Exposé écrit de l'Afrique du Sud

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186-20230725-WRI-14-00-EN
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18874
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT PRÉSENTÉ PAR LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE D’AFRIQUE DU SUD
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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I. INTRODUCTION ............................................................................................................................... 1
II. CONTEXTE FACTUEL ...................................................................................................................... 1
III. COMPÉTENCE DE LA COUR .......................................................................................................... 2
IV. EXPOSÉ DE DROIT ....................................................................................................................... 11
V. CONCLUSION ............................................................................................................................... 36
I. INTRODUCTION
1. Le 30 décembre 2022, à la 56e séance de sa soixante-dix-septième session, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 77/247, par laquelle elle a décidé, en vertu de l’article 65 du Statut de la Cour internationale de Justice (ci-après « la Cour »), de demander à celle-ci de donner un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
2. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a transmis cette résolution à la Cour sous le couvert d’une lettre datée du 17 janvier 2023 et reçue le 19 janvier 2023. Le greffier de la Cour a ensuite notifié la requête à tous les États admis à ester devant la Cour, conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du Statut de la Cour (ci-après « le Statut »), par lettres en date du 19 janvier 2023.
3. Par une ordonnance du 3 février 2023, la Cour a décidé que l’ONU et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine, étaient jugés susceptibles de fournir des renseignements sur les questions qui lui avaient été soumises pour avis consultatif et pouvaient lui présenter, le 25 juillet 2023 au plus tard, leurs exposés écrits, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut, et que les États et organisations qui auraient présenté un exposé écrit pourraient présenter, le 25 octobre 2023 au plus tard, des observations écrites sur d’autres exposés écrits reçus par la Cour, conformément au paragraphe 4 de l’article 66 du Statut.
4. La question essentielle sur laquelle la Cour doit se prononcer en l’espèce est celle de la licéité de l’occupation par Israël du territoire palestinien et des questions juridiques qui en découlent, notamment en ce qui concerne la réalisation du droit des Palestiniens à l’autodétermination.
II. CONTEXTE FACTUEL
5. Dans son exposé, l’Afrique du Sud se fonde sur des faits rapportés dans de nombreux documents officiels et publications de l’ONU1, soumis pour certains à la Cour à l’occasion de la
1 En particulier le rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, établi en application de la résolution 5/1 du Conseil des droits de l’homme (A/77/356, 21 septembre 2022), celui de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël (A/HR/53/22, 9 mai 2023) et la résolution 49/28 adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 1er avril 2022, intitulée « Droit du peuple palestinien à l’autodétermination » (A/HRC/RES/49/28).
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demande d’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé2 (ci-après « Conséquences juridiques de l’édification d’un mur »).
6. Le présent exposé écrit s’inscrit dans le contexte de la politique étrangère de l’Afrique du Sud, qui reflète l’engagement de longue date du pays en faveur du développement d’un État palestinien viable et souverain, vivant en paix aux côtés de l’État d’Israël. L’Afrique du Sud appuie par conséquent les efforts internationaux déployés aux fins de l’établissement d’un État palestinien viable, vivant côte à côte avec Israël, en paix, à l’intérieur de frontières internationalement reconnues fondées sur celles qui existaient le 4 juin 1967 avant que n’éclate la guerre arabo-israélienne de 1967, et dont Jérusalem-Est serait la capitale, conformément aux résolutions pertinentes des Nations Unies, au droit international et aux conditions convenues au niveau international.
7. De même, la position stratégique de l’Afrique du Sud sur le conflit israélo-palestinien est conforme aux accords d’Oslo, à la feuille de route et au plan arabe de 2002, qui concluaient tous que le seul règlement viable à apporter au conflit en cours était la solution à deux États.
8. À cette fin, l’Afrique du Sud milite dans sa politique étrangère en faveur d’un plan de paix viable et durable pour le Moyen-Orient qui garantisse la souveraineté, l’intégrité territoriale et la viabilité économique de la Palestine, ainsi que l’égalité souveraine entre la Palestine et Israël. Le fait qu’un règlement du conflit continue de se faire attendre a donné lieu à un cycle de violences sans fin.
9. En application des dispositions de la Charte des Nations Unies, des résolutions et déclarations pertinentes de l’ONU et des pactes et instruments internationaux relatifs au droit à l’autodétermination, en tant que principe international et en tant que droit appartenant à tous les peuples du monde, et compte tenu du fait que l’autodétermination est une norme de jus cogens du droit international, le respect du droit du peuple palestinien à l’autodétermination est une condition préalable fondamentale pour parvenir à une paix juste, durable et globale au Moyen-Orient.
III. COMPÉTENCE DE LA COUR
Conditions requises pour l’exercice de sa compétence par la Cour
10. Les conditions requises pour que la Cour puisse exercer sa compétence sont claires : la Cour est compétente pour donner un avis consultatif demandé par l’Assemblée générale. Conformément au paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, la compétence de la Cour s’étend à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies. Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut dispose que la Cour peut examiner toute question juridique, à condition qu’elle en ait été priée par un organe ou une institution autorisé par ladite Charte à solliciter un tel avis. Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte prévoit que l’Assemblée générale peut demander à la Cour un avis consultatif sur toute question juridique. Quant à son article 10, il précise que « toutes questions ou affaires » rentrant dans le cadre de la Charte sont du ressort de l’Assemblée générale, tandis que le paragraphe 2 de l’article 11 dispose expressément que celle-ci est compétente pour traiter de « toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l’une quelconque des Nations Unies ».
2 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
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11. Pour remplir ces conditions, l’organe considéré doit être autorisé à demander l’avis consultatif et la demande doit porter sur une question de nature juridique, et non politique.
Réunion des conditions d’exercice de la compétence
12. Les questions dont la Cour est saisie proviennent de la résolution 77/247 que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptée le 30 décembre 2022, à la 56e séance de sa soixante-dix-septième session, et par laquelle elle a décidé, en application de l’article 65 du Statut, de demander à la Cour de donner un avis consultatif en l’espèce. Ces deux questions, citées ci-dessus au paragraphe 1 de notre exposé, sont d’ordre juridique. La Cour est priée de rendre un avis consultatif sur le droit d’un peuple à disposer de lui-même, sur la licéité de l’occupation d’un territoire par une puissance occupante et les pratiques que celle-ci met en oeuvre contre la population civile, et sur les conséquences juridiques qui résultent de cette situation pour la puissance occupante, les États tiers et les Nations Unies, tous points qui devront être traités par référence au droit international.
13. L’Afrique du Sud fait valoir que l’Assemblée générale des Nations Unies a compétence pour demander à la Cour l’avis consultatif en cause, celui-ci portant sur un cas qui, conformément aux dispositions de la Charte, est de son ressort et relève de sa responsabilité, outre qu’elle en est saisie depuis la création de l’ONU, que les questions soulevées sont de nature juridique et que la Cour, en sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations Unies, a compétence pour donner un avis consultatif qui aidera l’Assemblée générale et les États tiers à s’occuper de ce problème.
Objections possibles à la compétence de la Cour en l’espèce
14. Il se peut, à cet égard, que certains États soutiennent que la présente espèce porte sur une situation à l’égard de laquelle la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de décliner sa compétence. Des États risquent de contester la compétence de la Cour pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :
a) la question en cause est de nature politique et doit être réglée bilatéralement entre les États concernés, Israël et la Palestine, d’autant qu’un processus est en cours à cette fin ;
b) il s’agit d’une question d’ordre interne qui ne relève pas des pouvoirs des Nations Unies ;
c) il s’agit d’une question de nature contentieuse (il peut être soutenu à ce propos que les questions renvoyées à la Cour en l’espèce concernent une question juridique ou un différend bilatéral effectivement pendant entre deux ou plusieurs États, ou qu’un État intéressé n’a pas consenti au règlement d’un différend qui l’oppose à un autre État) et la demande d’avis consultatif vise à éviter les écueils liés à l’exercice de la compétence judiciaire en matière contentieuse ;
d) L’Assemblée générale a outrepassé la compétence que lui confère la Charte au vu du rôle permanent que joue le Conseil de sécurité dans le processus de paix au Moyen-Orient, notamment la question palestinienne.
15. Toutes ces objections possibles à sa compétence ont déjà été abondamment traitées par la Cour, comme en témoigne sa jurisprudence. L’Afrique du Sud soutient, pour les motifs exposés ci-après, qu’aucun des arguments pouvant être soulevés pour contester la compétence de la Cour ne trouve à s’appliquer dans la présente espèce.
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16. La Cour a, de fait, très rarement refusé d’exercer sa compétence lorsqu’elle a été saisie d’une demande d’avis consultatif. Sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, a statué en un cas isolé qu’elle devait refuser de donner un avis si le fait de répondre à la question qui lui était posée revenait à trancher un différend entre États, car cela aurait porté atteinte à la règle du consentement au règlement des différends entre États3. Elle a décliné de rendre un avis consultatif dans la procédure relative au Statut de la Carélie du Sud parce que la question concernait un différend entre la Russie et la Finlande4.
17. La Cour a réaffirmé l’idée qu’une demande d’avis consultatif ne devait pas, en principe, être rejetée5, et a eu plusieurs fois l’occasion de connaître de questions qui pouvaient être contentieuses, politiques ou liées à des questions d’ordre interne. Elle a précisé la procédure relative au Statut de la Carélie orientale à plusieurs reprises en la distinguant des procédures dont elle était saisie6. Ainsi, dans la demande d’avis consultatif au sujet des Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité (ci-après la « procédure relative à la Namibie (Sud-Ouest africain) »), qui concernait l’Afrique du Sud, elle a noté que l’État qui soulevait une exception d’incompétence était Membre des Nations Unies et participait aux débats de l’Assemblée (à la différence de la Russie dans la procédure relative au Statut de la Carélie orientale) et que le but de la saisine n’était pas de régler un différend, mais d’aider les Nations Unies à prendre des décisions sur les questions juridiques qui préoccupaient dans l’exercice de sa propre fonction l’organe politique demandant l’avis7.
18. De plus, s’agissant de son pouvoir discrétionnaire d’exercer sa compétence, la Cour a relevé dans la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur qu’il avait été argué qu’elle devrait refuser d’exercer sa compétence en raison de la présence, dans la requête de l’Assemblée générale, d’un certain nombre d’éléments qui rendraient cet exercice malvenu et étranger à sa fonction judiciaire8. La Cour a d’abord rappelé que le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, qui dispose que « [l]a Cour peut donner un avis consultatif », devait être interprété comme lui conférant le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même lorsque les conditions de sa compétence étaient remplies. Elle n’en a pas moins gardé présent à l’esprit que sa réponse à une demande d’avis consultatif « constitu[ait] [sa] participation ... à l’action de l’organisation et [que], en principe, elle ne devrait pas être refusée ». Il s’ensuivait que, compte tenu de ses responsabilités en tant qu’« organe judiciaire principal des Nations Unies » (article 92 de la Charte), la Cour ne devrait pas en principe refuser de donner un avis consultatif et qu’il faudrait des « raisons décisives » pour l’amener à opposer un tel refus9.
3 Dugard J., Dugard’s International Law: A South African Perspective, 5e édition, 2018, p. 468.
4 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 7.
5 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 19 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155.
6 Interprétation des traités de paix, op. cit., p. 71 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 23-29 ; Conséquences juridiques de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.1.J. Recueil 2004 (I), p. 157-159, par. 46-50.
7 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 22, par. 23-24.
8 Ibid., p. 156-164, par. 43-65.
9 Ibid., p. 156, par. 44.
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Dimension politique
19. Dans le cadre de l’avis consultatif du 28 mai 1948 rendu en la procédure relative aux Conditions d’admission d’un État aux Nations Unies10, il a été soutenu que la question dont était saisie la Cour n’était pas une question juridique, mais une question politique. Dans cette procédure, la Cour n’a pas pu attribuer un caractère politique à une requête qui, formulée en termes abstraits, l’invitait à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire11 en lui confiant l’interprétation d’une disposition conventionnelle. Elle a dit qu’elle ne se préoccupait pas des motifs qui avaient pu inspirer la requête et qu’elle ne devait pas non plus examiner les vues exprimées au Conseil de sécurité sur les différents cas que celui-ci traitait12. En conséquence, elle s’est déclarée compétente. Elle s’est également appuyée sur le fait qu’aucune disposition ne l’empêchait d’exercer sa compétence à l’égard de l’article 4 de la Charte des Nations Unies. La Cour a jugé que sa fonction dans ce cas était de nature interprétative et relevait de l’exercice normal de ses pouvoirs judiciaires13.
20. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné le 8 juillet 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires14, la Cour a fait observer qu’elle avait déjà eu l’occasion d’indiquer que des questions « libellées en termes juridiques et soul[evant] des problèmes de droit international ... [étaient], par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit ... [et avaient] en principe un caractère juridique »15. Elle a jugé que la question qui lui était posée par l’Assemblée générale était effectivement une question juridique, étant donné qu’elle était invitée à se prononcer sur la compatibilité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires avec les règles et principes pertinents du droit international. À cette fin, la Cour devait identifier les règles et principes existants, les interpréter et les appliquer à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires, répondant ainsi à la question posée en se fondant sur le droit. Le fait que cette question revêtait également des aspects politiques — ce qui est le cas de tant d’autres questions qui se posent dans la vie internationale — ne suffisait pas à lui enlever son caractère de « question juridique » et à « priver la Cour d’une compétence qui lui [était] expressément conférée par son Statut ». La nature politique des motifs pouvant être à l’origine de la demande ou les conséquences politiques éventuelles de l’avis n’avaient pas davantage de pertinence pour établir la compétence de la Cour de donner un tel avis16.
21. Dans l’avis consultatif relatif aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur qu’elle a rendu le 9 juillet 200417, la Cour a estimé qu’elle ne pouvait accepter le point de vue selon lequel elle n’était pas compétente en raison du caractère politique de la question posée18. Ainsi qu’il ressort clairement de sa jurisprudence constante sur ce point, la Cour a considéré que le fait qu’une question juridique présentait également des aspects politiques ne suffisait pas à lui enlever son caractère juridique et à priver la Cour de la compétence qui lui était expressément conférée par le Statut, et qu’elle « ne saurait refuser un caractère juridique à une question qui l’invit[ait] à s’acquitter
10 Conditions de l’admission d’un État comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 57.
11 Ibid., p. 61.
12 Ibid., p. 61.
13 Ibid., p. 61.
14 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226.
15 Sahara occidental, op. cit., p. 233-237, par. 13-15.
16 Ibid., p. 234, par. 13.
17 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 136.
18 Ibid., p. 162, par. 58.
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d’une tâche essentiellement judiciaire »
19. Elle a conclu en conséquence qu’elle avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution.
22. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné le 22 juillet 2910 dans la procédure concernant la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo20, la Cour a rappelé avoir maintes fois déclaré que le fait qu’une question revêtait des aspects politiques ne suffisait pas à lui ôter son caractère juridique21. Elle a ajouté que, quels que fussent ses aspects politiques, elle ne pouvait refuser de répondre aux éléments juridiques d’une question qui l’invitait à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir l’appréciation d’un fait au regard du droit international. La Cour a dit clairement que, lorsqu’elle examinait la question de savoir si elle était saisie d’une question juridique aux fins de la détermination de sa compétence, elle ne se préoccupait pas de la nature politique des motifs qui avaient pu inspirer la requête ni des éventuelles conséquences politiques de l’avis qu’elle donnerait22.
23. Il peut aussi être soutenu que, pour être qualifiée de juridique, une question doit être raisonnablement précise, faute de quoi elle ne saurait se prêter à une réponse de la Cour. Celle-ci a tranché ce point de façon concluante dans la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur23, en déclarant qu’« un manque de clarté dans le libellé d’une question ne saurait priver la Cour de sa compétence. Tout au plus, du fait de ces incertitudes, la Cour devra-t-elle préciser l’interprétation à donner à la question, ce qu’elle a souvent fait. »
24. Il est fait valoir que la question posée à la Cour en l’espèce est suffisamment claire en tant que question de droit international, ce qui permet à la Cour de se prononcer en procédant à ce qu’elle a fait par le passé, à savoir « déterminer les principes et règles existants … et les appliquer … apportant ainsi à la question posée une réponse fondée en droit ».24
25. L’Afrique du Sud estime que le fait qu’il puisse effectivement y avoir des conséquences politiques dans la présente espèce entre Israël et la Palestine, ou entre les Nations Unies et Israël et la Palestine ou tout autre État, ou quelque autre conséquence politique, n’empêche pas la Cour d’exercer sa compétence.
Procédure contentieuse
26. La Cour s’est prononcée sur l’exception d’incompétence soulevée au motif de la nature contentieuse de la procédure engagée, dans son avis consultatif donné le 30 mars 1950 sur l’Interprétation des traités de paix25. Elle s’est demandé si le fait que la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie avaient exprimé leur opposition à la procédure consultative ne devait pas l’amener, par application des principes régissant le fonctionnement des organes judiciaires, à refuser de répondre
19 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 155, par. 41.
20 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403.
21 Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 172, par. 14.
22 Conditions de l’admission d’un État comme Membre des Nations Unies, op. cit., p. 61 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, op. cit., p. 234, par. 13.
23 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 153-154, par. 38.
24 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, op. cit., p. 234, par. 13.
25 Ibid., p. 65.
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à la question. Elle a dit qu’une procédure contentieuse se concluant par un arrêt et une procédure consultative étaient deux choses différentes. Elle a jugé qu’elle avait le pouvoir d’examiner si, dans chaque cas, les circonstances étaient de nature à l’amener à refuser de répondre à la requête. Dans cette procédure, elle a affirmé que les États ne pouvaient empêcher la production d’un avis consultatif dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre, auraient reconnu l’opportunité
26, la Cour n’étant en outre pas invitée à se prononcer sur le fond de ces différends.
27. Dans la procédure relative à la Namibie (Sud-Ouest africain)27, des objections à la compétence de la Cour ont été soulevées. Dans son avis consultatif du 21 juin 1971, celle-ci a relevé que le Gouvernement sud-africain estimait que la Cour ne devait pas donner l’avis consultatif demandé, au motif que la question était en réalité de nature contentieuse parce qu’elle concernait un différend existant entre l’Afrique du Sud et d’autres États. La Cour a jugé qu’elle avait été priée d’examiner une requête présentée par un organe des Nations Unies ayant pour objectif d’obtenir un avis juridique sur les conséquences de ses propres décisions. Qu’elle puisse, pour donner sa réponse, avoir à se prononcer sur des questions de droit sur lesquelles des points de vue divergents existaient entre l’Afrique du Sud et les Nations Unies ne transformait pas cette affaire en un différend entre États28. La Cour n’a vu aucune raison de refuser de répondre à la requête pour avis consultatif en cette procédure.
28. Dans son avis consultatif du 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental, la Cour a examiné la question de sa compétence29. S’appuyant sur le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, elle a dit qu’elle pouvait donner un avis consultatif sur toute question juridique à la demande de tout organe dûment autorisé. Elle a noté que l’Assemblée générale des Nations Unies était dûment fondée à demander un tel avis en vertu du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte et que les deux questions qui lui étaient posées étaient libellées en termes juridiques et soulevaient des problèmes de droit international. Même si elles présentaient également des aspects de fait et même si elles n’invitaient pas la Cour à se prononcer sur des droits et des obligations existants, il s’agissait de questions de principe et à caractère juridique. La Cour a dit qu’elle était compétente pour connaître de la requête.
29. Dans la même procédure, et à propos de la question de savoir s’il était approprié qu’elle donne un avis consultatif, la Cour a noté que l’Espagne avait soulevé des objections démontrant selon elle que le prononcé d’un avis consultatif en l’espèce serait rendu incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour30. L’Espagne, se référant en premier lieu au fait qu’elle n’avait pas consenti à ce que la Cour statue sur les questions qui lui avaient été soumises, soutenait que ces questions portaient sur un point pour l’essentiel identique à l’objet d’un différend concernant le Sahara occidental que le Maroc, en septembre 1974, l’avait invitée à soumettre conjointement à la Cour, proposition qu’elle avait rejetée. Elle faisait valoir que la compétence consultative était donc utilisée pour tourner le principe selon lequel la Cour n’a compétence pour régler un différend qu’avec le consentement des États. Elle soutenait également que la procédure concernait un différend relatif à l’attribution de la souveraineté territoriale sur le Sahara occidental et que le consentement des États était toujours nécessaire pour statuer sur de tels différends.
30. Examinant ces arguments, la Cour a fait observer que l’Assemblée générale, tout en notant qu’une controverse juridique sur le statut du Sahara occidental s’était fait jour au cours de ses débats,
26 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, op. cit., p. 71 et 77.
27 Namibie (Sud-Ouest africain), op. cit., p. 16.
28 Ibid., p. 24, par. 34.
29 Sahara occidental, op. cit., p. 12 ; voir également p. 18-21, par. 14-22.
30 Ibid., p. 21-37, par. 23-74.
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n’avait pas pour but de saisir la Cour d’un différend ou d’une controverse juridique en vue de son règlement pacifique ultérieur, mais avait demandé un avis consultatif qu’elle estimait utile pour pouvoir exercer ses fonctions relatives à la décolonisation du territoire
31, et que par conséquent la position juridique de l’Espagne ne pouvait être compromise par les réponses que la Cour apporterait aux questions posées. Elle a dit en outre que ces questions ne l’invitaient pas à se prononcer sur des droits territoriaux existants.
31. La Cour a aussi examiné les résolutions adoptées par l’Assemblée générale sur la question, de la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 portant déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux à celle dont la demande d’avis consultatif faisait l’objet. Elle a conclu que le processus de décolonisation envisagé par l’Assemblée générale respecterait le droit des populations du Sahara occidental de déterminer leur statut politique futur par la libre expression de leur volonté. Ce droit à l’autodétermination, qui n’était pas modifié par la demande d’avis consultatif et constituait un des fondements des questions posées à la Cour, laissait à l’Assemblée générale une certaine latitude quant aux formes et aux procédés selon lesquels il devait être mis en oeuvre32.
32. En conséquence, l’avis consultatif fournirait à l’Assemblée générale des éléments juridiques pertinents pour la poursuite de l’examen du problème auquel faisait allusion la résolution demandant l’avis consultatif. De plus, la Cour n’a trouvé aucune raison décisive de refuser de répondre aux deux questions posées dans la requête.
33. Pour revenir à l’avis consultatif du 9 juillet 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur33, il a été soutenu devant la Cour que celle-ci ne devait pas exercer sa compétence dans cette procédure parce que la demande concernait un différend entre Israël et la Palestine à l’égard duquel Israël n’avait pas accepté la juridiction de la Cour.
34. Selon cet argument, l’objet de la question de l’Assemblée générale faisait « partie intégrante du différend israélo-palestinien plus large qui concern[ait] des questions liées au terrorisme, à la sécurité, aux frontières, aux colonies de peuplement, à Jérusalem et à d’autres questions connexes ». La Cour a relevé que l’absence de consentement à sa juridiction contentieuse de la part des États intéressés était sans effet sur la compétence qu’elle avait de donner un avis consultatif34, mais elle a rappelé sa jurisprudence sur la question de savoir si le défaut de consentement d’un État intéressé pouvait rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour — par exemple si le fait d’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant.
35. S’agissant de la demande d’avis consultatif dont elle était saisie dans la procédure susmentionnée, la Cour a pris note du fait qu’Israël et la Palestine avaient exprimé des vues radicalement opposées sur les conséquences juridiques de la conduite d’Israël, sur laquelle elle était priée de se prononcer dans son avis. Cependant, comme elle l’avait elle-même noté auparavant, « [p]resque toutes les procédures consultatives [avaie]nt été marquées par des divergences de vues ». De plus, la Cour n’estimait pas que l’objet de la requête de l’Assemblée générale pût être considéré seulement comme une question bilatérale entre Israël et la Palestine. Compte tenu des pouvoirs et
31 Sahara occidental, op. cit., p. 21, par. 23 ; p. 26-27, par. 38 ; et déclaration du juge Gros, p. 72, par. 4.
32 Ibid., p. 36, par. 71.
33 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 136.
34 Ibid., p. 158, par. 47.
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responsabilités de l’ONU à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, elle a été d’avis que la construction du mur devait être considérée comme intéressant directement l’ONU en général et l’Assemblée générale en particulier. La responsabilité de l’Organisation à cet égard trouvait également son origine dans le mandat et dans la résolution relative au plan de partage de la Palestine. Cette responsabilité a été décrite par l’Assemblée générale comme « une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale ». L’objet de la requête dont la Cour était saisie était d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estimait utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis était demandé à l’égard d’une question qui intéressait tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrivait dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral
35. Dans ces circonstances, la Cour a estimé que rendre un avis n’aurait pas pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif.
36. La Cour est ensuite passée à l’examen d’un autre argument avancé pour étayer la thèse selon laquelle elle devait refuser d’exercer sa compétence, à savoir qu’un avis consultatif de la Cour sur la licéité du mur et les conséquences juridiques de sa construction pourrait faire obstacle à un règlement politique négocié du conflit israélo-palestinien. En particulier, il était soutenu qu’un tel avis pourrait porter atteinte à la « feuille de route », qui prescrivait à Israël et à la Palestine le respect d’un certain nombre d’obligations au cours des différentes phases qui y étaient prévues. La Cour a fait observer qu’elle n’ignorait pas que la « feuille de route », qui avait été entérinée par le Conseil de sécurité, constituait un cadre de négociation visant au règlement du conflit israélo-palestinien, mais que l’influence que son avis pourrait avoir sur ces négociations n’apparaissait cependant pas de façon évidente. Elle a conclu qu’elle ne pouvait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence.
37. Dans l’avis consultatif qu’elle a rendu le 22 juillet 2010 dans la procédure concernant la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo36, la Cour a d’abord vérifié si elle avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale. Elle s’est reportée au paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut et a noté que l’Assemblée générale était autorisée à demander un avis consultatif en vertu de l’article 96 de la Charte des Nations Unies. Elle a également rappelé le paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte qui dispose que,
« [t]ant que le Conseil de sécurité remplit, à l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la … Charte, l’Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande ».
La Cour a fait observer, comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire, qu’« [u]ne requête pour avis consultatif ne constitu[ait] pas en soi une “recommandation” de l’Assemblée générale “sur [un] différend ou [une] situation” »37. En conséquence, elle a conclu que l’article 12, s’il pouvait restreindre le champ d’action dont disposerait l’Assemblée générale après avoir reçu l’avis de la Cour, ne limitait pas en lui-même l’autorisation de demander un avis consultatif conférée à l’Assemblée générale par le paragraphe 1 de l’article 96. La Cour a noté que la question posée par l’Assemblée générale portait sur la question de savoir si la déclaration d’indépendance en cause était
35 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 159, par. 50.
36 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, op. cit., p. 412-415, par. 18-28.
37 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 148, par. 25.
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« conforme au droit international ». Une question invitant expressément la Cour à dire si une certaine action est conforme ou non au droit international est assurément une question juridique. En conséquence, la Cour a jugé qu’elle avait compétence pour donner un avis consultatif en réponse à la requête de l’Assemblée générale.
38. L’Afrique du Sud soutient que, au vu de la jurisprudence de la Cour, le fait qu’il puisse exister des questions de nature contentieuse (notamment que la procédure concerne une question juridique effectivement pendante entre des États, ou qu’un État intéressé n’ait pas donné son consentement) n’empêche pas la Cour d’exercer sa compétence compte tenu des éléments exposés ci-dessus.
L’Assemblée générale a outrepassé sa compétence
39. L’Afrique du Sud a déjà affirmé que l’objet de la requête en cause est du ressort de l’Assemblée générale38. Néanmoins, le paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte s’applique à cet égard, en ce qu’il dispose que
« [t]ant que le Conseil de sécurité remplit, à l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la … Charte, l’Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande. »
40. Dans la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur39, la Cour s’est prononcée fermement sur cette argumentation, concluant que, si le Conseil de sécurité a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, il ne s’agit pas nécessairement d’une compétence exclusive. Elle a ajouté que, même si l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité avaient interprété, dans un premier temps, l’article 12 comme signifiant que l’Assemblée générale ne pouvait formuler de recommandations sur une question relative au maintien de la paix et de la sécurité internationales inscrite à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, cette interprétation avait évolué par la suite et il existait depuis quelque temps une tendance croissante à voir les deux organes examiner parallèlement une même question.
41. L’Afrique du Sud considère, en conséquence, que l’Assemblée générale n’a pas commis d’excès de pouvoir ni outrepassé sa compétence lorsqu’elle a présenté la demande d’avis consultatif.
Conclusion sur la compétence
42. L’Afrique du Sud soutient que la Cour a le pouvoir d’exercer sa compétence sur les questions juridiques qui lui sont soumises par l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour les raisons exposées ci-dessus, le fait que des conséquences politiques, des aspects d’ordre interne ou des questions de nature contentieuse puissent y être liés n’empêche pas, selon elle, la Cour d’exercer sa compétence.
43. Si la Cour estime qu’une question de nature contentieuse susceptible de toucher un État est en cause, il lui appartient d’invoquer les articles 65 et 68 de son Statut et le paragraphe 2 de l’article 102 de son Règlement et d’adapter la procédure en conséquence. À supposer même qu’elle
38 Voir par. 13 ci-dessus.
39 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 148-150, par. 24-28.
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constate que l’avis consultatif concerne une question juridique effectivement pendante entre deux ou plusieurs États, il suffit à la Cour d’invoquer les droits prévus à l’article 31 de son Statut concernant les juges ad hoc ; elle n’en est pas pour autant privée de compétence et rien ne lui interdit d’exercer celle-ci.
44. Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Afrique du Sud estime que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale.
IV. EXPOSÉ DE DROIT
Considérations générales
45. Si les questions soumises à la Cour par l’Assemblée générale des Nations Unies portent pour l’essentiel sur les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et sur le statut juridique de l’occupation prolongée par Israël du territoire palestinien, les principes juridiques qui les sous-tendent sont de nature transversale et relèvent de plusieurs branches du droit international. L’Afrique du Sud entend dans le présent exposé mettre l’accent sur les points de droit suivants :
a) S’agissant de la question 1 : la position en droit relativement au droit à l’autodétermination d’un peuple, le droit relativement à l’occupation et les autres violations du droit international humanitaire et politiques discriminatoires qui contreviennent au droit international des droits de l’homme applicable aux territoires sous occupation ;
b) S’agissant de la question 2 : le statut juridique de l’occupation et les conséquences juridiques qui découlent de cette situation pour Israël, pour l’ONU et pour les États tiers.
Question 1 : autodétermination, occupation, droit international humanitaire et droit international des droits de l’homme
La position en droit relativement au droit à l’autodétermination
46. Le droit à l’autodétermination constitue un droit fondamental du droit international40. Il est indissociable des notions d’indépendance et de souveraineté, et l’ensemble de ces caractéristiques fondamentales de l’État ne peuvent être exercées que sur une base territoriale. En tant que notion politique, l’autodétermination est apparue après la première guerre mondiale dans des traités relatifs à la protection des minorités, dans le système des mandats41 et dans les revendications d’autodétermination des nations après l’implosion des empires austro-hongrois et ottoman42.
47. La notion d’autodétermination a ensuite été inscrite dans la Charte des Nations Unies. Le paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte dispose que l’un des buts de l’Organisation est de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des
40 Rapport de la rapporteuse spéciale Francesca Albanese, op. cit., par. 15 :
« Droit collectif par excellence, le droit à l’autodétermination est également un “ droit plateforme ” nécessaire à la réalisation de nombreux autres droits. Si un groupe de population n’est pas libre de déterminer son statut politique et de poursuivre son développement économique, social et culturel en tant que peuple, il est presque certain que d’autres de ses droits ne seront pas reconnus. »
41 Shaw M. N., International Law, 7e édition., 2014, Cambridge University Press, p. 183.
42 Pedersen S., The Guardians: The League of Nations and the Crisis of Empire, 2017, Oxford University Press, p. 400.
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peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, tandis que l’article 55 traite des manières dont l’Organisation doit créer les conditions nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe et du droit en question. L’insertion de la notion d’autodétermination dans la Charte en tant que principe et non en tant que droit juridique, cependant, marque le début d’un processus qui a mené à la cristallisation d’un droit juridiquement opposable :
« Bien que l’autodétermination soit mentionnée dans la Charte “seulement” en tant que “principe” et non en tant que droit juridique, son apparition dans un instrument conventionnel établissant une organisation internationale ayant vocation à une composition universelle était une étape très importante dans l’évolution de l’autodétermination vers le statut de droit positif en droit international »43.
L’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels confirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit présente une dimension tant politique qu’économique : d’une part, la capacité d’un peuple à déterminer librement son statut politique, à choisir son propre gouvernement et à se gouverner sans ingérence et, d’autre part, le droit collectif d’assurer librement son développement économique, social et culturel et de jouir de ses richesses et de ses ressources naturelles44.
48. Le paragraphe 1 de l’article 20 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est venu étayer cette position en disposant que tout peuple a « un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination ». Ce droit a de surcroît été confirmé dans maintes résolutions des Nations Unies, au premier rang desquelles figurent la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale portant déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale portant déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies.
49. Shaw confirme que, même s’il existe une certaine incertitude quant à la question de savoir si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était un droit juridique lors de son insertion dans la Charte, la pratique ultérieure au sein des Nations Unies depuis 1945 a établi « le statut juridique de ce droit en droit international »45 et l’existence d’un tel droit lors de l’adoption de la résolution 1514 (XV)46 en 1960 et des pactes internationaux en 1966. Dugard47 assure aussi que le droit à l’autodétermination, en tant que droit juridique en droit international, n’est plus sérieusement remis en cause.
50. Le droit à l’autodétermination est un droit inaliénable du peuple palestinien48. La Cour a aussi soutenu cette position dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur49. Elle a fait observer que l’existence du « peuple palestinien » ne saurait plus faire débat
43 Raic D., Statehood and the Law of Self-Determination, thèse de doctorat, Université de Leiden, 2002, p. 200.
44 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article premier.
45 Shaw M. N. , op. cit., p. 183-184.
46 Que l’on a surnommée « Magna Carta de la décolonisation », voir “The Magna Carta of decolonization”, Strydom H. (dir. publ.), International Law, 2016, Oxford University Press, p. 51.
47 Dugard J., op. cit., p. 149.
48 Pour un aperçu des origines de ce droit pour les Palestiniens, voir Albanese, op. cit., par. 25-32.
49 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 182-184, par. 118-122. Voir également Sahara occidental, op. cit., p. 31-33, par. 55-57.
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et a été reconnue par Israël, qui est ainsi tenu de respecter le droit susmentionné, mais a pris des mesures qui « [ont] dress[é] [] un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viole de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit ».
51. De fait, le droit à l’autodétermination est une norme impérative ou norme de jus cogens qui, du fait de son caractère erga omnes, concerne tous les États50. Tous les États ont un intérêt juridique collectif à la réalisation et à la protection de ce droit et à son respect51. Dans l’affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie)52, la Cour a déclaré qu’« il n’y a rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes » et qu’« il s’agit là d’un des principes essentiels du droit international contemporain ». La Cour a en outre dit dans son avis consultatif relatif aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur53 que « [l]es obligations erga omnes violées par Israël sont l’obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ainsi que certaines des obligations qui sont les siennes en vertu du droit international humanitaire ». Plusieurs résolutions du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies concluent que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien est violé du fait « de l’existence et de la poursuite de l’extension des colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »54.
52. Israël occupe le territoire palestinien (qui comprend la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et Gaza) depuis la guerre des Six Jours de juin 1967. Il a annexé Jérusalem-Est et certaines parties de la Cisjordanie en 1967 par décision du Gouvernement et a proclamé Jérusalem capitale « entière et réunifiée » du pays au moyen de la loi fondamentale qu’il a adoptée sur cette ville. Israël annexe en outre de facto certaines parties de la Cisjordanie occupée55.
53. Néanmoins, l’occupation du Territoire palestinien occupé et l’annexion de certaines de ses parties, qui entravent le plein exercice de l’autorité palestinienne et en réduisent le contrôle effectif sur le territoire, n’ont aucune incidence sur le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes et sur le fait que la Palestine est un État conformément aux principes du droit international public56.
54. Il n’est pas contesté que, en droit international, la conquête de territoire par l’emploi de la force est illicite. La puissance occupante ne peut annexer aucune partie du territoire qu’elle occupe
50 Une « norme impérative » est définie à l’article 53 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités comme étant « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».
51 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962), (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 22, par. 33.
52 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
53 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 199, par. 155.
54 A/HRC/RES/49/28, « Droit du peuple palestinien à l’autodétermination », 1er avril 2022.
55 Rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, A/72/556, 23 octobre 2017, par. 46.
56 Heinsch R. et Pinzauti G., “To Be (a State) or Not to Be? The Relevance of the Law of Belligerent Occupation with regard to Palestine’s Statehood before the ICC”, vol. 18 (2020), Journal of International Criminal Justice, p. 945 ; Ronen Y., “Palestine in the ICC: Statehood and the Right to Self-determination in the Absence of Effective Control”, vol. 18 (2020), Journal of International Criminal Justice, p. 947.
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et il incombe aux États de ne pas reconnaître pareille acquisition territoriale illicite
57. S’agissant du territoire occupé par Israël depuis la guerre des Six Jours de 1967, le Conseil de sécurité de l’ONU a souligné expressément, dans sa résolution 242 (1967), « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre »58, outre que l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient nécessitait le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés pendant le conflit. Il n’est pas contesté qu’une annexion résultant de l’emploi de la force a cours depuis 1967, en violation flagrante des principes du droit international.
55. Cela fait longtemps que l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît que le peuple palestinien détient le droit à l’autodétermination conformément à la Charte des Nations Unies, et se dit gravement préoccupée par le fait qu’il a été empêché de jouir de ses droits inaliénables, en particulier le droit à l’autodétermination59. Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, la Cour a aussi relevé que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été consacré dans la Charte des Nations Unies et réaffirmé par l’Assemblée générale, citant à l’appui la résolution 2625 (XXV)60.
56. Par suite, la Cour a conclu dans la procédure susmentionnée que l’édification du mur et les mesures prises auparavant avaient gravement privé le peuple palestinien de l’exercice de son droit à l’autodétermination61. En conséquence, elle a dit qu’Israël était tenu de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et les obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme62.
57. La Cour a de plus conclu en ces termes à l’illicéité des pratiques israéliennes en ce qui concerne le territoire palestinien occupé : « La Cour conclut que les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international. »63
58. La Cour a déclaré en outre que l’édification du mur et le régime associé qui était appliqué dans le territoire palestinien occupé créaient un fait accompli sur le terrain « qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas … la construction de ce [mur] équivaudrait à une annexion de facto »64.
57 Cette obligation remonte à l’époque de la Société des Nations. L’idée fut développée en 1934 dans les « articles d’interprétation de Budapest relatifs au pacte Briand-Kellogg » (Budapest Articles of Interpretation of the Kellogg-Briand Pact) rédigés par l’Association de droit international et dans plusieurs autres instruments internationaux, tels que le traité pacifique de 1933 de non-agression et de conciliation, la convention de 1933 sur les droits et devoirs des États, la Charte de 1948 de l’Organisation des États américains, la déclaration sur les relations amicales entre les États que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptée en 1970 et sa résolution 29/3314 de 1974 sur la définition de l’agression, dont le paragraphe 3 de l’article 5 prévoit ce qui suit : « Aucune acquisition territoriale ni aucun avantage spécial résultant d’une agression ne sont licites ni ne seront reconnus comme tels. » Voir aussi Shaw M. N., op. cit., p. 469.
58 L’Assemblée générale a aussi dénoncé l’annexion de ce territoire, voir résolutions 2253 (ES-V) et 2254 (ES-V).
59 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3236 (XXIX), adoptée le 22 novembre 1974.
60 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 171-172, par. 88.
61 Ibid., p. 183-184, par. 120.
62 Ibid., p. 197, par. 149.
63 Ibid., p. 184, par. 120.
64 Ibid., p. 184, par. 121.
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59. Dans sa résolution 2334 (2016), le Conseil de sécurité a condamné sans équivoque les pratiques de colonisation israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, notamment la construction et l’expansion de colonies de peuplement, le transfert de colons israéliens, la confiscation de terres, la destruction de maisons et le déplacement de civils palestiniens, réaffirmant que la création par Israël de colonies de peuplement n’avait aucun fondement en droit et constituait une violation flagrante du droit international.
60. Il est donc clair que l’annexion de Jérusalem-Est et de parties de la Cisjordanie et leur incorporation au territoire israélien se produisent en violation du droit international. Le principe du droit à l’autodétermination est indissociable de celui d’intégrité territoriale.
61. Dans la procédure relative au Sahara occidental, la Cour a confirmé que le principe énoncé au paragraphe 6 de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux65, qui interdit la destruction partielle ou totale de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale d’un territoire colonial, reflétait le droit international coutumier66. Se trouve ainsi soulevée la question du statut juridique des autres parties du Territoire palestinien occupé. Il a été avancé que l’occupation prolongée par Israël de ce territoire est en fait une forme de conquête qui ne dit pas son nom67, en d’autres termes, une occupation permanente de terres palestiniennes se perpétuant au-delà de l’occupation provisoire et donc une annexion de facto, et, par voie de conséquence, l’acquisition du territoire par l’emploi de la force.
62. La Cour a précédemment réaffirmé le caractère provisoire que revêt toute occupation lorsqu’elle a déclaré, dans la procédure relative à la Namibie (Sud-Ouest africain), que l’action menée par l’Afrique du Sud dans l’exercice de son mandat devait nécessairement avoir pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance du peuple de Namibie68.
63. Il n’existe pas de justification juridique à la poursuite de l’occupation et la réalisation du droit à l’autodétermination exigera, comme ce fut le cas dans d’autres cas d’occupation, le retrait de la force occupante69.
65 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 32, par. 55.
66 Voir Mosses M. “Revisiting the Matthew and Hunter Islands Dispute in Light of the Recent Chagos Advisory Opinion and Some Other Relevant Cases: An Evaluation of Vanuatu’s Claims relating to the Right to Self-Determination, Territorial Integrity, Unlawful Occupation and State Responsibility under International Law”, vol. 66, p. 475–506 (2019), Netherlands International Law Review, p. 486.
67 « De nos jours, certains États peuvent contourner la question de la conquête en poursuivant une occupation de longue durée et en créant des “faits” sur le terrain au moyen de l’établissement de colonies de peuplement, du détournement des voies de transport et de l’édification de barrières et de murs de sécurité. Il en va incontestablement ainsi de l’occupation des territoires palestiniens par Israël. », Clapham A., War, 2022, Oxford University Press, p. 117.
68 Cour internationale de Justice, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971. Lynk Michael, “Prolonged Occupation or Illegal Occupant?”, blog de l’European Journal of International Law, 16 mai 2018, accessible à l’adresse suivante : https://www.ejiltalk.org/prolonged-occupation-or-illegal-occupant/.
69 La communauté internationale a appelé à réaliser le droit à l’autodétermination dans cinq situations : en Namibie, au Cambodge, au Timor oriental, au Sahara occidental et dans les territoires palestiniens occupés. La résolution 2672 (XXV) adoptée le 8 décembre 1970 par l’Assemblée générale est la première d’une longue série appelant à l’autodétermination des territoires palestiniens occupés.
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64. La non-reconnaissance par Israël du droit des Palestiniens à l’autodétermination, à l’indépendance et à la souveraineté sur le territoire qui leur revient atteste clairement son intention sous-jacente de poursuivre l’acquisition permanente de territoire palestinien70.
Le droit international humanitaire applicable à l’occupation
65. L’occupation par Israël de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, ainsi que de Jérusalem-Est, qui composent les territoires palestiniens, a commencé il y a 56 ans et se poursuit à ce jour, ce qui en fait l’occupation la plus longue de l’histoire moderne. Le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a noté dans son rapport71 que de nouvelles colonies de peuplement continuaient d’être implantées sans répit, que, dans leurs déclarations, des dirigeants politiques, dont le premier ministre israélien, avaient appelé à poursuivre l’expansion de ces colonies, tandis que le transfert de ressortissants israéliens en territoire occupé se poursuivait sans relâche, en violation de l’interdiction énoncée à l’article 49 de la convention du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (ci-après la « quatrième convention de Genève ») et à l’alinéa a) du paragraphe 4 de l’article 85 du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), adopté le 8 juin 197772.
66. En droit international, le statut juridique d’une partie belligérante tire son caractère de l’occupation du territoire d’un autre État et de son placement sous l’autorité des forces armées de ladite partie, sans le consentement de l’État occupé, « même lorsque cette occupation ne se heurte à aucune résistance armée »73.
67. Le droit international humanitaire coutumier, ainsi que le règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre adopté à La Haye en 1907, constituent des sources du droit régissant l’occupation74. Celle-ci est aussi régie par la section III de la quatrième convention de Genève. Le protocole I additionnel aux conventions de Genève75 traite également de la protection des victimes civiles dans des territoires occupés.
68. L’article 42 du règlement de La Haye dispose qu’« un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie ». L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer76. Dans une telle situation, le droit des conflits armés doit s’appliquer. La puissance occupante est, en conséquence, tenue de
70 Azarova V., Israel’s Unlawfully Prolonged Occupation: Consequences under an Integrated Legal Framework, accessible à l’adresse suivante : https://ecfr.eu/publication/israels_unlawfully_prolonged_occupation_7294/.
71 A/72/556, 23 octobre 2017, par. 11.
72 L’alinéa a) du paragraphe 4 de l’article 85 prévoit que constitue notamment une infraction grave du protocole I et des conventions « le transfert par la Puissance occupante d’une Partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe … en violation de l’article 49 de la IVe Convention ».
73 Melzer N., sous la coordination de Kurster E., CICR, « Droit international humanitaire – Introduction détaillée », août 2016, p. 70.
74 Ibid.
75 Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), 8 juin 1977.
76 Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (adopté le 18 octobre 1907, entré en vigueur le 26 janvier 1910) (1907, Consolidated Treaty Series, vol. 205).
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s’acquitter de certaines obligations afin de garantir le respect du droit des conflits armés et de l’occupation.
69. Le droit international humanitaire qui régit les conflits armés internationaux est aussi applicable à des situations où le territoire occupé n’appartient pas à une haute partie contractante, mais à un peuple qui, dans l’exercice de son droit à l’autodétermination, lutte contre une occupation étrangère77. Cette notion est énoncée au paragraphe 4 de l’article premier du protocole I.
70. La reconnaissance du caractère provisoire de l’occupation au terme de laquelle le contrôle du territoire sera restitué au dépositaire originel de sa souveraineté est le principe le plus important du droit international humanitaire y relatif78. La Cour a confirmé ce caractère temporaire en soulignant que, en procédant au « règlement des titres fonciers »79, Israël « … sap[ait] le principe selon lequel une occupation est par nature temporaire »80. Toutefois, en dépit de ce principe fondamental, Israël a transformé le caractère provisoire de cette occupation dans les territoires palestiniens en une situation permanente. Le mépris et l’irrespect complets que manifeste Israël à l’égard des principes du droit international humanitaire rendent illicite son occupation des territoires palestiniens.
71. Il convient de rappeler que le droit de l’occupation a pour objet premier de protéger la population se trouvant sous occupation, notamment ses biens privés et publics81. Dans l’exposé qu’il a récemment fait sur la situation au Moyen-Orient devant le Conseil de sécurité, le coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient s’est dit préoccupé par le fait « que les civils rest[ai]ent les premières victimes de ces hostilités ». Il était particulièrement affligé de voir des enfants, qui ne devraient jamais faire l’objet de violences, continuer de faire partie des victimes en Palestine82.
72. Plusieurs dispositions visant à garantir des droits à la population civile dans le contexte d’un conflit armé figurent, entre autres, dans la quatrième convention de Genève. Kolb fait valoir que ces droits « visent à prévenir la commission de violences contre la population civile par la puissante occupante »83. Il avance en outre que cet instrument permet d’assurer le maintien du statu quo dans le territoire en ce qui concerne ses lois et institutions et la protection des droits de la population civile84. Il y a eu de nombreuses résolutions des Nations Unies, notamment, qui ont
77 Melzer N., op. cit. p. 60.
78 Tribunal militaire international de Nuremberg, procès des otages, p. 56. Le Tribunal a mis en évidence ce qui suit :
« S’il est vrai que les partisans ont pu, à diverses périodes, exercer leur autorité sur diverses parties de ces pays, il est établi que les Allemands étaient en mesure à tout moment, pour peu qu’ils l’eussent souhaité, de prendre matériellement le pouvoir dans n’importe quelle partie du pays. L’autorité exercée par les forces de résistance n’était que temporaire et ne pouvait, de ce fait, priver les forces armées allemandes de leur statut d’occupant. »
79 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 136.
80 Ibid.
81 Clapham, op. cit., p. 415.
82 Nations Unies, Conseil de sécurité, déclaration de M. Tor Wennesland, coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, « La situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne », 24 mai 2023, S/PV.9328, accessible à l’adresse suivante : https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/2023.05.24%20S_PV.9328.pdf
83 Kolb R. et Hyde R., An Introduction to the International Law of Armed Conflicts, 2008, Hart Publishing, p. 258.
84 Ibid., p. 235.
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reconnu qu’Israël avait l’obligation, conformément à la quatrième convention de Genève, « d’assurer la sécurité, le bien-être et la protection de la population civile palestinienne vivant sous son occupation dans le Territoire palestinien occupé »
85.
73. Cependant, malgré ces exhortations, Israël, en sa qualité de puissance occupante, ne respecte pas le droit international et ne se conforme pas à ses obligations découlant du droit de l’occupation. En conséquence, la violation des normes du droit international humanitaire qui visent à protéger la population civile se poursuit sans répit dans le Territoire palestinien occupé.
74. Il est donc fait valoir qu’Israël, en sa qualité de puissance occupante, n’agit pas au mieux des intérêts de la population vivant sous occupation et n’administre pas le territoire occupé de bonne foi, conformément aux obligations qui lui incombent en droit international et en tant qu’État membre des Nations Unies.
Colonies israéliennes dans le Territoire palestinien occupé
75. La communauté internationale, et notamment la société civile, s’est exprimée à de nombreuses reprises au sujet des actions d’Israël en Palestine. Dans certaines des déclarations ainsi faites, qui incluent des résolutions des Nations Unies, ces actions ont été qualifiées de violations du droit international86. Dans d’autres, c’est l’illicéité du comportement d’Israël qui est dénoncée87. Les politiques nationales adoptées par Israël depuis son occupation de la Palestine ont aussi suscité des critiques virulentes. En violation complète du droit international, des colonies israéliennes avaient déjà été établies après la guerre des Six Jours en 1967, lorsqu’Israël s’est emparé de certains territoires palestiniens. La Cour a conclu dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’[avaie]nt été en méconnaissance du droit international »88. Israël a adopté en 2016 une nouvelle politique en matière de colonies89. Le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné le 23 décembre 2016 ce comportement, exigeant d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé90. À une session extraordinaire d’urgence, l’Assemblée générale des Nations Unies91 a aussi adopté une résolution critiquant toute décision ou action visant à modifier « le caractère, le statut ou la composition démographique de la Ville sainte de Jérusalem »92. Elle a demandé à tous les États intéressés de rapporter ces décisions qui « n’ont aucun effet juridique [et]
85 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution A/HRC/46/22, « Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. », 15 février 2021.
86 UN News, « Israeli occupation of Palestinian territory illegal: UN rights commission », 20 octobre 2022, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2022/10/1129722.
87 Ibid.
88 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 184, par. 120.
89 Voir UN News, « Israel’s settlement ‘legalization bill’ would harm prospects for Arab-Israeli peace, UN envoy warns », 6 décembre 2016, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2016/12/547082.
90 Voir Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334 (2016) du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334 (2016).
91 Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-10/19 du 21 décembre 2017, intitulée « Statut de Jérusalem », accessible à l’adresse suivantes : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N17/462/00/PDF/N1746200.pdf? OpenElement.
92 Ibid.
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sont nulles et non avenues »
93. Plus récemment, Israël a adopté une politique étendant l’établissement déjà illicite de colonies de peuplement à Jérusalem-Est.
76. Les informations récentes indiquant qu’Israël aurait adopté des plans visant à étendre dans le Territoire palestinien occupé les colonies de peuplement, dont l’illicéité est déjà avérée, sont préoccupantes94. Le conseil des ministres israélien a adopté par décret un plan d’expansion des colonies dans le Golan syrien occupé visant à construire dans les cinq prochaines années, dans des colonies déjà établies, 7 300 unités résidentielles destinées à de nouveaux colons israéliens95. Il convient de garder ici à l’esprit le fait que, au début de son occupation du territoire, Israël avait promis d’autoriser le maintien de l’applicabilité sur les terres palestiniennes des lois locales qui étaient alors en vigueur96. Des gouvernements israéliens successifs ont, sur une longue période, établi, maintenu et agrandi des colonies et leurs infrastructures connexes97. Toutes ces politiques et pratiques ont débouché par la suite sur une vaste appropriation des terres et ressources naturelles palestiniennes98.
77. L’établissement de colonies israéliennes dans les territoires occupés par Israël est considéré comme illicite par la communauté internationale, car contraire à l’article 49 de la quatrième convention de Genève. Le paragraphe 6 de cet article dispose en effet que « [l]a Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle »99. Il est de toute évidence interdit à Israël, en application du droit international humanitaire et de certains instruments internationaux, de transférer sa population dans le Territoire palestinien occupé. Il s’ensuit que tout texte législatif autorisant la création ou l’extension de colonies « adopté par Israël pour faciliter l’établissement de colonies ou en établir serait contraire à l’article 43, en ce qu’il ne relèverait d’aucun des objectifs admissibles »100.
78. Certains auteurs constatent avec inquiétude que la législation israélienne « est progressivement passé outre aux limites et justifications y afférentes que prévoit le droit international humanitaire »101. Ils relèvent à cet égard la « tendance à une expansion législative croissante, qu’illustrent la nature et le champ d’application des textes législatifs israéliens examinés dans le
93 Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-10/19 du 21 décembre 2017, intitulée « Statut de Jérusalem », accessible à l’adresse suivantes : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N17/462/00/PDF/N1746200.pdf? OpenElement.
94 Al-Jazeera News, « Israel approves plans for thousands of illegal settlement homes », 26 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.aljazeera.com/news/2023/6/26/israel-approves-plans-for-thousands-of-illegal-settlement-homes.
95 Nations Unies, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, “End-of-Mission Statement of the United Nations Special Committee to Investigate Israeli Practices”, 15 juillet 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/statements/2022/07/end-mission-statement-un-special-committee-investigate-israeli-practices.
96 Boutruche T. et Sassòli M., Expert Opinion on the Occupier’s Legislative Power over an Occupied Territory Under IHL in Light of Israel’s On-going Occupation, juin 2017, p. 23, consulté à l’adresse suivante : https://www.nrc.no/globalassets/pdf/legal-opinions/sassoli.pdf.
97 Azarova, op. cit.
98 Ibid.
99 Comité international de la Croix-Rouge (CICR), convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (quatrième convention de Genève), 12 août 1949, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 75, p. 287.
100 Boutruche T. et Sassòli M., op. cit., p. 30.
101 Ibid, p. 3.
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cadre de cette évolution marquante qui recouvre l’adoption de lois à des fins prohibées (telles que les colonies de peuplement) et dans l’intérêt d’Israël et des Israéliens (y compris les colons) »
102.
79. L’annexion par Israël de territoire palestinien a été considérée comme une extension de la souveraineté de cet État et comme un acte illicite en droit international103. Israël a en outre commencé à adopter des lois qui régissent le territoire palestinien comme si celui-ci lui appartenait. Cet acte constitue, selon Boutruche et Sassòli, un « aspect d’une annexion de jure »104. Ces deux auteurs ont jugé inquiétant que « certains amendements législatifs adoptés par une puissance occupante peuvent non seulement emporter violation du droit de l’occupation de guerre, mais aussi revenir à une certaine forme d’annexion, interdite par le jus ad bellum, soit le droit international applicable à l’emploi de la force ».
Lois discriminatoires et violations du droit international des droits de l’homme
80. Israël est partie à ce que l’on a appelé la déclaration internationale des droits, qui comprend le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
81. Israël est également partie à plusieurs autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la convention relative aux droits de l’enfant (y compris le protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants) et la convention relative aux droits des personnes handicapées. Il a ainsi accepté les obligations juridiques qui découlent de ces instruments internationaux. Le présent exposé se limitera, dans son analyse, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
82. La Cour a déjà traité de l’application des droits de l’homme dans le contexte d’un conflit armé105. Elle a conclu que « la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé »106.
83. La Cour a aussi examiné la question de l’application du droit international des droits de l’homme dans des zones qui sont situées en dehors du territoire d’un État mais dans lesquelles celui-ci exerce néanmoins sa compétence. Elle a conclu que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels s’appliquent
102 Boutruche T. et Sassòli M., op. cit., p. 3.
103 Voir Nations Unies, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, « Statement by the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian Territory occupied since 1967 », dated 13 April 2023 ; Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022.
104 Boutruche T. et Sassòli M., op. cit., p. 7.
105 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, op. cit., p. 226 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 136.
106 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 178, par. 106.
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aux actes accomplis par un État dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire
107.
84. Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour dans la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur ont été réaffirmées en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda)108.
85. Le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels sont tous deux parvenus aux mêmes conclusions que la Cour en ce qui concerne l’application extraterritoriale des pactes susmentionnés en lien avec les rapports périodiques soumis par Israël109. Cette interprétation est appliquée de manière similaire par d’autres mécanismes de protection des droits de l’homme institués par des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Les deux comités susmentionnés se sont aussi dit préoccupés par le fait qu’Israël maintienne sa position voulant que les instruments en question ne s’appliquent pas aux personnes qui relèvent de sa juridiction mais se trouvent en dehors de son territoire110.
86. Le Comité des droits de l’homme a en outre publié son observation générale no 31, dans laquelle il interprète le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques comme signifiant « qu’un État partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire »111. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a précisé, dans son observation générale no 24, que les obligations des États « s’appliqu[ai]ent tant aux situations existant sur le territoire national des États qu’en dehors de celui-ci, pourvu que les États concernés puissent exercer un contrôle sur les situations en question »112.
87. Au vu de ces interprétations bien établies, il ne fait aucun doute qu’Israël continue de manquer aux obligations découlant du droit international des droits de l’homme qui sont applicables dans le Territoire palestinien occupé.
88. En raison de la situation particulièrement alarmante des droits de l’homme dans cette région, un rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 est nommé par l’ONU depuis 1993. Cependant, cette situation n’a guère changé et, en 2021, le Conseil des droits de l’homme a mis en place la Commission internationale indépendante de l’ONU chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël.
107 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 180-181, par. 111-113.
108 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 242-245, par. 215-221.
109 Voir plus récemment, doc. CCPR/C/ISR/CO/5 ; E/C.12/ISR/CO/4 ; et CRC/C/ISR/CO/2-4.
110 Ibid.
111 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observation générale no 31 [quatre-vingtième session], intitulée « La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte », doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13.
112 Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 24 (2017), intitulée « Les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises », doc. E/C.12/GC/24.
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89. Malgré le rôle important et déterminant joué par chacun de ces acteurs en ce qui concerne la mise en lumière des violations des droits de l’homme commises, il est déroutant de constater que la situation déplorable qu’endure la population civile dans le Territoire palestinien occupé n’a guère évolué.
90. L’étendue des violations des droits de l’homme perpétrées par Israël est bien connue et l’examen détaillé de toutes celles qui se sont produites donnerait lieu à un exposé bien trop long. La Cour peut se référer, à cet égard, aux nombreux rapports rédigés par les différents mécanismes conventionnels et mécanismes de la Charte des Nations Unies. L’accent est mis dans le présent exposé sur la violation du droit à l’autodétermination, traitée plus en détail dans une autre section (voir paragraphes 46-64 ci-dessus). Le déni du droit à l’autodétermination entraîne des répercussions sur de nombreux autres droits, dont le droit de circuler librement, les droits relatifs aux ressources naturelles, le droit de jouir de sa propre culture et le droit à la vie113. Plusieurs rapports, dont les plus récents ont été établis par la Commission internationale indépendante de l’ONU chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël ainsi que par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, recensent d’autres violations des droits de l’homme114.
91. La réalité palestinienne rappelle des épisodes de l’histoire de ségrégation et d’oppression raciales qu’a connus l’Afrique du Sud elle-même. Il existe dans les territoires palestiniens occupés un système oppressif et institutionnalisé de domination d’Israël sur les Palestiniens en tant que groupe. Les politiques en question trouvent leur origine dans la création de l’État d’Israël en 1948 et se sont étendues aux territoires occupés après la guerre des Six Jours de 1967.
92. Nous souscrivons aux conclusions de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 qui relève, dans son plus récent rapport115, qu’
« [i]l importe pourtant, pour qualifier ce régime [d’apartheid israélien], de tenir compte de l’expérience du peuple palestinien dans son ensemble et de considérer celui-ci comme un tout, en y incluant les personnes déplacées, dénationalisées et dépossédées en 1947-1949 (dont beaucoup vivent dans le territoire palestinien occupé) ».
93. Si l’expérience palestinienne n’est pas complètement identique à celle de l’Afrique du Sud, un certain nombre d’atrocités qui relèvent de la logique de l’apartheid sont cependant reproduites en Palestine, notamment le régime de permis qui ne s’applique qu’aux Palestiniens qui quittent ou regagnent la bande de Gaza, le territoire annexé de Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie. En relève aussi la création d’un régime juridique double consistant en un système complexe et opaque d’ordonnances et de règlements militaires qui, « parce qu’il revêt souvent un caractère racial dans sa mise en application, et non sur le papier, rend l’ampleur de la discrimination systématique opérée par Israël moins immédiatement visible que ne l’était son équivalent en Afrique du Sud »116.
113 Voir rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, A/77/356, 21 septembre 2022.
114 A/HRC/53/22 (9 mai 2023) et A/HRC/46/22 (15 février 2021), respectivement.
115 A/77/356 (21 septembre 2022), par. 9, p. 23.
116 Dugard J. et Reynolds J., “Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory”, vol. 24 (2013), European Journal of International Law, p. 867.
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94. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a conclu à l’existence dans le Territoire palestinien occupé de
« deux systèmes juridiques et institutionnels totalement distincts, dont l’un est conçu pour les communautés juives vivant dans les implantations illégales, d’une part, et l’autre pour les populations palestiniennes habitant dans les villes et les villages palestiniens, d’autre part. Le Comité est consterné par le caractère hermétique de la séparation entre ces deux groupes, qui vivent sur le même territoire mais ne sont pas sur un pied d’égalité pour ce qui est de l’utilisation du réseau routier et des infrastructures et de l’accès aux services de base et aux ressources en eau. Cette séparation se manifeste concrètement par l’existence d’un ensemble complexe de restrictions à la liberté de circulation découlant de la présence du Mur, des implantations, des barrages routiers et des postes de contrôle militaires, ainsi que de l’obligation d’utiliser des routes distinctes et de l’application d’un régime de permis qui a des conséquences préjudiciables pour la population palestinienne. »117
95. L’Afrique du Sud fait valoir qu’il faut considérer l’apartheid israélien dans le contexte général de l’illicéité inhérente à l’occupation, ce qui en fait une violation supplémentaire de normes impératives perpétrée dans une situation illicite. Le morcellement du territoire palestinien, l’assujettissement de sa population, les restrictions de circulation, la discrimination raciale et les exécutions extrajudiciaires cautionnées par l’État sont autant de mesures visant à entraver le droit des Palestiniens à l’autodétermination.
96. Cela fait plus de 70 ans que des résolutions des Nations Unies, des rapports établis par des rapporteurs spéciaux et des organisations de défense des droits de l’homme déplorent le traitement discriminatoire odieux réservé aux Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Gaza et à Jérusalem-Est. Ces lois et pratiques discriminatoires n’ont fait que devenir de plus en plus ancrées, systématiques et délibérées à mesure que l’occupation israélienne illicite se poursuit.
97. Tout en autorisant les différences de traitement, le droit de l’occupation ne permet pas de perpétrer de graves violations des droits fondamentaux des populations protégées, ni de maintenir un système d’oppression et de domination raciales qui serait en violation d’une norme impérative du droit international. L’État d’Israël a l’obligation de se conformer au droit international, qui interdit la discrimination fondée sur la race, l’ethnicité ou la nationalité.
98. En outre, l’alinéa c) du paragraphe 4 de l’article 85 du protocole I des conventions de Genève énumère « les pratiques de l’apartheid et les autres pratiques inhumaines et dégradantes, fondées sur la discrimination raciale, qui donnent lieu à des outrages à la dignité personnelle » comme étant des infractions graves aux conventions de Genève, lorsque ces actes sont commis intentionnellement118.
99. La Cour a déclaré dans la procédure relative au Sud-Ouest africain que le fait d’établir et d’imposer des distinctions, exclusions, restrictions et limitations qui sont uniquement fondées sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique et qui constituent un déni des droits
117 Nations Unies, Comité de la CIEDR, « Observations finales : Israël », 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19, par. 21-22.
118 Commission du droit international, « Normes impératives du droit international général (jus cogens) », texte des projets de conclusion et projet d’annexe provisoirement adoptés par le comité de rédaction en première lecture, 2019, doc. A/CN.4/L.936, projet de conclusion no 2.
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fondamentaux de la personne humaine, est une violation flagrante des buts et principes de la Charte des Nations Unies
119. En 1980, le Conseil de sécurité a, dans sa résolution S/RES/471,
« exprim[é] sa profonde préoccupation devant le fait qu’Israël, en tant que Puissance occupante, n’a pas assuré une protection adéquate à la population civile des territoires occupés, conformément aux dispositions de la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ».
100. Pas plus tard qu’en décembre 2022, l’Assemblée générale a adopté une résolution120 exigeant d’Israël « qu’il renonce à l’ensemble des mesures contraires au droit international ainsi qu’aux lois, politiques et actes discriminatoires dans le Territoire palestinien occupé ». Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable a mentionné, en octobre 2022, « le régime institutionnalisé d’oppression raciale et de discrimination systématique » qui continue d’entraîner la destruction d’habitations de Palestiniens, le considérant comme n’étant « rien d’autre que de l’apartheid, tel que cette notion est définie à [l’alinéa h) du paragraphe 2 de] l’article 7 du Statut du Rome » et ajoutant que le transfert forcé de population répondait à la définition de la persécution donnée à l’alinéa g) du même paragraphe121.
101. L’Afrique du Sud soutient qu’Israël non seulement continue de ne pas assurer la protection appropriée d’une population protégée au statut reconnu en droit international, mais poursuit aussi, dans les faits, l’imposition d’un régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciales systématiques ciblant la population palestinienne, ce qui satisfait au critère d’établissement de la preuve requis s’agissant du crime international d’apartheid.
102. Comme le souligne Dugard, la notion d’apartheid a acquis un contenu juridique qui, tout en trouvant son origine dans l’expérience sud-africaine, n’en est pas moins indépendant de celle-ci, puisqu’elle s’est diffusée dans plusieurs branches du droit international public122. La Commission du droit international a déclaré, dans son projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), que l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid constituait une norme impérative de droit international123.
103. Trois instruments internationaux interdisent et/ou incriminent expressément l’apartheid en tant que crime contre l’humanité : la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la « CIEDR »), la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (ci-après la « convention sur l’apartheid ») et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après le « Statut de Rome »).
104. Le crime d’apartheid est un crime international et ne se limite pas à un territoire donné. Même si elle mentionne l’« Afrique australe », la convention sur l’apartheid le fait pour indiquer que les politiques de ségrégation et de discrimination raciales semblables à celles qui étaient en vigueur
119 Op. cit., p. 57, par. 131.
120 A/RES/77/247.
121 A/77/190.
122 Dugard J. et Reynolds J., op. cit., p. 867.
123 Commission du droit international (2022), « Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) ».
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en Afrique australe tombent sous le coup de l’interdiction de l’apartheid, montrant ainsi que cette interdiction s’étend au-delà des limites territoriales de cette région du monde.
105. Les États de Palestine et d’Israël sont tous deux parties à la CIEDR, et la Palestine a adhéré en 2014 à la convention sur l’apartheid. En 2015, par voie de déclaration faite conformément au paragraphe 3 de l’article 12 du Statut de Rome, la Palestine a accepté la compétence de la Cour pénale internationale à partir du 13 juin 2014. L’Afrique du Sud fait valoir que l’interdiction de l’apartheid en tant que crime contre l’humanité est une norme de jus cogens qui donne naissance à des obligations erga omnes. Dans l’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962 (Belgique c. Espagne)), la Cour a dit que des obligations erga omnes naîtraient relativement à l’interdiction de la discrimination raciale en tant que norme de jus cogens, et que ces obligations découleraient « des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale »124.
106. S’agissant de la définition de l’apartheid en droit international, l’Afrique du Sud avance que la Cour est tenue d’appliquer celle qu’en donne le droit international coutumier. Si elle définit la discrimination raciale et interdit la pratique de l’apartheid, la CIEDR ne livre pas de définition de cette pratique. Son article 3 impose aux « États parties » l’obligation « [de] condamne[r] spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et [de] s’engage[r] à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature ».
107. La convention sur l’apartheid consacre la qualification de l’apartheid comme crime contre l’humanité. Elle dresse une liste d’actes inhumains constitutifs de l’apartheid « commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci »125.
108. Sont énumérés en outre les actes précis qui relèvent de l’apartheid, tels que le meurtre, la torture, les traitements inhumains et l’arrestation arbitraire de personnes appartenant à un groupe racial donné ; l’imposition délibérée à un groupe racial de conditions de vie particulières dans l’intention d’entraîner sa destruction physique ; l’adoption de mesures législatives discriminantes dans les domaines politique, social, économique et culturel ; la mise en oeuvre de mesures de ségrégation de la population selon des critères raciaux, passant par l’établissement de zones résidentielles séparées pour certains groupes raciaux ; l’interdiction des mariages interraciaux et la persécution de personnes s’opposant à l’apartheid126.
109. Pour ce qui est du crime de l’apartheid, l’alinéa h) du paragraphe 2 de l’article 7 du Statut de Rome fait référence à « des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe
124 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête :1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33-34.
125 Article premier de la CIEDR :
« Dans la présente Convention, l’expression “discrimination raciale” vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »
126 Article 2 de la CIEDR.
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racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».
110. L’Afrique du Sud affirme que la Cour devrait appliquer en l’espèce la liste des pratiques telle qu’elle figure à l’article 2 de la convention sur l’apartheid, qui, lue conjointement avec l’alinéa h) du paragraphe 2 de l’article 7 du Statut de Rome, peut en outre faire équivaloir ces pratiques à des actes d’apartheid lorsqu’elles sont imposées systématiquement par un groupe racial à tout autre groupe racial dans le but d’en maintenir la domination et l’oppression.
111. L’Afrique du Sud soutient que l’apartheid se différencie d’autres formes prohibées de discrimination en ce qu’il comporte un élément institutionnalisé de droit, une politique et des institutions et est cautionné par l’État aux fins de la domination d’un groupe racial sur un autre. Les traitements discriminatoires et inhumains qu’Israël inflige aux Palestiniens ont atteint le seuil de l’apartheid au sens que lui donne la convention y relative.
112. Cette situation se manifeste de maintes façons, des éléments de preuve attestant de traitements différenciés et discriminatoires en ce qui concerne l’occupation des sols, le logement, l’accès aux ressources naturelles, la citoyenneté, la résidence, la réunification familiale, la liberté de circulation, l’accès à l’éducation et à la santé et la liberté d’association. Dans son rapport de 2009, la mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza127 concluait ce qui suit :
« La discrimination systématique dont sont victimes les Palestiniens aussi bien en droit que dans la pratique (notamment par suite de l’existence d’un régime juridique et d’un système judiciaire totalement distincts qui sont systématiquement plus défavorables que ceux qui sont applicables aux Israéliens) et les pratiques discriminatoires par rapport à celles qui sont appliquées aux citoyens israéliens en matière d’arrestation, de détention, de jugement et de condamnation sont contraires à l’article 2 du Pacte [international relatif aux droits civils et politiques] et peuvent également constituer une violation de l’interdiction des persécutions, considérées comme un crime contre l’humanité. »
113. Il est fait valoir, aux fins de la définition de l’apartheid donnée par la convention y relative, que les Israéliens juifs et les Arabes palestiniens forment deux groupes distincts. La Cour a fait observer que
« la définition de la discrimination raciale figurant dans la convention inclut l’“origine nationale ou ethnique”. Ces références à l’“origine” désignent, respectivement, le rattachement de la personne à un groupe national ou ethnique à sa naissance, alors que la nationalité est un attribut juridique qui relève du pouvoir discrétionnaire de l’État et qui peut changer au cours de l’existence de la personne … La Cour relève que les autres éléments de la définition de la discrimination raciale, telle qu’énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la convention, à savoir la race, la couleur et l’ascendance, sont également des caractéristiques inhérentes à la personne à la naissance. »128
127 Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport de la mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza (2009), doc. A/HRC/12/48, par. 1502.
128 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 98, par. 81.
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114. Les actes inhumains spécifiés à l’article 2 de la convention sur l’apartheid ont été amplement attestés par des organes de contrôle de l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme et il serait impossible de les énumérer tous dans le présent exposé. Plusieurs spécialistes et organisations de défense des droits de l’homme dignes de confiance ont conclu que les actes inhumains perpétrés par Israël contre les Palestiniens relèvent de l’apartheid au sens du droit international129.
115. Les éléments de preuve disponibles montrent qu’Israël est responsable d’actes inhumains qui entrent dans le champ des alinéas a), c), d) et f) de l’article 2 de la convention sur l’apartheid. Il s’agit notamment d’atteintes au droit à la vie et à la liberté (alinéa a)), compte tenu de l’emploi excessif et disproportionné de la force par Israël contre des militants et des civils en Palestine, notamment sous la forme d’arrestations arbitraires et d’internements administratifs. En tant que groupe, les Palestiniens sont de surcroît victimes de discrimination du fait des contrôles effectués aux postes-frontière, des régimes de permis et de carte d’identité mis en place, de l’édification du mur et de la création de postes de contrôle et de routes séparées en Cisjordanie (alinéa c)). Le fait de morceler et d’exproprier des terres palestiniennes, tout en empêchant le retour de réfugiés palestiniens, a divisé le Territoire palestinien occupé en enclaves ou bantoustans, semblables à ce qui existait en Afrique du Sud (alinéa d)). Parce qu’il vise systématiquement des organisations et des personnes qui s’opposent à la domination et à l’oppression exercées sur la population palestinienne dans le Territoire palestinien occupé, le comportement d’Israël satisfait à l’élément de persécution tel que prévu à l’alinéa f) de l’article 2 de la convention sur l’apartheid.
116. S’agissant de la nature institutionnalisée et systématique des pratiques de discrimination et de domination adoptées par Israël à l’égard du groupe des Palestiniens, l’Afrique du Sud soutient que, analogue à celui qu’elle a connu, un crime d’apartheid est actuellement perpétré contre un groupe (les Palestiniens) par un autre groupe (les Juifs) afin de créer un groupe supérieur et privilégié dont les membres occupent une position plus élevée grâce aux régimes à deux paliers et aux bénéfices réservés à ce groupe de par les droits et les privilèges supérieurs qui lui sont accordés. Loin d’être aléatoire ou isolé, ce système est généralisé et oppressif, opérant de manière institutionnelle et systémique, quoique dispersée à travers un Territoire palestinien occupé lui-même morcelé.
117. Il convient de considérer dans sa globalité le traitement discriminatoire imposé aux Palestiniens : Israël a instauré et maintenu dans tous les territoires où il exerce son contrôle un régime institutionnalisé d’oppression systématique nourri par des considérations démographiques qui continuent de façonner ses politiques à l’égard des Palestiniens. Ces considérations se manifestent dans les différents ensembles de textes législatifs, politiques et pratiques discriminatoires et restrictifs qui visent délibérément à opprimer et dominer les Palestiniens, de sorte à maximiser les avantages dont bénéficient les Israéliens juifs et à créer une majorité juive privilégiée à tout égard.
118. La seule conclusion à en tirer est que ces politiques cherchent à servir les intérêts de la nation juive dont les privilèges ne peuvent être maintenus que par la dépossession et le morcellement des terres palestiniennes, le préjudice économique et politique infligé aux Palestiniens, les restrictions imposées à leurs déplacements, le refus de reconnaître leur dignité et la privation de toute protection juridique dont ils pourraient bénéficier, au moyen de l’adoption de lois arbitraires et d’ordonnances militaires. Cette réalité rappelle celle de l’Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid et la façon dont le gouvernement dirigé par une minorité blanche avait perpétré ce crime
129 Amnesty International, « L’apartheid israélien envers le peuple palestinien : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/ mde15/5141/2022/fr/) ; Human Rights Watch, “A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution” (2021).
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contre l’humanité qu’est l’apartheid pour faire avancer les intérêts de la population blanche en opprimant sur le territoire sud-africain, entre 1948 et 1994, la population noire majoritaire.
Question 2 : le statut juridique de l’occupation et les conséquences juridiques qui en découlent pour Israël, les Nations Unies et les États tiers
Le statut juridique de l’occupation
119. Nous avons déjà montré comment l’occupation de guerre menée par Israël dans le territoire palestinien depuis 1967 empêche la réalisation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien et est contraire aux règles du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme. Nous passerons maintenant à la question de l’incidence de la violation de ces droits sur le statut juridique de l’occupation israélienne prolongée des terres palestiniennes.
120. Il convient tout d’abord de rappeler que, dans de nombreux rapports établis par l’ONU, articles et tribunes publiés par des experts et rapports rédigés par des organisations de la société civile, l’occupation du territoire palestinien par Israël est qualifiée d’illicite. D’autres sources, telles que des séquences vidéo et des photographies publiées sur les réseaux sociaux, rendent compte avec fiabilité de la manière dont cette occupation porte gravement atteinte au droit international humanitaire.
121. Plus récemment, la Commission internationale indépendante de l’ONU chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a remis à l’Assemblée générale son rapport, dans lequel elle a constaté qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que l’occupation israélienne du territoire palestinien est à présent illicite au regard du droit international en raison de sa permanence et des mesures mises en oeuvre par Israël pour annexer de facto et de jure certaines parties de ce territoire130.
122. Aux fins de détermination de la licéité de l’occupation par Israël du territoire palestinien, la présente analyse s’arrêtera sur les indicateurs traités ci-après.
L’interdiction de l’annexion d’un territoire occupé
123. Il est rappelé que l’annexion d’un territoire occupé est illicite en droit international. Le caractère illicite de l’adoption par Israël de politiques et de lois régissant l’annexion est aussi reconnu dans plusieurs rapports et résolutions de l’ONU. La déclaration relative aux principes du droit international concernant les relations amicales et la coopération entre les États dispose que
« [l]e territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une occupation militaire résultant de l’emploi de la force contrairement aux dispositions de la Charte. Le territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force. Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale. »131
130 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022, p. 24.
131 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », doc. A/RES/2625 (XXV), accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/ 202170.
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124. Le 20 août 1980, le Conseil de sécurité de l’ONU a censuré, dans sa résolution 478 (1980), l’annexion de jure par Israël de Jérusalem-Est et de certaines parties de la Cisjordanie par décision prise en conseil des ministres en 1967 et vote à la Knesset en 1980. Il a affirmé que la mise en oeuvre de la « loi fondamentale » par Israël constituait une violation du droit international et que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, qui avaient modifié ou visaient à modifier le caractère et le statut de Jérusalem, étaient nulles et non avenues et devaient être rapportées immédiatement132.
125. Néanmoins, Israël a soutenu avoir un titre supérieur sur Jérusalem-Est et sur la Cisjordanie au motif qu’il avait acquis ces territoires dans une guerre défensive133. Dans la résolution 478 (1980), il a été réaffirmé que l’acquisition d’un territoire par la force est inadmissible en droit international134. La Cour a aussi rappelé ce point dans la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur135 :
« La Cour rappellera tout d’abord que, selon le paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies : “Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.” »
126. Il ressort clairement des termes des textes susmentionnés qu’un acte d’acquisition d’un territoire par la menace ou l’emploi de la force ne se distingue en rien selon que l’occupation de ce territoire résulte d’une guerre d’autodéfense ou d’un acte d’agression ; ce qui importe, c’est l’interdiction de l’annexion dans les deux cas136.
127. En outre, l’article 47 de la quatrième convention de Genève porte sur la question de la protection des personnes se trouvant en territoire occupé. Il dispose que
« [l]es personnes protégées qui se trouvent dans un territoire occupé ne seront privées, en aucun cas ni d’aucune manière, du bénéfice de la … Convention, soit en vertu d’un changement quelconque intervenu du fait de l’occupation dans les institutions ou le gouvernement du territoire en question, soit par un accord passé entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante, soit encore en raison de l’annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé ».
Si cette convention ne dit rien de la nature et de la licéité de l’occupation, le droit international coutumier, et en particulier le jus ad bellum, s’applique en revanche en cas d’annexion. Le jus ad bellum interdit « l’acquisition de territoire par l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique du territoire occupé »137.
132 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 478 (1980) du 20 août 1980.
133 Lynk M., op. cit.
134 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 478 (1980) du 20 août 1980.
135 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 171, par. 87.
136 Lynk M., op. cit.
137 Boutruche T et Sassòli M., op. cit., p. 34.
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128. Israël conteste cependant depuis longtemps l’applicabilité du droit de l’occupation au Territoire palestinien occupé, au motif qu’aucune autorité souveraine ne s’y exerçait avant 1967138. Cet argument a aussi été mis en lumière dans la procédure relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit139 :
« Au paragraphe 3 de l’annexe 1 au rapport du Secrétaire général intitulée “Résumé de la position juridique du Gouvernement israélien”, il est en particulier précisé qu’Israël ne considère pas que la quatrième convention de Genève “soit applicable au territoire palestinien occupé”, dans la mesure où “le territoire n’était pas reconnu comme souverain avant son annexion par la Jordanie et 1’Égypte et où, en conséquence, il ne s’agit pas d’un territoire d’une Haute Partie contractante au regard de la convention”. »
129. Néanmoins, la Cour a rappelé qu’Israël avait ratifié le 6 juillet 1951 la quatrième convention de Genève, qu’il y était partie et qu’il n’y avait fait aucune réserve pertinente en l’espèce140. Après avoir occupé la Cisjordanie en 1967, Israël a promulgué l’ordonnance no 3 qui prévoit en son article 35 que le tribunal militaire doit appliquer les dispositions de la quatrième convention de Genève et qu’en cas d’incompatibilité entre l’ordonnance et la convention, celle-ci prévaudra141.
130. Il convient aussi de rappeler que l’annexion de la Namibie par l’Afrique du Sud a été déclarée illicite par la Cour dans la procédure relative à la Namibie (Sud-Ouest africain)142. Il est important de relever que la Cour a conclu qu’en tant qu’autorité de tutelle, la puissance mandataire devait agir au profit de la population vivant dans le territoire et remplir ses obligations de bonne foi, et que l’aboutissement du mandat devait être l’autodétermination et l’indépendance143.
Le maintien de l’occupation des territoires palestiniens par Israël
131. Ainsi qu’il a déjà été mentionné dans le présent exposé, l’occupation israélienne des territoires palestiniens est la plus longue qu’ait connue l’histoire moderne. Cela fait 56 ans, depuis 1967, qu’Israël occupe ces territoires. Comme indiqué ci-dessus, l’occupation d’un territoire par une puissance occupante est censée être provisoire, mais celle d’Israël en Palestine est de toute évidence devenue permanente. Lynk144 fait valoir que « l’occupation est par définition une situation temporaire et exceptionnelle dans laquelle la puissance occupante endosse le rôle d’administrateur de facto du territoire jusqu’à ce que les circonstances en permettent la restitution au dépositaire de la souveraineté ». Pourtant, dans les territoires palestiniens, Israël continue d’occuper la zone au mépris total du droit international humanitaire et sans intention de mettre fin, dans un avenir proche, à cet acte illicite. Boutruche et Sassòli relèvent aussi que « de par son maintien, l’occupation israélienne remet en cause le postulat fondamental qui sous-tend le droit de l’occupation de guerre et qui voudrait que toute occupation soit par nature transitoire et temporaire »145.
138 Azarova, op. cit.
139 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit., p. 173, par. 90.
140 Ibid., p. 173, par. 91.
141 Ibid., p. 174, par. 93.
142 Sud-Ouest africain, op. cit., p. 16.
143 Lynk M., op. cit.
144 Ibid.
145 Boutruche T. et Sassòli M., op. cit.
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132. Cette occupation prolongée emporte manquement au principe fondamental d’autodétermination qui devrait bénéficier aux populations palestiniennes, les privant ainsi de leur droit de décider de leur statut politique, sans ingérence extérieure. Il importe de rappeler que ce droit est consacré par plusieurs instruments juridiques et de nombreuses résolutions de l’ONU. Par exemple, l’Assemblée générale affirme, dans sa résolution 2625, qu’
« en vertu du principe de 1’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout État a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte »146.
133. En septembre 2022, la Commission internationale indépendante de l’ONU chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël147 a conclu qu’
« il y a[vait] des motifs raisonnables de conclure que l’occupation israélienne du territoire palestinien [était] aujourd’hui illégale au regard du droit international en raison de sa permanence et des mesures mises en oeuvre par Israël pour annexer de facto et de jure certaines parties de ce territoire … Israël consid[érait] l’occupation comme une situation permanente et … a[vait]  à toutes fins utiles  annexé des parties de la Cisjordanie ».
134. Cette commission internationale d’enquête est un organe indépendant, qui a pour rôle principal de servir de mécanisme de recherche de la vérité. Elle a été chargée par l’ONU de faire rapport sur les violations se produisant dans le Territoire palestinien occupé et de conseiller la communauté internationale sur les mesures à prendre à l’égard de ces violations. La crédibilité de ses rapports est reconnue en ce qu’ils dressent un tableau clair des violations qui sont commises par Israël sur le terrain.
135. En outre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté plusieurs résolutions, remontant même à 1967, qui appellent Israël, en tant que puissance occupante, à respecter le droit international, en particulier la quatrième convention de Genève, et à « s’abstenir de toute mesure qui modifierait le statut juridique et le caractère géographique des territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem »148.
136. Il est donc préoccupant de voir que, en dépit de ces rapports crédibles, la communauté internationale se garde encore ou se révèle incapable de qualifier d’illicite cette occupation permanente et d’amener Israël à en répondre. Boutruche et Sassòli font observer que « le maintien d’une occupation sur une longue période n’est pas sans incidence sur la manière dont les devoirs et obligations qui incombent, selon le droit international humanitaire, à la puissance occupante sont considérés et interprétés »149.
146 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970.
147 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022, doc. A/77/328, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/591/34/PDF/N2259134.pdf?OpenElement.
148 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 446 du 23 mars 1979, par. 3. Voir aussi Conseil de sécurité, résolutions 242 du 22 novembre 1967 ; 465 du 1er mars 1980 ; 476 du 30 juin 1980 ; 478 du 20 août 1980 ; 497 du 17 décembre 1981 ; 904 du 18 mars 1994 ; et 2334 du 23 décembre 2016.
149 Boutruche T. et Sassòli M., op. cit., p. 2.
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137. Les arguments avancés par l’Afrique du Sud sont étayés par la conclusion citée ci-après de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese150. Celle-ci considère que l’occupation du territoire palestinien par Israël est intrinsèquement illicite.
« L’ill[icé]ité de [l’]occupation [israélienne] tient au fait qu’il a été prouvé qu[e celle-ci] n’était pas temporaire, et qu’[elle] vise délibérément à nuire aux meilleurs intérêts de la population sous occupation, a entraîné l’annexion du territoire occupé et constitue une violation de la plupart des obligations imposées à la Puissance occupante. Son ill[icé]ité découle également de la violation systématique d’au moins trois normes impératives du droit international, à savoir : l’interdiction de l’acquisition de territoires par la force ; l’interdiction de soumettre des peuples à des régimes de subjugation, de domination et d’exploitation étrangères, auxquels appartiennent la discrimination raciale et l’apartheid ; l’obligation qui incombe aux États de respecter le droit des peuples à l’autodétermination. De ce fait, l’occupation israélienne constitue également un emploi injustifié de la force et un acte d’agression. Ces agissements sont clairement interdits par le droit international et contraires aux valeurs, buts et principes inscrits dans la Charte des Nations Unies. »
138. Dans son rapport daté du 23 octobre 2017151, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens depuis 1967, Michael Lynk, s’est demandé si une occupation, autrefois considérée comme licite, pouvait franchir la ligne rouge et devenir illicite du fait de violations flagrantes du droit international commises par la puissance occupante. Il a ensuite énoncé les quatre critères d’appréciation suivants qui permettent de déterminer la licéité d’une occupation :
 un occupant agissant de bon droit ne peut annexer aucune partie du territoire qu’il occupe ;
 l’occupation est de nature provisoire et ne saurait être permanente ou de durée indéfinie ; l’occupant est tenu de chercher à mettre fin à l’occupation et à remettre le territoire au dépositaire de la souveraineté dès qu’il est raisonnablement possible de le faire ;
 l’occupant agit, pendant la durée de l’occupation, dans l’intérêt de la population sous occupation ;
 l’occupant doit administrer de bonne foi le territoire occupé, dans le plein respect de ses devoirs et obligations découlant du droit international et de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies.
139. Appliquant ces critères aux faits, le rapporteur spécial est parvenu à la conclusion suivante :
« Les États qui administrent un autre territoire sous supervision internationale, que ce soit comme occupant ou puissance mandataire, franchissent la ligne rouge de l’ill[icé]ité s’ils violent leurs obligations fondamentales en tant que dirigeants étrangers. Dans son avis consultatif sur la Namibie, la Cour internationale de Justice a confirmé
150 Rapport de la rapporteuse spéciale Francesca Albanese, op. cit., par. 10 b), doc. A/77/356.
151 A/72/556.
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cette conclusion. Le Rapporteur spécial affirme qu’Israël a franchi cette ligne dans son rôle d’occupant. »
152
140. L’Afrique du Sud soutient que les effets cumulés des facteurs énumérés ci-dessus doivent amener la Cour à conclure que le fait même de l’occupation est devenu intrinsèquement et fondamentalement illicite en droit international, de même qu’elle avait jugé illicite la présence prolongée de l’Afrique du Sud en Namibie.
Conséquences juridiques pour Israël, les Nations Unies et les États tiers
Israël
141. L’illicéité en tant que telle de l’occupation par Israël du territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est, et la violation susmentionnée de normes impératives du droit international sont autant de manquements à des obligations internationales de nature à constituer des faits internationalement illicites attribuables à Israël et à engager la responsabilité juridique de leur auteur153. L’article 30 du Projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, publié en 2001, dispose que tout État responsable d’un fait internationalement illicite a l’obligation d’y mettre fin si ce fait continue et d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées. La question de la cessation est généralement étroitement liée à celle de la réparation. L’article 31 du même Projet d’articles énonce que l’État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite. Ses dispositions reflètent un principe de droit international, que la Cour permanente de Justice internationale a décrit, dans l’affaire relative à l’Usine de Chorzów154, en ces termes :
« C’est un principe de droit international que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate … Le principe essentiel … est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis. »
142. L’article 34 du Projet d’articles prévoit que la réparation peut prendre la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction. L’article 35 dispose que, dès lors que la restitution en nature, qui vise à rétablir la situation telle qu’elle existait avant que le fait en question ne soit commis, est impossible, l’État responsable d’un fait internationalement illicite demeure dans l’obligation de procéder à la restitution. Cette obligation est subordonnée à la possibilité matérielle de l’honorer et au fait que la restitution n’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation. La Cour a déclaré en l’affaire relative au Projet Gabčikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie)155 qu’il est une « règle bien établie du droit international, qu’un État lésé est en droit d’être indemnisé, par l’État auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci ».
152 A/72/556., par. 65.
153 Commission du droit international, « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite » (2001), art. 3 ; Shaw, op. cit., p. 799.
154 Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 21 ; ibid., fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
155 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), ordonnance du 5 février 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 81, par. 152.
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143. En la présente espèce, les principes de droit international susmentionnés signifient qu’Israël doit mettre immédiatement fin à toutes ses activités d’implantation illicites et à toutes mesures visant à modifier le caractère, le statut et la composition démographique des territoires palestiniens occupés. Israël doit mettre un terme à l’occupation illicite de ces territoires et en retirer ses forces militaires, ce qui permettrait au droit à l’autodétermination du peuple palestinien de se réaliser. En tant que puissance occupante, il doit cesser sans délai toutes les activités d’implantation et autres mesures destinées à modifier le caractère, le statut et la composition démographique du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.
144. Israël doit aussi mettre fin sans délai à toutes les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme dont il est l’auteur. Il doit notamment mettre fin à toutes les mesures de ségrégation et à toutes les lois, politiques et actions discriminatoires dans le Territoire palestinien occupé. Israël est partie à un très grand nombre d’accords internationaux protégeant les deux domaines du droit susmentionnés. Il convient de rappeler que le droit international repose sur le postulat que les États se conformeront aux obligations internationales qu’ils ont contractées. La décision de devenir partie à un accord international est un choix qui appartient uniquement aux États ; si ceux-ci ne souhaitent pas adhérer à un traité, ils ne sont pas tenus de le ratifier. En revanche, dès lors qu’il s’engage sur le plan international, un État se soumet à des obligations internationales et assume la responsabilité de s’y conformer. Lorsqu’il manque aux obligations qui lui incombent au titre d’un instrument international auquel il a adhéré, il viole le droit international. Cette conclusion découle du principe général de droit pacta sunt servanda, selon lequel un État est tenu de respecter les obligations prévues par un traité une fois qu’il a ratifié celui-ci ou qu’il y a adhéré156. En somme, conformément aux obligations qu’il a contractées en droit international, notamment celles découlant de la quatrième convention de Genève, Israël doit administrer le Territoire palestinien occupé de bonne foi et au mieux des intérêts de la population sous occupation.
145. La Cour a déjà dit, dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur157, qu’Israël était dans l’obligation d’indemniser les Palestiniens ayant subi un préjudice à la suite de la construction du mur :
« Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé. Au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l’indemnisation des personnes en question pour le préjudice subi par elles. »
146. L’Afrique du Sud considère que la position formulée ci-dessus et exprimée par la Cour pourrait fonder, en la présente espèce, une ordonnance qui s’appliquerait à l’intégralité du Territoire palestinien occupé. À cet égard, l’idée a été avancée que l’illicéité de l’occupation en soi (à la différence d’une occupation qui serait licite au regard du jus in bello) était un élément susceptible d’accroître le montant de l’indemnisation financière accordée aux personnes physiques et morales touchées158.
156 Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, préambule et article 26.
157 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur, op. cit, p. 198, par. 153.
158 Ronen Yael, Illegal Occupation and its Consequences, vol. 41, t. 1-2, Israeli Law Review, 2008, p. 231.
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Les Nations Unies
147. Le Conseil de sécurité de l’ONU et l’Assemblée générale des Nations Unies doivent être guidés, dans tous leurs engagements et actions sur la question de la Palestine, par l’impératif de l’application du droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination. Cet impératif devrait aussi être le principe fondamental sous-tendant toutes négociations futures sur le statut définitif de la Palestine, et l’ONU devrait s’assurer qu’aucune de celles-ci n’ira à l’encontre de cette norme de jus cogens. Qui plus est, l’ONU a, en sa qualité de représentante de la communauté internationale, l’obligation d’oeuvrer à établir une présence internationale chargée de suivre la situation, de concourir à mettre un terme à la violence et à protéger la population civile palestinienne, et d’aider les parties à appliquer les accords conclus.
148. Les organes de l’ONU devraient également déployer des efforts continus pour mettre fin à la discrimination raciale et à l’apartheid qu’Israël impose dans le Territoire palestinien occupé afin que cette situation illicite cesse immédiatement et que leurs résolutions soient mises en application sans retard. Cela peut passer par la création d’un comité, semblable au Comité spécial de l’apartheid, qui serait chargé d’étudier la situation dans le Territoire palestinien occupé.
Les États tiers
149. Le paragraphe 1 de l’article 41 du Projet d’articles cité précédemment dispose que les États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40. Celui-ci définit une « violation grave » comme un manquement flagrant ou systématique à une obligation née d’une norme impérative issue du droit international général. Il ne fait aucun doute que les violations des normes impératives commises par Israël constituent des violations graves de cet ordre.
« Pour être considérée comme systématique, une violation doit avoir été commise de façon organisée et délibérée. En revanche, le terme “flagrante” renvoie à l’intensité de la violation ou de ses effets ; il dénote des violations manifestes qui représentent une attaque directe contre les valeurs protégées par la règle. Les termes ne sont pas mutuellement exclusifs ; les violations graves sont généralement à la fois systématiques et flagrantes. Au nombre des facteurs pouvant déterminer la gravité d’une violation, on citera l’intention de violer la norme ; l’étendue et le nombre des violations en cause et la gravité de leurs conséquences pour les victimes. »159
150. Les États tiers doivent donc agir immédiatement en vue de mettre fin, par des moyens licites, à l’annexion par Israël de parties du Territoire palestinien occupé et de Jérusalem-Est en violation de l’interdiction d’acquérir un territoire par le recours à la force, ainsi qu’à la discrimination raciale systématique, aux atteintes aux droits de l’homme et au déni du droit à l’autodétermination constatés dans ce territoire, et s’abstenir d’apporter quelque aide ou assistance en vue du maintien de la situation.
151. Tous les États ont en outre l’obligation de prendre des mesures collectives contre Israël à raison de ses violations du droit international humanitaire et de veiller au respect de ce droit. En somme, ils doivent coopérer pour faire cesser l’occupation permanente d’Israël dans le territoire palestinien.
159 Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, 2001, texte adopté par la Commission du droit international à sa cinquante-troisième session, p. 113, par. 8.
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152. Le paragraphe 2 de l’article 41 du Projet d’articles susmentionné codifie le principe de droit international ex injuria non jus oritur, qui empêche l’auteur d’un préjudice de profiter des faits illicites dont il est l’auteur. Il s’ensuit qu’aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave du droit international, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. L’ONU a reconnu qu’Israël avait violé des normes impératives dans le Territoire palestinien occupé, à savoir l’interdiction d’acquérir un territoire par le recours à la force, l’interdiction d’exercer une discrimination raciale systématique ou de porter atteinte à des droits de l’homme et l’interdiction du déni du droit à l’autodétermination, à des fins de non-reconnaissance160.
153. Tous les États ont donc l’obligation positive de ne pas reconnaître l’occupation et la présence continues d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. Cette obligation recouvre l’obligation conventionnelle énoncée à l’article 34 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, conformément à laquelle les États ne doivent pas conclure avec Israël d’accords concernant ce territoire dans lesquels les autorités israéliennes soutiendraient agir au nom ou à l’égard du peuple occupé de Palestine, à moins que la Palestine n’y ait consenti161. Les États tiers sont également tenus de s’abstenir de prêter aide ou assistance à Israël aux fins du maintien de son occupation du territoire palestinien.
154. Tant que se poursuivra l’occupation, le peuple de Palestine doit pouvoir jouir des droits qu’il tient de la législation locale, qui a été remplacée ou abrogée par Israël.
155. La communauté internationale devrait, par l’entremise de l’ONU, permettre au peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination en contraignant Israël à obtempérer et à coopérer.
V. CONCLUSION
156. On dit souvent que le droit à la vie est la source de tous les autres droits fondamentaux. On pourrait en dire autant du droit à l’autodétermination. S’il en est privé, un peuple se trouve dans l’impossibilité de réaliser un grand nombre d’autres droits. La réalisation du droit à l’autodétermination pour le peuple palestinien est indissociable du statut du Territoire palestinien occupé. L’occupation est, selon les règles du jus in bello, de nature provisoire. Le droit de l’occupation, qui a pour objet de protéger la population civile du territoire occupé, interdit à l’État occupant de modifier les systèmes de gouvernement ou le statut international du territoire162. La raison ayant initialement donné lieu à l’occupation et la licéité ou non du recours à la force ayant conduit à cette occupation n’entrent pas en compte : une occupation doit avoir pour but fondamental d’atteindre des objectifs militaires concrets et, partant, provisoires163. Il est illicite pour une puissance occupante d’acquérir le territoire qu’elle occupe ou d’en modifier le statut en créant une situation irréversible sur le terrain de sorte que la population vivant sur ce territoire soit, en fin de compte, privée de la possibilité d’exercer librement son droit à l’autodétermination au terme de l’occupation.
160 Dugard J., op. cit., p. 147. Dugard fait aussi observer que cette non-reconnaissance remet sérieusement en cause les revendications territoriales d’Israël sur le plateau du Golan et sur Jérusalem-Est. Il renvoie en outre à la non-reconnaissance des bantoustans créés dans le cadre de la politique d’apartheid menée par l’Afrique du Sud, au motif que cette politique constituait une violation du droit à l’autodétermination.
161 La Cour européenne de justice a appliqué ce principe à l’égard du Sahara occidental dans l’affaire Conseil c. Front Polisario C-104/16P, 21 décembre 2016.
162 Azarova, op. cit., p. 5.
163 Ibid., p. 6.
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157. Malheureusement, alors que nombre d’États conviennent que la situation dans les territoires palestiniens est intenable, il semblerait qu’il n’existe aucune volonté politique de traiter les faits illicites dont Israël est actuellement à l’origine en Palestine. D’un côté, ceux qui ne sont pas disposés à dénoncer les actes illicites commis par Israël dans le Territoire palestinien occupé semblent ainsi encourager et aider cet État à continuer de violer le droit international humanitaire, contrevenant ainsi à leurs propres obligations en droit international. De l’autre, ceux qui s’opposent à ces violations du droit international semblent être dans l’incapacité de prendre des mesures susceptibles de mettre fin à l’occupation illicite israélienne et aux violations persistantes par Israël du droit international dans les territoires palestiniens.
158. Le statut illicite de l’occupation permanente israélienne dans les territoires palestiniens est amplement démontré dans de très nombreux rapports crédibles présentés à l’ONU. Dans ce contexte, l’Afrique du Sud fait valoir que la Cour devrait conclure que l’occupation de guerre israélienne prolongée dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, est illicite et constitue un obstacle insurmontable à la réalisation du droit à l’autodétermination des Palestiniens.
Le 25 juillet 2023.
L’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire
auprès du Royaume des Pays-Bas, au nom
du Gouvernement de la République
d’Afrique du Sud,
(Signé) VP MADONSELA.
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Exposé écrit de l'Afrique du Sud

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