Exposé écrit du Djibouti

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186-20230725-WRI-35-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSEQUENCES JURIDIQUES DECOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES
D'ISRAEL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPE, Y COMPRIS
JERUSALEM-EST
(Requete pour avis consultatit)
Expose ecrit de la Republique de Djibouti
25 j uillet 2023
MJI ALli
aires a.t __J
I. Par sa resolution 77/247 du 30 decembre 2022, l' Assemblee generale des Nations
Unies a prie la Cour de donner un avis consultatif que les questions suivantes:
a) Quelles sont les consequences juridiques de la violation persistante par Israel
du droit du peuple palestinien a l'autodetermination, de son occupation, de sa
colonisation et de son annexion prolongees du territoire palestinien occupe
depuis 1967, notamment des mesures visant a modifier la composition
demographique, le caractere et le statut de la ville sainte de Jerusalem, et de
l'adoption par Israel des lois et mesures discriminatoires connexes?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d'Israel visees ( ... ) ci-dessus
ont-elles sur le statutjuridique de !'occupation et quelles sont les consequences
juridiques qui en decoulent pour tous les Etats et l'Organisation des Nations
Unies ?1
2. Le cadre juridique vise par la demande d'avis consultatif est precise dans la resolution
elle-meme qui fait reference aux « regles et principes du droit international, dont la
Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des
droits de l'homme, les resolutions pertinentes du Conseil de securite et du Conseil des
droits de l 'homme et les siennes propres, et l' avis consultatif donne par la Cour le 9
juillet 2004 ».2
3. Dans son ordonnance rendu le 3 fevrier 2023, la Cour a decide que « l'organisation
des Nations Unies et ses Etats Membres, ainsi que l'Etat observateur de Palestine, sont
juges susceptibles de fournir des renseignements sur les questions soumises a la Cour
pour avis consultatif».3 Le 25 juillet a ete fixe comme « date d'expiration du delai
dans lequel des exposes ecrits sur les questions pourront etre presentes a la Cour
conformement au paragraphe 2 de !'article 66 de son Statut ».4
4. La Republique de Djibouti, qui exprime sa solidarite et son soutien au peuple
palestinien et a ses droits inalienables et son engagement en faveur du droit
international, souhaite ainsi faire usage de cette possibilite et centrera son expose sur
trois aspects specifiques souleves par la demande d'avis consultatif. A cet egard, sera
1 A/RES/77/247 du 30 decembre 2022, § 18.
2Ibidem.
3 C.I.J., Consequences juridiques decoulant des politiques et pratiques d'Israel dans le territoire palestinien
occupe, y compris Jerusalem-Est (requete pour avis consultatif), ordonnance, 3 fevrier 2023, § I.
4/bid., § 2.
2
tout d'abord etabli le caractere illegal de !'occupation israelienne du Territoire
palestinien (I), pour ensuite aborder les questions relatives au respect par la partie
israelienne des obligations decoulant du droit international humanitaire et des droits
humains (II) et, enfin, determiner quelles sont les consequences juridiques des
violations du droit international commises par Israel, en particulier a l'egard des Etats
tiers (III).
I. L'OCCUPATION PROLONGEE DU TERRITOIRES PALESTINIEN EST, EN
TANT QUE TELLE, CONTRAIRE AU DROIT INTERNATIONAL
5. Depuis I 967, la partie israelienne impose une occupation militaire au Territo ire
palestinien et a sa population. La politique de colonisation mise en ceuvre par les
gouvernements israeliens successifs, et les mesures qui l'accompagnent, ont pour but
et pour effet de rendre impossible l'exercice, par le peuple palestinien, de son droit a
l'autodetermination (A). L'adoption par !'occupation israelienne de mesures et de
politiques ayant pour effet d'annexer, de jure ou de facto, des portions du Territoire
palestinien porte atteinte au devoir de respecter l'integrite territoriale de ce Territoire
et au principe de non-acquisition de territoire par la force (B). Enfin, le regime
d'occupation mis en place par la partie israelienne a pour effet d'instaurer une
discrimination systematique de la population palestinienne, au profit de la population
juive installees dans Jes colonies de peuplement, en violation de !'interdiction de la
segregation raciale et de !'apartheid (C).
A. L'occupation prolongee du Territoire palestinien viole le droit a l'autodetermination du
peuple palestinien
6. Comme la Cour international de Justice l'a rappele dans son avis relatif au mur5, le
droit des peuples a disposer d'eux-memes est une norme imperative (jus cogens), pour
laquelle !'application au peuple palestinien « ne saurait plus faire debat ». Ce droit a
preexiste au mandat accorde par la Societe des Nations sur la Palestine et a ete
reconnu dans le cadre de ce meme mandat en considerant la Palestine comme
5 C.I.J., Consequences juridiques de !'edification d'un mur dans le territoire palestinien occupe, Avis consultatif
du 9 juillet 2004, §§ 88,118.
3
appartenant a la categorie A qui conceme les peuples prets pour l'independance.
Article 22(4) du Pacte de la Societe des Nations enonce:
« Certaines communautes qui appartenaient autrefois a !'Empire ottoman, ont
atteint un degre de developpement tel que leur existence comme nations
independantes peut etre reconnue provisoirement, a la condition que les
conseils et l'aide d'un Mandataire guident leur administration jusqu'au
moment ou elles seront capables de se conduire seules. Les vceux de ces
communautes doivent etre pris d'abord en consideration pour le choix du
Mandataire. »
7. Cependant, ce mandat a ete detourne de sa vocation premiere par l'atteinte portee a
l'exercice du peuple palestinien de son droit a disposer de lui-meme, et au terme de ce
mandat, le peuple palestinien fut effectivement prive de l'exercice de ce droit par sa
depossession et le deplacement force des deux tiers du peuple palestinien. Ce deni de
ce droit fondamental se poursuit jusqu' a ce jour. L' Assemblee generale reaffirme
annuellement « le droit du peuple palestinien a l'autodetermination, y compris son
droit a un Etat de Palestine independant » et « exhorte tous les Etats ainsi que les
institutions specialisees et les organismes des Nations Unies a continuer d' apporter
soutien et aide au peuple palestinien en vue de la realisation rapide de son droit a
l'autodetermination. »6
8. II est avere par de tres nombreux rapports et resolutions que la politique d'occupation
menee par la partie israelienne vise « a modifier la composition demographique, le
caractere et le statut du Territoire palestinien occupe depuis 1967, y compris
Jerusalem-Est», en particulier par l'entremise de mesures telles que « la construction
et !'expansion de colonies de peuplement, le transfert de colons israeliens, la
confiscation de terres, la destruction de maisons et le deplacement de civils
palestiniens », pour reprendre les termes de la resolution 2334 adoptee en decembre
2016 par le Conseil de securite7
. Dans cette meme resolution, le Conseil constate que
« la creation par Israel de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupe
[ ... ] constitue une violation flagrante du droit international».
6 A/RES/77/208, Le droit du peuple palestinien a I'autodetennination, 15 decembre 2022
7 S/RES/2334, 23 decembre 2016.
4
9. Dans son avis de 2004, la Cour avait conclu que la construction du Mur, « s'ajoutant
aux mesures prises anterieurement, dresse ainsi un obstacle grave a l'exercice par le
peuple palestinien de son droit a I'autodetermination et viole de ce fait l'obligation
incombant a Israel de respecter ce droit »8. La Cour visait notamment l'installation de
colonies, I' annexion de Jerusalem-Est et Jes modifications demographiques. La
politique menee depuis 2004 par !'occupation israelienne en a encore aggrave la portee
et Jes effets : la partie israelienne a poursuivi les travaux et a deja realise 65% de la
construction du mur,9I'installation de colons juifs en Cisjordanie y compris JerusalemEst
s'est Iargement accrue, les mesures attentatoires aux droits de la population
palestinienne - homicide intentionnel et attaques indiscrimines, arrestations et
detentions arbitraires, destruction de maisons, entraves a la Iibre circulation ... - se sont
poursuivies10
. Il est unanimement reconnu que la politique de colonisation et
d'annexion constitue unobstacle majeur a l'exercice par le peuple palestinien de son
droit a.disposer de Iui-meme, y compris son droit a I'independance de I'Etat de
Palestine et a I' exercice effectif de sa souverainete11 .
10. Compte tenu de !'ensemble de ces elements, ii s'avere que !'occupation et la
colonisation du Territoire palestinien par Israel, et Jes mesures qui l'accompagnent,
constituent une violation flagrante du droit a l'autodetermination du peuple palestinien
et de la Charte des Nations Unies, notamment son article 1 (2).
B. L'occupation prolongie du Territoire palestinien viole le droit a l'intigriti territoriale et
le principe de non-acquisition du territoire par la force
8 C.I.J., Consequences juridiques de ! 'edification d'un mur dans le territoire palestinien occupe, Avis consultatif
du 9 juillet 2004, § 122.
9 OCHA, Fact Sheet: The Humanitarian Impact Of 20 Years Of The Barrier, December 2022,
https://www.ochaopt.org/sites/default/files/Barrier_ Factsheet_ Dec2022.pdf.
IO Vair not. Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, « Les colonies de
peuplement israeliennes dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et le Golan syrien
occupe », AIHRC/52/76, 15 mars 2023.
II Vair not. S/RES/2334, 23 decembre 2016, § 1°'; Rapport de la Commission intemationale independante
chargee d'enqueter dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et en Israel, Doc NU
A/77/328, 14 septembre 2022; Conseil des droits de l'homme, Resolution 52/35, « Colonies de peuplement
israeliennes dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe »,
A/HRC/RES/52/35, 20 avril 2023.
5
11. Le principe de non-acquisition du territoire par la force est une norme imperative du
droit international general. 12 Pourtant, I' occupation prolongee du Territoire palestinien
s'accompagne de mesures d'annexion de jure et de facto d'importantes portions de ce
Territoire. La partie israelienne a procede a l'annexion de Jerusalem, en violation de
son statut international et des resolutions pertinentes du Conseil de Securite et de
l 'Assemblee Generale, annexion reaffirmee dans la loi fondamentale du 30 juillet
1980 faisant de Jerusalem la capitale « entiere et reunifiee » d'Israel. Cette annexion a
ete condamnee tres fermement par les Nations Unies. Le Conseil de securite a ainsi «
desapprouve dans les termes les plus energiques l'adoption par la partie israelienne de
la "Joi fondamentale" sur Jerusalem », qui « constitue une violation du droit
international », est « nulle et non avenue » et doit etre « rapportee immediatement »13
.
Dans le meme sens, l' Assemblee genera!e rappelle regulierement « que toutes les
mesures et dispositions legislatives et administratives prises par Israel, Puissance
occupante, qui avaient modifie ou visaient a modifier le caractere et le statut de la
Ville sainte de Jerusalem, en particulier la "Loi fondamentale" sur Jerusalem et la
proclamation de Jerusalem« capitale d'Israel », etaient nulles et non avenues »14.
12. Le reste de la Cisjordanie fait aussi l'objet d'une annexion de facto. Cela inclus
notamment Jes territoires devolus aux colonies de peuplement et aux infrastructures
qui les accompagnent, de meme que les zones militaires et de securite, qui excluent
toute presence de populations palestiniennes. La Commission internationale
independante chargee d' enqueter dans le Territoire palestinien occupe, y compris
Jerusalem-Est, et en Israel, dans son rapport soumis en septembre 2022a constate que
« Depuis le debut de !'occupation, Israel a etendu !'application de sa
legislation a la Cisjordanie, d'ou des modifications profondes du droit
applicable et, dans la pratique, la coexistence de deux legislations applicables :
la legislation militaire et la legislation interne israelienne, qui est appliquee
extra-territorialement aux seuls colons israeliens. »15
12Rapport de la Commission du droit international Soixante-treizieme session (18 avril-3 juin et 4 juillet-5 aout
2022), A/77/10, pp. 86-87.
13 Conseil de securite, Resolution 478 (1980) du 20 aout 1980.
14 Voir not. Resolution 76/12 adoptee par l' Assemblee generale le ler decembre 2021.
15Rapport de la Commission intemationale independante chargee d'enqueter dans le Territoire palestinien
occupe, y compris Jerusalem-Est, et en Israel, 2022, §§ 46-47.
6
13. Dans sa resolution 2334 (2016), le Conseil de securite a souligne le fait que « Ies
tendances negatives sur le terrain [ ... ] ne cessent [ ... ] d'imposer dans Ies faits la
realite d'un seul Etat », reconnaissant ainsi la dimension annexionniste de la politique
israelienne de colonisation.
14. Dans le rapport rendu en 2013, la mission intemationale independante d'etablissement
des faits chargee d' etudier Jes effets des colonies de peuplement israeliennes sur Jes
droits civils, politiques, economiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le
territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est concluait:
« L'installation de colonies de peuplement en Cisjordanie, y compris a
Jerusalem-Est, a abouti a la mise en place d'un "filet" de constructions et
d'infrastructures qui conduit subrepticement a une annexion [ ... ] et porte
atteinte au droit du peuple palestinien a l'autodetermination »16
.
15. Dans l'avis de 2004 relatif au Mur, la Cour a rappele que « tant l'Assemblee generale
que le Conseil de securite se sont referes, a propos de la Palestine, a la regle
coutumiere de "l'inadmissibilite de !'acquisition de territoire par la guerre" », en
mentionnant notamment la resolution 242 (1967) du 22 novembre 1967. Elle a estime
que « la construction du mur et le regime qui Iui est associe creent sur le terrain un
"fait accompli" qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la
description officielle qu'Israel donne du mur, la construction de celui-ci equivaudrait a
une annexion de facto». Depuis 2004, aucune mesure de demantelement du mur n'a
ete entreprise, bien au contraire, sa construction s'est poursuivie, la politique de
colonisation s'est acceleree et Ies mesures d'imposition du droit israelien a de Iarges
portions du Territoire palestinien investies par Ies colonies et les zones militaires se
sont developpees. De ce point de vue, !'occupation israelienne presente
incontestablement un effet «permanent» visant a consacrer !'appropriation au profit
de la population juive israelienne de la plus large portion possible du Territoire
palestinien, aboutissant a une annexion de facto. C'est a ce constat qu'a abouti la
Commission internationale independante chargee d' enqueter dans le Territoire
palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et en Israel, dans son rapport soumis en
septembre 2022:
16 Rapport de la mission intemationale independante d'etablissement des faits chargee d'etudier les effets des
colonies de peuplement israeliennes sur les droits civils, politiques, economiques, sociaux et culturels des
Palestiniens dans le territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, 7 fevrier 2013, A/HRC/22/63, § 10 I.
7
« La Commission conclut qu'Israel considere !'occupation comme une
situation permanente et qu' il a - a toutes fins utiles - annexe des parties de la
Cisjordanie, tout en invoquant pour se justifier le caractere temporaire de la
situation, lequel n' est qu'une fiction. Israel a pris des mesures qui sont
constitutives d'une annexion de facto, a savoir notamment : !'expropriation de
terres et de ressources naturelles, l'etablissement de colonies et d'avant-postes,
!'application aux Palestiniens d'un regime d'amenagement et de construction
restrictif et discriminatoire et I' application extraterritoriale de la legislation
israelienne aux colons israeliens en Cisjordanie »17
.
16. L' Assemblee Generale elle-meme a souligne la contradiction entre une occupation qui
se doit d'etre temporaire et une annexion qui se veut permanente, reprochant de fait a
la partie israelienne d'utiliser la premiere pour parvenir a la seconde. L' Assemblee
souligna en des termes non equivoques le fait « que !'occupation d'un territoire doit
etre un etat de fait provisoire, par lequel la Puissance occupante ne peut ni revendiquer
la possession de ce territoire ni exercer sa souverainete sur le territoire qu' elle occupe,
rappelle a cet egard le principe de l'inadmissibilite de !'acquisition de territoire par la
force et done le caractere illegal de l'annexion de toute partie du Territoire palestinien
occupe, y compris Jerusalem-Est, qui constitue une violation du droit international,
compromet la viabilite de la solution des deux Etats et remet en cause Jes perspectives
d'un reglement pacifique, juste, durable et global, et se dit gravement preoccupee par
Jes declarations recentes au sujet de l'annexion par Israel de secteurs dans le Territoire
palestinien occupe »18.
17. En vertu de l'effet d'annexion qu'elle produit, la politique israelienne d'occupation et
de colonisation viole le principe de non-acquisition de territoire par la force qui
decoule de !'article 2(4) de la charte de l'ONU et qui constitue un principe cardinal des
relations internationales de l'apres Seconde guerre mondiale.
18. Cette politique enfreint egalement le principe du respect de l'integrite territoriale, un
corolaire essentiel au droit de l'autodetermination19
. Dans son avis relatif a l'archipel
des Chagos, la Cour a etabli que le respect de l'integrite territoriale «etait un element
17 Rapport de la Commission intemationale independante chargee d'enqueter dans le Territoire palestinien
occupe, y compris Jerusalem-Est, et en Israel, A/77/328, 14 septembre 2022, § 76.
18 A/RES/77/126, Les colonies de peuplement israeliennes dans le Territoire palestinien occupe, y compris
Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe, 12 Decembre 2022.
19 Voir not. Assemblee generale, resolutions 1514 (XV) and 2625 (XXV),
8
clef de l'exercice du droit a l'autodetermination en droit international »20 . Ce principe
peut, mutatis mutandis, etre etendu aux autres cas d'application du droit des peuples a
disposer d'eux-memes et en l'espece a celui du peuple Palestinien. Comme il a deja
ete rappele, le peuple palestinien s'est vu reconnaitre le droit a l'autodetermination.
Dans sa resolution 67/19, accordant a la Palestine le statut d'Etat non membre
observateur aupres de l'ONU, l' Assemblee generale a reaffirme « le droit du peuple
palestinien a l'autodetermination et a l'independance dans un Etat de Palestine situe
sur le territoire palestinien occupe depuis 1967 »21
.
19. Le Territoire palestinien est ainsi protege par le principe du respect de l'integrite
territoriale, qui s'applique pleinement a la partie israelienne en ce qu' elle y exerce une
occupation etrangere. Des !ors, en poursuivant une « occupation prolongee », qui vise
a etre permanente, en menant activement une politique de colonisation,
d' appropriation et de fragmentation du territoire, en adoptant des lois et des mesures
ayant des effets d'annexion de Jure ou de facto, la partie israelienne viole le principe
du respect de l'integrite du Territoire palestinien, dressant un obstacle grave a
l'exercice par le peuple palestinien de son droit a l'autodetermination.
C. Le regime d'occupation mis en place par la partie israelienne instaure une
discrimination systematique de la population palestinienne semblable a celui de /'apartheid
20. La politique d'occupation et de colonisation menee par la partie israelienne
s'accompagne de l'instauration d'un regime de discrimination systematique envers la
population palestinienne, visant a favoriser les colons juifs israeliens installes en
Cisjordanie y compris Jerusalem-Est. Cette situation est decrite par de nombreux
rapports intemationaux.
21. Dans ses « Observations finales concemant le rapport d'Israel valant dix-septieme a
dix-neuvieme rapports periodiques », le Comite pour !'elimination de la discrimination
raciale opere le constat suivant :
2°CIJ, Effets juridiques de la separation de l'archipel des Chagos de Maurice en 1965, Avis consultatif du 25
fevrier 2019, § I 60.
21 Resolution adoptee par I' Assemblee generale le 29 novembre 2012, NRES/67/19.
9
« S'agissant de la situation particuliere du Territoire palestinien occupe, le
Comite demeure preoccupe par les consequences des politiques et des pratiques
assimilables a la segregation appliquees dans ce territoire, illustrees notarnment
par l' existence de deux systemes juridiques et institutionnels totalement
distincts, dont l'un est corn;u pour les communautes juives vivant dans les
implantations illegales, d'une part, et l'autre pour les populations
palestiniennes habitant dans les villes et les villages palestiniens, d'autre
part.»22.
22. Le Comite observe egalement que « les lois et politiques d'amenagement et de
partition territorial ont des effets discriminatoires sur les Palestiniens et les
communautes bedouines en Cisjordanie, que les demolitions de batiments et
d'infrastructures, y compris de puits d'eau, se poursuivent, ce qui provoque de
nouveaux deplacements de Palestiniens » et souligne que « la procedure de demande
de perrnis de construire est longue, complexe et onereuse et que peu de demandes sont
approuvees, alors qu'un traitement preferentiel continue d'etre reserve a !'expansion
des implantations israeliennes »23.
23. Le meme type de constatations est fait par d'autres instances de l'ONU. Ainsi le HautCommissaire
des Nations Unies aux droits de l'homme indique que son rapport
soumis en 2023 :
« Met en evidence une discrimination systematique dans les lois, les politiques et les
pratiques, dans presque tous les domaines, et examine en particulier la situation
concernant les droits au logement, a la terre et a la propriete, ainsi que le droit a la vie,
a la securite et a l'acces a la justice. Les violations commises contribuent a
l'instauration d'un climat de coercition qui contraint les Palestiniens a quitter leurs
maisons et leurs terres dans des circonstances qui peuvent s' apparenter a un transfert
force et sont la consequence ultime des multiples effets de la colonisation »24.
22 Comite pour !'elimination de la discrimination raciale, Observations finales concemant le rapport d'Israel
valant dix-septieme a dix-neuvieme rapports periodiques, CERD/C/ISR/CO/17-19, 12 decembre 2019, § 22.
23/bidem, § 42. Voir egalement Comite des droits de l'homme, Observations fmales concernant le cinquieme
rapport periodique d'Israel, CCPR/C/ISR/CO/5, 22 mars 2022, §§ 36, 42-43.
24 Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, « Les colonies de peuplement
israeliennes dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe »,
A/HRC/52/76, 15 mars 2023, § 2.
10
24. Cette appreciation est encore partagee par divers rapports des Rapporteurs speciaux
sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupes depuis
196725, comme l'illustre la situation decrite dans un rapport publie en 2021 :
« Les violations des droits de l'homme commises a l'encontre des Palestiniens
du fait des colonies juives sont generalisees et graves et la violence des colons
a cree un climat de coercition. II existe un systeme juridique a deux niveaux,
semblable a celui de !'apartheid, qui accorde aux colons israeliens le plein
exercice de leurs droits de citoyens et soumet les Palestiniens a un regime
militaire. L'acces aux ressources naturelles du territoire occupe, en particulier a
l'eau, est alloue de maniere disproportionnee aux colonies et le territoire
fragmente laisse aux Palestiniens a eu pour consequence une economie
extremement dependante et etranglee, un appauvrissement croissant, des
contraintes et des humiliations quotidiennes, et un espoir de plus en plus mince
de voir la situation s'inverser dans un avenir previsible »26
.
25. L'ensemble de ces elements a conduit le Conseil des droits de l'homme a considerer
que « nombre de politiques et pratiques israeliennes liees aux activites de colonisation
dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, constituent une
discrimination flagrante, notamment par la creation d'un systeme privilegiant les
colonies de peuplement et les colons israeliens au detriment des Palestiniens et en
violation de leurs droits humains »27.
26. II est ainsi permis de conclure que la politique menee par la partie israelienne envers la
population palestinienne constitue une violation manifeste d' enormes imperatives, 28a
savoir !'interdiction de discrimination raciale d'une part et de la segregation raciale et
!'apartheid d' autre part. La Convention internationale sur !'elimination de toutes les
25 Rapport de la Rapporteuse speciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens
occupes depuis 1967, Francesca Albanese, A/77/356, 21 septembre 2022; Rapport du Rapporteur special sur la
situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupes depuis 1967, Michael Lynk,
A/HRC/49/87, 12 aout 2022; Rapport du Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans Jes
territoires palestiniens occupes depuis 1967, Richard Falk, A/HRC/16/72, 10 janvier 2011 ; Rapport du
Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans Jes territoires palestiniens occupes depuis 1967,
John Dugard, A/HRC/4/17, 29 janvier 2007.
26 Rapport du Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans Jes territoires palestiniens occupes
depuis 1967, « Situation des droits de l'homme dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est,
!'accent etant mis sur le statutjuridique des colonies de peuplement », A/HRC/47/57, 29 juillet 2021, § 58. Voir
egalement Rapport de la Commission intemationale independante chargee d'enqueter dans le Territoire
palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et en Israel, A/HRC/50/21, 9 mai 2022, §§ 49-50;
27 Conseil des droits de l'homme, Resolution 52/35, « Colonies de peuplement israeliennes dans le Territoire
palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe », A/HRC/RES/52/35, 20 avril 2023.
28Rapport de la Commission du droit international Soixante-treizieme session (18 avril-3 juin et 4 juillet-5 aout
2022), A/77 /l 0, pp. 86-87.
11
formes de discrimination raciale (1965), a laquelle la partie israelienne est partie,
enonce a l'article 3:
« Les Etats parties condamnent specialement la segregation raciale et
l'apartheid et s'engagent a prevenir, a interdire et a eliminer sur les territoires
relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature. »
27. A cet egard, dans ses Observations precitees, le Comite contre la discrimination raciale
priait la partie israelienne de « donner pleinement effet a l' article 3 de la Convention
en eliminant toutes les formes de segregation entre les communautes juives et les
communautes non juives et toutes les politiques ou pratiques a caractere
segregationniste qui ont des consequences graves pour la population palestinienne en
Israel proprement dit et dans le Territoire palestinien occupe et l'affectent de maniere
disproportionnee »29 .
28. En vertu de !'aggravation observee ces demieres annees, il apparait que la politique
israelienne d'occupation et de colonisation, en ce qu'elle etablit un systeme de
domination de la population de colons juifs israeliens, implantes illegalement sur le
territoire, sur la population palestinienne en Territoire palestinien, est susceptible
d'etre qualifiee de regime d'apartheid, dont les pratiques font l'objet d'une interdiction
par le droit coutumier, telle que reflete par la Convention intemationale sur
\
l'elimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965, article 3), la
Convention sur l'elimination et la repression du crime d'apartheid (1973), le Protocole
additionnel awe Conventions de Geneve du 12 aout 1949 (1977) relatif a la protection
des victimes des conflits armes intemationaux (Protocole I) (article 85 § 4 c)), et le
Statut de la Cour penale internationale (1998, article 7 § 1 er j) et 7 § 2 h)).
29. Trois rapporteurs speciaux sur la situation des droits de l'homme dans les territoires
palestiniens occupes depuis 1967ont conclu a l'existence de pratiques d'apartheid
commises par la partie israelienne en territoire palestinien occupe30. Ainsi, dans un
rapport rendu en aout 2022, le Rapporteur special a indique dans ses conclusions :
29 Comite pour !'elimination de la discrimination raciale, Observations finales concemant le rapport d'Israel
valant dix-septieme a dix-neuvieme rapports periodiques, CERD/C/ISR/CO/17-19, 12 decembre 2019, § 23.
30Rapport du Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupes
depuis 1967, John Dugarcl, A/HRC/4/17, 29 janvier 2007 ; Rapport du Rapporteur special sur la situation des
droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupes depuis 1967, Richard Falk, A/HRC/16/72, 10 janvier
12
« Appliquant chacun des trois criteres cumulatifs enonces clans la Convention
internationale sur l'elimination et la repression du crime d'apartheid et le Statut
de Rome, le Rapporteur special a conclu que le systeme politique de
gouvemement bien ancre clans le Territoire palestinien occupe, qui conrere a un
groupe racial, national et ethnique des droits, des avantages et des privileges
substantiels tout en contraignant intentionnellement un autre groupe a vivre
derriere des murs et des points de controle et sous un regime militaire
permanent, sans droits, sans egalite, sans <lignite et sans liberte, satisfaisait aux
normes de preuve generalement reconnues pour determiner !'existence d'un
apartheid »31 .
II est a noter enfin que plusieurs rapports intemationaux demontrent une situation
d'apartheid des deux cotes de la ligne verte, la ligne d'armistice de 1949.
30. Cette qualification, qui vient prolonger les analyses faites par diverses ONG des droits
humains32
, meriterait un examen juridique specifique par la Cour internationale de
Justice dans le cadre de cette procedure d'avis consultatif.
* * *
31. Compte tenu de elements developpes ci-dessus, il est permis de conclure que
!'occupation du Territoire palestinien est, comme telle, illegale au regard du droit
international, et ceci des l'origine, en ce qu'elle implique des violations de normes
imperatives de droit international, a savoir une entrave fondamentale a l'exercice par
le peuple palestinien de son droit a !' autodetermination, en ce qu' elle vise et aboutit a
une annexion contraire au principe d'integrite territoriale et de non acquisition du
territoire par la force, et en ce qu'elle conduit a l'etablissement d'un regime de
segregation voire d'apartheid. II s'ensuit que la partie israelienne a !'obligation de
20 II ; Rapport du Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens
occupes depuis 1967, Michael Lynk, A/HRC/49/87, 12 aout 2022.
31 Rapport du Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupes
depuis I 967, Michael Lynk, A/HRC/49/87, 12 aout 2022, § 52.
32 Amnesty international, « Israel's apartheid against Palestinians. Cruel system of domination and crime against
humanity», fevrier 2022 ; Human Rights Watch, « A Threshold Crossed : Israeli Authorities and the Crimes of
Apartheid and Persecution», avril 2021; B'tselem, « A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to
the Mediterranean Sea: This is apartheid», janvier 2021 ; Yesh Din,« The Occupation of the West Bank and the
Crime of Apartheid: Legal Opinion», septembre 2020 ; Al-Haq and others, « Report on Israeli apartheid to UN
Committee on the Elimination of Racial Discrimination. Joint Parallel Report to CERD on Israel's 17 th -19 th
Periodic Reports», novembre 2019.
13
mettre fin immediatement a son occupation et aux politiques de colonisation et
d'annexion qui l'accompagnent. Cette obligation se degageait deja de la resolution
242 adoptee par le Conseil de securite en 1967 qui a appele au « retrait des forces
armees israeliennes des territoires occupes lors du recent conflit »33
. Elle avait ete
rappelee par le Conseil de securite dans sa resolution 476 (1980), dans laquelle il
reaffirmait « la necessite imperieuse de mettre fin a !'occupation prolongee des
territoires arabes occupes par Israel depuis 1967, y compris Jerusalem »34
. Plus
recemment, le Conseil de Securite a de nouveau appele a mettre un terme a
!'occupation israelienne « sans delai»35. De son cote, l'Assemblee generale a
regulierement souligne « la necessite imperieuse de mettre un terme immediatement a
!'occupation israelienne qui a commence en 1967»36
.
II. LES POLITIQUES ET PRATIQUES DE LA PARTIE ISRAELIENNE EN
TERRITOIRE PALESTINIEN VIOLENT LE DROIT INTERNATIONAL
HUMANITAIRE ET LES DROITS HUMAINS
32. Dans ce deuxieme chapitre de son expose ecrit, la Republique de Djibouti
commencera par rappeler !'existence d'une occupation militaire sur !'ensemble du
territoire palestinien occupe ainsi que le droit applicable a cette occupation militaire,
qui comprend non seulement les regles du droit international humanitaire (DIH) mais
egalement celles du droit international des droits humains (DIDH) (A). Au vu du
caractere prolonge de !'occupation, ces dernieres regles revetent une importance
fondamentale pour la protection de la population civile occupee (B). Sur cette base,
nous nous attarderons plus particulierement sur le fait que la colonisation et les
mesures visant a modifier la composition demographique du territoire palestinien
occupe (C), ainsi que !'adoption par la partie israelienne des lois et mesures
discriminatoires (D) constituent des violations tant des regles du DIH que du DIDH.
A. L'occupation militaire de !'ensemble des territoires palestiniens occupes et le droit
applicable a cette occupation militaire
33 Conseil de securite, Resolution 242 (1967) du 22 novembre 1967.
34 Conseil de securite, Resolution 476 (1980) du 30 juin 1980.
35Conseil de securite, Resolution 2334 (2016) du 23 decembre 2016.
36 Voir not. Assemblee generale, Resolution 77/208, « Le droit du peuple palestinien a l'autodetermination »,
adoptee le 15 decembre 2022.
14
33. Conformement a !'article 42 du Reglement concernant les lois et coutumes de la
guerre sur terre de 1907 (ci-apres: Reglement de La Haye de 1907), la notion
d' occupation est definie comme suit :
« Un territoire est considere comme occupe lorsqu'il se trouve place de fait
sous l'autorite de l'armee ennemie.
L' occupation ne s'etend qu'aux territoires ou cette autorite est etablie et en
mesure de s'exercer. »37
L'adoption des Conventions de Geneve de 1949 n'a pas modifie cette definition.
34. 11 ne fait aucun doute que les territoires palestiniens occupes sont sous occupation
militaire par Israel. Cette occupation militaire couvre !'ensemble des territoires
palestiniens occupes.
35. Le regime juridique applicable a cette occupation militaire comprend, entre autres, les
regles du DIH conventionnelles et coutumieres liant Israel, notamment les dispositions
pertinentes du Reglement de la Haye de 1907 et l' ensemble des dispositions de la
quatrieme convention de Geneve de 194938 et les regles applicables du Premier
Protocole Additionnel ainsi que les regles du DIDH. En effet, !'application
extraterritoriale du DIDH en situation de conflit arme et d'occupation ne fait plus de
doute. Ainsi, la Cour intemationale de Justice (CIJ) a confirme a plusieurs reprises
!'application extraterritoriale des regles du DIDH dans des situations de conflit arme, y
compris tout particulierement la situation du territoire palestinien occupe.39 Comme il
ressort de la jurisprudence de la Cour tant dans I' arret relatif aux Activites armees sur
le territoire du Congo (Republique democratique du Congo c. Ouganda) que dans
I' avis consultatif relatif aux Consequences juridiques de l 'edification d'un mur dans le
37Convention (IV) concernant les lois et couturnes de la guerre sur terre et son Annexe: Reglement concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 18 octobre 1907, Article 42, disponible sur: <https://ihldatabases.
icrc.org/fr/ihl-treaties/hague-conv-iv-1907> ( consulte le 18 juillet 2023).
38 A/RES/60/107 du 8 decembre 2005, § 2: l'Assemblee generale exige qu'Israel « ... applique integralement
toutes les dispositions de la quatrieme Convention de Geneve de 1949 ... » (nous soulignons).
39 C.I.J., Liceite de la menace ou de l'emploi d'armes nucleaires, avis consultatif, 8 juillet 1996, C.IJ. Recueil
1996, p. 240, § 25; C.LJ., Consequences juridiques de !'edification d'un mur dans le territoire palestinien
occupe, avis consultatif, 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004, p. 178, § 106 ; C.I.J., Activites armees sur le
territoire du Congo (Republique democratique du Congo c. Ouganda), arret, 19 decembre 2005, C.IJ. Recueil
2005, pp. 242-243, § 216.
15
territoire palestinien occupe (ci-apres: avis consultatif sur le Mur), dans la situation
d'occupation militaire des territoires palestiniens par Israel, les regles du DIH et du
DIDH s'appliquent simultanement et de maniere complementaire40
. Leur
interpretation et application doit etre guidee tout particulierement par la regle enoncee
dans l' article 31 (3 )( c) de la convention de Vienne sur le droit des traites de 1969 qui
prevoit de tenir compte dans !'interpretation d'un traite, « [d]e toute regle pertinente
de droit international applicable dans les relations entre les parties ».
36. L' application des regles du DIH et du DIDH en situation d' occupation militaire
n'exclue pas non plus celle d'autres regles du droit international comme, par exemple,
celles relatives a l' interdiction du recours a la force ou a la protection du droit de
l'environnement. La resolution 77/247, qui est a l'origine de la demande de l'avis
consultatif a la Cour, l'admet d'ailleurs explicitement en citant comme cadre juridique
pertinent pour apprecier la liceite du comportement israelien aux territoires
palestiniens occupes les « regles et principes du droit international, dont la Charte des
Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de
l 'homme, ... » 41
. Les violations du droit international humanhaire et des droits de
l'Homme sont ici indissociables des atteintes a la Charte et aux normes imperatives du
droit international, en ce sens qu'elles servent precisement la commission de ces
atteintes.
37. Entin, il est important de souligner que le territoire occupe comprend egalement la
bande de Gaza, malgre le desengagement des forces militaires israeliennes. En effet,
comme le souligne le nouveau commentaire de !'article 2 commun elabore par le
Comite international de la Croix-Rouge:
« ( ... ) dans certains cas specifiques et exceptionnels - en particulier lorsque les
forces etrangeres se retirent d'un territoire occupe (ou des parties de celui-ci)
tout en conservant des elements essentiels d'autorite ou d'autres fonctions
gouvernementales importantes qu' exercent [sic] habituellement une puissance
40 Voir references a la note precedente; voir aussi Comite des droits de I'homme, Observation generale No. 31 -
La nature juridique generale imposee aux Etats parties au Pacte, Doc. NU CCPR/C/21/Rev.l/Add.13, 26 mai
2004, § 11 : « Jes deux domaines du droit sont complementaires et ne s'excluent pas l'un l'autre » ; Comite des
droits de l'homme, Observation generale n° 36-Article 6: droit a la vie, Doc. NU CCPR/C/GC/36, 3 septembre
2019, para 67 : « ces deux spheres du droit ne s'excluent pas mutuellement mais sont complementaires ».
41 Voir supra note 2.
16
occupante - le droit de l 'occupation pourrait continuer de s' appliquer dans les
limites territoriales et fonctionnelles de ces competences.
En effet, bien que les forces etrangeres ne soient pas physiquement presentes
dans le territoire conceme, l'autorite qu'elles ont conservee peut, dans certains
cas, constituer un controle effectif aux fins du droit de l' occupation et entrainer
l' application continue des dispositions pertinentes.
( ... ) [L]es progres technologiques et militaires ont rendu possible l'exercice
d'un contr6le effectif sur un territoire etranger ou sur des parties de celui-ci
sans presence militaire continue dans la zone en question. Dans de telles
situations, il est important de tenir compte du degre d'autorite que conservent
les forces etrangeres, plut6t que de se concentrer exclusivement sur les moyens
par lesquels ce pouvoir est effectivement exerce »42
.
38. Dans le meme ordre d'idees, le Bureau du procureur de la Cour penale intemationale a
affirme que :
« Bien que les autorites israeliennes affirment ne plus occuper Gaza, le point de
vue predominant au sein de la communaute intemationale, au vu de l'ampleur
et de l'etendue du contr6le qu'a conserve Israel sur le territoire de Gaza a
l'issue de son desengagement en 2005, veut que ce pays demeure une
puissance occupante, au regard du droit international »43
.
39. Au vu de ses considerations, il est important de ne pas perdre de vue que les actions
de l'occupation israelienne dans la bande de Gaza, notamment le blocus impose a plus
de deux millions de palestiniens dans ce territoire exsangue et qui dure depuis 16 ans,
constituent egalement des violations des regles du DIH et du DIDH.
B. Le caractere prolonge de !'occupation et !'importance renforcee des regles du DJDH
40. L'occupation des territoires palestiniens par la partie israelienne a ete qualifiee de
« prolongee » deja en 1980 par le Conseil de securite dans sa resolution 47644
.
42 T. Ferraro et Lindsey Cameron, supra,§§ 307-309 (references omises).
43 Cour penale intemationale, Le Bureau du Procureur, Situation relative aux navires battant pavilions comorien,
grec et cambodgien, Rapport etabli au titre de !'article 53-1 du Statut, 6 novembre 2014, p. 5, § 16, disponible
sur:< https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/iccdocs/otp/OTP-COM-Article_53(l)-Report-
06Nov2014Frapdf>.
44 S/RES/476 (1980), adoptee le 30 juin 1980, § I. Voir aussi Conseil des droits de l'homme, Rapport du
Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupes depuis 1967,
Richard Falk, Doc. NU NHRC/25/67, 13janvier2014, p. 4, § 6 et p. 22, § 78 ; Assemblee generale des Nations
Unies, Situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupes depuis 1967, Note du Secretaire
general, Annexe: Rapport de la Rapporteuse speciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires
palestiniens occupes depuis 1967, Francesca Albanese, Doc. NU Af77/356, 210 septernbre 2022, p. 7, § 22 et p.
21, § 63.
17
41. Le caractere prolonge d'une occupation doit etre pris en compte dans l'interpretation
des regles applicables du DIH et du DIDH. En regle generale, dans une telle situation
d'occupation, les regles du DIDH gagnent en importance, comme l'affirme la
Commission du droit international dans le projet de principes sur la protection de
l'environnement en rapport avec les conflits armes et commentaires y relatifs:
« Si la nature et la duree de l'occupation ne changent rien a l'applicabilite du
droit de l'occupation, les obligations de la Puissance occupante en droit de
!'occupation sont dans une certaine mesure fonction du contexte. ( ... ) [L]es
devoirs qui incombent a une Puissance occupante sont « proportionnels a la
duree de l'occupation ». En outre, si les occupations prolongees restent regies
par le droit de l'occupation, d'autres branches du droit, comme le droit des
droits de l'homme et le droit international de l'environnement, gagnent en
importance au fil du temps et peuvent venir completer ou determiner les regles
applicables du droit de !'occupation. Dans les situations d'occupation
prolongee, les changements rendus necessaires par le developpement
economique et social requierent la participation de la population protegee »45
.
42. Dans ce cas precis, le caractere prolonge de l'occupation est lie aux declarations des
responsables israeliens et aux politiques qui demontrent une intention de permanence
incompatible avec la lettre et l'esprit du droit de !'occupation et des regles du DIDH.
La colonisation represente l'expression ultime de ces visees.
C. La colonisation et les mesures visant a modifier la composition demographique du
territoire palestinien occupe en tant que violation du DIH et du DIDH
43. L'etablissement des colonies en territoire palestinien occupe viole l'article 49 (6) de la
quatrieme convention de Geneve de 1949, qui fait partie du droit coutumier46 et dont
la violation constitue un crime de guerre en vertu de !'article 8 (2) (b) (viii) du Statut
de la Cour penale internationale.
44. De meme, dans la mesure ou les modifications de la composition demographique du
territoire occupe se materialisent par des deplacements forces, ces derniers sont
interdits par l'article 49 (1) de la quatrieme convention de Geneve de 1949. Cette
interdiction est de nature coutumiere47 et sa violation constitue un crime de guerre
selon I' article 8 (2) (b) (viii) du Statut de la Cour penale international e.
45 Commission du droit international, Projet de principes sur la protection de l'environnement en rapport avec
les conjlits armes et commentaires y relatifs, adopte en deuxieme lecture en 2022, Quatrieme partie,
commentaire, § 6.
46 J.-M. Henckaerts - L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire, volume I: Regles, Bruylant / CICR,
Bruxelles I Geneve, 2006, p. 608 (rule 130).
47 Ibid., p. 602 (rule 129A).
18
45. Aussi recemment que le 19 juin 2023, dans un communique de presse, le Secretaire
general des Nations Unies se disait
« profondement preoccupe par la decision prise ( .... ) par le gouvernement
israelien de modifier les procedures d'amenagement des colonies du
peuplement. Ces modifications devraient accelerer l'avancement des plans de
colonisation israelienne en Cisjordanie occupee, y compris Jerusalem-Est. Il est
egalement profondement alarme par la construction prevue la semaine
prochaine de plus de 4.000 logements dans les colonies par les autorites
israeliennes d' amenagement » 48 .
Et le Secretaire general de continuer ainsi :
« Le Secretaire general reitere que les colonies constituent une violation
flagrante du droit international. Elles constituent un obstacle majeur a la
realisation d'une solution viable prevoyant deux Etats et d'une paix juste,
durable et globale. L' expansion de ces colonies illegales est un facteur
important de tensions et de violence et aggrave les besoins humanitaires. Elle
ancre encore plus l'occupation israelienne du territoire palestinien, empiete sur
les terres et les ressources naturel!es palestiniennes, entrave la libre circulation
de la population palestinienne et sape les droits legitimes du peuple palestinien
a l'autodetermination et a la souverainete »49
.
46. Cette declaration du Secretaire general concerne ce qui n'est que le dernier d'une tres
longue liste d'incidents similaires. La pratique systematique et continue de
l'etablissement et expansion des colonies ainsi que, plus generalement des mesures
visant a modifier la composition demographique des territoires palestiniens occupes ne
constitue pas seulement une violation grave des regles du DIH. Elle viole egalement,
entre autres, le droit a l'autodetermination du peuple palestinien, ainsi que d'autres
droits fondamentaux du peuple palestinien.
47. En outre, dans son rapport publie le 14 septembre 2022, la Commission internationale
independante chargee d' enqueter dans le Territoire palestinien occupe, y compris
Jerusalem-Est, et en Israel, a affirme que
« les politiques examinees dans le present rapport, lesquelles ont contribu~ au
deplacement force de la population palestinienne qui vivait dans certaines
zones, modifie la composition demographique du Territoire palestinien occupe
et abouti a l'encerclement presque total des communautes palestiniennes par
des colonies israeliennes, sont susceptibles de constituer le crime de
deportation ou de transfert force de population, crime contre l'humanite vise au
paragraphe 1 d) de !'article 7 du Statut de Rome. Ces politiques semblent
48 M. Guterres s'inquiete de la decision israelienne de modifier les procedures de colonisation en Cisjordanie
occupee et d'y construire plus de 4.000 logements, Communique de presse, Secretaire general, SG/SM/21847,
19 juin 2023, disponible sur: <https://press.un.org/fr/2023/sgsm21847.doc.htm>.
49Jbidem.
19
relever d'une action intentionnelle, generalisee et systematique dirigee contre
la population palestinienne pour la contraindre a quitter certaines parties de la
Cisjordanie de fayon a en modifier la composition demographique. Ces actes
peuvent egalement constituer le crime de persecution, crime contre l'humanite
vise au paragraphe 1 h) de l'article 7 du Statut de Rome »50
.
48. Dans le meme rapport, la Commission a constate que « [l]'entreprise de peuplement
est le principal moyen » par lequel l'occupation israelienne cree des faits irreversibles
sur le terrain permettant d' etendre son controle sur le territoire et annexer de facto et
de Jure certaines parties de ce territoire51 . Sur la base de cette affirmation, et eu egard a
ce qui a ete expose ci-avant concernant le caractere illicite de l'occupation et de
l'annexion en tant que telle, on peut conclure que les mesures liees a l'etablissement et
l'expansion des colonies, en tant que moyens de mettre en ceuvre une occupation et
une annexion illicites, sont entaches de la meme illiceite.
49. La colonisation est un exemple par excellence de violations du jus in hello qui
contribuent a la violation de la Charte des Nations Unies et du droit international
general, notamment le principe de la non-acquisition du territoire par la force.
D. L'adoption par la partie israelienne des lois et mesures discriminatoires
50. Parmi plusieurs rapports, celui publie le 14 septembre 2022, donne un apen;u des
mesures discriminatoires adoptees par Israel52 .
51. Les pouvoirs legislatifs de la puissance occupante sont regis par l'article 43 du
Reglement de La Haye de 1907 et l'article 64 de la quatrieme convention de Geneve
de 1949. Dans l'exercice de ses pouvoirs, la puissance occupante est liee par les regles
du DIH et du DIDH, a savoir, notamment le principe de non-discrimination. Ce
principe est enonce dans l'article 13 de la quatrieme convention de Geneve de 194953
et a acquis le statut de droit coutumier :
« Toute distinction de caractere defavorable dans l'application du droit
international humanitaire fondee sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
50 Rapport de la Commission internationale independante chargee d'enqueter dans le Territoire palestinien
occupe, y compris Jerusalem-Est, et en Israel, Note du Secretaire general, Doc. NU N77/328, 14 septembre
2022, p. 29, § 86.
511bid., p. 26, § 75.
s21bid.
53 Convention (IV) de Geneve relative a la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 aout 1949,
Article 13 : « Les dispositions du present titre visent !'ensemble des populations des pays en conflit, sans aucune
distinction defavorable, notamment de race, de nationalite, de religion ou d'opinions politiques et tendent a
attenuer les souffrances engendrees par la guerre. »
20
religion ou la croyance, les opinions politiques ou autres, l' origine nationale ou
sociale, la fortune, la naissance ou une autre situation, ou tout autre critere
analogue, est interdite »54
.
52. De meme, de telles mesures sont contraires aux regles du DIDH, a savoir, entre autres,
l'article 2(1) du Pacte international des droits civils et politiques55
, l'article 2(2) du
Pacte international des droits economiques, sociaux et culturels,56 ou encore la
Convention internationale sur l' elimination de toute forme de discrimination raciale.
III. LES CONSEQUENCES JURIDIQUES DE LA VIOLATION PERSISTANTE PAR
LA PARTIE ISRAELIENNEDES DROITS DU PEUPLE PALESTINIEN
53. Comme il a ete constate ci-dessus, il est etabli quela partie israelienne viole de
nombreuses regles relevant du droit international general, du droit international
humanitaire et du droit international des droits humains, considerees comme
constituant des normes imperatives et erga omnes. La consequence premiere de ces
violations consiste en ce que la partie israelienne doit immediatement y mettre fin, en
cessant notamment l'occupation et la colonisation immediatement et
inconditionnellement et en supprimant toutes les mesures portant atteinte aux droits de
la population palestinienne, y compris son droit a l'autodetermination, et toutes les
mesures discriminatoires, et qu' elle repare le prejudice subi par le peuple palestinien
du fait de ces violations.
54. Toutefois, la persistance de la partie israelienne a ignorer toutes les injonctions de
respecter ses obligations internationales, qu' elles emanent de cette Cour, du Conseil de
securite, de l' Assemblee generale, du Conseil des droits de l'homme, du Secretaire
general, de missions d'enquete ou de tres nombreux rapports de l'ONU rend
particulierement cruciale l'attitude de la Communaute internationale, notamment les
Etats et l'ONU afin d'amener la partie israelienne a se conformer au droit
54 J.-M. Henckaerts- L. Doswald-Beck, supra note 17, p. 407 (rule 88).
55 « Les Etats parties au present Pacte s'engagent it respecter et a garantir it tous Jes individus se trouvant sur leur
territoire et relevant de leur competence Jes droits reconnus dans le present Pacte, sans distinction aucune,
notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion,
d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
56 « Les Etats parties au present Pacte s'engagent it garantir que Jes droits qui y sont enonces seront exerces
sans discrimination aucune fondee sur la race, la couleur, le sexe, la Iangue, la religion, !'opinion politique
ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.»
21
international. Il est des !ors essentiel que les Etats tiers remplissent pleinement les
obligations que le droit international met a leur charge, en cas de violation grave et
systematique d'une norrne imperative par un autre Etat. Afin de determiner quelles
sont les obligations incombant aux Etats a cet egard, on evoquera successivement
I' obligation de « faire respecter » le droit international humanitaire (A), I' obligation de
faire respecter Jes droits humains de la population palestinienne (B), !'obligation de
mettre fin aux entraves au droit du peuple palestinien a l'autodetermination (C) ainsi
que !'obligation de ne pas reconna1tre comme licite la situation illegale nee de
!'occupation et de la colonisation du territoire palestinien ni preter aide ou assistance
au maintien de cette situation (D).
A. L'obligation de «faire respecter » le droit international humanitaire
55. Dans son avis consultatif sur le Mur, la Cour internationale de Justice a fait reference
a !'obligation de « faire respecter » le droit international humanitaire stipulee dans
!'article 1 er commun aux quatre conventions de Geneve de 1949, en precisant qu'
et que
« [i]l resulte de cette disposition !'obligation de chaque Etat partie a cette
convention, qu'il soit partie ou non a un conflit determine, de faire respecter les
prescriptions des instruments concernes »,
« tous les Etats parties a la convention de Geneve relative a la protection des
personnes civiles en temps de guerre, du 12 aoilt 1949, ont !'obligation, dans le
respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire
respecter par Israel le droit international humanitaire incorpore dans cette
convention »57 .
56. Concernant !'obligation de faire respecter le droit international humanitaire, le
nouveau commentaire de !'article premier commun aux quatre conventions de Geneve
elabore par le Comite international de la Croix Rouge explique que
« L'obligation de faire respecter ( ... ) consiste a faire respecter les Conventions
par d'autres parties a un conflit. Par consequent, les Etats, qu'ils soient neutres,
allies ou ennemis, doivent faire tout ce qui est raisonnablement en leur pouvoir
afin de faire respecter Jes Conventions par d'autres Etats parties a un conflit.
57 C.I.J., avis consultatifsur le Mur, supra note 7, pp. 199-200, §§ 158, 159.
22
Cette obligation de faire respecter par d'autres comprend a la fois une
obligation negative et une obligation positive. En vertu de !'obligation
negative, les Hautes Parties contractantes ne peuvent ni encourager la
commission de violations des Conventions par les parties a un conflit, ni les
aider ou les assister. Selon l' obligation positive, ils doivent faire tout ce qui est
raisonnablement en leur pouvoir afin de prevenir et faire cesser ces
violations »58.
57. Pour ce qui est des obligations negatives, le Comite international de la Croix Rouge
precise que
« Conformement a !'article l commun, les Hautes Parties contractantes ont
certaines obligations negatives, ce qui signifie qu'elles doivent s'abstenir de
certains comportements. En particulier, elles ne doivent ni encourager, ni aider
ou assister a commettre des violations des Conventions( ... ) »59
.
58. Quant aux obligations positives, elles impliquent que les Etats tiers :
« Doivent prendre des mesures proactives pour faire cesser Ies violations et
faire respecter les Conventions par une partie au conflit qui commet de telles
violations, notamment en usant de leur influence sur cette partie. ( ... ) ;
Demeurent en principe libres de choisir entre differentes mesures possibles,
pour autant que celles qu'ils adoptent soient considerees appropriees au but
poursuivi de faire respecter les Conventions. L'obligation de faire respecter
doit etre mise en ceuvre avec une diligence raisonnable (« due diligence »).
Comme cela a ete mentionne plus haut, son contenu depend des circonstances
particulieres, parmi lesquelles la gravite de la violation, les moyens qui sont
raisonnablement a la disposition de l'Etat et le degre d'influence qu'il exerce
sur les responsables de la violation »60
.
59. Il est des lors requis des Etats qu'ils adoptent, dans le respect du droit international, les
mesures raisonnablement envisageables qui sont de nature a inciter effectivement
l'Etat concerne a respecter le droit international humanitaire. Il est a fortiori exige que
Ies Etats s'abstiennent d'actes qui iraient a l'encontre de l'objectif d'incitation au
respect du droit humanitaire, comme le fait de financer, favoriser ou faciliter la
politique de colonisation, ou des activites economiques liees a des violations graves du
droit humanitaire.
58 J.-M. Henckaerts, « Article l: Respect de la Convention», supra note 10, §§ 153-154.
59 Ibid., § 158.
60/bid., §§ 164-165.
23
B. L 'obligation de mettre fin aux entraves ii l'exercice du droit ii l'autodetermination du
peuple palestinien
60. L'obligation de veiller a la mise en ceuvre du droit du peuple palestinien a
l'autodetermination decoule du principe enonce par la Charte des Nations Unies,
notamment son article 1(3), la resolution 2625 (XXV) de l' AG des Nations Unies,
selon laquelle « tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d'autres Etats ou
separement, la realisation du principe de l'egalite de droits des peuples et de leur droit
a disposer d'eux-memes, conformement aux dispositions de la Charte » ainsi que de
l'article 1 er § 3 commun des Pactes de New York de 1966 : « Les Etats parties au
present Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilite d'administrer des territoires non
autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la realisation du droit
des peuples a disposer d'eux-memes, et de respecter ce droit, conformement aux
dispositions de la Charte des Nations Unies » 61
. Le droit des peuples a disposer d' euxmemes
comprend egalement le droit de « disposer librement de leurs richesses et de
leurs ressources naturelles »62 .
61. Dans l'avis rendu dans l'affaire du Mur, la Cour intemationale de Justice a qualifie le
droit du peuple palestinien a l'autodetermination de norme erga omnes et considere
qu'« il appartient [ ... ] a tous les Etats de veiller, dans le respect de la Charte des
Nations Unies et du droit international, a ce qu'il soit mis fin aux entraves [ ... ] a
I'exercice par le peuple palestinien de son droit a I'autodetermination »63 .
62. Cette obligation de « veiller a mettre fin » a la violation du droit du peuple palestinien
a disposer de lui-meme et de ses ressources naturelles suppose que les Etats
entreprennent les mesures raisonnablement envisageables visant a amener la partie
israelienne a se conformer au droit international. Elle impose egalement aux Etats de
mettre fin a tout comportement qui serait de nature a financer ou faciliter des activites,
politiques, militaires, economiques, financieres entres autres qui contribuent a entraver
61Pacte international relatif awe droits civils et politiques et Pacte international relatif awe droits economiques,
sociawe et culturels.
62 Voir Resolution adoptee par I' Assemblee generale le 17 decembre 2021, « Souverainete permanente du peuple
palestinien dans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et de la population arabe dans le
Golan syrien occupe sur leurs ressources naturelles », A/RES/76/225.
63 C.I.J., Consequences juridiques de !'edification d'un mur dans le territoire palestinien occupe, Avis consultatif
du 9 juillet 2004, § 159, p. 200.
24
l'exercice du droit a l'autodetermination du peuple palestinien et a la souverainete
permanente sur ses ressources naturelles.
C. Les obligations decoulant des Principes directeurs des Nations Unies dans le domaine
des droits humains
63. Le developpement economique des implantations israeliennes en territoire palestinien
occupe constitue un volet essentiel de la politique de colonisation menee par l'Etat
d'Israel64 . L'activite economique des colonies joue ainsi un role central dans le
maintien et !'expansion de la colonisation. Dans la resolution adoptee en avril 2023, le
Conseil des droits de l'homme constate que « les activites economiques [ ... ] facilitent
!'extension et la consolidation des colonies» et demande des !ors a tousles Etats
« D'appliquer les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l'homme en ce qui concerne le Territoire palestinien occupe, y compris
Jerusalem-Est, et de prendre des mesures propres a faire en sorte que les
entreprises domiciliees sur leur territoire et/ou relevant de leur juridiction, y
compris celles qu'ils detiennent ou controlent, s'abstiennent de commettre des
atteintes graves aux droits humains des Palestiniens ou d'y contribuer, de les
permettre ou d'en tirer profit, conformement a la norme de conduite preconisee
dans les Principes directeurs et aux dispositions juridiques et normes
internationales pertinentes, en prenant les mesures appropriees compte tenu du
caractere irreductible des effets nefastes que les activites de ces enfreprises ont
sur les droits de l'homme »65
.
64. Les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme », adoptes
par les Nations Unies en 201 I 66
, enonce que les Etats « ont !'obligation de proteger
lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l'homme sur
leur territoire et/ou sous leur juridiction »67
. Cette obligation de proteger « exige
!'adoption de mesures appropriees pour empecher ces atteintes, et lorsqu'elles se
produisent, enqueter a leur sujet, en punir les auteurs, et les reparer par le biais de
politiques, de lois, de regles et de procedures judiciaires »68 . Les Principes directeurs
64 Rapport du Rapporteur special sur la situation des droits de l'homme dans Jes territoires palestiniens occupes
depuis 1967,A/HRC/47/57, 29 juillet2019, § 54.
65 Conseil des droits de l'homme, Resolution 52/35, « Colonies de peuplement israeliennes dans le Territoire
palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe », A/HRC/RES/52/35, 4 avril 2023.
66 Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, Nations Unies, 2011,
http://www.business-humanrights.org/UNGuidingPrinciplesPortaVfr.
67 Principe 1.
68 Principe 1.
25
sont consideres comme etablissant le cadre juridique adequat pour determiner les
obligations a la fois des Etats et des entreprises au regard des activites economiques
menees clans les colonies israeliennes69 . Ainsi, l'Assemblee generale de l'ONU, a
qualifie les Principes directeurs de « norme de conduite generale en matiere de respect
des droits humains s'agissant des activites economiques liees awe implantations
israeliennes clans le Territoire palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est», Jes
pla9ant au meme rang que les « autres lois et normes intemationales pertinentes »70

D. Les devoirs de non-reconnaissance et de non-assistance
65. Les violations graves du droit international liees a la politique d'occupation et de
colonisation menee par la partie israelienne engendrent pour les Etats tiers des
consequences juridiques, sous forme d'obligations « de ne pas reconna1tre » la
situation illegale creee du fait de ces violations, de ne pas « preter aide ou assistance »
au maintien de cette situation, et de « faire respecter » le droit international.
66. Les obligations de « non-reconnaissance» et de« non-assistance» incombant aux Etats
et aux organisations internationales ont ete reconnues comme coutumieres et codifiees
par laCommission du droit international al'article 41 des Articles sur la responsabilite
de l'Etat pour fait intemationalement illicite71 et a l'article 42 du Projet d'articles sur
la responsabilite des organisations intemationales 72.
67. Les obligations de «non-reconnaissance» et de «non-assistance» ont ete declarees
applicables clans le contexte particulier de !'occupation israelienne des territoires
palestiniens. Dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, la Cour a juge que la
69 Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Base de donnees de toutes les
entreprises impliquees dans Jes activites decrites au paragraphe 96 du rapport de la mission intemationale
independante d'etablissement des faits chargee d'etudier Jes effets des colonies de peuplement israeliennes sur
Jes droits civils, politiques, economiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien
occupe, y compris Jerusalem-Est, A/HRC/37/39, 1er fevrier 2018.
70 Resolution 77/126, « Les colonies de peuplement israeliennes dans le Territoire palestinien occupe, y compris
Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe », adoptee le 12 decembre 2022 par 141 votes en faveur, 7 contre et 21
abstentions. Voir egalement la resolution 76/82, adoptee le 12 decembre 2021 (146-7-20).
71 Commission du droit international, « Responsabilite de l'Etat pour fait intemationalement illicite », annexe a
la Resolution de I' Assemblee generale des Nations Unies A/RES/56/83, 12 decembre 200 I.
72 Commission du droit international, Projet soumis a I' Assemblee generale dans le cadre de son rapport sur les
travaux de ladite session (A/66/10, § 87). Le rapport est reproduit dans l' Annuaire de la Commission du droit
international, 20 I 1, vol. II (2).
26
construction par la partie israelienne d'un mur en territoire palestinien occupe etait
illicite, et qu'il en decoulait pour les Etats tiers les consequences suivantes :
« Vu la nature et !'importance des droits et obligations en cause, la Cour est
d'avis que tous les Etats sont clans !'obligation de ne pas reconnaftre la situation
illicite decoulant de la construction du mur clans le territoire palestinien occupe,
y compris a l'interieur et sur le pourtour de Jerusalem-Est Ils sont egalement
clans !'obligation de ne pas preter aide au assistance au maintien de la situation
creee par cette construction » 73
.
Les devoirs de non-reconnaissance et de non-assistance sont refletes clans des resolutions
adoptees par le Conseil de Securite et l' Assemblee Generale. L' Assemblee Generaie a
demande aux Etats de nouveau, « conformement aux obligations qui leur incombent en vertu
de la Charte et des resolutions pertinentes du Conseil de securite, entre autres ... de ne pas
preter aide ou assistance a des activites d'implantation illegales,notamment de ne foumir a
Israel aucune assistance qui serait utilisee specifiquementpour les colonies de peuplement
clans les territoires occupes, comme le prevoit laresolution 465 (1980) du Conseil de securite
en date du ler mars 1980»74 .
68. D'une maniere similaire, le Conseil des droits de l'homme a clans sa resolution 52/35
precitee75 demande aux Etats
« De faire une distinction, clans leurs echanges en la matiere, entre le territoire
de l'Etat d'Israel et les territoires occupes depuis 1967, et en particulier de ne
foumir a Israel aucune assistance qui serait utilisee pour les colonies de
peuplement clans ces territoires en ce qui conceme, notamment, la question du
commerce avec les colonies de peuplement, conformement a leurs obligations
en droit international. »
73 C.I.J., Consequences juridiques de ! 'edification d 'un mur dans le territoire palestinien occupe, Avis consultatif
du 9 juillet 2004, § 159 (nous soulignons). La Cour a egalement mentionne !'obligation de faire respecter la 4e
Convention de Geneve : « En outre, tous les Etats parties it la convention de Geneve relative a la protection des
personnes civiles en temps de guerre, du 12 aout 1949, ont !'obligation, dans le respect de la Charte des Nations
Unies et du droit international, de faire respecter par Israel le droit international humanitaire incorpore dans cette
convention» (§ 159, nous soulignons).
74 A/RES/77 /25, Reglement pacifique de la question de Palestine, 30 novembre 2022
75 Conseil des droits de l'homme, Resolution 52/35, « Colonies de peuplement israeliennes dans le Territoire
palestinien occupe, y compris Jerusalem-Est, et le Golan syrien occupe », A/HRC/RES/52/35, 4 avril 2023.
27
69. Dans son avis relatif a la presence de l' Afrique du Sud en Namibie, la Cour a souligne
le fait que !'obligation de non reconnaissance couvre en particulier le domaine des
relations economiques :
« Les restrictions qu'implique la non-reconnaissance de la presence de
l'Afrique du Sud en Namibie [ ... ] imposent aux Etats Membres l'obligation de
ne pas entretenir avec l'Afrique du Sud agissant au nom de la Namibie ou en ce
qui la concerne des rapports ou des relations de caractere economique ou autre
qui seraient de nature a affermir l'autorite de l 'Afrique du Sud dans le
territoire »76 .
70. L'obligation de non reconnaissance et de non-assistance suppose ainsi que Ies Etats ne
developpent aucune relation economique ou de financement qui soit de nature a
admettre l'autorite de la partie israelienne sur le Territoire palestinien, y compris
Jerusalem-Est, ou accorder des effets juridiques aux activites des colonies.
L' obligation implique egalement de ne pas entretenir avec la partie israelienne des
rapports qui seraient de nature a contribuer au maintien de son occupation ou de ses
colonies en territoire palestinien occupe.
* * *
71. En conclusion, Ies obligations qui incombent aux Etats tiers, qu'il s'agisse de
!'obligation de faire respecter Ies droit international humanitaire, de faire respecter le
droit a I' autodetermination, d' assurer le respect des droits humains par les entreprises
ou des devoirs de non reconnaissance et de non-assistance, concourent a exiger des
Etats qu'ils adoptent les mesures necessaires afin de ne foumir aucune forme d'aide,
directe ou indirecte, a la politique d'occupation et de colonisation menee par la partie
israelienne en Territoire palestinien et afin de veiller ace que Ies entreprises soumises
a Ieur juridiction s'abstiennent de foumir une telle aide. En outre, Ies Etats doivent
s'abstenir d'entretenir des relations avec la partie israelienne qui soient susceptibles
d' entrainer une forme de reconnaissance, directe ou indirecte, de la situation illicite
cree par les violations du droit international commises par cet Etat. Enfin, les Etats
devraient adopter Ies mesures raisonnables et conformes au droit international pour
inciter la partie israelienne a se conformer a ses obligations internationales.
76 C.I.J., Affaire des Consequences juridiques pour Les £tats de la presence continue de l'Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Guest africain) nonobstant la resolution 276 (1970) du Conseil de securite, avis consultatif du 21
juin 1971, pp. 55-56, § 124.
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Exposé écrit de Djibouti

Order
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