en violation du droit international humanitaire, et entraver de quelque manière que ce soit l’acheminement de l’aide humanitaire, et qu’il respecte scrupuleusement le droit des droits de l’homme et s’acquitte de ses obligations juridiques à cet égard, y compris celles découlant des résolutions de l’Organisation des Nations Unies sur la question ».
281. L’ensemble de ces mesures et pratiques constitue une violation de l’article 2 de la convention internationale sur l’élimination de la discrimination raciale, ratifiée par Israël le 3 janvier 1979, qui prévoit que tous les États parties condamnent la discrimination raciale et s’engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale, notamment en ne se livrant à aucun acte ou pratique de discrimination raciale et en s’abstenant d’encourager, de défendre ou d’appuyer la discrimination raciale pratiquée par une personne ou une organisation quelconque. Le paragraphe c) dispose que « [c]haque État partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe ».
282. En conséquence, Israël a pour obligation d’abroger toute loi maintenant une discrimination raciale contre le peuple palestinien et de mettre fin à toutes les politiques et pratiques discriminatoires.
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PARTIE VI L’INCIDENCE DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL SUR LE STATUT JURIDIQUE DE L’OCCUPATION ET LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES QUI EN DÉCOULENT POUR TOUS LES ÉTATS ET L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES
283. La seconde question sur laquelle l’Assemblée générale a demandé un avis consultatif à la Cour dans sa résolution 77/247 est libellée comme suit :
« b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
284. Avant de traiter des conséquences juridiques proprement dites, l’Égypte souhaite formuler des observations générales sur la seconde question. Elle soulignera ensuite les conséquences juridiques pour Israël ainsi que les conséquences juridiques pour les autres États et les organisations internationales.
I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES
285. La question figurant au paragraphe b) de la résolution 77/247 de l’Assemblée générale appelle deux observations générales.
286. En premier lieu, cette question doit être comprise au regard de l’objet particulier d’une demande d’avis consultatif, qui est de guider les organes de l’ONU dans leur action et de leur fournir les éléments de droit nécessaires.
287. L’avis de la Cour « est donné par la Cour non aux États, mais à l’organe habilité pour le lui demander »167.
288. Pour répondre à la seconde question, la Cour est invitée à se concentrer sur les principes juridiques généraux en cause.
289. En réalité, la question b) invite la Cour à procéder à ce qui est en fait une « qualification juridique » de la situation qu’Israël a créée, par ses politiques et ses pratiques, concernant le « statut juridique de l’occupation ».
290. En second lieu, la Cour est invitée à examiner les conséquences juridiques, s’agissant de la responsabilité internationale, qui découlent de la violation du droit à l’autodétermination et des pratiques et politiques d’occupation, d’annexion, de colonisation prolongées et de discrimination raciale, pour l’État auteur du fait illicite et pour les autres États et l’ONU.
167 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
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291. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a souligné que :
« En l’espèce, si l’Assemblée générale prie la Cour de dire “[q]uelles sont en droit les conséquences” de la construction du mur, l’emploi de ces termes implique nécessairement de déterminer si cette construction viole ou non certaines règles et certains principes de droit international. »168
292. Après avoir constaté que « l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et … l’adoption du régime qui lui est associé » étaient contraires à « diverses obligations internationales … incombant » à Israël169, la Cour a examiné les conséquences juridiques de ce comportement pour ce qui est de la responsabilité internationale. Elle a fait une distinction entre les conséquences pour l’État auteur du fait illicite et celles pour les autres États et l’Organisation des Nations Unies « [v]u la nature et l’importance des droits et obligations en cause »170.
293. La Cour est maintenant invitée à évaluer les conséquences juridiques découlant des violations visées par la première question qui lui a été posée. Compte tenu de l’importance et du caractère fondamental des obligations en cause, certaines conséquences juridiques en découlent nécessairement pour Israël  en tant qu’État auteur du fait illicite  et pour la communauté internationale dans son ensemble.
II. CONSÉQUENCES JURIDIQUES
294. Israël a violé, et continue de violer, plusieurs obligations internationales distinctes de caractère erga omnes qui lui sont applicables et qui relèvent du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme. Ces obligations comprennent, notamment i) le respect du droit à l’autodétermination du peuple palestinien ; ii) l’interdiction de toute tentative de démembrement du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem ; iii) l’obligation de s’abstenir de tout acte portant atteinte à l’intégrité territoriale ou à l’unité nationale des Palestiniens ; et iv) la garantie des droits de l’homme fondamentaux du peuple palestinien.
295. La responsabilité internationale encourue par Israël à raison de tels actes entraîne une série de conséquences juridiques.
A. Maintien du devoir d’Israël d’exécuter les obligations auxquelles il a manqué
296. Israël est avant tout tenu de se conformer à toutes les obligations auxquelles il a manqué. L’article 29 du Projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite dispose que « [l]es conséquences juridiques d’un fait internationalement illicite prévues dans la présente partie n’affectent pas le maintien du devoir de l’État responsable d’exécuter l’obligation violée »171.
168 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39 ; et p. 164, par. 68.
169 Ibid., p. 197, par. 147.
170 Ibid., p. 200, par. 159.
171 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, op. cit., art. 29.
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297. Ainsi, bien qu’Israël ait manqué à des obligations internationales dans le cadre de son occupation illicite prolongée, il reste lié par ces obligations.
298. Parmi ces obligations figurent celle de donner effet au droit à l’autodétermination en mettant fin à l’occupation.
299. L’obligation juridique correspondante de donner effet à ce droit, qui est mise à la charge des États, a également été réaffirmée à plusieurs reprises. Par exemple, le Comité des droits de l’homme, dans son observation générale sur l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a noté que
« le paragraphe 3 revêt une importance particulière en ce sens qu’il impose des obligations précises aux États parties, non seulement à l’égard de leurs peuples, mais aussi à l’égard de tous les peuples qui n’ont pas pu exercer leur droit à l’autodétermination, ou qui ont été privés de cette possibilité. … Il s’ensuit que tous les États parties doivent prendre des mesures positives pour faciliter la réalisation et le respect du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. Ces mesures positives doivent être conformes aux obligations qui incombent aux États en vertu de la Charte des Nations Unies et du droit international : en particulier, les États doivent s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures d’autres États et, ainsi, de compromettre l’exercice du droit à l’autodétermination. »172
300. Israël est légalement tenu de ne ménager aucun effort pour permettre au peuple palestinien de réaliser pleinement son droit à l’autodétermination.
B. Cessation et non-répétition
301. Outre le devoir de se conformer à ses obligations au titre du droit à l’autodétermination, Israël a l’obligation de mettre fin à son comportement illicite. Comme l’a déclaré la Cour,
« [e]n vertu du droit international général en matière de responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, qu’exprime sur ce point l’article 30 a) des articles de la Commission du droit international relatifs à ce sujet, l’État responsable d’un tel fait a l’obligation d’y mettre fin si ce fait présente un caractère continu »173.
302. L’article 30, cité par la Cour, prévoit que :
« L’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation :
a) D’y mettre fin si ce fait continue »174.
172 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observation générale no 12, par. 6, accessible à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2FCCPR%2FG EC%2F6626&Lang=fr.
173 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 153, par. 137.
174 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, op. cit., art. 30.
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303. Au sujet de cette obligation précise, la Commission du droit international a expliqué ce qui suit :
« La cessation a pour fonction de mettre fin à une violation du droit international et de préserver la validité et l’efficacité de la règle primaire sous-jacente. L’obligation de cessation qui incombe à l’État responsable sert ainsi à protéger aussi bien l’intérêt de l’État ou des États lésés que l’intérêt de la communauté internationale dans son ensemble à préserver l’état de droit et à s’appuyer sur lui. »175
304. Cette obligation s’étend à tous les actes, matériels ou non matériels, commis par Israël dans le cadre de son occupation continue de la Palestine. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a en effet indiqué que :
« L’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de son édification et de la mise en place du régime qui lui est associé doivent immédiatement être abrogés ou privés d’effet, sauf dans la mesure où de tels actes, en ayant ouvert droit à indemnisation ou à d’autres formes de réparation au profit de la population palestinienne, demeurent pertinents dans le contexte du respect, par Israël, [de ses] obligations. »176
305. Il n’y a donc aucune raison de s’écarter de cette conclusion concernant l’obligation incombant à Israël de mettre fin à la violation continue de ses obligations internationales, ce qui suppose le démantèlement des structures illégales, y compris les colonies et le mur, ainsi que du régime qui leur est associé.
306. L’État responsable a également l’obligation « d’offrir des assurances et garanties appropriées de non-répétition, si les circonstances l’exigent »177.
C. Réparation et restitution
307. Il est bien établi, comme l’a dit la Cour dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, qu’en droit international l’État auteur du fait illicite « a l’obligation de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées »178.
308. Comme l’avait indiqué la Cour permanente de Justice internationale dans l’arrêt souvent repris qu’elle avait rendu en l’affaire de l’Usine de Chorzów, « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »179.
175 Ibid., art. 30, commentaire, par. 5.
176 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 151.
177 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, op. cit., art. 30, commentaire, par. 9).
178 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 152.
179 Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
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309. Pour atteindre cet objectif, compte tenu des « circonstances concrètes de chaque affaire ainsi que de la nature exacte et de l’importance du préjudice »180, il peut être nécessaire de combiner les différentes formes de réparation. Comme l’a expliqué la Commission du droit international :
« il ne peut y avoir réparation intégrale, dans des cas particuliers, qu’en associant différentes formes de réparation. Par exemple, le rétablissement de la situation qui prévalait avant la violation peut ne pas suffire à constituer une réparation intégrale si le fait illicite a causé un dommage matériel supplémentaire (par exemple, un préjudice découlant de la perte d’usage du bien saisi de façon illicite). Pour “effacer” toutes les conséquences du fait illicite, il peut donc être nécessaire de faire jouer toutes les formes de réparation ou certaines d’entre elles, en fonction du type et de l’ampleur du préjudice qui a été causé. »181
310. Le paragraphe 1 de l’article 31 du Projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite traite expressément de ce principe et indique que « [l]’État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite »182.
311. En outre, dans l’article 34, il est précisé ce qui suit :
« Formes de la réparation
La réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite prend la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement. »183
312. La restitution peut devoir être accompagnée de mesures d’indemnisation pour les dommages matériels et non matériels causés. Par exemple, la Cour a déclaré, dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, qu’Israël était
« tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé. Au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l’indemnisation des personnes en question pour le préjudice subi par elles. De l’avis de la Cour, Israël est également tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction de ce mur. »184 (Les italiques sont de nous.)
313. Dans son arrêt sur le fond en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), la Cour a dit ce qui suit :
180 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États- Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 59, par. 119.
181 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, op. cit., art. 34, commentaire, par. 2.
182 Ibid., art. 31, par. 1.
183 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, op. cit., art. 34.
184 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 153.
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« Au vu des circonstances propres à l’espèce, en particulier du caractère fondamental des obligations relatives aux droits de l’homme qui ont été violées et de la demande de réparation sous forme d’indemnisation présentée par la Guinée, la Cour est d’avis que, outre la constatation judiciaire desdites violations, la réparation due à la Guinée à raison des dommages subis par M. Diallo doit prendre la forme d’une indemnisation. »185 (Les italiques sont de nous.)
314. Il ne fait aucun doute que le caractère fondamental des obligations violées par Israël appelle une certaine forme d’indemnisation. Ainsi, au vu des circonstances qui ont conduit à la présente demande, Israël devrait fournir une indemnisation adéquate, non seulement à la Palestine, mais aussi à toutes les personnes physiques et morales qui ont subi des dommages matériels et non matériels du fait de son comportement illicite. Une telle extension de l’indemnisation aux personnes physiques ou morales  et pas seulement à l’État lésé  a été envisagée sans ambiguïté par la Cour dans le passage de l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur cité ci-dessus.
315. En outre, la violation du droit à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, en tant que « principe de droit international coutumier »186 consacré par la résolution 1803 (XVII) adoptée par l’Assemblée générale le 14 décembre 1962, est susceptible d’avoir causé un dommage donnant droit à réparation. Dans sa résolution 3175 (XXVIII) du 17 décembre 1973, relative à la « Souveraineté permanente sur les ressources nationales dans les territoires arabes occupés », l’Assemblée générale avait affirmé :
« le droit des États et des peuples arabes dont les territoires sont sous occupation israélienne à la restitution des ressources naturelles des territoires occupés et à une pleine indemnisation pour l’exploitation, la spoliation et les dommages dont elles ont fait l’objet, ainsi que pour l’exploitation et la manipulation des ressources humaines de ces territoires »187 (les italiques sont de nous).
316. Cela vaut pour la Palestine et pour son peuple.
D. Satisfaction
317. Enfin, l’Égypte est d’avis que la Cour devrait déterminer si le préjudice subi par les Palestiniens serait entièrement réparé par la restitution et l’indemnisation. À défaut, et conformément à l’article 37 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État, il pourrait se révéler nécessaire de prévoir une forme de satisfaction, qui peut consister « en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée »188. Compte tenu de la nature et de l’importance des droits en jeu, une telle possibilité peut en effet sembler pertinente. À tout le moins, il semblerait qu’une déclaration, incluse dans le dispositif de l’avis consultatif et réaffirmant qu’Israël a manqué à ses obligations à l’égard
185 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691, par. 161.
186 Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 251, par. 244.
187 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3175 (XXVIII) du 17 décembre 1973, intitulée « Souveraineté permanente sur les ressources nationales dans les territoires arabes occupés », doc. A/RES/3175(XXVIII), par. 3.
188 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, op. cit., art. 37, par. 2.
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de la Palestine et des Palestiniens, de son peuple et de ses ressortissants, constituerait effectivement une « forme appropriée »
189 de satisfaction.
III. CONSÉQUENCES JURIDIQUES POUR LES AUTRES ÉTATS ET LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
318. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a examiné les conséquences « qui en découlent pour les autres États et, le cas échéant, pour l’Organisation des Nations Unies »190. Ce faisant, elle a observé que,
« au rang des obligations internationales violées par Israël figurent des obligations erga omnes. Comme la Cour l’a précisé dans l’affaire de la Barcelona Traction, de telles obligations, par leur nature même, “concernent tous les États” et, “[v]u l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés” (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33) »191.
319. Parmi les obligations concernées, figure celle de respecter le droit à l’autodétermination, qui constitue « l’un des principes essentiels du droit international contemporain » et « est un droit opposable erga omnes »192.
320. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a déclaré ce qui suit :
« Vu la nature et l’importance des droits et obligations en cause, la Cour est d’avis que tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Ils sont également dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. Il appartient par ailleurs à tous les États de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. »193
321. Dans la présente procédure, l’Égypte est d’avis que la Cour devrait suivre sa pratique constante et, par conséquent, dire que tous les États ont l’obligation :
a) de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, du fait de l’occupation, de la colonisation et de l’annexion prolongées du Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris les mesures visant
189 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), op. cit., p. 234, par. 463 ; voir également Détroit de Corfou (Royaume–Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. République populaire d’Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35-36.
190 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 148.
191 Ibid., p. 199, par. 155.
192 Timor oriental, op. cit., p. 102, par. 29.
193 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 159.
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à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption des lois et des mesures discriminatoires connexes ;
b) de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ;
c) de coopérer dans le respect du droit pour mettre fin à cette situation illicite.
322. Une telle approche serait également conforme au droit international général tel qu’il ressort de la résolution 2625 (XXV) qui dispose ce qui suit dans la partie concernant cette question :
« Tout État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe, afin de :
a) Favoriser les relations amicales et la coopération entre les États ;
b) Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés »194 (les italiques sont de nous).
323. La conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans le dispositif de l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur est la suivante :
« l’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doivent, en tenant dûment compte du présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé »195.
194 Résolution 2625 (XXV), op. cit., annexe, par. 1, principe 5.
195 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 202, par. 160 ; voir également Nations Unies, Assemblée générale, résolution 66/100 du 27 février 2012, intitulée « Responsabilité des organisations internationales », doc. A/RES/66/100, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/464/83/PDF/N1146483.pdf?OpenElement.
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PARTIE VII CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS
324. Dans le présent exposé écrit, l’Égypte a montré combien elle est préoccupée par les conséquences des pratiques israéliennes illicites pour les droits inaliénables du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. En participant à cette procédure, elle espère qu’une solution juste, pacifique et fondée sur le droit sera trouvée à toutes les questions qui ont motivé la requête de l’Assemblée générale.
325. Confortée par le dictum de la Cour dans l’avis consultatif au sujet du Sahara occidental, où celle-ci a souligné que « [c]et avis [était] requis pour aider l’Assemblée générale à définir la politique de décolonisation qu’elle adoptera[it] à l’avenir », l’Égypte est convaincue que la Cour contribuera de façon décisive à la clarification et à la consolidation du droit international applicable grâce à ses réponses aux questions qui lui sont posées par l’Assemblée générale.
326. L’Égypte considère que la Cour devrait répondre comme suit aux questions posées par l’Assemblée générale :
a) la Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022 ;
b) Israël a violé le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, qui est mentionné notamment dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967, et qui constitue une norme impérative du droit international ;
c) l’occupation prolongée et persistante du territoire de la Palestine et les pratiques et politiques d’annexion et de colonisation sont autant de de manquements à des obligations internationales, dont :
i) les principes applicables du droit international humanitaire, y compris la convention IV de Genève et le règlement de La Haye ;
ii) le droit du peuple de Palestine à l’autodétermination ;
iii) l’inviolabilité de l’intégrité territoriale des États ;
iv) l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par le recours à la force ;
v) les résolutions contraignantes pertinentes des Nations Unies ;
vi) les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
vii) les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
viii) les dispositions pertinentes de la convention internationale sur l’élimination de la discrimination raciale ;
d) toutes les dispositions et mesures législatives et administratives prises par Israël, puissance occupante, qui ont modifié ou visent à modifier le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem sont nulles et non avenues et doivent être rapportées, et constituent un fait internationalement illicite ;
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e) toutes les politiques et pratiques mises en oeuvre par Israël qui établissent une discrimination entre les Palestiniens, d’une part, et les colons israéliens, de l’autre, que ce soit de facto ou de jure, constituent une violation d’obligations internationales, y compris celles consacrées par la convention sur l’élimination de la discrimination raciale ;
f) les politiques et les pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, qui cherchent à assurer une présence et un contrôle permanents sur les terres et les ressources palestiniennes, sont contraires au droit international et rendent l’occupation illicite ;
g) Israël est tenu, en vertu du droit international général :
i) d’effectuer une restitutio in integrum :
1. en cessant immédiatement son occupation illicite du Territoire palestinien occupé en 1967 en mettant fin à l’occupation ;
2. en mettant immédiatement un terme à ses politiques et pratiques illicites, y compris l’annexion des territoires palestiniens, l’expansion des colonies et la discrimination raciale, et en démantelant les colonies de peuplement existantes dans les territoires palestiniens occupés ;
ii) d’offrir une indemnisation, couvrant les préjudices tant matériels que moraux subis par le peuple de Palestine ;
iii) de respecter son obligation de permettre le retour des Palestiniens dans leurs foyers ou d’indemniser ceux qui choisissent de ne pas revenir ;
h) tous les États et toutes les organisations internationales, notamment l’Organisation des Nations Unies et tous ses organes, ont le devoir de coopérer et de prendre les mesures appropriées pour inciter Israël à se conformer sans délai aux obligations énoncées aux alinéas d) et g) ci-dessus et à s’abstenir de tout acte ou omission contribuant au maintien de la situation illicite ;
i) tous les États et toutes les organisations internationales, notamment l’Organisation des Nations Unies et tous ses organes, sont tenus de s’abstenir de coopérer avec Israël, en raison de ses pratiques persistantes entravant le droit à l’autodétermination du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, ou du maintien de la situation illicite actuelle.
327. Enfin, l’Égypte invite respectueusement la Cour à recommander à l’Assemblée générale de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer à la fois le respect par Israël de l’avis consultatif et l’application sans plus tarder de ses résolutions pertinentes.
Le ministre des affaires étrangères
de la République arabe d’Égypte,
(Signé) Sameh SHOUKRY.
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Exposé écrit d'Égypte

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