Exposé écrit du Bangladesh

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186-20230724-WRI-02-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18865
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DU BANGLADESH
24 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Par la résolution 77/247, adoptée le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’article 65 de son Statut, un avis consultatif sur les questions ci-après1 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ? [première question]
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) … ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? (doc. A/RES/77/247, dossier, pièce no 3) [seconde question]
2. Les observations ci-après sont soumises par le Gouvernement de la République populaire du Bangladesh conformément à l’ordonnance datée du 3 février 2023 par laquelle la Cour a fixé la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur ces questions pourraient lui être présentés.
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3. La demande de l’Assemblée générale intervient alors que la situation grave qui règne dans le Territoire palestinien occupé se détériore de façon dramatique. L’occupation israélienne, qui perdure maintenant depuis 56 ans, a franchi le seuil de l’illicéité. La répression, la dépossession et le contrôle des Palestiniens se poursuivent à un rythme soutenu, faisant rapidement s’éloigner toute perspective réaliste d’un État viable à l’intérieur des frontières antérieures à 1967 pour un peuple palestinien accédant à l’autodétermination.
4. C’est dans le contexte de l’augmentation du nombre de victimes palestiniennes, de la violence cautionnée par l’État, des expulsions et de l’annexion des terres, de l’exploitation des ressources palestiniennes, des déclarations de premiers ministres israéliens successifs affirmant ouvertement la
1 Les numéros de pièces citées dans le présent exposé correspondent à ceux qui figurent dans le dossier des documents compilés par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies en application du paragraphe 2 de l’article 65 du Statut de la Cour internationale de Justice.
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permanence de l’occupation israélienne
2 et de la création d’une situation irréversible sur le terrain3 que l’Assemblée générale a saisi la Cour au titre de sa compétence consultative.
5. La Cour a compétence pour rendre un avis sur les deux questions juridiques qui lui ont été soumises et elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en ce sens. Il n’existe aucune « raison décisive » justifiant qu’elle refuse de donner l’avis demandé4, d’autant qu’elle n’a jamais, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refusé de répondre à une demande d’avis consultatif. La Cour est appelée à procéder à un examen global de l’occupation israélienne et à donner un avis sur le statut juridique de cette occupation, et il lui faut répondre à cet appel, qui n’a que trop tardé.
6. S’agissant des objections qui pourraient être soulevées quant à la clarté des questions posées, à leur aspect politique ou à l’opportunité pour la Cour d’exercer sa fonction judiciaire en réponse à cette demande particulière, la Cour n’a pas besoin de chercher plus loin que son avis consultatif sur le mur5 pour écarter ces objections éculées.
7. S’agissant des objections qui pourraient être soulevées quant à l’adéquation des éléments de preuve soumis à la Cour pour permettre à celle-ci de répondre aux questions juridiques dont elle est saisie, les politiques et pratiques d’Israël sont à présent bien comprises et documentées de façon contemporaine (et en abondance). La Cour a à sa disposition 1 800 documents concernant les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, parmi lesquels figurent des résolutions contemporaines de l’Organisation des Nations Unies, ainsi que des rapports de rapporteurs spéciaux successifs et des rapports du Secrétaire général de l’Organisation. Elle est donc amplement en mesure de donner un avis consultatif sur les conséquences juridiques de ces pratiques et politiques et, peut-être plus fondamentalement, sur le statut juridique véritable de l’occupation israélienne.
8. Enfin, en ce qui concerne les objections qui pourraient être soulevées au motif qu’un avis consultatif risquerait de compromettre les négociations de paix, cette idée reçue i) va à l’encontre du droit de la responsabilité de l’État lorsque le comportement d’Israël est illicite, et ii) n’a jusqu’à présent été rien moins qu’un échec lamentable. Le droit international doit dicter les termes de toute solution future visant à remédier au sort du peuple palestinien. Ce dernier ne doit pas être contraint de négocier sa liberté face à un comportement illicite.
2 Voir Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, 12 août 2022, doc. A/HRC/49/87, note no 8 : « Le Premier Ministre Benjamin Netanyahou a déclaré en 2018 que les Palestiniens pourraient avoir un “État-moins”, dans lequel Israël maintiendrait un contrôle de la sécurité sur l’ensemble du territoire palestinien. Voir Ben Sales, “Netanyahu says he supports a Palestinian ‘state-minus’ controlled by Israeli security”, Jewish Telegraphic Agency, 24 Octobre 2018. En 2022, le premier ministre Naftali Bennett a déclaré : “Je suis opposé à un État palestinien et m’efforce d’empêcher la tenue de négociations diplomatiques qui pourraient aboutir à la création d’un État palestinien.” Voir Mazal Mualem, “Bennett, in interview blitz, reacts to Netanyahu criticisms”, Al-Monitor, 31 janvier 2022 » (dossier, pièce no 1539).
3 Voir Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, 22 octobre 2018, doc. A/73/447, par. 30 (dossier, pièce no 1425).
4 Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155 ; voir également Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 79, par. [30] ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44.
5 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
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9. Dans le reste du présent document sont formulées de brèves observations, qui concernent principalement la seconde question dont la Cour est saisie. Pour les raisons exposées ci-après, le Bangladesh est d’avis que la Cour devrait conclure à l’illicéité de l’occupation israélienne6.
II. L’OCCUPATION ISRAÉLIENNE DU TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ EST ILLICITE
10. L’occupation israélienne du territoire palestinien est depuis longtemps perçue comme une question humanitaire, surveillée et analysée au coup par coup à l’aune des normes existantes du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme7. La licéité de l’occupation dans son ensemble n’a, hormis dans le cadre des premières résolutions de l’Assemblée générale8, pas encore fait l’objet d’un examen faisant autorité. De façon générale, Israël est traité comme la puissance occupante légale, en dépit des graves violations du droit international qu’il commet9. En rupture avec cette tradition totalement inadéquate, il est directement demandé à la Cour, dans la seconde question qui lui est soumise, de donner un avis sur la licéité de l’occupation israélienne dans son ensemble et les conséquences qui en découlent.
11. Le Bangladesh est d’avis que le statut juridique de l’occupation est pour sa part d’une importance cruciale.
12. Si l’occupation devait être déclarée illicite, cette qualification serait inévitablement « la première mesure qui s’impose[rait] si l’on v[oulai]t faire cesser la situation illégale »10, conformément au droit de la responsabilité de l’État11. Un constat d’illicéité obligerait Israël, à tout le moins, à mettre fin à l’occupation. Le démantèlement des colonies permettrait à son tour de s’attaquer à la « cause profonde »12 de l’assujettissement violent du peuple palestinien par Israël et de mettre un coup d’arrêt aux pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
13. De surcroît, constater l’illicéité de l’occupation permettrait aux Palestiniens de se dégager de l’emprise du prétendu processus de paix. Israël serait juridiquement tenu de se retirer du Territoire
6 Pour éviter toute ambiguïté, si le Bangladesh ne répond pas directement à la première question posée à la Cour, il est toutefois d’avis que les politiques et pratiques d’Israël auxquelles il est fait référence sont illicites.
7 A. Imseis, « Negotiating the Illegal: On the United Nations and the Illegal Occupation of Palestine, 1967–2020 », European Journal of International Law, 2020, vol. 31, p. 1059.
8 Voir, par exemple : Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 32/20 du 25 novembre 1977, doc. A/RES/32/20 ; 33/29 du 7 décembre 1978, doc. A/RES/33/29 ; 34/70 du 6 décembre 1979, doc. A/RES/34/70 ; 35/122E du 11 décembre 1980, doc. A/RES/35/122E ; 35/207 du 16 décembre 1980, doc. A/RES/35/207 ; et 36/147E du 16 décembre 1981, doc. A/RES/36/147E.
9 Voir Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, 23 octobre 2017, doc. A/72/556 (dossier, pièce no 1424).
10 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 52, par. 111.
11 Voir Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session (23 avril-1er juin et 2 juillet-10 août 2001), Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, Nations Unies, doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), p. 26–31 (projet d’articles sur la responsabilité de l’État), art. 30 a).
12 Pour reprendre la terminologie adoptée par Francesca Albanese, Nations Unies, rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, 21 septembre 2022, doc. A/77/356, par. 10 (dossier, pièce no 1429).
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palestinien occupé et de réparer le préjudice causé, plutôt que de mener des négociations politiques — il serait empêché de négocier les conséquences de son comportement illicite
13.
14. La promesse d’un État palestinien fondé sur un règlement diplomatique reposant sur le droit occupe une place importante dans l’agenda international depuis 1948. Le droit du peuple palestinien à un État indépendant est aujourd’hui étayé par une abondante pratique étatique ainsi que par l’opinio juris. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies ont adopté d’innombrables résolutions sur la « question palestinienne » depuis 1948, reconnaissant, entre autres droits, le droit au retour des réfugiés palestiniens et le droit des Palestiniens à créer un État indépendant à l’intérieur des frontières antérieures à 196714. L’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme ont reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination15. Plus important encore, la Cour, dans son avis consultatif sur le mur, a expressément affirmé le droit du peuple palestinien à l’autodétermination en vertu du droit international16.
15. Nonobstant la reconnaissance de ces droits, le droit a en pratique été désespérément écarté pendant 75 ans en faveur d’une solution politique. Il suffit de lire les objections soulevées en réponse à la requête pour avis consultatif qui avait été présentée à la Cour par l’Assemblée générale à propos du mur pour voir à quel point la solution négociée a été mise en avant de façon disproportionnée, et ce, en dépit de l’illicéité du comportement d’Israël17. Cette insistance injustifiée s’est révélée totalement infructueuse18.
16. Une décision de la Cour concernant le statut juridique de l’occupation, ainsi que les conséquences qui découlent de celui-ci, aurait un réel effet pratique pour l’avenir du peuple palestinien.
A. Cadre normatif applicable aux fins d’établir le statut juridique de l’occupation
17. S’agissant du fond de la seconde question dont la Cour est saisie, le Bangladesh estime que l’occupation israélienne est illicite, quelle que soit la manière dont on la comprend et on l’analyse.
13 Ainsi que le fait observer A. Imseis — voir la note no [7] ci-dessus, p. 1066 : « un fondement élémentaire » du droit de la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite est qu’« un État ne saurait négocier les conséquences de son comportement illicite ». Il ressort clairement des obligations codifiées qui incombent à l’État responsable d’un fait internationalement illicite que celles-ci ne sont pas subordonnées à la négociation, pas plus qu’elles ne laissent de place à celle-ci. De même, l’obligation de non-reconnaissance énoncée à l’article 41 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite empêcherait la tenue de toute négociation sur les conséquences d’une situation déclarée illicite.
14 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 194 (III) du 11 décembre 1948, doc. A/RES/194(III) ; Conseil de sécurité, résolution 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334 (dossier, pièce no 1372).
15 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 2672 (XXV) (C) du 8 décembre 1970, doc. A/RES/2672(XXV)(C) (dossier, pièce no 946) ; 3070 (XXVIII) du 30 novembre 1973, doc. A/RES/3070(XXVIII) (dossier, pièce no 289). Voir aussi, plus récemment, résolution 77/208 du 15 décembre 2022, doc. A/RES/77/208 (dossier, pièce no 381). Voir également dossier, pièce no 353-380.
16 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 182-183, par. 118.
17 Voir, par exemple, exposé écrit du Gouvernement de l’Australie en date du 29 janvier 2004.
18 Voir N. H. Aruri, « Is the Two-State Settlement Still Viable? » in The Failure of the Two-State Solution: The Prospects of One State in the Israel-Palestine Conflict, H. A. Faris (sous la dir. de), 2013, p. 65-66.
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18. La notion d’« occupation illicite » a été reconnue, dans une certaine mesure, par la « communauté internationale agissant collectivement »19 par la voie de résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale20. Elle a aussi été reconnue comme un fait internationalement illicite par la Cour21. Les paramètres permettant d’établir la licéité d’une occupation font toutefois toujours l’objet de discussions. Une question préliminaire capitale à laquelle la Cour doit répondre — bien qu’elle soit implicite — est donc celle du cadre normatif applicable aux fins d’examiner le statut juridique de l’occupation israélienne (même si la Cour n’a pas besoin d’établir un cadre applicable de façon universelle).
19. Le Bangladesh est d’avis que les démarches adoptées par l’ancien rapporteur spécial des Nations Unies, Michael Lynk, dans son rapport de 2017 à l’Assemblée générale, et la rapporteuse actuelle, Francesca Albanese, dans son rapport de 2022, sont pertinentes, et que la Cour devrait adopter l’une d’elles, ou les deux. Ces deux démarches présentent des points communs, mais offrent en définitive deux voies pour déterminer le statut juridique de l’occupation.
20. Dans son rapport de 2017 à l’Assemblée générale, M. Lynk a proposé quatre critères pour déterminer si une occupation est licite ou illicite, à savoir :
i) l’occupant belligérant ne peut annexer aucune partie du territoire occupé ;
ii) l’occupation belligérante doit être provisoire ; elle ne saurait s’étendre de manière permanente ou indéfinie. L’occupant est tenu de chercher à mettre fin à l’occupation et à remettre le territoire au dépositaire de sa souveraineté dès qu’il est raisonnablement possible de le faire ;
iii) pendant la durée de l’occupation, l’occupant belligérant doit agir dans l’intérêt de la population sous occupation ; et
iv) l’occupant belligérant doit administrer le territoire occupé de bonne foi, laquelle s’apprécie au regard : a) de la mise en oeuvre des trois principes fondamentaux énoncés aux points i) à iii) ci-dessus ; et b) du respect des devoirs et obligations qui s’imposent en vertu du droit international humanitaire et des droits de l’homme, et en tant que Membre des Nations Unies.
21. L’examen de la licéité sur la base de quatre critères proposé par M. Lynk est une démarche solide au moins pour trois raisons. Premièrement, il repose sur des principes de droit international incontestés22.
22. Deuxièmement, il est tout à fait logique, en ce qu’il s’appuie sur les principes fondamentaux du droit de l’occupation pour établir l’illicéité de celle-ci. La démarche de M. Lynk part du postulat qu’une violation par la puissance occupante des principales obligations qui lui incombent s’analyse en un excès de pouvoir et rend l’occupation illicite23. Il est difficile de concevoir fondement plus simple et plus convaincant pour contester la licéité d’une occupation. Si un territoire occupé est administré
19 Y. Ronen, « Illegal Occupation and its Consequences », Israel Law Review, 2008, vol. 41, nos 1-2, p. 203-204.
20 Voir Nations Unies, « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la charte des Nations Unies » (1970), Assemblée générale, résolutions 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, doc. A/RES/2625 (XXV) et A/8082 ; 2542 (XXIV) du 11 décembre 1969, doc. A/RES/2542 (XXIV) et A/7630, art. 26 ; et 42/22 du 18 novembre 1987, doc. A/RES/42/22.
21 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 280, par. 345.
22 Voir Lynk, note no [9] ci-dessus, par. 20-37 (dossier, pièce no 1424).
23 Ibid., par. 26-28.
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directement en violation des obligations fondamentales de l’occupant belligérant, ce dernier ne saurait logiquement être réputé agir dans les limites de son pouvoir. De surcroît, une occupation qui dépend d’un comportement illicite, et ne peut être maintenue qu’en violation du droit international, est nécessairement intrinsèquement illicite
24. Toute autre conclusion reviendrait à approuver de façon inadmissible le système par lequel ledit comportement illicite est perpétré et, partant, légitimerait celui-ci.
23. Troisièmement, la démarche de M. Lynk respecte les paramètres établis par la Cour dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain). Cet avis était le fruit d’une résolution liée à l’ancien système de mandat dans laquelle le Conseil de sécurité déclarait « illégale » la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie. Toutefois, ainsi que l’a fait observer M. Lynk dans son rapport de 2017, la Palestine et la Namibie se trouvant dans des « situations similaires », et au vu des obligations qui incombent aux puissances concernées dans les deux cas, on peut conclure que25« les principes juridiques applicables au maintien illégal d’un mandat par son mandataire va[lent] aussi, mutatis mutandis, pour la question de savoir si le maintien d’une occupation par la puissance occupante est devenu illégal ».
24. La Cour a quant à elle énoncé plusieurs principes pertinents pour l’analyse de M. Lynk, et notamment que
i) la violation délibérée et persistante de ses obligations par le mandataire détruit l’objet même et le but du rapport entre les parties au mandat ou du pouvoir conféré au mandataire, et que ce dernier ne saurait par conséquent revendiquer aucun des droits découlant de ce rapport26 ; et
ii) la violation par le mandataire des obligations fondamentales que lui impose le droit international peut rendre illégale sa présence continue sur le territoire soumis au mandat27.
25. Ces conclusions, bien que formulées à propos du système du mandat, doivent s’appliquer mutatis mutandis à un occupant belligérant : si le mandat de l’Afrique du Sud a pu être déclaré illégal en raison de la violation par celle-ci des instruments internationaux applicables, il peut en aller de même de l’occupation israélienne à raison de la violation par Israël du droit international coutumier.
26. Mme Albanese fait sienne la démarche de M. Lynk, mais ajoute que l’illicéité de l’occupation israélienne découle également28
« de la violation systématique d’au moins trois normes impératives du droit international, à savoir : l’interdiction de l’acquisition de territoires par la force ; l’interdiction de soumettre des peuples à des régimes de subjugation, de domination et d’exploitation
24 O. Ben-Naftali et al., « Illegal Occupation: Framing the Occupied Palestinian Territory », Berkeley Journal of International Law, 2005, vol. 23, no 3, p. 559 ; voir également Y Ronen, note no [19] ci-dessus, p. 205.
25 Voir Lynk, note no [9] ci-dessus, par. 41-44. Il est intéressant de relever que, ainsi que le fait observer M. Ronen (note no [19] ci-dessus, p. 214), si la Cour n’a pas employé l’expression « occupation illégale » dans son avis consultatif, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont, à la suite de cette décision, commencé à parler de Namibie « illégalement occupée » et à qualifier la situation d’« occupation illégale ».
26 Voir Lynk, note no [9] ci-dessus, par. 43 e), citant Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Snud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 43-44, par. 84 ; p. 46, par. 91 ; p. 47, par. 95-96 ; p. 48, par. 98 ; p. 48-49, par. 100 ; et p. 49, par. 102.
27 Ibid., par. 43 f), citant p. 51-52, par. 108-109 ; p. 52, par. 111 ; p. 53, par. 115 ; p. 54, par. 117 ; p. 55, par. 122-123.
28 Voir Albanese, note no [12] ci-dessus, par [10] b).
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étrangères, auxquels appartiennent la discrimination raciale et l’apartheid ; l’obligation qui incombe aux États de respecter le droit des peuples à l’autodétermination ».
27. Les trois normes impératives mentionnées par Mme Albanese sous-tendent elles-mêmes le droit de l’occupation (une violation de celles-ci ne résisterait donc pas à un examen à l’aune de la plupart des quatre critères établis par M. Lynk, voire de tous). Mme Albanese concentre toutefois son analyse sur la violation, par Israël, du droit incontesté du peuple palestinien à l’autodétermination.
28. Mme Albanese affirme que, en procédant à la « dé-palestinisation » du Territoire palestinien occupé, Israël viole le droit à l’autodétermination des Palestiniens en29 :
i) installant sa population civile sur ce territoire ;
ii) procédant à la fragmentation stratégique de ce territoire, laquelle lui permet de contenir et de contrôler de façon différenciée le peuple palestinien et d’appliquer des régimes administratifs et militaires différents en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza ;
iii) exploitant les ressources naturelles de la Palestine ;
iv) effaçant les droits culturels et civils des Palestiniens ; et
v) empêchant la formation et l’expression d’une entité politique palestinienne cohésive et fonctionnelle.
29. Sur la base de ce comportement, Mme Albanese conclut à l’illicéité de l’occupation israélienne30. Sa démarche, tout comme celle de M. Lynk, tire sa force de sa simplicité et de son caractère intuitif. Elle part du postulat qu’une occupation reposant sur la violation d’une norme de jus cogens à laquelle il ne saurait être dérogé et ayant des effets erga omnes est illicite31. On voit difficilement comment un régime dépendant de la violation de normes de jus cogens, et qui perpétue cette violation, pourrait être juridiquement ou moralement défendable.
B. Le statut juridique de l’occupation israélienne à la lumière des cadres normatifs proposés
30. Le Bangladesh soutient que l’occupation israélienne est illicite en raison des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé (telles que mentionnées dans la première question dont la Cour est saisie)32. Cette conclusion découle de l’application des deux cadres normatifs présentés ci-dessus.
29 Voir Albanese, note no [12] ci-dessus, par. 37-62.
30 Ibid., par. 35 et 63.
31 Pour un exposé des raisons pour lesquelles, et des circonstances dans lesquelles, la violation de normes de jus congens devrait conduire à la conclusion qu’une occupation est légale, voir, par exemple, Y. Ronen, note no [19] ci-dessus, p. 204-205.
32 Le Bangladesh fait observer qu’une conclusion juridique est formulée au sujet de certaines des politiques et pratiques décrites dans la première question, tout particulièrement sur le point de savoir si Israël viole le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Cela ne constitue pas un obstacle à ce que la Cour donne un avis sur les deux questions, mais nécessite simplement que celle-ci, en répondant à la première question, procède à un examen préliminaire concernant la violation de ce droit.
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31. Cette conclusion est corroborée par plusieurs politiques et pratiques d’Israël, même considérées isolément et indépendamment du reste de ses politiques et pratiques telles que mentionnées dans la première question. À titre d’exemple :
i) Israël mène en parallèle une stratégie de colonisation et d’annexion de facto du Territoire palestinien occupé, ce qui conduit inexorablement à conclure que l’occupation israélienne est illicite. D’une part, Israël a isolé et déplacé de force des Palestiniens, tout en s’appropriant leurs terres. D’autre part, il a construit et étendu des colonies de peuplement sur les terres qu’il s’était appropriées, et transféré des citoyens israéliens dans le Territoire occupé33. Israël n’a aucune intention de revenir sur la situation de fait qu’il a créée sur le terrain à l’aide de ces stratégies34. Il ne fait pas de doute que le projet colonial d’Israël ne satisfait à aucun des quatre critères proposés par M. Lynk aux fins d’établir la licéité de l’occupation. De surcroît, ce projet viole le droit à l’autodétermination (à savoir, la norme impérative pertinente dans la démarche proposée par Mme Albanese)35. L’occupation est donc illicite, que l’on suive l’une ou l’autre de ces deux démarches.
ii) De même, la création et le maintien par Israël d’un système juridique et politique double qui, d’une part, protège les droits, libertés et conditions de vie des colons israéliens juifs et, d’autre part, soumet les Palestiniens à des règles et à un contrôle militaires dépourvus des protections fondamentales en droit international, ne peuvent être interprétés que comme ne satisfaisant pas aux quatre critères établis par M. Lynk aux fins d’établir la licéité de la colonisation. De plus, pour autant que les mesures discriminatoires prises par Israël atteignent le niveau de l’apartheid, comme cela est de plus en plus évident36, l’occupation serait illicite à l’aune de la démarche prônée par Mme Albanese, puisqu’elle constitue une violation — et de fait, dépend de la violation — d’une norme de droit international impérative37.
III. CONSÉQUENCES DE L’ILLICÉITÉ ET CONCLUSION
32. Les conséquences qui découlent d’une éventuelle conclusion de la Cour selon laquelle l’occupation israélienne est illicite — en particulier en ce qui concerne tout État tiers — dépendent
33 Pour des évolutions et statistiques récentes, voir : rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, Nations Unies, 14 septembre 2022 doc. A/77/328, (dossier, pièce no 1408) ; rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, Nations Unies, 3 octobre 2022, doc. A/77/501 ; rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, Nations Unies, 3 octobre 2022, doc. A/77/493 (dossier, pièce no 72).
34 Voir Lynk, notes nos 2 et 9 ci-dessus.
35 Voir Albanese, note no [12] ci-dessus, par. 35 et 42. Outre le rapport de Mme Albanese, voir également, par exemple : Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022, doc. A/77/328 (dossier, pièce no 1408) ; rapport de la Commission des questions politiques spéciales et de décolonisation : pratiques et activités d’implantation israéliennes affectant les droits du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, 14 novembre 2022, doc. A/77/400 (dossier, pièce no 2) ; Conseil des droits de l’homme, droit du peuple palestinien à l’autodétermination, 1[1] avril 2022, doc. A/HRC/RES/49/28 (dossier, pièce no 1561) ; rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 7 février 2013 doc. A/HRC/22/63 (dossier, pièce no 1563).
36 Voir, par exemple, Lynk, note no 2 ci-dessus ; Nations Unies, ESCWA [CESAO — Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale], Israeli Practices towards the Palestinian People and the Question of Apartheid: Palestine and the Israeli Occupation, issue No. 1, doc. E/ESCWA/ECRI/2017/1 ; Al-Haq and others, Israeli Apartheid: Tool of Zionist Settler Colonialism, 2022 ; Human Rights Watch, A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution, 27 April 2021 ; J. Dugard, « Lifting the Guise of Occupation and Recourse to Action before the ICJ and ICC », The Palestine Yearbook of International Law Online, 2014, p. 9 ; V. Tilley, Beyond Occupation: Apartheid, Colonialism and International Law in the Occupied Palestinian Territories, 2012, p. 107-215.
37 Voir Albanese, note no [12] ci-dessus, par. 9 b).
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nécessairement du fondement sur lequel la Cour conclut à l’illicéité. Au minimum, toutefois, Israël doit mettre fin à son occupation (dans toutes ses manifestations), fournir des assurances et des garanties appropriées de non-répétition (lesquelles seraient, contrairement à la pratique habituelle, probablement nécessaires dans ce contexte) et réparer intégralement les dommages causés par l’occupation
38. Il est important de noter que, pour les raisons exposées ci-dessus, aucune de ces conséquences ne devrait être conditionnée à la négociation.
33. En conclusion, le Bangladesh prie instamment la Cour de donner un avis consultatif sur les questions dont elle est saisie et, ce faisant, de conclure à l’illicéité de l’occupation israélienne du Territoire palestinien occupé.
L’ambassadeur,
ambassade du Bangladesh à La Haye,
(Signé) Riaz HAMIDULLAH.
___________
38 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État, art. 30.

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Exposé écrit du Bangladesh

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