Déclaration de M. le juge Bennouna

Document Number
149-20130416-JUD-01-01-EN
Parent Document Number
149-20130416-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

94

DÉCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA

[Texte original français]

Place du droit colonial (droit français d’outre­mer) — Portée du principe de
l’uti possidetis juris — Conséquences du tracé de la frontière établi par réfé▯rence
au droit colonial — Evolution du concept de souveraineté — Prise en considération
de l’évolution des réalités humaines et géographiques.

J’appuie la décision de la Cour dans le contexte du compromis entrbe les
deux Parties, le Burkina Faso et le Niger, par lequel elle a été sbaisie. Cela
étant, je ne peux manquer de m’interroger, en cette seconde décbennie
e
du XXI siècle, sur la pertinence de la tâche qui lui a été confiébe de tracer
la frontière entre les deux pays, ou de la compléter, en se fondanbt sur un
arrêté du gouverneur général de l’Afrique occidentale frabnçaise (AOF)
datant de 1927. Certes la jurisprudence de la Cour a clarifié la fonction
dévolue au droit colonial qui

«peut intervenir, non en tant que tel (comme s’il y avait un conti ­

nuum juris, un relais juridique entre ce droit et le droit international),
mais seulement comme un élément de fait, parmi d’autres, ou combme
moyen de preuve et de démonstration de ce qu’on a appelé « le legs
colonial » » (affaire duDifférend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 30).

Cependant, il s’agit, malgré tout, dans la présente affaire, bde procéder à

l’interprétation de l’arrêté, tel que précisé par son erratum, du gouverneur
général de l’AOF à la lumière du droit colonial en matièbre de tracé des
limites administratives entre colonies.
Dès lors, la Cour s’est engagée, qu’on le veuille ou non, dabns la mise en
œuvre du droit colonial en recourant à des méthodes d’interpbrétation qui

en sont inspirées, comme l’analyse de la relation entre un décrbet du pré -
sident de la République française et un arrêté du gouverneurb général de
l’AOF, ou le contexte de la répartition des territoires entre circbonscrip -
tions coloniales françaises.

Dans ces conditions, on peut se demander si, ce faisant, on évite rébelle -
ment de faire du droit colonial, un « continuum juris, un relais juridique »
avec le droit international.
Mais peut-on faire autrement lorsque, pour le tracé d’une ligne fron -
tière, on ne dispose, dans les textes coloniaux de référence, qbue d’informa -

tions sommaires, soit l’identification du tracé par deux points bsitués à des
distances importantes ?
Confronté au même dilemme, le juge ad hoc Abi-Saab, dans son opi -
nion individuelle jointe à l’arrêt relatif à l’affaire bdu Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), relève que la chambre a été amenée

54

6 CIJ1042.indb 144 8/04/14 08:34 95 différend frontaliebr (décl. bennouna)

«à entreprendre une analyse par trop détaillée du droit colonialb français

qui, à mon avis, est une tâche qui ne convient guère à un orbgane juridic -
tionnel international et dont elle aurait pu faire l’économie dansb une large
mesure » (C.I.J. Recueil 1986, p. 659, par. 3). Il ajoute néanmoins, en se
référant aux précautions prises dans l’arrêt lorsqu’ilb fait intervenir le droit
colonial: « On ne saurait, par conséquent, trouver par ce biais, en droit

international contemporain, même de manière indirecte, une quelconque
légitimation rétroactive de l’institution coloniale. » (Ibid., par. 4.)
En réalité, la question n’est pas de légitimer a posteriori une institution
que le droit et l’histoire ont classée définitivement au rangb de celles qui ont
été profondément violentes et injustes parce que attentatoires bà la dignité

et aux libertés de populations entières. La question est de se demander si
le droit international contemporain peut s’appuyer, pour le tracé des fron -
tières, sur le droit sécrété par une telle institution, mêbme s’il ne s’agissait
que de limites administratives qui faisaient au demeurant peu de cas des
populations concernées et de leurs liens historiques et sociologiquesb.

Le juge ad hoc Abi-Saab a tenté de tempérer ce paradoxe en préconi -
sant le recours à des « considérations d’équité infra legem ». Je dirai, en ce
qui me concerne, qu’il faudrait que le juge prenne en compte, dans lab mise
en œuvre de l’uti possidetis juris, le droit intertemporel, dans le sens où le
sort des populations en cause, à l’heure de l’interprétation du droit colo -

nial, ne peut être ignoré.
Autrement dit, comment faire en sorte que les mêmes injustices perpéb -
trées par des tracés artificiels et brutaux, parfois en suivant bdes parallèles
ou des méridiens, ne soient « légitimées» par l’organe judiciaire interna -
tional opérant au XXI siècle ?

Il est vrai que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des
Nations Unies, se doit de contribuer au renforcement des relations paci -
fiques entre Etats et, elle le fait, à la demande des Parties, en sbe référant
au legs colonial. Mais, de nos jours, la recherche de la paix entre Etatbs
implique également la garantie de la sécurité humaine, à savboir le respect

des droits fondamentaux des personnes en cause et leur protection, y
compris par la justice internationale.
L’exercice de la souveraineté est devenu ainsi inséparable de lba respon -
sabilité à l’égard de la population. Cette nouvelle approcheb de la souve -
raineté devrait certainement être présente au moment où la Cour se

prononce sur le tracé de frontières entre Etats.
On peut considérer que les réalités humaines, au temps des indépen -
dances, dans les années soixante, ont probablement été prises en compte
par les géographes français, qui ont enquêté sur le terrain bpour mettre au
point la carte de l’Institut géographique national (IGN) qui datbe de cette

époque. Mais, il se peut qu’un certain décalage se soit creuséb depuis, entre
la carte en question et les réalités humaines d’aujourd’hui,b décalage qui
impose aux Etats de prendre les mesures nécessaires pour préserverb les
droits des populations concernées.
La Cour ne peut ignorer, lorsqu’elle décide, en 2013, de la frontière

entre deux pays africains indépendants, qu’elle a été appelébe à donner

55

6 CIJ1042.indb 146 8/04/14 08:34 96 différend frontaliebr (décl. bennouna)

effet à un arrêté de 1927, tel que précisé par son erratum, et que l’autorité

qui l’a adopté n’avait comme unique préoccupation que de sébparer, pour
une meilleure administration territoriale, des entités qui relevaientb de la
même puissance coloniale.
Il est évident qu’une telle opération ne peut être purement bmécanique
ni consister en une transposition formelle. Les réalités humaines, et mêmes

géographiques, ont évolué et la Cour qui rend la justice, presqbue un siècle
plus tard, ne peut pas ne pas les avoir à l’esprit.
De telles interrogations font partie de celles qui concernent le traite -
ment de l’héritage colonial, auquel a été confronté le continent africain
dans son ensemble. Le recours à l’uti possidetis juris n’a pas toujours per -

mis d’instaurer la paix entre les héritiers et en leur sein. On seb demande
encore, ici et là, s’il faut se résigner soit à redessiner lbes frontières, soit à
reconfigurer l’exercice de l’autorité au sein des souverainetbés existantes. Il
faut, peut-être, en revenir à l’essentiel, car la frontière, sur le modbèle west
phalien, reste bien éloignée du patrimoine culturel de cette région du

monde. Il appartient aux deux Parties, dans le contexte d’une relatiobn de
bon voisinage, de renouer avec ce patrimoine, en approfondissant, comme b
les y encourage la Cour, leur coopération.

(Signé) Mohamed Bennouna.

56

6 CIJ1042.indb 148 8/04/14 08:34

Bilingual Content

94

DÉCLARATION DE M. LE JUGE BENNOUNA

[Texte original français]

Place du droit colonial (droit français d’outre­mer) — Portée du principe de
l’uti possidetis juris — Conséquences du tracé de la frontière établi par réfé▯rence
au droit colonial — Evolution du concept de souveraineté — Prise en considération
de l’évolution des réalités humaines et géographiques.

J’appuie la décision de la Cour dans le contexte du compromis entrbe les
deux Parties, le Burkina Faso et le Niger, par lequel elle a été sbaisie. Cela
étant, je ne peux manquer de m’interroger, en cette seconde décbennie
e
du XXI siècle, sur la pertinence de la tâche qui lui a été confiébe de tracer
la frontière entre les deux pays, ou de la compléter, en se fondanbt sur un
arrêté du gouverneur général de l’Afrique occidentale frabnçaise (AOF)
datant de 1927. Certes la jurisprudence de la Cour a clarifié la fonction
dévolue au droit colonial qui

«peut intervenir, non en tant que tel (comme s’il y avait un conti ­

nuum juris, un relais juridique entre ce droit et le droit international),
mais seulement comme un élément de fait, parmi d’autres, ou combme
moyen de preuve et de démonstration de ce qu’on a appelé « le legs
colonial » » (affaire duDifférend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 568, par. 30).

Cependant, il s’agit, malgré tout, dans la présente affaire, bde procéder à

l’interprétation de l’arrêté, tel que précisé par son erratum, du gouverneur
général de l’AOF à la lumière du droit colonial en matièbre de tracé des
limites administratives entre colonies.
Dès lors, la Cour s’est engagée, qu’on le veuille ou non, dabns la mise en
œuvre du droit colonial en recourant à des méthodes d’interpbrétation qui

en sont inspirées, comme l’analyse de la relation entre un décrbet du pré -
sident de la République française et un arrêté du gouverneurb général de
l’AOF, ou le contexte de la répartition des territoires entre circbonscrip -
tions coloniales françaises.

Dans ces conditions, on peut se demander si, ce faisant, on évite rébelle -
ment de faire du droit colonial, un « continuum juris, un relais juridique »
avec le droit international.
Mais peut-on faire autrement lorsque, pour le tracé d’une ligne fron -
tière, on ne dispose, dans les textes coloniaux de référence, qbue d’informa -

tions sommaires, soit l’identification du tracé par deux points bsitués à des
distances importantes ?
Confronté au même dilemme, le juge ad hoc Abi-Saab, dans son opi -
nion individuelle jointe à l’arrêt relatif à l’affaire bdu Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), relève que la chambre a été amenée

54

6 CIJ1042.indb 144 8/04/14 08:34 94

DECLARATION OF JUDGE BENNOUNA

[English Original Text]

Place of colonial law (French droit d’outre-mer) — Scope of the principle of
uti possidetis juris — Consequences of the course of the frontier established by
reference to colonial law — Evolution of the concept of sovereignty — Taking
account of the evolution of the human and geographical realities.

I support the Court’s decision in the context of the Special Agreement
between the two Parties, Burkina Faso and Niger, by which the Court
was seised. That said, in this second decade of the twenty-first century, I
cannot help but question the relevance of the task entrusted to it, namebly
that of drawing, or completing, the frontier between the two countries on

the basis of an Arrêté of the Governor-General of French West Africa
(FWA) dating from 1927. Admittedly, the jurisprudence of the Court has
clarified the function conferred on colonial law which

“may play a role not in itself (as if there were a sort of continuum juris,
a legal relay between such law and international law), but only as one b
factual element among others, or as evidence indicative of what has

been called the ‘colonial heritage’” (case concerning the Frontier Dis ­
pute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986,
p. 568, para. 30).

However, the present case nevertheless involves interpreting the Arrêté,
as clarified by the Erratum, of the Governor-General of FWA in the light
of colonial law as regards the course of the administrative boundaries
between colonies.

Consequently, like it or not, the Court has engaged in the implementa -
tion of colonial law using methods of interpretation which are based
upon it, such as the analysis of the relationship between a decree of thbe
President of the French Republic and an Arrêté of the Governor-General
of the FWA, or the context of the apportionment of territories among

French colonial districts.
In such circumstances, it may be asked whether, in so doing, a “con ­
tinuum juris, a legal relay” between colonial law and international law is
really avoided.
But is it possible to do otherwise when, with regard to establishing a

frontier line, the colonial reference texts contain only summary informab -
tion or identify the course by two points situated at a considerable dis -
tance from each other ?
Faced with the same dilemma, Judge ad hoc Abi-Saab, in his separate
opinion appended to the Judgment in the case concerning the Frontier

Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), noted that the Chamber had

54

6 CIJ1042.indb 145 8/04/14 08:34 95 différend frontaliebr (décl. bennouna)

«à entreprendre une analyse par trop détaillée du droit colonialb français

qui, à mon avis, est une tâche qui ne convient guère à un orbgane juridic -
tionnel international et dont elle aurait pu faire l’économie dansb une large
mesure » (C.I.J. Recueil 1986, p. 659, par. 3). Il ajoute néanmoins, en se
référant aux précautions prises dans l’arrêt lorsqu’ilb fait intervenir le droit
colonial: « On ne saurait, par conséquent, trouver par ce biais, en droit

international contemporain, même de manière indirecte, une quelconque
légitimation rétroactive de l’institution coloniale. » (Ibid., par. 4.)
En réalité, la question n’est pas de légitimer a posteriori une institution
que le droit et l’histoire ont classée définitivement au rangb de celles qui ont
été profondément violentes et injustes parce que attentatoires bà la dignité

et aux libertés de populations entières. La question est de se demander si
le droit international contemporain peut s’appuyer, pour le tracé des fron -
tières, sur le droit sécrété par une telle institution, mêbme s’il ne s’agissait
que de limites administratives qui faisaient au demeurant peu de cas des
populations concernées et de leurs liens historiques et sociologiquesb.

Le juge ad hoc Abi-Saab a tenté de tempérer ce paradoxe en préconi -
sant le recours à des « considérations d’équité infra legem ». Je dirai, en ce
qui me concerne, qu’il faudrait que le juge prenne en compte, dans lab mise
en œuvre de l’uti possidetis juris, le droit intertemporel, dans le sens où le
sort des populations en cause, à l’heure de l’interprétation du droit colo -

nial, ne peut être ignoré.
Autrement dit, comment faire en sorte que les mêmes injustices perpéb -
trées par des tracés artificiels et brutaux, parfois en suivant bdes parallèles
ou des méridiens, ne soient « légitimées» par l’organe judiciaire interna -
tional opérant au XXI siècle ?

Il est vrai que la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal des
Nations Unies, se doit de contribuer au renforcement des relations paci -
fiques entre Etats et, elle le fait, à la demande des Parties, en sbe référant
au legs colonial. Mais, de nos jours, la recherche de la paix entre Etatbs
implique également la garantie de la sécurité humaine, à savboir le respect

des droits fondamentaux des personnes en cause et leur protection, y
compris par la justice internationale.
L’exercice de la souveraineté est devenu ainsi inséparable de lba respon -
sabilité à l’égard de la population. Cette nouvelle approcheb de la souve -
raineté devrait certainement être présente au moment où la Cour se

prononce sur le tracé de frontières entre Etats.
On peut considérer que les réalités humaines, au temps des indépen -
dances, dans les années soixante, ont probablement été prises en compte
par les géographes français, qui ont enquêté sur le terrain bpour mettre au
point la carte de l’Institut géographique national (IGN) qui datbe de cette

époque. Mais, il se peut qu’un certain décalage se soit creuséb depuis, entre
la carte en question et les réalités humaines d’aujourd’hui,b décalage qui
impose aux Etats de prendre les mesures nécessaires pour préserverb les
droits des populations concernées.
La Cour ne peut ignorer, lorsqu’elle décide, en 2013, de la frontière

entre deux pays africains indépendants, qu’elle a été appelébe à donner

55

6 CIJ1042.indb 146 8/04/14 08:34 frontier dispute (debcl. bennouna) 95

been led into “an excessively detailed analysis of French colonial law, a
task which is not, in my view, a fitting one for an international court and

was largely superfluous” (I.C.J. Reports 1986, p. 659, para. 3). Neverthe-
less, referring to the precautions taken in the Judgment when considerinbg
colonial law, he added : “Along that road there can therefore be no ques -
tion of even circuitously finding in contemporary international law any
retroactive legitimation whatever of colonialism as an institution.” (Ibid.,

para. 4.)
In fact, it is not a question of legitimating a posteriori an institution
which law and history have definitively classed among those which haveb
been profoundly violent and unjust because of their violation of the digb -
nity and freedoms of entire populations. The question is whether, when
drawing frontiers, contemporary international law can rely on law pro -

duced by such an institution, even though it involved only administrativbe
boundaries which, moreover, attached little importance to the popula -
tions concerned and their historical and sociological relationships.
Judge ad hoc Abi-Saab sought to qualify this paradox by advocating
recourse to “considerations of equity infra legem”. For my part, I would

say that, when applying uti possidetis juris, a court should take account of
the intertemporal law, in the sense that, when interpreting colonial lawb,
the fate of the populations concerned cannot be ignored.

In other words, how to ensure that the same injustices that were perpe -

trated by artificial and brutal frontiers, at times following parallelbs or
meridians, are not “legitimated” by an international judicial organ oper -
ating in the twenty-first century ?
It is true that the Court, as the principal judicial organ of the
United Nations, must contribute to the strengthening of peaceful rela -
tions between States, and it does so, at the request of the Parties, whible

referring to the colonial heritage. Nowadays, however, the search for
peace among States also entails ensuring human security, namely respect b
for the fundamental human rights of the persons concerned and their
protection, including by international justice.
The exercise of sovereignty has thus become inseparable from responsi -

bility towards the population. This new approach to sovereignty should
certainly be present when the Court rules on the course of boundaries
between States.
It may be considered that the human realities, at the time of indepen -
dence, in the 1960s, were probably taken into account by the French

geographers, who carried out field surveys in order to prepare the mapb of
the Institut géographique national (IGN) which dates from that peribod.
However, some discrepancies may have subsequently arisen between the
map in question and today’s human realities, discrepancies which requbire
the States to take the necessary measures to safeguard the rights of theb
populations concerned.

When, in 2013, it decides on the frontier between two independent
African countries, the Court cannot ignore that it has been called upon to

55

6 CIJ1042.indb 147 8/04/14 08:34 96 différend frontaliebr (décl. bennouna)

effet à un arrêté de 1927, tel que précisé par son erratum, et que l’autorité

qui l’a adopté n’avait comme unique préoccupation que de sébparer, pour
une meilleure administration territoriale, des entités qui relevaientb de la
même puissance coloniale.
Il est évident qu’une telle opération ne peut être purement bmécanique
ni consister en une transposition formelle. Les réalités humaines, et mêmes

géographiques, ont évolué et la Cour qui rend la justice, presqbue un siècle
plus tard, ne peut pas ne pas les avoir à l’esprit.
De telles interrogations font partie de celles qui concernent le traite -
ment de l’héritage colonial, auquel a été confronté le continent africain
dans son ensemble. Le recours à l’uti possidetis juris n’a pas toujours per -

mis d’instaurer la paix entre les héritiers et en leur sein. On seb demande
encore, ici et là, s’il faut se résigner soit à redessiner lbes frontières, soit à
reconfigurer l’exercice de l’autorité au sein des souverainetbés existantes. Il
faut, peut-être, en revenir à l’essentiel, car la frontière, sur le modbèle west
phalien, reste bien éloignée du patrimoine culturel de cette région du

monde. Il appartient aux deux Parties, dans le contexte d’une relatiobn de
bon voisinage, de renouer avec ce patrimoine, en approfondissant, comme b
les y encourage la Cour, leur coopération.

(Signé) Mohamed Bennouna.

56

6 CIJ1042.indb 148 8/04/14 08:34 frontier dispute (debcl. bennouna) 96

give effect to an Arrêté of 1927, as clarified by the Erratum, and that the

sole concern of the authority that adopted it was to separate entities
depending on the same colonial power in order to improve territorial
administration.
It is clear that such an operation cannot be purely mechanical and nor
can it consist of a formal transposition. The human — and even the geo -

graphical — realities have evolved, and the Court, which dispenses justice
almost a century later, cannot disregard them.
Questions such as these are part of those which concern how the colo -
nial heritage is dealt with, an issue with which the African continent abs a
whole has been confronted. Recourse to uti possidetis juris has not always

made it possible to achieve peace within and among those who are the
heirs. There is still debate in some quarters about whether one must be b
content with the redrawing of boundaries or the reconfiguration of the
exercise of authority within the existing sovereignties. The focus shoulbd
perhaps be on the essence of the issue, because the frontier, as predicabted

on the Westphalian model, is far removed from the cultural heritage of
this region of the world. In the framework of a good-neighbourliness rela -
tion, it is for the Parties to rediscover this heritage by deepening, asb
encouraged by the Court, their co-operation.

(Signed) Mohamed Bennouna.

56

6 CIJ1042.indb 149 8/04/14 08:34

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de M. le juge Bennouna

Links