Déclaration de M. le juge Skotnikov

Document Number
137-20140127-JUD-01-04-EN
Parent Document Number
137-20140127-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

98

DÉCLARATION DE M. LE JUGE SKOTNIKOV

[Traduction]

1. J’ai voté en faveur des conclusions que la Cour a exposées dansé le
dispositif de l’arrêt. Je suis toutefois en désaccord avec son éraisonne-
ment en ce qui concerne la question de l’étendue de la frontière maritime
convenue entre le Pérou et le Chili.
2. Je souscris à la conclusion de la Cour selon laquelle, avant la signa -
ture de l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, il

existait entre les Parties un accord tacite au sujet d’une frontièére maritime
qui longeait le parallèle passant par le point où aboutissait en méer leur
frontière terrestre. En effet, l’existence d’un tel accord taécite est démon -
trée par certains éléments des proclamations de 1947 et de la déclaration
de Santiago de 1952. Cet accord a ensuite été cimenté sous forme de traité é

dans l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, lequel
indique qu’il existait déjà entre les Parties une frontière émaritime suivant
un parallèle (voir arrêt, par. 90 et 91).
3. J’admets que l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale, qui a consacré l’existence de cet accord tacite, a efféectivement

laissé subsister quelque incertitude quant à la longueur exacte deé la fron -
tière maritime (voir ibid., par. 151). Cependant, la Cour aurait pu aborder
cette question de la même manière que celle de savoir si la frontiéère mari -
time avait vocation générale ; elle a en effet affirmé à cet égard que
«[l’]accord tacite constaté par l’accord de 1954 d[eva]it être compris dans
le contexte des proclamations de 1947 et de la déclaration de Santiago

de 1952 » (ibid., par. 102). Malheureusement, elle a choisi d’examiner la
question de l’étendue de la frontière maritime en dehors de ce écontexte.
4. Pour étayer sa conclusion selon laquelle la frontière maritime conve -
nue ne s’étend pas jusqu’à l’extrémité des zones maéritimes revendiquées
unilatéralement au moyen des proclamations de 1947 et établies ensuite

dans la déclaration de Santiago de 1952, la Cour argue notamment que,
étant donné ce qui, dans les années 1950, était généralement considéré
comme acceptable sur le plan international en matière de droits en meér, il
est peu probable que les Parties aient envisagé que leur frontièreé maritime
s’étende sur une distance de 200 milles marins. Ce raisonnement ne me

semble pas convaincant. En premier lieu, les proclamations de 1947 et la
déclaration de Santiago de 1952 démontrent que les Parties étaient dispo -
sées à faire valoir des revendications maritimes qui, à l’éépoque, ne bénéfi-
ciaient pas de l’acceptation générale. En second lieu, l’établissement, au
début des années 1950, d’une frontière maritime entre les Parties sur une
distance de 200 milles marins n’aurait pu être interprété que comme un

accord inter partes, opposable essentiellement inter se. On voit mal pour -
quoi cela serait plus controversable que les revendications énoncéées dans

99

5 CIJ1057.indb 195 1/12/14 08:59 différend maritime (déécl. skotnikov) 99

les proclamations de 1947 et dans la déclaration de Santiago de 1952, et

censées instituer des zones maritimes de 200 milles marins qu’il fallait
défendre contre les Etats tiers.
5. La Cour accorde à certains éléments de la pratique des Parties é
qu’elle a examinés dans l’arrêt, telles les activités haléieutiques et les mesures
d’exécution, une valeur déterminante pour ce qui est de l’éétendue de

la frontière maritime convenue. Je ne m’explique cependant pas com-
ment l’étendue d’une frontière maritime à vocation généérale pourrait être
déterminée par la capacité que pouvaient avoir les Parties «éd’exploiter les
ressources de la mer et de prendre des mesures d’exécution » (arrêt,
par. 149) à l’époque de la signature de l’accord de 1954, lequel n’a fait que

reconnaître la frontière maritime existante.
6. Même si l’on adopte le raisonnement de la Cour, la décision de fixer
à 80 milles marins la distance sur laquelle s’étend la frontière maritime
convenue ne semble pas étayée par les éléments de preuve jugéés perti -
nents. Ainsi, se fondant sur l’emplacement des stocks de poissons et éune

estimation raisonnable du rayon d’action des bateaux de pêche de petite
taille, la Cour conclut que, au début des années 1950, les embarcations
péruviennes auraient pratiqué leurs activités dans un rayon de é60 milles
marins du principal port péruvien d’Ilo, soit une distance approxiémative
de 100 milles marins à partir du point de départ de la frontière maritéime

(voir ibid., par. 108). Ainsi, au vu des éléments de preuve sur lesquels la
Cour s’appuie, la pratique des Parties en matière de pêche tend à montrer
que la frontière maritime convenue s’étendait sur une distance éd’au moins
100 milles marins. Quant aux éléments de preuve relatifs à l’empélacement
éventuel des stocks de poissons au début des années 1950 (voir ibid.,

par. 105 à 107), ils ne démontrent pas de manière convaincante que la
frontière maritime s’étendait forcément sur 80 milles marins et non sur
quelque autre distance.
7. Quoi qu’il en soit, étant donné que les moyens présentés épar les Par -
ties concernant l’étendue de la frontière maritime convenue ne éprésen -

taient pas toute la clarté voulue au regard de l’importance de la équestion,
j’ai pu me rallier à la majorité et voter en faveur du point 3 du dispositif.

(Signé) Leonid Skotnikov.

100

5 CIJ1057.indb 197 1/12/14 08:59

Bilingual Content

98

DECLARATION OF JUDGE SKOTNIKOV

1. I have voted in favour of the Court’s conclusions set forth in the
operative clause. However, I do not agree with the Court’s treatment éof
the issue of the extent of the agreed maritime boundary between Peru and
Chile.
2. I support the Court’s conclusion that, prior to the signing of the
1954 Special Maritime Frontier Zone Agreement, there was a tacit agree -

ment between the Parties concerning a maritime boundary between them
along the parallel running through the point at which their land frontieér
reaches the sea. The emergence of such a tacit agreement is evidenced byé
certain elements of the 1947 Proclamations and the 1952 Santiago Dec-
laration. This agreement was cemented in treaty form in the 1954 Special

Maritime Frontier Zone Agreement, which states that the maritime
boundary along a parallel already existed between the Parties (see Judgé -
ment, paras. 90 to 91).
3. I agree that the 1954 Special Maritime Frontier Zone Agreement,
which acknowledged the existence of the tacit agreement, did leave some é

uncertainty as to the precise extent of the maritime boundary (see ibid.,
para. 151). However, the Court could have dealt with this in the same
manner that it resolved the issue of whether the maritime boundary is
all-purpose in nature, namely, that “[t]he tacit agreement, acknowledged é
in the 1954 Agreement, must be understood in the context of the
1947 Proclamations and the 1952 Santiago Declaration” (ibid., para. 102).

Regrettably, the issue of the extent of the maritime boundary is consid -
ered by the Court outside this context.
4. To support its conclusion that the agreed maritime boundary does
not extend to the length of the maritime zones claimed unilaterally
through the 1947 Proclamations and then established in the 1952 San-

tiago Declaration, the Court makes, inter alia, an argument to the effect
that the state of general international acceptance concerning a State’és
maritime entitlements during the 1950s indicates that the Parties were
unlikely to have established their maritime boundary running to a
distance of 200 nautical miles. I do not find this logic to be convincing.

First, the 1947 Proclamations and the 1952 Santiago Declaration demon -
strate that the Parties were willing to make maritime claims which did
not enjoy widespread contemporaneous international acceptance.
Second, establishing a maritime boundary between the Parties in the early
1950s to a distance of 200 nautical miles could only be understood as
an agreement inter partes, enforceable primarily inter se. It is difficult

to see why this would be more controversial than the 200-nautical-
mile claims in the 1947 Proclamations and in the 1952 Santiago Decla r-

99

5 CIJ1057.indb 194 1/12/14 08:59 98

DÉCLARATION DE M. LE JUGE SKOTNIKOV

[Traduction]

1. J’ai voté en faveur des conclusions que la Cour a exposées dansé le
dispositif de l’arrêt. Je suis toutefois en désaccord avec son éraisonne-
ment en ce qui concerne la question de l’étendue de la frontière maritime
convenue entre le Pérou et le Chili.
2. Je souscris à la conclusion de la Cour selon laquelle, avant la signa -
ture de l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, il

existait entre les Parties un accord tacite au sujet d’une frontièére maritime
qui longeait le parallèle passant par le point où aboutissait en méer leur
frontière terrestre. En effet, l’existence d’un tel accord taécite est démon -
trée par certains éléments des proclamations de 1947 et de la déclaration
de Santiago de 1952. Cet accord a ensuite été cimenté sous forme de traité é

dans l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale, lequel
indique qu’il existait déjà entre les Parties une frontière émaritime suivant
un parallèle (voir arrêt, par. 90 et 91).
3. J’admets que l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime
spéciale, qui a consacré l’existence de cet accord tacite, a efféectivement

laissé subsister quelque incertitude quant à la longueur exacte deé la fron -
tière maritime (voir ibid., par. 151). Cependant, la Cour aurait pu aborder
cette question de la même manière que celle de savoir si la frontiéère mari -
time avait vocation générale ; elle a en effet affirmé à cet égard que
«[l’]accord tacite constaté par l’accord de 1954 d[eva]it être compris dans
le contexte des proclamations de 1947 et de la déclaration de Santiago

de 1952 » (ibid., par. 102). Malheureusement, elle a choisi d’examiner la
question de l’étendue de la frontière maritime en dehors de ce écontexte.
4. Pour étayer sa conclusion selon laquelle la frontière maritime conve -
nue ne s’étend pas jusqu’à l’extrémité des zones maéritimes revendiquées
unilatéralement au moyen des proclamations de 1947 et établies ensuite

dans la déclaration de Santiago de 1952, la Cour argue notamment que,
étant donné ce qui, dans les années 1950, était généralement considéré
comme acceptable sur le plan international en matière de droits en meér, il
est peu probable que les Parties aient envisagé que leur frontièreé maritime
s’étende sur une distance de 200 milles marins. Ce raisonnement ne me

semble pas convaincant. En premier lieu, les proclamations de 1947 et la
déclaration de Santiago de 1952 démontrent que les Parties étaient dispo -
sées à faire valoir des revendications maritimes qui, à l’éépoque, ne bénéfi-
ciaient pas de l’acceptation générale. En second lieu, l’établissement, au
début des années 1950, d’une frontière maritime entre les Parties sur une
distance de 200 milles marins n’aurait pu être interprété que comme un

accord inter partes, opposable essentiellement inter se. On voit mal pour -
quoi cela serait plus controversable que les revendications énoncéées dans

99

5 CIJ1057.indb 195 1/12/14 08:59 99 maritime dispute (decél. skotnikov)

ation, which purport to create maritime zones to be defended against third

States.

5. The Court treats the various practices discussed in the Judgment,
such as fisheries and enforcement activities, as largely determinativeé of
the extent of the agreed maritime boundary. I fail to see how the extenté of

an all-purpose maritime boundary can be determined by the Parties’
“extractive and enforcement capacity” (Judgment, para. 149) at the time
of the signing of the 1954 Agreement, which merely acknowledged the
existing maritime boundary.

6. Even if one accepts the line of reasoning adopted by the Court, the
determination of the figure of 80 nautical miles as the extent of the agreed
maritime boundary does not seem to be supported by the evidence which
the Court finds relevant. For example, the Court notes, basing this fiénd -

ing on the location of fish stocks and a reasonable estimation of the range
of small fishing vessels, that Peruvian vessels in the early 1950s wouéld
have been operating approximately 100 nautical miles from the starting-
point of the maritime boundary in the area which lies at a distance of
60 nautical miles from the principal Peruvian port of Ilo (see ibid.,

para. 108). Accordingly, the evidence relied upon by the Court supports
the notion that the extent of the agreed maritime boundary to be derivedé
from the Parties’ fishing practice would have been at least 100 nautical
miles. As to the evidence concerning the potential location of fish stéocks
in the early 1950s (see ibid., paras. 105 to 107), it does not convincingly

demonstrate that the extent of the maritime boundary must have been
80 nautical miles, as opposed to any other figure.

7. However, given that the Parties’ treatment of the extent of the
agreed maritime boundary lacks the clarity which would have been

expected in respect of an issue of that importance, it has been possibleé
for me to join the majority in voting in favour of the third operative
paragraph.

(Signed) Leonid Skotnikov.

100

5 CIJ1057.indb 196 1/12/14 08:59 différend maritime (déécl. skotnikov) 99

les proclamations de 1947 et dans la déclaration de Santiago de 1952, et

censées instituer des zones maritimes de 200 milles marins qu’il fallait
défendre contre les Etats tiers.
5. La Cour accorde à certains éléments de la pratique des Parties é
qu’elle a examinés dans l’arrêt, telles les activités haléieutiques et les mesures
d’exécution, une valeur déterminante pour ce qui est de l’éétendue de

la frontière maritime convenue. Je ne m’explique cependant pas com-
ment l’étendue d’une frontière maritime à vocation généérale pourrait être
déterminée par la capacité que pouvaient avoir les Parties «éd’exploiter les
ressources de la mer et de prendre des mesures d’exécution » (arrêt,
par. 149) à l’époque de la signature de l’accord de 1954, lequel n’a fait que

reconnaître la frontière maritime existante.
6. Même si l’on adopte le raisonnement de la Cour, la décision de fixer
à 80 milles marins la distance sur laquelle s’étend la frontière maritime
convenue ne semble pas étayée par les éléments de preuve jugéés perti -
nents. Ainsi, se fondant sur l’emplacement des stocks de poissons et éune

estimation raisonnable du rayon d’action des bateaux de pêche de petite
taille, la Cour conclut que, au début des années 1950, les embarcations
péruviennes auraient pratiqué leurs activités dans un rayon de é60 milles
marins du principal port péruvien d’Ilo, soit une distance approxiémative
de 100 milles marins à partir du point de départ de la frontière maritéime

(voir ibid., par. 108). Ainsi, au vu des éléments de preuve sur lesquels la
Cour s’appuie, la pratique des Parties en matière de pêche tend à montrer
que la frontière maritime convenue s’étendait sur une distance éd’au moins
100 milles marins. Quant aux éléments de preuve relatifs à l’empélacement
éventuel des stocks de poissons au début des années 1950 (voir ibid.,

par. 105 à 107), ils ne démontrent pas de manière convaincante que la
frontière maritime s’étendait forcément sur 80 milles marins et non sur
quelque autre distance.
7. Quoi qu’il en soit, étant donné que les moyens présentés épar les Par -
ties concernant l’étendue de la frontière maritime convenue ne éprésen -

taient pas toute la clarté voulue au regard de l’importance de la équestion,
j’ai pu me rallier à la majorité et voter en faveur du point 3 du dispositif.

(Signé) Leonid Skotnikov.

100

5 CIJ1057.indb 197 1/12/14 08:59

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de M. le juge Skotnikov

Links