Déclaration de M. le juge Gaja

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158-20161005-JUD-01-09-EN
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158-20161005-JUD-01-00-EN
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D ÉCLARATION DE M. LE JUGE G AJA

[Traduction]

Dans les trois arrêts qu’elle a rendus dans les affaires introduites par la République des
Iles Marshall, la Cour a conclu pour la première fois qu’elle ne pouvait connaître d’une affaire au
motif qu’il n’existait pas de différend entre les Parties à la date du dépôt de la requête. Etant
parvenue à cette conclusion, elle a décidé qu’elle n’avait pas besoin d’examiner les autres

exceptions soulevées par les Etats défendeurs. On pourrait penser que cette approche est une
application du principe d’économie judiciaire. Or l’économie judiciaire peut aussi commander que
la Cour statue sur certaines questions soulevées par les Etats défendeurs et susceptibles de faire
l’objet de nouvelles procédures entre les mêmes Parties, quand il existe une nette possibilité de voir
l’Etat demandeur engager ces nouvelles procédures.

Comme l’a noté sir Hersch Lauterpacht dans l’exposé de son opinion individuelle qui a été
joint à l’arrêt rendu en l’affaire relative à Certains emprunts norvégiens,

«[i]l se peut qu’il y ait quelque chose de convaincant et de séduisant dans l’opinion
d’après laquelle, entre plusieurs solutions possibles, un tribunal doit choisir la plus
simple, la plus concise et la plus rapide. Toutefois, … cela ne saurait constituer, pour
cette Cour, les seules considérations légitimes en cause.» (C.I.J. Recueil 1957, p. 36.)

Des différends au sujet des questions abordées dans les présentes affaires ont manifestement
surgi depuis avril 2014 comme suite à la requête et aux réactions des Etats défendeurs. Les arrêts
de la Cour ouvrent donc apparemment aux Iles Marshall la possibilité d’introduire de nouvelles
instances portant sur les mêmes questions.

Si l’une des autres exceptions soulevées par un Etat défendeur avait été retenue, l’arrêt de la

Cour aurait en pratique incité les Iles Marshall à ne pas former de nouvelle requête contre cet Etat.

Réciproquement, si la Cour avait rejeté d’autres exceptions, l’arrêt aurait empêché que ces
exceptions ne soient soulevées dans une nouvelle instance. Dans le meilleur des cas pour les Iles
Marshall, l’affaire devrait alors pouvoir être examinée au fond.

Les questions examinées dans les écritures et plaidoiries des présentes affaires n’auraient par

conséquent pas besoin d’être examinées à nouveau. Il aurait donc mieux valu que la Cour examine
les autres exceptions après avoir conclu qu’il n’existait pas de différends à la date du dépôt des
requêtes.

(Signé) Giorgio G AJA.

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Bilingual Content

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198
DECLARATION OF JUDGE GAJA
In the three Judgments concerning the cases filed by the Republic of
the Marshall Islands the Court finds for the first time that it cannot entertain
a case because there was no dispute between the Parties on the date
when the Application was filed. Having reached this conclusion, the
Court decides that it does not need to examine the other objections raised
by the respondent States. This approach may be viewed as an application
of the principle of judicial economy. However, judicial economy may also
require the Court to take a decision on certain issues that were raised by
the respondent States and which are likely to have to be litigated again in
new proceedings between the same Parties, when these proceedings are a
distinct possibility.
As Judge Sir Hersch Lauterpacht noted in his separate opinion in the
Certain Norwegian Loans case,
“[t]here may be force and attraction in the view that among a number
of possible solutions a court of law ought to select that which is most
simple, most concise and most expeditious. However . . . such considerations
are not, for this Court, the only legitimate factor in the
situation.” (Judgment, I.C.J. Reports 1957, p. 36.)
With regard to the matters addressed in the present cases, disputes have
clearly arisen since April 2014 as a result of the Applications and of the
respondent States’ reactions. The Judgments of the Court thus leave the
Marshall Islands with the apparent option to start new judicial proceedings
concerning the same matters.
Should one of the other objections raised by a respondent State have
been upheld, the Court’s Judgment would have in practice induced the
Marshall Islands not to file a new application against that State.
On the other hand, if the Court had rejected other objections, the
Court’s Judgment would have prevented the formulation of the same
objections in new proceedings. In the best scenario for the Marshall
Islands, the case could then have to be examined on the merits.
The discussion in the written and oral proceedings in the present cases
would not have to be repeated. It would have therefore been preferable
for the Court to continue its examination of the objections after finding
that there were no disputes at the time of filing the Applications.
(Signed) Giorgio Gaja.
449
198
DÉCLARATION DE M. LE JUGE GAJA
[Traduction]
Dans les trois arrêts qu’elle a rendus dans les affaires introduites par la
République des Iles Marshall, la Cour a conclu pour la première fois qu’elle
ne pouvait connaître d’une affaire au motif qu’il n’existait pas de différend
entre les Parties à la date du dépôt de la requête. Etant parvenue à cette
conclusion, elle a décidé qu’elle n’avait pas besoin d’examiner les autres
exceptions soulevées par les Etats défendeurs. On pourrait penser que cette
approche est une application du principe d’économie judiciaire. Or, l’économie
judiciaire peut aussi commander que la Cour statue sur certaines
questions soulevées par les Etats défendeurs et susceptibles de faire l’objet
de nouvelles procédures entre les mêmes Parties, quand il existe une nette
possibilité de voir l’Etat demandeur engager ces nouvelles procédures.
Comme l’a noté sir Hersch Lauterpacht dans l’exposé de son opinion
individuelle qui a été joint à l’arrêt rendu en l’affaire relative à Certains
emprunts norvégiens,
« [i]l se peut qu’il y ait quelque chose de convaincant et de séduisant
dans l’opinion d’après laquelle, entre plusieurs solutions possibles, un
tribunal doit choisir la plus simple, la plus concise et la plus rapide.
Toutefois, … cela ne saurait constituer, pour cette Cour, les seules
considérations légitimes en cause. » (Arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 36.)
Des différends au sujet des questions abordées dans les présentes
affaires ont manifestement surgi depuis avril 2014 comme suite à la
requête et aux réactions des Etats défendeurs. Les arrêts de la Cour
ouvrent donc apparemment aux Iles Marshall la possibilité d’introduire
de nouvelles instances portant sur les mêmes questions.
Si l’une des autres exceptions soulevées par un Etat défendeur avait été
retenue, l’arrêt de la Cour aurait en pratique incité les Iles Marshall à ne
pas former de nouvelle requête contre cet Etat.
Réciproquement, si la Cour avait rejeté d’autres exceptions, l’arrêt
aurait empêché que ces exceptions ne soient soulevées dans une nouvelle
instance. Dans le meilleur des cas pour les Iles Marshall, l’affaire devrait
alors pouvoir être examinée au fond.
Les questions examinées dans les écritures et plaidoiries des présentes
affaires n’auraient par conséquent pas besoin d’être examinées à nouveau.
Il aurait donc mieux valu que la Cour examine les autres exceptions après
avoir conclu qu’il n’existait pas de différends à la date du dépôt des
requêtes.
(Signé) Giorgio Gaja.

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Déclaration de M. le juge Gaja

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