Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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169-20190225-ADV-01-04-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE
[Traduction]
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Prolégomènes ........................................................................................................................ 1
II. La reconnaissance, dès la première heure, du droit fondamental des peuples à l’autodétermination par l’ONU, qui s’est attachée à le faire respecter.................................. 6
1. Résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies dans les années 1950 .............. 9
2. Résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale des Nations Unies  déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux .............. 13
3. Résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies (1961-1966) à l’appui de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ........................................................................................................................ 18
4. Résolution 2066 (XX) de 1965 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la «Question de l’île Maurice» ....................................................................................... 21
5. Résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies (1966-1967) à l’appui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ................................................................ 23
6. Résolution 2621 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale des Nations Unies établissant un programme d’action pour l’application intégrale de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ................................ 25
7. Résolution 2625 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale des Nations Unies  Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies ................................................................................................................. 27
III. L’élimination du colonialisme : projection dans le temps de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de 1960 et de résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies .................................. 29
IV. Le droit international de la décolonisation en tant que manifestation de l’humanisation du droit international contemporain ........................................................... 38
V. Le droit à l’autodétermination dans les deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966 .................................................................................................. 56
1 Article premier des deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966 ................................................................................................... 56
2. Comité des droits de l’homme, observation générale 12 (de 1984) sur l’article premier des Pactes (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) ................................... 60
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3. Comité des droits de l’homme, Observations sur les rapports présentés par les Etats parties au Pacte relatif aux droits civils et politiques, axées sur les habitants de l’archipel des Chagos ................................................................................. 63
4. Comité des droits de l’homme : considérations supplémentaires .................................. 65
VI. La reconnaissance du droit à l’autodétermination dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice ...................................................................................................... 69
VII. La reconnaissance du droit à l’autodétermination à la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne, 1993) ........................................................................... 77
VIII. La question adressée par la Cour à toutes les délégations de participants à la procédure consultative orale ................................................................................................ 87
IX. Les réponses des délégations de participants à la procédure consultative orale .................. 88
1. Réponses des délégations ............................................................................................... 88
2. Observations sur les réponses ...................................................................................... 105
3. Evaluation générale ...................................................................................................... 112
X. Le droit fondamental à l’autodétermination dans le domaine des normes impératives de droit international général ............................................................................................. 120
1. La reconnaissance précoce du jus cogens .................................................................... 120
2. La réaffirmation du jus cogens dans la présente procédure consultative ..................... 129
XI. Critique des lacunes de la jurisprudence de la Cour se rapportant au jus cogens ............. 151
XII. L’opinio juris communis et le jus cogens : prévalence de la conscience sur la «volonté» ........................................................................................................................... 170
1. Le jus cogens et l’existence de l’opinio juris communis .............................................. 171
2. La recta ratio : le jus cogens et la prévalence de la conscience sur la «volonté» ........ 175
XIII. Les droits des peuples au-delà de la stricte conception interétatique ................................ 201
XIV. Les conditions de vie et la tragédie de longue date que constituent les souffrances infligées à l’être humain .................................................................................................... 218
XV. L’opinio juris communis dans les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies .................................................................................................................... 231
XVI. Le devoir d’accorder réparation pour les violations du droit des peuples à l’autodétermination ......................................................................................................... 241
1. La dimension temporelle .............................................................................................. 241
2. La réaffirmation du devoir d’accorder réparation dans la présente procédure consultative .................................................................................................................. 244
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3. Le tout indissoluble formé par la violation du droit et le devoir de prompte réparation...................................................................................................................... 256
XVII. La mission des tribunaux internationaux dans la défense des droits des peuples et l’obtention de réparations .................................................................................................. 263
XVIII. La défense des droits des personnes et des peuples, et le rôle important des principes généraux du droit dans la réalisation de la justice ............................................................. 287
XIX. Epilogue : une récapitulation ............................................................................................. 305
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I. PROLÉGOMÈNES
1. Je vote en faveur de l’adoption en ce jour, le 25 février 2019, du présent avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, comme je souscris aux conclusions tirées par la Cour, énoncées dans le dispositif. Comme, toutefois, j’en suis arrivé à ces conclusions en m’appuyant parfois sur un raisonnement nettement différent de celui de la Cour, et qu’il y a certains points qui, à mon sens, soit n’ont pas été suffisamment traités par elle, soit méritent davantage d’attention  certains points pertinents n’ayant pas même été abordés , j’estime que je suis tenu, dans la présente opinion individuelle, de m’attarder sur ces questions et de consigner au dossier les fondements de mon propre avis.
2. J’examinerai d’abord, à cette fin, la reconnaissance dès la première heure du droit fondamental des peuples à l’autodétermination par l’ONU, qui s’est attachée à le faire respecter dès 1950, tel qu’en attestent des résolutions successives adoptées par l’Assemblée générale. Puis, je me pencherai sur l’élimination du colonialisme et la projection dans le temps de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de 1960 et d’autres résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies. Selon un ordre logique, je me pencherai ensuite sur la formation du droit international de la décolonisation en tant que manifestation de l’humanisation du droit international contemporain.
3. Après cela, je porterai mon attention sur le droit à l’autodétermination consacré dans les deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966, et la contribution à ce titre du Comité des droits de l’homme, puis sur la reconnaissance de ce droit dans la jurisprudence de la CIJ ainsi qu’à la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne, 1993). Je me pencherai ensuite sur la question que j’ai posée aux délégations de tous les participants lors de la procédure consultative orale de la CIJ, sur les réponses écrites des délégations et les observations connexes, pour ensuite soumettre le tout à ma propre évaluation.
4. Je m’intéresserai ensuite au droit fondamental à l’autodétermination dans le domaine du jus cogens, depuis sa reconnaissance des premières heures jusqu’à sa réaffirmation en tant que jus cogens au cours de la présente procédure consultative. Après, j’exposerai mes critiques concernant les insuffisances de la jurisprudence de la CIJ au sujet du jus cogens. En conséquence, je consacrerai les lignes suivantes de mon exposé au jus cogens et à l’existence de l’opinio juris communis, à la recta ratio par rapport au jus cogens, à la primauté de la conscience sur la «volonté» ainsi qu’au droit des peuples transcendant la dimension strictement interétatique. Cela m’amènera à la question des conditions de vie et de la tragédie de longue date que constituent les souffrances infligées à l’être humain.
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5. Ensuite, après avoir examiné l’opinio juris communis qui ressort des résolutions de l’Assemblée générale, je me pencherai sur le devoir de réparer les violations du droit des peuples à l’autodétermination, réaffirmé par certains participants au cours de la présente procédure consultative de la CIJ. Après avoir souligné que la violation d’un droit et le devoir de prompte réparation forment un tout indissociable, j’examinerai ensuite la revendication des droits des peuples, qui englobe la réparation, en tant qu’élément de la mission des cours internationales. Cela m’amènera à traiter de la revendication des droits des individus et des peuples et du rôle essentiel que jouent les principes généraux du droit dans la réalisation de la justice. Enfin, et ce n’est pas le moins important, je récapitulerai dans un épilogue les points avancés dans ma présente opinion individuelle.
II. LA RECONNAISSANCE, DÈS LA PREMIÈRE HEURE, DU DROIT FONDAMENTAL DES PEUPLES À L’AUTODÉTERMINATION PAR L’ONU, QUI S’EST ATTACHÉE À LE FAIRE RESPECTER
6. Le présent avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, que l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la CIJ de rendre, peut être considéré s’inscrire, selon moi, dans les efforts consentis de longue date par l’Assemblée générale elle-même pour appuyer sans réserve le droit des peuples et des nations à l’autodétermination. Il y a eu des moments, d’importance historique, de transformation et d’évolution du droit international contemporain, le nouveau jus gentium des temps modernes, par exemple l’adoption en 1960, par l’Assemblée générale, de l’emblématique déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, suivie, une décennie plus tard, par sa célèbre déclaration de 1970 relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
7. Au fil des ans, l’Assemblée générale a adopté plusieurs autres résolutions de même portée qu’il faut garder à l’esprit, et que je passerai en revue dans la présente opinion individuelle. Les deux questions adressées par l’Assemblée générale à la Cour sont clairement énoncées :
«Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?
Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?»
8. Ces deux questions posées à la Cour dans la présente requête pour avis consultatif de l’Assemblée générale doivent être examinées dans le cadre susmentionné des efforts consentis de longue date par les Nations Unies. Je me permettrai tout d’abord de souligner, à cet égard, que le droit fondamental à l’autodétermination a un long historique, qui précède la célèbre déclaration de 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et remonte aux premières années de l’Assemblée générale.
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1. Résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies dans les années 1950
9. Déjà dans sa résolution 421 (V) du 4 décembre 1950, ainsi, l’Assemblée générale demandait au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) et à sa Commission des droits de l’homme de l’époque d’étudier «les voies et moyens de garantir aux peuples et aux nations le droit de disposer d’eux-mêmes», en lien avec les travaux préparatoires pour le projet de Pacte(s) relatif(s) aux droits de l’homme des Nations Unies (mesures de mise en oeuvre) (par. D-6). On a évoqué cette demande dans des résolutions ultérieures.
10. A cet égard, dans sa résolution 545 (VI) du 5 février 1952, l’Assemblée générale, après en avoir fait mention, a d’abord souligné combien il importait de garantir ce droit fondamental de l’homme, comme sa violation avait «provoqué dans le passé des effusions de sang et des guerres et ... est considérée comme une menace permanente à la paix» (préambule). Dans le dispositif de cette résolution de février 1952, l’Assemblée générale a déclaré qu’elle
«Décid[ait] de faire figurer dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme un article sur le droit de tous les peuples et nations à disposer d’eux-mêmes, et de réaffirmer ainsi le principe énoncé dans la Charte des Nations Unies.» (Par. 1.)
11. Quelques mois plus tard, dans sa résolution 637 (VII) du 16 décembre 1952, l’Assemblée générale a affirmé (partie A) que le «droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes [était] une condition préalable de la jouissance de tous les droits fondamentaux de l’homme» (préambule) ; il importait donc de prendre des «mesures pratiques» pour en assurer la réalisation (par. 3), en portant une attention particulière (partie B) à l’exercice du droit à l’autodétermination par les populations des territoires non autonomes (par. 1). Dans sa résolution 637 (VII) de 1952, l’Assemblée a souligné la nécessité (partie C) d’assurer le «respect, sur le plan international, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» (préambule et par. 1 et 2).
12. Puis, dans sa résolution 738 (VIII) du 28 novembre 1953, l’Assemblée générale a renvoyé à ses résolutions antérieures et réaffirmé l’importance «d’assurer le respect effectif du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes pour favoriser la paix dans le monde ainsi que les relations amicales entre peuples et nations» (préambule). Elle a de nouveau insisté sur ce point dans sa résolution 833 (IX) du 4 décembre 1954 (par. 1 c)), ainsi que dans sa résolution 1188 (XII) du 11 décembre 1957 (préambule et par. 1) ; dans cette dernière résolution, elle prévenait aussi que la «méconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, non seulement sap[ait] la base des relations amicales entre les nations», telles que les définit la Charte des Nations Unies, mais encore «cré[ait] des conditions qui [pouvai]ent faire obstacle à un exercice plus large du droit lui-même», une telle situation étant «contraire aux buts et principes des Nations Unies» (préambule). Ainsi, déjà dans les années 1950 (dès 1950, en fait), l’Assemblée générale avait exprimé son engagement ferme, dans les résolutions précitées, envers le droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes.
2. Résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale des Nations Unies  déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
13. A la fin des années 1950, le temps était venu de poser un autre jalon important  de nature historique. Ainsi, dans sa résolution 1514 (XV), du 14 décembre 1960, renfermant la «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux», l’Assemblée générale a tout d’abord insisté dans son préambule sur la nécessité d’assurer le respect universel des «droits fondamentaux de l’homme» et de la «libre détermination de tous les peuples» ; ensuite,
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elle a demandé «la fin du colonialisme dans toutes ses manifestations» et de «toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s’accompagn[ait]» ; puis, elle a affirmé que «tous les peuples [avaie]nt un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national». A cette fin, elle a déclaré :
«1. La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales.
2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.
3. Le manque de préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans celui de l’enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l’indépendance.
4. Il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu’elles soient, dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d’exercer pacifiquement et librement leur droit à l’indépendance complète, et l’intégrité de leur territoire national sera respectée.
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs voeux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes.
6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.
7. Tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la présente Déclaration sur la base de l’égalité, de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats et du respect des droits souverains et de l’intégrité territoriale de tous les peuples.»
14. La résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 de l’Assemblée générale, renfermant la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, a largement contribué à la consolidation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Tout en reconnaissant que «la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères» constituait un «déni des droits fondamentaux de l’homme» contraire à la Charte des Nations Unies (par. 1), l’Assemblée générale a notablement déclaré que tous les peuples avaient «le droit de libre détermination» (par. 2).
15. Dans sa résolution 1514 (XV) de 1960, l’Assemblée générale a défini le droit de libre détermination comme recouvrant le droit des peuples de «détermine[r] librement leur statut politique et poursuiv[re] librement leur développement économique, social et culturel» (par. 2). Elle a précisé que «[t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et
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l’intégrité territoriale d’un pays [étai]t incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies» (par. 6).
16. L’historique déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (1960) est venue renforcer le statut international des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle (par. 5) et affirmer sans réserve le droit de libre détermination des peuples. Comme je l’ai souligné il y a quelques années déjà, la déclaration de 1960 a ainsi transcendé la dimension strictement interétatique, en attirant l’attention sur les peuples et la protection de leurs droits1. Les obligations correspondantes en sont venues à être considérées opposables erga omnes, c’est-à-dire tant à l’Etat qui administre le territoire en cause qu’à tous les autres Etats  les obligations sont dues à la communauté internationale tout entière.
17. Le droit de libre détermination des peuples (qu’ils vivent ou non dans des territoires non autonomes) s’est solidement enraciné en droit international contemporain. Le droit des Nations Unies a veillé à rejeter les anciennes objections fondées sur le manque  présumé à tort  de préparation sur le plan politique ou de viabilité sur le plan économique dans ces territoires (par. 3). La déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (précitée, 1960) a ajouté comme principe que la sujétion des peuples à une domination étrangère constituait un «déni des droits fondamentaux de l’homme» contraire à la Charte des Nations Unies (par. 1).
3. Résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies (1961-1966) à l’appui de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
18. Après l’adoption de la résolution 1514 (XV) de 1960 renfermant l’historique déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux  et déjà dans la première moitié des années 1960 , l’Assemblée générale a veillé à la mise en oeuvre de celle-ci par l’adoption de résolutions successives (résolutions 1654 (XVI) du 27 novembre 1961, 1810 (XVII) du 17 décembre 1962, 1956 (XVIII) du 11 décembre 1963, 2105 (XX) du 20 décembre 1965 et 2189 (XXI) du 13 décembre 1966), dans lesquelles elle a redit l’importance de la déclaration et des principes la sous-tendant pour l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination.
19. Déjà en 1961, par sa résolution 1654 (XVI), l’Assemblée générale instituait le comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (aussi connu sous le nom de Comité spécial de la décolonisation ou Comité des Vingt-Quatre), qu’elle a chargé de suivre la mise en oeuvre de la déclaration de 1960. A cette fin, le comité spécial devait formuler des suggestions et des recommandations quant aux progrès réalisés et à la mesure dans laquelle la déclaration de 1960 était mise en oeuvre, ainsi que faire rapport de ses conclusions à l’Assemblée générale  ce qu’il n’a pas cessé de faire au fil des ans2.
1 A.A. A. Cançado Trindade, A. Cançado Trindade, O Direito InterO Direito Internacional em um Mundo em Transformaçãonacional em um Mundo em Transformação, Rio de Janeiro, éd. , Rio de Janeiro, éd. Renovar, 2002, p.Renovar, 2002, p. 730, 731 et 734 à 739730, 731 et 734 à 739 ; voir aussi A.A. Cançado Trindade, ; voir aussi A.A. Cançado Trindade, Princípios do Direito Internacional Princípios do Direito Internacional ContemporâneoContemporâneo [1981], 2[1981], 2ee éd. revue, Brasilia, FUNAG, 2017, p.éd. revue, Brasilia, FUNAG, 2017, p. 157 à 161.157 à 161.
2 Il s’y attIl s’y attache toujours en passant en revue chaque année la liste des territoires auxquels la déclaration de 1960 ache toujours en passant en revue chaque année la liste des territoires auxquels la déclaration de 1960 est applicable, et en formulant des recommandations en vue de sa mise en oeuvre, la question demeurant toujours au coeur est applicable, et en formulant des recommandations en vue de sa mise en oeuvre, la question demeurant toujours au coeur de la mission des Nations Unies.de la mission des Nations Unies.
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20. Dans sa résolution 1654 (XVI) de 1961, l’Assemblée générale a demandé aux Etats intéressés «d’agir sans plus tarder» (par. 2) afin d’assurer l’application diligente de la déclaration de 1960 renfermée dans sa précédente résolution 1514 (XV) de 1960. Celle-ci, on s’en rappellera, exhortait tous les Etats à observer «fidèlement» ses dispositions et les principes qui y étaient énoncés (par. 7). Ainsi, le caractère normatif de la déclaration de 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux était dûment reconnu peu après son adoption, soit dès le début des années 1960. Cette reconnaissance s’est accentuée avec l’adoption de résolutions successives par l’Assemblée générale dans la première moitié de cette décennie3 et par la suite.
4. Résolution 2066 (XX) de 1965 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la «Question de l’île Maurice»
21. A l’époque où le Royaume-Uni projetait la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice, avant que celle-ci n’acquière son indépendance, l’Assemblée générale a adopté la résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965 sur la «Question de l’île Maurice». Elle y donnait une mise en garde : «toute mesure prise par la puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une violation de [la] déclaration» (sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, figurant dans sa précédente résolution 1514 (XV) de 1960, et en particulier de son paragraphe 6 (voir supra).
22. Dans cette nouvelle résolution 2066 (XX) de 1965, l’Assemblée générale invitait aussi le Royaume-Uni à «prendre des mesures efficaces en vue de la mise en oeuvre immédiate et complète de la résolution 1514 (XV)» ; en outre, après avoir rappelé sa précédente résolution 1514 (XV) de 1960 renfermant la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, l’Assemblée générale a réaffirmé le «droit inaliénable» du peuple de l’île Maurice à l’indépendance conformément à cette résolution (point 2) et a invité le Royaume-Uni à s’y conformer (point 3) et à «ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale» (point 4).
5. Résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies (1966-1967) à l’appui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
23. Peu après le détachement de l’archipel des Chagos de Maurice, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté plusieurs résolutions, notamment les résolutions 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967, donnant suite aux rapports du comité spécial de la décolonisation. Dans les deux résolutions, l’Assemblée générale, après avoir renvoyé dans les préambules aux résolutions susmentionnées devant être mises en oeuvre par les puissances administrantes, a réaffirmé le «droit inaliénable» des peuples (des territoires concernés, y compris Maurice) à l’autodétermination.
24. L’Assemblée générale a ensuite rappelé dans ses résolutions 2232 (XXI) de 1966 et 2357 (XXII) de 1967 que toute tentative visant «à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale des territoires coloniaux et à établir des bases et des installations
3 Voir à cet égard, pour un examen de cette période, S.Voir à cet égard, pour un examen de cette période, S. A.A. Bleicher, «The Legal Significance of ReBleicher, «The Legal Significance of Re--Citation of Citation of General Assembly Resolutions», 63 General Assembly Resolutions», 63 American Journal of International LawAmerican Journal of International Law (1969) p.(1969) p. 444 à 478. Pour un compte rendu 444 à 478. Pour un compte rendu des débats en cours de rédactiodes débats en cours de rédaction de la résolution 1514n de la résolution 1514 (XV) de 1960 dénotant une interprétation de la Charte des (XV) de 1960 dénotant une interprétation de la Charte des NationsNations Unies qui révèle l’existence d’une oUnies qui révèle l’existence d’une opinio jurispinio juris et contribue au développement progressif du droit international, et contribue au développement progressif du droit international, voir O.voir O. Y.Y. Asamoah, Asamoah, The Legal Significance of the DecThe Legal Significance of the Declarations of the General Assembly of the United Nationslarations of the General Assembly of the United Nations, La, La Haye, Haye, Nijhoff, 1966, p.Nijhoff, 1966, p. 163 à 185 et 243 à 245.163 à 185 et 243 à 245.
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militaires dans ces territoires» était «incompatible» avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et de sa propre résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 (par. 2 et 4).
6. Résolution 2621 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale des Nations Unies établissant un programme d’action pour l’application intégrale de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
25. A l’occasion du dixième anniversaire de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, l’Assemblée générale a adopté, le 12 octobre 1970, la résolution 2621 (XXV) établissant le programme d’action pour l’application intégrale de la déclaration. Dans le dispositif de la résolution, la persistance du colonialisme est qualifiée de crime. Dès le premier paragraphe, l’Assemblée générale
«Déclare que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations représente un crime qui constitue une violation de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et des principes du droit international.»
26. En adoptant le programme d’action, l’Assemblée générale conviait tous les Etats Membres des Nations Unies à apporter «toute l’assistance morale et matérielle nécessaire» aux peuples des territoires coloniaux «dans leur lutte pour accéder à la liberté et à l’indépendance» (par. 3 2)) et à favoriser «l’élimination rapide du colonialisme» (par. 3 3) b) iii)). L’Assemblée générale demandait en outre aux Etats Membres de respecter toutes ses résolutions pertinentes en matière de décolonisation, de manière à «liquider définitivement le colonialisme» (par. 9 a)).
7. Résolution 2625 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale des Nations Unies  Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies
27. Quelques jours plus tard, l’Assemblée générale a jeté un nouveau jalon important de son action dans le domaine à l’examen, en adoptant la célèbre résolution 2625 (XXV), du 24 octobre 1970, qui renferme la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, reconnue par la CIJ elle-même en tant qu’expression du droit international coutumier4. Dans cette résolution, l’Assemblée générale a réaffirmé le principe selon lequel «tous les Etats [devaient s’abstenir], dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies» (préambule).
28. Dans cette résolution, qui renfermait la déclaration relative aux principes du droit international susmentionnée, l’Assemblée générale rappelait ensuite qu’il incombait à tout Etat de favoriser la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, afin notamment de «[m]ettre rapidement fin au colonialisme» (par. 5 2) b)). Elle rappelait aussi que «[t]out Etat [devait] s’abstenir de toute action visant à rompre partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un autre Etat ou d’un autre pays» (par. 5 8)).
4 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celuiActivités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui--ci (Nicaragua c.ci (Nicaragua c. EtatsEtats--Unis d’Amérique), Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J.fond, arrêt, C.I.J. RecueilRecueil 19861986, p., p. 101101--103103, par., par. 191191--193 (quant au principe du non193 (quant au principe du non--recours à la force en droit recours à la force en droit international coutumier).international coutumier).
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III. L’ÉLIMINATION DU COLONIALISME : PROJECTION DANS LE TEMPS DE LA DÉCLARATION SUR L’OCTROI DE L’INDÉPENDANCE AUX PAYS ET AUX PEUPLES COLONIAUX DE 1960 ET DE RÉSOLUTIONS SUCCESSIVES DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
29. La CIJ a elle-même abordé la résolution 2625 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale, qui renferme la déclaration relative aux principes du droit international, dans l’arrêt Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (rendu sur le fond le 27 juin 1986) : après avoir mentionné que l’interdiction de l’emploi de la force prévue au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies «rel[evait] du jus cogens», elle a déclaré que l’adoption par les Etats membres de la déclaration de 1970 fournissait «une indication de leur opinio juris sur le droit international coutumier» en la matière (par. 191).
30. Dans d’autres résolutions successives, l’Assemblée générale a quant à elle reconnu l’élimination du colonialisme comme étant l’une des priorités des Nations Unies. Elle y a ainsi exhorté à nouveau, dans la foulée de ses résolutions antérieures sur la décolonisation, à assurer le plein exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’Assemblée générale, par ses résolutions 43/47 du 22 novembre 1988, 51/146 du 8 décembre 2000 et 65/119 du 10 décembre 2010, a proclamé trois décennies successives (1990 à 2000, 2001 à 2010 et 2011 à 2020) Décennies internationales de l’élimination du colonialisme. Elle a aussi réaffirmé plus tard (en 2015-2017) que le colonialisme, sous toutes ses formes, était contraire à la Charte des Nations Unies, à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux5.
31. A l’occasion du cinquantième anniversaire de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de 1960, l’Assemblée générale a adopté la résolution 65/118 du 10 décembre 2010 par laquelle, encore une fois, après s’être dite profondément préoccupée de constater que «le colonialisme n’a[vait] pas encore été totalement éliminé» (préambule), elle a réaffirmé le «droit inaliénable à l’autodétermination ... de tous les peuples des territoires non autonomes» (par. 1). Elle a ensuite déclaré :
«la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations est incompatible avec la Charte des Nations Unies, la Déclaration [de 1960] et les principes du droit international» (par. 2).
32. Dans sa résolution 65/118 de 2010, l’Assemblée générale a prié les puissances administrantes de préserver «l’identité culturelle» et l’unité nationale des peuples concernés, et d’ainsi les encourager à «exercer sans entrave» leur droit à l’autodétermination et à l’indépendance (par. 8). Elle a ensuite prié instamment les Etats Membres de «veiller à l’application intégrale et rapide de la Déclaration [de 1960] et des autres résolutions pertinentes de l’Organisation» (par. 10). Finalement, elle a prié le comité spécial de la décolonisation de rechercher les «moyens les plus appropriés» pour assurer l’application rapide et intégrale de la déclaration de 1960 et de lui faire des «propositions précises pour que la Déclaration [de 1960] soit complètement appliquée dans les derniers territoires non autonomes» (par. 12).
33. Cinq ans plus tard, le 23 décembre 2015, l’Assemblée générale a adopté la résolution 70/231 par laquelle elle a commencé par demander, encore une fois, la rapide
5 Voir, par exemple, les résolutionsVoir, par exemple, les résolutions 70/231 du 2370/231 du 23 décembre 2015, 71/122 du 6décembre 2015, 71/122 du 6 décembre 2016 et 72/111 du décembre 2016 et 72/111 du 77 décembre 2017 de l’Assemblée générale.décembre 2017 de l’Assemblée générale.
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«élimination du colonialisme», qui restait l’une des priorités des Nations Unies (préambule), avant de réaffirmer que la persistance du colonialisme était «contraire à la Charte des Nations Unies, à la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et à la Déclaration universelle des droits de l’homme» (par. 2).
34. L’Assemblée générale demandait qu’il soit mis fin rapidement au colonialisme, pour permettre aux peuples concernés d’exercer leur droit à l’autodétermination, y compris l’indépendance (par. 3, 4 et 8 a) et c)). Cela devait être fait, a-t-elle ajouté, conformément aux résolutions pertinentes de l’Assemblée générale relatives à la décolonisation, l’accent étant mis sur l’application par les Etats Membres de sa résolution 1514 (XV) de 1960 et de ses autres résolutions pertinentes et successives en la matière (par. 8 b) et c)).
35. L’année suivante, le 6 décembre 2016, l’Assemblée générale a adopté la résolution 71/122 dans laquelle elle a insisté d’abord sur le fait que l’élimination rapide du colonialisme ne s’était pas encore réalisée et continuait d’être «l’une [de ses] priorités» (préambule). Elle a ensuite répété les considérations exprimées dans la précédente résolution 70/231 de 2015 (par. 2 et 3). Enfin, elle a demandé instamment qu’on fasse «progresser le processus de décolonisation» (par. 17) et qu’on apporte, «si nécessaire, une aide morale et matérielle aux peuples des territoires non autonomes» (par. 15).
36. De nouveau, l’année suivante, l’Assemblée générale a repris ces divers points dans sa résolution 72/111 du 7 décembre 2017 (par. 2, 3, 8 et 16), en plus de demander instamment aux puissances administrantes concernées
«de mettre fin aux activités militaires menées dans les territoires non autonomes placés sous leur administration et de supprimer les bases militaires qui s’y trouv[aient], conformément à ses résolutions pertinentes» (par. 14).
37. On peut ainsi constater qu’avec la résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale, une nouvelle époque a débuté de développement progressif du droit international contemporain, qui condamnait le colonialisme, considéré comme un déni et une violation des droits fondamentaux de l’homme allant à l’encontre de la Charte des Nations Unies elle-même. La résolution 1514 (XV) offrait le cadre juridique de ce développement. Le droit à l’autodétermination s’est formé jusqu’à devenir en soi un véritable droit de l’homme, un droit des peuples, comme les auteurs l’ont rapidement mis en évidence après l’adoption des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale au début des années 19606.
IV. LE DROIT INTERNATIONAL DE LA DÉCOLONISATION EN TANT QUE MANIFESTATION DE L’HUMANISATION DU DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN
38. On s’est de plus en plus intéressé et attaché aux droits des peuples, en particulier au droit à l’autodétermination  inhérent à tous les peuples , en tant que droit fondamental de l’homme (voir la section V, infra). Il s’en est donc suivi une tendance décisive vers l’universalisation des
6 Voir A.Voir A. Rigo Sureda, Rigo Sureda, The Evolution of the Right to SelfThe Evolution of the Right to Self--Determination Determination –– A Study of United Nations PracticeA Study of United Nations Practice, , Leiden, Sijthoff, 1973, p.Leiden, Sijthoff, 1973, p. 221, 222, 263, 264 et 353221, 222, 263, 264 et 353 ; J.; J. A. Carrillo Salcedo, A. Carrillo Salcedo, El Derecho Internacional en Perspectiva El Derecho Internacional en Perspectiva HistóricaHistórica, Madrid, Tecnos, 1991, p., Madrid, Tecnos, 1991, p. 101 et 102101 et 102 ; J.; J. A. de Obieta Chalbaut, A. de Obieta Chalbaut, El Derecho Humano de la Autodeterminación El Derecho Humano de la Autodeterminación de los Pueblosde los Pueblos, Madrid, Tecnos, 1993 (réimpression), p., Madrid, Tecnos, 1993 (réimpression), p. 88, 91, 92, 232 et 238.88, 91, 92, 232 et 238.
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Nations Unies, le nombre de ses membres augmentant graduellement et sensiblement7, et une plus grande attention apportée à une question préoccupant l’ensemble de la communauté internationale.
39. Cette tendance était pleinement en harmonie avec la Charte des Nations Unies elle-même, laquelle dispose dans son préambule, je le rappelle, «Nous, peuples des Nations Unies, [sommes] résolus ... à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine» et dans «l’égalité des droits» des «nations, grandes et petites» (par. 2). Dans la Charte, l’accent a été mis sur les peuples  comme il ressort de plusieurs de dispositions  et sur la défense des valeurs communes à toute l’humanité.
40. La Charte prévoyait aussi qu’il fallait assurer le respect des droits de l’homme, sans distinction (paragraphe 3 de l’article premier et paragraphe 1 b) de l’article 13). Elle faisait expressément mention de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes (paragraphe 2 de l’article premier et article 55) ainsi que des obligations des Etats envers les peuples qui en découlaient (une «mission sacrée», article 73). Les peuples, leurs droits et leurs cultures devaient être respectés. La Charte des Nations Unies mettait ainsi en avant une nouvelle vision, afin de «préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances» (préambule, par. 1).
41. Il fallait aussi garder à l’esprit les renvois faits aux principes et aux buts des Nations Unies, puisqu’ils imposaient l’obligation juridique aux Etats Membres de s’y conformer. Les Etats Membres avaient désormais l’obligation juridique de respecter les droits fondamentaux de l’homme. Ces dispositions ont été adoptées, après avoir été longuement examinées tant avant que pendant la conférence de San Francisco de 1945, comme découlant de la philosophie du nouveau système international et en tant que leçon indispensable tirée des lacunes et des dangers de l’ancienne8.
42. La vision humaniste du droit des gens était sauve. La civitas maxima gentium ressurgissait dans un contexte nouveau, celui de l’émergence, au milieu du XXe siècle, d’un droit international de la décolonisation allant progressant vers un bien commun universel, tout en gardant à l’esprit l’égalité des droits de tous les Etats (y compris ceux issus de la décolonisation)9. En accordant de l’attention aux peuples, avec sa vision universaliste, l’Organisation des Nations Unies a beaucoup fait pour promouvoir cette perspective humaniste attachée aux conceptions classiques du totus orbis ou de la civitas maxima gentium.
43. Je rappelle que, dans ses mémoires, René Cassin a réfléchi au fait qu’on pouvait considérer la Charte des Nations Unies comme une émanation elle-même de la «conscience humaine» ripostant aux atrocités de la seconde guerre mondiale commises au mépris des principes d’humanité10. Dès l’origine, a-t-il ajouté, les Nations Unies, à commencer par l’Assemblée générale, ont misé sur l’important rôle joué  à compter de la conférence de Bandung de 1955 (infra)  par les nouveaux Etats issus de la décolonisation, notamment lors de l’adoption des deux
7 Voir à ce sujet J. A. Carrillo Salcedo, Voir à ce sujet J. A. Carrillo Salcedo, El Derecho Internacional en Perspectiva HistóricaEl Derecho Internacional en Perspectiva Histórica, , opop.. cit.cit. suprasupra notenote 6, 6, p.p. 104104 ; A. Truyol y Serra, ; A. Truyol y Serra, Histoire du droit international publicHistoire du droit international public, Paris, éd., Paris, éd. Economica, 1995, p. 156 et 157.Economica, 1995, p. 156 et 157.
8 H. Lauterpacht, H. Lauterpacht, International Law and Human RightsInternational Law and Human Rights, Londres, Stevens & Sons Ltd., 1950, p., Londres, Stevens & Sons Ltd., 1950, p. 147.147.
9 Voir A. Truyol y Serra, Voir A. Truyol y Serra, La Sociedad InternacionalLa Sociedad Internacional [1974], 2[1974], 2ee éd. éd. (réimpression), Madrid, éd.(réimpression), Madrid, éd. Alianza, 1998, Alianza, 1998, p.p. 83, 85, 97, 98, 110 à 11283, 85, 97, 98, 110 à 112 ; on pourra aussi consulter p.; on pourra aussi consulter p. 88, 167 et 169.88, 167 et 169.
10 R. Cassin, R. Cassin, La pensée et l’actionLa pensée et l’action, [Paris,] éd. F. Lalou, 1972, p., [Paris,] éd. F. Lalou, 1972, p. 115.115.
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Pactes relatifs aux droits de l’homme de 1966 des Nations Unies11, les deux Pactes énonçant dans leur article premier le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes (voir la section V, infra). L’importance de l’universalité pour les Nations Unies se manifestait ainsi clairement.
44. Cette ère nouvelle, dans le développement progressif du droit international, de la reconnaissance du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes a découlé de l’éveil de la conscience juridique universelle aux besoins et aux aspirations de l’humanité tout entière, cela s’inscrivant fidèlement dans la ligne de pensée jusnaturaliste des «pères fondateurs» du droit des gens. A mon sens, cette évolution illustre éloquemment le processus historique d’humanisation du droit international contemporain12.
45. Au milieu des années 1950, déjà, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était fermement établi sur le plan multilatéral. Ainsi, la conférence Asie-Afrique de Bandung, tenue du 18 au 24 avril 1955 et réunissant 29 pays participants, a condamné le colonialisme et la discrimination, considérés comme une négation des droits fondamentaux dans le domaine de l’éducation et de la culture, et a déclaré appuyer pleinement les droits fondamentaux de l’homme consacrés dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme. Parmi ces droits, on comptait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes  affirmé dans diverses résolutions des Nations Unies  en tant que «condition préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’homme»13.
46. La conférence Asie-Afrique de 1955 de Bandung a condamné «le colonialisme dans toutes ses manifestations» comme «un mal auquel il [devait] être mis fin rapidement» parce que constituant une «négation des droits fondamentaux de l’homme», contraire à la Charte des Nations Unies, qui «empêch[ait] de favoriser la paix ... mondiale»14. Elle a également affirmé que les Nations Unies devaient être universelles15. Enfin, elle a exhorté au respect des droits fondamentaux de l’homme, des principes et des buts des Nations Unies ainsi que de la justice et des obligations internationales16 ; elle a aussi appelé au désarmement universel, notamment à l’interdiction et à l’élimination des armes nucléaires17.
47. La conférence de 1955 de Bandung a rapidement été suivie d’autres conférences du même genre (comme celles du Caire, en décembre 1957 et janvier 1958, d’Accra, en avril 1958, et d’Adis-Abeba, en juin 1960), qui ont assuré une continuité dans la volonté d’atteinte de ses objectifs. Les pays d’Afrique et d’Asie ont pu compter alors sur l’appui des pays arabes et latino-américains, ce qui a donné un élan au processus de décolonisation18. Les principes
11 Ibid.Ibid., p., p. 130 et 172.130 et 172.
12 Voir A.Voir A. A. Cançado Trindade, A. Cançado Trindade, International Law for Humankind International Law for Humankind –– Towards a New Jus GentiumTowards a New Jus Gentium, 2, 2ee éd.éd. revrev., ., Leiden/LaLeiden/La Haye, Nijhoff/Académie de droit international de LaHaye, Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2013, p.Haye, 2013, p. 1 à 726.1 à 726.
13 «Communiqué final de la conférence Asie«Communiqué final de la conférence Asie--Afrique» (Bandung, 18 Afrique» (Bandung, 18 au 24au 24 avrilavril 1955), reproduit dans1955), reproduit dans : 11 : 11 Interventions Interventions –– International Journal of Postcolonial Studies International Journal of Postcolonial Studies (2009) n(2009) noo 1, p.1, p. 97, n97, noo 2 et p.2 et p. 98, n98, noo 1.1.
14 Ibid.Ibid., p., p. 99, n99, noo 1.1.
15 Ibid.Ibid., p., p. 96, n96, noo 11 et p.11 et p. 100, n100, noo 1.1.
16 Ibid.Ibid., p., p. 102 n102 nosos 1 et 10.1 et 10.
17 Ibid.Ibid., p., p. 101.101.
18 Voir,Voir, inter aliainter alia, , aauteurs divers, uteurs divers, Bandung, Global History, and International Law Bandung, Global History, and International Law –– Critical Pasts and Pending Critical Pasts and Pending FuturesFutures (éd. L. Eslava, M.(éd. L. Eslava, M. Fakhri et V.Fakhri et V. Nesiah), Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p.Nesiah), Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 13, 14, 20, 21 et 24313, 14, 20, 21 et 243 ; ; R.R. Burke, Burke, Decolonization and tDecolonization and the Evolution of International Human Rightshe Evolution of International Human Rights, Philadelphie, University of Pennsylvania , Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2010, p.Press, 2010, p. 8, 38, 53 et 548, 38, 53 et 54 ; S.L.B.; S.L.B. Jensen, TJensen, The Making of International Human Rights he Making of International Human Rights –– The 1960s, Decolonization The 1960s, Decolonization and the Reconstruction of Global Valuesand the Reconstruction of Global Values, Cambridge, C, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p.ambridge University Press, 2016, p. 43, 51 à 56, 60, 62, 64 et 65.43, 51 à 56, 60, 62, 64 et 65.
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initialement adoptés à la conférence de 1955 de Bandung devaient servir de précurseurs immédiats, ainsi que d’objectifs, au Mouvement des pays non alignés ; ce Mouvement a vu le jour six ans plus tard, lors de la conférence tenue à Belgrade la première semaine de septembre 1961.
48. La contribution de l’Amérique latine a mis à profit la doctrine du droit international qui y était déjà solidement établie19. Pour ce qui est ainsi du travail du Comité spécial de la décolonisation mentionné plus tôt (supra), les représentants des pays d’Amérique latine et des Caraïbes y ont fait sentir leur présence dès ses débuts  et même auparavant  ; de même, dans les débats en plénière de l’Assemblée générale des Nations Unies (à compter de 1960-1961), ils ont manifesté leur appui à la décolonisation et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes20.
49. Il en a été de même encore plus tôt, dans le cadre des débats de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale (à compter de 1949), auxquels les représentants des pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont également pris part, lorsqu’ont été abordés l’avenir des territoires non autonomes et le régime international de tutelle des Nations Unies21. Le nouveau
19 Pour consulter une récente étude sur la question, voir A.Pour consulter une récente étude sur la question, voir A. A. Cançado Trindade, «The Contribution of Latin A. Cançado Trindade, «The Contribution of Latin American Legal Doctrine to the Progressive Development of International Law», 376American Legal Doctrine to the Progressive Development of International Law», 376 Recueil des Cours de l’Académie Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de La Haye de Droit International de La Haye (2014) p.(2014) p. 19 à 92.19 à 92.
20 Se reporter, par exemple, dans les procèsSe reporter, par exemple, dans les procès--verbaux des débats en plénière de l’Assemblée générale, aux verbaux des débats en plénière de l’Assemblée générale, aux interventions des représentants de l’Argentine (927interventions des représentants de l’Argentine (927ee séance, du 29séance, du 29 novembrenovembre 1960, p.1960, p. 1005 à 1008, 11741005 à 1008, 1174ee séance, du séance, du 2323 novembre 1962, p.novembre 1962, p. 810 et 811, puis plus tard, 1631810 et 811, puis plus tard, 1631ee séance, du 14séance, du 14 décembre 1967, p.décembre 1967, p. 8 à 10)8 à 10) ; de la Colombie (929; de la Colombie (929ee et et 10541054ee séances, respectivement du 30séances, respectivement du 30 novembre 1960, p.novembre 1960, p. 1039 à 1041, et du 141039 à 1041, et du 14 novembre 1novembre 1961, p.961, p. 633 à 638, et 1175633 à 638, et 1175ee séance, du 26séance, du 26 novembre 1962, p.novembre 1962, p. 841 à 844)841 à 844) ; du Guatemala (1057; du Guatemala (1057ee séance, du 17séance, du 17 novembrenovembre 1961, p.1961, p. 692 à 694)692 à 694) ; du ; du Mexique (1058Mexique (1058ee séance, du 20séance, du 20 novembre 1961, p.novembre 1961, p. 701 à 703, 1066701 à 703, 1066ee séance, du 27séance, du 27 novembre 1961, p.novembre 1961, p. 861 et 862, et 1270861 et 862, et 1270ee séance, du 3séance, du 3 décembre 1963, p. 10 à 12)décembre 1963, p. 10 à 12) ; du Venezuela (1059; du Venezuela (1059ee séance, du 21séance, du 21 novembre 1961, p.novembre 1961, p. 745 et 746, et 1180745 et 746, et 1180ee séance, du 29séance, du 29 novembre 1962, p.novembre 1962, p. 923 à 925)923 à 925) ; de Cuba (1060; de Cuba (1060ee séance, du 21 novembre 1961, p. 755 à 757séance, du 21 novembre 1961, p. 755 à 757 ; du Chili, ; du Chili, (1631(1631ee séance, du 14séance, du 14 décedécembre 1967, p. 12 et 13)mbre 1967, p. 12 et 13) ; du Brésil (1173; du Brésil (1173ee séance, du 21séance, du 21 novembre 1962, p.novembre 1962, p. 801 à 804)801 à 804) ; du ; du Costa Rica (1176Costa Rica (1176ee séance, du 26séance, du 26 novembre 1962, p. 845 à 847)novembre 1962, p. 845 à 847) ; de l’Uruguay (1176; de l’Uruguay (1176ee séance, du 26séance, du 26 novembre 1962, novembre 1962, p.p. 847 à 850)847 à 850) ; d’Haïti (1192; d’Haïti (1192ee séance, du 14séance, du 14 décembredécembre 1962, p.1962, p. 1110 à 1113)1110 à 1113) ; du Pérou (1192; du Pérou (1192ee séance, du 14séance, du 14 décembre décembre 1962, p. 1115 et 1116). Se reporter également, dans les procès1962, p. 1115 et 1116). Se reporter également, dans les procès--verbaux de débats en plénière antérieurs de l’Assemblée verbaux de débats en plénière antérieurs de l’Assemblée générale, aux interventions des représentants du Guatemala (64générale, aux interventions des représentants du Guatemala (64ee séance, dséance, du 14u 14 décembre 1946, p.décembre 1946, p. 1360 et 1361)1360 et 1361) ; de Cuba ; de Cuba (64(64ee séance, du 14 décembre 1946, p.séance, du 14 décembre 1946, p. 1363 à 1368)1363 à 1368) ; de la République dominicaine (262; de la République dominicaine (262ee séance, du 1séance, du 1erer décembre 1949, décembre 1949, p.p. 449 et 450).449 et 450).
21 Se reporter, par exemple, dans les procèsSe reporter, par exemple, dans les procès--verbaux des réunions de la Quatrverbaux des réunions de la Quatrième Commission de l’Assemblée ième Commission de l’Assemblée générale, aux interventions générale, aux interventions inter aliainter alia des représentants de la République dominicaine (109des représentants de la République dominicaine (109ee réunion, du 27réunion, du 27 octobre 1949, octobre 1949, p.p. 101 et 102, et 125101 et 102, et 125ee réunion, du 16réunion, du 16 novembre 1949, p.novembre 1949, p. 188 et188 et 189189 ; du Brésil (113; du Brésil (113ee réunion, du 2réunion, du 2 novemnovembre 1949, p.bre 1949, p. 121 121 à 123, et 331à 123, et 331ee réunion, du 12réunion, du 12 octobre 1953, p.octobre 1953, p. 97)97) ; du Guatemala (114; du Guatemala (114ee réunion, du 3réunion, du 3 novembre 1949, p.novembre 1949, p. 125 et 126, et 125 et 126, et 125125ee réunion, du 16réunion, du 16 novembre 1949, p.novembre 1949, p. 184, 185, 187 et 188)184, 185, 187 et 188) ; de Cuba (115; de Cuba (115ee réunion, du 3réunion, du 3 novembre 1949, p.novembre 1949, p. 130 à 132, 130 à 132, 112424ee réunion, du 14réunion, du 14 novembre 1949, p.novembre 1949, p. 182 et 183, et 125182 et 183, et 125ee réunion, du 16réunion, du 16 novembre 1949, p. 187)novembre 1949, p. 187) ; du Venezuela ; du Venezuela (124(124ee réunion, du 14 novembre 1949, p. 179 et 180réunion, du 14 novembre 1949, p. 179 et 180 ; de l’Uruguay (125; de l’Uruguay (125ee réunion, du 16 novembre 1949, p. 187)réunion, du 16 novembre 1949, p. 187) ; du ; du Mexique (125Mexique (125ee réunion, du 16 novréunion, du 16 novembre 1949, p. 188)embre 1949, p. 188) ; du Panama (1039; du Panama (1039ee réunion, du 7réunion, du 7 novembre 1960, p.novembre 1960, p. 236 et 237)236 et 237) ; ; d’Haïti (1040d’Haïti (1040ee réunion, du 8réunion, du 8 novembre 1960, p.novembre 1960, p. 241 et 242). Les délégations des pays asiatiques et africains, de même 241 et 242). Les délégations des pays asiatiques et africains, de même que des pays arabes, ont rapidement salué l’appui donque des pays arabes, ont rapidement salué l’appui donné par les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. L’Organisation né par les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. L’Organisation des Etats américains (OEA) s’est montrée attentive à son tour, depuis sa création par la Charte de Bogota en 1948, aux des Etats américains (OEA) s’est montrée attentive à son tour, depuis sa création par la Charte de Bogota en 1948, aux mesures prises aux Nationsmesures prises aux Nations Unies pour garantir le droit des peuples à dUnies pour garantir le droit des peuples à disposer d’euxisposer d’eux--mêmesmêmes ; le Comité juridique ; le Comité juridique interaméricain a luiinteraméricain a lui--même étudié (en 1992) la corrélation, sous l’angle historique, entre l’autodétermination et la même étudié (en 1992) la corrélation, sous l’angle historique, entre l’autodétermination et la protection des droits de la personneprotection des droits de la personne ; voir Comité Jurídico Interamericano, ; voir Comité Jurídico Interamericano, La Democracía en los TLa Democracía en los Trabajos del Comité rabajos del Comité Jurídico Interammericano Jurídico Interammericano (1946(1946--2010)2010), Washington D.C., Secrétariat général de l’OEA, 2011, p., Washington D.C., Secrétariat général de l’OEA, 2011, p. 85 à 91. Dès ses débuts, 85 à 91. Dès ses débuts, d’ailleurs, le Comité juridique interaméricain était considéré exprimer la «conscience juridique continentale» (étant d’ailleurs, le Comité juridique interaméricain était considéré exprimer la «conscience juridique continentale» (étant bien bien davantage davantage latinolatino--américain qu’américain qu’interinter--américain), porter attention aux principes, par exemple ceux de nonaméricain), porter attention aux principes, par exemple ceux de non--intervention (et intervention (et nonnon--recours à la force) et d’égalité juridique entre ressortissants et étrangers et vouloir contribuer au développement recours à la force) et d’égalité juridique entre ressortissants et étrangers et vouloir contribuer au développement progressifprogressif du droit internationaldu droit international ; A.A. Cançado Trindade, «The Inter; A.A. Cançado Trindade, «The Inter--American Juridical Committee: An Overview», 38American Juridical Committee: An Overview», 38 The World TodayThe World Today –– Chatham House/Londres (1982) nChatham House/Londres (1982) noo 11, p.11, p. 438, 439 et 442.438, 439 et 442.
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Mouvement mondial des pays non alignés, qui a vu le jour en 1961, a entraîné un véritable changement de paradigme aux Nations Unies22 avec sa vision universaliste.
50. Le corpus juris gentium s’est ainsi trouvé enrichi par la revendication du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans cette perspective, la résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale, renfermant la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, ainsi que la résolution 2625 (XXV) de 1970, renfermant la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies (supra), en sont venues à être considérées comme des «interprétations authentiques» de la Charte des Nations Unies23, faisant du «postulat de l’autodétermination» des peuples un précepte «ayant force obligatoire pour les Etats»24 et attestant l’enrichissement du corpus juris gentium.
51. Le droit international de la décolonisation s’est façonné avec l’aide d’organisations internationales, en parallèle avec les contributions mentionnées plus tôt apportées au sein des Nations Unies. Sur le continent africain, par exemple, l’Union africaine  précédée par l’Organisation de l’unité africaine  a veillé à ce que se concrétise, au fil des ans, le droit à l’autodétermination des peuples, notamment quant à la question de l’archipel des Chagos.
52. L’ancienne Organisation de l’unité africaine, de même que l’Union africaine qui lui a succédé, ont toutes deux condamné sans réserve la présence de la base militaire sur l’île de Diego Garcia (dans l’archipel des Chagos). Dans sa résolution AHG/Res. 99 (XVII) du 4 juillet 1980, l’Organisation de l’unité africaine a déclaré que Diego Garcia avait «toujours été partie intégrante de Maurice» (par. 3) et n’avait «pas été cédée à la Grande-Bretagne à des fins militaires» (par. 4). Ainsi, a-t-elle ajouté, «la militarisation de Diego Garcia constitu[ait] une menace pour l’Afrique et pour l’océan Indien comme zone de paix» (par. 5). Cela étant, elle a demandé que «Diego Garcia soit inconditionnellement retournée à Maurice et que soit maintenu son caractère pacifique» (par. 6).
53. Dans sa décision CM/Dec. 26 (LXXIV), du 8 juillet 2001, l’Union africaine a renouvelé
«son indéfectible soutien au Gouvernement de Maurice pour ses initiatives et ses efforts visant à restaurer sa souveraineté sur l’archipel de Chagos qui constitue une partie intégrante du territoire de Maurice et lanc[é] un appel au Royaume-Uni pour qu’il mette un terme à son occupation illégale et continue de l’archipel de Chagos et le restitue à Maurice pour parachever ainsi le processus de décolonisation» (par. 1).
L’Union africaine a ensuite invité «la communauté internationale à soutenir la revendication légitime de Maurice», pour «assurer le retour de l’archipel de Chagos à la juridiction de Maurice» (par. 3).
22 Pour une étude du Mouvement des pays non alignés, on pourra consulter, Pour une étude du Mouvement des pays non alignés, on pourra consulter, ininter aliater alia, P. Willetts, , P. Willetts, The NonThe Non--Aligned MovementAligned Movement  The Origins of a Third World AllianceThe Origins of a Third World Alliance, Londres/N.Y., Frances Pinter/Nichols Publ., 1978, p., Londres/N.Y., Frances Pinter/Nichols Publ., 1978, p. 1 à 1 à 239.239.
23 J.J. A. Carrillo Salcedo, A. Carrillo Salcedo, El Derecho Internacional en un Mundo en CambioEl Derecho Internacional en un Mundo en Cambio, Madrid, Tecnos, 1984, p. 198. , Madrid, Tecnos, 1984, p. 198.  Sur la question de l’enrichissement du Sur la question de l’enrichissement du corpus juris gentiumcorpus juris gentium, voir J., voir J. A. de Obieta Chalbaut, A. de Obieta Chalbaut, El Derecho Humano de la El Derecho Humano de la Autodeterminación de los PueblosAutodeterminación de los Pueblos, , op. cit. supraop. cit. supra note°6, p.note°6, p. 106 et 107, ainsi que les pages 52, 83, 85, 95, 96 et 175. 106 et 107, ainsi que les pages 52, 83, 85, 95, 96 et 175. Sur Sur la question de lla question de l’universalité reconnue du droit à l’autodétermination et ses répercussions sur le droit international ’universalité reconnue du droit à l’autodétermination et ses répercussions sur le droit international contemporain, voir J.contemporain, voir J. Summers, Summers, Peoples and International Law Peoples and International Law -- How Nationalism and SelfHow Nationalism and Self--Determination Shape a Determination Shape a Contemporary Law of NationsContemporary Law of Nations, Leiden, Nijhoff, Leiden, Nijhoff, 2007, p., 2007, p. 163, 164, 244, 245, 258 et 259.163, 164, 244, 245, 258 et 259.
24 A. Cassese, A. Cassese, SelfSelf--Determination of Peoples Determination of Peoples -- A Legal ReappraisalA Legal Reappraisal, Cambridge, Cambridge University Press, , Cambridge, Cambridge University Press, 1998 [réimpression], p. 43.1998 [réimpression], p. 43.
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54. Plus récemment, dans sa résolution 1 (XXV), du 15 juin 2015, l’Union africaine a commencé par réaffirmer dans le préambule que «l’Archipel des Chagos y compris Diego Garcia, fai[sait] partie intégrante du territoire» de Maurice (par. 2) ; elle a ensuite déploré
«l’occupation permanente et illégale par le Royaume-Uni de l’Archipel des Chagos, ce faisant, privant la République de Maurice de l’exercice de sa souveraineté sur l’Archipel et rendant la décolonisation de l’Afrique incomplète» (par. 3).
55. Après avoir rappelé ses propres résolutions et déclarations antérieures (de 2011 à 2013) dans d’autres cadres juridiques25 (par. 4), l’Union africaine a exprimé son appui, toujours dans le préambule, aux initiatives prises par Maurice en vue de l’exercice effectif de «sa souveraineté sur l’Archipel des Chagos y compris Diego Garcia, dans le respect des principes du droit international» (par. 8). Puis, dans le dispositif de sa résolution 1 (XXV,) du 15 juin 2015, l’Union africaine a renouvelé son appui à Maurice «dans sa poursuite légitime de l’exercice effectif de sa souveraineté sur l’Archipel des Chagos, y compris Diego Garcia» (par. 3) et affirmé qu’elle soutenait pleinement «la rétrocession immédiate et inconditionnelle de l’Archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, [sous] le contrôle effectif» de Maurice (par. 6). A cette fin, elle a renouvelé «son appel au Royaume-Uni de mettre immédiatement fin à son occupation illégale de l’Archipel des Chagos afin de permettre à la République de Maurice d’exercer effectivement sa souveraineté sur l’Archipel» (par. 4).
V. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION DANS LES DEUX PACTES RELATIFS AUX DROITS DE L’HOMME DES NATIONS UNIES DE 1966
1. Article premier des deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966
56. Au sein des Nations Unies, mis à part les résolutions susmentionnées de l’Assemblée générale, un autre événement important, de portée historique, a consisté en l’insertion du droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes dans les deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966 (droits civils et politiques, dans l’un d’eux, droits économiques, sociaux et culturels, dans l’autre). Tant des personnes que des groupes pouvaient donc revendiquer ce droit.
57. A l’article premier des deux Pactes, le droit à l’autodétermination est énoncé de la même manière, comme suit :
«1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.»
58. En s’appliquant pareillement tant aux droits civils et politiques qu’aux droits économiques, sociaux et culturels, ce libellé affermit le caractère indivisible de tous les droits humains. Les deux Pactes des Nations Unies ont renforcé ce caractère indivisible deux ans avant
25 À savoir, la résolution 1À savoir, la résolution 1 (XVI), de janvier 2011, de l’Union africaine(XVI), de janvier 2011, de l’Union africaine ; la d; la déclaration de févrieréclaration de février 20132013 ; la ; la déclaration de mai 2013 de la conférence de l’Union africaine tenue à Addisdéclaration de mai 2013 de la conférence de l’Union africaine tenue à Addis--Abeba, en EthiopieAbeba, en Ethiopie ; la déclaration ; la déclaration solennelle faite à l’occasion du 50solennelle faite à l’occasion du 50e e anniversaire de l’OUA/UA, également en mai 2013.anniversaire de l’OUA/UA, également en mai 2013.
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que ne se tienne la première conférence mondiale des Nations Unies sur les droits de l’homme (Téhéran, 1968), dont l’apport en ce sens a aussi été considérable. Le libellé du célèbre article premier commun des deux Pactes des Nations Unies reconnaît ainsi, d’entrée de jeu, que l’exercice du droit à l’autodétermination est essentiel à la jouissance des autres droits de l’homme.
59. Ainsi, vers le milieu des années 1960, le droit fondamental à l’autodétermination se trouvait consolidé dans le corpus juris gentium et son importance était universellement reconnue, à l’issue d’un processus historique marqué par l’adoption de la célèbre résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale. Cette reconnaissance était notamment attestée par les travaux du Comité des droits de l’homme des Nations Unies et la jurisprudence de la CIJ, sur lesquels je vais maintenant me pencher.
2. Comité des droits de l’homme, observation générale 12 (de 1984) sur l’article premier des Pactes (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes)
60. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a consacré son observation générale 12, adoptée le 13 mars 1984, à l’article premier, portant sur le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, des deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies. Il déclarait d’abord dans son observation que, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies, l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ainsi que du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels)
«reconna[issait] à tous les peuples le droit de disposer d’eux-mêmes. Ce droit revêt[ait] une importance particulière, parce que sa réalisation [était] une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de l’homme ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits. C’est pour cette raison que les Etats [avaient placé cette disposition] en tant qu’article premier, séparément et en tête de tous les autres droits énoncés dans ces Pactes.» (Par. 1.)
61. Le Comité précisait ensuite que l’article premier des deux Pactes «consacr[ait] un droit inaliénable de tous les peuples» et «impos[ait] à tous les Etats les obligations qui correspondent à ce droit» (par. 2), revêtant de l’importance en définitive pour l’ensemble de la «communauté internationale» (par. 5). Il ajoutait que les obligations imposées aux Etats parties étaient «non seulement à l’égard de leurs peuples, mais aussi à l’égard de tous les peuples qui n’[avaient] pas pu exercer leur droit à l’autodétermination, ou qui [avaient] été privés de cette possibilité» (par. 6).
62. Il s’ensuivait que tous les Etats parties aux deux Pactes devaient prendre des «mesures positives» pour faciliter la réalisation du «droit des peuples de disposer d’eux-mêmes», conformément aux obligations leur incombant en vertu de la Charte des Nations Unies et du droit international (par. 6). Dans son observation, le Comité a ensuite établi un lien entre l’article premier des deux Pactes et d’autres instruments, en particulier la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, figurant dans la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 (par. 7).
3. Comité des droits de l’homme, Observations sur les rapports présentés par les Etats parties au Pacte relatif aux droits civils et politiques, axées sur les habitants de l’archipel des Chagos
63. Le Comité des droits de l’homme a traité la question plus à fond dans les observations finales qu’il a formulées dans le cadre de l’examen des rapports présentés par les Etats parties au
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Pacte relatif aux droits civils et politiques (conformément à son article 40)26. Il a ainsi étudié les rapports présentés par le Royaume-Uni, l’accent étant mis inter alia sur les habitants de l’archipel des Chagos. Dans ses observations finales du 6 décembre 2001, le Comité a ainsi déclaré que le Royaume-Uni devrait établir des «conditions permettant l’exercice» par les Chagossiens de leur droit «au retour dans leur territoire» ; il a ajouté que ce pays «devrait envisager de les indemniser du fait que ce droit leur a été dénié pendant une longue période»27.
64. Le problème persistant, le Comité des droits de l’homme a plus tard dit regretter, dans ses observations finales du 30 juillet 2008, qu’en «dépit de ses précédentes recommandations», le Royaume-Uni n’ait pas inclus le «Territoire britannique de l’océan Indien» dans son rapport périodique au motif que, «ce territoire étant dépeuplé, le Pacte ne s’y applique pas». Le Comité a répété avec fermeté que le Royaume-Uni
«devrait faire en sorte que les anciens habitants de l’archipel des Chagos puissent exercer leur droit au retour dans leur territoire et devrait faire savoir quelles mesures ont été prises à cet effet. Il devrait envisager une indemnisation pour la privation de ce droit durant une longue période. Il devrait aussi inclure le territoire dans son prochain rapport périodique.»28
4. Comité des droits de l’homme : considérations supplémentaires
65. Le Comité des droits de l’homme a ainsi revendiqué le droit à réparation (un point pertinent sur lequel je m’attarderai par la suite  voir les sections XVI et XVII, infra) pour les Chagossiens, victimes de longue date des actions du Royaume-Uni. Dans le présent avis consultatif, la CIJ a pris en compte (par. 123 et 126) les observations de 2001 et 2008 du Comité sur les rapports du Royaume-Uni (supra) ; toutefois, plutôt que de s’étendre sur leur teneur et leurs répercussions, la CIJ les a évoqués en lien avec des événements en droit interne au Royaume-Uni (par. 121 à 127).
66. Pour bien évaluer la contribution du Comité des droits de l’homme au règlement de la question à l’examen, il faut garder à l’esprit l’ensemble de ses travaux, y compris ses constatations relatives aux communications présentées, ses observations sur les rapports des Etats parties au Pacte sur les droits civils et politiques, ainsi que ses observations générales29. L’observation générale 12 susmentionnée de 1984 n’est pas la seule pertinente ; à mon avis, des points soulevés par le Comité dans d’autres observations générales devraient également être pris en compte.
67. Ainsi, par exemple, le Comité a mis l’accent sur le principe d’humanité dans ses observations générales nos 9 de 1982 (par. 3) et 21 de 1992 (par. 4), et sur la continuité des obligations découlant du Pacte dans son observation générale no 26 de 1997 (par. 3 à 5)30. L’observation générale no 31, du 29 mars 2004, est particulièrement importante : après avoir relevé les faiblesses particulières de certaines catégories de personnes (comme les enfants  par. 15), le
26 Sur ce pouvoir dont dispSur ce pouvoir dont dispose le Comité des droits de l’homme, on pourra consulter, par exemple, T.ose le Comité des droits de l’homme, on pourra consulter, par exemple, T. Opsahl,Opsahl, Law Law and Equality and Equality -- Selected Articles on Human RightsSelected Articles on Human Rights, Oslo, Ad Notam Gyldendal, 1996, p. 465 à 569., Oslo, Ad Notam Gyldendal, 1996, p. 465 à 569.
27 NationsNations UniesUnies, doc. CCPR/CO/73/UK, du 6, doc. CCPR/CO/73/UK, du 6 décembre 2001, p.décembre 2001, p. 9, par.9, par. 38.38.
28 NationsNations UniesUnies, doc. CCPR/C/GBR/CO/6, du 30, doc. CCPR/C/GBR/CO/6, du 30 juillet 2008, p. 6, par.juillet 2008, p. 6, par. 22.22.
29 Voir A.Voir A. A. Cançado Trindade, «Address to the U.N. Human Rights Committee on the Occasion of the A. Cançado Trindade, «Address to the U.N. Human Rights Committee on the Occasion of the Commemoration of Its 100tCommemoration of Its 100tthth Session», 29 Session», 29 Netherlands Quarterly of Human RightsNetherlands Quarterly of Human Rights (2011) (2011) p.p. 131 à 137.131 à 137.
30 Ibid.Ibid., p. 133 à 135., p. 133 à 135.
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Comité a fait valoir l’existence pour les Etats parties d’une obligation de réparation  encore une fois continue  envers les victimes de violations des droits reconnus par le Pacte (par. 15 et 19).
68. Dans la même observation générale 31 de 2004, le Comité a insisté sur le fait que «[l]a cessation d’une violation continue [était] un élément essentiel du droit à un recours utile» (par. 15). Il a ajouté que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte exigeait
«que les Etats parties accordent réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. S’il n’est pas accordé réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés, l’obligation d’offrir un recours utile, qui conditionne l’efficacité du paragraphe 3 de l’article 2, n’est pas remplie. Outre la réparation expressément prévue par le paragraphe 5 de l’article 9 et le paragraphe 6 de l’article 14, le Pacte implique de manière générale l’obligation d’accorder une réparation appropriée. Le Comité note que, selon le cas, la réparation peut prendre la forme de restitution, réhabilitation, mesures pouvant donner satisfaction (excuses publiques, témoignages officiels), garanties de non-répétition et modification des lois et pratiques en cause aussi bien que la traduction en justice des auteurs de violations de droits de l’homme.» (Par. 16.)
VI. LA RECONNAISSANCE DU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
69. Les fondements du droit à l’autodétermination en sont venus à ne plus être que normatifs et doctrinaux, mais à être établis aussi dans la jurisprudence internationale. A compter de 1971, ainsi, la Cour est passée progressivement du principe de l’autodétermination au droit à l’autodétermination, qu’elle a explicitement reconnu et confirmé, contribuant ainsi largement à en faire reconnaître l’importance.
70. Dans son avis consultatif sur la Namibie (du 21 juin 1971), la Cour a ainsi reconnu que «l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes», tel qu’il était consacré par la Charte des Nations Unies, avait fait de l’autodétermination un principe «applicable … à tous ces territoires». Elle a ajouté qu’une autre «étape importante de cette évolution» avait été l’adoption de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960), applicable à tous les peuples et à tous les territoires n’ayant pas encore accédé à l’indépendance (par. 52).
71. On assistait donc à un élargissement du corpus juris gentium dans le domaine. Dans le même avis consultatif, la Cour a aussi fait observer qu’elle devait «prendre en considération les transformations survenues dans le demi-siècle qui [avait] suivi» et que son interprétation ne pouvait «manquer de tenir compte de l’évolution que le droit [avait] ultérieurement connue grâce à la Charte des Nations Unies et à la coutume». Elle a ajouté :
«tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu. Dans le domaine auquel se rattache la présente procédure, les cinquante dernières années ont marqué, comme il est dit plus haut, une évolution importante. Du fait de cette évolution il n’y a guère de doute que la «mission sacrée de civilisation» avait pour objectif ultime l’autodétermination et I’indépendance des peuples en cause.» (Par. 53.)
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72. Quatre années plus tard, dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental (16 octobre 1975), la Cour a renouvelé sa déclaration concernant l’évolution du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’importance de la Charte et de la déclaration de 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ; elle a ajouté que les dispositions de cette déclaration mettaient en lumière que «l’application du droit à l’autodétermination suppos[ait] l’expression libre et authentique de la volonté des peuples intéressés» (par. 54 à 56).
73. Deux décennies plus tard, dans son arrêt relatif au Timor oriental (1995), la Cour a reconnu que le «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», tel qu’il s’était développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations unies, était un droit opposable erga omnes, cela constituant l’«un des principes essentiels du droit international contemporain» (par. 29). Dans la décennie suivante, la Cour a eu l’occasion, dans son avis consultatif relatif à l’Edification d’un mur (2004), de réaffirmer que l’évolution du droit international avait fait de l’autodétermination un principe applicable à tous les territoires non autonomes et que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était «aujourd’hui ... un droit opposable erga omnes» (par. 88).
74. Dans le même avis consultatif, la Cour a aussi relevé qu’aux termes de la résolution 2625 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale,
«[t]out Etat [avait] le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres Etats ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe» (par. 156).
75. Plus tard, la Cour a déclaré, dans son avis consultatif relatif à la Déclaration d’indépendance du Kosovo (du 22 juillet 2010) :
«Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le droit international, en matière d’autodétermination, a évolué pour donner naissance à un droit à l’indépendance au bénéfice des peuples des territoires non autonomes et de ceux qui étaient soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères.» (Par. 79.)31
76. Dans mon opinion individuelle jointe à l’avis consultatif susmentionné de la Cour relatif à la Déclaration d’indépendance du Kosovo (du 22 juillet 2010), je me suis penché sur la place centrale des peuples dans le droit international contemporain (par. 169 à 172) et la préoccupation de ce droit envers les conditions de vie des peuples (par. 65 et 66). Cela dénotait le dépassement du paradigme d’un droit international exclusivement interétatique (par. 182 à 188). J’ai ajouté :
«Le droit international contemporain n’est plus indifférent au sort des populations, élément constitutif le plus précieux de l’Etat. L’avènement des organisations internationales, qui transcendent l’ancien paradigme d’un droit international interétatique, a contribué à mettre un terme à cette inversion des fins de l’Etat par laquelle les Etats se considéraient comme dépositaires ultimes de la liberté humaine et traitaient les individus comme des moyens et non comme des fins, avec toutes les conséquences désastreuses que cela entraîne. L’élargissement de la
31 La Cour a aussi rappelé que le principe de l’intégrité territoriale constituait un élément important de l’ordre La Cour a aussi rappelé que le principe de l’intégrité territoriale constituait un élément important de l’ordre juridique international et qu’il était consacré par la Charte des Nations Unies, en particulier au paragrjuridique international et qu’il était consacré par la Charte des Nations Unies, en particulier au paragrapheaphe 4 de l’article4 de l’article 2 2 (par. 80). Malgré tout, la Cour a décidé de ne pas s’attaquer «à la portée du droit à l’autodétermination ou à l’existence (par. 80). Malgré tout, la Cour a décidé de ne pas s’attaquer «à la portée du droit à l’autodétermination ou à l’existence d’un droit de d’un droit de ««sécessionsécession--remèderemède»»», cela sortant du cadre de la question posée par l’Assemblée générale (par.», cela sortant du cadre de la question posée par l’Assemblée générale (par. 8383).).
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personnalité juridique internationale est allé de pair avec l’élargissement de la responsabilisation sur le plan international.» (Par. 239.)
VII. LA RECONNAISSANCE DU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION À LA DEUXIÈME CONFÉRENCE MONDIALE SUR LES DROITS DE L’HOMME (VIENNE, 1993)
77. En outre, dans la même opinion individuelle jointe à l’avis consultatif de la Cour relatif à la Déclaration d’indépendance du Kosovo (2010), j’ai aussi rappelé qu’à l’issue de l’historique deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (aux travaux de laquelle j’ai participé comme membre du comité de rédaction, et dont je garde un souvenir vivace)32, le document final adopté, la déclaration et le programme d’action de Vienne (1993), avait réaffirmé le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes. Puis, tenant compte de «la situation particulière des peuples soumis à la domination coloniale ou à d’autres formes de domination ou d’occupation étrangères», le document poursuivait (par. 2) :
«[La conférence mondiale sur les droits de l’homme] considère que le déni du droit à l’autodétermination est une violation des droits de l’homme et souligne qu’il importe que ce droit soit effectivement réalisé.
En application de la Déclaration [de 1970] relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, ce qui précède ne devra pas être interprété comme autorisant ou encourageant toute mesure de nature à démembrer ou compromettre, en totalité ou en partie, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’Etats souverains et indépendants respectueux du principe de l’égalité de droits et de l’autodétermination des peuples et, partant, dotés d’un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune» [non souligné dans l’original].»33
78. Dans la même opinion individuelle jointe à l’avis consultatif de la Cour relatif à la Déclaration d’indépendance du Kosovo (2010), j’ai ajouté que le document final de cette conférence mondiale des Nations Unies de 1993  qui a fait date  était «allé plus loin que la déclaration de principes de 1970, en interdisant tout type de discrimination («sans distinction aucune»)», élargissant de la sorte la portée du «droit à l’autodétermination» (par. 181). Cette portée plus large ne saurait passer inaperçue. J’ai ensuite déclaré :
«Si l’on veut résumer l’héritage de la deuxième Conférence mondiale sur les droits de l’homme (1993), tenue sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, il réside sans conteste dans la prise de conscience de ce qu’il est légitime que la communauté internationale tout entière se préoccupe des conditions de vie de la population, en tout lieu et en tout temps34, une attention particulière étant prêtée aux plus vulnérables, qui ont donc le plus besoin d’être protégés. C’est aussi le
32 Pour un historique détaillé de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993, voir Pour un historique détaillé de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993, voir A.A. A.A. Cançado Trindade, Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos HumanosTratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos, vol., vol. I, 2I, 2ee éd., Porto Alegre/Brésil, éd., Porto Alegre/Brésil, S.A.S.A. Fabris éd., 2003, chap.Fabris éd., 2003, chap. I àI à VII, p.VII, p. 33 à 33833 à 338 ; quant à la première conférence mondiale sur les droits de l’homme, ; quant à la première conférence mondiale sur les droits de l’homme, tenue à Téhéran en 1968, à qui l’on doit l’affirmation catégorique de l’indivisibilité de tous les droits de l’homme, voir, tenue à Téhéran en 1968, à qui l’on doit l’affirmation catégorique de l’indivisibilité de tous les droits de l’homme, voir, ibid.ibid., p., p. 77 à 80, 83 et 84.77 à 80, 83 et 84.
33 Cité au paragrCité au paragrapheaphe 180 de mon opinion individuelle susmentionnée.180 de mon opinion individuelle susmentionnée.
34 A.A. A.A. Cançado Trindade, Cançado Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos HumanosTratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos, 2, 2ee éd., vol.éd., vol. 1, Porto 1, Porto Alegre/Brésil, S.A.Alegre/Brésil, S.A. Fabris éd., 2003, p.Fabris éd., 2003, p. 241 et 242241 et 242 ; ; ibid.ibid., 1, 1ee éd., vol.éd., vol. II, 1999, p.II, 1999, p. 263 à 276263 à 276 ; ; ibibid.id., 2, 2ee éd., vol.éd., vol. III, 2003, III, 2003, p.p. 509 et 510.509 et 510.
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dénominateur commun du récent cycle de conférences mondiales organisées par l’ONU au cours des années 1990, qui a cherché à définir les programmes et politiques des Nations Unies à l’aube du XXIe siècle.» (Par. 185.)
79. Au tournant du siècle, la Déclaration du Millénaire des Nations Unies, figurant dans la résolution 55/2 de l’Assemblée générale, du 8 septembre 2000, a affirmé «le droit à l’autodétermination des peuples qui sont encore sous domination coloniale ou sous occupation étrangère» (par. 4), et l’engagement «à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin» (par. 11). La déclaration de 2000 a attaché une grande importance à la protection des personnes les plus vulnérables (par. 2, 17 et 26).
80. Quelque cinq années plus tard, le document final du Sommet mondial de 2005, figurant dans la résolution 60/1 de l’Assemblée générale, du 16 septembre 2005, a réaffirmé le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes (par. 5) et la nécessité de respecter ce droit (par. 77), encore une fois en apportant une attention particulière aux personnes les plus vulnérables (par. 55 c) et d) et par. 143). Il a rappelé que «tous les droits de l’homme ... [étaient] universels, indivisibles, indissociables et interdépendants et se renfor[çai]ent mutuellement» (par. 121). On y a aussi affirmé : «Tous les Etats devraient guider leur action sur la Déclaration [de 1970] relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies.» (Par. 73.)
81. Une quinzaine d’années après la tenue de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme (1993), la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, énoncée dans la résolution 61/295 de l’Assemblée générale, du 13 septembre 2007, a relevé que la Charte des Nations Unies, les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, ainsi que la déclaration et le programme d’action de Vienne (adoptés à la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme) affirmaient
«l’importance fondamentale du droit de tous les peuples de disposer d’eux-mêmes, droit en vertu duquel ils détermin[aient] librement leur statut politique et assur[aient] librement leur développement économique, social et culturel» (16e alinéa du préambule).
82. Et d’ajouter : «aucune disposition de la présente Déclaration ne pourra être invoquée pour dénier à un peuple quel qu’il soit son droit à l’autodétermination, exercé conformément au droit international» (17e alinéa du préambule). Dans son dispositif, la déclaration de 2007 établit le droit des peuples autochtones à l’autodétermination (article 3) et le principe de l’exercice de ce droit en toute autonomie (article 4). La déclaration souligne qu’en cas de violation de ce droit, les peuples autochtones ont droit à réparation et à des voies de recours efficaces35.
83. Vingt-cinq années se sont écoulées depuis l’adoption de la déclaration et du programme d’action de Vienne de 1993, soit la même période de temps qu’entre la tenue de la première et de la deuxième conférences mondiales sur les droits de l’homme (à Téhéran en 1968 et à Vienne en 1993). Pourtant, et on peut le regretter, aucune initiative n’a encore été amorcée en vue de la tenue d’une troisième conférence du genre, bien que le monde actuel  en proie à une extrême violence  en ait le plus grand besoin. Aucune leçon n’a été tirée du passé. Malgré cette apparente indifférence, la déclaration et le programme d’action issus de la deuxième conférence mondiale, tout au moins, ne devraient pas être oubliés.
35 Paragraphe 2 de l’article 20, paragraphes 1 et 2 de l’article 28, paragrapheParagraphe 2 de l’article 20, paragraphes 1 et 2 de l’article 28, paragraphe 3 de l’article3 de l’article 32 et article32 et article 40.40.
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84. Comme cela a déjà été relevé, le document final a confirmé la consolidation du droit à l’autodétermination et l’élargissement de sa portée, en plus d’avoir souligné l’importance du droit au développement en tant que «droit universel et inaliénable» qui «doit se concrétiser dans la réalité», «la personne humaine [étant] le sujet central du développement» (par. 10 et 72). La déclaration et le programme d’action de Vienne ont porté une grande attention aux membres de groupes vulnérables (par. 24), tout en tenant compte du facteur temps et de la nécessité de satisfaire les «besoins des générations actuelles et futures» (par. 11).
85. Il y a cinq ans, soit deux décennies après la tenue de la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme, j’ai procédé au réexamen de celle-ci36, des progrès réalisés et des nouveaux défis à relever. J’ai alors réfléchi au fait que la protection de l’être humain en toute circonstance, contre toutes les démonstrations de pouvoir arbitraire, constituait le nouvel ethos moderne, reflété par le nouveau jus gentium de notre époque, qui confère une place centrale à la personne humaine et aux peuples. Le corpus juris du droit international des droits de l’homme en est venu à être interprété et appliqué en tenant toujours compte de la nécessité impérieuse de protéger les victimes (en particulier celles qui sont vulnérables, voire sans défense), et cela a favorisé le processus historique d’humanisation du droit international (voir supra).
86. Ce corpus juris constitue un véritable droit de protection au bénéfice des droits des êtres humains et des peuples, et non des Etats, une évolution qui aurait été difficile à concevoir il y a quelques dizaines d’années encore. Il a élaboré ses propres canons à cette fin, comme ceux de la prise de conscience de valeurs supérieures communes, de la qualité de titulaires de droits inhérents des personnes et des peuples, du caractère objectif des obligations de protection et de la garantie collective du respect des droits à protéger. D’où l’extrême importance du droit d’accès à la justice lato sensu, la raison d’humanité l’emportant aujourd’hui sur l’ancienne raison d’Etat, dans le cadre du nouveau jus gentium des temps modernes.
VIII. LA QUESTION ADRESSÉE PAR LA COUR À TOUTES LES DÉLÉGATIONS DE PARTICIPANTS À LA PROCÉDURE CONSULTATIVE ORALE
87. Pendant la procédure orale dans la présente affaire dont la CIJ est saisie, relative aux Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, j’ai jugé opportun, à l’audience publique du 5 septembre 2018, de poser la question suivante à toutes les délégations de participants :
«Ma question est adressée à toutes les délégations de participants dans cette procédure consultative orale.
Comme il est rappelé dans le paragraphe a) de la requête de l’Assemblée générale des Nations Unies pour un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (A/RES/71/292 du 22 juin 2017), l’Assemblée générale fait référence aux obligations inscrites dans ses résolutions successives pertinentes, à savoir : les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966, et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
36 Voir A. A. Cançado Trindade, Voir A. A. Cançado Trindade, A Proteção dos Vulneráveis como Legado da II Conferência Mundial de DA Proteção dos Vulneráveis como Legado da II Conferência Mundial de Direitos ireitos Humanos (1993Humanos (1993--2013)2013), Fortaleza/Brésil, IBDH/IIDH/SLADI, 2014, p., Fortaleza/Brésil, IBDH/IIDH/SLADI, 2014, p. 13 à 356, en particulier, p.13 à 356, en particulier, p. 13 à 10713 à 107 ; ; A.A. A.A. Cançado Trindade, «The International Law of Human Rights Two Decades After the II World Conference on Cançado Trindade, «The International Law of Human Rights Two Decades After the II World Conference on Human Rights in Vienna in 1993», daHuman Rights in Vienna in 1993», dans ns The Realisation of Human Rights: When Theory Meets Practice The Realisation of Human Rights: When Theory Meets Practice -- Studies in Studies in Honour of L.Honour of L. ZwaakZwaak (éds.(éds. Y. Haeck Y. Haeck et aliiet alii), Cambridge/Anvers/Portland, Intersentia, 2013, p.), Cambridge/Anvers/Portland, Intersentia, 2013, p. 15 à 39.15 à 39.
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Au cours de la présente procédure consultative orale, plusieurs délégations de participants ont souvent fait référence à ces résolutions.
A votre avis, quelles sont les conséquences juridiques découlant de la formation du droit international coutumier, notamment la présence significative de l’opinio juris communis, pour assurer le respect des obligations énoncées dans ces résolutions de l’Assemblée générale ?
Je passe à l’autre langue de la Cour.
My question is addressed to all delegations of participants in these oral advisory proceedings.
As recalled in paragraph (a) of the U.N. General Assembly’s Request for an advisory opinion of the International Court of Justice, General Assembly resolution 71/292 of 22 June 2017, the General Assembly refers to obligations enshrined into successive pertinent resolutions of its own, as from 1960, namely : General Assembly resolutions 1514 (XV) of 14 December 1960, 2066 (XX) of 16 December 1965, 2232 (XXI) of 20 December 1966, and 2357 (XXII) of 19 December 1967.
In the course of the present oral advisory proceedings, references were often made to such resolutions by several delegations of Participants.
In your understanding, what are the legal consequences ensuing from the formation of customary international law with the significant presence of opinio juris communis for ensuring compliance with the obligations stated in those General Assembly resolutions?»37.
IX. LES RÉPONSES DES DÉLÉGATIONS DE PARTICIPANTS À LA PROCÉDURE CONSULTATIVE ORALE
1. Réponses des délégations
88. Les délégations de l’Union africaine, de l’Argentine, du Botswana, du Guatemala, de Maurice, du Nicaragua, du Royaume-Uni, des Etats-Unis d’Amérique et du Vanuatu ont répondu par écrit à ma question38. La plupart des nombreuses délégations des participants  provenant toutes de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique latine  ont lié l’opinio juris communis quant à l’importance considérable du droit fondamental à l’autodétermination (depuis la résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale) à l’évolution progressive du droit international (conventionnel et coutumier), ainsi qu’à son universalisation et à son humanisation. Un petit nombre seulement de délégations de participants (notamment le Royaume-Uni et les Etats-Unis) ont vainement tenté de jeter le doute sur cette évolution et de mettre en question l’existence de cette opinio juris communis. Je vais maintenant passer en revue les réponses écrites à ma question.
37 C.I.J., doc. CR 2018/25, du 5C.I.J., doc. CR 2018/25, du 5 septembreseptembre 2018, p. 58, par.2018, p. 58, par. 26.26.
38 C.I.J., C.I.J., RépoRéponses écrites à la question posée par M.nses écrites à la question posée par M. lele juge Cançado Trindade, injuge Cançado Trindade, in docs.docs. CHAGCHAG 2018/129 (de 2018/129 (de Maurice), du 10Maurice), du 10 septembre 2018, p.septembre 2018, p. 1 à 51 à 5 ; 2018/130 (du Guatemala), du 10; 2018/130 (du Guatemala), du 10 septembre 2018, p.septembre 2018, p. 1 et 21 et 2 ; 2018/132 (de ; 2018/132 (de l’Argentine), p.l’Argentine), p. 1 à 51 à 5 ; 2018/127 (du Nicaragua); 2018/127 (du Nicaragua), du 10, du 10 septembre 2018, p.septembre 2018, p. 1 à 31 à 3 ; 2018/126 (du Botswana et du Vanuatu), ; 2018/126 (du Botswana et du Vanuatu), du 10du 10 septembreseptembre 2018, p.2018, p. 1 à1 à 44 ; 2018/131 (des Etats; 2018/131 (des Etats--Unis), du 10Unis), du 10 septembreseptembre 2018, p.2018, p. 1 à 31 à 3 ; 2018/128 (du ; 2018/128 (du RoyaumeRoyaume--Uni), du 10Uni), du 10 septembre 2018, p.septembre 2018, p. 1 à 5.1 à 5.
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89. Tout d’abord, Maurice a dit estimer que les obligations visées dans les résolutions de l’Assemblée générale constituaient des obligations de droit international coutumier, «avec une présence significative de l’opinio juris communis, en 1960 déjà  et donc, a fortiori, en 1965. En particulier, Maurice a souligné que la résolution 1514 (XV) de 1960, qui «a cristallisé le droit international coutumier relatif à la décolonisation, impos[ait] des obligations «à [t]ous les Etats», y compris les Membres de l’Organisation des Nations Unies et les puissances administrantes». Maurice a précisé que cette résolution était formulée en termes impératifs, et qu’il était «admis que les obligations visées [étaient] des obligations de droit coutumier, et qu’elles [avaient] valeur impérative et un caractère erga omnes». Ces obligations, a rappelé Maurice, ont été réaffirmées dans des résolutions ultérieures de l’Assemblée générale.
90. D’après Maurice, la violation des obligations énoncées dans les résolutions de l’Assemblée générale emporte un certain nombre de conséquences juridiques : a) la Grande-Bretagne est tenue de mettre fin sans délai à son comportement internationalement illicite (son administration coloniale illicite de l’archipel des Chagos) et de restituer l’archipel à Maurice ; b) la Grande-Bretagne est tenue de cesser de contrecarrer ou d’entraver l’exercice, par Maurice, de sa souveraineté sur l’archipel des Chagos, et de contrecarrer ou d’entraver notamment la réinstallation des habitants d’origine chagossienne ; c) tous les autres Etats doivent s’abstenir de reconnaître l’administration coloniale existante comme légitime, directement ou indirectement, et de soutenir ou de renforcer le comportement internationalement illicite de la Grande-Bretagne.
91. L’Union africaine a réaffirmé la position qu’elle avait défendue dans son exposé oral : après avoir passé en revue l’évolution du principe d’autodétermination, de 1945 jusqu’à l’adoption de la résolution 1514 (XV) par l’Assemblée générale, en 1960, elle a soutenu qu’il en était venu à exister un droit à l’autodétermination, en droit international général, à l’époque de l’adoption de cette résolution historique. D’après l’Union africaine, la résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale a cristallisé le droit international coutumier relatif à la décolonisation et à l’autodétermination.
92. L’opinio juris communis des Etats a été confirmée  a ajouté l’Union africaine  par les résolutions ultérieures de l’Assemblée générale. En particulier, la résolution 2066 (XX) de 1965 de l’Assemblée générale a rappelé, et confirmé, les prescriptions de la résolution 1514 (XV) de 1960 ; elle a insisté sur le fait que toute tentative de démembrement partiel du territoire de Maurice serait contraire au droit international.
93. L’Union africaine a relevé quatre conséquences juridiques découlant de la formation du droit international coutumier, à savoir : a) la puissance administrante est tenue de mettre fin à son comportement illicite et à tout acte ou omission contraire aux principes de l’autodétermination et de l’intégrité territoriale de Maurice ; b) tous les Etats doivent s’abstenir de reconnaître l’administration illicite de l’archipel des Chagos et toute autre omission ressortissant à une telle administration illicite ; c) toutes les organisations internationales doivent veiller à ce que leurs membres agissent conformément aux prescriptions de nature coutumière, formulées dans les résolutions susmentionnées, visant à mettre fin au colonialisme, et, ce faisant, à promouvoir l’intégration pacifique régionale. L’Union africaine a souligné qu’il incombait ainsi aux Nations Unies également, en vertu du droit international, de poursuivre sa mission de décolonisation conformément aux résolutions de l’Assemblée générale.
94. Dans leur réponse commune, le Botswana et le Vanuatu ont dit qu’il ressortait des résolutions de l’Assemblée générale que le droit des peuples à l’autodétermination, et l’obligation correspondante de respecter ce droit, existaient déjà en droit international coutumier à l’époque où
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ces textes avaient été adoptés (1960-1967). Ils ont soutenu qu’en tant que règles de droit coutumier, ces résolutions de l’Assemblée générale imposaient les obligations suivantes à la puissance administrante : a) prendre immédiatement des mesures pour transférer tous pouvoirs (sans aucune condition) aux peuples des territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes ; b) ne prendre aucune mesure qui entraînerait le démembrement du territoire administré et en violerait l’intégrité. En outre, ont-ils ajouté, tous les Etats ont l’obligation : a) de ne pas reconnaître la situation illicite résultant d’une violation du droit à l’autodétermination ; b) de ne pas favoriser le maintien de la situation créée par une telle violation ; c) de veiller à ce que soit levée toute entrave à l’exercice du droit à l’autodétermination.
95. L’Argentine a fait valoir, pour sa part, que les obligations énoncées dans les résolutions 1514 (XV) de 1960, 2066 (XX) de 1965, 2232 (XXI) de 1966 et 2357 (XXII) de 1967 étaient l’expression de l’opinio juris communis et constituaient des interprétations d’obligations découlant à la fois du droit international conventionnel et coutumier. Pour étayer son point de vue, l’Argentine a déterminé à quelles obligations juridiques donnait lieu chacune de ces résolutions de l’Assemblée générale. Quant aux conséquences juridiques d’une violation des résolutions, elle a indiqué qu’elles découlaient a) du droit international coutumier dans le domaine de la responsabilité des Etats, b) de l’obligation de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques, c) de la pratique de l’Organisation des Nations Unies dans le domaine de la décolonisation et d) des obligations qui sont du ressort de l’Organisation elle-même.
96. En vertu du droit de la responsabilité des Etats, a ajouté l’Argentine, les obligations juridiques incombant aux puissances administrantes étaient : a) de mettre fin à leur comportement illicite et de rétablir l’intégrité des territoires concernés ; b) de permettre aux peuples pouvant se prévaloir du droit à l’autodétermination d’exercer ce droit ; c) de fournir la réparation qu’appelait leur comportement illicite. Il incombait à l’ensemble des Etats de ne pas reconnaître la situation illicite résultant de ces manquements, et de s’abstenir de prêter une quelconque aide ou assistance qui contribuerait au maintien de la situation coloniale.
97. Quant à l’obligation de régler les différends internationaux pacifiquement, a poursuivi l’Argentine, elle imposait à la puissance administrante de mener des négociations avec la population concernée (en l’occurrence celle de Maurice) en vue de permettre la réalisation complète et sans condition de sa décolonisation. L’Argentine a souligné que cette obligation de règlement pacifique était renforcée par le devoir «de mettre rapidement … fin au colonialisme», (tel que consacré par les déclarations de l’Assemblée générale). L’Argentine s’est ensuite penchée sur la teneur des obligations en matière de décolonisation.
98. De l’avis de l’Argentine, les pouvoirs exercés par l’Organisation des Nations Unies dans le domaine de la décolonisation donnent lieu aux obligations suivantes : a) s’abstenir de prendre des mesures unilatérales susceptibles de compromettre le processus de décolonisation ; b) respecter les attributions qu’exerce l’Organisation des Nations Unies en matière de décolonisation ; c) se comporter conformément aux résolutions adoptées par l’Assemblée générale (et son Comité de la décolonisation) s’agissant de la manière de mettre fin à la situation coloniale, sans condition ni délai. Enfin, l’Argentine a déclaré que l’Organisation des Nations Unies devait s’interroger elle-même sur les mesures nécessaires pour mettre un terme aux situations illicites découlant de violations des diverses obligations que recouvre l’obligation générale de mettre fin, sans condition ni délai, au colonialisme, sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations.
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99. Le Guatemala a souligné pour sa part qu’au moment de leur adoption, les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale «rendai[ent] compte de ce qui se produisait concrètement dans le cadre du processus de décolonisation résultant de l’exercice du droit à l’autodétermination dont le monde avait été témoin à partir des années 1950». Le Guatemala considérait ainsi la résolution 1514 (XV) de 1960 comme «ayant codifié ce droit», et les autres résolutions de l’Assemblée générale [2066 (XX), 2232 (XXI) et 2357 (XXII)] suffisamment claires quant aux obligations des Etats en matière de décolonisation, aux «manquements» à ces obligations et à «la mesure [dans laquelle on était censé] s’y conformer».
100. Faisant aussi référence à ces résolutions de l’Assemblée générale, le Nicaragua a soutenu que les principes qu’elles consacraient relevaient du droit international coutumier. Il a souligné, en particulier, que le droit à l’autodétermination constituait une norme impérative du droit international qui ne saurait souffrir de dérogation. A son avis, les résolutions de l’Assemblée générale sont l’expression non seulement de l’opinio juris des Etats, mais également de «l’opinio juris et de la pratique de l’Organisation responsable du processus de décolonisation».
101. Le Royaume-Uni, faisant valoir que les résolutions de l’Assemblée générale ne sont généralement «pas contraignantes en droit international, et n’ont valeur que de recommandations», a ajouté que l’historique des négociations et les explications de vote lors de l’adoption de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, en 1960, révélaient l’existence de «divergences» entre les Etats quant à la teneur de la résolution. Les préoccupations dont le Royaume-Uni a lui-même fait état lors de ces négociations, ainsi que l’abstention des puissances coloniales au moment de l’adoption de la résolution, démontraient que, bien que la résolution 1514 (XV) de 1960 de l’Assemblée générale ait «certes marqué une «étape» importante dans l’évolution du droit international relatif à l’autodétermination», elle ne permettait «pas de conclure à l’acceptation par les Etats de l’existence d’une obligation de nature coutumière à cette époque».
102. Le Royaume-Uni a aussi relevé que la résolution 2066 (XX) de 1965 employait des termes non contraignants, ne le condamnait pas, ni n’indiquait qu’il aurait agi au mépris d’une règle de droit international. Il a dit estimer que les résolutions 2232 (XXI) de 1966 et 2357 (XXII) de 1967 étaient toutes deux des «résolutions omnibus», dans lesquelles l’Assemblée générale s’était dite «profondément préoccupée», mais qui n’emportaient pour les Etats Membres aucune obligation juridique contraignante. Le Royaume-Uni a ajouté que ces résolutions de l’Assemblée générale attestaient de l’évolution du droit international coutumier, mais pas de son état à l’époque.
103. Le Royaume-Uni a de plus fait remarquer que, même si les résolutions de l’Assemblée générale reflétaient bien des obligations en droit international coutumier entre 1960 et 1967, aucune conséquence juridique n’en découlait puisque que Maurice avait consenti au détachement de l’archipel des Chagos. Enfin, si les résolutions de l’Assemblée générale étaient véritablement contraignantes, les conséquences juridiques, selon le Royaume-Uni, devaient en être déterminées au regard de l’accord de 1965, tel qu’interprété par le tribunal arbitral dans la sentence qu’il a rendue le 18 mars 201539.
104. Les Etats-Unis ont soutenu, pour leur part, qu’il revenait à la Cour de trancher elle-même la question de savoir si les résolutions de l’Assemblée générale reflétaient des obligations juridiques internationales. Ils ont ajouté qu’à leur avis, il n’y avait pas d’opinio juris à l’époque où a été adoptée la résolution 1514 (XV) de 1960, et jusqu’à la fin des années 1960, et
39 Voir Cour permanente d’arbitrVoir Cour permanente d’arbitrage (CPA), age (CPA), The Chagos Marine Protected Area ArbitrationThe Chagos Marine Protected Area Arbitration (Mauritius (Mauritius versusversus United Kingdom, sentence rendue en 2015), La Haye, Recueil des sentences de la CPA, 2017, p.United Kingdom, sentence rendue en 2015), La Haye, Recueil des sentences de la CPA, 2017, p. 1 à 311.1 à 311.
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ainsi les résolutions de l’Assemblée générale n’emportaient aucune conséquence juridique. D’après les Etats-Unis, il n’existait pas de pratique étatique généralisée ou quasi uniforme pendant la période en cause.
2. Observations sur les réponses
105. Une fois les réponses écrites à ma question (supra) présentées à la Cour, Maurice, l’Union africaine et les Etats-Unis ont formulé des observations par écrit à leur sujet40. Dans ses observations, Maurice a rappelé que les obligations énoncées dans les résolutions 1514 (XV) de 1960, 2066 (XX) de 1965, 2232 (XXI) de 1966 et 2357 (XXII) de 1967 de l’Assemblée générale relevaient du droit international coutumier. Maurice a fait observer que, dans leurs réponses, le Royaume-Uni et les Etats-Unis avaient simplement réaffirmé que les résolutions de l’Assemblée générale ne reflétaient pas le droit international coutumier au moment où l’archipel des Chagos avait été détaché de Maurice, n’étaient donc pas juridiquement contraignantes pour la puissance administrante et les autres Etats et n’emportaient pas ainsi de conséquences juridiques. Maurice a aussi relevé que ni la puissance administrante ni les Etats-Unis n’avaient cherché d’une quelconque façon à répondre aux arguments avancés par les délégations des divers Etats et de l’Union africaine41.
106. De plus, Maurice a soutenu, que la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale reflétait, au moment de son adoption en 1960, une règle de droit international coutumier régissant le processus de décolonisation, en toute circonstance, et conférant aux peuples des territoires coloniaux le droit à l’autodétermination, y compris le droit à l’intégrité territoriale qui lui était associé. Maurice a ensuite souligné qu’au moment de cette adoption, et par la suite, les Etats-Unis et le Royaume-Uni avaient reconnu l’existence du droit à l’autodétermination dans diverses déclarations. Ainsi, en 2009, le Royaume-Uni avait déclaré à l’intention de la Cour (dans le cadre de la procédure consultative dans l’affaire de la Déclaration d’indépendance du Kosovo) que «[l]e principe d’autodétermination a[vait] été clairement exprimé comme un droit de tous les pays et peuples coloniaux par la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale»42.
107. Maurice a ensuite relevé que les obligations juridiques énoncées dans la résolution 1514 (XV) de 1960 visaient «[t]ous les Etats», et avaient été réaffirmées dans des résolutions postérieures, qui condamnaient généralement le démembrement de territoires non autonomes (y compris Maurice) comme contraire à leurs dispositions, ces résolutions étant ainsi clairement d’application obligatoire en droit international. Maurice a souligné que le manquement par le Royaume-Uni aux obligations visées dans la résolution 1514 (XV) de 1960 emportait des conséquences juridiques pour celui-ci, et pour tous les Etats43 ; ces conséquences ont été exposées dans des observations écrites et orales et dans la réponse de Maurice à la question que j’ai posée aux délégations des participants lors de l’audience publique de la Cour du 5 septembre 2018 (supra).
108. Pour sa part, l’Union africaine a réaffirmé qu’en droit international général, il existait déjà un droit à l’autodétermination au moment de l’adoption de la résolution 1514 (XV) de 1960,
40 Voir C.I.J., Voir C.I.J., Observations écrites sur les réponses des participants à la procéObservations écrites sur les réponses des participants à la procédure orale à la question posée par dure orale à la question posée par M.M. lele juge Cançado Trindade, juge Cançado Trindade, doc. CHAG 2018/149, 14doc. CHAG 2018/149, 14 septembre 2018, p.septembre 2018, p. 1 à 131 à 13..
41 Voir Voir ibid.ibid., p. 3., p. 3.
42 Voir C.I.J., exposé écrit du RoyaumeVoir C.I.J., exposé écrit du Royaume--Uni, 17Uni, 17 avril 2009, par.avril 2009, par. 5.21, cité 5.21, cité in in ibid.ibid., p., p. 4 et 5.4 et 5.
43 Voir Voir ibidibid.., p., p. 5 et 6.5 et 6.
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qui avait «cristallisé le droit international coutumier» sur cette question44. Par la suite, les résolutions 2066 (XX) de 1965, 2232 (XXI) de 1966 et 2357 (XXII) de 1967 de l’Assemblée générale, entre autres, avaient confirmé l’opinio juris communis ; la résolution 2066 (XX) de 1965 rappelait aussi, a ajouté l’Union africaine, que «toute tentative visant à détruire partiellement l’unité territoriale de Maurice serait contraire au droit international»45.
109. L’Union africaine a ensuite exprimé l’avis que la puissance administrante était «tenue de mettre fin à son comportement illicite et à tout acte ou omission contraire aux principes de l’autodétermination et de l’intégrité territoriale de Maurice»46. Elle a conclu qu’il incombait à tous les Etats ainsi qu’à toutes les organisations internationales, comme les Nations Unies et elle-même, d’assurer le respect des règles de droit international coutumier concernant le droit à l’autodétermination, et d’ainsi mettre un terme à «l’administration illicite de l’archipel des Chagos» et au colonialisme47.
110. Dernières observations, mais pas les moindres, celles radicalement différentes des Etats-Unis, selon lesquelles la preuve n’avait pas été apportée de l’existence d’une règle de droit international coutumier : il n’y avait pas de pratique étatique uniforme et, malgré les nombreux appuis (dont ceux des Etats-Unis et d’autres puissances administrantes) exprimés en faveur de la décolonisation, il n’existait pas, selon eux, d’opinio juris uniforme au moment de l’adoption par l’Assemblée générale, en 1960, de la résolution 1514 (XV). Les Etats-Unis ont ajouté que la prétendue absence d’opinio juris quant aux éléments clés du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait persisté tout au long des négociations qui avaient conduit à l’adoption de la déclaration relative aux principes du droit international, figurant dans la résolution 2625 (XXV) de 1970 de l’Assemblée générale, les abstentions dénotant, à leur avis, une absence de consensus entre les Etats48.
111. Ensuite, les Etats-Unis ont dit que les résolutions de l’Assemblée générale n’étaient pas en elles-mêmes juridiquement contraignantes (sous réserve de rares exceptions, ne trouvant pas à s’appliquer en l’espèce), même lorsqu’elles étaient formulées en termes impératifs. Cela étant, ont-ils ajouté, les résolutions de l’Assemblée générale n’étaient pas l’expression de règles de droit international coutumier qui auraient empêché la création du Territoire britannique de l’océan Indien, et elles n’emportaient aucune conséquence juridique ; partant, il n’était pas nécessaire de traiter des conséquences juridiques de violations quelconques d’obligations juridiques49.
3. Evaluation générale
112. Les points de vue exprimés par les délégations de participants dans les réponses (et observations sur les réponses) à la question que je leur ai posée à l’audience publique du 5 septembre 2018 de la Cour, à mon avis, sont nécessaires voire absolument essentiels pour bien comprendre la situation et l’élaboration du présent avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. La Cour n’ayant pas examiné ces points de vue, je m’estime obligé de le faire et d’ainsi les évaluer dans la présente opinion individuelle.
44 Voir Voir ibid.ibid., p., p. 8.8.
45 Voir Voir ibid.ibid., p., p. 8.8.
46 Voir Voir ibid.ibid., p. 9., p. 9.
47 Voir Voir ibid.ibid., p. 9., p. 9.
48 Voir Voir ibid.ibid., p. 11 et 12., p. 11 et 12.
49 Voir Voir ibid.ibid., p. 12 et 13., p. 12 et 13.
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113. La Cour a préféré se pencher, dans le présent avis consultatif (par. 48, 50 et 67), sur la sentence rendue par un tribunal arbitral, le 19 mars 2015, dans l’arbitrage concernant l’aire marine protégée des Chagos (différend entre Maurice et le Royaume-Uni)50  invoqué par le Royaume-Uni dans ses réponses à ma question (voir supra) ; à mon avis, cette sentence était de bien moindre importance aux fins du présent avis consultatif que les résolutions de l’Assemblée générale, qui méritaient davantage l’attention de la Cour, traitant du droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ceci dit, il faut garder à l’esprit que l’affaire dont le tribunal arbitral était saisi concernait la création unilatérale par le Royaume-Uni d’une aire marine protégée autour de l’archipel des Chagos, une question  me permettrai-je d’ajouter  que les juges J. Kateka et R. Wolfrum ont correctement analysée dans leur opinion dissidente et concordante commune, jointe à la sentence du tribunal51.
114. D’après les deux juges, une question essentielle que le tribunal arbitral aurait dû examiner sur le fond était celle de savoir si la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice était contraire aux principes juridiques de la décolonisation visés dans la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies, ou encore au principe de l’autodétermination (par. 70 ; voir aussi par. 67) élaboré entre 1945 et 1965, période au cours de laquelle plus de cinquante Etats ont acquis leur indépendance dans le cadre du processus de décolonisation (par. 71).
115. Après avoir rappelé qu’il était clairement énoncé dans la résolution 1514 (XV) de 1960 que le détachement d’une partie d’une colonie (en l’espèce, l’archipel des Chagos) étaitcontraire au droit international (par. 72), les juges J. Kateka et R. Wolfrum ont conclu que le Royaume-Uni, en créant l’aire marine protégée en violation des engagements antérieurs pris envers Maurice, avait enfreint la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et rendu ainsi l’aire marine juridiquement nulle (par. 86 et 89). Les deux juges ont aussi relevé l’existence de similitudes troublantes entre la création du Territoire britannique de l’océan Indien en 1965 et la proclamation de l’aire marine protégée en 2010, dénotant un mépris total des droits de Maurice et de son intégrité territoriale, en faisant passer les intérêts en matière de défense du Royaume-Uni et des Etats-Unis  une manifestation de pouvoir colonial  au-dessus des droits de Maurice, l’interdiction totale de la pêche dans l’aire marine en constituant un exemple.
116. Fait beaucoup plus important encore aux fins du présent avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 : l’opinion qui a nettement prévalu dans les réponses (et les observations sur les réponses) fournies par les délégations des participants  comme le fait voir l’analyse qui précède  était très favorable au droit fondamental à l’autodétermination. Ce droit a aussi été reconnu faire partie intégrante du droit international général ou coutumier (en matière de responsabilité de l’Etat).
117. Les délégations qui, en plus de leurs réponses, ont présenté des observations, ont chacune explicité leur avis dominant (supra), en appui total du droit fondamental à l’autodétermination. De plus, un autre avis a aussi prévalu parmi les délégations de participants, tant dans la phase écrite qu’orale de la présente procédure consultative, sur un point d’une grande
50 Le tribunal arbitral [Cour permanente d’arbitrage] était constitué en application de l’annexeLe tribunal arbitral [Cour permanente d’arbitrage] était constitué en application de l’annexe VII de la VII de la convention des Naconvention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. Pour consulter la sentence du 19tions Unies sur le droit de la mer de 1982. Pour consulter la sentence du 19 mars 2015 et l’opinion mars 2015 et l’opinion dissidente et concordante commune des juges J.dissidente et concordante commune des juges J. Kateka et R.Kateka et R. WolfrumWolfrum : Cour permanente d’arbitrage (Recueil des : Cour permanente d’arbitrage (Recueil des sentences), sentences), The Chagos Marine Protected Area The Chagos Marine Protected Area Arbitration (Arbitration (MauritiusMauritius versus versus United KingdomUnited Kingdom)), La Haye, CPA, 2015, , La Haye, CPA, 2015, p.p. 24 à 311.24 à 311.
51 Ils n’étaient pas d’accord avec la conclusion du tribunal relative aux deux premières prétentions de Maurice, Ils n’étaient pas d’accord avec la conclusion du tribunal relative aux deux premières prétentions de Maurice, mais ont souscrit à ses conclusions concernant les troisième et mais ont souscrit à ses conclusions concernant les troisième et quatrième prétentions, quoique pour des motifs différents quatrième prétentions, quoique pour des motifs différents de ceux des juges majoritaires.de ceux des juges majoritaires.
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importance : le droit fondamental des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes relève du jus cogens.
118. D’après l’opinion dominante, en outre, ce droit fondamental est consacré en tant que norme impérative (voir, au sujet du jus cogens, les sections X, XI e XII, infra) ; il ressort des résolutions pertinentes favorables de l’Assemblée générale une opinio juris communis, assortie d’obligations erga omnes (de conformité au droit fondamental à l’autodétermination). A mon sens, rien n’explique ni ne justifie que la Cour n’ait pas, dans le présent avis consultatif, expressément statué que le droit fondamental des peuples à l’autodétermination relevait du jus cogens.
119. Il s’agit là d’un point que plusieurs participants ont fait valoir tout au long de la présente procédure consultative, et dont la Cour n’a pas tenu compte dans son propre raisonnement. La question mérite pourtant que l’on s’y intéresse de près, ce à quoi je vais m’attacher dans un instant. Dans le présent avis consultatif, la Cour n’aurait pas dû faire abstraction de cette question dans son raisonnement ; rien ne justifie son silence à cet égard. Le droit fondamental des peuples à l’autodétermination participe bel et bien du jus cogens et donne naissance à des obligations erga omnes, avec toutes les conséquences qui en découlent sur le plan juridique.
X. LE DROIT FONDAMENTAL À L’AUTODÉTERMINATION DANS LE DOMAINE DES NORMES IMPÉRATIVES DE DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL
1. La reconnaissance précoce du jus cogens
120. L’évolution que j’ai examinée dans les sections précédentes de la présente opinion individuelle jointe à l’avis consultatif de la Cour sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 montre que les Nations Unies ont fait du respect du droit à l’autodétermination des peuples un impératif, comme le veut le droit international contemporain. La consolidation des normes impératives du jus cogens et des obligations de protection erga omnes correspondantes devrait rendre possible la création d’un véritable ordre public international fondé sur le respect des droits de l’homme.
121. J’ai consacré une partie (section XIV) de l’opinion individuelle que j’ai jointe à l’avis consultatif rendu par la Cour le 22 juillet 2010 sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo au cheminement vers «une conception globale de l’incidence du jus cogens» (par. 212 à 217), après m’être exprimé sur la tragédie humanitaire vécue par la population locale. Dans la présente procédure consultative devant la Cour sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, nous sommes placés une fois de plus devant une tragédie humanitaire, cette fois de longue date, celle des Chagossiens déplacés de force hors de leur patrie, abandonnés, tentant de survivre dans une pauvreté intergénérationnelle, avec toutes les conséquences que cela entraîne.
122. Cela étant, je consacre encore une fois une section de mon actuelle opinion individuelle (la présente section X) au jus cogens, comme garantissant ici le droit fondamental à l’autodétermination. Dans une perspective historique, il ne saurait passer inaperçu que le droit à l’autodétermination, tel qu’il est formulé à l’article premier des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966 (section III supra), a rapidement  l’année
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même de leur adoption52  été considéré comme «une norme impérative du droit international»53 relevant du jus cogens.
123. La Commission du droit international (CDI) a de même apporté sa contribution à la question, dans la foulée de l’évolution jurisprudentielle qu’elle avait suscitée (voir infra). Ainsi, au cours des six années qui ont précédé l’adoption de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, la conceptualisation du jus cogens a été soigneusement examinée et confirmée par les membres de la CDI dans le cadre du droit des traités54. A plusieurs reprises, depuis le début des années 1960, le jus cogens a été directement relié au droit à l’autodétermination.
124. Par exemple, dans les débats de la CDI de 1963, on a fait valoir entre autres qu’un traité «imposé à une ancienne colonie devenue entre-temps un Etat indépendant serait certainement nul pour non-licéité» parce que violant une norme du jus cogens, en l’espèce le droit à l’autodétermination55. Dans les travaux de la CDI de 1966 sur le jus cogens, certains de ses membres ont insisté sur l’importance des principes de l’égalité juridique des Etats et de l’autodétermination des peuples s’agissant des «traités qui violent les droits de l’homme»56 ; le jus cogens produit ses effets sur les traités qui sont incompatibles avec lui57. Et dans les travaux de la CDI de 1968 sur le jus cogens, certains de ses membres ont réaffirmé que le droit des peuples à l’autodétermination «[devait] être respecté»58.
125. Il n’en reste pas moins que, même bien avant cela, dès les premières années  peu après sa création  l’ONU poursuivait déjà activement la réalisation de l’autodétermination des peuples ; l’exercice a rapidement apporté la preuve du caractère impératif du droit à l’autodétermination59, déjà examinée dans les résolutions successives de l’Assemblée générale (voir les sections II et III supra), ainsi qu’à des conférences internationales. C’est ainsi qu’une quinzaine d’années déjà avant la deuxième conférence mondiale des Nations Unies sur les droits de l’homme de 1993 (voir la section VI supra), la conférence mondiale de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale de 1978 avait appelé l’attention sur les «principes de la non-discrimination et de l’autodétermination en tant que règles impératives du droit international»60.
126. A l’époque, dans une étude établie en 1979-1980 intitulée The Right to Self-Determination  Implementation of United Nations Resolutions, le rapporteur spécial de l’ancienne sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des
52 Voir I.Voir I. Brownlie, Brownlie, Principles of Public International LawPrinciples of Public International Law, 1, 1ee éd., Oxford, Clarendon Press, 1966, p.éd., Oxford, Clarendon Press, 1966, p. 417417--418418 ; la ; la violation du violation du jus cogensjus cogens constituerait une infractioconstituerait une infraction au regard du droit des gens (n au regard du droit des gens (ibid.ibid., p. 415, p. 415--416)416)
53 A. Rigo Sureda, A. Rigo Sureda, The Evolution of the Right to SelfThe Evolution of the Right to Self--Determination Determination -- A Study of United Nations PracticeA Study of United Nations Practice, , op. cit. op. cit. suprasupra notenote 6, p. 353.6, p. 353.
54 Voir ONU, Voir ONU, Annuaire de la CDIAnnuaire de la CDI (1963), vol. I, p. 59(1963), vol. I, p. 59--79, 155, 192, 25279, 155, 192, 252--257 et 294257 et 294 ; ONU, ; ONU, Annuaire de la CDIAnnuaire de la CDI (1964), vol.(1964), vol. II, p. 185II, p. 185--186 et 191186 et 191 ; ONU, ; ONU, Annuaire de la CDIAnnuaire de la CDI (1966), vol. II, p. 217, 239(1966), vol. II, p. 217, 239--240, 247240, 247--249, 261249, 261--267, 327 et 267, 327 et 341341 ; ONU, ; ONU, Annuaire de la CDIAnnuaire de la CDI (1967), vol. II, p. 378, 390 et 394(1967), vol. II, p. 378, 390 et 394--395395 ; ONU, ; ONU, Annuaire de la CDIAnnuaire de la CDI (1(1968), vol. II, p.968), vol. II, p. 220 220 et 231et 231--232.232.
55 ONU, ONU, Annuaire de la CDIAnnuaire de la CDI (1963), vol. I, p.(1963), vol. I, p. 169, par. 56169, par. 56 ; voir également p. 257, par. 37.; voir également p. 257, par. 37.
56 ONU, ONU, Annuaire de la CDI Annuaire de la CDI (1966), vol. II, p. 270, n(1966), vol. II, p. 270, noo 3.3.
57 Ibid.Ibid. p. 372, et voir également p. 341.p. 372, et voir également p. 341.
58 ONU, ONU, Annuaire de la CDI Annuaire de la CDI (1968(1968), vol. ), vol. II, p. 229.II, p. 229.
59 L.L. Hannikainen, Hannikainen, Peremptory Norms (Jus Cogens) in International Law, Peremptory Norms (Jus Cogens) in International Law, Helsinki, Lakimiesliiton Kustannus, Helsinki, Lakimiesliiton Kustannus, 1988, p.1988, p. 191, 357191, 357--358, 304, 381358, 304, 381--382 et 717.382 et 717.
60 RésolutionRésolution 33/99 de l’Assemblée générale, en date du 1633/99 de l’Assemblée générale, en date du 16 décembre 1978, partie III, pdécembre 1978, partie III, par. 9.ar. 9.
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minorités (H. Gros Espiell) avait d’emblée mis en évidence l’importance capitale de l’autodétermination des peuples dans le monde moderne, contribuant de la sorte à sa reconnaissance en tant que norme du jus cogens61. Il avait rappelé, à cet effet, les parties pertinentes des travaux de la CDI qui avaient abouti à la rédaction de la convention de Vienne sur le droit des traités de 196962.
127. Le rapporteur avait ensuite fait observer que le jus cogens avait trouvé sa place dans les articles 53 et 64 de la convention de Vienne de 1969 ; aucun exemple de jus cogens n’y avait été expressément décrit afin d’en laisser évoluer la teneur. Ainsi avait-il ajouté : Aujourd’hui, personne ne peut contester le fait qu’à la lumière des réalités internationales contemporaines, l’autodétermination a indubitablement valeur de jus cogens63. Qui plus est, de l’avis du rapporteur spécial, les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies énoncés dans la résolution 2625 (XXV) de 1970, y compris celui de l’autodétermination des peuples, étaient des manifestations en droit international contemporain du jus cogens64.
128. La doctrine internationale, poursuivait-il, appuyait majoritairement l’idée que le droit à l’autodétermination a valeur de jus cogens, en tant que «condition ou préalable à l’exercice et à la réalisation effective des droits de l’homme»65. Enfin, il concluait que l’existence du jus cogens participait en soi du droit naturel, et que le droit des peuples à l’autodétermination était aujourd’hui l’une des manifestations du jus cogens66.
2. La réaffirmation du jus cogens dans la présente procédure consultative
129. Dans le cadre de la présente procédure consultative sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, cette question a été portée à l’attention de la Cour dans plusieurs exposés écrits et oraux des participants, soit pour défendre le jus cogens (l’Union africaine67, l’Argentine68, le Belize69, le Brésil70, le Chili71, Cuba72, Chypre73, Djibouti74, le Kenya75, Maurice76, la Namibie77, le Nigéria78, les Pays-Bas79, le Nicaragua80, la Serbie81, les
61 H.H. GrosGros Espiell (rapporteur spécial de la Espiell (rapporteur spécial de la ssousous--ccommission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de ommission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités), la protection des minorités), The Right toelfThe Right toelf--DeterminationDetermination  Implementation of United Nations Resolutions,Implementation of United Nations Resolutions, document document des Nations Unies des Nations Unies E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1 (1980), NY, ONU, 1980, p. 11, par. 70.E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1 (1980), NY, ONU, 1980, p. 11, par. 70.
62 Ibid.Ibid., p. 11, par. 71., p. 11, par. 71.
63 Ibid.Ibid., p. 11, p. 11--12, par. 73 à 74.12, par. 73 à 74.
64 Ibid.Ibid., p. 12, par. 75., p. 12, par. 75.
65 Ibid.Ibid., p. 12, par. 78., p. 12, par. 78.
66 Ibid.Ibid., p. 13, par. 84, p. 13, par. 84--85.85.
67 Exposé écritExposé écrit, par. 67, par. 67--128128 ; ; observations,observations, par. 164par. 164--179179 ;; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/27, p. 24, C.I.J., CR 2018/27, p. 24--26, par.26, par. 77--15.15.
68 Exposé écritExposé écrit, par. 48, par. 48 ; ; observationobservations, par. 19s, par. 19--30 et 5030 et 50--5454 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/22, p. 44, C.I.J., CR 2018/22, p. 44--46, par.46, par. 2121--28.28.
69 Exposé écritExposé écrit, par. 1.4, 2.1, par. 1.4, 2.1--2.22 et 3.12.22 et 3.1--3.133.13 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/23, p., C.I.J., CR 2018/23, p. 99--18, par. 718, par. 7--48.48.
70 Exposé écritExposé écrit, par. 15, par. 15--19 et 28 19 et 28 b)b) ; e; exposé oralxposé oral, C.I.J., CR 2018/23, p. 42, C.I.J., CR 2018/23, p. 42--45, par. 1045, par. 10--19.19.
71 Exposé écritExposé écrit, par. 6, par. 6--77 ;;
72 Exposé écritExposé écrit, p. 1., p. 1.
73 ObservationsObservations, par. 1 , par. 1 c)c), 10 à 14 et 17 à 19, 10 à 14 et 17 à 19 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/23, p. 47 à 48, par, C.I.J., CR 2018/23, p. 47 à 48, par. 9. 9--10.10.
74 Exposé écritExposé écrit, par. 3, 22 et 27 à 33., par. 3, 22 et 27 à 33.
75 Exposé oralExposé oral, C.I.J., CR 2018/25, p. 25, par. 11, C.I.J., CR 2018/25, p. 25, par. 11 ; p. 26; p. 26--30, par. 1730, par. 17--3434 ; p 32, par. 43; p 32, par. 43 ; et p. 33, par.; et p. 33, par. 46.46.
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Seychelles82, l’Afrique du Sud83 et la Zambie84), soit pour en souligner les effets erga omnes (la Chine85, le Guatemala86, l’Inde87, le Botswana88 et le Vanuatu89). Je vais maintenant passer en revue les arguments qu’ils ont présentés à la Cour à l’appui de la nature de jus cogens du droit fondamental à l’autodétermination, et des obligations erga omnes qui en découlent.
130. Dans son exposé écrit, Maurice a soutenu qu’il était bien établi que le droit fondamental à l’autodétermination faisait partie de la catégorie des normes impératives ; selon elle, l’argument du Royaume-Uni devait donc être rejeté, la nature de ce droit étant telle qu’aucun Etat ne pouvait prétendre y être un «objecteur persistant», au mépris total d’un engagement en faveur de l’état de droit international90. En outre, dans sa réponse écrite à la question que j’ai posée aux délégations participantes (voir les sections VIII et IX supra), Maurice a rappelé le caractère contraignant des résolutions de l’Assemblée générale sur la question, reconnaissant la nature impérative du droit fondamental en question, ainsi que le caractère erga omnes des obligations qui en découlent, en droit coutumier91.
131. Pour sa part, l’Union africaine a déclaré que nul ne saurait contester que le droit des peuples à l’autodétermination relève du jus cogens. Elle a ajouté que le caractère erga omnes des obligations qui en découlaient «conf[érait] l’obligation correspondante à l’ensemble des Etats et des organisations internationales de … faire respecter» le droit fondamental à l’autodétermination92. La pertinence de ce droit dans le domaine du jus cogens est également soulignée dans les exposés écrits et oraux des Etats d’Amérique latine.
132. Ainsi la délégation du Nicaragua a-t-elle soutenu, dans son exposé oral, que l’obligation erga omnes de respecter le droit à l’autodétermination est contraignante au point de ne pouvoir souffrir de dérogation. Elle a ajouté que le droit en question était si essentiel qu’il ne saurait en aucun cas être restreint par un accord ou écarté par une puissance coloniale93. En outre, dans sa réponse écrite à la question que j’ai posée aux délégations participantes (voir les sections VIII
76 Exposé écritExposé écrit, par. 1.3, par. 1.3--1.5, 1.411.5, 1.41 ii), 5.31, 6.3ii), 5.31, 6.3--6.61 et 6.1096.61 et 6.109 ; ; observationsobservations, par. 3.7, par. 3.7--3.41 et 3.3.41 et 3.6767 ; ; exposé oralexposé oral, , C.I.J., CR 2018/20, p. 45C.I.J., CR 2018/20, p. 45--47, par. 547, par. 5--12 et p. 82, par. 27. 12 et p. 82, par. 27.
77 Exposé écritExposé écrit, p. 3., p. 3.
78 Exposé oralExposé oral, C.I.J., CR 2018/25, p. 53, par. 11., C.I.J., CR 2018/25, p. 53, par. 11.
79 Exposé écritExposé écrit, par. 2.1, par. 2.1--4.5.4.5.
80 ExposéExposé, par. 6 à 9, par. 6 à 9 ; ; observationsobservations, par. 4, par. 4--99 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 201, C.I.J., CR 2018/25, p. 428/25, p. 42--44, par. 3844, par. 38--47.47.
81 Exposé écritExposé écrit, par. 29, par. 29--3131 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/26, p. 12, C.I.J., CR 2018/26, p. 12--13, par. 3313, par. 33--40.40.
82 ObservationsObservations, par. 9., par. 9.
83 Exposé écritExposé écrit, par. 6, 18 et 60, par. 6, 18 et 60--6464 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/22, p. 14, C.I.J., CR 2018/22, p. 14--18, par. 2318, par. 23--39.39.
84 Exposé oralExposé oral, C.I.J., CR 2, C.I.J., CR 2018/27, p. 10018/27, p. 10--12, par. 4 et 712, par. 4 et 7--12.12.
85 ObservationsObservations, par. 9, par. 9 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/24, p. 34, C.I.J., CR 2018/24, p. 34--35, par. 2335, par. 23--27.27.
86 ObservationsObservations, par. 9, par. 9 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/24, p. 34, C.I.J., CR 2018/24, p. 34--35, par. 2335, par. 23--27.27.
87 Exposé écritExposé écrit, par. 28, par. 28--35.35.
88 Exposé oralExposé oral, C.I.J., CR 2018/23,, C.I.J., CR 2018/23, p. 31p. 31--34, par. 334, par. 3--21.21.
89 Exposé oralExposé oral, C.I.J., CR 2018/26, p. 39, C.I.J., CR 2018/26, p. 39--40, par. 16.40, par. 16.
90 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de Maurice, p. 92, par. 3.44.de Maurice, p. 92, par. 3.44.
91 C.I.J., CHAG 2018/129 (Maurice), 9 octobre 2018, par. 3.C.I.J., CHAG 2018/129 (Maurice), 9 octobre 2018, par. 3.
92 C.I.J., C.I.J., exposé écrit exposé écrit de l’Union africaine, par. 69.de l’Union africaine, par. 69.
93 Voir exposé Voir exposé oral du Nicaragua, C.I.J., CR 2018/25, 5 septembre 2018, p. 44, par. 47.oral du Nicaragua, C.I.J., CR 2018/25, 5 septembre 2018, p. 44, par. 47.
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et IX supra), le Nicaragua a souligné la pertinence de la résolution de l’Assemblée générale 1514 (XV) de 1960 pour la consolidation du droit à l’autodétermination inscrit dans la Charte des Nations Unies et le respect de l’intégrité territoriale des territoires coloniaux qui s’y rattachait, qui relevaient également du droit international coutumier. Le droit à l’autodétermination, a-t-elle réaffirmé, constituait «une norme impérative qui ne saurait souffrir de dérogation»94.
133. Dans son exposé écrit, Cuba s’est déclarée préoccupée par la violation des principes du jus cogens concernant le respect de l’intégrité territoriale de Maurice, «l’exercice de sa souveraineté sur l’archipel des Chagos» et «le droit de retour des citoyens mauriciens qui ont été obligés par le Royaume-Uni à abandonner l’archipel»95. L’Argentine a quant à elle souligné les obligations erga omnes liées au «droit des peuples à l’autodétermination»96. Le même point (concernant les effets erga omnes) a également été soulevé par la Chine97, le Guatemala98, l’Inde99, le Botswana100 et le Vanuatu101.
134. Dans son exposé écrit, le Brésil a appelé l’attention sur l’importance du respect des obligations erga omnes dans le contexte de la décolonisation afin de garantir le droit des peuples à l’autodétermination ; ces obligations étaient «opposables à tous et à la communauté internationale dans son ensemble»102. Il a ajouté que le droit à l’autodétermination avait été reconnu dans des résolutions successives de l’ONU, dans des déclarations multilatérales, voire dans les propres décisions de la CIJ, ce qui établissait clairement que la présente demande de l’Assemblée générale en vue de l’obtention d’un avis consultatif «dépass[ait] le simple cadre d’une relation bilatérale», dans la mesure où elle traitait de questions «intéressant directement les Nations Unies» dans leur ensemble103.
135. Dans son exposé écrit, le Belize a soutenu que le droit à l’autodétermination dans le droit international coutumier ressortait de la Charte des Nations Unies, de résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, des pratiques des Etats et de la jurisprudence de la CIJ. Il s’agissait d’une norme impérative du droit international, un droit produisant des effets erga omnes, à laquelle aucune dérogation n’était permise. Le Belize a rappelé que l’autodétermination avait commencé à être présentée comme un droit légal dans les années 1950, avant d’être reprise dans de nombreuses résolutions ultérieures et concordantes de l’Assemblée générale ; elle relevait du droit international coutumier en 1965, lorsque le Royaume-Uni avait séparé l’archipel des Chagos de Maurice104.
136. Le Belize a ajouté qu’une grande importance avait rapidement été attribuée à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de 1960 et qu’au début des années 1960, le droit à
94 C.I.J., CHAG 2018/127, 10C.I.J., CHAG 2018/127, 10 septembre 2018, p 1.septembre 2018, p 1.
95 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de Cuba, p. 1.de Cuba, p. 1.
96 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de l’Argentine, par. 49.de l’Argentine, par. 49.
97 C.I.J., C.I.J., exposé écrit exposé écrit de la Chine, par. 5de la Chine, par. 5--13.13.
98 C.I.J., C.I.J., observationsobservations du Guatemala, par. 9du Guatemala, par. 9 ; ; exposé oralexposé oral, C.I.J., CR 2018/24, p. 34, C.I.J., CR 2018/24, p. 34--35, par. 2335, par. 23--27.27.
99 C.I.J., C.I.J., exposé écrit exposé écrit de l’Inde, par. 28de l’Inde, par. 28--35.35.
100 Exposé oral du BotswanaExposé oral du Botswana, C.I.J., CR 2018/23, p. 31, C.I.J., CR 2018/23, p. 31--34, par. 334, par. 3--21.21.
101 Exposé oral Exposé oral du Vanuatu, C.I.J., CR 2018/du Vanuatu, C.I.J., CR 2018/26, p. 20, par. 10.26, p. 20, par. 10.
102 C.I.J., eC.I.J., exposé écritxposé écrit du Brésil, p. 3du Brésil, p. 3--4, par. 12.4, par. 12.
103 Ibid.Ibid., p. 3 et 4, par. 12., p. 3 et 4, par. 12.
104 C.I.J., eC.I.J., exposé écritxposé écrit du Belize, p. 3, par. 2.1 à 2.2.du Belize, p. 3, par. 2.1 à 2.2.
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l’autodétermination était déjà reconnu comme norme impérative de droit international. Il a ensuite rappelé que, dans le cadre de leurs débats de 1963, certains membres de la CDI avaient fait référence au droit à l’autodétermination comme d’une règle établie du jus cogens105.
137. Dans son exposé oral, Chypre a réfuté l’argument reposant sur un prétendu différend bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni, maintenant que les questions relatives à l’autodétermination en général, et à la licéité de l’achèvement d’un processus de décolonisation en particulier, ne pouvaient jamais être dûment qualifiées de questions purement bilatérales entre une ancienne puissance coloniale et une ancienne colonie. Ce que corroboraient, ajoutait-t-elle, «[l]e caractère de jus cogens du droit à l’autodétermination» et «le caractère opposable erga omnes des obligations qu’il gén[érait]» ; les obligations en cause étaient opposables à la communauté internationale dans son ensemble, et tous les Etats avaient un intérêt juridique à ce qu’elles soient correctement mises en oeuvre106.
138. Selon Chypre, la valeur de jus cogens du droit à l’autodétermination et l’opposabilité erga omnes des obligations qu’il génère soulèvent deux points. D’abord, précisément parce que l’obligation de ne pas participer au colonialisme constitue une obligation opposable à la communauté internationale dans son ensemble, le consentement donné par un ou plusieurs Etats à la perpétuation du colonialisme par un autre Etat ne dispense pas ce dernier de l’obligation en cause. Ensuite, précisément parce que le colonialisme constitue une violation du droit à l’autodétermination, qui est une norme du jus cogens, tous les Etats ont le devoir de ne pas reconnaître comme licite une situation perpétuant le colonialisme107.
139. Dans son exposé oral, la Zambie a rejeté de même l’argument du Royaume-Uni selon lequel il s’agirait ici d’un différend bilatéral entre le Royaume-Uni et Maurice sur une question de souveraineté sur un territoire, concluant que la Cour était habilitée à rendre un avis sur la question sans le consentement du Royaume-Uni. Il est évident de par sa formulation que la première question posée à la Cour par l’Assemblée générale portait sur les obligations de droit international en matière de décolonisation. La Zambie a soutenu que la question relevait clairement de la compétence de l’Assemblée générale et donc qu’il ne s’agissait pas strictement d’un différend bilatéral : la question portait spécifiquement sur l’exercice du droit à l’autodétermination, dont la Cour avait elle-même considéré qu’il donnait naissance à des obligations opposables erga omnes108.
140. S’exprimant sur les aspects de la question dont la Cour est saisie auxquels il porte une attention particulière, Djibouti a soutenu, dans son exposé écrit, que le droit à l’autodétermination était une norme erga omnes qui intéresse la communauté internationale dans son ensemble109. Ce droit des peuples à l’autodétermination était «un droit opposable erga omnes», comme l'a reconnu la Cour elle-même (par exemple, en l’affaire relative au Timor oriental (1995)). Par conséquent, il ne saurait «être considéré ... seulement comme une question bilatérale» : il s’agit en effet d’un sujet
105 Il a également évoqué la première édition des Il a également évoqué la première édition des Principles of Public International LawPrinciples of Public International Law de Ian Brownlde Ian Brownlie, publiée ie, publiée en 1966, où il est indiqué que «certaines parties du en 1966, où il est indiqué que «certaines parties du jus cogensjus cogens font l’objet d’un consensus général, font l’objet d’un consensus général, notammentnotamment …… l’autodétermination»l’autodétermination» ; ; ibid.ibid., p. 6 et 7, par. 2.15., p. 6 et 7, par. 2.15.
106 Exposé oralExposé oral de Chypre, C.I.J., CR 2018/23, 4de Chypre, C.I.J., CR 2018/23, 4 septembre 2018 p. 49 et 50, par.septembre 2018 p. 49 et 50, par. 4.4.
107 Ibid.Ibid., p. 53, par. 9., p. 53, par. 9.
108 Exposé oralExposé oral de la Zambie, C.I.J., CR 2018/27, 6de la Zambie, C.I.J., CR 2018/27, 6 septembre 2018, p. 9septembre 2018, p. 9--10, par. 4.10, par. 4.
109 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de Djibouti, p.de Djibouti, p. 1, par. 3.1, par. 3.
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qui intéresse la communauté internationale dans son ensemble, ce droit concrétisant l’un des «principes essentiels du droit international contemporain»110.
141. La Cour l’a reconnu, ajoute Djibouti, dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (2004), où elle a confirmé (au paragraphe 159) l’«exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination». En résumé, ce droit à l’autodétermination «donne naissance à une obligation envers la communauté internationale dans son ensemble, qui est tenue d’en autoriser et d’en respecter l’exercice», de sorte qu’il incombe à tous les Etats et à toutes les organisations internationales de se conformer à cette obligation111.
142. De l’avis du Kenya, le droit des peuples à l’autodétermination relève du jus cogens et confère l’obligation erga omnes correspondante aux Etats de la communauté internationale dans leur ensemble de faire respecter ce droit. Cette position rejette l’allégation selon laquelle il s’agirait ici d’un différend bilatéral. Le non-respect du droit à l’autodétermination équivaut au non-respect d’une obligation opposable à la communauté internationale dans son ensemble112.
143. S’agissant du droit à l’autodétermination, sans mentionner expressément le jus cogens ou les effets erga omnes, la Namibie, dans son exposé écrit113, et les Seychelles, dans leurs observations écrites114, ont affirmé qu’à l’époque, c’est-à-dire au milieu des années 1960  au moment de la séparation de l’archipel des Chagos  «le droit à l’autodétermination était fermement établi». Et le Chili de défendre, dans son exposé écrit, le caractère «normatif» du droit des peuples à l’autodétermination «fermement établi» depuis la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux comprise dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale de 1960. Est ensuite venue la codification du droit à l’autodétermination dans les deux Pactes relatifs aux droits de l’homme des Nations Unies de 1966, démontrant à quel point ce droit était bien établi115.
144. Dans leur exposé écrit, les Pays-Bas ont fait valoir que l’obligation de respecter et de promouvoir le droit des peuples à l’autodétermination dans un contexte colonial, de même que l’obligation de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition privant les peuples de ce droit, découlait d’une norme impérative du droit international116. Ils ont ajouté que le caractère fondamental du droit à l’autodétermination avait été souligné dans le cadre du processus de
110 IbidIbid.., p. 4, p. 4--5, par. 22.5, par. 22.
111 Ibid.Ibid., p. 11, p. 11--12, par. 5212, par. 52--53.53.
112 Exposé oral du KenyaExposé oral du Kenya, C.I.J., CR 201, C.I.J., CR 2018/25, p. 25, par.8/25, p. 25, par. 11.11.
113 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de la Namibie, p.de la Namibie, p. 2.2.
114 C.I.J., C.I.J., observations écritesobservations écrites des Seychelles, par.des Seychelles, par. 9.9.
115 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit du Chili, par. 6du Chili, par. 6--7.7.
116 Les PaysLes Pays--Bas rappellent que durant les débats précédant l’adoption de la résolutionBas rappellent que durant les débats précédant l’adoption de la résolution 2625 e2625 en 1970, les Etats ont n 1970, les Etats ont qualifié comme suit le droit à l’autodéterminationqualifié comme suit le droit à l’autodétermination : «fondamental» et «s’imposant à tous les Etats» : «fondamental» et «s’imposant à tous les Etats» (A/AC.125/SR.41(A/AC.125/SR.41  Pologne), «l’un des principes fondamentaux du droit international contemporain» Pologne), «l’un des principes fondamentaux du droit international contemporain» (A/AC.125/SR.40(A/AC.125/SR.40 Yougoslavie), «l’unYougoslavie), «l’un des principes les plus importants inscrits à la Charte» des Nationsdes principes les plus importants inscrits à la Charte» des Nations Unies Unies (A/AC.125/SR.69(A/AC.125/SR.69  Japon), «un principe du droit international contemporain reconnu universellement» Japon), «un principe du droit international contemporain reconnu universellement» (A/AC.125/SR.70 (A/AC.125/SR.70  Cameroun) et «indispensable à l’existence de la communauté de nCameroun) et «indispensable à l’existence de la communauté de nations» ations» (A/AC.125/SR.68(A/AC.125/SR.68  EtatsEtats--Unis).Unis).
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décolonisation et que les Etats l’avaient explicitement qualifié de norme impérative du droit international117.
145. Dans son exposé oral devant la Cour, le Nigéria a déclaré que l’autodétermination avait acquis le statut d’obligation erga omnes. A son avis, le droit des Chagossiens à l’autodétermination devrait à l’évidence se cantonner à l’autodétermination interne dans le cadre même de la souveraineté de Maurice et non pas prendre la forme d’une autodétermination externe, laquelle conduirait à la désintégration de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de Maurice118.
146. La Serbie a rappelé pour sa part que «les règles et principes de la décolonisation» étaient bien établis dans le droit des Nations Unies depuis la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de 1960, comprise dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960. Elle a appelé au plein respect de la norme impérative du droit international qui veut que toute tentative visant à «détruire partiellement ou totalement … l’intégrité territoriale d’un pays» soit incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies119.
147. Dans son exposé oral, l’Afrique du Sud, attentive à la jurisprudence de la Cour, a souligné le caractère le plus fondamental du droit à l’autodétermination, soit le fait qu’il relève du jus cogens et qu’il crée des obligations opposables erga omnes, ce qui en interdit toute violation120 ; elle a ajouté qu’il emportait l’obligation de respecter l’état de droit et de renforcer un ordre juridique international fondé sur un ensemble de règles121. Elle a ensuite rappelé les actions du Royaume-Uni envers les Seychelles et envers Maurice et les Chagossiens.
148. L’Afrique du Sud a fait observer qu’à l’époque où le Territoire britannique de l’océan Indien avait été créé, les îles Aldabra, Desroches et Farquhar avaient été séparées de façon semblable des Seychelles et colonisées de manière à être intégrées au nouveau territoire ; ces îles avaient toutefois été restituées à juste titre aux Seychelles lors de l’accession de celles-ci à l’indépendance en 1976. Cette situation contraste fortement avec ce qui s’est passé dans le cas de Maurice et des Chagossiens, où le Royaume-Uni invoque l’emplacement stratégique et l’importance aux fins de défense de l’archipel des Chagos122.
149. De l’avis de l’Afrique du Sud, la séparation signifiait que le processus de décolonisation de Maurice restait illicite et inachevé ; elle représentait une violation du droit à l’autodétermination garanti par le jus cogens et une violation continue des droits de l’homme123. L’Afrique du Sud a conclu que le «droit à l’autodétermination garanti par le jus cogens», et l’intégrité territoriale d’une
117 A savoirA savoir : Espagne, : Espagne, C.I.J. MémoiresC.I.J. Mémoires, , affaire duaffaire du Sahara occidental, Sahara occidental, vol. I, p.vol. I, p. 206206--208. Algérie, 208. Algérie, C.I.J. Mémoires, C.I.J. Mémoires, affaire duaffaire du Sahara occidental, Sahara occidental, vol. IV, p.vol. IV, p. 497497--500500 ; Maroc, ; Maroc, C.I.J. Mémoires, C.I.J. Mémoires, affaire duaffaire du Sahara occidentSahara occidentalal, vol., vol. V, V, p.p. 179179--180180 ; Guinée; Guinée--Bissau, affaire relative à la Bissau, affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989Sentence arbitrale du 31 juillet 1989. Voir C.I.J., e. Voir C.I.J., exposé écritxposé écrit des des PaysPays--Bas, p. 8Bas, p. 8--9, par. 3.9.9, par. 3.9.
118 Exposé oralExposé oral du Nigéria, C.I.J., CR 2018/25, p. 53, par. 11.du Nigéria, C.I.J., CR 2018/25, p. 53, par. 11.
119 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de la Serbiede la Serbie, par. 29, par. 29--39.39.
120 Exposé oralExposé oral de l’Afrique du Sud, C.I.J., CR 2018/22, 4 septembre 2018, p. 14de l’Afrique du Sud, C.I.J., CR 2018/22, 4 septembre 2018, p. 14--15, par. 25.15, par. 25.
121 Ibid.Ibid., p. 15, par. 27., p. 15, par. 27.
122 IbidIbid.., par. 31, par. 31--32.32.
123 Ibid.Ibid., p. 16, par. 32., p. 16, par. 32.
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nation, ne sauraient être ignorés dans le seul but de protéger les intérêts d’un autre Etat en matière de défense et ses ambitions militaires124.
150. L’Afrique du Sud a estimé que la violation des droits de l’homme dans le contexte de l’inachèvement du processus de décolonisation de Maurice était continue, et qu’il était essentiel de donner aux Nations Unies les moyens de protéger les populations que le colonialisme rend vulnérables125. Enfin, selon elle, l’archipel des Chagos devrait être rapidement restitué à Maurice126. Toutes ces réaffirmations du jus cogens au cours de la présente procédure consultative sont significatives, même si la Cour est restée silencieuse sur ce point important dans le présent avis consultatif (voir supra).
XI. CRITIQUE DES LACUNES DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR SE RAPPORTANT AU JUS COGENS
151. Comme nous venons de le voir, les délégations participantes ont porté une attention particulière au cours de la présente procédure consultative au jus cogens et à son incidence sur le droit fondamental à l’autodétermination (voir la section X supra). En outre, j’ai déjà indiqué que la Charte des Nations Unies, dès l’origine, faisait expressément mention de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes (paragraphe 2 de l’article premier et article 55) (voir la section IV supra), et que les Nations Unies ont reconnu dès la première heure le droit fondamental à l’autodétermination des peuples et se sont attachées à le faire respecter (voir la section II supra).
152. L’évolution de la notion inscrite dans la Charte des Nations Unies a conduit à la reconnaissance de la valeur de jus cogens de ce droit : il en est rapidement venu à être très largement considéré comme faisant partie des normes impératives du droit international, produisant à ce titre des effets erga omnes127. Cela dit, je voudrais maintenant passer en revue le traitement du jus cogens dans la jurisprudence de la Cour. En effet, il est arrivé que la Cour reconnaisse expressément, même si brièvement, la notion de jus cogens (qui englobe des normes à caractère impératif), telle qu’elle a été évoquée au cours de la procédure, sans toutefois fournir ni explications, ni détails.
153. On pourra trouver, par exemple, de brèves mention du jus cogens dans les arrêts que la Cour a rendus en l’affaire du Plateau Continental de la mer du Nord (20 février 1969, par. 72), l’affaire du Nicaragua c. les Etats-Unis (27 juin 1986, par. 190), l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (14 février 2002, par. 56 et 58), l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (3 février 2012, par. 92, 93 et 95 à 97), ainsi que dans ses avis consultatifs sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (8 juillet 1996, par. 83) et le Kosovo (22 juillet 2010, par. 81). La Cour est allée plus loin dans l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, en déclarant dans son arrêt (du 20 juillet 2012) que «l’interdiction de la torture [relevait] du droit international coutumier et [avait] acquis le caractère de norme impérative (jus cogens)» (par. 99).
124 Ibid.Ibid.,, p. 16, par. 32.p. 16, par. 32.
125 Ibid.Ibid., p. 17, par. 38., p. 17, par. 38.
126 Ibid.Ibid., p. 18, par. 39., p. 18, par. 39.
127 K.K. Doehring, «Doehring, «SelfSelf--Determination as Jus CogensDetermination as Jus Cogens», [auteurs multiples] », [auteurs multiples] The Charter of the United Nations The Charter of the United Nations -- A A CommentaryCommentary (dir. publ. (dir. publ. B. Simma et autres), Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 70B. Simma et autres), Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 70--71.71.
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154. En l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Ouganda, questions de compétence et de recevabilité, arrêt du 3 février 2006), la Cour, se penchant sur les rapports entre les normes impératives (jus cogens) et l’établissement de sa propre compétence, a fait observer que le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme possédant le caractère de jus cogens, «ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu du Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le consentement des parties.» (Par. 64.)
155. La Cour a réaffirmé sa position dans les arrêts qu’elle a rendus ultérieurement dans les deux affaires relatives à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (en ce qui concerne la Bosnie, le 26 février 2007, par. 161 ; en ce qui concerne la Croatie, le 3 février 2015, par. 87). De mon point de vue, la détermination du jus cogens a des conséquences juridiques inéluctables, largement négligées128 par la Cour dans sa jurisprudence à ce jour. La Cour ne peut plus se permettre de passer outre les conséquences juridiques du jus cogens, obsédée qu’elle est par le consentement individuel des Etats à l’exercice de sa propre compétence (voir la section XVIII infra, par. 298 à 301).
156. J’ai apporté une attention particulière à l’incidence du jus cogens et à ses conséquences juridiques. On en trouve un exemple dans ma longue opinion dissidente (par. 318 à 320 et 536) en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie, arrêt du 3 février 2015)129, dans laquelle j’ai fait observer que la convention de 1948 sur le génocide était axée sur la protection de groupes d’êtres humains en situation de vulnérabilité, et non sur les Etats, et qu’il convenait en conséquence de l’interpréter et de l’appliquer en tenant compte des besoins pressants de protection des membres de ces groupes, et non de la susceptibilité des Etats (par. 517 à 524 et 542)130.
157. D’autres exemples peuvent être mentionnés, notamment les opinions dissidentes détaillées que j’ai jointes aux trois arrêts de la Cour (du 5 octobre 2016) rejetant les affaires des Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Royaume-Uni, Iles Marshall c. Inde et Iles Marshall c. Pakistan), dans lesquelles j’ai soutenu que les interdits absolus du jus cogens comprenaient aujourd’hui celui de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, «eu égard à toutes les souffrances que ces armes [pouvaient] infliger aux populations : leur emploi [entraînait] des souffrances qui ne [pouvaient] être circonscrites ni dans l’espace, ni dans le temps, et se prolong[eaient] pendant plusieurs générations» (par. 186 et 187).
158. Le jus cogens déborde ainsi les limites du droit conventionnel, ai-je ajouté, «englobant le droit de la responsabilité internationale de l’Etat, ainsi que le corpus juris du droit international contemporain, et, en définitive, tous les actes juridiques» (par. 188). Dans ce domaine, il faut à mon avis traiter la question du point de vue des peuples, la raison d’humanité l’emportant sur la raison d’Etat, et faire en sorte que l’attention sur «les conséquences dévastatrices et catastrophiques de
128 A l’exception de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire A l’exception de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire relative à relative à l’l’Obligation de poursuivre ou d’extraderObligation de poursuivre ou d’extrader (fond, 2012).(fond, 2012).
129 Reproduit dans Reproduit dans Judge A.A. Cançado Trindade Judge A.A. Cançado Trindade -- The Construction of a Humanized International LawThe Construction of a Humanized International Law  A A Collection of Individual OpinionsCollection of Individual Opinions, vol. , vol. III (C.I.J.), Leiden, Brill/Nijhoff, 2017, p. 158III (C.I.J.), Leiden, Brill/Nijhoff, 2017, p. 158 et 231et 231 ; et dans ; et dans Vers un nouveau jus Vers un nouveau jus gentium humanisé gentium humanisé -- Recueil des Recueil des oopinions pinions individuelles du jindividuelles du juge A. A. Cançado Trindadeuge A. A. Cançado Trindade, Paris, L’Harmattan, 2018, p., Paris, L’Harmattan, 2018, p. 744744--745 et 817.745 et 817.
130 Pour une analyse de la question, on pourra consulter A. A. Cançado Trindade, Pour une analyse de la question, on pourra consulter A. A. Cançado Trindade, A ResponA Responsabilidade do Estado sabilidade do Estado sob a Convenção contra o Genocídiosob a Convenção contra o Genocídio : Em Defesa da Dignidade Humana: Em Defesa da Dignidade Humana, Fortaleza/Brésil, IBDH/IIDH, 2015, p., Fortaleza/Brésil, IBDH/IIDH, 2015, p. 99--265.265.
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l’emploi d’armes nucléaires» ne se relâche pas (par. 321). La recta ratio (chère aux jusnaturalistes), la conscience juridique universelle, poursuivis-je, prime la «volonté» et les stratégies des Etats pris individuellement, notant l’existence
«[d’]une conception universaliste du droit des gens (la lex praeceptiva pour le totus orbis), applicable à tous (Etats, peuples et individus), qui insiste sur l’unité du genre humain. Le positivisme juridique, qui privilégie le pouvoir et la «volonté» de l’Etat, n’a jamais réussi à se placer dans cette perspective universaliste, pourtant essentielle et nécessaire lorsqu’il s’agit de régler des questions intéressant l’humanité tout entière, comme celle de la nécessité de procéder au désarmement nucléaire.» (Par. 224.)
159. Le désarmement nucléaire, dis-je encore, «auquel aspirent les peuples du monde entier, ne saurait être subordonné au consentement de tel ou tel Etat» (par. 321). Nous sommes ici devant les interdits absolus de jus cogens, «frappant la privation arbitraire de la vie, l’infliction de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou l’infliction de maux superflus», qui participent à l’actuel processus historique d’humanisation du droit international (par. 321).
160. Les tenants du positivisme juridique font abstraction de l’existence d’une opinio juris communis sur l’illicéité en droit international contemporain de toutes les armes de destruction massive, telles les armes nucléaires, et sur l’obligation de procéder au désarmement nucléaire. Je concluais ensuite que l’existence des armes nucléaires était «la grande tragédie de l’ère nucléaire ; aujourd’hui plus que jamais, les êtres humains [avaient] besoin d’être protégés d’eux-mêmes. L’existence de ces armes [était] un défi aux valeurs morales, lesquelles [étaient] indissociables du droit, comme nous l’[avaient] enseigné les penseurs jusnaturalistes.» (Par. 322.)131
161. J’ai par ailleurs traité en profondeur de la question du jus cogens dans l’opinion individuelle (par. 212 à 217) que j’ai jointe à l’avis consultatif sur la Déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo (de 2010) ; dans mes deux opinions dissidentes (par. 124, 125 et 140 à 153, et par. 117 à 129, 214 à 220, 225, 288 à 299 et 316, respectivement) en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (ordonnance de 2010 et arrêt de 2012) ; dans mon opinion dissidente (par. 180 et 195), en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) (arrêt de 2011) ; dans mon opinion individuelle (par. 44 à 51, 82 à 94, 175 et 181), en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (arrêt de 2012) ; dans mes deux opinions individuelles (par. 165 et par. 95) en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (arrêts de 2010 et 2012)132.
162. Dans mes deux opinions individuelles, en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, j’ai abordé, à la phase de l’examen au fond (en 2010), la question de la relation entre le jus cogens et l’assistance consulaire et la protection des droits de l’homme (par. 165), et à la phase des réparations (en 2012),
131 Voir également, par. 168, 189 et 223Voir également, par. 168, 189 et 223--225. La numérotation des paragraphes est celle qui figure dans mon 225. La numérotation des paragraphes est celle qui figure dans mon opinion dissidenopinion dissidente en l’affaire te en l’affaire Iles Marshall Iles Marshall c.c. RoyaumeRoyaume--UniUni ; les mêmes paragraphes se retrouvent, avec une ; les mêmes paragraphes se retrouvent, avec une numérotation distincte, dans mes deux autres opinions dissidentes dans les affaires numérotation distincte, dans mes deux autres opinions dissidentes dans les affaires Iles Marshall Iles Marshall c.c. IndeInde et et Iles Marshall Iles Marshall c.c. PakistanPakistan. Mes trois opinions dissiden. Mes trois opinions dissidentes sont reproduites dans tes sont reproduites dans Judge A.A. Cançado Trindade Judge A.A. Cançado Trindade -- The Construction of a The Construction of a Humanized International Law Humanized International Law -- A Collection of Individual OpinionsA Collection of Individual Opinions, vol. III (C.I.J.), Leiden, Brill/Nijhoff, 2017, , vol. III (C.I.J.), Leiden, Brill/Nijhoff, 2017, p.p. 364364--489, 236489, 236--363, et 490363, et 490--612, respectivement612, respectivement ; et dans ; et dans Vers Vers un nouveau jus gentium humanisé un nouveau jus gentium humanisé -- Recueil des Opinions Recueil des Opinions Individuelles du Juge A. A. Cançado TrindadeIndividuelles du Juge A. A. Cançado Trindade, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 906, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 906--1030.1030.
132 Reproduit dans Reproduit dans Judge A.A. Cançado Trindade Judge A.A. Cançado Trindade -- The Construction of a Humanized International Law The Construction of a Humanized International Law -- A A Collection of ICollection of Individual Opinionsndividual Opinions, vol. , vol. II (C.I.J.), Leiden, Brill/Nijhoff, 2017, p.II (C.I.J.), Leiden, Brill/Nijhoff, 2017, p. 11211121--11231123 ; p. 1253, 1258 et 1259; p. 1253, 1258 et 1259 ; p. ; p. 1347, 1348 et 13541347, 1348 et 1354--13611361 ; p. 1446; p. 1446--1448, 14831448, 1483--1485, 1487, 15131485, 1487, 1513--1517 et 15221517 et 1522 ; p. 1542; p. 1542--1546, 15561546, 1556--1562, 1597 et 15991562, 1597 et 1599 ; ; p. 1710 et 1783, respectivemenp. 1710 et 1783, respectivementt ; et dans ; et dans Vers un nouveau jus gentium humanisé Vers un nouveau jus gentium humanisé -- Recueil des Recueil des oopinions pinions iindividuelles du ndividuelles du jjuge A. A.uge A. A. Cançado TrindadeCançado Trindade, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 393, Paris, L’Harmattan, 2018, p. 393--394. p. 279, 280 et 286394. p. 279, 280 et 286--292292 ; p.; p. 500500--505, 536505, 536--538, 540, 538, 540, 566566--570 et 574570 et 574 ; p. 128; p. 128--129 et 134 (…)129 et 134 (…) ; et p. 61; et p. 613, respectivement.3, respectivement.
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la question de la relation entre le jus cogens et l’établissement de la justice (par. 95). Je n’ai pas l’intention de répéter ici, dans la présente opinion individuelle jointe à l’avis consultatif de la Cour sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, tout ce que j’ai dit sur le sujet dans les précédentes opinions individuelles que j’ai émises concernant la jurisprudence de la Cour. Je considère qu’il suffit d’y renvoyer. Au cours des dix dernières années, en tant que membre de la CIJ, j’ai apporté une grande attention à l’importance et à l’expansion du contenu matériel du jus cogens dans le droit des gens contemporain, ainsi qu’il ressort des opinions individuelles successives que j’ai mentionnées.
163. Cela étant, je ne peux que déplorer ici le fait que la jurisprudence de la Cour en la matière semble accuser une certaine frilosité et une lenteur excessive ; la Cour pouvait et aurait dû pousser bien plus avant sa réflexion sur les conséquences juridiques d’une violation du jus cogens, en particulier lorsque  comme en la présente procédure et dans les affaires qui se sont succédé devant elle ces dernières années  elle est appelée à connaître de situations dans lesquelles les droits de la personne humaine et de populations ont été foulés aux pieds.
164. Cette question, d’une importance capitale, est portée à l’attention de la Cour depuis longtemps déjà. Par exemple, au début des années 1970, dans le cadre de la procédure consultative de la Cour relative à la Namibie (1970-1971), le jus cogens a dûment été abordé par deux délégations participantes. A cette occasion, la Hongrie a attiré l’attention sur les droits auxquels se rattachent des obligations erga omnes133, et le Pakistan a dit de la résolution 2145 (XXI) de l’Assemblée générale de 1966 qu’elle était l’expression des vues de la communauté internationale sur le plus fondamental de tous les droits d’un peuple, soit le droit à l’autodétermination, dont on reconnaît en général qu’il relève du jus cogens, comme en témoigne son incorporation dans le paragraphe 1 de l’article premier des deux Pactes relatifs aux droits de l’homme de l’ONU134.
165. Par la suite, dans le cadre de la procédure consultative de la Cour sur le Sahara occidental (1975), l’Espagne a de même évoqué le droit des peuples à l’autodétermination garanti par le jus cogens dans le sens d’une norme impérative du droit international général reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble ; l’Espagne est allée jusqu’à qualifier la résolution 1514 (XV) de 1960 de «Grande Charte de la décolonisation»135.
166. Pour sa part, l’Algérie a également affirmé le caractère de jus cogens du droit des peuples à l’autodétermination ; elle a ajouté que le jus cogens était devenu «norme originaire» du droit international contemporain, «d’où décou[lait] la construction de tout l’édifice de la communauté internationale de notre temps», et que sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la communauté internationale s’était «en effet considérablement élargie et enrichie»136. S’exprimant plus avant sur la question, l’Algérie a souligné que c’est bien le droit à
133 C.I.J., C.I.J., exposé écritexposé écrit de la Hongrie, 16de la Hongrie, 16 novembre 1970, C.I.J., novembre 1970, C.I.J., Mémoires, plaidoiries et documentsMémoires, plaidoiries et documents -- Avis Avis consultatif sur la Namibie, vol. I, p. 359consultatif sur la Namibie, vol. I, p. 359--360.360.
134 C.I.J., C.I.J., exposé écrit exposé écrit du Pakistan, 2du Pakistan, 2 février 1971, C.I.J., février 1971, C.I.J., Mémoires, plaidoiries eMémoires, plaidoiries et documentst documents –– Avis consultatif Avis consultatif sur la sur la NamibieNamibie, vol. II, p. 141 et 142. Le Pakistan a en outre évoqué la résolution 2625, vol. II, p. 141 et 142. Le Pakistan a en outre évoqué la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale (XXV) de l’Assemblée générale du 24du 24 octobre 1970 renfermant la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les reoctobre 1970 renfermant la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales lations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
135 C.I.J., C.I.J., exposé oralexposé oral de l’Espagne, 26de l’Espagne, 26 mars 1975, C.I.J., mars 1975, C.I.J., Mémoires, plaidoiries et documentsMémoires, plaidoiries et documents –– Avis consultatif Avis consultatif sur le Sahara occidental, vol. I, p. 206sur le Sahara occidental, vol. I, p. 206--207. 207.
136 C.I.J., C.I.J., exposé oralexposé oral de l’Algérie, 15 juillet 1975, C.I.J., de l’Algérie, 15 juillet 1975, C.I.J., Mémoires, plaidoiries et documentsMémoires, plaidoiries et documents –– Avis consultatif Avis consultatif sur le Sahara occidental, vol. IV, p. 493. sur le Sahara occidental, vol. IV, p. 493.
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l’autodétermination, «dénominateur commun englobant de ce fait la décolonisation, qui constitu[ait] la norme supérieure relevant du jus cogens»137.
167. Comme on peut le constater, cette question est portée à l’attention de la Cour depuis fort longtemps, soit près d’un demi-siècle, et la Cour pouvait et aurait dû développer bien davantage son oeuvre jurisprudentielle sur la question du jus cogens. De plus, des références aux violations du jus cogens ont été relevées dans la doctrine dans des contextes distincts, par exemple, s’agissant de la reconnaissance du fait que les graves violations du droit à l’autodétermination constituent un crime international138.
168. S’agissant de l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, je trouve tout à fait regrettable que la Cour ne mentionne même pas la question ô combien importante du caractère de jus cogens que revêt le droit fondamental à l’autodétermination, y compris ses conséquences juridiques, alors que les participants en ont traité in extensio, dans plusieurs des exposés écrits et oraux qu’ils ont présentés (en faveur du jus cogens) au cours de la présente procédure consultative, comme je l’ai déjà fait observer (voir section supra).
169. Pour des raisons qui m’échappent, la Cour, face à une question aussi importante que celle sur laquelle l’Assemblée générale sollicitait un avis consultatif, a évité, ne fut-ce que de mentionner le jus cogens, se bornant à évoquer en passant (au paragraphe 180) le «respect du droit à l’autodétermination» en tant qu’«obligation erga omnes». Ce commentaire n’a guère de sens pour moi, dès lors que l’analyse est totalement déficiente. Il semblerait que la Cour reste (en 2019) hantée par le fantôme de l’affaire relative à la Barcelona Traction de 1970 (retenant les obligations erga omnes à l’exclusion du jus cogens), ainsi que l’injustice commise dans l’affaire relative au Timor oriental (envers son peuple) de 1995, résultant de sa conception strictement interétatique.
XII. L’OPINIO JURIS COMMUNIS ET LE JUS COGENS : PRÉVALENCE DE LA CONSCIENCE SUR LA «VOLONTÉ»
170. Le jus cogens est aujourd’hui définitivement lié à la réalisation de la justice elle-même. D’autres contextes factuels, dont il a été question notamment dans mes études récentes sur les décisions judiciaires internationales dans des affaires de massacres, peuvent se révéler pertinents139. Dans ce contexte difficile, j’ai abordé, notamment dans mon opinion dissidente en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (arrêt de la CIJ de 2012), la question des violations du jus cogens commises dans le cadre de crimes d’Etat, par exemple en présence d’une politique
137 C.I.J., C.I.J., exposé oralexposé oral de l’Algérie, 29 juillet 1975, in C.I.J., de l’Algérie, 29 juillet 1975, in C.I.J., Mémoires, plaidoiries, DocumentsMémoires, plaidoiries, Documents –– Avis consultatif Avis consultatif sur le Sahara occidental, vol. sur le Sahara occidental, vol. V, p. 320V, p. 320 ; voir également p. 319.; voir également p. 319.
138 A. Cassese, «Remarks on the Present Legal Regulation of Crimes of States», A. Cassese, «Remarks on the Present Legal Regulation of Crimes of States», International Crimes of StatesInternational Crimes of States (dir. publ. (dir. publ. J. H. H. Weiler, A. Cassese et M.J. H. H. Weiler, A. Cassese et M. Spinedi), Berlin, WSpinedi), Berlin, W. de Gruyter, 1989, p. 203. de Gruyter, 1989, p. 203 ; voir également p.; voir également p. 201201--202202 ; ; par exemple, l’par exemple, l’apartheidapartheid : «a été traitée comme un crime d’Etat» (: «a été traitée comme un crime d’Etat» (ibid.ibid., p 202)., p 202).
139 VoirVoir,, par exemple, A. A. Cançado Trindade, par exemple, A. A. Cançado Trindade, State Responsibility in Cases of MassacresState Responsibility in Cases of Massacres : Contemporary : Contemporary Advances in IntAdvances in International Justiceernational Justice,, Utrecht, Universiteit Utrecht, 2011, p.Utrecht, Universiteit Utrecht, 2011, p. 11--7171 ; A.; A. A. Cançado Trindade, A. Cançado Trindade, La La Reponsabilidad del Estado en Casos de Masacres Reponsabilidad del Estado en Casos de Masacres -- Dificultades y Avances Contemporáneos en la Justicia InternacionalDificultades y Avances Contemporáneos en la Justicia Internacional, , Mexique, Ed. Mexique, Ed. Porrúa/Escuela Libre de Derecho,Porrúa/Escuela Libre de Derecho, 2018, p. 12018, p. 1--104.104.
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d’Etat criminelle (par. 207 à 213), de violations massives des droits de l’homme (par. 214 à 217 et 231), et de l’impunité (par. 294, 305 et 306)140.
1. Le jus cogens et l’existence de l’opinio juris communis
171. Il existe une opinio juris communis relative au droit fondamental à l’autodétermination dans le domaine du jus cogens, pratiquée par ces Etats mêmes qui ont participé à la présente procédure consultative, comme je me suis employé à le démontrer dans la présente opinion individuelle (section X supra). Il est à mon sens d’autant plus grand temps que la Cour colmate les failles de sa construction jurisprudentielle du jus cogens pour englober les conséquences juridiques de sa violation. De mon point de vue, l’invocation du «consentement» individuel des Etats ne saurait priver le jus cogens de tous ses effets juridiques, pas plus que des conséquences juridiques de sa violation. Ce principe s’applique en différentes situations, entre autres s’agissant du droit des peuples à l’autodétermination.
172. Je n’ai cessé de faire valoir ce point depuis plusieurs années. Par exemple, dans mon intervention, il y a plus de trente ans, à la conférence des Nations Unies (lors des débats tenus à Vienne le 3 mars 1986 sur la notion de jus cogens) qui s’est conclue par l’adoption de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales de 1986, j’avais cru nécessaire de mettre en garde contre l’incompatibilité manifeste entre le jus cogens et la conception volontariste du droit international141, laquelle paraissait incapable d’expliquer ne serait-ce que la formation des règles du droit international général et l’incidence des éléments indépendants de la «libre volonté» des Etats sur le processus de formation et l’évolution du droit international contemporain142. Après la consécration du jus cogens dans les deux conventions de Vienne sur le droit des traités (1969 et 1986), il s’agissait d’en déterminer les effets en dehors du cadre du droit des traités143.
173. De 1994 à 2008, en tant que juge de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, je me suis pleinement consacré à l’expansion jurisprudentielle du contenu matériel du jus cogens144. Cette Cour, suivie par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, devint alors, parmi les tribunaux internationaux contemporains, le plus fort contributeur à l’évolution conceptuelle du jus cogens, dans l’exercice scrupuleux de sa fonction de protection de la personne humaine, si nécessaire dans les situations d’adversité ou de vulnérabilité des plus aiguës.
174. Comme je l’ai fait observer il y a dix ans, l’évolution du droit international contemporain procède non pas de l’inscrutable «volonté» des Etats, mais de la conscience humaine. Le droit international général ou coutumier n’émane pas tant de la pratique des Etats (qui n’est pas
140 Reproduit dans A. A. Cançado Trindade, Reproduit dans A. A. Cançado Trindade, The Construction of a Humanized International Law The Construction of a Humanized International Law –– AA Collection Collection of Individual Opinionsof Individual Opinions, vol II (C.I.J.), , vol II (C.I.J.), op. cit. supraop. cit. supra note 132, p. 1481note 132, p. 1481--1484, 1489, 1515 et 15191484, 1489, 1515 et 1519 ; et dans ; et dans Vers un nouveau Vers un nouveau jus gentjus gentiumium humanisé humanisé -- Recueil des Opinions Individuelles du Juge A. A. Cançado TrindadeRecueil des Opinions Individuelles du Juge A. A. Cançado Trindade, Paris, L’Harmattan, 2018, p. , Paris, L’Harmattan, 2018, p. 534534--536, 536536, 536--537, 542, 568 et 572.537, 542, 568 et 572.
141 Voir ONU, Voir ONU, Conférence des Nations Unies sur le droit des traités entre Etats et organisations internationalesConférence des Nations Unies sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales (Vienne, 1986)ou entre organisations internationales (Vienne, 1986) -- Documents officielsDocuments officiels, vol., vol. I, New York, ONU, 1995, p.I, New York, ONU, 1995, p. 187187--188 188 (intervention du chef adjoint de la délégation du Brésil, A.(intervention du chef adjoint de la délégation du Brésil, A. A.A. Cançado Trindade)Cançado Trindade)
142 A. A. Cançado Trindade, «A. A. Cançado Trindade, «The Voluntarist Conception ofThe Voluntarist Conception of International LawInternational Law : A Re: A Re--AssessmentAssessment», 59 », 59 Revue de Revue de droit international de sciences diplomatiques et politiques droit international de sciences diplomatiques et politiques -- Genève (1981)Genève (1981), p., p. 201201--240.240.
143 A. A. Cançado Trindade, «A. A. Cançado Trindade, «Jus Cogens: the Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content Jus Cogens: the Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content in Contemin Contemporary International Caseporary International Case--LawLaw», », XXXV Curso de Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico XXXV Curso de Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico Interamericano Interamericano -- 20082008, Washington, OEA, 2009, Secrétariat général, p. 9., Washington, OEA, 2009, Secrétariat général, p. 9.
144 Voir Voir ibid.ibid., p. 14, p. 14--2626 ; voir également p. 11; voir également p. 11--13.13.
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exempte d’ambiguïtés et de contradictions) que de l’opinio juris communis de l’ensemble des sujets de droit international (les Etats, les organisations internationales, les êtres humains, les peuples et l’humanité tout entière)145.
2. La recta ratio : le jus cogens et la prévalence de la conscience sur la «volonté»
175. En amont de la «volonté» réside la conscience humaine, la conscience juridique universelle. Le fait que, malgré toutes les souffrances subies par les générations précédentes, persistent de nos jours de nouvelles formes de souffrances infligées aux êtres humains  comme en témoignent les nouvelles situations de pauvreté chronique et croissante, déplacements forcés, déracinement, d’exclusion sociale ou de marginalisation (illustrées, entre autres, par le déplacement forcé des Chagossiens, voir infra)  ne saurait signifier qu’il n’existe pas de loi pour prévenir ou éviter ces situations (et assurer une réparation). Il indique plutôt que la loi continue d’être violée de manière flagrante, au détriment de millions d’êtres humains partout dans le monde146.
176. Le processus historique d’humanisation du droit international en cours est une réaction à cette injustice. Il tient compte de la dimension universelle et de l’unité du genre humain qui, voici plus de quatre siècles et demi, ont inspiré le processus historique de formation du droit des gens. En effet, déjà au XVIe siècle, les «pères fondateurs» du droit international avaient appelé l’attention sur les principes d’égalité et de non-discrimination : s’agissant de l’égalité humaine, Francisco de Vitoria et Bartolomé de Las Casas sont devenus des pionniers dans la lutte contre l’oppression, et leurs profonds enseignements, au fil des siècles et jusqu’à ce jour, résonnent dans la conscience humaine147.
177. Dans leur conception, le respect des normes du droit des gens alors naissant  dans son universalité  primait la souveraineté de l’Etat. Ils avaient à l’esprit que les Etats, les peuples et les individus (pour lesquels le principe d’égalité était fondamental) étaient des sujets du droit des gens148. La vision de la personne en tant que sujet du droit international s’est projetée tout au long des siècles suivants149. Comme je l’ai fait observer dans une évaluation récente de l’héritage des enseignements de F. Vitoria,
«[l]e droit des gens s’applique donc à toutes les personnes, qu’elles aient ou non donné leur consentement ; il est supérieur à la volonté. Il s’accompagne d’une obligation de réparation en cas de violation, conçue comme une réponse à une nécessité de la communauté internationale elle-même, les mêmes principes de justice
145 Ibid.Ibid., p. 6., p. 6.
146 Ibid.Ibid., p. 6., p. 6.
147 Comme je l’ai souligné entre autres dans mes opinions individuelles à la Cour interaméricaine des droits de Comme je l’ai souligné entre autres dans mes opinions individuelles à la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans les affaires des enfants de la rue (Villagrán Morales et autres, fond, 1999) et de la communauté autochtone l’homme dans les affaires des enfants de la rue (Villagrán Morales et autres, fond, 1999) et de la communauté autochtone Sawhoyamaxa (2006).Sawhoyamaxa (2006).
148 VoirVoir J. Brown Scott, J. Brown Scott, The Spanish Origin of International Law The Spanish Origin of International Law -- Francisco de Vitoria and His Law of NationsFrancisco de Vitoria and His Law of Nations, , Oxford/London, Clarendon Press/H. Milford, 1934, p. 140, 163 et 282Oxford/London, Clarendon Press/H. Milford, 1934, p. 140, 163 et 282--283.283.
149 Voir A. A. Cançado Trindade, Voir A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des geEvolution du droit international au droit des gens ns -- L’accès des individus à la L’accès des individus à la justice internationalejustice internationale : Le regard d’un juge: Le regard d’un juge, Paris, P, Paris, Peedone, 2008, p. 7done, 2008, p. 7--184. 184. A.A. A.A. Cançado Trindade, Cançado Trindade, The Access of The Access of Individuals to International JusticeIndividuals to International Justice, Oxford, Oxford University Press, 2011, p., Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 11--212.212.
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s’appliquant aux Etats aussi bien qu’aux populations et aux individus qui les composent.»150
178. Pour F. Vitoria, dans l’universalité du droit des nations  selon l’école du droit naturel  la solidarité humaine affirmait sa présence. Dans l’ouvrage principal de son oeuvre, ses Relecciones - De Indis (1538-1539), F. Vitoria, attentif au devoir de conscience, à la raison d’humanité (plutôt qu’à la raison d’Etat), a évoqué le bien commun151 et la réparation des dommages causés (restitutio)152. Le nouveau jus gentium ne pouvait découler de la «volonté» des Etats étant donné qu’il constituait une lex praeceptiva (propre au droit naturel) ainsi qu’une expression de la recta ratio inhérente à l’humanité. Selon la vision de F. Vitoria, le jus gentium s’appliquait à tous les Etats, toutes les populations et tous les êtres humains (même sans leur consentement) et la societas gentium était une manifestation de l’unité du genre humain. La voie était ainsi ouverte à l’appréhension d’un véritable jus necessarium, transcendant les limites du jus voluntarium153.
179. Dans la recherche du bien commun et dans la ligne de pensée jusnaturaliste, F. Vitoria soutenait que le corpus juris résultait de la recta ratio, et non de la «volonté» des Etats154. Voilà pourquoi une telle importance est attachée aux principes généraux fondamentaux du droit, ainsi qu’aux droits et devoirs réciproques incombant à tout un chacun155, qui existent bien en amont de la souveraineté de l’Etat156. L’appui des «pères fondateurs» du droit international à ce devoir de réparation pour les dommages causés aux victimes allait de pair avec leur dénonciation de la violence extrême et impitoyable de la colonisation.
180. C’est Bartolomé de Las Casas qui a critiqué le plus énergiquement le colonialisme, le rejetant comme tout à fait illégitime et appelant à un devoir de réparation des dommages causés aux populations autochtones, insistant pour faire reconnaître ce devoir. Son message était particulièrement poignant lorsqu’il a dénoncé, tant dans son ouvrage Brevísima Relación de la Destruición de las Indias de 1542 que dans les débats ultérieurs de la Junta de Valladolid
150 A. A. Cançado TrindaA. A. Cançado Trindade, «de, «Prefácio: a Visão Universalista e Humanista do Direito das Gentes: Sentido e Prefácio: a Visão Universalista e Humanista do Direito das Gentes: Sentido e Atualidade da Obra de Francisco de VitoriaAtualidade da Obra de Francisco de Vitoria», », Francisco de Vitoria, Relectiones Francisco de Vitoria, Relectiones -- sobre os Índios e sobre o Podersobre os Índios e sobre o Poder, , Brasília, Ed. Université de Brasilia/FUNAG, 2016, p. 39Brasília, Ed. Université de Brasilia/FUNAG, 2016, p. 39--4040 ;; voir également p.voir également p. 37 et 4337 et 43--44.44.
151 F. Vitoria, «F. Vitoria, «Relección Segunda Relección Segunda -- De los IndiosDe los Indios» [1538» [1538--1539], 1539], Obras de Francisco de Vitoria Obras de Francisco de Vitoria -- Relecciones Relecciones TeológicasTeológicas (dir. publ. (dir. publ. T.T. Urdanoz), Madrid, BAC, 1955, p. 824Urdanoz), Madrid, BAC, 1955, p. 824--825 et 827.825 et 827.
152 Ibid.Ibid., p. 845 et 854, p. 845 et 854--855.855.
153 P. GuggenheimP. Guggenheim, «Contribution à l’histoire des sources du droit des gens», 94 , «Contribution à l’histoire des sources du droit des gens», 94 Recueil des Cours de l’Académie Recueil des Cours de l’Académie de droit international de La Haye de droit international de La Haye (1958), p. 21(1958), p. 21--23, 25, 140 et 170.23, 25, 140 et 170.
154 F. de Vitoria,F. de Vitoria, La Ley (de Lege La Ley (de Lege -- Commentarium à Primam Secundae)Commentarium à Primam Secundae), Madrid, Tecnos, 1995, p., Madrid, Tecnos, 1995, p. 5, 23 et 775, 23 et 77 ; ; voir également J.voir également J. Moreau Moreau -- Reibel, «Le droit de société interhumaine et le jusReibel, «Le droit de société interhumaine et le jus gentium gentium -- Essai sur les origines et le Essai sur les origines et le développement des notions jusqu’à Grotius», 77 développement des notions jusqu’à Grotius», 77 Recueil des Cours de l’Académie de droit international de La HayeRecueil des Cours de l’Académie de droit international de La Haye (1950), p.(1950), p. 489489--492, 495492, 495--496, 503, 514496, 503, 514--515, 566, 572 et 582515, 566, 572 et 582 ; A. A. Cançado Trindade, ; A. A. Cançado Trindade, A Recta Ratio nos Fundamentos A Recta Ratio nos Fundamentos do Jus Gentium como Direito Internacional da Humanidadedo Jus Gentium como Direito Internacional da Humanidade, Rio de Janeiro/Belo Horizonte, Academia Brasileira de , Rio de Janeiro/Belo Horizonte, Academia Brasileira de Letras Jurídicas/Ed. Letras Jurídicas/Ed. Del Rey, 2005, p. 2Del Rey, 2005, p. 211--61.61.
155 J. Brown Scott, J. Brown Scott, The Spanish Origin of International Law The Spanish Origin of International Law -- Francisco de Vitoria and His Law of NationsFrancisco de Vitoria and His Law of Nations, , Oxford/London, Clarendon Press/H. Milford, Dotation Carnegie pour la paix internationale, 1934, p. 282, 283, 140, 150, Oxford/London, Clarendon Press/H. Milford, Dotation Carnegie pour la paix internationale, 1934, p. 282, 283, 140, 150, 163163--165, 170 et 172165, 170 et 172 ; J. B; J. Brown Scott, rown Scott, The Spanish Origin of International Law The Spanish Origin of International Law -- Lectures on Francisco de Vitoria Lectures on Francisco de Vitoria (1480(1480--1546) and Francisco Suárez (15481546) and Francisco Suárez (1548--1617)1617), Washington, Georgetown University, 1928, p., Washington, Georgetown University, 1928, p. 15, 20 et 21.15, 20 et 21.
156 A. M. Palamidessi, A. M. Palamidessi, Alle Origini del Diritto Internazionale Alle Origini del Diritto Internazionale -- IlIl Contributo di Vitoria e Suárez alla Moderna Contributo di Vitoria e Suárez alla Moderna Dottrina InternazionalisticaDottrina Internazionalistica, Rome, Ed. Aracne, 2010, p. 52, 53, 66, Rome, Ed. Aracne, 2010, p. 52, 53, 66--69, 83, 169 et 176.69, 83, 169 et 176.
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(1550-1551), les graves dommages infligés aux populations autochtones157 ; pour lui, les barbares n’étaient nullement ces populations, mais bien les colonisateurs qui leur causaient pareils dommages158.
181. B. de Las Casas a dénoncé la situation d’extrême adversité imposée par les colonisateurs aux autochtones, les privant de la jouissance de leurs droits159. Il a ajouté qu’il s’agissait d’une violation grave du droit des gens, découlant de la recta ratio, appartenant au ius naturale, commun à toutes les nations160. L’appellation jus gentium a été retenue, poursuivit-il, parce que ce droit était commun à toutes les nations et devrait être respecté par elles toutes, à la recherche du bien commun161. Le ius naturale, a-t-il insisté, ne saurait être ignoré, et les droits fondamentaux des peuples devaient être respectés, en évitant toutes les formes de violence, y compris les déplacements forcés162.
182. F. Vitoria et B. Las Casas, entre autres (voir infra), ont fait progresser la vision humaniste du nouveau droit des gens, révélant la conscience de la dignité inhérente à tous les êtres humains (dignitas hominis)163, et l’existence d’une justice objective internationale, fidèle au jusnaturalisme164. Le devoir de réparation découlant du principe neminem laedere, profondément enraciné dans l’histoire, était conçu pour répondre à une nécessité de la communauté internationale dans son ensemble165.
183. Toujours à l’époque de F. Vitoria, au XVIe siècle, la philosophie de Domingo de Soto, qui en était le contemporain, se rapprochait de celle de Vitoria, les deux penseurs poursuivant le même idéal ; on le constatera dans l’ouvrage de Domingo de Soto intitulé De Iustitia et Jure, de 1557, montrant son raisonnement orienté par la recta ratio et la perspective humaniste, à la recherche du bien commun166. Dans ma déclaration jointe à l’ordonnance rendue par la Cour le
157 Au cours desdits débats, B. de Las Casas a critiqué les prétentions contradictoires de son opposant Au cours desdits débats, B. de Las Casas a critiqué les prétentions contradictoires de son opposant (J.(J. G.G. Sepúlveda) quiSepúlveda) qui y trouvait une justification dans le colonialisme (religieux) et, s’opposant à ces arguments, a mis en y trouvait une justification dans le colonialisme (religieux) et, s’opposant à ces arguments, a mis en avant l’attitude réellement humaniste et authentique de respect de l’égalité et de la préservation de toutes les cultures (y avant l’attitude réellement humaniste et authentique de respect de l’égalité et de la préservation de toutes les cultures (y compris celles des peuples compris celles des peuples autochtones lointains)autochtones lointains) ; voir A. Bidar, ; voir A. Bidar, Histoire de l’humanisme en OccidentHistoire de l’humanisme en Occident, Paris, A. Colin, , Paris, A. Colin, 2014, p. 2022014, p. 202--203.203.
158 Voir B. de Las Casas, Voir B. de Las Casas, Brevísima Relación de la Destruición de las IndiasBrevísima Relación de la Destruición de las Indias [1542], Alicante, Ed.[1542], Alicante, Ed. Université de Université de Alicante, 2009, p. 91, 92, 116 etAlicante, 2009, p. 91, 92, 116 et 117117 ; B. de Las Casas, ; B. de Las Casas, Brevísima Relación de la Destrucción de las IndiasBrevísima Relación de la Destrucción de las Indias [1552], [1552], Barcelona, Ediciones 29, 2004 [rééd.], p.Barcelona, Ediciones 29, 2004 [rééd.], p. 14, 17, 23, 27, 31, 45, 50, 72, 73, 87, 89 et 9014, 17, 23, 27, 31, 45, 50, 72, 73, 87, 89 et 90 ; B. de Las Casas, ; B. de Las Casas, Brevísima Brevísima Relación de la Destruición de las IndiasRelación de la Destruición de las Indias [1542], Barc[1542], Barcelone, éd. Galaxia Gutenberg / Universidad de Alicante, 2009, p.elone, éd. Galaxia Gutenberg / Universidad de Alicante, 2009, p. 91, 91, 92, 116 et 11792, 116 et 117 ; L. Mora; L. Mora--Rodríguez, Bartolomé de Las Casas Rodríguez, Bartolomé de Las Casas -- Conquête, à la domination, souveraineté, Paris, PUF, Conquête, à la domination, souveraineté, Paris, PUF, 2012, p. 19, 25, 114, 149, 156, 160, 2282012, p. 19, 25, 114, 149, 156, 160, 228--229, 231229, 231--235 et 239235 et 239--241241 ; B. Lav; B. Lavallé, allé, Bartolomé de Las Casas Bartolomé de Las Casas -- Entre la Espada Entre la Espada y la Cruzy la Cruz, Barcelone, Ed. Ariel, 2009, p. 63, 65 et 220., Barcelone, Ed. Ariel, 2009, p. 63, 65 et 220.
159 Voir Voir Tratados de Fray Bartolomé de las CasasTratados de Fray Bartolomé de las Casas, vol. II, Mexique, , vol. II, Mexique, Fondo de Cultura EconómicaFondo de Cultura Económica (FCE) (FCE) [2[2ee impr.], p. 761 et 1047.impr.], p. 761 et 1047.
160 Voir Voir ibid.ibid., p. 1067, p. 1067--1071073, 1239 et 1255.3, 1239 et 1255.
161 Voir Voir ibid.ibid., p. 1247, 1249 et 1263., p. 1247, 1249 et 1263.
162 Voir Voir Tratados de Fray Bartolomé de las CasasTratados de Fray Bartolomé de las Casas, vol. , vol. I, Mexique, FCE [2I, Mexique, FCE [2ee impr.], p. 319, 371, 419 et 551.impr.], p. 319, 371, 419 et 551.
163 Voir A. Pele, Voir A. Pele, El Discurso de la Dignitas Hominis en el Humanismo del RenacimientEl Discurso de la Dignitas Hominis en el Humanismo del Renacimiento, Madrid, Unio, Madrid, Université versité Carlos III de Madrid/éd. Carlos III de Madrid/éd. Dykinson, 2010, p. 17, 19Dykinson, 2010, p. 17, 19--21, 2921, 29--30, 37, 4130, 37, 41--42, 45, 47, 55, 58, 6242, 45, 47, 55, 58, 62--68, 92, 101, 108 et 119.68, 92, 101, 108 et 119.
164 C. Barcía Trelles, «Francisco de Vitoria et l’Ecole moderne du Droit international», 17 C. Barcía Trelles, «Francisco de Vitoria et l’Ecole moderne du Droit international», 17 Recueil des Cours de Recueil des Cours de l’Académie de Droit l’Académie de Droit international de La Hayeinternational de La Haye (1927), p. 143, 196, 198, 200, 212, 228, 231, 248, 256, 279, 292, 315, 328 (1927), p. 143, 196, 198, 200, 212, 228, 231, 248, 256, 279, 292, 315, 328 et 331et 331 ; voir également p. 204; voir également p. 204--205 et 332.205 et 332.
165 Voir Association Internationale VitoriaVoir Association Internationale Vitoria--Suarez, Suarez, Vitoria et SuarezVitoria et Suarez : Contribution des théologiens au Droit : Contribution des théologiens au Droit interinternational modernenational moderne, Paris, P, Paris, Peedone, 1939, p. 73 et 74done, 1939, p. 73 et 74 ; voir également p. 169 et 170.; voir également p. 169 et 170.
166 Voir J. Brufau Prats, Voir J. Brufau Prats, La Escuela de Salamanca ante el Descubrimiento del Nuevo MundoLa Escuela de Salamanca ante el Descubrimiento del Nuevo Mundo, Salamanque, Ed. , Salamanque, Ed. San Estéban, 1989, p. 60, 61, 66 et 67San Estéban, 1989, p. 60, 61, 66 et 67 ; voir également p.; voir également p. 71.71.
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11 avril 2016 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), au sujet de la nécessité urgente d’accorder des réparations collectives, j’ai jugé bon de rappeler le devoir de réparation, «fermement enraciné dans l’histoire du droit des gens» (par. 11, 12, 15 et 16), dont la reconnaissance remonte aux travaux susmentionnés du XVIe siècle, outre ceux de Juan de la Peña (De Bello contra Insulanos (1545)] ; Bartolomé de Las Casas [De Regia Potestate (1571)] ; Juan Roa Dávila [De Regnorum Justitia (1591)] ; Alberico Gentili [De Jure Belli (1598)].
184. Ces ouvrages ont été suivis au XVIIe siècle, ai-je ajouté, par les écrits de Juan Zapata y Sandoval [De Justitia et Acceptione Personarum EI Opposita Distributiva Disceptatio (1609)] ; Francisco Suarez [De Legibus ac Deo Legislatore (1612)] ; Hugo Grotius (De Jure Belli ac Pacis (1625), livre II, c. 17) ; Samuel Pufendorf [Elementorum Jurisprudentiae Universalis - Libri Duo (1672), et On the Duty of Man and Citizen According to Natural Law (1673)]. Puis il y eût, au XVIIIe siècle, poursuivis-je, les réflexions sur le sujet de Cornelius van Bynkershoek [De Foro Legatorum (1721) ; Questiones Juris Publici - Libri Duo, (1737)] ; Christian Wolff [Jus Gentium Methodo Scientifica Pertractatum (1764), et les Principes du droit de la nature et des gens (1758)].
185. Dans la même déclaration, j’ai ensuite fait la remarque que «[p]lus l’on se replong[eait] dans les classiques du droit international (largement tombés dans l’oubli à notre époque trépidante), plus l’on trouv[ait] de réflexions sur le droit des victimes à obtenir réparation des préjudices qui leur [avaient] été causés» (par. 17) dans les écrits des «pères fondateurs» du droit des gens, à la lumière du principe neminem laedere. Le devoir de réparer les préjudices subis était alors perçu clairement et avec lucidité comme «une réponse à un besoin international167, réponse conforme à la recta ratio, que les bénéficiaires en soient les Etats (naissants), les peuples, les groupes ou les individus» (par. 19).
186. Peu de temps après, j’ai joint à la nouvelle ordonnance rendue par la Cour le 6 décembre 2016 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo une opinion individuelle dans laquelle j’ai examiné en détail la teneur des enseignements de F. Vitoria, B. de Las Casas, J. Roa Dávila, A. Gentili, H. F. Suárez, S. Pufendorf, et C. Wolff sur le devoir de réparer (par. 11 à 15)168. Dans leur perspective humaniste, les «pères fondateurs» du droit des gens considéraient que la réparation des dommages répondait à un besoin international, conformément à la recta ratio. Ils se sont en cela inspiré des écrits bien plus anciens de Thomas d’Aquin (qui remontaient au XIIIe siècle). J’ajoutai ensuite :
167 J. BJ. Brown Scott, rown Scott, The Spanish Origin of International Law The Spanish Origin of International Law -- Francisco de Vitoria and His Law of NationsFrancisco de Vitoria and His Law of Nations, , op. op. cit.cit. supra supra note 155, p. 140, 150, 163, 165, 172, 210note 155, p. 140, 150, 163, 165, 172, 210--211 et 282211 et 282--283283 ; voir également A. A. Cançado Trindade, ; voir également A. A. Cançado Trindade, «« PrefacioPrefacio », », Escuela Ibérica de La Paz (151Escuela Ibérica de La Paz (15111--1694) 1694) -- La Conciencia Crítica de la Conquista y Colonización de AméricaLa Conciencia Crítica de la Conquista y Colonización de América, , (dir. publ. (dir. publ. P. Calafat et R.P. Calafat et R. E. Mandado Gutiérrez), Santander/Espagne, Ed. Université de Cantabrie, 2014, p. 40E. Mandado Gutiérrez), Santander/Espagne, Ed. Université de Cantabrie, 2014, p. 40--109.109.
168 F. Vitoria, F. Vitoria, Second Relectio Second Relectio -- On the Indians [De Indis] On the Indians [De Indis] [1538 [1538 -- 1539], Oxford/London, Clarendon 1539], Oxford/London, Clarendon Press/H.Press/H. Milford, 1934 (rééd.), p. LVMilford, 1934 (rééd.), p. LV ; F. Vitoria, ; F. Vitoria, Sobre el Poder Civil [Relectio de Potestate CiviliSobre el Poder Civil [Relectio de Potestate Civili, [1528] (dir. publ. , [1528] (dir. publ. J.J. CorderoCordero Pando), Salamanque, Ed. Estéban, 2009 [rééd.], p. 22 et 44Pando), Salamanque, Ed. Estéban, 2009 [rééd.], p. 22 et 44 ; B. de Las Casas, ; B. de Las Casas, De Regia PDe Regia Potestate o Derecho otestate o Derecho de Autodeterminaciónde Autodeterminación [1571] (dir. publ. L. Pereña, J. M. Pérez [1571] (dir. publ. L. Pereña, J. M. Pérez -- Prendes, V. Abril et J. Azcárraga), CSIC (Madrid, 1969), Prendes, V. Abril et J. Azcárraga), CSIC (Madrid, 1969), p.p. 7272 ; J.; J. RoaRoa Dávila, Dávila, De Regnorum Iusticia o El Control DemocráticoDe Regnorum Iusticia o El Control Democrático [1591] (dir. publ. L.[1591] (dir. publ. L. Pereña, J.Pereña, J. M.M. Pérez Pérez -- PrPrendesendes et V.et V. Abril), Madrid, CSIC/ Instituto Francisco de Vitoria, 1970, p. 59 et 63Abril), Madrid, CSIC/ Instituto Francisco de Vitoria, 1970, p. 59 et 63 ; [auteurs multiples] Alberico; [auteurs multiples] Alberico Gentili Gentili -- Giustizia, Guerra, Imperio (Giustizia, Guerra, Imperio (Atti del Convegno di San GinesioAtti del Convegno di San Ginesio, septembre 2010), Milan, Ed. , septembre 2010), Milan, Ed. Giuffrè, 2014, p. 275 et 320, Giuffrè, 2014, p. 275 et 320, voir égalemvoir également p.ent p. 299299--300 et 327300 et 327 ; Hugonis Grotii, ; Hugonis Grotii, DeDe Iure Belli Ac PacisIure Belli Ac Pacis, [1625], livre II, c. XVII, La Haye, M., [1625], livre II, c. XVII, La Haye, M. Nijhoff, Nijhoff, 1948, p. 791948, p. 79--82, par. I, VIII et82, par. I, VIII et IXIX ; voir également H. Grotius, ; voir également H. Grotius, Le droit de la guerre et de la paixLe droit de la guerre et de la paix [1625] (dir. publ. [1625] (dir. publ. D.D. Alland et S. Goyard Alland et S. Goyard -- Fabre), Paris, PUF, 2005 (rééd.), p. 415Fabre), Paris, PUF, 2005 (rééd.), p. 415--416 et 418, par. I et VIII416 et 418, par. I et VIII--IXIX ; Association Internationale ; Association Internationale VitoriaVitoria--Suarez, Suarez, Vitoria et SuarezVitoria et Suarez : Contribution des théologiens au Droit international moderne: Contribution des théologiens au Droit international moderne, Paris, P, Paris, Peedone, 1939, done, 1939, p.p. 7373--74, voir également p. 16974, voir également p. 169--170170 ; ; S. Pufendorf, S. Pufendorf, On the Duty of Man and Citizen According to Natural LawOn the Duty of Man and Citizen According to Natural Law [1673], [1673], (dir.(dir. publ. J. Tully et M.publ. J. Tully et M. Silverthorne), Cambridge, Cambridge University Press, 2003 [réimpr.], p. 57Silverthorne), Cambridge, Cambridge University Press, 2003 [réimpr.], p. 57--58, voir également 58, voir également p. 59p. 59--6060 ; C. Wolff, ; C. Wolff, Principes du droit de la nature et Principes du droit de la nature et des gensdes gens [1758], vol.[1758], vol. III, Caen, dir. publ. Université de Caen, 2011 III, Caen, dir. publ. Université de Caen, 2011 [réédition], c. VI, p. 293[réédition], c. VI, p. 293--294, 296294, 296--297 et 306.297 et 306.
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«Les jus naturae et gentium naissants revêtaient un caractère universaliste et s’adressaient à tous les peuples ; le droit et l’éthique allaient de pair, s’inscrivant dans la quête de la justice. Rappelant en cela Cicéron et son idéal de societas hominum, les «pères fondateurs» du droit international concevaient une «société universelle du genre humain» (commune humani generis societas) englobant tous les sujets susmentionnés du droit des gens.»169 (Par. 16.)
187. C’est au milieu du XVIIIe siècle, toujours à l’époque de C. Wolff, que le réductionnisme de Vattel (dans E. de Vattel, Le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, 1758) a été mis en avant. Cette perspective réductrice de l’ordre juridique international, ai-je poursuivi, en est venue à prévaloir au XIXe siècle et au début du XXe siècle, sous l’influence malheureuse du positivisme juridique, qui n’envisageait que la souveraineté absolue des Etats et y subordonnait les êtres humains (par. 17) et qui était incapable ne serait-ce que de comprendre l’universalité, encore moins d’y parvenir.
188. Cette évolution a eu les conséquences désastreuses que l’on sait pour les êtres humains et les peuples, qui ont marqué l’histoire tragique et odieuse du XXe siècle. Cependant, ai-je ajouté,
«L’héritage des «pères fondateurs» du droit international a toutefois été préservé, des XVIe et XVIIe siècles à notre époque, dans la doctrine juridique internationale la plus éclairée. Il demeure présent sous des formes variées, qu’il s’agisse de l’universalité du droit des gens, de la reconnaissance de l’importance des principes généraux du droit, de l’attention accordée à la recta ratio, ou encore de la reconnaissance du tout indissoluble formé par la violation et la prompte réparation.» (Par. 18.)
189. La vérité, c’est que la conscience de l’importance de sauver et de préserver la perspective humaniste et universaliste, si essentielle au processus actuel d’humanisation du droit international et à la formation du nouveau jus gentium du XXIe siècle, n’a jamais disparu170. L’héritage éternel des «pères fondateurs» du droit des gens reste donc d’actualité et se perpétue pour faire face aux nouveaux défis qui se posent aujourd’hui aux tribunaux internationaux contemporains, «en suivant une approche essentiellement humaniste»171 (par. 30).
190. A mon avis, il faut, si l’on entend promouvoir le développement progressif du droit international, dans le domaine des réparations, en particulier collectives, aller au-delà de l’insatisfaisante perspective interétatique (comme l’ont fait les «pères fondateurs») (par. 31). Et je parvins à la conclusion suivante :
169 Voir, Voir, entre autresentre autres, M., M. Luque Frías, Luque Frías, Vigencia del Pensamiento Ciceroniano en las Relecciones Vigencia del Pensamiento Ciceroniano en las Relecciones JurídicoJurídico--Teológicas del Maestro Francisco de Teológicas del Maestro Francisco de VitoriaVitoria, Granada, Ed. Comares, 2012, p. 70, 95, 164, 272, Granada, Ed. Comares, 2012, p. 70, 95, 164, 272--273, 275, 273, 275, 278278--279, 284, 398279, 284, 398--399 et 418399 et 418--419419 ; A.; A. A. Cançado Trindade et V.A. Cançado Trindade et V. F.F. D.D. Cançado, «Cançado, «A PréA Pré--História do Princípio de História do Princípio de Humanidade Consagrado no Direito das GentesHumanidade Consagrado no Direito das Gentes : O: O Legado Perene do Pensamento EsLegado Perene do Pensamento Estóicotóico», », O Princípio de Humanidade O Princípio de Humanidade e a Salvaguarda da Pessoa Humanae a Salvaguarda da Pessoa Humana (dir. publ. A.(dir. publ. A. A.A. Cançado Trindade et C.Cançado Trindade et C. BarrosBarros Leal), Fortaleza/Brésil, IBDH/IIDH, Leal), Fortaleza/Brésil, IBDH/IIDH, 2016, p.2016, p. 4949--84.84.
170 A. A. Cançado Trindade, A. A. Cançado Trindade, International Law for Humankind International Law for Humankind -- Towards a New Jus GentiumTowards a New Jus Gentium, , opop.. cit.cit. infrainfra notenote 178, p. 1 à 726.178, p. 1 à 726.
171 S’agissant de cet héritage, voir, parmi les sources récentes, A. A. Cançado Trindade, AS’agissant de cet héritage, voir, parmi les sources récentes, A. A. Cançado Trindade, A Humanização do Humanização do Direito Internacional, 2Direito Internacional, 2ee rév., Belo Horizonte/Brésil, Ed. Del Rey, 2015, chap.rév., Belo Horizonte/Brésil, Ed. Del Rey, 2015, chap. XXIX («A Perenidade dos EnsinamentosXXIX («A Perenidade dos Ensinamentos dos «Pais Fundadores» do Direito Internacional» [«La pérennité des enseignements des «pères fondateurs» du droit dos «Pais Fundadores» do Direito Internacional» [«La pérennité des enseignements des «pères fondateurs» du droit international»], 2015, p. 647international»], 2015, p. 647--676.676.
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«C’est le courant de pensée jusnaturaliste  tel qu’il est né au XVIe siècle  qui a de tout temps constitué le cadre le plus propice à la poursuite de cet objectif qu’est la prompte réparation. Le positivisme juridique  tel qu’il a vu le jour à la fin du XIXe siècle  a indûment placé la «volonté» des Etats au-dessus de la recta ratio. Dans le jusnaturalisme, actuellement en plein renouveau172, la notion de justice a en effet toujours occupé une place centrale, guidant le droit dans son ensemble ; en somme, la justice est au commencement de tout droit, tout en constituant sa fin suprême.» (Par. 32.)
191. A mon sens, le processus historique d’humanisation du droit international, en ce qu’il réhabilite l’idéal universaliste qui a fondé la doctrine la plus lucide du droit international, contribue à la formation du nouveau jus gentium du XXIe siècle, inspiré par les principes généraux de droit173. Cette tendance est confortée par les avancées conceptuelles qu’elle permet, à commencer par la reconnaissance des principes de jus cogens et des obligations erga omnes de protection qui en découlent, qui dénotent également la vision universaliste du droit des gens174.
192. L’existence de normes impératives de droit international va inéluctablement au-delà des normes conventionnelles, s’étendant à tout acte juridique175. Tout comme le droit des traités, le droit international général appartient au domaine du jus cogens176. Il y a une quinzaine d’années, j’ai défendu, dans mon opinion individuelle jointe à l’avis consultatif rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (no 18) le 17 septembre 2003 sur le statut juridique et les droits des migrants sans papiers, le point de vue selon lequel le jus cogens constitue non pas une catégorie juridique fermée, mais au contraire, une catégorie en évolution et en expansion (par. 65 à 73). En résumé, le jus cogens constitue
«une catégorie ouverte, il ne cesse de croître en réponse à la nécessité de protéger les droits inhérents à chaque être humain, et ce, en toute situation.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La notion de jus cogens en fait ne se limite pas au droit des traités, elle s’attache aussi au droit de la responsabilité internationale des Etats. ... à mon sens, c’est sous l’angle de la responsabilité internationale, élément essentiel du droit international (peut-être plus que sous l’angle du droit des traités), que le jus cogens révèle sa réelle dimension, vaste et profonde, qui englobe l’ensemble des actes juridiques (y compris les actes unilatéraux), et, de surcroît, a une incidence (par-delà le domaine de la
172 Voir notamment, parmi les sources de ces dernières décennies, A.Voir notamment, parmi les sources de ces dernières décennies, A. A. CançadoA. Cançado Trindade, Trindade, O Direito O Direito InternaciInternacional em um Mundo em Transformaçãoonal em um Mundo em Transformação, Rio de Janeiro, Ed. Renovar, 2002, p., Rio de Janeiro, Ed. Renovar, 2002, p. 10281028--1029, 10511029, 1051--1052 et 1052 et 10751075--1094 (valeurs universelles sous1094 (valeurs universelles sous--tendant le nouveau tendant le nouveau jus gentiumjus gentium, communes à l’ensemble de l’humanité et à tous les , communes à l’ensemble de l’humanité et à tous les êtres humains êtres humains  civitas maxima gentiumcivitas maxima gentium)) ; J.; J. Maritain, Maritain, Los Derechos del Hombre y la Ley NaturalLos Derechos del Hombre y la Ley Natural, Buenos Aires, , Buenos Aires, Ed.Ed. Leviatán, 1982 [réimpr.], p.Leviatán, 1982 [réimpr.], p. 7979--80, et voir p.80, et voir p. 104 (la personne humaine transcendant l’Etat et ayant une destinée 104 (la personne humaine transcendant l’Etat et ayant une destinée supérieure au temps). Voir également, entre autres, [ouvrage collecsupérieure au temps). Voir également, entre autres, [ouvrage collectif], tif], Droit naturel et droits de l’homme Droit naturel et droits de l’homme —— Actes des Actes des journées internationales de la société d’histoire du droitjournées internationales de la société d’histoire du droit (Grenoble(Grenoble--Vizille, mai 2009, dir. publ. M.Vizille, mai 2009, dir. publ. M. Mathieu), Presses Mathieu), Presses universitaires de Grenoble, 2011, p. 40universitaires de Grenoble, 2011, p. 40--43, 5243, 52--53, 33653, 336--337 et 342.337 et 342.
173 Voir A.Voir A. A.A. CanCançado Trindade, çado Trindade, Princípios do Direito Internacional ContemporâneoPrincípios do Direito Internacional Contemporâneo, 2, 2ee éd. rév., éd. rév., op.op. cit. supracit. supra notenote 1, p.1, p. 121121--209 et 447209 et 447--454.454.
174 A.A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, A Humanização do Direito InternacionalA Humanização do Direito Internacional, 2, 2ee éd. rév., éd. rév., op. cit. supraop. cit. supra notenote 171, p.171, p. 66--20, 20, 666666--676 et 761676 et 761--767767..
175 Voir A.Voir A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos HumanosTratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos, vol., vol. II, Porto II, Porto Alegre/Brésil, Ed. S. A. Fabris, 1999, p.Alegre/Brésil, Ed. S. A. Fabris, 1999, p. 415415--416.416.
176 S’agissant de l’extension du S’agissant de l’extension du jus cogensjus cogens à tous les actes juridiques possibles, voir, entre autres, Eà tous les actes juridiques possibles, voir, entre autres, E.. Suy, «Suy, «The The Concept of Jus Cogens in Public International LawConcept of Jus Cogens in Public International Law», », Rapports et travaux, Conférence sur le droit internationalRapports et travaux, Conférence sur le droit international (Lagonissi, Grèce, 3(Lagonissi, Grèce, 3--8 avril 1966), Genève, le C.E.I.P., 1967, p.8 avril 1966), Genève, le C.E.I.P., 1967, p. 1717--77.77.
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responsabilité de l’Etat) sur les fondements mêmes d’un droit international réellement universel.» (Par. 68 à 70.)
193. Pour sa part, la CIJ doit d’après moi mettre fin à son obsession du consentement de l’Etat (au point de l’appeler «principe»), afin de construire son propre édifice jurisprudentiel sur la question du jus cogens. Il y a huit ans, dans mon opinion dissidente jointe à l’arrêt rendu par la Cour le 1er avril 2011 sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), j’ai formulé la mise en garde suivante :
«Dans le présent arrêt, la Cour est complètement passée à côté de l’essentiel. Au lieu de cela, elle a choisi d’exalter comme d’habitude le consentement des Etats, qualifié (au paragraphe 110) «de principe fondamental du consentement». Je n’adhère pas du tout à ce point de vue car, à mes yeux, le consentement n’est pas «fondamental», et n’est même pas un «principe». Ce qui est «fondamental», autrement dit ce qui forme le fondement de la Cour depuis sa création, c’est l’impératif de la réalisation de la justice au moyen de la juridiction obligatoire. Le consentement des Etats n’est qu’une règle à respecter dans l’exercice de la juridiction obligatoire en vue de la réalisation de la justice. C’est un moyen et non une fin, c’est une exigence procédurale et non un élément d’interprétation des traités. Ce n’est en aucun cas l’un des prima principia.» (Par. 211.)
194. Je suis d’avis que les principes généraux du droit guident toutes les normes juridiques, qu’ils prédominent sur la «volonté» des Etats. Ils émanent, comme le jus cogens, de la conscience humaine, sauvant le droit international des écueils du volontarisme et de l’unilatéralisme des Etats, lesquels sont incompatibles avec les fondements d’un véritable ordre juridique international. Comme je le fais observer depuis des années, ces principes expriment l’idée d’une justice objective, et traduisent des valeurs supérieures communes qui peuvent répondre aux aspirations de l’humanité dans son ensemble177.
195. Leur pertinence devient évidente dans l’édification contemporaine d’un nouveau jus gentium universel, le droit international pour l’humanité178. Le jus cogens, bien en amont du jus dispositivum, existe et s’est étendu au profit des êtres humains et des peuples, et finalement de l’humanité179. Nous pouvons reconnaître ici la prévalence du jus necessarium sur le jus voluntarium, le jus cogens occupant une position centrale et se présentant comme l’expression juridique de la communauté internationale dans son ensemble180.
196. Même si la grande majorité des membres des professions juridiques de notre époque ne partagent pas cette vision, pour s’être accommodés du positivisme juridique, les quelques juristes qui prônent la doctrine juridique internationale la plus lucide se sont attachés à mieux faire comprendre les fondements mêmes du droit des gens. Ces juristes minoritaires ont dûment apprécié l’idée d’une justice objective, la primauté du jus cogens sur le consentement des Etats, la primauté
177 Voir A.Voir A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, Princípios do Direito InternaPrincípios do Direito Internacional Contemporâneocional Contemporâneo, 2, 2ee éd. rév., éd. rév., op.op. cit. supra cit. supra notenote 1, p.1, p. 447447--454.454.
178 A.A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, International Law for Humankind International Law for Humankind -- Towards a New Jus GentiumTowards a New Jus Gentium, 2, 2ee éd.éd. rév., rév., Leiden/La Haye, Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2013, p.Leiden/La Haye, Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2013, p. 11--726.726.
179 A.A. A.A. Cançado Trindade, Cançado Trindade, Jus CogensJus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content : The Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content in Contemporary International Casein Contemporary International Case--LawLaw, , op. cit. supraop. cit. supra notenote 143, p. 28143, p. 28--29.29.
180 Ibid.Ibid., p. 14 et 27, p. 14 et 27--28.28.
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de la conscience sur la «volonté». Ils ont embrassé cette cause  qui est la mienne  dans des milieux culturels distincts, dans le monde entier.
197. Pour ne citer que quelques exemples, d’abord en Extrême-Orient, le juriste chinois Li Haopei a reproché aux positivistes de vouloir asseoir le droit international strictement sur le consentement des Etats, prémisse chancelante qui verrait le droit international perdre toute efficacité dès que les Etats retiraient leur consentement. Il a en outre critiqué la tendance des positivistes à ignorer intentionnellement ou à minimiser la valeur des principes généraux du droit, et avancé que les normes impératives du droit international sont apparues pour conférer une dimension éthique et universelle au droit international et pour servir les intérêts communs de la communauté internationale dans son ensemble, voire l’humanité tout entière181.
198. Autre exemple, dans les Caraïbes, avec le juriste cubain M. A. D’Estéfano Pisani, pour qui la notion de jus cogens, enracinée dans le droit naturel, rend compte des acquis juridiques de l’humanité ; il a en outre appelé l’attention des Etats sur la nécessité de respecter des principes fondamentaux et des normes impératives qui privent de légitimité tout acte ou toute situation (que ce soit au titre du droit des traités ou du droit coutumier) incompatible avec eux182. Leurs positions sont justes, à mon avis : droit et éthique vont de pair, et c’est dans la pensée du jusnaturalisme que nous pouvons continuer à édifier un droit international réellement universel.
199. S’agissant de la jurisprudence internationale, la Cour a laissé passer une occasion historique et précieuse faire évoluer sa propre jurisprudence en matière de jus cogens dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. Contrastant avec la frilosité de la Cour, mon action en faveur d’une telle oeuvre jurisprudentielle et ma contribution à son édification ont été dûment reconnues dans la doctrine comme appelant l’attention sur le fait que le «jus cogens introduit une dimension éthique au nouveau jus gentium, soit le droit international pour l’humanité»183 et ainsi comme exprimant le paradigme universaliste et humaniste qui doit orienter le développement progressif du droit international, dans l’intérêt ultime de l’ensemble de la communauté internationale184.
200. Il est aujourd’hui impératif que la Cour précise sa pensée sur le jus cogens (sans se limiter aux obligations erga omnes) et sur les conséquences juridiques qui en découlent, en tenant compte du développement progressif du droit international. La Cour ne peut continuer de renvoyer simplement aux obligations erga omnes sans se pencher sur le jus cogens dont ces obligations sont originaires et en approfondir l’analyse. En outre, à mon sens, la situation des Chagossiens déplacés de force, envisagée dans une perspective intergénérationelle, doit être gardée soigneusement à l’esprit, compte tenu des résolutions successives de l’Assemblée générale qui sont passées en revue dans la présente opinion individuelle.
181 Li Haopei, «Jus Cogens and International Law», Li Haopei, «Jus Cogens and International Law», SeSelected Articles from Chinese Yearbook of International lected Articles from Chinese Yearbook of International LawLaw, Beijing/Chine, Société chinoise du droit international, 1983, p., Beijing/Chine, Société chinoise du droit international, 1983, p. 4747--48, 57, 59, 6148, 57, 59, 61--64 et 74.64 et 74.
182 M.M. A.A. D’EstéfanoD’Estéfano Pisani, Pisani, Derecho de TratadosDerecho de Tratados, 2, 2ee éd., La Havane/Cuba, Ed. éd., La Havane/Cuba, Ed. Pueblo y Educación, 1986 Pueblo y Educación, 1986 [r[réimpr.], p.éimpr.], p. 97 et 16597 et 165--166.166.
183 M.M. Saul, «Saul, «Identifying Jus Cogens NormsIdentifying Jus Cogens Norms : The Interaction of Scholars and International Judge: The Interaction of Scholars and International Judges», 5 s», 5 Asian Asian Journal of International LawJournal of International Law (2015) p.(2015) p. 3232--33, voir également p.33, voir également p. 3838 ; et, s’agissant de ma conceptualisation du droit ; et, s’agissant de ma conceptualisation du droit interninternational pour l’humanité, voir A. A. Cançado Trindade, ational pour l’humanité, voir A. A. Cançado Trindade, International Law for Humankind International Law for Humankind -- Towards a New Jus Towards a New Jus GentiumGentium, 2, 2ee éd. rév., Leiden/La Haye, Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2013, p. 1éd. rév., Leiden/La Haye, Nijhoff/Académie de droit international de La Haye, 2013, p. 1--726.726.
184 A. von Bogdandy et I.A. von Bogdandy et I. Venzke, Venzke, En Nombre deEn Nombre de QuiénQuién ?? -- Una Teoría de Derecho Público sobre la Actividad Una Teoría de Derecho Público sobre la Actividad Judicial InternacionalJudicial Internacional, Bogota, Universidad Externado de Colombia, 2016, p., Bogota, Universidad Externado de Colombia, 2016, p. 8080--81, 9881, 98--99 et 20799 et 207 ; A. von Bogdandy et ; A. von Bogdandy et I. Venzke, I. Venzke, In Whose NameIn Whose Name? ? -- A Public Law Theory of International AdjudicationA Public Law Theory of International Adjudication, , Oxford, Oxford University Press, 2016 Oxford, Oxford University Press, 2016 [rééd.], p. 48[rééd.], p. 48--49, 62 et 142.49, 62 et 142.
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XIII. LES DROITS DES PEUPLES AU-DELÀ DE LA STRICTE CONCEPTION INTERÉTATIQUE
201. En l’espèce, j’ai rappelé dès l’abord (voir section II supra) que la reconnaissance dès la première heure du droit fondamental à l’autodétermination par les Nations Unies, qui se sont attachées à le faire respecter, s’inscrivait dans le cadre des droits des peuples, à la lumière de la Charte des Nations Unies elle-même, attentive à ces droits. L’Organisation des Nations Unies, guidée par sa propre Charte, n’a eu de cesse, dès ses premières années d’existence, d’appuyer et de promouvoir les droits des peuples, transcendant la dimension traditionnelle interétatique.
202. Des antécédents historiques devaient être pris en compte, par exemple les systèmes de protection des minorités et de mandats qui existaient au temps de la Société des Nations, puis les territoires non autonomes et le régime de tutelle instaurés sous l’empire de la Charte des Nations Unies185. Je ne les évoque que brièvement ici, car ce point dépasse le cadre et la portée de la présente opinion individuelle.
203. Je voudrais ajouter que, même avant l’ère actuelle de la CIJ, sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), avait rendu des avis consultatifs sur des questions concernant les «communautés» (par exemple, son avis consultatif rendu sur la question des «communautés» gréco-bulgares, en 1930) ainsi que les «minorités» (par exemple, ses avis consultatifs rendus sur l’accès aux écoles minoritaires allemandes en Haute-Silésie, en 1931, le traitement des nationaux polonais à Dantzig, en 1932 et les écoles minoritaires en Albanie, en 1935)186.
204. En remontant le temps, nous constatons que les racines historiques de la sauvegarde des droits des peuples sont donc antérieures aux Nations Unies. Aujourd’hui, à l’ère moderne de la CIJ, il importe selon moi de souligner le fait que les participants à la présente procédure consultative de la Cour sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 ont mentionné et invoqué à plusieurs reprises les droits des peuples.
205. En raison de l’importance de la question, je me permets d’y revenir, pour ajouter quelques précisions. Dans un discours liminaire que j’ai prononcé lors d’une cérémonie tenue à l’Office des Nations Unies à Genève le 16 décembre 2009, à l’occasion de la reprise par les Nations Unies (à l’initiative de Cuba) du droit des peuples à la paix, je me suis exprimé sur la question, m’attardant notamment aux mentions et invocations des droits des peuples dans les procédures engagées devant la Cour187. J’y cite comme exemple les premières affaires relatives aux
185 Voir notamment, parmi les sources, A. A. Cançado Trindade, «Voir notamment, parmi les sources, A. A. Cançado Trindade, «Exhaustion of Local Remedies in International Exhaustion of Local Remedies in International Law Experiments Granting Procedural Status to Individuals in the First Half of tLaw Experiments Granting Procedural Status to Individuals in the First Half of the Twentieth Centuryhe Twentieth Century», 24 », 24 Netherlands Netherlands International Law ReviewInternational Law Review (1977) p. 373(1977) p. 373--392392 ; A.; A. M. deM. de Zayas, «Zayas, «The International Judicial Protection of Peoples and The International Judicial Protection of Peoples and MinoritiesMinorities», dans », dans Peoples and Minorities in International LawPeoples and Minorities in International Law (dir. publ. C.(dir. publ. C. Brölmann, R.Brölmann, R. Lefeber et M.Lefeber et M. Zieck), Zieck), Dordrecht, Nijhoff, 1993, p. 253Dordrecht, Nijhoff, 1993, p. 253--274 et 286274 et 286--287287 ; A.C. Zoller, «; A.C. Zoller, «International Representation of Peoples and MinoritiesInternational Representation of Peoples and Minorities», », ibid.ibid., p. 303, p. 303--307 et 309307 et 309--310.310.
186 Voir A. A. Cançado Trindade, «Voir A. A. Cançado Trindade, «A Century of International Justice and Prospects for the FutureA Century of International Justice and Prospects for the Future»», , A Century of A Century of International Justice and Prospects for the FutureInternational Justice and Prospects for the Future//Rétrospective d’un siècle de justice internationale et perspectives Rétrospective d’un siècle de justice internationale et perspectives d’avenird’avenir (dir. publ. A. A. Cançado Trindade et D.(dir. publ. A. A. Cançado Trindade et D. Spielmann), Ed. Oisterwijk Wolf. 2013, p. 3Spielmann), Ed. Oisterwijk Wolf. 2013, p. 3--6 et 126 et 12--13, en particulier l13, en particulier la a p.p. 44 ; C.; C. Brölmann, «Brölmann, «The PC.I.J. and International Rights of Groups and IndividualsThe PC.I.J. and International Rights of Groups and Individuals», », Legacies of the Permanent Court Legacies of the Permanent Court of International Justiceof International Justice (dir. publ. (dir. publ. C. J. Tams, M. Fitzmaurice et P.C. J. Tams, M. Fitzmaurice et P. Merkouris), Leiden, Nijhoff, 2013, p.Merkouris), Leiden, Nijhoff, 2013, p. 123123--143.143.
187 A. A. Cançado TriA. A. Cançado Trindade, «[Discours liminairendade, «[Discours liminaire : Certaines réflexions sur la justiciabilité du droit des peuples à : Certaines réflexions sur la justiciabilité du droit des peuples à la paix la paix –– Résumé]», ONU, Résumé]», ONU, rrapport du Hautapport du Haut--Commissariat sur les résultats de l’atelier sur le droit des peuples à la paix Commissariat sur les résultats de l’atelier sur le droit des peuples à la paix (2009), document A/HRC/14/38 du 17(2009), document A/HRC/14/38 du 17 mars mars 2010, p.2010, p. 99--11 (version abrégée)11 (version abrégée) ; A.; A. A.A. CançadoCançado Trindade, «Trindade, «Some Some Reflections on the Justiciability of the Peoples’ Right to Peace, on the Occasion of the Retaking of the Subject by the Reflections on the Justiciability of the Peoples’ Right to Peace, on the Occasion of the Retaking of the Subject by the United NationsUnited Nations», 11 », 11 Revista do Instituto Brasileiro de Direitos HumanosRevista do Instituto Brasileiro de Direitos Humanos (2011) p.(2011) p. 1515--29 (texte intégral).29 (texte intégral).
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Essais nucléaires (concernant les essais atmosphériques et opposant l’Australie et la Nouvelle-Zélande à la France, 1973-1974), où le droit des peuples de vivre en paix a été reconnu et affirmé devant la Cour.
206. Les exposés des parties, dans les phases écrite et orale de la procédure, revêtent une importance particulière, plus encore que l’issue comme telle des affaires. Par exemple, dans sa requête introductive d’instance (en date du 9 mai 1973), l’Australie a déclaré qu’elle prétendait protéger ses habitants et ceux d’autres nations, ainsi que leurs descendants, contre les risques affectant la vie, la santé et le bien-être qu’entraînait le rayonnement potentiellement nuisible généré par les retombées radioactives résultant des explosions nucléaires188. La Nouvelle-Zélande est allée encore plus loin dans sa propre requête introductive d’instance (également du 9 mai 1973189), indiquant clairement qu’elle plaidait non seulement au nom de son propre peuple, mais aussi au nom des peuples des îles Cook, Nioué et Tokélaou190.
207. Dans son mémoire sur la compétence et la recevabilité soumis le 29 octobre 1973, la Nouvelle-Zélande a en outre fait valoir que «les essais atmosphériques d’armes nucléaires suscit[aient] inévitablement de très vives inquiétudes et de très vifs ressentiments parmi les peuples et les gouvernements de la région où [avaient] lieu ces essais»191. Elle a rappelé ensuite dans sa demande en indication de mesures conservatoires introduite le 14 mai 1973 deux occurrences (en 1954 et 1961) de menace contre le droit des peuples de vivre en paix192. La Nouvelle-Zélande et l’Australie ont ainsi toutes deux, à bon droit, débordé le cadre traditionnel strictement interétatique de la procédure contentieuse de la Cour et revendiqué le droit des peuples à la santé, au bien-être, à être libérés de l’anxiété et de la peur, en somme, à vivre en paix.
208. Deux décennies plus tard, au milieu des années 1990, la question s’est de nouveau posée dans la deuxième série des affaires relatives aux Essais nucléaires (concernant les essais souterrains, Nouvelle-Zélande c. France, 1995). Bien que cette fois, le seul Etat requérant eusse été la Nouvelle-Zélande (avec le dépôt de sa demande le 21 août 1995), cinq autres Etats saisirent la Cour de requêtes à fin d’intervention : l’Australie, les Iles Salomon, la Micronésie, Samoa et les Iles Marshall193. Parmi eux, l’Australie fit valoir (le 23 août 1995) que le différend entre la Nouvelle-Zélande et la France soulevait la question du respect des obligations erga omnes (par. 18-20, 24, 25, 33 et 34).
209. Pour leur part, les Iles Salomon, la Micronésie, Samoa et les Iles Marshall, soulignant également la nécessité de respecter les obligations erga omnes (par. 20 et 25), ont affirmé, le 24 août 1995, qu’en tant qu’Etats membres du Forum du Pacifique Sud, ils s’étaient toujours opposés aux activités «liées aux armes nucléaires et à l’élimination des déchets nucléaires dans leur région, par exemple, en cherchant à établir et garantir son statut de zone dénucléarisée» (par. 5). Et d’ajouter :
188 Elle a en outre fait référence aux populations soumises à la tension nerveuse et à l’anxiété engendrées par la Elle a en outre fait référence aux populations soumises à la tension nerveuse et à l’anxiété engendrées par la peurpeur ; C.I.J., Affaires des ; C.I.J., Affaires des Essais nucléaires (Australie Essais nucléaires (Australie c.c. France, vol. I)France, vol. I) –– Mémoires, plaidoiries et documeMémoires, plaidoiries et documentsnts, p., p. 11 et 14.11 et 14.
189 C.I.J., Affaires des C.I.J., Affaires des Essais nucléaires (NouvelleEssais nucléaires (Nouvelle--Zélande Zélande c.c. France, vol. II) France, vol. II) –– Mémoires, plaidoiries et Mémoires, plaidoiries et documentsdocuments, p., p. 7.7.
190 Ibid.Ibid., p. 4 et 8., p. 4 et 8.
191 Ibid.Ibid., p. 211., p. 211.
192 Ibid.Ibid., p. 54., p. 54.
193 Aux termes de l’article 62 du Statut de la C.I.J.Aux termes de l’article 62 du Statut de la C.I.J.
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«Les cultures, les traditions et le bien-être des peuples des Etats du Pacifique Sud seraient affectés par la reprise des essais nucléaires français dans la région, d’une manière incompatible avec les normes juridiques applicables.» (Par. 25.)
210. D’autres exemples pertinents d’invocation des droits des peuples devant la CIJ peuvent ici être brièvement rappelés. Dans son arrêt du 22 décembre 1986 en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso c. Mali), la Chambre de la Cour, au moment d’indiquer le tracé de la frontière, tâche dont elle avait reçu le mandat des Parties (par. 148), a pris en considération leurs arguments, entre autres, concernant le mode de vie des populations vivant dans quatre villages de la région (articulé autour de l’élevage, de la culture des terres, des pâturages et de la pêche)194.
211. Pour citer un autre exemple survenu peu après, au cours de la procédure en l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), qui s’est étalée de 1988 à 1990, la Cour a pris acte des nombreux arguments évoquant les droits des peuples195 (notamment sur leurs ressources naturelles)196 et leur mode de vie197. Qui plus est, dans son avis consultatif du 16 octobre 1975 concernant le Sahara occidental, la Cour avait déjà utilisé l’expression «droit des peuples» (par. 55), au regard de l’application du «principe d’autodétermination» (par. 55 et 59).
212. Deux décennies plus tard, en l’affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), si la Cour a conclu dans son arrêt rendu le 30 juin 1995 qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur le différend (une décision qui a fait l’objet de nombreux débats d’experts), elle a néanmoins reconnu le droit des peuples à l’autodétermination (par. 29) et la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles (par. 33) et ajouté que «le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» avait été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour comme «un des principes essentiels du droit international contemporain» (par. 29).
213. Dans l’affaire relative au Timor oriental, cependant, la Cour n’a pas tiré les conséquences juridiques qui en découlaient. Attentive au cadre interétatique de sa procédure contentieuse, elle a pris en compte les prétendus intérêts d’un Etat tiers (qui n’avait même pas consenti à la juridiction de la Cour), en les tenant pour acquis (par l’application du «principe» dit de l’or monétaire), sans aucune cohérence et au détriment du peuple du Timor oriental. D’après moi, la leçon qu’il convient d’en tirer est que le mécanisme strictement interétatique et désuet de la procédure contentieuse de la Cour n’entrave pas et ne peut entraver le raisonnement de la Cour.
214. Lorsque l’affaire dont elle est saisie concerne les droits des peuples, comme dans les exemples précités, la Cour doit inéluctablement dépasser la dimension strictement interétatique dans son raisonnement ; autrement, justice ne peut être rendue. La nature des questions posées à la Cour exige un raisonnement autonome. J’ai eu l’occasion de m’attarder sur cette question dans mes opinions dissidentes successives en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (2015) et dans les trois affaires des Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (2016).
194 Par. 114Par. 114--116 et 124116 et 124--125.125.
195 C.I.J., affaire de C.I.J., affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c.c. AustralieAustralie, vol. I) , vol. I) –– Mémoires, plaidoiries et Mémoires, plaidoiries et documentsdocuments, p., p. 14, 16, 21, 87, 113 et 185.14, 16, 21, 87, 113 et 185.
196 Ibid.Ibid., p. 183 et 196., p. 183 et 196.
197 Ibid.Ibid., p. 113 et 117., p. 113 et 117.
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215. Ainsi, en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie, arrêt du 3 février 2015), j’ai formulé la mise en garde suivante :
«Contrairement à ce que les disciples contemporains de Jean Bodin et de Thomas Hobbes souhaitent peut-être continuer de penser, le Palais de la Paix à La Haye n’a pas été construit et inauguré il y a un siècle pour demeurer un sanctuaire de la souveraineté de l’Etat. Il était destiné à devenir un sanctuaire de la justice internationale, non de la souveraineté de l’Etat. Même si le mécanisme de règlement des affaires contentieuses par la PCIJ/ICJ est resté strictement interétatique, par la force de l’inertie mentale, la nature et l’objet de certaines affaires portées devant la Cour de La Haye au cours des neuf dernières décennies lui ont imposé d’aller au-delà des strictes perspectives interétatiques. Le caractère artificiel de cette conception reposant sur un dogme déjà ancien du passé a donc souvent été mis en évidence, et l’est de plus en plus.
Ces dernières années, la Cour a dû dépasser cette conception rigide dans un nombre croissant d’affaires contentieuses198. Il en a été de même dans les deux avis consultatifs qu’elle a donnés199. Il y a cinq ans, par exemple, dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à l’avis consultatif de la Cour concernant la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo (22 juillet 2010), il m’a semblé utile de mettre en garde contre les lacunes de la stricte conception interétatique (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 599, par. 191) et j’ai souligné qu’il était nécessaire, face à une crise humanitaire dans les Balkans, de s’intéresser en priorité aux personnes ou à la population concernée (ibid., par. 53, 65-66, 185 et 205-207), en appliquant une conception humaniste (ibid., par. 75-77 et 190) et à la lumière du principe d’humanité (ibid., par. 211).
La présente affaire relative à l’Application de la Convention sur le génocide montre une nouvelle fois, de manière encore plus convaincante, qu’il faut impérativement dépasser la conception interétatique dogmatique et stricte, et s’en éloigner. En effet, la convention de 1948 sur le génocide  adoptée à la veille de la Déclaration universelle des droits de l’homme  est non pas axée sur l’Etat, mais sur la personne. Elle ne peut pas être interprétée et appliquée correctement selon une conception stricte centrée sur l’Etat et donnant la priorité à la susceptibilité des États. C’est aux justiciables, aux victimes  réelles et potentielles  qu’il convient de continuer d’accorder la priorité pour rendre la justice en vertu de la convention sur le génocide.» (Par. 494-496.)
216. De même, dans les trois récentes opinions dissidentes que j’ai jointes aux trois arrêts rendus par la Cour le 5 octobre 2016 dans les affaires des Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire, j’ai jugé opportun de signaler, entre autres, que les conclusions présentées et les éléments avancés par les
198 Par exemple, l’affaire relative Par exemple, l’affaire relative à des à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c.c. Sénégal)Sénégal) (2009(2009--2012), ayant trait au principe de la compétence universelle en vertu de la convention des Nations2012), ayant trait au principe de la compétence universelle en vertu de la convention des Nations Unies Unies contre la torturecontre la torture ; l’affaire ; l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (RépuAhmadou Sadio Diallo (République de Guinée blique de Guinée c.c. République démocratique du Congo)République démocratique du Congo) (1998(1998--2012) concernant la détention et l’expulsion d’un étranger2012) concernant la détention et l’expulsion d’un étranger ; l’affaire relative aux ; l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne l’Etat (Allemagne c.c. ItalieItalie ; Grèce (intervenant)) ; Grèce (intervenant)) (2008(2008--2012)2012) ; l’affaire relati; l’affaire relative à l’ve à l’Application de la convention Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.c. Fédération de Russie)Fédération de Russie) (2008(2008--2011) l’affaire relative à la 2011) l’affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du 15Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du juin 1962 en l’affaire du TTemple de Préah Vihéar emple de Préah Vihéar (Cambodge (Cambodge c.c. Thaïlande)Thaïlande)(Cambodge (Cambodge c.c. Thaïlande) Thaïlande) (2011(2011--2013).2013).
199 Concernant la Concernant la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au KosovoKosovo (2010), et le (2010), et le Jugement nJugement noo 2867 du Tribunal administratif de 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail sur requête l’Organisation internationale du travail sur requête contre le Fonds international de développement agricolcontre le Fonds international de développement agricole (2012), respectivement.e (2012), respectivement.
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Parties aux litiges «sortaient du cadre strictement interétatique. Il est à mon sens indispensable, dans le domaine considéré ici, d’adopter une perspective qui, outre les Etats, englobe les peuples et l’humanité, qui ont lieu de craindre pour leur survie.» (Par. 295.)
217. Le présent avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, que la Cour vient de rendre aujourd’hui, donne une autre occasion d’affirmer la présence des droits des peuples, en particulier de leur droit à l’autodétermination. Cette fois-ci, contrairement à d’autres occasions, la Cour en a dûment tenu compte, même si d’autres points auraient aussi pu être abordés, comme je l’ai souligné dans la présente opinion individuelle. Je reviens maintenant sur l’un de ces points.
XIV. LES CONDITIONS DE VIE ET LA TRAGÉDIE DE LONGUE DATE QUE CONSTITUENT LES SOUFFRANCES INFLIGÉES À L’ÊTRE HUMAIN
218. Pour moi, le droit à la vie  des Chagossiens déplacés de force et de leurs descendants  comprend le droit à des conditions de vie dignes. En l’espèce, la représentante de la communauté Chagossienne (Mme M. Liseby Elysé) a fait la déclaration suivante devant la Cour à l’audience publique tenue le 3 septembre 2018 :
«Mon nom est Liseby Elysé. … Je fais partie de la délégation de Maurice. Je voudrais dire combien j’ai souffert depuis que j’ai été déracinée de mon île paradis. Je suis contente que la Cour internationale nous écoute aujourd’hui. Et je suis confiante que je retournerai sur l’île où je suis née. Aux Chagos, chaque personne avait une occupation, sa famille et sa culture. ... on ne manquait de rien. Aux Chagos, on vivait bien.
Mais, un jour, l’administrateur nous a annoncé que nous devions quitter notre île, quitter nos maisons et partir. Tout le monde était attristé. Nous étions en colère qu’on nous ait dit qu’il fallait partir. Mais on n’avait pas le choix. On ne nous a rien dit. ... Peu après, le navire Nordvaer est arrivé. L’administrateur nous a dit qu’il nous fallait embarquer, laisser nos bagages, laisser tout ce qu’on avait, prendre seulement nos vêtements et partir. Et pour cela, tout le monde était très en colère. Quand on a fait cela, on l’a fait dans le noir. On nous a embarqués dans le noir pour qu’on ne puisse pas voir notre île. ... On était comme des animaux, des esclaves dans ce bateau. On mourait de chagrin dans ce bateau.
Et moi, à cette époque, j’étais enceinte de quatre mois. Le bateau a mis quatre jours pour arriver à Maurice. Mais quand on est arrivé, mon enfant est mort à sa naissance. Je me demande pourquoi mon enfant est mort. J’ai été traumatisée dans ce bateau-là ... C’est à cause de cela que mon enfant est mort. Moi, je dis : il ne faut pas perdre l’espoir. Il nous faut garder l’espoir qu’un jour nous retournerons à notre terre natale. Mon coeur souffre et mon coeur est toujours attaché à l’île où je suis née.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Personne n’aimerait être enlevée de l’île où elle est née, être déracinée comme un animal. Cela fait mal au coeur. Et je maintiens que la justice doit être faite. Et je dois retourner dans mon île où je suis née...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et je suis encore très triste. je ne sais même pas comment je suis sortie des Chagos. On nous a fait partir par la force. Je suis très chagrinée et je verse des larmes
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tous les jours. Je dois retourner dans mon île. Je dis que je dois retourner dans l’île où je suis née. Et je dois mourir là-bas. Là où mes grands-parents ont été enterrés, sur l’île où nous sommes nés.»200
219. Au vu de ce témoignage, les leçons de F. Vitoria et B. de Las Casas (voir supra), après cinq siècles, restent d’actualité à notre époque ; les deux auteurs ont sondé les sources de la violence à l’égard des personnes, qui remontent bien plus loin dans le temps. On en trouve nombre d’exemples dans les tragédies de la Grèce antique d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, il y a des siècles de cela. Pour n’en citer qu’un, permettez-moi d’évoquer la tristesse exprimée par l’Hécube d’Euripide (vers 423 av. J.-C.) :
«Il ne faut pas que les souverains donnent des ordres injustes ; qu’ils ne pensent pas que leur prospérité soit inaltérable. Moi-même j’étais autrefois ; à présent je ne suis plus. Tout mon bonheur, un jour me l’a ravi.»201
220. De même, dans l’ouvrage d’Euripide Les suppliantes (vers 423 av. J.-C.), on trouve des expressions de la nécessité de connaître «les maux de l’humanité»202 ; en définitive, ceux qui infligent ces maux ne reconnaissent pas leur devoir envers les autres203. Il faut arrêter, mettre un terme à ces fatigues et vivre paisibles au milieu d’habitants paisibles (951), car en somme,
«La vie est courte ; il faut la traverser le plus facilement possible, et non dans les dangers.»204
221. Malgré la prise de conscience suscitée par cet avertissement, la tragédie humaine a persisté. Dans Les Troyennes d’Euripide (415 av. J.-C.), les lamentations de certains personnages, exprimées il y a pourtant quelque 25 siècles, semblent faire écho à celles des Chagossiens expulsés dans la présente affaire dont connaît la Cour ; l’un des personnages demande :
«Les Troyennes désespérées, prêtes à partir pour Argos, voudraient-elles incendier leur asile, et se dérober à la servitude en livrant leurs corps aux flammes ?»205
Un autre personnage dit : «Elle ne montera pas sur le même vaisseau que moi. … Arrivée à Argos, elle périra d’une mort misérable.»206 Et le choeur de se lamenter :
«Le nom même de cet empire disparaîtra : chacune de nous perd tour à tour ce qui lui fut cher, et déjà l’infortunée Troie n’est plus.»207
200 Transcription de la déclaration reproduite dansTranscription de la déclaration reproduite dans : C.I.J., CR 2018/20, du 3 septembre 2018, p.: C.I.J., CR 2018/20, du 3 septembre 2018, p. 7373--75.75.
201 Vers 281Vers 281--285.285.
202 VeVers 549.rs 549.
203 Vers 307Vers 307--309.309.
204 Vers 952Vers 952--953. En définitive, «le peuple953. En définitive, «le peuple ...... commande» (vers 405commande» (vers 405--406).406).
205 Vers 300Vers 300--302.302.
206 Vers 1053 et 1055Vers 1053 et 1055--1056.1056.
207 Vers 1322Vers 1322--1324.1324.
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222. Les souffrances infligées à l’être humain sont éternelles, comme le sont la présence du bien et du mal, partout. La tragédie n’a cessé d’être sondée au fil des siècles ; il s’est avéré qu’elle révélait, en tant que paradigme, en plus de son caractère inévitable, l’insécurité humaine et la cécité, ainsi que la nécessité de confronter la vérité ; l’attention devait se porter sur le sort des êtres humains, étant donné l’imperfection de la justice humaine208. Euripide était particulièrement sensible à la souffrance humaine et à la culpabilité des êtres humains, considérant l’inhumanité dont font preuve les individus les uns à l’égard des autres, et à la nécessité pour tous de travailler ensemble pour le bien commun.
223. Heureusement, quelques penseurs lucides ont été attentifs à cette nécessité au fil des siècles. Par exemple, au milieu du XXe siècle, l’historien Marc Bloch, tué pendant la Seconde Guerre mondiale (en 1944) par les nazis, a laissé à la postérité son ouvrage Apologie pour l’histoire, ou Métier d’historien, publié à titre posthume (en 1949) ; il contient une réflexion qu’il est utile de rappeler ici brièvement.
224. M. Bloch, par exemple, a critiqué l’approche positiviste de l’histoire, ayant souligné la nécessité d’aller au-delà de la simple observation des faits, à la recherche du réel et des valeurs ainsi que des leçons du passé, vu la persistance de la cruauté humaine209. Il en va de même pour l’histoire du droit210. Ayant éprouvé et conservé à l’esprit les profondes souffrances des deux guerres mondiales du XXe siècle, il insiste en outre dans son Apologie pour l’histoire sur la nécessité de rechercher ensemble le réel et la justice, faisant brièvement référence à la contemporanéité de l’Orestie d’Eschyle, dans son ensemble211.
225. A cet égard, permettez-moi d’ajouter que, dans l’Orestie d’Eschyle – qui est une trilogie composée des tragédies Agamemnon, les Choéphores et les Euménides créées en 458 avant J.-C. (deux ans avant la mort d’Eschyle) – face à la cruauté humaine, le contraste se manifeste entre vengeance et justice. L’espoir s’exprime dans le passage de la vengeance personnelle à l’institutionnalisation des litiges et des procès ; les quelques derniers vers d’Euménides indiquent clairement qu’il vaut mieux recourir à un procès devant jury qu’à la vengeance ou aux représailles, et le choeur de déclarer :
«Je repousse la fortune mauvaise qui frappe les hommes avant le temps. Accordez ... ô déesses ... vous qui avez cette puissance, justes démons qui hantez chaque demeure ... et qui, pour votre équité, êtes partout les plus honorées des dieux !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Que les citoyens n’aient qu’une même volonté, un même amour, une même haine. Ceci est le remède à tous les maux parmi les hommes.»212
208 Voir, entre autres, W. Kaufmann, Voir, entre autres, W. Kaufmann, Tragedy and PhilosophyTragedy and Philosophy [1968], Princeton, Princeton University Pr[1968], Princeton, Princeton University Press, 1992 ess, 1992 (rééd.), p. 115, 117, 120, 124, 126, 130(rééd.), p. 115, 117, 120, 124, 126, 130--133, 311 et 314133, 311 et 314--315.315.
209 M.M. Bloch, Bloch, Apologia da História, ou O Ofício do Historiador Apologia da História, ou O Ofício do Historiador [1949], Rio de Janeiro, Ed. [1949], Rio de Janeiro, Ed. Zahar, 2017 (rééd.), Zahar, 2017 (rééd.), p. 85, 107 et 123p. 85, 107 et 123--124.124.
210 Ibid.Ibid., p. 131 et 153., p. 131 et 153.
211 Ibid.Ibid., p. 122 et 124., p. 122 et 124.
212 VVers 956ers 956--957, 960, 963, 966 et 984957, 960, 963, 966 et 984--987.987.
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226. Au fil des siècles, les souffrances infligées par la cruauté humaine ont persisté, mais la conscience humaine s’est éveillée à la nécessité de rendre justice aux victimes. Les souffrances imposées par le colonialisme au cours des derniers siècles continuent aujourd’hui d’être étudiées213, avec une attention croissante, au nom de la préservation de la mémoire dans la recherche de la justice. Dans son témoignage sur la décolonisation, Frantz Fanon soulignait en 1958 que, depuis la conférence de Bandung trois ans plus tôt (voir supra), les pays afro-asiatiques émancipés, poussés par la solidarité, cherchaient à renforcer la «libération» des êtres humains, donnant naissance à «un nouvel humanisme»214 et contribuant de la sorte au «processus d’humanisation du monde»215.
227. La déclaration faite par la représentante de la communauté des Chagossiens (Mme M. Liseby Elysé) au cours de la présente procédure consultative de la Cour sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, que j’ai reproduite supra (par. 219), met en avant, à mon sens, le souci qu’avaient les tragédies de la Grèce antique de la douloureuse condition humaine aggravée par la violence et les souffrances infligées à l’être humain dont sont victimes les personnes vulnérables.
228. Déjà en leur temps, on reconnaissait les liens entre les vivants et les morts (par exemple, dans l’Antigone de Sophocle, vers 442 av. J.-C.), le droit de tous d’être enterrés ensemble, au même endroit, comme l’affirment ici les Chagossiens déplacés par la force. Pour les anciens tragédiens grecs, la mort étant inévitable, il importe de garder à l’esprit la condition humaine, en particulier dans les situations d’adversité. L’éternelle leçon demeure, l’impérieuse nécessité de respecter l’égalité en dignité de tous les êtres humains.
229. Au fil des ans, dans les opinions individuelles que j’ai rendues tant en qualité de membre de la CIJ que lorsque j’étais membre de la CIADH, il n’est pas rare que j’aie fait référence aux tragédies de la Grèce antique, comme je le fais derechef dans la présente opinion individuelle, face à la nécessité urgente de mettre un terme définitif au colonialisme indûment et injustement prolongé dans le temps. Les Nations Unies, comme je l’ai déjà souligné (voir les sections II et III supra), dès la première heure, dans les années 1950, se sont attachées à faire prévaloir le droit fondamental des peuples à l’autodétermination, consciente qu’elles étaient de la nécessité de mettre fin au colonialisme, pratique cruelle et odieuse dont la persistance équivaut aujourd’hui, selon moi, à une violation continue du jus cogens (voir supra).
230. Revenant à notre époque et à l’objet de la requête pour avis consultatif que l’Assemblée générale a soumise à la Cour, les Chagossiens expulsés de leur terre natale ont été abandonnés sur d’autres îles dans l’extrême pauvreté, dans des taudis et des prisons vides  dans une pauvreté chronique doublée d’une marginalisation ou d’une exclusion sociales qui ont même conduit à des suicides216. Dans mon opinion dissidente susmentionnée en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (2011),
213 Voir, entre autres, [auteurs multiples] Voir, entre autres, [auteurs multiples] Le livre noir du colonialisme XVILe livre noir du colonialisme XVIee--XXIXXIee sièclesiècle : de l’extermination à la : de l’extermination à la repentance repentance (éd. M.(éd. M. Ferro), Paris, Fayard/Pluriel, 2018 (rééd.), p. 9Ferro), Paris, Fayard/Pluriel, 2018 (rééd.), p. 9--1056.1056.
214 F. Fanon, F. Fanon, Oeuvres Oeuvres [1952[1952--11964], Paris, éd. La Découverte, 2017 (rééd.), p. 809964], Paris, éd. La Découverte, 2017 (rééd.), p. 809--810, 826810, 826--827 et827 et 835.835.
215 Ibid.Ibid., p. 828. , p. 828. –– Trois ans plus tard, en 1961, F. Fanon exprime avec luciditéTrois ans plus tard, en 1961, F. Fanon exprime avec lucidité : :
«Le combat victorieux d’un peuple ne consacre pas uniquement le triomphe de ses droits. Il procure à ce peuple densité, cohérence et homogénéité. Car le colonialisme n’a pas fait que dépersonnaliser le colonisé. Cette dépersonnalisation est ressentie également sur le plan collectif au niveau des structures sociales. Le peuple colonisé se trouve alors réduit à un ensemble d’individus qui ne tirent leur fondement que de la présence du colonisateur.» (Ibid., p. 660.)
216 Voir égalementVoir également : : Stealing a Nation Stealing a Nation -- A Special ReportA Special Report (par J.(par J. Pilger), ITV, 2004, p. 8Pilger), ITV, 2004, p. 8--9 (et le documentaire)9 (et le documentaire) ; ; J.J. Trinidad, Trinidad, SelfSelf--DeterminaDetermination in Disputed Colonial Territoriestion in Disputed Colonial Territories, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p., Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 84.84.
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après avoir maintenu que les principes fondamentaux d’égalité et de non-discrimination relèvent du jus cogens, j’ai soutenu217 :
«Les conditions de vie de la population sont devenues un sujet de préoccupation légitime pour la communauté internationale tout entière, ce qui se retrouve dans le jus gentium moderne, lequel n’est pas indifférent aux souffrances de la population.» (Par. 195.)
XV. L’OPINIO JURIS COMMUNIS DANS LES RÉSOLUTIONS DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
231. Il s’agit là d’un point essentiel, que l’Assemblée générale des Nations Unies gardera probablement à l’esprit, au regard des dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies, après la publication par la Cour aujourd’hui de son présent avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. En définitive, comme nous l’avons déjà évoqué dans la présente opinion individuelle, les résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies ont contribué considérablement à la reconnaissance universelle et à la consolidation du droit des peuples à l’autodétermination (voir supra).
232. Dans une perspective historique, cette contribution a été considérée comme l’une des plus importantes dans l’histoire des Nations Unies, apportant justice aux peuples dans la poursuite de l’universalisme et le respect de ses principes218. Les deux déclarations comprises respectivement dans les résolutions 1514 (XV), de 1960, et 2625 (XXV), de 1970 de l’Assemblée générale sont d’une importance capitale au vu de leur concours au développement progressif du droit international219.
233. D’autres résolutions sont également d’importance : par exemple, il n’est pas passé inaperçu que la résolution 2621 (XXV) de l’Assemblée générale, également de 1970, qualifiait la persistance du colonialisme de crime (en violation de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de 1960 et des principes du droit international) ; par la suite, la Charte des droits et devoirs économiques des Etats adoptée par l’ONU en 1974 a précisé que la pratique continue du colonialisme emportait un devoir de restitution et d’indemnisation intégrale, ainsi que le devoir de libérer un territoire occupé par la force (article 16) (voir la section XVI infra)220.
234. Au cours de la présente procédure consultative devant la Cour, plusieurs participants ont souligné l’incompatibilité du détachement des Chagos de Maurice et du déplacement forcé des Chagossiens entre 1967 et 1973 avec les résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies [les résolutions 1514 (XV), 2066 (XX), 2232 (XXI) et 2357 (XXII)]. L’Inde l’a
217 Pour une étude de la question, on pourra consulter A.A. Cançado Trindade, Pour une étude de la question, on pourra consulter A.A. Cançado Trindade, El Principio Básico de Igualdad y El Principio Básico de Igualdad y NoNo--Discriminación: Construcción JurisprudencialDiscriminación: Construcción Jurisprudencial, Santia, Santiago du Chili, Ed. go du Chili, Ed. LibrotecniaLibrotecnia, 2013, p. 39, 2013, p. 39--748.748.
218 Voir par exemple, D. Uribe Vargas, Voir par exemple, D. Uribe Vargas, La Paz es una Trégua La Paz es una Trégua -- Solución Pacífica de Conflictos InternacionalesSolución Pacífica de Conflictos Internacionales, , 33ee éd., Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, 1999, p. 120éd., Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, 1999, p. 120 ; voir également p.; voir également p. 112.112.
219 Elles ont Elles ont été rapidement examinées du point de vue de leur caractère déclaratoire et législatif, conformément à été rapidement examinées du point de vue de leur caractère déclaratoire et législatif, conformément à une vision universaliste de la «communauté internationale organisée»une vision universaliste de la «communauté internationale organisée» ; voir, par exemple, G. Arangio; voir, par exemple, G. Arangio--Ruiz, Ruiz, The United The United Nations Declaration on Friendly RelaNations Declaration on Friendly Relations and the System of the Sources of International Lawtions and the System of the Sources of International Law, Alphen aan den Rijn, , Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1979, p.Sijthoff & Noordhoff, 1979, p. 11--301, plus particulièrement aux p. 131301, plus particulièrement aux p. 131--142 (sur l’autodétermination).142 (sur l’autodétermination).
220 A. Remiro Brotóns, A. Remiro Brotóns, Derecho Internacional Público Derecho Internacional Público -- II : Principios Fundame: Principios Fundamentalesntales, Madrid, Tecnos, 1983 , Madrid, Tecnos, 1983 (rééd.), p.(rééd.), p. 130 et 134.130 et 134.
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soulevé dans son exposé écrit (par. 36 à 43 et 53), où elle appelle le Royaume-Uni à rectifier cette situation persistante non conforme au droit international (par. 62 et 65).
235. De même, Cuba a déclaré dans son exposé écrit que cette situation était contraire aux résolutions susmentionnées de l’Assemblée générale des Nations Unies et a invoqué le jus cogens à l’appui du respect de ces dernières (p. 1 et 2). Le Brésil a rappelé dans sa déclaration écrite la pertinence de la mise en garde formulée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2066 (XX) contre le détachement des Chagos de Maurice (par. 22). Dans le même ordre d’idées, le Guatemala, dans son exposé écrit, a soutenu que la situation actuelle de l’archipel des Chagos demeurait un fait illicite ayant un caractère continu auquel le Royaume-Uni devait mettre fin pour que la décolonisation de Maurice puisse être complète (par. 36).
236. Pour sa part, la Chine a attiré l’attention, dans son exposé écrit, sur l’importance pour la décolonisation de Maurice de la fonction de l’Assemblée générale des Nations Unies, comme en témoignent ses diverses résolutions sur la question ; si les circonstances l’exigent, a-t-elle ajouté, l’Assemblée générale peut demander conseil à la Cour sur les questions liées à la décolonisation (par. 5, 6, 9, 11, 16 et 17). Après avoir rappelé l’importance de l’autodétermination des peuples, affirmée dans la résolution 1514 (XV) et les résolutions ultérieures de l’Assemblée générale (telles que la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 (par. 7, 8 et 13), elle a également appelé l’attention sur le fait qu’elle continue d’apporter son soutien au processus historique de décolonisation entrepris par un grand nombre de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (par. 6, 12, 13, 18 et 19).
237. D’après l’Union africaine, dans ses observations écrites, il s’agit dans la présente requête pour avis consultatif que l’Assemblée générale a soumise à la Cour de la constatation de la manière dont la violation par l’autorité administrante de l’intégrité territoriale affecte l’exercice du droit à l’autodétermination (par. 51). Dans son exposé oral, l’Union africaine a évoqué tout d’abord les résolutions de l’Assemblée générale, dont la résolution 2066 (XX), où il a été déterminé que la séparation de l’archipel des Chagos constitue une violation du droit international (par. 158, 160 et 161), puis les résolutions de l’ancienne Organisation de l’Unité africaine, se déclarant préoccupée par le détachement unilatéral de l’archipel des Chagos de Maurice et la situation de l’île Diego Garcia (par. 176 et 177)221.
238. Maurice a de même invoqué, dans son exposé oral, les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale [2066 (XX), 2232 (XXI) et 2357 (XXII)] et les résolutions et décisions de l’ancienne Organisation de l’Unité africaine et de l’Union africaine, pour mettre fin à l’occupation illégale de l’archipel des Chagos, le restituer à Maurice et mener à bonne fin le processus de décolonisation (par. 2.41, 4.23 à 4.44 et 7.3). A ce propos, le Liechtenstein a souligné dans son exposé écrit le rôle reconnu à l’Assemblée générale des Nations Unies de guider la décolonisation (par. 16 et 17).
239. Dans son exposé écrit, l’Afrique du Sud s’est penchée sur les effets de la violation de l’intégrité territoriale en cause sur les droits de l’homme. L’Afrique du Sud a dit se rallier à la Cour européenne des droits de l’homme qui a estimé dans son arrêt du 10 mai 2001 en l’affaire Chypre c. Turquie, que le déplacement forcé de personnes constituait une violation continue du droit international des droits de l’homme (par. 80 à 84). D’autres exposés oraux abondent dans le même sens.
221 Organisation de l’Unité africaine, résolutions AHG/Res. Organisation de l’Unité africaine, résolutions AHG/Res. 99 (1980) et AHG/Res. 159 (2000).99 (1980) et AHG/Res. 159 (2000).
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240. Par exemple, Chypre a abordé dans son exposé écrit l’intérêt direct et le rôle de l’Assemblée générale des Nations Unies dans le processus de décolonisation en cause, le caractère jus cogens du droit à l’autodétermination et la nature erga omnes des obligations relatives à l’autodétermination (par. 26 et 27). Enfin, la Namibie a ajouté, dans son exposé écrit, que le droit «fermement établi» à l’autodétermination (y compris dans les travaux des Nations Unies en matière de décolonisation) exige le «consentement libre et véritable» de la population concernée, exprimé à l’occasion d’un référendum ou plébiscite, s’agissant de déterminer l’avenir du pays (p. 2).
XVI. LE DEVOIR D’ACCORDER RÉPARATION POUR LES VIOLATIONS DU DROIT DES PEUPLES À L’AUTODÉTERMINATION
1. La dimension temporelle
241. Une autre question clé, à laquelle je m’arrête maintenant, a été dûment abordée par certains participants au cours de la présente procédure consultative, à savoir celle du devoir d’accorder des réparations aux peuples privés de leurs moyens de subsistance, d’autodétermination et de développement, et qui, partant, ont droit à une indemnisation juste et équitable. Permettez-moi tout d’abord d’observer que c’est dans une perspective historique qu’il convient de traiter la question. Il convient de se rappeler qu’en dépit des innombrables abus et atrocités perpétrés tout au long du XXe siècle et au début du XXIe siècle à l’encontre de millions d’individus, la pensée humaniste n’a jamais faibli et continue de s’épanouir dans l’espoir d’un avenir meilleur.
242. En est un exemple l’affirmation, peu après la Seconde Guerre mondiale, du «personnalisme» juridique (entre autres dans les écrits d’Emmanuel Mounier, en 1949 et1950), qui vise à rendre justice à l’individualité de la personne humaine, à sa vie intérieure, et à la nécessité de la transcendance (à partir de sa propre expérience de la vie)222. Dans un monde de violence sur fond d’abus de langage, certains parvinrent malgré tout à conserver leur lucidité. Je me suis déjà attardé sur le sujet :
«Cette tendance de la pensée humaniste, ainsi que d’autres, presque tombées dans l’oubli à notre époque agitée (et en tout cas assurément chez les juristes), demeurent, à mon sens, d’une aide précieuse pour le développement du régime de réparation des dommages moraux causés à la personne humaine.»223
243. A cet égard, permettez-moi de rappeler ici que la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones susmentionnée, qui figure dans la résolution 61/295 de l’Assemblée générale du 13 septembre 2007 (voir la section VII supra), renferme un certain nombre de dispositions relatives au devoir de réparation pour les dommages subis au titre du droit des peuples à l’autodétermination (articles 8, 10,11, 20, 28 et 32). Ces dispositions prévoient qu’une réparation juste et équitable est due lorsque : a) des personnes sont dépossédées de leurs terres, territoires ou ressources224 ; b) des personnes sont privées de leurs valeurs culturelles225 ; c) des personnes sont soumises à des transferts forcés de population en violation de leurs droits226 ; d) des personnes sont
222 Voir E. Mounier, Voir E. Mounier, O Personalismo O Personalismo [1949[1949--1950], trad., 171950], trad., 17ee éd., Lisbon, Ed. Texto & Grafia, 2010, p.éd., Lisbon, Ed. Texto & Grafia, 2010, p. 29, 50, 10429, 50, 104 et 130et 130--131.131.
223 A. A. Cançado Trindade, «A. A. Cançado Trindade, «Genesis and Evolution of the State’s Duty to Provide Reparation for Damages to Genesis and Evolution of the State’s Duty to Provide Reparation for Damages to Rights Inherent to the Human PersonRights Inherent to the Human Person», », L’homme et le droit L’homme et le droit  En hommage au En hommage au pprofesseur Jeanrofesseur Jean--François FlaussFrançois Flauss (dir.(dir. publ. publ. E. Lambert AbdelgawE. Lambert Abdelgawad et autres), Paris, Pad et autres), Paris, Peedone, 2014, p. 176.done, 2014, p. 176.
224 Art. 8, par. 2, al. Art. 8, par. 2, al. b)b)..
225 Art. 8, par. 2, al. Art. 8, par. 2, al. a)a)..
226 Art. 8, par.Art. 8, par. 2, al.2, al. c)c) et art. 28, par.et art. 28, par. 1 et 2.1 et 2.
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privées de leurs moyens de subsistance ou de développement227, ou subissent des effets néfastes228. La déclaration fait expressément mention de réparations sous différentes formes, notamment la restitution229 ou, lorsque cela n’est pas possible, une indemnisation juste, correcte et équitable230, ou une autre réparation appropriée231.
2. La réaffirmation du devoir d’accorder réparation dans la présente procédure consultative
244. Il est rassurant qu’a cours de la présente procédure consultative devant la Cour sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, plusieurs participants aient abordé explicitement la question du droit à réparation, en soulignant qu’il est indispensable d’offrir une réparation adéquate. Des formes distinctes de réparation ont été mises de l’avant, dont le restituo in integrum, l’indemnisation et la satisfaction.
245. Dans son exposé écrit, l’Union africaine a fait valoir son point de vue selon lequel il y a en l’espèce une obligation de réparation intégrale, emportant «la restitution complète de cet archipel à Maurice», comme l’expriment ses propres résolutions et décisions ainsi que celles de l’Organisation de l’Unité africaine ; elle a ajouté que le Royaume-Uni doit «mettre immédiatement fin à son occupation illégale de l’archipel des Chagos» et en faciliter «la rétrocession immédiate et inconditionnelle», «y compris Diego García», à Maurice232.
246. Selon l’Union africaine, il arrive que la restitution doive être accompagnée d’une indemnisation, comme l’a expressément souligné la Cour elle-même dans son avis consultatif (par. 153) sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé donné le 9 juillet 2004)233. L’Union africaine a également fait valoir que «la violation du droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles», en tant que «principe du droit international coutumier» inscrit dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 1803 (XVII) du 14 décembre 1962, a probablement «causé un préjudice réparable»234, à l’égard duquel Maurice et son peuple devraient obtenir compensation à titre de réparation du préjudice souffert en raison de la décolonisation inachevée du pays et du maintien de l’administration illégale de l’archipel des Chagos235.
247. L’Union africaine a ensuite observé qu’une simple mesure de réinstallation «ne suffirait pas à réparer les dommages causés aux Chagossiens et à leurs biens» du fait de leur déplacement de l’archipel et, plus tard, de l’interdiction d’y retourner. D’où la nécessité d’accorder aux Chagossiens «[u]ne mesure supplémentaire d’indemnisation, couvrant à la fois le préjudice
227 Art. 20.Art. 20.
228 Art. 32 (les effets néfastes de toute nature, tels que «effets néfastes sur les plans environnemeArt. 32 (les effets néfastes de toute nature, tels que «effets néfastes sur les plans environnemental, économique, ntal, économique, social, culturel ou spirituel»).social, culturel ou spirituel»).
229 Art. 11 et art. 28, par. 1.Art. 11 et art. 28, par. 1.
230 Art. 10 et art. 28, par.Art. 10 et art. 28, par. 1 et 2.1 et 2.
231 Art. 8, par.Art. 8, par. 2, art. 11, par.2, art. 11, par. 2, art. 20, par.2, art. 20, par. 2, art. 28, par.2, art. 28, par. 2 et art. 32, par.2 et art. 32, par. 3.3.
232 C.I.J., exposé écrit de l’Union africaine, par. 23C.I.J., exposé écrit de l’Union africaine, par. 238.8.
233 Ibid.Ibid., par. 239 et 241. L’Union africaine renvoie également à l’arrêt rendu par la Cour (fond, du 30, par. 239 et 241. L’Union africaine renvoie également à l’arrêt rendu par la Cour (fond, du 30 novembre novembre 2010) en l’affaire 2010) en l’affaire DialloDiallo ; ; ibid.ibid., par. 240., par. 240.
234 Ibid.Ibid., par. 242, par. 242 ; dans ce paragraphe, l’Union africaine renvoie également à la résolution de l; dans ce paragraphe, l’Union africaine renvoie également à la résolution de l’Assemblée ’Assemblée générale 3175 (XXVIII) du 17générale 3175 (XXVIII) du 17 décembre 1973, relative à la décembre 1973, relative à la Souveraineté permanente sur les ressources naturellesSouveraineté permanente sur les ressources naturelles..
235 Ibid.Ibid., par. 243., par. 243.
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matériel et moral subi», conformément à un principe reconnu par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (dans un arrêt sur les réparations rendu le 5 juin 2015)236.
248. L’Union africaine a en outre rappelé que la Charte des droits et devoirs économiques des Etats de 1974, comprise dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 3281 (XXIX) du 12 décembre 1974, dispose que les Etats pratiquant des politiques de coercition comme le colonialisme sont «économiquement responsables» envers les pays et peuples en cause (article 16). Elle a ajouté que si le préjudice subi par les Chagossiens n’était pas entièrement réparé par ces moyens, il pourrait être nécessaire de prévoir une forme appropriée de satisfaction237.
249. En outre, dans son exposé oral, l’Union africaine a souligné que toutes les conséquences juridiques (à commencer par celles pour le Royaume-Uni) découlant du processus illégal de décolonisation devraient être tirées, en particulier les réparations auxquelles ont droit les Chagossiens238, au vu de «la présence continue et illicite du Royaume-Uni sur l’archipel des Chagos», les «préoccupations militaires» du Royaume-Uni et des Etats-Unis affectant le droit au développement du peuple de Maurice239.
250. Pour sa part, Maurice, dans ses observations écrites (sur les autres exposés écrits), a soutenu que le Royaume-Uni avait l’obligation de «faire cesser sans délai» la «situation illicite» actuelle, qui n’était «pas tenable», et d’accorder «à Maurice une réparation intégrale du préjudice causé»240. Maurice a ajouté que le Royaume-Uni est tenu, en vertu du droit international général, de «procéder à une restitutio in integrum en restituant l’archipel des Chagos à Maurice» et d’octroyer une indemnisation tenant compte du préjudice matériel tout autant que moral subi par le peuple mauricien241, en plus de la satisfaction sous forme d’une déclaration de la Cour selon laquelle le Royaume-Uni a manqué à ses obligations internationales à l’égard de Maurice et de son peuple, en particulier la population d’origine chagossienne242.
251. Dans son exposé oral, le Nicaragua a affirmé que dès lors que le Royaume-Uni n’avait pas mené à bien le processus de décolonisation de Maurice, il avait désormais l’obligation de conduire le processus de décolonisation de Maurice à son terme en lui retournant l’archipel des Chagos et en réparant tout préjudice causé par l’occupation prolongée243. A titre de réparations, Maurice devrait se voir offrir les moyens «de mener sur l’archipel des Chagos un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne» ; le Nicaragua a ensuite ajouté que le Royaume-Uni devrait, après plus de 50 ans de cette occupation des Chagos, dès que possible mettre fin à cette occupation coloniale prolongée244.
252. Pour sa part, le Belize, dans son exposé oral, a de même fait valoir que le Royaume-Uni, Etat administrant, ayant maintenu la séparation de l’archipel des Chagos de
236 Ibid.Ibid., par. 244., par. 244.
237 Ibid.Ibid., par. 246., par. 246.
238 Exposé oral de l’Union africaine, C.I.J., CRExposé oral de l’Union africaine, C.I.J., CR 2018/24, p. 272018/24, p. 27--28, par. 2228, par. 22--223.3.
239 Ibid.Ibid., p. 28, par. 25., p. 28, par. 25.
240 C.I.J., observations écrites de Maurice, par. 237.C.I.J., observations écrites de Maurice, par. 237.
241 Ibid.Ibid., par. 238, al. , par. 238, al. e)e) iiiiii--iv).iv).
242 Ibid.Ibid., par. 251., par. 251.
243 Exposé oraExposé oral du Nicaragua, C.I.J., CR 2018/25, p. 47, par.l du Nicaragua, C.I.J., CR 2018/25, p. 47, par. 65.65.
244 Ibid.Ibid., p. 47, p. 47--48, par. 65.48, par. 65.
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Maurice, avait l’obligation «de cesser immédiatement son comportement internationalement illicite et de réparer la violation» afin de rétablir l’intégrité territoriale de Maurice245. Selon lui, l’Etat administrant était resté responsable de ce «fait internationalement illicite» et il avait l’obligation «de rétablir l’intégrité territoriale de Maurice telle qu’elle était immédiatement avant le début de la violation du droit international en 1965»246.
253. L’Afrique du Sud a affirmé, dans son exposé écrit, qu’en conséquence de «l’inachèvement de la décolonisation de Maurice», l’Etat responsable était tenu, pour avoir ainsi enfreint une obligation internationale, d’accorder des «réparations appropriées» pour le préjudice subi par «Maurice et par la population chagossiennne» à raison des violations du droit international247. L’Afrique du Sud a ajouté que dans les cas où le préjudice comportait la «violation grave d’une norme impérative du droit international (jus cogens), comme le maintien du colonialisme par la force en violation du droit à l’autodétermination garanti par le jus cogens», ce préjudice «[pouvait] être considéré comme un préjudice extraordinaire»248.
254. Dans leur exposé écrit, les Seychelles, pour leur part, ont dénoncé le fait que, «[d]ans le cadre de leur expulsion et de leur réinstallation, les Chagossiens des Seychelles ont dû faire face à de multiples affronts, au mépris de leurs droits fondamentaux» ; elles ont jugé qu’il «[convenait] de souligner que la communauté chagossienne des Seychelles ne [s’était] jamais vu octroyer aucune indemnisation, contrairement aux Chagossiens réinstallés dans d’autres Etats»249. Les Seychelles ont alors demandé que «les inquiétudes légitimes de cette communauté soient pris[es] en considération»250.
255. Permettez-moi d’ajouter que d’autres participants (par exemple la Namibie, l’Argentine, le Brésil, le Kenya et la Serbie) ont également fait valoir que le Royaume-Uni doit sans délai mettre en oeuvre un programme de réinstallation des Chagossiens dans l’archipel des Chagos, sans toutefois qualifier expressément ce programme de mesures de réparation251. Pour autant, il convient de garder à l’esprit que la réinstallation des Chagossiens dans l’archipel des Chagos est directement liée à la restitutio in integrum en tant que forme de réparation.
3. Le tout indissoluble formé par la violation du droit et le devoir de prompte réparation
256. A mon avis, accorder aux victimes une réparation appropriée est à l’évidence nécessaire et inéluctable ici. Comme nous venons de le voir, cette question a suscité beaucoup d’attention et a été étudiée attentivement par certains participants à la présente procédure consultative devant la Cour. A mes yeux, rien ne justifie que la Cour n’ait pas traité dans le présent avis consultatif de la question du droit à réparation, sous ses formes distinctes, pour les personnes expulsées par la force des Chagos et leurs descendants.
245 Exposé oral du Belize, C.I.Exposé oral du Belize, C.I.J., CR 2018/23, p. 22J., CR 2018/23, p. 22--23, par.23, par. 62, al.62, al. e)e)..
246 Ibid.Ibid., p. 22, p. 22--23, par. 62, al. 23, par. 62, al. a)a), , b)b) et et ee).).
247 C.I.J., C.I.J., exposé écriexposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 92t de l’Afrique du Sud, par. 92 ; voir également par. 87.; voir également par. 87.
248 Ibid.Ibid., par. 88., par. 88.
249 Exposé écritExposé écrit des Seychelles, par. 5.des Seychelles, par. 5.
250 Ibid.Ibid., par. 6., par. 6.
251 VoirVoir : : exposéexposé écritécrit de la Namibie, p.de la Namibie, p. 44 ; e; exposé écritxposé écrit de l’Argentine, par. 68de l’Argentine, par. 68 ; e; exposé oralxposé oral du Brésil, C.I.J., du Brésil, C.I.J., CRCR 2018/23, p.2018/23, p. 45, par. 1845, par. 18 ; e; exposé oralxposé oral du Kenya, C.I.J., CR 2018/25, p. 33, par.du Kenya, C.I.J., CR 2018/25, p. 33, par. 4949 ; o; observations écritesbservations écrites de Singapour, de Singapour, par.par. 50.50.
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257. Et ce d’autant que la Cour a pris la juste mesure, dans le présent avis consultatif, des violations commises par la «puissance administrante», le Royaume-Uni, lorsque celui-ci a détaché l’archipel des Chagos sans consulter la population locale et au mépris de l’intégrité territoriale de Maurice (par. 172-173), comme le soulignent les résolutions successives de l’Assemblée générale des Nations Unies.
258. Cela a conduit la Cour à affirmer (au paragraphe 177), également à bon droit, que «le maintien de l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni constitu[ait] un fait illicite qui engag[eait] la responsabilité internationale de cet Etat». Et de poursuivre, au paragraphe 178 :
«Dès lors, le Royaume-Uni est tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos, ce qui permettra à Maurice d’achever la décolonisation de son territoire dans le respect du droit des peuples à l’autodétermination.»
Concluant sur ce point, la Cour a répété que «le Royaume-Uni [était] tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos» ajoutant que «tous les Etats Membres [étaient] tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice» (par. 182).
259. La Cour a donc répondu ici aux deux questions figurant dans la requête pour avis consultatif soumise par l’Assemblée générale (voir supra). Cependant, ses réponses sont incomplètes dans la mesure où elle n’a traité ni de la violation du jus cogens, ni de la juste réparation (sous ses différentes formes) à accorder aux victimes. J’ai maintes fois soutenu, en tant que membre de la Cour, que la violation d’un droit et le devoir de prompte réparation formaient un tout indissoluble ; l’obligation de réparation ne saurait être méconnue.
260. Par exemple, dans mon opinion individuelle jointe à l’ordonnance de la Cour rendue le 6 décembre 2016 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), après avoir observé que les violations et la réparation formaient un tout indissoluble (par. 10-19), j’ai expliqué ce qui suit :
«A mon sens, violation et réparation ne peuvent être dissociées dans le temps, celle-ci devant permettre de faire rapidement cesser tous les effets de celle-là. On ne saurait laisser les conséquences néfastes d’un fait illicite se prolonger indéfiniment sans que les victimes n’obtiennent réparation. L’obligation y afférente ... [e]n tant qu’obligation fondamentale, ... prend naissance au moment même où est commise la violation, et doit être honorée rapidement en vue d’éviter toute aggravation du dommage déjà causé et de restaurer l’intégrité de l’ordre juridique.
Cette obligation revêt par conséquent une importance fondamentale, surtout si, comme moi, l’on choisit de mettre l’accent avant tout sur les victimes. Le tout indissoluble formé par la violation et la réparation ne peut en aucun cas être mis à mal par une prolongation indue et indéfinie de la procédure…» (Par. 21 et 22.)
261. Plus récemment, il y a un an, en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (indemnisation due par le Nicaragua au Costa Rica), j’ai joint à l’arrêt de la Cour rendu le 2 février 2018 une longue opinion individuelle dans laquelle j’ai fait observer, entre autres, aux paragraphes 12 à 16 :
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«La réparation va effectivement de pair avec la violation, de sorte qu’il soit mis fin à l’ensemble des effets de cette dernière et que l’ordre juridique soit respecté. La violation initiale est inéluctablement liée au prompt respect de l’obligation de réparation. J’ai déjà défendu cette position à la Cour (comme, par exemple, dans l’exposé de mon opinion dissidente en l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt du 3 février 2012).
Par la suite, dans ma déclaration qui a été jointe à l’ordonnance que la Cour a rendue le 1er juillet 2015 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), j’ai de nouveau indiqué que la violation et la prompte réparation, qui forment de fait un tout indissociable, n’étaient pas séparées dans le temps. Toute violation doit être promptement suivie de la réparation correspondante, afin de garantir l’intégrité de l’ordre juridique international lui-même ; la réparation ne peut être ni retardée ni ajournée.
Ainsi que le montrent les affaires ayant trait à des dommages causés à l’environnement, le tout indissociable que forment la violation et la réparation a une dimension temporelle dont il ne saurait être fait abstraction. Il est, à mon avis, indispensable d’envisager à la fois le passé, le présent et l’avenir. La quête de la restitutio in integrum, par exemple, nécessite de se tourner vers le présent et le passé, tout autant que vers le présent et l’avenir. S’agissant des dimensions passée et présente, si la violation n’a pas été couplée à la réparation correspondante, cela donne lieu à une situation continue de violation du droit international.
Pour ce qui est des dimensions présente et future, la réparation vise à mettre fin à tous les effets cumulés, au fil du temps, du dommage causé à l’environnement. Il peut arriver que ce dommage soit irréparable, rendant la restitutio in integrum impossible, auquel cas l’indemnisation trouve à s’appliquer. En tout état de cause, la responsabilité à raison de dommages causés à l’environnement et de leur réparation ne saurait, de mon point de vue, occulter la dimension intertemporelle ... Pareils dommages s’inscrivent, en définitive, dans la durée...
La violation et le prompt respect du devoir de réparation formant un tout indissociable, il s’ensuit que ladite obligation est, selon moi, véritablement fondamentale et non simplement “secondaireˮ, comme beaucoup le supposent de façon simpliste. Ainsi que je l’avais déjà souligné dans l’exposé de mon opinion individuelle qui a été jointe à l’arrêt rendu par la Cour dans la précédente affaire portant sur des réparations, à savoir l’affaire A.S. Diallo (Guinée c. République démocratique du Congo, indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I)), le devoir de réparation est réellement fondamental et revêt une importance cruciale puisqu’il constitue un «impératif de justice».» (Par. 97.)
262. J’ai également postulé, dans cette opinion individuelle, que l’examen de la question des réparations ne pouvait en aucun cas se limiter à la seule indemnisation ; il fallait prendre en considération les réparations sous toutes leurs formes (par. 30 à 36 et 59 à 65). L’examen de l’objet du présent avis consultatif et la constatation par la Cour de violations dans le contexte de la décolonisation (voir supra) mettent en évidence l’obligation de prompte réparation correspondante, sous toutes ses formes, à savoir : restitutio in integrum, indemnisation appropriée, satisfaction (y compris excuses publiques), réhabilitation des victimes et garantie de non-répétition des actes ou omissions préjudiciables.
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XVII. LA MISSION DES TRIBUNAUX INTERNATIONAUX DANS LA DÉFENSE DES DROITS DES PEUPLES ET L’OBTENTION DE RÉPARATIONS
263. Il ne faut pas non plus oublier qu’aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les droits des personnes et des groupes qui sont défendus, mais aussi ceux des peuples, et qu’ils obtiennent des réparations à cette occasion. Cela nous amène à nous intéresser à la mission des tribunaux internationaux contemporains à cet égard. En effet, certaines délégations participantes ont cité, dans le cours de la présente procédure consultative, des décisions illustratives rendues par des juridictions internationales.
264. Je me permets, à ce propos, de rappeler que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 s’intéresse tout particulièrement aux droits des peuples. Dès son préambule, elle proclame que ses membres sont conscients qu’il leur incombe de s’engager «à éliminer le colonialisme, le néocolonialisme [et] les bases militaires étrangères d’agression» (par. 9). Après avoir posé l’égalité des peuples (art. 19), elle affirme que chaque peuple «a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination» (art. 20, par. 1). La Charte prévoit, en outre, que les peuples ont la libre disposition de leurs ressources naturelles (art. 21, par. 1) et qu’en «cas de spoliation, le peuple spolié» a le droit à la récupération de ses biens ainsi qu’à une «indemnisation adéquate» (art. 21, par. 2)252. Elle consacre également le droit des Etats au développement (art. 22, par. 2).
265. On ne s’étonnera pas que ce soit la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui ait, la première, traité de cette question, avant même la création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples253, voire de l’institution qu’elle a remplacée, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (créée en 1987). La Commission et la Cour ont, depuis lors, examiné la question dans deux affaires concernant des communautés vivant au Kenya, les Endorois et les Ogiek.
266. La Commission africaine, devant laquelle a été portée l’affaire des Endorois, a rendu son verdict historique le 25 novembre 2009254. Elle a déclaré illicite l’expulsion de la communauté autochtone des Endorois de leur terre au Kenya au motif qu’elle portait atteinte à certains droits protégés en vertu de la Charte africaine255. En conséquence, dans ses recommandations, la Commission a accordé des réparations au peuple des Endorois pour son expulsion de sa terre ancestrale et pour l’ensemble des pertes subies (par. 298 et dispositif no 1).
267. Compte tenu de la situation de vulnérabilité des victimes, les réparations accordées aux Endorois par la Commission comprenaient la restitution de leur terre ancestrale et une indemnisation pour tout ce qu’ils avaient enduré au cours de leur déplacement forcé. Qui plus est, la Commission, dans sa décision, a invoqué la Charte africaine pour réaffirmer l’indissociabilité des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels (par. 242). C’était
252 Elle dispose encore queElle dispose encore que les Etats parties «s’engagent à éliminer toutes les formes d’exploitation économique les Etats parties «s’engagent à éliminer toutes les formes d’exploitation économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages prochaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationales» (art.venant de ses ressources nationales» (art. 21, par.21, par. 5).5).
253 Lors de l’entrée en vigueur, le 25Lors de l’entrée en vigueur, le 25 janvier 2005, du Protocole de 1998 relatif à la Charte africaine des droits de janvier 2005, du Protocole de 1998 relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme el’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui a commencé à t des peuples, qui a commencé à siéger en 2006.siéger en 2006.
254 Décision publiée par la Commission en févrierDécision publiée par la Commission en février 2010 et rapidement approuvée par l’Union africaine.2010 et rapidement approuvée par l’Union africaine.
255 A savoir, la liberté de religion (art.A savoir, la liberté de religion (art. 8)8) ; le droit à la propriété (art.; le droit à la propriété (art. 14)14) ; le droit à la culture (art; le droit à la culture (art.. 17)17) ; le droit sur ; le droit sur les ressources naturelles (art.les ressources naturelles (art. 21)21) ; et le droit au développement (art.; et le droit au développement (art. 22).22).
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également la première fois que la Commission, dans une de ses décisions, faisait valoir le droit au développement (par. 277).
268. Toujours dans sa décision concernant l’affaire des Endorois (fond), la Commission africaine a soigneusement examiné, pour parvenir à ses recommandations, la jurisprudence internationale en la matière et, en particulier, de manière approfondie, celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme256 (par. 159 à 162, 190, 197, 198, 205, 258 à 266, 284, 285, 287 et 289). Les réparations accordées en l’espèce ont été reçues avec attention et bienveillance, et ses répercussions n’ont pas tardé à figurer dans la doctrine257.
269. Par la suite, en 2012, la Commission africaine a renvoyé l’autre affaire, concernant la communauté des Ogiek, devant la Cour africaine, qui a rendu sa décision le 26 mai 2017. La Cour africaine a jugé, là encore, que l’expulsion des Ogiek de leurs terres ancestrales au Kenya portait atteinte à leur droit à la terre (par. 131) ainsi qu’à d’autres droits protégés en vertu de la Charte africaine258. La Cour a alors ordonné de prendre, dans un délai raisonnable, toutes les mesures nécessaires pour que le peuple des Ogiek, victime de ce déplacement forcé, bénéficie de formes distinctes de réparation, et elle a prévu de prendre une seconde décision à cet effet (par. 222, 223 et 227)259. L’affaire est pendante et la Cour africaine devrait bientôt statuer sur cette question des réparations. A nouveau, l’arrêt rendu en 2017 par la Cour africaine a eu certaines répercussions dans la littérature spécialisée260.
270. Il est également possible d’emprunter ici des exemples à d’autres systèmes régionaux (européen et interaméricain) de protection internationale des droits de l’homme. S’agissant de la CEDH, j’ai déjà signalé (section XV, supra) que, dans le cadre de la présente procédure consultative de la CIJ, l’Afrique du Sud avait renvoyé, dans son exposé écrit, à l’arrêt (du 10 mai 2001) de la Cour dans l’affaire Chypre c. Turquie à propos du déplacement forcé des Chypriotes grecs (par. 82) pour ensuite définir le déplacement forcé continu des Chagossiens par le Royaume-Uni comme un «préjudice continu» exigeant réparation (par. 84).
256 Par exemple, les arrêts de la Par exemple, les arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’hommeCour interaméricaine des droits de l’homme dans les affaires suivantesdans les affaires suivantes : : Communauté Mayagna Awas Tingni contre NicaraguaCommunauté Mayagna Awas Tingni contre Nicaragua (du (du 33 aoûtaoût 2001), 2001), Communauté indigène Yakye Axa contre Communauté indigène Yakye Axa contre ParaguayParaguay (du 17(du 17 juin 2005), juin 2005), Communauté Moiwana contre SurinameCommunauté Moiwana contre Suriname (du 15(du 15 juinjuin 2005), 2005), Communauté indigène Communauté indigène Sawhoyamaxa contre ParaguaySawhoyamaxa contre Paraguay (du 29(du 29 marsmars 2006), 2006), PeuplePeuple Saramaka contre SurinameSaramaka contre Suriname (du 26(du 26 novembre 2007). novembre 2007). LL’importance de cette jurisprudence est analysée dans mon livre de souvenirs de la ’importance de cette jurisprudence est analysée dans mon livre de souvenirs de la Cour interaméricaine des droits de Cour interaméricaine des droits de l’hommel’homme : A.: A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional El Ejercicio de la Función Judicial Internacional -- Memorias de la Corte Memorias de la Corte Interamericana de Derechos HumanInteramericana de Derechos Humanosos, 5, 5ee éd. réd. reev., Del Rey, Belo Horizonte (Brésil), 2018, p.v., Del Rey, Belo Horizonte (Brésil), 2018, p. 9595--97, 16397, 163--169, 220169, 220--221, 221, 224224--226, 371 et 377226, 371 et 377--379.379.
257 Voir, par exemple, E.Voir, par exemple, E. Ashamu, «Centre for Minority Rights Development (Kenya) and Minority Rights Group Ashamu, «Centre for Minority Rights Development (Kenya) and Minority Rights Group International on Behalf of Endorois WelfInternational on Behalf of Endorois Welfare Council are Council versus versus Kenya: A Landmark Decision from the African Kenya: A Landmark Decision from the African Commission», Commission», Journal of African Law, Journal of African Law, nnoo 55, 2011, p.55, 2011, p. 301301--302, 307 et 309302, 307 et 309--313313 ; S.; S. Smis, D.Smis, D. Cambou et G.Cambou et G. Ngende, «The Ngende, «The Question of Land Grab in Africa and the Indigenous Peoples’ Right to TraditiQuestion of Land Grab in Africa and the Indigenous Peoples’ Right to Traditional Lands, Territories and Resources», onal Lands, Territories and Resources», Loyola of Los Angeles International and Comparative Law ReviewLoyola of Los Angeles International and Comparative Law Review, n, noo 35, 2013, p.35, 2013, p. 508, 518, 526508, 518, 526--531 et 534531 et 534--535535 ; ; G.G. Lynch, «Becoming Indigenous in the Pursuit of JusticeLynch, «Becoming Indigenous in the Pursuit of Justice : The African Commission on Human and Peoples’ R: The African Commission on Human and Peoples’ Rights and ights and the Endorois», the Endorois», African Affairs,African Affairs, nnoo 111, 2012, p.111, 2012, p. 3939--4040 ; D.M.K.; D.M.K. Inman, «The CrossInman, «The Cross--Fertilization of Human Rights Norms Fertilization of Human Rights Norms and Indigenous Peoples in Africaand Indigenous Peoples in Africa : From Endorois and Beyond», : From Endorois and Beyond», International Indigenous Policy JournalInternational Indigenous Policy Journal, n, noo 5, 2014, 5, 2014, nnoo 4, p.4, p. 8, 18, 100--17 et 2017 et 20--21.21.
258 A savoir, le droit à la nonA savoir, le droit à la non--discrimination (art.discrimination (art. 2)2) ; le droit à la culture (art.; le droit à la culture (art. 17, par.17, par. 2 et 3)2 et 3) ; le droit à la religion ; le droit à la religion (art.(art. 8)8) ; le droit à la propriété (art.; le droit à la propriété (art. 14)14) ; le droit sur les ressources naturelles (art.; le droit sur les ressources naturelles (art. 21)21) ; et le droit au dé; et le droit au développement veloppement (art.(art. 22).22).
259 Par exemplePar exemple : la restitution de leurs terres ancestrales aux Ogiek: la restitution de leurs terres ancestrales aux Ogiek ; les réparations pour les préjudices subis; les réparations pour les préjudices subis ; ; des excuses publiques et l’édification d’un monument public reconnaissant leurs droits.des excuses publiques et l’édification d’un monument public reconnaissant leurs droits.
260 Voir, par exemple, L.Voir, par exemple, L. ClaridClaridge, «Victory for Kenya’s Ogiek as African Court Sets Major Precedent for ge, «Victory for Kenya’s Ogiek as African Court Sets Major Precedent for Indigenous Peoples’ Land Rights», Indigenous Peoples’ Land Rights», Briefing Briefing –– Minority Rights Group International,Minority Rights Group International, 2017, p.2017, p. 3 et3 et 66--88 ; E.; E. Tramontana, Tramontana, «The Contribution of the African Court on Human and Peoples’ Right«The Contribution of the African Court on Human and Peoples’ Rights to the Protection of Indigenous Peoples’ Rights», s to the Protection of Indigenous Peoples’ Rights», Federalismi Federalismi -- Rivista di Diritto Pubblico Italiano, Comparato, EuropeoRivista di Diritto Pubblico Italiano, Comparato, Europeo, n, noo 6, 2018, p.6, 2018, p. 3, 7 et 19.3, 7 et 19.
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271. De fait, dans l’affaire Chypre c. Turquie susmentionnée, la CEDH a accordé des réparations dans un arrêt ultérieur du 12 mai 2014, une décision qui montre bien la pertinence de ce cas d’espèce invoquée devant la CIJ par l’Afrique du Sud. On ne peut toutefois pas en dire autant d’un autre arrêt (du 11 décembre 2012) rendu par une Chambre de la CEDH dans l’affaire Habitants des îles Chagos c. Royaume-Uni, et auquel le présent avis consultatif fait brièvement référence (par. 128). La Cour, qui a déclaré irrecevable la requête des Chagossiens, a pris, à cette occasion, une décision regrettable, car, sauf pour 471 d’entre eux, ils n’avaient jusqu’alors reçu aucune réparation.
272. Qui plus est, en déclarant, à tort, que la plupart des Chagossiens avaient, à cette occasion, épuisé les recours internes, la quatrième chambre de la CEDH les a dépouillés de toute protection. En concluant que les nouvelles générations de Chagossiens, qui ne sont pas nées à Chagos, ne pouvaient prétendre être «victimes» d’expulsion, elle a également limité leur capacité à demander réparation à l’avenir, en contradiction avec les dispositions de la convention européenne des droits de l’homme ainsi qu’avec les principes généraux du droit international. Cette «renonciation» inouïe ajoute au préjudice subi par les Chagossiens expulsés ainsi que par leurs descendants.
273. J’estime que le préjudice subi par les Chagossiens initialement expulsés s’étend à leurs descendants et aux nouvelles générations (même s’il faut, pour cela, les considérer comme des victimes «indirectes»). Qu’il me soit permis d’ajouter que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a adopté une position qui n’est pas seulement très différente de celle de la quatrième chambre de la CEDH dans l’affaire Habitants des îles Chagos, mais aussi beaucoup plus progressiste. Dans mon livre de souvenirs de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, j’ai consacré un chapitre entier à la projection dans le temps de la souffrance humaine des victimes261.
274. Bien évidemment, les Chagossiens ont très mal accepté la décision de la chambre de la CEDH dans cette affaire, qu’ils ont jugée représentative de la «mentalité coloniale». En effet, comment le fait que des juridictions internes aient déjà accordé des réparations à une partie des personnes expulsées pourrait-il empêcher la majorité d’entre eux de présenter leur requête devant la CEDH262 ? Soulignons également que la décision prise par la quatrième chambre de la CEDH dans cette affaire, que le paragraphe 128 du présent avis consultatif mentionne brièvement, n’est pas conforme à la jurisprudence constante de la Cour elle-même en la matière.
275. Comme si cela ne suffisait pas, la quatrième chambre de la CEDH, non contente de rejeter les demandes des requérants, a déclaré que celles-ci avaient déjà été «réglées
261 Voir A. A.Voir A. A. CançadoCançado Trindade, Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional El Ejercicio de la Función Judicial Internacional -- Memorias de la Corte Memorias de la Corte IInteramericana de Derechos Humanosnteramericana de Derechos Humanos, 5, 5ee op.op. cit. supracit. supra note 256, chnote 256, chapap.. XIX, p.XIX, p. 163163--169169 ; et pour un exemple ; et pour un exemple significatif, A.significatif, A. A.A. CançadoCançado Trindade, «Trindade, « The Right to Cultural Identity in the Evolving Jurisprudential Construction of the The Right to Cultural Identity in the Evolving Jurisprudential Construction of the InterInter--American Court of HumAmerican Court of Human Rightsan Rights », dans Sienho», dans Sienho Yee et J.Yee et J.--Y.Y. Morin (éd.), Morin (éd.), Multiculturalism and International Law Multiculturalism and International Law -- Essays in Honour of E.Essays in Honour of E. McWhinney,McWhinney, Nijhoff, Leyde, 2009, p.Nijhoff, Leyde, 2009, p. 477477--499.499.
262 Ils ont également fait part de leur espoir que la Cour modifie la décision du 11Ils ont également fait part de leur espoir que la Cour modifie la décision du 11 décembre 2012décembre 2012 de sa de sa quatrième quatrième chambrechambre dans l’affaire dans l’affaire Habitants des îles ChagosHabitants des îles Chagos, afin que justice soit rendue à toutes les personnes qui ont subi un , afin que justice soit rendue à toutes les personnes qui ont subi un préjudice, modification qui, jusqu’à présent, n’est pas intervenue. préjudice, modification qui, jusqu’à présent, n’est pas intervenue. Concernant leur déception devant cette décision injusConcernant leur déception devant cette décision injuste te et les critiques qu’ils formulent à ce propos, voiret les critiques qu’ils formulent à ce propos, voir : O.: O. Bancoult, «The Historic Legal Battle of the Chagossians to Return Bancoult, «The Historic Legal Battle of the Chagossians to Return to Their Homeland, the Chagos Islands, and to Be Compensated for Their Deportationto Their Homeland, the Chagos Islands, and to Be Compensated for Their Deportation : A Narrative», : A Narrative», South African South African Yearbook of InterYearbook of International Lawnational Law, n, noo 39, 2014, p.39, 2014, p. 2121--31, en particulier p.31, en particulier p. 2828--3030 ; C.; C. Grandison, S.Grandison, S. NikiNiki Kadaba et A.Kadaba et A. Woo, Woo, «Stealing the Islands of Chagos«Stealing the Islands of Chagos : Another Forgotten Story of Colonial Injustice», : Another Forgotten Story of Colonial Injustice», Human Rights BriefHuman Rights Brief, n, noo 20, 2012, p.20, 2012, p. 3838--4242 ; C.; C. Alexandre et K.Alexandre et K. KoutoukiKoutouki, «Les déplacés de Chagos, «Les déplacés de Chagos : Retour sur la lutte de ces habitants pour récupérer leur terre : Retour sur la lutte de ces habitants pour récupérer leur terre ancestrale», ancestrale», Revue québécoise de droit internationalRevue québécoise de droit international, n, noo 27, 2014, p.27, 2014, p. 21 et 2321 et 23 ; M.; M. Tong, «The Concept of Tong, «The Concept of ʽʽPeoples’ in the Peoples’ in the African Human Rights SystemAfrican Human Rights System : The Matter o: The Matter of the People of the Chagos Islands», f the People of the Chagos Islands», South African Yearbook of South African Yearbook of International LawInternational Law, n, noo 39, 2014, p.39, 2014, p. 3333--34 et 4634 et 46--47.47.
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définitivement» par les juridictions internes. Malgré son refus manifeste d’aider les requérants, elle a néanmoins reconnu ce qui suit :
«Ceux-ci se plaignent pour l’essentiel, au regard de la Convention, du traitement implacable et honteux qu’eux-mêmes et leurs ancêtres ont subi, entre 1967 et 1973, lors de leur renvoi des îles, ou lorsqu’on leur a interdit d’y revenir, ainsi que des graves difficultés qui en ont immédiatement découlé.» (Par. 83.)
276. Si c’était vraiment le cas, les requérants méritaient d’être traités en stricte conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme, leurs griefs n’ayant aucunement été réglés devant des juridictions internes et la plupart d’entre eux n’ayant reçu aucune réparation. Les Chagossiens et leurs descendants le méritaient d’autant plus qu’ils attendent depuis très longtemps d’obtenir justice. L’Organisation des Nations Unies doit tirer les leçons de cette affaire dans sa quête de justice, quête qu’elle mène notamment grâce au travail du Comité des droits de l’homme (déjà mentionné à la section V, supra).
277. Quant à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans un autre système régional de protection des droits de l’homme, sa contribution n’a pas été mince quand il s’est agi d’accorder des réparations dans les cas de violation des droits des peuples. J’en prends pour preuve les arrêts suivants, entre autres : Communauté Mayagna Awas Tingni contre Nicaragua (du 3 août 2001), Communauté autochtone Yakye Axa contre Paraguay (du 17 juin 2005), Communauté Moiwana contre Suriname (du 15 juin 2005) et Communauté autochtone Sawhoyamaxa contre Paraguay (du 29 mars 2006).
278. J’ai déjà analysé cette question ailleurs263, c’est pourquoi je ne prendrai comme exemples, dans la présente opinion individuelle, que deux de ces affaires où le droit fondamental des peuples à la vie, au sens large, y compris l’identité culturelle, joue un rôle de premier plan. J’ai annexé une opinion individuelle traitant principalement de ces questions à chacun des arrêts susmentionnés, qui ont eu une incidence directe sur la protection du droit des peuples, leur identité culturelle, voire leur survie.
279. Ainsi, peu de temps après l’arrêt de 2005 susmentionné (fond et réparations) dans l’affaire Communauté autochtone Yakye Axa c. Paraguay, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a publié son interprétation de l’arrêt (le 6 février 2006), à laquelle j’ai également annexé mon opinion personnelle. J’y écrivais ceci :
«Il est impossible de vivre dans un état de déracinement et d’abandon constant. L’être humain a un besoin spirituel de racines. Les membres des communautés traditionnelles accordent une importance toute particulière à leur terre, qui leur appartient comme ils lui “appartiennent”. En l’espèce, le retour définitif sur leurs terres des membres de la communauté Yakye Axa est une forme nécessaire de réparation, qui, de surcroît, protège et préserve leur identité culturelle ainsi que, fondamentalement, leur droit à la vie, au sens large.» (Par. 14.)
280. Cette affaire de 2005-2006, de même que l’affaire Communauté autochtone Sawhoyamaxa c. Paraguay (2006), traitaient de l’expulsion des membres de deux communautés locales de leurs terres (du fait de leur mise en vente par l’Etat du Paraguay), et de leur survie au
263 Voir noteVoir note 269, 269, suprasupra..
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bord d’une route dans des conditions de pauvreté extrême. Dans mon opinion individuelle annexée à cette dernière affaire, mes réflexions prenaient le tour suivant :
«Le concept de «culture», du latin colere, qui signifie «cultiver, prendre en compte, prendre soin et préserver», s’est longtemps cantonné au domaine agricole (prendre soin de la terre). Chez Cicéron, le concept commence à être utilisé dans le contexte de l’esprit et de l’âme (cultura animi). Au fil du temps, il en est venu à être associé avec l’humanisme, cette attitude qui consiste à prendre soin des choses de ce monde, y compris des choses passées, et à les préserver. Les peuples, c’est-à-dire les êtres humains situés dans leur milieu social, élaborent et préservent leur culture dans le but de comprendre le monde extérieur, et d’interagir avec lui, lorsqu’ils sont confrontés au mystère de la vie. C’est pourquoi l’identité culturelle est si importante : elle constitue l’un des éléments essentiels du droit fondamental à la vie.» (Par. 4.)
281. Dans cette même opinion personnelle, j’ai également souligné la «relation étroite et nécessaire» entre le droit à la vie, au sens large, et l’identité culturelle (en tant que composante de celui-ci). En ce qui concerne les membres des communautés autochtones, j’ajoutais que «l’identité culturelle est étroitement liée à leurs terres ancestrales. Si on les prive de ces terres en les expulsant, leur identité culturelle s’en trouve gravement affectée ainsi que, fondamentalement, leur droit à la vie, au sens large, c’est-à-dire le droit à la vie de chacun et de l’ensemble des membres de chaque communauté» (par. 28). Quand cela arrive, ils se retrouvent dans une situation de «grande vulnérabilité», d’exclusion sociale et d’abandon, comme dans ce cas d’espèce (par. 29).
282. Dans l’affaire Communauté Moiwana c. Suriname, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a dû se pencher sur le massacre des N’djuka du village Moiwana au Suriname et le drame du déplacement forcé des survivants. La Cour a dûment apprécié la relation que les N’djuka entretenaient avec leur terre ancestrale en tenant compte du fait que, «selon la coutume N’djuka, le peuple, dans son entier, bénéficie de droits fonciers très étendus, que les membres de la communauté considèrent imprescriptibles et inaliénables» (par. 86, al. 6). La Cour, dans son arrêt, a ordonné une série de mesures de réparation264, dont certaines favorisant le retour volontaire des personnes déplacées vers leurs terres et leurs communautés d’origine, au Suriname265.
283. Dans ma longue opinion individuelle (par. 1 à 93), j’ai rappelé que les survivants de la communauté Moiwana se sont plaints, au cours de la procédure intentée devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme (audience publique du 9 septembre 2004), de la destruction (en 1986) de leur «tradition culturelle» (par. 80)266. C’est pourquoi j’ai argué que, dans ce cas d’espèce, en plus des dommages moraux, les requérants avaient subi de véritables dommages spirituels (par. 71 à 81). J’ai même osé définir et essayer de conceptualiser ce que j’ai appelé,
264 Telles que des indemnisations ainsi que différentes formes de dommagesTelles que des indemnisations ainsi que différentes formes de dommages--intérêts pour préjudice non intérêts pour préjudice non pécuniaire.pécuniaire.
265 La La délimitation et la démarcation des terrains communaux des N’djuka dans la communauté Moiwana, et la délimitation et la démarcation des terrains communaux des N’djuka dans la communauté Moiwana, et la délivrance des titres de propriété y relatifs, comme forme de dommagesdélivrance des titres de propriété y relatifs, comme forme de dommages--intérêts pour préjudice non pécuniaire, a des intérêts pour préjudice non pécuniaire, a des répercussions beaucoup plus profondes qrépercussions beaucoup plus profondes qu’on s’imagine de prime abord. u’on s’imagine de prime abord.
266 Ces faits n’ont cessé de les tourmenterCes faits n’ont cessé de les tourmenter ; ils ne pouvaient plus donner à la dépouille de leurs proches ; ils ne pouvaient plus donner à la dépouille de leurs proches l’enterrement qui convenait, et ils enduraient les affres du déracinement, un défi en matière de droits de l’homme qui l’enterrement qui convenait, et ils enduraient les affres du déracinement, un défi en matière de droits de l’homme qui se se pose actuellement avec acuité à la conscience juridique universelle (par.pose actuellement avec acuité à la conscience juridique universelle (par. 13 à 22). Leur souffrance s’est projetée dans le 13 à 22). Leur souffrance s’est projetée dans le temps pendant près de deux décennies (par.temps pendant près de deux décennies (par. 24 à 33). Dans leur culture, la mort entraîne des implications inéluctables 24 à 33). Dans leur culture, la mort entraîne des implications inéluctables pour les vipour les vivants, les survivants (par.vants, les survivants (par. 41 à 46), qui contractent des obligations envers leurs défunts (par.41 à 46), qui contractent des obligations envers leurs défunts (par. 47 à 59).47 à 59).
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d’après le droit à un projet de vie, un droit à un projet de vie après la mort (par. 67 à 70)267. De fait, les rapports d’experts présentés à la Cour mentionnaient expressément des «maladies d’origine spirituelle»268. Sur ce point particulier, j’ai dit ceci :
«Les dommages spirituels, comme ceux qu’ont subis les membres de la communauté Moiwana, sont un préjudice grave nécessitant une réparation correspondante de la nature (non pécuniaire) que je viens d’indiquer. …
Les N’djuka ont vu tant leur droit à un projet de vie que leur droit à un projet de vie après la mort bafoués, et ce, de façon continue … . Certaines des mesures de réparation ordonnées par la Cour dans le présent arrêt s’élèvent, à juste titre, contre l’oubli, afin que cette atrocité ne soit plus jamais perpétrée. …
En résumé, le large éventail de réparations ordonnées par la Cour dans le présent arrêt … a pris en compte la position des victimes et l’a replacée au centre des considérations … . Dans le cas d’espèce, la mémoire collective des esclaves marrons N’djuka est dûment préservée contre l’oubli et leurs morts honorés, ce qui a pour effet de garantir leur droit à la vie, au sens large, y compris leur droit à l’identité culturelle, qui trouve son expression dans leurs liens reconnus de solidarité avec leurs morts.» (par. 81, 91 et 92)269.
284. Comme nous pouvons le voir, la jurisprudence internationale propose donc des arguments à l’appui de la défense des droits des peuples tout en prévoyant un ensemble de réparations nécessaires. C’est pourquoi il n’y avait, selon moi, aucune raison pour que la CIJ ne tienne pas dûment compte, dans le présent Avis consultatif sur les conséquences juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, de ces questions essentielles, à l’exemple de ce que les tribunaux internationaux contemporains ont accompli en la matière.
285. Après tout, comme je l’ai déjà souligné précédemment (voir section XVI, supra), certaines délégations participantes ont invoqué, au cours de la présente procédure consultative, l’obligation de réparation en cas de violation du droit des peuples à l’autodétermination. La Cour aurait donc dû, conformément aux principes généraux du droit international, en tenir compte expressément dans le présent avis consultatif.
286. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà indiqué au paragraphe 258, la CIJ a constaté à juste titre que «le maintien de l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni constitu[ait] un fait illicite qui engag[eait] la responsabilité internationale de cet Etat» (par. 177). La Cour a également conclu qu’en ce qui concerne «la réinstallation dans l’archipel des Chagos des nationaux mauriciens, y compris ceux d’origine chagossienne, il s’agi[ssait] d’une question relative à la protection des droits humains des personnes concernées qui devrait être examinée par l’Assemblée générale lors du parachèvement de la décolonisation de Maurice» (par. 181).
267 J’ai également fait observer que, d’après la preuve testimoniale présentée devant la Cour, tout portait à croire J’ai également fait observer que, d’après la preuve testimoniale présentée devant la Cour, tout portait à croire que, dans la vision du monde des Nque, dans la vision du monde des N’djuka, dans des circonstances comme celles de l’affaire, «les vivants et leurs morts ’djuka, dans des circonstances comme celles de l’affaire, «les vivants et leurs morts souffrent ensemble, et ce, à travers les générations». Ce fait doit être pris en compte pour déterminer le type de souffrent ensemble, et ce, à travers les générations». Ce fait doit être pris en compte pour déterminer le type de réparations dues, dont certaines prendront alors la forréparations dues, dont certaines prendront alors la forme de me de satisfactionsatisfaction, comme l’hommage rendu au défunt dans la , comme l’hommage rendu au défunt dans la personne du vivant (par.personne du vivant (par. 77).77).
268 Alinéa Alinéa e)e) du paragraphedu paragraphe 77 et alinéa77 et alinéa 9 du paragraphe9 du paragraphe 83 de l’arrêt de la 83 de l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de Cour interaméricaine des droits de l’hommel’homme..
269 Pour une étude de cas, voir A.Pour une étude de cas, voir A. A.A. CançadoCançado TriTrindade, «The Right to Cultural Identity in the Evolving ndade, «The Right to Cultural Identity in the Evolving Jurisprudential Construction of the InterJurisprudential Construction of the Inter--American Court of Human Rights», dans American Court of Human Rights», dans Multiculturalism and International Multiculturalism and International Law Law -- Essays in Honour of E.Essays in Honour of E. McWhinneyMcWhinney, , op.op. cit. supracit. supra notenote 256, p.256, p. 477477--499.499.
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XVIII. LA DÉFENSE DES DROITS DES PERSONNES ET DES PEUPLES, ET LE RÔLE IMPORTANT DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DANS LA RÉALISATION DE LA JUSTICE
287. J’aborde maintenant la dernière partie de mes réflexions sur ce sujet. Les principes fondamentaux donnent son assise à la réalisation de la justice et la pensée jusnaturaliste a toujours souligné leur importance. Le jus necessarium est ainsi constitué par les lois justes, qui découlent elles-mêmes de la recta ratio. Les principes généraux du droit, appréhendés au fil des siècles par la conscience humaine, sont donc de la plus haute importance pour l’interprétation, l’application et le développement progressif du droit international270.
288. La reconnaissance des «principes généraux du droit» et leur inscription au nombre des sources «formelles» du droit international dans l’article 38 du Statut de la Cour de La Haye (CPJI/CIJ) sont de la plus haute importance. La pensée juridique contemporaine devrait y prêter une plus grande attention, car ce sont eux qui inspirent la création et la modification des normes de droit international. Ces principes généraux, qui accordent une place de choix aux considérations élémentaires d’humanité, ont toujours joué un rôle prépondérant dans la réalisation de la justice.
289. Un tribunal international se doit d’être principiste et de refuser toute concession inopportune au volontarisme d’Etat. Le positivisme juridique a toujours cherché, en vain, à minimiser le rôle des principes généraux du droit niant, par là même, l’évidence selon laquelle, sans ces principes, aucun système juridique n’est envisageable. Ce sont pourtant eux qui donnent corps à l’idée de justice objective, qui, à son tour, permet d’envisager l’application d’un droit universel, nouveau jus gentium de notre temps.
290. Ces principes prennent toute leur importance dans un contexte géopolitique où de plus en plus de personnes, à travers le monde, sont déplacées de force ou doivent émigrer en situation irrégulière271. Ces tragédies humaines, dont le nombre ne cesse d’augmenter, prouvent que les leçons du passé n’ont pas été suffisamment retenues. Cela rend d’autant plus pertinents les valeurs et les principes fondamentaux, sur lesquels s’appuie déjà l’Organisation des Nations Unies, notamment son Assemblée générale, comme le montre la présente opinion individuelle, ainsi que la jurisprudence internationale (principalement celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme) sur la question272.
270 Voir A.Voir A. A.A. Cançado Trindade, «Foundations of International Law: The Role and Importance of Its Basic Cançado Trindade, «Foundations of International Law: The Role and Importance of Its Basic Principles», Principles», Curso de Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico InteramericanoCurso de Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico Interamericano, n, noo 30, OEA, 2003, 30, OEA, 2003, p.p. 359359--415.415.
271 Pour un examen récent, dans une persPour un examen récent, dans une perspective historique, de ces situations contemporaines inquiétantes, voir pective historique, de ces situations contemporaines inquiétantes, voir A.A. A. CançadoA. Cançado Trindade, L.Trindade, L. OrtizOrtiz Ahlf et J.Ahlf et J. Ruiz de Santiago, Ruiz de Santiago, Las Tres Vertientes de la Protección Internacional de los Las Tres Vertientes de la Protección Internacional de los Derechos de la Persona HumanaDerechos de la Persona Humana, 2, 2ee éd.éd. rerev., Ed.v., Ed. Porrúa/Escuela LPorrúa/Escuela Libre de Derecho, Mexique, 2017, p.ibre de Derecho, Mexique, 2017, p. 11--225225 ; ; A.A. A.A. CançadoCançado Trindade, «Les tribunaux internationaux et leur mission commune de réalisation de la justiceTrindade, «Les tribunaux internationaux et leur mission commune de réalisation de la justice : : Développements, état actuel et perspectives», Développements, état actuel et perspectives», Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de La HayeLa Haye, , nnoo 391, 2017, p.391, 2017, p. 1919--101101 ; J.; J. Ruiz de Santiago, «Aspects juridiques des mouvements forcés de personnes», Ruiz de Santiago, «Aspects juridiques des mouvements forcés de personnes», Recueil des Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de La HayeCours de l’Académie de Droit International de La Haye, n, noo 393, 2018, p.393, 2018, p. 348348--462462 ; voir également C.; voir également C. Swinarski, «Effets Swinarski, «Effets pour l’indivpour l’individu des régimes de protection de droit international», idu des régimes de protection de droit international», Recueil des Cours de l’Académie de Recueil des Cours de l’Académie de ddroit roit iinternational nternational de Lade La HayeHaye, n, noo 391, 2017, p.391, 2017, p. 306306--310 and 334310 and 334--339.339.
272 Pour une étude, voir A.Pour une étude, voir A. A.A. CançadoCançado Trindade, «Le déracinement et la protection des migrants daTrindade, «Le déracinement et la protection des migrants dans le Droit ns le Droit international des droits de l’homme», international des droits de l’homme», Revue trimestrielle des droits de l’hommeRevue trimestrielle des droits de l’homme, n, noo 19, Bruxelles, 2008, n19, Bruxelles, 2008, noo 74, 74, p.p. 289289--328328 ; A.; A. A.A. CançadoCançado Trindade, «El Desarraigo como Problema de Derechos Humanos frente a la Conciencia Trindade, «El Desarraigo como Problema de Derechos Humanos frente a la Conciencia Jurídica Universal»,Jurídica Universal», dadans J.ns J. Elzo, (éd.), Elzo, (éd.), Forum Deusto Forum Deusto -- Movimientos de Personas e Ideas y Multiculturalidad, Movimientos de Personas e Ideas y Multiculturalidad, Université Université de Deusto, Bilbao, 2003, p.de Deusto, Bilbao, 2003, p. 6565--120.120.
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291. J’ai déjà eu l’occasion de constater, notamment dans mon opinion individuelle annexée à l’avis consultatif, novateur en la matière, no 18 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (du 17 septembre 2003) sur le Statut juridique et les droits des migrants sans papiers, que
«[ch]aque système juridique possède ses propres principes fondamentaux, qui inspirent la création et la modification de ses normes. Ce sont ces principes (du latin principium, début ou fondement), véritables causes premières, sources et origines des normes et des règles, qui confèrent cohésion, cohérence et légitimité aux normes juridiques ainsi qu’au système juridique dans son ensemble. Ce sont les principes généraux du droit (prima principia) qui donnent à l’ordre juridique … sa nécessaire dimension axiologique ; ce sont eux qui permettent d’appréhender les valeurs qui inspirent le système juridique dans son entier, et qui, finalement, en jettent les fondations. C’est ainsi que je conçois l’existence et la position des principes dans tout ordre juridique ainsi que leur rôle dans l’univers conceptuel du Droit. …
Les normes et les règles découlent des prima principia, qui leur donnent leur sens. Ainsi, les principes sont présents dès l’origine du Droit lui-même. Grâce à eux, nous savons quelles fins nous devons viser : le bien commun … , la réalisation de la justice … , la nécessaire primauté du droit sur la force … [S]ans principes, le système juridique ne peut pas vraiment exister : l’«ordre juridique» n’est tout simplement pas complet et cesse d’exister comme tel.» (Par. 44 et 46.)
292. C’est la position que je n’ai cessé de soutenir au sein de la CIJ. Par exemple, dans ma longue opinion individuelle annexée à l’avis consultatif (du 27 juillet 2010) sur la Déclaration d’indépendance du Kosovo, j’ai insisté notamment sur la pertinence des principes du droit international dans le cadre du droit de l’Organisation des Nations Unies en lien avec les fins humaines de l’Etat (par. 177 à 211), en précisant qu’ils permettent également de dépasser le paradigme strictement interétatique en droit international contemporain. Je le fais à nouveau ici, dans ce nouvel avis consultatif de la CIJ du 25 février 2019 sur les Conséquences juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965.
293. A mon sens, la qualification des «principes généraux de droit» de «reconnus par les nations civilisées», à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la CPJI/CIJ, a été, ajoutée par distraction, sans réflexion ni le moindre esprit critique. En effet, aussi bien en 1920 qu’en 1945, voire de nos jours, il était et reste impossible de déterminer quelles sont les «nations civilisées». Aucun pays ne peut se considérer comme «civilisé» par essence ; il est seulement possible d’identifier les pays qui se conduisent de façon «civilisée» dans une situation donnée et à cette occasion uniquement.
294. A mon avis, cette qualification a été ajoutée à l’article 38 du Statut de la CPJI en 1920 par léthargie intellectuelle, et a été maintenue dans le Statut de la CIJ en 1945 jusqu’à nos jours (début 2019) par inertie mentale et manque d’esprit critique. Nous devons vraiment faire montre de plus de courage et d’humilité en ce qui concerne notre condition humaine, surtout au vu de notre tristement célèbre propension à la cruauté sans limites. En effet, des pièces d’Eschyle aux drames contemporains, l’existence humaine a toujours été marquée du sceau du tragique. C’est pourquoi il
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est impossible de parler de nations «civilisées» en soi, mais seulement de pays qui se conduisent de façon «civilisée» dans une situation donnée et à cette occasion uniquement273.
295. Il est important de garder ceci à l’esprit, plus encore à une époque comme la nôtre où l’on consacre de moins en moins temps à la lecture et à la réflexion, et délaisse la méditation sur les leçons du passé. Il est essentiel de ne jamais perdre de vue qu’aucune nation n’est, par essence, civilisée. Plus précisément, il existe des nations qui agissent, ponctuellement, de façon civilisée dans la mesure et au moment où elles respectent le droit international et les droits des personnes et des peuples. Pour ces raisons, la source matérielle ultime du droit international, comme du droit en général, est, comme je l’affirme depuis des années, la conscience humaine, la conscience juridique universelle274.
296. La CIJ ne peut pas continuer d’adopter, comme elle l’a fait jusqu’à présent, une perspective strictement interétatique en la matière. Dans la présente demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale, nous devions examiner certains droits des peuples, droits auxquels l’Assemblée générale s’est toujours montrée attentive et sensible et qui constituent le fondement même de la Charte des Nations Unies. Le véritable enjeu ici, c’est donc l’importance des droits des peuples, notamment leur droit à l’autodétermination, qui a reçu le soutien appuyé de la plupart des délégations participantes.
297. Dans le présent avis consultatif, la CIJ cherche, comme à son habitude, à tenir compte du «consentement» de chaque Etat, soit en se référant aux arguments des délégations participantes (par. 67, 83, 95 et 106), soit en présentant son propre raisonnement (par. 85, 90 et 172). Elle va même jusqu’à évoquer un «principe du consentement» (par. 90). Pour ma part, je soutiens depuis des années au sein de cette Cour que le «consentement» n’est pas, et ne peut pas être, un «principe».
298. Ainsi, dans la longue opinion dissidente que j’ai annexée à l’arrêt de la CIJ (du 1er avril 2011) concernant l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), dans lequel la Cour a conclu qu’elle n’était pas compétente pour examiner la requête, j’ai souligné que la «conception volontariste dépassée» de la CIJ et «d’autres juristes, fort nombreux, continuaient de mettre l’accent sur l’importance que revêt, en règle générale, le consentement des Etats, plaçant celui-ci bien au-dessus des impératifs de réalisation de la justice au niveau international» (par. 44 ; voir aussi par. 127).
299. J’y relevais que la doctrine juridique internationale la plus lucide déplorait la propension des Etats à ne s’appuyer que sur leurs propres conditions de consentement, ainsi que sa «volonté de dépasser les vicissitudes de la «volonté» des Etats» (par. 188 et 189). Je soulignais
273 Les pays «civilisés» peuvent être définis comme ceux qui respectent et protègent pleinement, sur leurs Les pays «civilisés» peuvent être définis comme ceux qui respectent et protègent pleinement, sur leurs territoires respeterritoires respectifs, le libre et plein exercice des droits des personnes et des peuples, dans la mesure et au moment où ils ctifs, le libre et plein exercice des droits des personnes et des peuples, dans la mesure et au moment où ils les respectent et les protègent, ce qui, finalement, constitue la meilleure aune pour juger du degré de «civilisation» atteinles respectent et les protègent, ce qui, finalement, constitue la meilleure aune pour juger du degré de «civilisation» atteint t par une nation. par une nation. A.A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, Tratado de Direito Internacional dos Direitos HumanosTratado de Direito Internacional dos Direitos Humanos, vol. II, , vol. II, op.op. cit.cit. suprasupra note 175, p.note 175, p. 344.344.
274 Voir notamment A.Voir notamment A. A.A. CançadoCançado Trindade, «El Desarraigo como Problema de Derechos Humanos frente a la Trindade, «El Desarraigo como Problema de Derechos Humanos frente a la Conciencia Jurídica Universal», Conciencia Jurídica Universal», op.op. cit.cit. suprasupra notenote 272, p.272, p. 6565--120120 ; A.; A. A.A. CançadoCançado Trindade, «La Trindade, «La Recta RatioRecta Ratio dans les dans les Fondements du Fondements du Jus GentiumJus Gentium comme Droit International de l’Humanité», comme Droit International de l’Humanité», Revista do Instituto Brasileiro de Direitos Revista do Instituto Brasileiro de Direitos HumanosHumanos, n, noo 10, 2010, p.10, 2010, p. 1111--2626 ; A.; A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, Le DrLe Droit international pour la personne humaineoit international pour la personne humaine, Pédone, , Pédone, Paris, 2012, p.Paris, 2012, p. 4545--368368 ; A.; A. A.A. CançadoCançado Trindade, Trindade, A Humanização do Direito InternacionalA Humanização do Direito Internacional, 2, 2ee éd.éd. rév., rév., op. cit. supraop. cit. supra note note 171, p.171, p. 33--789.789.
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ensuite l’importance des principes généraux du droit et des valeurs cardinales, qui éclipsent largement le consentement des Etats (par. 194), comme le principe fondamental de l’égalité et de la non-discrimination, qui relève du domaine du jus cogens (par. 195). J’ajoutais, en conclusion de mon opinion dissidente :
«La Cour ne peut rester indifférente à une telle injustice et au «sort» des êtres humains, ainsi qu’à leurs souffrances. Elle ne peut continuer de fermer les yeux face à la tragédie. Cette dernière étant toujours d’actualité, puisque indissolublement liée à la condition humaine, semble-t-il, il demeure également nécessaire d’atténuer les souffrances humaines, en faisant en sorte que justice soit faite. … Cet objectif  la réalisation de la justice  peut difficilement être atteint si l’on part d’une perspective volontariste strictement centrée sur les Etats en recherchant constamment leur consentement. La Cour ne peut, à mon sens, continuer de sacrifier à ce qu’elle estime être les «intentions» ou la «volonté» des Etats.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[A] mes yeux, le consentement n’est pas «fondamental», et n’est même pas un «principe». Ce qui est «fondamental», autrement dit ce qui forme le fondement de la Cour depuis sa création, c’est l’impératif de la réalisation de la justice … . Le consentement des Etats n’est qu’une règle à respecter (…). C’est un moyen et non une fin, c’est une exigence procédurale … ; [c]e n’est en aucun cas l’un des prima principia …
Les principes fondamentaux sont ceux dits pacta sunt servanda, de l’égalité et de la non-discrimination (dans le droit matériel), de l’égalité des armes (dans le droit procédural), de l’humanité (qui imprègne l’ensemble du corpus juris du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés) et de la dignité de la personne humaine (qui est l’un des fondements du droit international des droits de l’homme). Les règles énoncées à l’Article 2 de la Charte des Nations Unies constituent également des principes fondamentaux du droit international275.
Voilà quelques-uns des véritables prima principia qui confèrent à l’ordre juridique international sa dimension axiologique inévitable. Voilà quelques-uns des véritables prima principia qui révèlent les valeurs dont s’inspire le corpus juris de l’ordre juridique international et qui, en fin de compte, en sont le fondement. Les prima principia sous-tendent l’ordre juridique international en exprimant l’idée d’une justice objective (propre au droit naturel). Au contraire, le consentement des Etats ne fait pas partie des prima principia ; c’est une concession du jus gentium aux Etats. C’est une règle à observer … .
Cette règle, ou cette exigence procédurale, sera ramenée à ses justes dimensions le jour où l’on comprendra que la conscience l’emporte sur la volonté. Voilà qui résume un vieux dilemme (auquel font face la Cour et les Etats qui la saisissent), revisité dans la présente opinion dissidente, dans le cadre du jus gentium contemporain. Pour la Cour, conçue comme une Cour internationale de Justice, la réalisation de la justice demeure un idéal … . Après tout, rien n’est plus invincible qu’un idéal  comme la réalisation de la justice  qui n’a pas encore été atteint : il taraude inlassablement la conscience humaine jusqu’à ce qu’il parvienne à éclore et à exister au grand jour.» (Par. 209 et 211 à 214.)
275 Principes rappelés dans la résolutionPrincipes rappelés dans la résolution 26252625 (XXV) de l’Assemblée g(XXV) de l’Assemblée générale en date du 24énérale en date du 24 octobre 1970, dans octobre 1970, dans laquelle figure la déclaration des Nationslaquelle figure la déclaration des Nations Unies relative aux principes du droit international touchant les relations Unies relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte.amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte.
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300. La Cour aurait même pu se dispenser de tenir compte des arguments d’une infime minorité de délégations participantes qui cherchaient à négliger ou minimiser les droits des personnes et ceux des peuples (tels que leur droit à l’autodétermination), elle a cependant choisi de les inclure dans son propre raisonnement (comme aux paragraphes 133 et 134). A cet égard, la présentation par la CIJ des arguments exposés par les délégations participantes nécessite une précision, voire une correction.
301. Par exemple, aux paragraphes 133 et 159, quand la Cour mentionne les arguments de «[q]uelques participants» ou de «[q]uelques uns des participants», ces multiples participants ne sont en fait que deux (le Royaume-Uni et les Etats-Unis) ; de même, au paragraphe 145, quand elle se réfère à «[d]’autres» ; et au paragraphe 176, à «quelques participants». En revanche, au paragraphe 145, quand elle emploie une expression analogue, «Certains participants», celle-ci désigne alors un bien plus grand nombre de délégations, voire une majorité (20) d’entre eux (à savoir l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Belize, le Botswana, le Brésil, le Chili, Chypre, Djibouti, le Guatemala, les Iles Marshall, le Kenya, Maurice, la Namibie, le Nicaragua, les Pays-Bas, la Serbie, les Seychelles, l’Union africaine, Vanuatu et la Zambie).
302. La présentation des faits par la Cour est imprécise : elle utilise des expressions similaires pour désigner tant le consensus d’une majorité de 20 délégations participantes que l’opposition de seulement deux d’entre elles. De telles imprécisions sont révélatrices. En outre, la Cour ne se réfère pas à l’opinio juris communis au sens large (en tenant compte de tous les sujets du droit international, y compris les personnes et les peuples), mais seulement à l’opinio juris, au sens traditionnel du terme. La Cour n’a pas repris, ni même mentionné, certains arguments développés par plusieurs délégations participantes (sur le jus cogens ou le devoir de réparation pour les dommages causés, par exemple), alors qu’elle a accordé une place importante à des points soulevés par une infime minorité de délégations participantes (le Royaume-Uni et les Etats-Unis).
303. Qu’il me soit permis d’insister : on ne peut pas, pour examiner une question aussi importante que celle posée par l’Assemblée générale à la CIJ, adopter une perspective strictement interétatique. C’est une question qui intéresse l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble. Or sa Charte prête une attention toute particulière au droit des peuples.
304. Quoi qu’il en soit, les conclusions de la CIJ présentées dans le dispositif sont constructives et dignes d’attention, et plus encore ses constatations, comme je l’ai déjà indiqué (par. 259 et 287, supra). La Cour a, en effet, conclu que la survenance d’un «fait illicite» continu engage la responsabilité internationale de l’Etat concerné, et que la «réinstallation dans l’archipel des Chagos des nationaux mauriciens, en particulier ceux d’origine chagossienne» est «une question relative à la protection des droits humains des personnes concernées qui devrait être examinée par l’Assemblée générale lors du parachèvement de la décolonisation de Maurice». J’ose ainsi espérer que, malgré ses insuffisances, le présent avis consultatif de la CIJ, et notamment les conclusions de son dispositif, permettront à l’Assemblée générale des Nations Unies de rendre justice à toutes les personnes qui ont subi un préjudice dans l’archipel des Chagos, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes généraux du droit international.
XIX. EPILOGUE : UNE RÉCAPITULATION
305. Au moment de conclure mon opinion individuelle, ma conscience est en paix : j’estime avoir clairement exposé, dans les considérations précédentes, mon raisonnement en ce qui concerne certains des points traités dans le présent avis consultatif. J’ai exprimé mon désaccord manifeste avec certains d’entre eux et ai mentionné ceux qu’il a, à mon avis, négligé d’aborder. Ma position
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est fondée non seulement sur l’évaluation des arguments présentés devant la Cour par les délégations participantes, mais aussi, et avant tout, sur des questions de principes et de valeurs fondamentales, auxquelles j’attache une importance toute particulière.
306. Dans le cadre de ma fonction judiciaire internationale que j’essaie d’exercer fidèlement, je me suis senti tenu de consigner ici les bases de mon raisonnement, qui traite de questions de principe et touche aux fondations du droit international contemporain. Il me paraît opportun, au moment de conclure, de récapituler l’ensemble de mes arguments, reflets de ma conception du droit international, afin de lever toute ambiguïté et de souligner leur enchaînement.
307. Primus : l’Organisation des Nations Unies a, dès la première heure, pris clairement position pour la reconnaissance et la défense du droit fondamental à l’autodétermination. Secundus : il est possible de s’en convaincre en lisant les diverses résolutions où l’Assemblée générale, depuis 1950, insiste sur l’importance du respect de ce droit des peuples afin de renforcer les relations amicales entre les nations, conformément aux buts et principes de l’Organisation des Nations Unies.
308. Tertius : la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 de l’Assemblée générale, comprenant l’historique déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, a largement contribué à la consolidation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle a ainsi transcendé la dimension strictement interétatique en attirant l’attention sur les droits des peuples. Quartus : déjà en 1961, l’Assemblée générale instituait le Comité spécial de la décolonisation, qu’elle a chargé de suivre la mise en oeuvre de la déclaration de 1960, en lui conférant un caractère normatif.
309. Quintus : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’est solidement enraciné en droit international contemporain, comme le démontrent les résolutions successives de l’Assemblée générale pendant les années 1960. Sextus : dans sa résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965, l’Assemblée générale s’inquiétait de ce que le détachement de certaines îles du territoire de Maurice «afin d’y établir une base militaire» constituerait une violation de la déclaration de 1960.
310. Septimus : à l’occasion du 10e anniversaire de la déclaration de 1960, l’Assemblée générale a adopté, le 12 octobre 1970, la résolution 2621 (XXV), dans laquelle elle qualifiait de crime la persistance du colonialisme. Octavus : la même année, la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale en date du 24 octobre 1970, qui comprenait la nouvelle déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, en appelait à la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme moyen de mettre rapidement fin au colonialisme.
311. Nonus : plus récemment, au cours de la dernière décennie, de nouvelles résolutions de l’Assemblée générale ont mis l’accent sur le besoin pressant d’une élimination rapide du colonialisme comme une des priorités de l’Organisation des Nations Unies, afin que tous les peuples puissent exercer pleinement leur droit inaliénable à l’autodétermination. Decimus : cela entraîne nécessairement l’abandon des bases et des activités militaires dans les territoires non autonomes.
312. Undecimus : le droit international de la décolonisation, né sous l’impulsion des pays d’Afrique et d’Asie lors de la conférence de 1955 de Bandung, a été reconnu grâce au soutien de l’Amérique latine et des pays arabes. Duodecimus : ce droit international de la décolonisation a
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incarné l’humanisation du droit international contemporain. Tertius decimus : le corpus juris gentium s’est ainsi trouvé enrichi et a mis en avant le droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes.
313. Quartus decimus : d’autres résolutions, adoptées successivement par l’Organisation de l’unité africaine, puis par l’Union africaine, ont condamné la militarisation de Diego Garcia et plaidé pour la restitution de l’archipel des Chagos (y compris Diego Garcia) à Maurice, en vue de parachever le processus de décolonisation. Quintus decimus : de plus, au niveau de l’Organisation des Nations Unies, le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes a été inscrit, avec des répercussions historiques importantes, dans les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966 (respectivement, droits civils et politiques ; et droits économiques, sociaux et culturels).
314. Sextus decimus : à l’article premier des deux Pactes, la formulation du droit à l’autodétermination est identique, ce qui a pour effet de renforcer l’indivisibilité de l’ensemble des droits de l’homme. Septimus decimus : le Comité des droits de l’homme, dans son observation générale no 12 (de 1984), fait le lien entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en vertu de l’article premier des deux Pactes susmentionnés et la déclaration relative aux principes du droit international de 1970.
315. Duodevicesimus : en outre, ce Comité, dans ses observations sur un rapport du Royaume-Uni, a invité au respect du droit au retour des Chagossiens et à leur indemnisation pour le déni prolongé de ce droit. Undevicesimus : dans d’autres observations générales, il a mis l’accent sur le principe d’humanité ; la vulnérabilité de certains groupes ; et le droit à des réparations.
316. Vicesimus : les fondements du droit à l’autodétermination ont été découverts aux niveaux normatif, doctrinal et jurisprudentiel, y compris, en ce qui concerne ce dernier niveau, dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice. Vicesimus primus : ce droit a ensuite été reconnu dans un contexte plus large par la conférence mondiale sur les droits de l’homme, organisée par l’Organisation des Nations Unies en 1993. Vicesimus secundus : ces développements ainsi que leurs répercussions ont favorisé le processus historique déjà mentionné d’humanisation du droit international contemporain.
317. Vicesimus tertius : il s’est avéré que le corpus juris dans ce domaine était devenu un véritable droit de protection en faveur des droits des êtres humains et des peuples, et non des Etats. Vicesimus quartus : la raison d’humanité a fini, dans le nouveau jus gentium contemporain, par l’emporter sur l’ancienne raison d’Etat. Vicesimus quintus : les délégations participantes, dans leurs réponses écrites (et les commentaires y relatifs) à une question que je leur ai soumise à la fin de la présente procédure consultative, ont mis en avant l’opinio juris communis pour juger de l’importance considérable du droit fondamental à l’autodétermination dans le développement progressif du droit international.
318. Vicesimus sextus : ce droit fondamental, qui relève du jus cogens, est devenu un impératif pour l’Organisation des Nations Unies. Vicesimus septimus : dès le milieu des années 1960, la CDI a également apporté, par ses travaux, sa contribution à la question du jus cogens. Vicesimus octavus : un rapporteur de l’ancienne sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, dans son rapport sur l’application des résolutions de l’Organisation des Nations Unies relatives au droit à l’autodétermination, en a fait de même en confirmant que ce droit fondamental appartenait au jus cogens.
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319. Vicesimus nonus : lors de la présente procédure consultative, cette question a semblablement été portée à l’attention de la Cour dans plusieurs exposés écrits et oraux des délégations participantes, soit pour défendre le caractère de jus cogens du droit fondamental à l’autodétermination, soit pour souligner les obligations erga omnes qui en découlent. Trigesimus : rien ne peut justifier que la CIJ, dans le présent avis consultatif, n’ait pas traité de la question du jus cogens.
320. Trigesimus primus : l’Organisation des Nations Unies elle-même s’est, depuis ses origines, fortement impliquée et engagée dans la réalisation de ce droit fondamental et revêtu du caractère de jus cogens : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Trigesimus secundus : la jurisprudence de la CIJ mentionne bien, ici et là, le jus cogens, mais cette question mériterait que la Cour lui consacre davantage d’attention. Trigesimus tertius : elle devrait même envisager d’étoffer de manière substantielle sa jurisprudence sur le sujet.
321. Trigesimus quartus : le jus cogens et la réalisation de la justice sont étroitement liés. Trigesimus quintus : nous avons, en la matière, besoin d’adopter une approche centrée sur les personnes, car, conformément à la pensée jusnaturaliste, la raison d’humanité prévaut sur la raison d’Etat. Trigesimus sextus : comme l’ont attesté la plupart des délégations qui ont participé à la présente procédure consultative, il existe une opinio juris communis concernant l’appartenance du droit fondamental à l’autodétermination au domaine du jus cogens.
322. Trigesimus septimus : le «consentement» de chaque Etat ne saurait priver le jus cogens de tous ses effets juridiques, pas plus que des conséquences juridiques de sa violation. Trigesimus octavus : ce principe s’applique à diverses situations, notamment au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Trigesimus nonus : la conscience, la conscience juridique universelle, prime la «volonté». Quadragesimus : de toute évidence, le jus cogens (et ses obligations erga omnes correspondantes) s’oppose en tout point à la conception positiviste volontariste du droit international.
323. Quadragesimus primus : le processus historique actuel d’humanisation du droit international (inspiré par l’héritage des «pères fondateurs» du droit des gens) constitue une réaction à l’injustice commise contre tous ceux qui sont vulnérables ou opprimés. Quadragesimus secundus : l’humanisme postule que tous les êtres humains ont une conscience innée de la dignité. Quadragesimus tertius : le nouveau jus gentium contemporain tend à l’universalité, honore la justice objective et s’appuie sur les principes généraux du droit.
324. Quadragesimus quartus : quand elle est amenée à se prononcer sur une question traitant des droits des peuples, comme c’est le cas ici, la Cour ne peut se contenter de l’examiner dans une perspective strictement interétatique, sinon, justice ne peut être rendue. Quadragesimus quintus : la Cour doit adopter un raisonnement adapté à la nature des questions qui lui sont posées. Quadragesimus sextus : Des siècles durant, les êtres humains se sont traités de façon cruelle (comme dans le cas des souffrances infligées par le colonialisme), mais la conscience humaine s’est éveillée à la nécessité de rendre justice aux victimes.
325. Quadragesimus septimus : le principe fondamental d’égalité et de non-discrimination appartient au domaine du jus cogens. Quadragesimus octavus : dans le jus gentium contemporain, les conditions de vie de la population sont devenues un sujet de préoccupation légitime pour la communauté internationale tout entière. Quadragesimus nonus : au cours de la procédure qui nous occupe, plusieurs délégations participantes ont reconnu l’opinio juris communis affirmée sans
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ambiguïté dans plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies relativement à l’obligation universelle de respecter le droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes.
326. Quinquagesimus : les délégations participantes ont également indiqué que, selon elles, il existait une obligation non moins importante de prévoir des réparations pour les peuples en cas de violation de leur droit fondamental à l’autodétermination. Quinquagesimus primus : elles ont soutenu que les peuples qui ont subi un préjudice ont droit à une réparation juste et équitable. Quinquagesimus secundus : les violations de ce droit, dûment identifiées par le présent avis consultatif, imposent un devoir inéluctable de réparation, sous toutes leurs formes.
327. Quinquagesimus tertius : la violation d’un droit entraîne infailliblement une obligation de réparation rapide, qui ne peut être ignorée. Quinquagesimus quartus : la nécessité d’accorder des réparations aux victimes est à l’évidence nécessaire et inéluctable ici. Quinquagesimus quintus : rien ne justifie que la CIJ, dans le présent avis consultatif, ait omis d’examiner leurs droits à des réparations, sous toutes leurs formes.
328. Quinquagesimus sextus : cet aspect nous amène à nous intéresser à la mission des tribunaux internationaux contemporains concernant les droits des peuples, comme l’ont également souligné certaines des délégations participantes. Quinquagesimus septimus : plusieurs décisions en la matière, qui figurent dans la jurisprudence des diverses cours des droits de l’homme (africaine, interaméricaine ou européenne) viennent soutenir la défense des droits des peuples et prévoient des réparations (sous toutes leurs formes) en cas de déplacement forcé.
329. Quinquagesimus octavus : les principes généraux du droit, qui accordent une place de choix aux considérations élémentaires d’humanité, ont toujours joué un rôle prépondérant dans la quête de justice. Quinquagesimus nonus : le positivisme juridique a, de son côté, toujours cherché, en vain, à minimiser le rôle des principes généraux du droit même si, sans ces principes, qui en sont les fondations, aucun système juridique n’est envisageable.
330. Sexagesimus : ce sont les principes généraux du droit (prima principia) qui confèrent à l’ordre juridique sa nécessaire dimension axiologique. Sexagesimus primus : ces principes donnent corps à l’idée de justice objective, qui permet d’envisager l’application d’un droit universel, nouveau jus gentium de notre temps. Sexagesimus secundus : un tribunal international se doit d’être principiste et de refuser toute concession inopportune au volontarisme d’Etat.
331. Sexagesimus tertius : les principes généraux du droit peuvent aisément se passer de la qualification déplacée que leur ajoute l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la CPJI/CIJ. Il est, d’ailleurs, impossible de déterminer quelles sont les «nations civilisées». Nous ne pouvons qu’identifier les pays qui se conduisent de façon «civilisée» dans une situation donnée et à cette occasion uniquement. Sexagesimus quartus : dans le présent avis consultatif, la CIJ a tenu compte du «consentement» des Etats, alors qu’il ne s’agit pas d’un «principe».
332. Sexagesimus quintus : les principes généraux du droit et les valeurs cardinales éclipsent largement le consentement des Etats. Sexagesimus sextus : lorsque l’on s’intéresse au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui relève du jus cogens, il n’est pas possible, comme le fait le présent avis consultatif, de faire abstraction de l’opinio juris communis et du devoir de réparation. Sexagesimus septimus : en traitant d’une question de cette importance, on ne peut s’en tenir au niveau strictement interétatique : elle concerne l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble ; or sa Charte est particulièrement attentive aux droits des peuples.
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333. Sexagesimus octavus : quoi qu’il en soit, la CIJ a constaté à juste titre, dans le présent avis consultatif, la survenance d’un «fait illicite» continu qui engageait la responsabilité internationale de l’Etat concerné. Sexagesimus nonus : la Cour a également conclu que la «réinstallation dans l’archipel des Chagos des nationaux mauriciens, y compris ceux d’origine chagossienne» était «une question relative à la protection des droits humains … qui devrait être examinée par l’Assemblée générale lors du parachèvement de la décolonisation de Maurice».
334. Septuagesimus : malgré ses insuffisances, le présent avis consultatif de la CIJ, et notamment les conclusions de son dispositif, peuvent permettre à l’Assemblée générale des Nations Unies de rendre justice à toutes les personnes qui ont subi un préjudice dans l’archipel des Chagos, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes généraux du droit international. Septuagesimus primus : les principes fondamentaux constituent, en effet, la base même de la réalisation de la justice : ils donnent corps à l’idée d’une justice objective pour l’application du droit international universel, nouveau jus gentium humanisé de notre temps.
(Signé) Antônio Augusto CANÇADO TRINDADE.
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Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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