Opinion individuelle de M. Elias (traduction)

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062-19760911-ORD-01-07-EN
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062-19760911-ORD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. ELlAS

[Traduction]

Après mûre réflexion,j'ai décidén,on sanshésitation, de suivre la ma-
jorité de la Cour et d'accepter l'ordonnance, mais pour des motifs autres
que certainsde ceux qui sont énoncés dans les considérants.
La présente affaire estprobablement unique en ce sens que, pour la

premièrefois,un Etat requérantasaisi concurremmentet parallèlement la
Cour et le Conseil de sécurité,demandant à l'une età I'autre des mesures
correctives sur lesplansjuridique etpolitique. Cetteméthode paraît juri-
diquement admissible, mais il est certain qu'elle présente des problèmes
et des incidences qui lui sont propres, d'où mon dilemme. Sans entrer
ici dans une analyse détaillédes relationsentre le Conseilde sécuritéet la
Cour, l'un et I'autre organes principaux des Nations Unies en vertu de
l'article, paragraphe 1,de la Charte, ni dans la question de l'interpréta-
tion correcte de l'article6, paragraphe 1, du Statut de la Cour, on peut
dire que les deux organes sont compétents chacun dans son domaine
propre pour connaître de la question dont il est saisi et parvenir à ses
propres conclusions à ce sujet. J'examinerai plus loin les conséquenceà
entirer.

Sur la question de la compétence pour connaître de la demande
grecque en indication de mesures conservatoires, j'accepte l'opinion de la
majorité suivantlaquelle il n'est pas nécessaire detrancher cette question
aux fins de I'indication de mesures conservatoires en vertu de l'article 41
du Statut.

Mon objection principale concerne le motif apparemment invoqué
dans l'ordonnance, à savoir que le Gouvernement grec n'a pas prouvé
avoir subi un préjudiceou un tort irréparable affectant le plateau con-

tinental, qui justifierait I'indication de mesures conservatoires au sens de
l'article1, paragraphe 1, du Statut de ia Cour, celle-ci ne pouvant indi-
quer de telles mesures que «si elleestime que les circonstances l'exigeB.
Il ne me semble pas que la Cour, en paraissant pencher plus pour la
«conservation »des droits quepour la préventiond'une aggravation éven-
tuelle de la situation ou d'une extension du différend,ait maintenu un
équilibre suffisantentre les deux éléments comme levoudrait sa propre
jurisprudence.
On a souvent affirméque le préjudiceaux droits en cause consiste soit
en une destruction physique soit dans la disparition de ce qui fait l'objet

28du différend.Il sembledonc quel'aggravation ou l'extensiondu différend
doive se rapporter à une situation où à un étatde fait susceptible d'être
aggravépar l'action d'une partie, ou des deux, avant la décision final-
c'est-à-direpar quelque chose qui puisse empêcherde statuer utilement.
En revanche, la notion d'aggravation ou d'extension du différend est
parfoisinterprétée étroitementt;el estlecasen l'espèce.L'argument, en la
présenteaffaire,paraît être quesi le demandeur possède effectivementles
droits qu'il revendique il pourrait êtredédommagé en numéraireou en
nature si la Cour devait donner tortà l'autre Etat. Ce n'estpas une situa-

tion satisfaisante.
Malgré la Convention de Genèvede 1958sur le plateau continental
dont l'article2, paragraphes 2 et 3, reconnaît des droits exclusiàs1'Etat
riverain, le Gouvernement turc a octroyédes permis d'exploration et
d'exploitation, c'est-à-dire des concessionspétrolières,sa Sociéténatio-
nale despétrolessansl'autorisation de 1'Etatriverain. Cette action paraît
êtreau détriment dudroit d'exclusivitérevendiquépar cedernier. L'obiter
dictumparfois citédel'affairedu Statutjuridiquedu territoiredusud-estdu
Groënland (C.P.J.I. série AIB no 48, p. 268), suivant lequel mêmedes
mesures de nature à modifier le statut juridique du territoire n'auraient
pas en fait des conséquencesirrémédiablesendroit (p. 284 et 288), doit
être compriscomme s'appliquant uniquement aux circonstancesparticu-
lièresde l'espèce,dans laquellela Cour avait concluque«l'état d'esprit et
les intentions» des deux pays étaientsi «éminemment rassurants» qu'il
n'y avait pas lieu d'indiquerdes mesuresconservatoires «dans le seuldes-
sein de prévenir des occurrencesregrettableset des incidents fâcheux».

En Grèceet en Turquie aujourd'hui l'état d'esprit etles intentions sont
loind'être «rassurants»,c'estlemoins qu'onpuissedire.
Les droits relatifs au plateau continental de la mer Egéene sont pas
comparables aux droits de chasse et de culture en cause dans l'affairedu
Statut du territoire dusud-estduGroënland.On ne peut pas non plus vrai-
ment comparer le cas de groupes ou d'individushabitant il y a plus de
quarante ans diversesparties d'un continent peu peupléet celui de deux
pays industrialisés exploitant compétitivementune ressource comme le
pétrole quin'est pas inépuisable dansune régionaussi encombrée que
la mer Egée.Dans celle-ci, le danger de frictions et mêmed'explosion
est réel,et les conséquences dommageablesqui en résulteraient pour-
raient êtreirrémédiables.
Plutôt que de suivre religieusementla formule de l'affairedu Statut du
territoiredusud-est du Groënland, il me paraît que, dans le présenttype
d'instance, un guide meilleur et plus pertinent pourrait être trouvé dans

celle de la Compagnie d'électricité de Soja et de Bulgarie (C.P.J.I.
sérieAIBno 79,p. 194-199).Dans cetteaffaire,la Cour a déclaré quel'ar-
ticle41de son Statut
«applique le principe universellement admis devant les juridictions
internationale...d'aprèslequel lesparties en cause doivent s'abste-
nir de toute mesure susceptible d'avoir une répercussion préjudi- ciableàl'exécution deladécisionàinterveniret, en général,ne laisser
procéder à aucun acte, de quelque nature qu'il soit, susceptible
d'aggraverou d'étendreledifférend ».

Dans une situation où des arméesse font vis-à-visd'une côte à l'autre'
où l'on se surveille mutuellement par des survols aériens,etoù toute une
flotte de navires de débarquement est rassembléesur la côte turque face
aux îlesgrecques,il existeun dangerpersistant de conflit armé. Il est donc
nécessairede décourager les deux parties de poursuivre des actions de
harcèlementet d'enfreindre les droits invoquéstant que les questions qui
les opposent n'auront pas été régléesS. elonmoi la Cour apar conséquent
eu raison de souligner le point en ces termes au paragraphe 41 de l'or-
donnance :

«41. Considérant que la GrèceetlaTurquie,toutesdeux Membres
des Nations Unies, ont expressémentreconnu la responsabilité du
Conseil de sécuritéquant au maintien de la paix et de la sécurité
internationales; considérant que, dans la résolution susmentionnée,
le Conseil de sécurité leura rappelé, dans les termes reproduits au
paragraphe 39 ci-dessus, les obligations que la Charte des Nations
Unies leur impose pour cequi est du règlement pacifique des diffé-
rends; considéranten outre que, comme la Cour l'a déjàindiqué,ces
,obligations ont un caractère manifestement impératif ence qui con-
cerne leur présent différendrelatif au plateau continental de la mer

Egée;et considérant quel'on ne saurait présumerquel'un ou l'autre
Etat manquera aux obligationsquelui impose la Charte des Nations
Unies ou ne tiendra pas compte des recommandations du Conseil de
sécuritéquilui sont adresséesau sujet du présentdifférend*.
Il me semble que l'application de l'article41 du Statut soulèvedespro-
blèmes defond comme de procédurequi exigent d'êtrerepensésd'urgence

et sérieusementpar la Cour. Il y a, par exemple, la question de lajuridic-
tion préliminaireouincidente; il ya aussila notion du critèrejudiciaire de
l'aggravation ou de l'extension du différend.Après tout, dans sa résolu-
tion 171 (II) du 14 novembre 1947, l'Assembléegénéralea formulé la
recommandation suivante :
«il est de toute première importance qu'il soit leplus largementfait

appelà la Courpour le développemenp trogressif dudroit international,
tantà l'occasion de litiges entre Etats qu'en matièred'interprétation
constitutionnelle» (lesitaliquessontde moi). Pour finir, l'acceptation apparente par la majorité de la Cour de l'idée
que, àpartir dumoment où tout dommage résultantdel'exploration et/ou
de l'exploitation par la Turquie pourrait être réparé en espècesou en
nature, la Grèce ne saurait êtreconsidéréecommeayant subi un préjudice
irréparablene me paraît pas justifiée. Elleimplique qu'un Etat capablede
payer pourrait, en vertu de ceprincipe,porter tort impunémentà un autre
Etat, dans la mesure où elle ne tient pas compte du fait que le tort dont
il s'agirait pourrait en soi suffireurter de manière irréparablela sus-
ceptibilité nationale de1'Etat offensé.La justice ou l'injustice de l'acte

lui-mêmeserait indifférente.C'est là un principe devant lequel le droit
international contemporain devrait reculer: la force ne devrait plus créer
le droit dans lesrelations actuellesentre Etats.
Malgré certaines parties du raisonnement que je n'accepte pas, il im-
porte de souligner la portéedu paragraphe 41 de l'ordonnance qui, de la
façon dont je l'interprète, souligne autant qu'il est possible la substance
de la résolution du Conseil de sécurité,à savoir que chacune des deux
parties devrait respecter les droits de l'autre et ne rien faire qui puisse
aggraver la situation en attendant des négociationsqui aient un sens et le
règlement pacifique du différend.Attendu que c'est là nécessairementle
principal objectif de la demande grecque et que la substancede la résolu-
tion du Conseil de sécuritéainsi incorporéeà l'ordonnance a étéen elle-
mêmeacceptéepar le demandeur, l'ordonnance va loin dans la direction
du résultatrecherché.
Il convient d'ailleurs de noter que la demande initiale de la Grèce

n'aurait pu de toute façon êtreacceptée telle quelle.Mêmesi la Cour
avait été disposée indiquer des mesures, il lui aurait fallu secontenter de
prescrire auxdeux Etats de préserverla paixjusqu'aux négociationset au
règlement. Bien que l'ordonnance se traduise par un refus il y a lieu
d'espérerqu'elleservira la cause dela paix.

(Signé T)aslim O. ELIAS.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE ELIAS

After careful reflection1have reluctantly decided to go along with the
majority of the Court in accepting the Order just made, but for reasons
other than some of those givenin the preambular paragraphs.
The present case is probably unique in that it was the first in which an
applicant State brought a simultaneous and parallel action to the Court
and to the Security Council asking both for legal and political remedies
or reliefs. While this step would seem legallyadmissible, it clearly has its
own problems and implications from which my dilemma has arisen.
Without embarking here upon any detailed analysis of the relationship
between the Security Council and the Court as CO-ordinateprincipal

organs of the United Nations under Article 7 (1) of the United Nations
Charter, or the correct interpretation ofArticle36(1) ofthe Statute ofthe
Court, both organs are competent each in its own sphere to deal with the
matter submitted to it and come to its own conclusions thereon. The
implications of this willbe considered presently.

On the question ofjurisdiction to entertain the Greek Application for
the request for provisional measures of protection in this case, 1 accept
the majority view that it is not necessary to decide the question for the
purpose of indicating provisional measures of protection under Article
41 of the Statute of the Court.

My main quarrel with the reason apparently givenfor the Order is that

the Greek Government has failed to establish that it has suffered irrep-
arable damage or harm to the continental shelf which would warrant the
indication ofinterim measures ofprotection within the meaning of Article
41 (1) ofthe Statute of the Court, which can indicate such measures only
"if it considers that circumstances so require". Itoes not seemto me that
the Court, by appearing to lean moretowards "preservation" ofrights and
less towards possible aggravation of the situation or expansion of the
dispute, has maintained sufficient balance between the two elements as
laid down in the Court's ownjurisprudence.

Prejudice to the rights in question has commonly been claimed to
consist in either physical destruction or disappearance of the subject- OPINION INDIVIDUELLE DE M. ELlAS

[Traduction]

Après mûre réflexion,j'ai décidén,on sanshésitation, de suivre la ma-
jorité de la Cour et d'accepter l'ordonnance, mais pour des motifs autres
que certainsde ceux qui sont énoncés dans les considérants.
La présente affaire estprobablement unique en ce sens que, pour la

premièrefois,un Etat requérantasaisi concurremmentet parallèlement la
Cour et le Conseil de sécurité,demandant à l'une età I'autre des mesures
correctives sur lesplansjuridique etpolitique. Cetteméthode paraît juri-
diquement admissible, mais il est certain qu'elle présente des problèmes
et des incidences qui lui sont propres, d'où mon dilemme. Sans entrer
ici dans une analyse détaillédes relationsentre le Conseilde sécuritéet la
Cour, l'un et I'autre organes principaux des Nations Unies en vertu de
l'article, paragraphe 1,de la Charte, ni dans la question de l'interpréta-
tion correcte de l'article6, paragraphe 1, du Statut de la Cour, on peut
dire que les deux organes sont compétents chacun dans son domaine
propre pour connaître de la question dont il est saisi et parvenir à ses
propres conclusions à ce sujet. J'examinerai plus loin les conséquenceà
entirer.

Sur la question de la compétence pour connaître de la demande
grecque en indication de mesures conservatoires, j'accepte l'opinion de la
majorité suivantlaquelle il n'est pas nécessaire detrancher cette question
aux fins de I'indication de mesures conservatoires en vertu de l'article 41
du Statut.

Mon objection principale concerne le motif apparemment invoqué
dans l'ordonnance, à savoir que le Gouvernement grec n'a pas prouvé
avoir subi un préjudiceou un tort irréparable affectant le plateau con-

tinental, qui justifierait I'indication de mesures conservatoires au sens de
l'article1, paragraphe 1, du Statut de ia Cour, celle-ci ne pouvant indi-
quer de telles mesures que «si elleestime que les circonstances l'exigeB.
Il ne me semble pas que la Cour, en paraissant pencher plus pour la
«conservation »des droits quepour la préventiond'une aggravation éven-
tuelle de la situation ou d'une extension du différend,ait maintenu un
équilibre suffisantentre les deux éléments comme levoudrait sa propre
jurisprudence.
On a souvent affirméque le préjudiceaux droits en cause consiste soit
en une destruction physique soit dans la disparition de ce qui fait l'objet

28matter of the dispute. It thus appears that the aggravation or expansion
of the dispute must relate to a situation or state of fact which may be
worsenedby act of one or both parties pending the finaldecision-that is,
something done which might frustrate the givingof an effectivedecision.
On the other hand, consideration of the aggravation or extension is
sometimesnarrowly construed, as has happened in the present case. The
argument in the present case seemsto be that even if the Applicant has
the rights claimedby it, they could be compensated for in cash or kind if

the other sideshould ultimately be found to be in the wrong.Thisis not a
satisfactory state of affairs.
Despite the Geneva Convention on the Continental Shelf of 1958,
Article2(2)and (3)ofwhichgivesexclusiverightsto the coastal State, the
Turkish Government granted licences of exploration and exploitation,
that is, oil concessions,to its national oilmpany,without the consent
of the coastal State. This would appear to be prejudicial to the right of
exclusivityclaimedby the latter. The obiterdictumsometimes cited from
the Legal Statusof South-EasternGreenlandcase (P.C.I.J., Series AIB,
No.48,1932,p. 268)to the effectthat evenaction calculatedto changethe
legalstatusoftheterritory wouldnotin facthaveirreparable consequences
for whichno legal remedywould be available @p.284and 288) must be
regarded as limited to the peculiar circumstancesof that case, in which
the Court found "the state ofmind and intentions" inboth countrieswere
so "eminently reassuring" that there was no need to indicate interim
measures "for the sole purpose of preventing regrettable events and
unfortunate incidents". To saythe least,in both Greeceand Turkeytoday
the state of mind and the intentions are far from "reassuring".

The rights in the continental shelfin the Aegean Seaare not like those
which hunting and farming rights connote in the South-EasternGreen-
landcase. Nor is there a true comparison between the case of groups of
individuals inhabiting diverse parts of a sparsely populated continent
over 40 years ago and that of two industrialized nations engaged in
competitiveexploitation of wasting assetslike oil in the crowded Aegean

Sea.In the latter, the danger offriction and evenexplosionis real andthe
resultingdamage might be irremediable.

Rather than followthe South-EasternGreenlandformula religiously,it
seemsto me that a better and more relevant guide in our type of case is
to befound in the Electricity Company ofSoJiaand Bulgariacase(P.C.I.J.,
Series AIB, No. 79, 1939, pp. 194-199).There the Court declared that
Article 41 of theStatute of the Court:

"... applies the principle universally accepted by international

tribunals... that the partiesto a casemustabstainfrom any measure
capable of exercisinga prejudicial effectin regard to the executiondu différend.Il sembledonc quel'aggravation ou l'extensiondu différend
doive se rapporter à une situation où à un étatde fait susceptible d'être
aggravépar l'action d'une partie, ou des deux, avant la décision final-
c'est-à-direpar quelque chose qui puisse empêcherde statuer utilement.
En revanche, la notion d'aggravation ou d'extension du différend est
parfoisinterprétée étroitementt;el estlecasen l'espèce.L'argument, en la
présenteaffaire,paraît être quesi le demandeur possède effectivementles
droits qu'il revendique il pourrait êtredédommagé en numéraireou en
nature si la Cour devait donner tortà l'autre Etat. Ce n'estpas une situa-

tion satisfaisante.
Malgré la Convention de Genèvede 1958sur le plateau continental
dont l'article2, paragraphes 2 et 3, reconnaît des droits exclusiàs1'Etat
riverain, le Gouvernement turc a octroyédes permis d'exploration et
d'exploitation, c'est-à-dire des concessionspétrolières,sa Sociéténatio-
nale despétrolessansl'autorisation de 1'Etatriverain. Cette action paraît
êtreau détriment dudroit d'exclusivitérevendiquépar cedernier. L'obiter
dictumparfois citédel'affairedu Statutjuridiquedu territoiredusud-estdu
Groënland (C.P.J.I. série AIB no 48, p. 268), suivant lequel mêmedes
mesures de nature à modifier le statut juridique du territoire n'auraient
pas en fait des conséquencesirrémédiablesendroit (p. 284 et 288), doit
être compriscomme s'appliquant uniquement aux circonstancesparticu-
lièresde l'espèce,dans laquellela Cour avait concluque«l'état d'esprit et
les intentions» des deux pays étaientsi «éminemment rassurants» qu'il
n'y avait pas lieu d'indiquerdes mesuresconservatoires «dans le seuldes-
sein de prévenir des occurrencesregrettableset des incidents fâcheux».

En Grèceet en Turquie aujourd'hui l'état d'esprit etles intentions sont
loind'être «rassurants»,c'estlemoins qu'onpuissedire.
Les droits relatifs au plateau continental de la mer Egéene sont pas
comparables aux droits de chasse et de culture en cause dans l'affairedu
Statut du territoire dusud-estduGroënland.On ne peut pas non plus vrai-
ment comparer le cas de groupes ou d'individushabitant il y a plus de
quarante ans diversesparties d'un continent peu peupléet celui de deux
pays industrialisés exploitant compétitivementune ressource comme le
pétrole quin'est pas inépuisable dansune régionaussi encombrée que
la mer Egée.Dans celle-ci, le danger de frictions et mêmed'explosion
est réel,et les conséquences dommageablesqui en résulteraient pour-
raient êtreirrémédiables.
Plutôt que de suivre religieusementla formule de l'affairedu Statut du
territoiredusud-est du Groënland, il me paraît que, dans le présenttype
d'instance, un guide meilleur et plus pertinent pourrait être trouvé dans

celle de la Compagnie d'électricité de Soja et de Bulgarie (C.P.J.I.
sérieAIBno 79,p. 194-199).Dans cetteaffaire,la Cour a déclaré quel'ar-
ticle41de son Statut
«applique le principe universellement admis devant les juridictions
internationale...d'aprèslequel lesparties en cause doivent s'abste-
nir de toute mesure susceptible d'avoir une répercussion préjudi- of the decision to be givenand, in general, not allow any step of any
kind to be taken which might aggravate or extend the dispute".

There is the continuing danger that, in the face of standing armies on
opposite coasts, the frequent surveillance of each other's movements by
the overflying of aircraft, and the presence of a large fleet of landing
vessels on the Turkish Coastfacing the Greek islands, an armed conflict
will break out. It is, therefore, necessary to discourage both sides from
maintaining the continuing harassment and infringement of allegedrights

until the settlement of the issues thativide them. That is why the Court
is, in my view, along the right lines when it emphasizes this point in
paragraph 41 of the Order as follows:
"Whereas both Greece and Turkey, as Members of the United
Nations, have expressly recognized the responsibility of the Security
Council for the maintenance of international peace and security;
whereas, in the above-mentioned resolution, the Security Council
has recalled to them their obligations under the United Nations
Charter with respect to the peaceful settlement of disputes, in the
terms set out in paragraph 39 above; whereas, furthermore, as the

Court has already stated, these obligations are clearly imperative in
regard to their present dispute concerningthe continental shelfin the
Aegean; and whereas it is not to be presumed that either State will
fail to heed its obligations under the Charter of the United Nations
orfailto take account oftherecommendations ofthe SecurityCouncil
addressed to them with respect to their present dispute."

It seemsto methat there are substantiveas wellasprocedural questions
raised in the consideration of the application of Article 41 of theStatute
of the Court which require urgent and serious re-thinking by the Court.
There is, for instance, the question of preliminary or incidental jurisdic-

tion; and there is also the concept of the judicial criterion concerning
aggravation and extension of a dispute. After all, the General Assembly
recommended in its resolution 171(II) of 14November 1947:
".. .that it is also of paramount importance that the Court should
be utilizedto thegreatestpracticableextent in theprogressivedevelop-
ment of international law, both in regard to legal issues between
States and in regard to constitutional interpretation ..." (italics
added). ciableàl'exécution deladécisionàinterveniret, en général,ne laisser
procéder à aucun acte, de quelque nature qu'il soit, susceptible
d'aggraverou d'étendreledifférend ».

Dans une situation où des arméesse font vis-à-visd'une côte à l'autre'
où l'on se surveille mutuellement par des survols aériens,etoù toute une
flotte de navires de débarquement est rassembléesur la côte turque face
aux îlesgrecques,il existeun dangerpersistant de conflit armé. Il est donc
nécessairede décourager les deux parties de poursuivre des actions de
harcèlementet d'enfreindre les droits invoquéstant que les questions qui
les opposent n'auront pas été régléesS. elonmoi la Cour apar conséquent
eu raison de souligner le point en ces termes au paragraphe 41 de l'or-
donnance :

«41. Considérant que la GrèceetlaTurquie,toutesdeux Membres
des Nations Unies, ont expressémentreconnu la responsabilité du
Conseil de sécuritéquant au maintien de la paix et de la sécurité
internationales; considérant que, dans la résolution susmentionnée,
le Conseil de sécurité leura rappelé, dans les termes reproduits au
paragraphe 39 ci-dessus, les obligations que la Charte des Nations
Unies leur impose pour cequi est du règlement pacifique des diffé-
rends; considéranten outre que, comme la Cour l'a déjàindiqué,ces
,obligations ont un caractère manifestement impératif ence qui con-
cerne leur présent différendrelatif au plateau continental de la mer

Egée;et considérant quel'on ne saurait présumerquel'un ou l'autre
Etat manquera aux obligationsquelui impose la Charte des Nations
Unies ou ne tiendra pas compte des recommandations du Conseil de
sécuritéquilui sont adresséesau sujet du présentdifférend*.
Il me semble que l'application de l'article41 du Statut soulèvedespro-
blèmes defond comme de procédurequi exigent d'êtrerepensésd'urgence

et sérieusementpar la Cour. Il y a, par exemple, la question de lajuridic-
tion préliminaireouincidente; il ya aussila notion du critèrejudiciaire de
l'aggravation ou de l'extension du différend.Après tout, dans sa résolu-
tion 171 (II) du 14 novembre 1947, l'Assembléegénéralea formulé la
recommandation suivante :
«il est de toute première importance qu'il soit leplus largementfait

appelà la Courpour le développemenp trogressif dudroit international,
tantà l'occasion de litiges entre Etats qu'en matièred'interprétation
constitutionnelle» (lesitaliquessontde moi). Finally, the apparent acceptance by the majority of the Court that,
once any damage resulting from the exploration and/or exploitation by
Turkey is capable of being compensated for in cash or kind, Greece
cannot be said to have suffered irreparable damage does not seem to me
to be a valid one. It means that the State which has the ability to pay can
under this principle commit wrongs against another State with impunity,
since it discounts the fact that the injury by itself might be sufficientto
cause irreparable harm to the national susceptibilities of the offended
State. The rightness or wrongness of the action itself does not seem to
matter. This is a principle upon which,contemporary international law
should frown: might should no longer be right in today's inter-State

relations.
Despite some of the reasonings, with which 1do not agree, it is impor-
tant to underlinethe significanceof paragraph 41 of the Order which, as
1understand it, spells out as far as possible the substance of the Security
Council resolution, which is that both sides should respect each other's
rights and do nothing to worsen the situation pending meaningful nego-
tiations and peaceful settlement of the dispute. Since this must be the
main objectiveofthe GreekGovernment'srequest and sincethe substance
of the Security Councilresolution which has thus been incorporated had
been accepted as such by the Applicant, the Order has gone far towards
achieving the desired result.

The original Greek request, it must be noted, could not in any case
have been granted as prayed. Even if the Court were disposed to grant
any request, it should have had to be limited to restraining both sides to

keep the peace until negotiation and settlement. Although the Order
speaks the language of refusa1it is nevertheless to be hoped that it will
serve the cause of peace.

(Signed) Taslim O. ELIAS. Pour finir, l'acceptation apparente par la majorité de la Cour de l'idée
que, àpartir dumoment où tout dommage résultantdel'exploration et/ou
de l'exploitation par la Turquie pourrait être réparé en espècesou en
nature, la Grèce ne saurait êtreconsidéréecommeayant subi un préjudice
irréparablene me paraît pas justifiée. Elleimplique qu'un Etat capablede
payer pourrait, en vertu de ceprincipe,porter tort impunémentà un autre
Etat, dans la mesure où elle ne tient pas compte du fait que le tort dont
il s'agirait pourrait en soi suffireurter de manière irréparablela sus-
ceptibilité nationale de1'Etat offensé.La justice ou l'injustice de l'acte

lui-mêmeserait indifférente.C'est là un principe devant lequel le droit
international contemporain devrait reculer: la force ne devrait plus créer
le droit dans lesrelations actuellesentre Etats.
Malgré certaines parties du raisonnement que je n'accepte pas, il im-
porte de souligner la portéedu paragraphe 41 de l'ordonnance qui, de la
façon dont je l'interprète, souligne autant qu'il est possible la substance
de la résolution du Conseil de sécurité,à savoir que chacune des deux
parties devrait respecter les droits de l'autre et ne rien faire qui puisse
aggraver la situation en attendant des négociationsqui aient un sens et le
règlement pacifique du différend.Attendu que c'est là nécessairementle
principal objectif de la demande grecque et que la substancede la résolu-
tion du Conseil de sécuritéainsi incorporéeà l'ordonnance a étéen elle-
mêmeacceptéepar le demandeur, l'ordonnance va loin dans la direction
du résultatrecherché.
Il convient d'ailleurs de noter que la demande initiale de la Grèce

n'aurait pu de toute façon êtreacceptée telle quelle.Mêmesi la Cour
avait été disposée indiquer des mesures, il lui aurait fallu secontenter de
prescrire auxdeux Etats de préserverla paixjusqu'aux négociationset au
règlement. Bien que l'ordonnance se traduise par un refus il y a lieu
d'espérerqu'elleservira la cause dela paix.

(Signé T)aslim O. ELIAS.

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Opinion individuelle de M. Elias (traduction)

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