Opinion partiellement dissidente de M. le juge Abraham

Document Number
182-20240202-JUD-01-04-EN
Parent Document Number
182-20240202-JUD-01-00-EN
Incidental Proceedings
Date of the Document

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE ABRAHAM
Accord avec la conclusion de la Cour relative à la recevabilité des demandes figurant dans le mémoire  Différence de nature entre les deux demandes constituant les deux aspects du différend identifiés par la Cour  Absence de compétence ratione materiae pour connaître du second aspect du différend  Caractère insolite de la première demande de l’Ukraine  Inexistence de précédents dans lesquels la Cour aurait admis la recevabilité d’une telle demande tendant à obtenir un constat judiciaire qu’une allégation formulée contre un État est fausse  Article IX laissant la question ouverte  Portée générale de la question  Non-pertinence du degré de gravité de l’accusation portée à l’encontre de l’État demandeur  Principe fondamental selon lequel un État qui engage une action judiciaire doit posséder un intérêt juridique légitime et suffisant de nature à rendre recevable cette action  Inexistence en droit international de procédures destinées à permettre aux États de préserver leur réputation et de défendre leur honneur  Absence d’intérêt juridique suffisant pour justifier de la recevabilité d’une telle action sauf en cas de circonstances très spéciales  Absence de telles circonstances spéciales en l’espèce  Allégations de génocide ne constituant pas la cause déterminante des décisions prises par la défenderesse concernant la reconnaissance de l’indépendance des deux « républiques » et le déclenchement de l’« opération militaire spéciale »  Question de la conformité des actions de la Fédération de Russie aux règles du droit international général échappant à la compétence de la Cour  Doutes sérieux à cet égard.
1. L’Ukraine a saisi la Cour le 26 février 2022 d’une requête dirigée contre la Fédération de Russie, dans laquelle elle a présenté deux demandes dont la nature est très différente.
En premier lieu, elle a demandé à la Cour de rendre un arrêt déclaratoire par lequel celle-ci constaterait que la demanderesse n’a pas commis de génocide à l’égard de la population russophone de la région du Donbas, alors qu’elle en a été accusée par certaines déclarations publiques émanant des plus hautes autorités de l’État russe.
En second lieu, elle a demandé à la Cour de dire qu’en reconnaissant l’indépendance des deux « prétendues » républiques de Donetsk et de Louhansk et en engageant l’« opération militaire spéciale » mise en oeuvre à partir du 24 février 2022 sur la base de cette allégation mensongère de génocide, la Fédération de Russie a agi d’une manière qui « ne trouve … aucune justification dans la convention sur le génocide ».
2. Ces deux demandes ont été modifiées dans leur formulation, sans qu’il en résulte pour autant une transformation de l’objet du différend, dans le mémoire de l’Ukraine : la première demande consiste désormais en ce que la Cour est priée de dire qu’« il n’y a pas d’élément crédible prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide … dans les oblasts … de Donetsk et de Louhansk » ; la seconde demande consiste désormais à prier la Cour de dire que l’emploi de la force par la Fédération de Russie contre l’Ukraine et la reconnaissance des deux « prétendues » républiques emportent violation de la convention, précisément de ses articles premier et IV.
La Cour, estimant que les demandes formulées dans le mémoire sont recevables et qu’elles se sont valablement substituées à celles qui figuraient dans la requête, a considéré en conséquence qu’elle était saisie des conclusions du mémoire  ce en quoi je l’approuve.
3. La différence de nature entre les deux demandes de l’Ukraine, que la Cour a caractérisées comme constituant les « deux aspects du différend », est frappante. La seconde demande se présente, de manière classique, comme celle d’un État qui vient devant la Cour aux fins d’invoquer la responsabilité internationale d’un autre État pour un fait internationalement illicite qui serait attribuable à ce dernier. Appliquant à une telle demande, en vue de déterminer sa compétence ratione materiae pour en connaître, les critères de la jurisprudence issue de l’affaire des Plates-formes
- 2 -
pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique) (exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16), la Cour conclut à son absence de compétence, ce dont il suit que la demande en cause échappe au champ d’application de la clause compromissoire de l’article IX de la convention. J’adhère entièrement à l’analyse de l’arrêt sur ce point, et c’est pourquoi j’ai voté en faveur du point 2 du dispositif.
La première demande, au contraire, se présente en des termes particulièrement insolites, au point qu’on ne trouve aucun exemple qu’une pareille demande ait été acceptée, ni dans la jurisprudence de la Cour ni dans celle de sa devancière. Les deux précédents que l’Ukraine a cru pouvoir invoquer en vue de justifier la recevabilité d’une demande d’une telle nature sont dépourvus de pertinence, comme la Cour l’affirme à bon droit (paragraphe 101 de l’arrêt). L’État demandeur ne cherche pas ici à mettre en cause la responsabilité internationale du défendeur pour un fait illicite. Il souhaite obtenir, par un jugement purement déclaratoire, une sorte de « certificat de bonne conduite », c’est-à-dire le constat judiciaire qu’une allégation formulée contre lui par un autre État dans un cadre extrajudiciaire, allégation selon laquelle il aurait méconnu une obligation juridique internationale, est fausse ou du moins qu’elle ne repose sur aucun élément de preuve crédible. Une telle demande soulève une question qui n’a pas trait selon moi à la compétence de la Cour pour en connaître, mais à sa recevabilité. C’est d’ailleurs bien sous cet angle que la Cour aborde la question, en réponse à la cinquième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie.
4. J’observe d’abord qu’il est vain de chercher la réponse à la question dans le libellé même de la clause compromissoire qui fonde en l’espèce la compétence de la Cour, à savoir l’article IX de la convention sur le génocide. L’Ukraine a cherché à tirer argument de certaines particularités de la rédaction de l’article IX pour convaincre la Cour qu’au moins lorsque cette disposition s’applique elle autorise une demande du type de celle qui est présentée en l’espèce. En réalité, il n’y a rien dans les termes mêmes de l’article IX qui distingue cette disposition de la plupart des clauses compromissoires, en tout cas au regard de la question qui nous occupe. On ne saurait donc considérer que l’article IX fournit par lui-même un fondement juridique à la recevabilité d’une demande de ce genre (que l’on pourrait qualifier de « demande en déclaration de non-violation d’une obligation internationale »), et la Cour ne trouve pas dans les termes de l’article IX un tel fondement. Ce n’est pas à dire pour autant que l’article IX, par son libellé, fait lui-même obstacle à la recevabilité d’une telle demande, comme le constate le paragraphe 99 de l’arrêt. L’examen de l’article IX laisse donc la question ouverte.
5. En réalité, c’est dans le droit international général applicable au contentieux interétatique qu’il faut chercher la réponse à la question. Cela signifie que cette réponse ne saurait être limitée au cadre de la convention sur le génocide, mais qu’elle doit nécessairement avoir une portée générale.
6. Il arrive souvent qu’un État accuse publiquement un autre État de se comporter d’une manière incompatible avec telle ou telle obligation internationale, ou plus simplement, sans se référer explicitement à aucune obligation spécifique, de commettre des actes dont on peut déterminer qu’ils constituent des manquements à des obligations juridiques incombant à l’État ainsi accusé. En pareil cas, lorsqu’il existe une base de compétence valide, il est certain que l’État accusateur peut saisir la Cour de ses griefs contre celui qu’il accuse  s’il estime opportune l’introduction d’une telle instance, qui n’est jamais une obligation. La question qui était devant la Cour était de savoir si l’État accusé pouvait lui-même saisir la Cour (toujours à condition qu’il existe une base de compétence, ce qui est le cas en l’espèce) afin d’obtenir une déclaration de l’absence de bien-fondé de l’accusation portée contre lui.
7. À cet égard, il est difficile de faire dépendre la réponse du degré de gravité de l’accusation contre laquelle réagit l’État qui en est l’objet. Certes, l’accusation de commission d’un génocide est
- 3 -
la plus grave de toutes celles qui peuvent être formulées contre un État, d’un double point de vue juridique et moral. Mais d’autres griefs atteignent également un seuil de gravité élevé (en particulier tous ceux qui imputent à un État un comportement contraire à une obligation relevant du jus cogens), et quel que soit le degré de gravité de l’accusation on ne voit ni pour quelle raison l’« action en déclaration de non-violation » serait recevable dans le cas de certaines accusations et pas dans d’autres, ni sur quel critère clair et indiscutable on pourrait asseoir une telle distinction.
8. C’est dans les principes généraux applicables à la recevabilité des actions judiciaires dans le contentieux interétatique qu’il faut chercher la réponse à la question soulevée en l’espèce par la demande inhabituelle de l’Ukraine.
Il est un principe fondamental selon lequel un État qui engage une action judiciaire doit posséder un intérêt juridique légitime et suffisant de nature à rendre recevable cette action, à moins que des dispositions spéciales ne règlent la question autrement.
L’intérêt pour agir de la partie demanderesse n’est pas souvent discuté en tant que tel devant la Cour ; dans la majorité des cas, ce sont des questions de compétence qui occupent la Cour lorsqu’elle a à examiner des exceptions préliminaires soulevées par la partie défenderesse, ou bien des questions de recevabilité d’une autre nature que celle de l’intérêt pour agir. Cela s’explique par le fait que cette dernière condition ne donne qu’assez rarement lieu à un doute quant à sa réalisation.
La question de l’intérêt pour agir ne se pose guère dans les affaires relatives aux frontières terrestres et aux délimitations maritimes, ainsi que dans celles qui concernent des questions de souveraineté territoriale. En ce qui concerne les instances dans lesquelles la partie demanderesse cherche à mettre en jeu la responsabilité internationale de la défenderesse, la question principale est de savoir si la partie qui saisit la Cour a la qualité d’État lésé au sens du droit coutumier de la responsabilité, ou bien si, le défendeur ayant à son égard une obligation erga omnes, cette partie a qualité pour saisir la Cour comme l’aurait tout autre État auquel est due la même obligation.
9. Dans la présente espèce, la question se pose en des termes tout à fait originaux parce que l’action elle-même est originale : elle ne tend pas à mettre en jeu la responsabilité de la défenderesse (dans la partie du différend que nous considérons ici) mais à obtenir un jugement purement déclaratoire affirmant qu’une allégation formulée par cette dernière, et qui comporte à l’égard de la demanderesse une accusation de violation d’une obligation internationale, est fausse.
10. Je suis d’avis qu’en pareil cas l’État demandeur ne possède pas, en règle générale, un intérêt juridique suffisant pour rendre recevable sa demande ; seules des circonstances tout à fait spéciales sont, selon moi, de nature à renverser cette présomption.
Les États ne sont pas, dans l’ordre juridique international, dans une situation comparable à celle des personnes privées dans l’ordre interne. Les personnes privées, individus ou entreprises, sont légitimement soucieuses de préserver leur réputation et de défendre leur honneur, dont dépend une grande partie de leur activité et de leur vie sociale. C’est pourquoi les lois nationales mettent généralement à leur disposition diverses procédures à cette fin : par exemple, l’action pénale en diffamation, ou encore l’action en responsabilité civile de droit commun par laquelle une personne demande réparation à une autre personne des préjudices qu’elle a subis du fait du comportement fautif de celle-ci, sans qu’il soit même nécessaire, le plus souvent, d’établir l’existence d’un fait illicite. De telles procédures se trouvent présentes dans la plupart des systèmes juridiques nationaux.
11. Il n’existe rien de tel en droit international. Cela ne signifie pas que les États ne soient pas légitimement soucieux de leur réputation. Mais ils n’ignorent pas que dans la vie internationale les
- 4 -
allégations d’un État visant à mettre en cause tel ou tel comportement d’un autre État au regard du droit, de la morale ou des besoins de la société internationale sont extrêmement courantes. Lorsqu’un État considère qu’une telle accusation portée contre lui est injuste ou mensongère, il lui est loisible de se défendre en y répondant par la même voie que celle qu’a empruntée l’accusateur, c’est-à-dire celle d’une déclaration visant à réfuter la précédente. Il n’a pas besoin d’un juge à cette fin, et son intérêt pour agir en justice ne me para
ît donc pas généralement constitué. C’est ainsi que fonctionne au jour le jour la société des États.
12. J’admets cependant qu’il puisse y avoir des circonstances très spéciales dans lesquelles un État qui s’estime mis en cause de manière infondée quant au respect de ses obligations internationales justifie d’un intérêt légitime pour demander à un organe judiciaire international (à condition qu’il existe une base de compétence valide) de déclarer qu’il respecte ses obligations, contrairement à ce dont il a été accusé par le défendeur.
Est-on en l’espèce en présence de telles circonstances très spéciales ? La Cour répond à cette question par l’affirmative. Je ne suis pas convaincu.
13. Le raisonnement de l’arrêt, sur ce point, repose sur deux affirmations combinées. Il existe un conflit armé, qui se poursuit jusqu’à ce jour, entre l’Ukraine et la Fédération de Russie ; ce conflit a été engagé par la Fédération de Russie « dans le but déclaré de prévenir ou de punir un génocide qui aurait été commis dans la région du Donbas » (paragraphe 108).
14. Je ne suis pas en désaccord sur l’idée, implicite dans ce raisonnement, selon laquelle l’une des hypothèses particulières dans lesquelles un État justifie d’un intérêt légitime pour chercher à obtenir un constat judiciaire de ce qu’il n’a pas méconnu une obligation internationale est celle dans laquelle l’accusation portée contre lui a eu et continue à avoir à son égard des conséquences préjudiciables graves, et que l’obtention d’un tel constat judiciaire constitue le seul moyen, ou du moins le moyen le plus efficace, de se prémunir contre de telles conséquences.
Le point sur lequel je diverge du raisonnement de l’arrêt, qui est d’ailleurs très sommaire à cet égard, concerne la place accordée à l’allégation de génocide formulée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en tant que cause déterminante des décisions prises par la défenderesse concernant la reconnaissance de l’indépendance des deux « républiques » et le déclenchement de l’« opération militaire spéciale ». J’estime que c’est dénaturer la réalité des faits que d’accorder à l’allégation en cause un tel rôle causal.
15. Il résulte de l’ensemble des déclarations émises par les autorités responsables de la Fédération de Russie à l’époque pertinente et de tous les documents officiels figurant au dossier que la défenderesse n’a jamais invoqué qu’une seule base juridique pour justifier le déclenchement de l’« opération militaire spéciale », à savoir le droit de légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, combiné aux « traités d’assistance mutuelle » conclus par elle avec les deux « républiques » dont elle venait de reconnaître l’indépendance. Jamais, ni avant l’introduction de l’instance devant la Cour, ni au cours de la procédure elle-même, la Fédération de Russie n’a prétendu tenir de la convention sur le génocide un titre juridique l’habilitant à agir sur le territoire de l’Ukraine, ou à employer la force armée à l’égard de celle-ci, en vue de prévenir ou de faire cesser un génocide (l’eût-elle fait, elle aurait eu tort, pour les raisons qu’indique excellemment la Cour au paragraphe 146 de l’arrêt).
Il n’est pas non plus établi selon moi que son allégation de génocide ait joué en fait un rôle déterminant dans les décisions de la Fédération de Russie relatives à la reconnaissance des deux « républiques » comme États indépendants et au déclenchement des opérations militaires.
- 5 -
16. Il est vrai qu’on trouve, aussi bien dans le discours prononcé le 21 février 2022 par le chef de l’État russe en vue de justifier la décision de reconnaître les deux « républiques », que dans celui prononcé le 24 février suivant pour annoncer et justifier le déclenchement des opérations militaires, la claire allégation que les habitants russophones du Donbas étaient victimes d’un « génocide » de la part du pouvoir central ukrainien.
Mais une telle allégation était placée dans un contexte bien particulier : il s’agissait d’insister sur les raisons (légitimes selon la Fédération de Russie) que pouvait avoir la population du Donbas de faire sécession d’un État qui lui infligeait de si mauvais traitements, et, partant, des raisons (tout aussi légitimes) que possédait la Fédération de Russie de reconnaître les deux « républiques » ayant proclamé unilatéralement leur indépendance et de conclure des « traités » avec ces entités. Pour décrire les « mauvais traitements » infligés, selon elle, à la population du Donbas, la Fédération de Russie a employé une variété de termes : « meurtres de civils », « horreur », « crimes sanglants », « bains de sang », « atrocités » et « génocide ». Rien n’indique que la qualification particulière de « génocide » ait joué un rôle déterminant dans les décisions prises par les autorités russes à l’égard de l’Ukraine à cette époque. L’emploi du terme visait plutôt à souligner que les « mauvais traitements » et les « outrages » dénoncés atteignaient le niveau le plus grave que de tels traitements pouvaient atteindre, celui du crime le plus inacceptable et le plus choquant pour la conscience universelle. Mais c’est lui accorder une place qu’elle n’avait pas en réalité que de voir dans cette qualification, en elle-même, l’élément déclencheur des actions mises en oeuvre par la Fédération de Russie contre l’Ukraine.
17. Il va de soi qu’en écrivant ce qui précède, je ne me prononce aucunement sur la conformité des actions de la Fédération de Russie aux règles du droit international général relatives à la reconnaissance des États et à l’emploi de la force, qui soulève selon moi des doutes sérieux. Je m’en abstiens parce que ces questions échappent en l’espèce à la compétence de la Cour.
Une analyse des faits que je crois impartiale et rigoureuse me conduit à la conclusion que l’Ukraine ne justifie pas être dans l’une de ces circonstances très spéciales qui rendrait recevable une demande tendant à un constat judiciaire de non-violation.
18. J’ajoute, pour terminer, une considération qui, sans être déterminante à elle seule, ne saurait cependant être négligée. Sur la base du présent arrêt sur les exceptions préliminaires, la Cour va s’engager, au stade suivant de la procédure, dans l’exercice consistant à rechercher s’il existe ou non des « éléments crédibles » prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide dans la partie orientale du pays. La Fédération de Russie, qui n’est pas demanderesse dans l’affaire, ne sera pas tenue de produire devant la Cour les preuves dont elle dispose au soutien des allégations qu’elle a formulées en dehors du cadre judiciaire, à supposer qu’elle dispose de telles preuves. Quelle que soit l’issue de l’affaire  ou plutôt de ce qu’il en reste  celle-ci risque de n’avoir qu’un effet des plus limités sur la clarification des droits et obligations des Parties. Même si la Cour conclut qu’il n’existe pas d’élément crédible démontrant l’existence d’un génocide commis par l’Ukraine, cela ne démontrera pas l’illicéité des actions entreprises par la Fédération de Russie, à partir de février 2022, ce qui était selon toute vraisemblance la principale préoccupation de l’Ukraine lorsqu’elle a décidé d’introduire cette instance. Cela ne fera pas obstacle à l’introduction éventuelle d’une nouvelle instance par la Fédération de Russie tendant à invoquer la responsabilité internationale de l’Ukraine. Cela ne signifiera pas non plus que la défenderesse, en portant une telle accusation à l’encontre de la demanderesse, a commis un fait illicite et que sa responsabilité est engagée de ce chef. Cela n’ouvrira donc aucun droit à réparation en faveur de l’Ukraine. En bref, la décision qu’est appelée à rendre la Cour risque fort d’être frustrante pour les Parties et assez vaine dans ses effets ; à un moment où la Cour est très sollicitée, c’était une raison supplémentaire pour elle de ne pas s’engager dans un exercice sans grande signification.
- 6 -
19. Tout cela s’explique par le fait que l’Ukraine a cherché à faire entrer artificiellement son différend avec la Fédération de Russie dans le cadre de la convention sur le génocide, dans lequel ce différend ne peut pas entrer. À cette tentative visant à faire entrer un contenu dans un contenant inadapté, pour des raisons que l’on comprend, la Cour n’a résisté que partiellement, en écartant le « second aspect » du différend comme ne ressortissant pas à sa compétence. Elle aurait mieux fait, selon moi, de mettre un terme définitif à l’instance.
(Signé) Ronny ABRAHAM.
___________

Document file FR
Document Long Title

Opinion partiellement dissidente de M. le juge Abraham

Order
4
Links