Opinion individuelle de M. le juge Robinson

Document Number
171-20230406-JUD-01-02-EN
Parent Document Number
171-20230406-JUD-01-00-EN
Incidental Proceedings
Date of the Document
Document File

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Accession du Guyana à l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni ⎯ Droit à l’autodétermination ⎯ Indépendance n’ayant pas été offerte ou octroyée par le Royaume-Uni ⎯ Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale).
1. Je souscris aux conclusions qu’a formulées la Cour au paragraphe 108 de l’arrêt, mais tiens à commenter, par le truchement d’une opinion individuelle, un point particulier se rapportant à l’arrêt.
2. La Cour, lorsqu’elle a présenté les arguments des Parties, a cité l’affirmation du Guyana selon laquelle « le Royaume-Uni n’a[vait] aujourd’hui aucun intérêt juridique ni aucune prétention à l’égard du territoire en question, puisqu’il a[vait] renoncé à toute revendication territoriale liée au présent différend lorsqu’il a[vait], en 1966, accordé l’indépendance au Guyana » (arrêt, par. 81). Or, du point de vue du droit, le Royaume-Uni n’a pas accordé l’indépendance au Guyana. Lorsque celui-ci est, en 1966, devenu indépendant, le droit à l’autodétermination était déjà devenu une règle de droit international coutumier, et ce, depuis l’adoption, par l’Assemblée générale des Nations Unies, de la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 (ci-après la « résolution 1514 »). En conséquence, l’indépendance à laquelle ont accédé les anciennes colonies ne leur a pas été offerte, octroyée ou concédée par les puissances coloniales, mais résultait de l’exécution par celles-ci de l’obligation que leur faisait le paragraphe 5 de la résolution 1514 de transférer tous pouvoirs aux peuples des pays colonisés conformément à la volonté librement exprimée par ces derniers. Le statut de norme coutumière de droit international du droit à l’autodétermination a été confirmé par la Cour dans l’avis consultatif qu’elle a donné en 2019 sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. Compte tenu de cette importante évolution, c’est faire une lecture erronée du droit que d’affirmer que, après l’adoption de la résolution 1514, les puissances coloniales ont octroyé l’indépendance à leurs anciennes colonies, puisqu’il ne leur revenait pas de procéder à un tel octroi.
3. Cette conclusion ⎯ l’indépendance n’a pas été accordée aux territoires et peuples colonisés par les puissances coloniales ⎯ s’impose nonobstant le titre donné à la résolution 1514, « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ». L’intitulé, s’il peut être pertinent aux fins de l’interprétation de la résolution, ne saurait toutefois dicter une interprétation qui n’est nullement corroborée par le libellé. Les termes « octroi de l’indépendance » ne sont utilisés nulle part dans le texte de la résolution. Selon la norme établie par la résolution 1514, le droit à l’autodétermination est un droit fondamental qui revient naturellement à un peuple, lequel doit pouvoir en jouir dès lors que telle est sa volonté librement exprimée. La résolution 1514 a soustrait l’accession à l’indépendance du ressort des puissances coloniales pour la placer directement entre les mains des peuples colonisés.
(Signé) Patrick L. ROBINSON.
___________

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Robinson

Order
2
Links