Déclaration de M. le juge Gaja

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137-20140127-JUD-01-07-EN
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137-20140127-JUD-01-00-EN
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112

DÉCLARATION DE M. LE JUGE GAJA

[Traduction]

1. La présente déclaration porte sur la question tranchée par la Cour
au premier point du dispositif de l’arrêt.
En ce qui concerne la délimitation entre les zones maritimes afféérentes
aux îles et celles qui sont générées par les côtes continentales, la déclara -

tion de Santiago fait référence au parallèle passant par le point où la fron-
tière terrestre aboutit en mer (punto en que llega al mar la frontera
terrestre). Pour les raisons exposées dans l’opinion dissidente commune,
ce même parallèle est également à retenir, suivant la décélaration de San -
tiago, lorsque la délimitation concerne les zones maritimes engendréées par

les côtes continentales d’Etats adjacents. Il est donc nécessaire de définir
le point exact où la frontière terrestre entre le Chili et le Péérou aboutit en
mer.
2. Le Chili soutient que la Cour n’a pas compétence au titre du pacteé
de Bogotá pour trancher un différend sur l’interprétation éou l’application

du traité de Lima de 1929, qui a établi la frontière terrestre entre les
Parties. Elle ne pourrait donc rendre aucune décision qui tendrait àé
déterminer le tracé de la frontière terrestre. Pourtant, rien né’empêche
la Cour de se référer à ce traité pour définir le point de départ éde la
frontière maritime.

3. Selon l’article 2 du traité de Lima de 1929, « la frontière entre les
territoires du Chili et du Pérou partira d’un point de la côte qui sera
appelé «Concordia», à une distance de dix kilomètres au nord du pont de
la Lluta » (un punto de la costa que se denominará « Concordia», distante
diez kilómetros al Norte del puente del Rio Lluta). En 1930, les membres

de la commission mixte bilatérale chargée de la démarcation de éla fron -
tière reçurent des instructions identiques de la part de leurs gouéverne -
ments respectifs, avec pour mission de tracer « jusqu’à la côte un arc d’un
rayon de dix kilomètres …, dont le centre sera[it] le pont susmentionné »
(punto de intersección del arco trazado, con la orilla del mar). Une borne

devait être placée « aussi près que possible de la mer mais à l’abri de l’ac -
tion destructrice des flots » (lo más próximo al mar posible, donde quede a
cubierto de ser destruido por las aguas del océano).

Il semble clair, à la lecture de ces textes, que c’était l’iéntersection de

l’arc avec le littoral, et non la borne, qui était considéréée comme le point
de départ de la frontière terrestre.
4. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si le poinét de
départ de la frontière maritime est constitué par l’intersecétion de l’arc
avec le littoral ou par le point où le parallèle passant par la boérne la plus
o
proche de la mer (la « borne n 1») croise la laisse de basse mer. Les Par -

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5 CIJ1057.indb 223 1/12/14 08:59 différend maritime (déécl. gaja) 113

ties ont des opinions opposées sur la question, le Chili soutenant laé
seconde solution et le Pérou, la première, et leurs conclusions reéflètent
cette divergence de vues.
Comme nous l’avons déjà vu, le point où la frontière terréestre aboutit en
mer et auquel la déclaration de Santiago fait référence pour déésigner le

parallèle à retenir est le point de départ de la frontière téerrestre, soit l’inter
section de l’arc avec le littoral. La position chilienne ne saurait pérévaloir
que s’il pouvait être démontré que, pour définir la froéntière maritime, les
Parties avaient convenu d’utiliser le parallèle passant par la boréne n o 1.
Certains éléments de preuve indiquent effectivement que cette boérne a

servi pour définir la frontière maritime, en particulier dans leé contexte de
la construction de deux phares dans les années qui ont suivi 1968, lorsque
les Parties ont décidé, sur proposition d’une commission bilatéérale, de
«matérialiser» le parallèle passant par la borne n o1. Cependant, ce choix

peut s’expliquer par des raisons d’ordre pratique, compte tenu éégalement
de la très faible distance qui sépare ces points. Et rien ne déémontre que les
Parties se sont entendues pour adopter, en vue de la délimitation de éleurs
espaces maritimes respectifs, un point de départ différent de ceélui dont
elles avaient convenu dans la déclaration de Santiago, à savoir leé point de

départ de la frontière terrestre prévu par le traité de Limaé.
En outre, la coïncidence des points de départ respectifs des frontéières
terrestre et maritime permet d’empêcher que, ne serait-ce que pour un
segment limité du littoral, un Etat autre que l’Etat côtier ait souveraineté

sur la mer territoriale adjacente. Même si une telle situation n’eést pas
inconcevable, les Etats préfèrent généralement l’éviteér dans la pratique.

(Signé) Giorgio Gaja.

114

5 CIJ1057.indb 225 1/12/14 08:59

Bilingual Content

112

DECLARATION OF JUDGE GAJA

1. The present declaration refers to the issue decided by the Court in
the first operative paragraph of the Judgment.
With regard to the maritime delimitation between the maritime zones
generated by islands and those generated by the continental coasts, the é
Santiago Declaration refers to the parallel running through the point
where the land frontier reaches the sea (punto en que llega al mar la fron ­

tera terrestre). For the reasons given in the joint dissenting opinion, the
same parallel is relevant, according to the Santiago Declaration, also
when the delimitation concerns the maritime zones generated by the
continental coasts of adjacent States. This implies the need to identifyé
the precise point where the land frontier between Chile and Peru reaches

the sea.
2. Chile contends that the Court does not have jurisdiction under the
Pact of Bogotá to settle a dispute on the interpretation or applicatiéon of
the 1929 Treaty of Lima which established the land boundary between
the Parties. This would preclude a decision by the Court which would

have the object of determining where the land frontier runs. However, ité
does not prevent the Court from referring to that Treaty for the purposeé
of defining the starting-point of the maritime boundary.
3. According to Article 2 of the 1929 Treaty of Lima, “the frontier
between the territories of Chile and Peru shall start from a point on the
coast to be named ‘Concordia’, ten kilometres to the north of the ébridge

over the river Lluta” (un punto de la costa que se denominará “Concordia”,
distante diez kilómetros al Norte del puente del Rio Lluta). In 1930, the
members of the bilateral Mixed Commission competent for demarcation
were given identical instructions by their respective Governments. The déele-
gates had to trace “an arc with a radius of ten kilometres . . . its centre

being the aforementioned bridge, running to intercept the seashore”, éthe
starting-point of the land frontier being the “intersection point of the traceéd
arc with the seashore” (punto de intersección del arco trazado, con la orilla
del mar). A marker had to be erected “as close to the sea as allows prevent -
ing it from being destroyed by the ocean waters” (lo más próximo al mar

posible, donde quede a cubierto de ser destruido por las aguas del océa ▯ no).
It seems clear from these texts that the starting-point of the land fron -
tier was regarded to be the intersection of the arc with the seashore, néot
the marker.
4. The question that arises in the present case is whether the starting-
point of the maritime boundary is the intersection of the arc with the

seashore or the point where the parallel running through the marker closé -
est to the sea (“Hito No. 1”) reaches the low-water line. The Parties hold

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5 CIJ1057.indb 222 1/12/14 08:59 112

DÉCLARATION DE M. LE JUGE GAJA

[Traduction]

1. La présente déclaration porte sur la question tranchée par la Cour
au premier point du dispositif de l’arrêt.
En ce qui concerne la délimitation entre les zones maritimes afféérentes
aux îles et celles qui sont générées par les côtes continentales, la déclara -

tion de Santiago fait référence au parallèle passant par le point où la fron-
tière terrestre aboutit en mer (punto en que llega al mar la frontera
terrestre). Pour les raisons exposées dans l’opinion dissidente commune,
ce même parallèle est également à retenir, suivant la décélaration de San -
tiago, lorsque la délimitation concerne les zones maritimes engendréées par

les côtes continentales d’Etats adjacents. Il est donc nécessaire de définir
le point exact où la frontière terrestre entre le Chili et le Péérou aboutit en
mer.
2. Le Chili soutient que la Cour n’a pas compétence au titre du pacteé
de Bogotá pour trancher un différend sur l’interprétation éou l’application

du traité de Lima de 1929, qui a établi la frontière terrestre entre les
Parties. Elle ne pourrait donc rendre aucune décision qui tendrait àé
déterminer le tracé de la frontière terrestre. Pourtant, rien né’empêche
la Cour de se référer à ce traité pour définir le point de départ éde la
frontière maritime.

3. Selon l’article 2 du traité de Lima de 1929, « la frontière entre les
territoires du Chili et du Pérou partira d’un point de la côte qui sera
appelé «Concordia», à une distance de dix kilomètres au nord du pont de
la Lluta » (un punto de la costa que se denominará « Concordia», distante
diez kilómetros al Norte del puente del Rio Lluta). En 1930, les membres

de la commission mixte bilatérale chargée de la démarcation de éla fron -
tière reçurent des instructions identiques de la part de leurs gouéverne -
ments respectifs, avec pour mission de tracer « jusqu’à la côte un arc d’un
rayon de dix kilomètres …, dont le centre sera[it] le pont susmentionné »
(punto de intersección del arco trazado, con la orilla del mar). Une borne

devait être placée « aussi près que possible de la mer mais à l’abri de l’ac -
tion destructrice des flots » (lo más próximo al mar posible, donde quede a
cubierto de ser destruido por las aguas del océano).

Il semble clair, à la lecture de ces textes, que c’était l’iéntersection de

l’arc avec le littoral, et non la borne, qui était considéréée comme le point
de départ de la frontière terrestre.
4. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si le poinét de
départ de la frontière maritime est constitué par l’intersecétion de l’arc
avec le littoral ou par le point où le parallèle passant par la boérne la plus
o
proche de la mer (la « borne n 1») croise la laisse de basse mer. Les Par -

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5 CIJ1057.indb 223 1/12/14 08:59 113 maritime dispute (decél. gaja)

opposite views on this question, Chile arguing in favour of the latter séolu -

tion and Peru of the former. The submissions of each Party reflect theése
diverging opinions.
As we have seen, the point where the land frontier reaches the sea, to
which the Santiago Declaration refers for identifying the relevant parallel,
is the starting-point of the land boundary, hence the intersection of the

arc with the seashore. The Chilean view would prevail only if it could bée
shown that, for the purpose of defining the maritime boundary, the Paré -
ties had reached an agreement to use the parallel running through the
marker (“Hito No. 1”). There is evidence that this marker has been used
for the purpose of identifying the maritime boundary, especially in the é

context of the building of two lighthouses in the years after 1968, when
the Parties agreed, upon the proposal of a bilateral commission, to “émat-
erialize” the parallel that runs through “Hito No. 1”. However, this choice
may be explained by practical reasons, also in view of the very short dis -
tance between the points involved. There is no evidence that the Partiesé

reached an agreement by which they would have adopted, for the purpose
of their maritime delimitation, a starting-point other than the one that
they had agreed in the Santiago Declaration : namely, the starting-point
of the land boundary according to the Treaty of Lima.
Moreover, the coincidence between the starting-point of the land

boundary and the starting-point of the maritime boundary avoids creat -
ing a situation in which, albeit for a limited stretch of the coast, theé adja-
cent territorial sea would be under the sovereignty of a State other thaén
the one to which the coast belongs. This type of situation is not inconcéeiv -
able but is seldom resorted to in State practice.

(Signed) Giorgio Gaja.

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5 CIJ1057.indb 224 1/12/14 08:59 différend maritime (déécl. gaja) 113

ties ont des opinions opposées sur la question, le Chili soutenant laé
seconde solution et le Pérou, la première, et leurs conclusions reéflètent
cette divergence de vues.
Comme nous l’avons déjà vu, le point où la frontière terréestre aboutit en
mer et auquel la déclaration de Santiago fait référence pour déésigner le

parallèle à retenir est le point de départ de la frontière téerrestre, soit l’inter
section de l’arc avec le littoral. La position chilienne ne saurait pérévaloir
que s’il pouvait être démontré que, pour définir la froéntière maritime, les
Parties avaient convenu d’utiliser le parallèle passant par la boréne n o 1.
Certains éléments de preuve indiquent effectivement que cette boérne a

servi pour définir la frontière maritime, en particulier dans leé contexte de
la construction de deux phares dans les années qui ont suivi 1968, lorsque
les Parties ont décidé, sur proposition d’une commission bilatéérale, de
«matérialiser» le parallèle passant par la borne n o1. Cependant, ce choix

peut s’expliquer par des raisons d’ordre pratique, compte tenu éégalement
de la très faible distance qui sépare ces points. Et rien ne déémontre que les
Parties se sont entendues pour adopter, en vue de la délimitation de éleurs
espaces maritimes respectifs, un point de départ différent de ceélui dont
elles avaient convenu dans la déclaration de Santiago, à savoir leé point de

départ de la frontière terrestre prévu par le traité de Limaé.
En outre, la coïncidence des points de départ respectifs des frontéières
terrestre et maritime permet d’empêcher que, ne serait-ce que pour un
segment limité du littoral, un Etat autre que l’Etat côtier ait souveraineté

sur la mer territoriale adjacente. Même si une telle situation n’eést pas
inconcevable, les Etats préfèrent généralement l’éviteér dans la pratique.

(Signé) Giorgio Gaja.

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5 CIJ1057.indb 225 1/12/14 08:59

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