Observations écrites du Chili

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186-20231025-WRI-07-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18891
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DU CHILI
25 octobre 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
A. COMPÉTENCE DE LA COUR ET ABSENCE DE RAISONS DÉCISIVES DE REFUSER DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ........................................................................................................................... 1
B. PERTINENCE DE LA NOTION D’OCCUPATION ILLICITE EN L’ESPÈCE .............................................. 6
1. Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 3 février 2023, la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») a jugé que l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine, étaient susceptibles de fournir des renseignements sur les questions qui lui avaient été soumises pour avis consultatif au sujet des Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. La Cour a décidé la tenue d’un premier tour d’écritures et fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt des exposés écrits. Cinquante-sept États, dont la République du Chili, ont présenté un exposé à ce stade. Dans la même ordonnance, la Cour a fixé au 25 octobre 2023 la date d’expiration du délai dans lequel les États ou organisations ayant présenté un exposé écrit pourraient soumettre des observations écrites sur les exposés écrits d’autres États et organisations.
2. Dans ce cadre, le Chili soumet les présentes observations écrites afin d’exposer ses vues au sujet de deux points appelant, selon lui, de plus amples commentaires, propres à aider la Cour à répondre aux questions de l’Assemblée générale. Premièrement, le Chili souhaite formuler certaines observations au sujet de l’absence de raisons décisives de refuser de donner l’avis sollicité et préciser à cet égard comment il conçoit le rapport entre l’avis consultatif demandé à la Cour et des négociations présentes ou futures entre les parties concernées en vue de régler leurs différends. Deuxièmement, le Chili voudrait renvoyer à la notion d’occupation illicite et aux réponses que le droit international devrait apporter lorsque le droit international humanitaire s’est avéré incapable de protéger la population civile vivant dans des territoires occupés.
A. COMPÉTENCE DE LA COUR ET ABSENCE DE RAISONS DÉCISIVES DE REFUSER DE DONNER L’AVIS DEMANDÉ
3. La situation du Territoire palestinien occupé est un motif de préoccupation depuis 1967. Elle figure au programme de travail de l’Organisation des Nations Unies depuis plus de 56 ans. Israël et les autorités palestiniennes s’efforcent de trouver une solution négociée à ce problème ancien depuis 1991. Certains États ont évoqué les possibles effets d’un avis consultatif sur le succès de ces négociations et argué sur cette base que la Cour devait refuser de donner l’avis sollicité.
4. La République du Chili partage l’opinion que la solution définitive au conflit israélo-palestinien qui perdure depuis longtemps devra être le fruit de négociations entre Israël et la Palestine. Cette position n’empêche toutefois pas, et ne saurait empêcher, les organes des Nations Unies d’exercer les pouvoirs dont ils sont investis par la Charte des Nations Unies.
5. En particulier, les organes des Nations Unies, dont le but est de maintenir la paix et la sécurité internationales, peuvent prendre « des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix »1 et peuvent également réaliser « l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix »2.
6. Les organes des Nations Unies ont en outre pour mission de « [d]évelopper entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et [de] prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde »3. Comme le reconnaît en outre la Charte des Nations Unies, la promotion et l’encouragement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont au coeur de la
1 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 1.
2 Ibid.
3 Ibid., art. 1, par. 2.
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solution des problèmes internationaux. C’est dans ce contexte qu’il convient d’appréhender la demande d’avis consultatif adressée par l’Assemblée générale à la Cour au sujet des conséquences juridiques découlant des actions d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
7. La Charte des Nations Unies confère à la Cour un rôle important non seulement en tant que tribunal de règlement des différends internationaux, mais aussi en tant qu’organe judiciaire habilité à donner des avis consultatifs à la demande du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale, ou, ainsi que le prévoit l’article 96, de tous autres organes des Nations Unies dûment autorisés par l’Assemblée.
8. Dans l’exercice de sa compétence consultative, la Cour — en tant que tribunal — est tenue d’interpréter le droit applicable conformément aux principes d’indépendance et d’impartialité. À cet égard, bien que dénués d’effet obligatoire, les avis consultatifs de la Cour ont vocation à clarifier et à développer le droit international et contribuent en tant que tels au renforcement des relations pacifiques entre États4.
9. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, « les avis consultatifs servent à fournir aux organes qui les sollicitent les éléments de caractère juridique qui leur sont nécessaires dans le cadre de leurs activités »5.
10. Le conflit israélo-palestinien a engendré un long processus visant à parvenir à un règlement définitif négocié entre les parties concernées, dans lequel d’autres acteurs interviennent et s’efforcent d’aider lesdites parties à trouver une solution à une situation complexe et à la mettre en oeuvre. La complexité de la situation et la nécessité que les deux parties en cause parviennent à un règlement négocié ne constituent pas, cependant, une raison décisive devant amener la Cour à refuser de donner l’avis sollicité.
11. C’est un truisme de dire que les négociations n’ont jamais lieu en vase clos. Les négociations entre États se déroulent toujours dans un certain contexte politique et juridique. La définition et l’interprétation des normes et principes devant régir une situation particulière entre deux États ne devraient pas être considérées comme étant susceptibles de nuire au succès de négociations en cours ou futures. Le fait que des parties à une négociation acceptent de régler un différend par ce mécanisme ne peut pas davantage exonérer celles-ci des violations du droit international qu’elles ont commises. Au contraire, la clarification des règles juridiques applicables à une situation politique peut aider les parties à circonscrire le champ de leurs négociations en réduisant l’éventail des arguments acceptables et des résultats possibles, en particulier lorsque des normes du jus cogens sont en jeu.
12. En réalité, dans l’exercice de sa compétence tant contentieuse que consultative, la Cour n’a jamais considéré que son interprétation du droit applicable à une situation particulière pouvait constituer en soi un obstacle à des négociations entre les parties. Tout au contraire, estimant que
4 Cour internationale de justice, « Compétence en matière consultative », accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/fr/competence-en-matiere-consultative.
5 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 162, par. 60. Voir aussi Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19 ; Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 32, et Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37, par. 72.
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seules des « raisons décisives »
6 pouvaient justifier qu’elle fasse usage de cette prérogative exceptionnelle, la Cour n’a jamais refusé de statuer sur un différend ou de répondre à une demande d’avis consultatif « pour la simple raison que [celui-ci ou celle-ci] avait des implications politiques »7.
13. Dans l’affaire du Plateau continental de la mer Égée (Grèce c. Turquie), la Turquie a sous-entendu que la Cour « ne dev[]ait pas connaître de l’affaire tant que les parties continu[ai]ent à négocier et que l’existence de négociations activement menées empêch[ait] la Cour d’exercer sa compétence en l’espèce ». Or la Cour a déclaré que « le fait que des négociations se poursuiv[ai]ent activement pendant la procédure [en cours] ne constitu[ait] pas, en droit, un obstacle à l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire »8.
14. Qui plus est, dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), la Cour a fait l’observation suivante :
« [L]es différends juridiques entre États souverains ont, par leur nature même, toutes chances de surgir dans des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un élément d’un différend politique plus vaste et existant de longue date entre les États concernés. Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent. La Charte et le Statut ne fournissent aucun fondement à cette conception des fonctions ou de la juridiction de la Cour ; si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait une telle conception, il en résulterait une restriction considérable et injustifiée de son rôle en matière de règlement pacifique des différends internationaux. »9
15. Renvoyant à l’affaire du Plateau continental de la mer Égée mentionnée plus haut, la Cour a ajouté que « [l]a jurisprudence de la Cour fourni[ssai]t divers exemples d’affaires dans lesquelles négociations et règlement judiciaire se sont poursuivis en même temps »10.
16. À cet égard, contrairement à ce que certains États ont argué dans la présente procédure, le prononcé d’un avis consultatif sur les questions soumises à la Cour n’entravera pas la possibilité d’une solution négociée entre l’État d’Israël et la Palestine telle qu’y appelle le Conseil de sécurité dans sa résolution 338 (1973). En fait, toute négociation d’une paix juste et durable doit se conformer aux principes énoncés dans la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité et en particulier les points suivants : « i) [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit [et] ii) [c]essation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque
6 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136, par. 156 ; voir aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 14, et Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 41, et Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23.
7 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 435, par. 96.
8 Plateau continental de la mer Égée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 12, par. 29.
9 Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 20, par. 37.
10 Ibid., p. 23, par. 43.
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État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force »
11.
17. Il s’ensuit qu’aucune négociation ne peut s’affranchir du droit international applicable ou en faire abstraction et qu’il convient, dans l’intérêt de toute issue négociée, que toute violation du droit international ait été clarifiée au cours du processus de négociation.
18. À cet égard, la Cour ne devrait pas « refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale sur la base d’arguments, avancés par certains participants à la présente procédure, selon lesquels son avis risquerait d’avoir des conséquences politiques négatives »12.
19. En fait, comme il a été dit dans l’avis sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,
« quelles que soient les conclusions auxquelles [la Cour] pourrait parvenir dans l’avis qu’elle donnerait, ces conclusions seraient pertinentes au regard du débat qui se poursuit à l’Assemblée générale, et apporteraient dans les négociations sur la question un élément supplémentaire. Mais, au-delà de cette constatation, l’effet qu’aurait cet avis est une question d’appréciation. Des opinions contraires ont été exposées devant la Cour et il n’est pas de critère évident qui permettrait à celle-ci de donner la préférence à une position plutôt qu’à une autre. »13
20. Il est important de noter que le fait que la question soumise à la Cour dans la présente procédure
« revête par ailleurs des aspects politiques, comme c’est, par la nature des choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent à se poser dans la vie internationale, ne suffit pas à la priver de son caractère de “question juridique” et à “enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut” » (Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 172, par. 14). Quels que soient les aspects politiques de la question posée, la Cour ne saurait refuser un caractère juridique à une question qui l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir l’appréciation de la licéité de la conduite éventuelle d’États au regard des obligations que le droit international leur impose (voir Conditions de l’admission d’un État comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61-62 ; Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 6-7 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155.) »14
21. En outre, comme la Cour l’a reconnu dans l’avis consultatif qu’elle a donné au sujet de l’Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, « lorsque des considérations
11 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 242 (1967) du 22 novembre 1967, doc. S/RES/242 (1967).
12 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 418, par. 35.
13 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 17.
14 Ibid., p. 234, par. 13. Voir aussi Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27.
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politiques jouent un rôle marquant il peut être particulièrement nécessaire à une organisation internationale d’obtenir un avis consultatif de la Cour sur les principes juridiques applicables à la matière en discussion »
15. Qui plus est, dans l’avis consultatif sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour a conclu « que la nature politique des mobiles qui auraient inspiré la requête et les implications politiques que pourrait avoir l’avis donné [étaie]nt sans pertinence au regard de l’établissement de sa compétence pour donner un tel avis »16.
22. En ce qui concerne la situation objet de la présente procédure, la Cour a expressément reconnu dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, s’agissant des effets des négociations alors en cours entre la Palestine et Israël et s’agissant de la « feuille de route » entérinée par la résolution 1515 (2003) du Conseil de sécurité qui constitue un cadre de négociation pour le règlement du conflit, que la Cour ne saurait considérer l’influence que son avis pourrait avoir sur ces négociations comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence17.
23. À cet égard, comme l’a précisé la Cour dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental,
« il n[e lui] appartient pas … de dire dans quelle mesure ni jusqu’à quel point son avis devra influencer l’action de l’Assemblée générale. La fonction de la Cour est de donner un avis fondé en droit, dès lors qu’elle a abouti à la conclusion que les questions qui lui sont posées sont pertinentes, qu’elles ont un effet pratique à l’heure actuelle et que par conséquent elles ne sont pas dépourvues d’objet ou de but. »18
24. Enfin, le Chili souligne que le simple fait que le dossier présenté en l’espèce à la Cour par le Secrétaire général consiste en 1 805 documents établis par différents organes des Nations Unies, dont plusieurs organes spécialisés indépendants et rapporteurs, montre bien que la question de la Palestine intéresse les Nations Unies depuis plusieurs décennies, au cours desquelles elles ont fait des constatations et des déclarations sur des points que soulèvent les questions soumises à la Cour, notamment l’occupation et la politique de colonisation, ainsi que la situation humanitaire et des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé. Ces conclusions de nature politique et juridique n’ont jamais été considérées comme étant de nature à porter préjudice à quelque solution négociée, et ont au contraire contribué à en définir les contours. De même, la Cour est invitée à fournir un éclairage sur les questions juridiques que lui a soumises l’Assemblée générale, indépendamment des questions politiques qui s’y rattachent.
25. Pour les raisons qui précèdent, la République du Chili estime qu’un avis consultatif de la Cour constituerait une aide supplémentaire importante pour les parties et les organes des Nations Unies, ainsi que pour toute autre entité ou tout autre État désireux de contribuer au règlement de ce conflit qui dure depuis longtemps.
15 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 87, par. 33.
16 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13.
17 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 160, par. 53.
18 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37, par. 73.
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B. PERTINENCE DE LA NOTION D’OCCUPATION ILLICITE EN L’ESPÈCE
26. La notion de territoire occupé trouve son origine dans le droit international humanitaire. En substance, ce droit envisage l’occupation d’un territoire comme la conséquence d’un conflit armé et vise à établir certaines règles en ce qui concerne le traitement des civils et de leurs biens à l’intérieur du territoire occupé. Celles-ci sont notamment énoncées dans la convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe de 1907 (articles 42 à 56), dans la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (articles 47 à 78) et dans le droit international coutumier.
27. Le droit international humanitaire cherche à limiter les effets des conflits armés et à encadrer la conduite des États afin que ceux-ci respectent un minimum de principes humanitaires en protégeant les personnes qui ne participent pas, ou ne participent plus, directement ou activement aux hostilités, et en restreignant le choix des moyens et méthodes de guerre19 ; en tant que telle, cette branche du droit international public ne traite pas du caractère licite ou illicite de l’emploi de la force.
28. Il n’y a donc pas d’occupations licites ou illicites au regard du droit international humanitaire. Dans ce contexte, le terme « occupation » renvoie à une situation factuelle dans laquelle la puissante occupante a des obligations envers les civils. Tout manquement de la puissance occupante à ces obligations constitue toutefois un acte illicite au regard du droit international humanitaire et engage conséquemment sa responsabilité internationale. En outre, certaines conduites peuvent aussi constituer des violations du droit international des droits de l’homme, en même temps que des actes internationaux illicites.
29. En répondant à la question a) formulée dans la demande d’avis consultatif, la Cour aura l’occasion d’examiner chacune des violations des droits de la population palestinienne vivant dans le territoire occupé, dont la violation de son droit à l’autodétermination et celle que constitue l’application d’une législation discriminatoire à son égard. Toute violation du droit international constatée dans le Territoire palestinien occupé sera qualifiée d’acte illicite et la Cour établira les conséquences juridiques découlant de ces violations du droit international.
30. La question b) formulée dans la demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale revêt cependant un caractère différent. Celle-ci est libellée comme suit :
« Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
31. La question porte sur le statut juridique de l’occupation et les conséquences juridiques que ce statut emporte. Comme il a été expliqué plus haut, le droit international humanitaire ne traite pas du statut des occupations et il ne peut par conséquent offrir de réponse à cette question.
32. La question b) ne porte donc pas sur des violations particulières du droit international dans le Territoire palestinien occupé, mais sur la façon dont les effets cumulés des violations du droit international commises par Israël dans ce territoire, ainsi que l’existence d’une annexion de fait et
19 Comité international de la Croix-Rouge, « Qu’est-ce que le droit international humanitaire ? », accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/document/quest-ce-que-le-droit-international-humanitaire.
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d’une discrimination des Palestiniens, peut transformer le caractère de l’occupation et la rendre illicite au regard du droit international public.
33. Sur la question israélo-palestinienne, le Conseil de sécurité estime depuis 1980 que « toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et des autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci n’ont aucune validité en droit … et font en outre gravement obstacle à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen-Orient »20, et a en conséquence et à plusieurs reprises, appelé Israël à mettre fin à l’occupation prolongée21. Une conclusion à l’effet d’affirmer clairement le statut illicite de l’occupation emporterait nécessairement l’obligation de mettre un terme à celle-ci.
34. Certains États sont d’avis que la Cour ne devrait pas examiner ce point, car elle statuerait alors sur des questions touchant au statut permanent sur lesquelles Israël et la Palestine s’opposent et qui ne devraient être résolues qu’au moyen de négociations directes entre ces deux États.
35. La République du Chili ne souscrit pas à cette vue et estime qu’il n’existe aucune raison décisive justifiant que la Cour s’abstienne de répondre à la question b). Elle considère au contraire qu’il est non seulement nécessaire mais également urgent que la Cour y réponde, pour les raisons suivantes :
i) la perpétuation d’une occupation relève bien du droit international dans la mesure où l’acquisition de territoire par la force est interdite ;
ii) l’effet cumulé de la violation du droit humanitaire, du droit des droits de l’homme et du droit pénal international fait du maintien de l’occupation une situation illicite ;
iii) l’avis consultatif que l’Assemblée générale demande à la Cour s’inscrit dans les responsabilités que la Charte des Nations Unies confère à cette dernière ; aussi la Cour doit exercer son pouvoir judiciaire d’assister un organe politique des Nations Unies en s’acquittant desdites responsabilités ;
iv) l’Assemblée générale a déclaré dans sa résolution 77/247 qu’il fallait de toute urgence rétablir un horizon politique qui permette de faire avancer et d’accélérer des négociations constructives visant à conclure un accord de paix qui mette totalement fin à l’occupation israélienne commencée en 1967 et à résoudre, sans exception, toutes les questions fondamentales relatives au statut final afin de parvenir à un règlement pacifique, juste, durable et global de la question de Palestine ;
v) dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour a déclaré qu’Israël devait observer l’obligation qui lui incombe de respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et les obligations auxquelles il est tenu en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme22, obligations qui sont précisément en cause dans la présente demande ;
20 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 465 (1980), doc. S/RES/465 (1980), par. 5. Voir aussi ibid., résolution 471 (1980), doc. S/RES/471 (1980), par. 2-4.
21 Soit, ibid., résolution 465 (1980), doc. S/RES/465 (1980), par. 6 ; et ibid., résolution 471 (1980), doc. S/RES/471 (1980), par. 6.
22 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122 ; et p. 193-194, par. 137-138.
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vi) la demande porte sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, tant pour Israël lui-même que pour tous les autres États et pour les Nations Unies ; aussi l’avis consultatif que la Cour donnera sera utile non seulement pour Israël et la Palestine mais aussi pour la communauté internationale qui, dans son ensemble, a le devoir de contribuer au règlement d’une crise humanitaire. Il est urgent pour le peuple palestinien que l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres mettent un terme à une situation qui est devenue intolérable.
36. En vertu de la compétence consultative que lui confère la Charte des Nations Unies, la Cour a le pouvoir de répondre à des questions juridiques destinées à établir la licéité ou l’illicéité de situations internationales ou de la conduite d’un État. Ainsi, dans l’avis consultatif sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour devait déterminer si l’utilisation d’armes nucléaires était ou non licite à la lumière de la réglementation de l’emploi de la force en droit international23. Pour traiter cette question, la Cour a déterminé quel était le droit applicable avant de l’interpréter aux fins de ses conclusions24.
37. Appliquant la même méthodologie judiciaire dans son avis ultérieur sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé25, la Cour a d’abord déterminé quels étaient les règles et principes du droit international pertinents pour les questions posées par l’Assemblée générale avant d’examiner la conduite d’Israël et d’apprécier si l’État occupant respectait ou non le droit applicable. De la même façon, dans l’avis consultatif sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, la Cour a interprété le droit applicable, en particulier le droit international général ainsi que la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité et le cadre constitutionnel créé en application de cette résolution pour déterminer si la déclaration d’indépendance du Kosovo par les autorités provisoires était ou non conforme au droit international26.
38. Enfin, dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, la Cour a examiné les circonstances factuelles, avant d’appliquer le principe de l’autodétermination, le principe de l’intégrité territoriale et d’autres principes du droit international pour apprécier si le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni était ou non licite et les conséquences que cette conclusion emportait27.
39. En conclusion, nous prions la Cour de donner l’avis consultatif demandé et de déterminer les conséquences juridiques qui découlent des effets cumulés des actes illicites commis par Israël dans le Territoire palestinien occupé, d’une part, et de l’illicéité de l’occupation israélienne résultant de ces effets, d’autre part. Le règlement définitif de ce problème qui se pose depuis longtemps sera le fruit de négociations entre Israël et la Palestine, mais, en répondant aux deux questions soumises par l’Assemblée générale, la Cour contribuera, conformément à son rôle en tant qu’organe judiciaire
23 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 49/75 K du 15 décembre 1994, doc. A/RES/49/75.
24 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 239, par. 23.
25 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 165, par. 69.
26 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 436, par. 78.
27 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 119, par. 92 ; p. 135, par. 161 ; et p. 138-139, par. 177.
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principal de l’Organisation des Nations Unies, au règlement d’une situation qui a déjà causé trop de souffrances.
La Haye, le 25 octobre 2023.
L’ambassadeur de la République du Chili auprès du Royaume des Pays-Bas,
(Signé) Jaime MOSCOSO VALENZUELA.
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