Opinion dissidente de Mme. la juge Xue

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144-20120720-JUD-01-06-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M me LA JUGE XUE

[Traduction]

1. Sur le plan des principes, je m’associe à l’arrêt pour consivdérer que
le Sénégal, en tant que partie à la convention contre la torturve et autres
peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 (la
«convention»), devrait soumettre sans délai l’affaire Hissène Habré à ses

autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale,v s’il décide de ne
pas extrader l’intéressé. Je suis cependant en désaccord avevc la majorité
des membres de la Cour sur un certain nombre de questions traitées
dans l’arrêt, et il est de mon devoir de juge d’en exposer les raisovns.

1. La question de la recevvabilité

2. En la présente espèce, le Sénégal a contesté la recevabilité des
demandes de la Belgique, et soutenu que celle-ci n’avait pas qualité pour

invoquer la responsabilité internationale du Sénégal en raison vdu man -
quement allégué de ce dernier à son obligation de soumettre l’vaffaire His-
sène Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’vaction pénale,
à moins qu’il ne l’extrade. Le Sénégal a notamment fait vvaloir qu’aucune
des victimes supposées des actes qui seraient attribuables à M. Habré

n’avait la nationalité belge au moment où ceux-ci avaient été commis
(arrêt, par. 64). Si la Belgique n’a pas contesté ce point de fait, elle a
cependant observé que l’affaire n’avait pas trait à la provtection diploma -
tique et que, «[e]n vertu de la convention, tout Etat partie, quelle que soit
la nationalité des victimes, [était] fondé à réclamer l’vexécution de l’obliga-

tion en question, et p[ouvait] donc invoquer la responsabilité résvultant
d’une inexécution» (ibid., par. 65). Dans sa requête, la Belgique a précisé
que, « [l]a compétence actuelle des juridictions belges étant fondée svur la
plainte déposée par un ressortissant belge d’origine tchadiennev, la justice
belge entend[ait] exercer la compétence personnelle passive » (ibid.).

3. Il apparaît que cette divergence de vues entre les Parties quant àv la
détermination de la nationalité passive a une incidence directe suvr la ques -
tion de la recevabilité ; si la nationalité de la victime devait être établie au
moment de la commission des actes allégués, la demande de la Belgivque
serait manifestement irrecevable.

4. Certes, la présente espèce n’entre pas dans le champ de la protvection
diplomatique, domaine dans lequel la nationalité sert de lien juridiqvue
entre l’individu lésé et son Etat, donnant ainsi à ce dernievr qualité pour
invoquer la responsabilité internationale de l’Etat auteur du faitv illicite
afin de protéger l’intéressé. Il n’en demeure pas moinsv que, en droit inter -

national, le principe de la nationalité n’est pas uniquement applivcable

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6 CIJ1033.indb 303 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 572

dans les affaires ayant trait à la protection diplomatique. Il est végalement

pertinent dans les affaires relevant du droit pénal international, vdans les-
quelles la nationalité constitue l’une des bases permettant d’évtablir la
compétence. En l’espèce, c’est ce principe qui définit vet détermine l’exer -
cice, par un Etat partie, de sa compétence en matière de poursuitevs, ainsi
que le droit d’un autre Etat partie de demander l’extradition.

5. Aux termes de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 5 de la conven -
tion, un Etat partie peut établir sa compétence aux fins de connvaître
d’actes de torture « quand la victime est un ressortissant dudit Etat et que
ce dernier le juge approprié ». La convention ne précise pas si cette natio -
nalité passive doit être établie au moment où les actes en qvuestion ont été

commis et n’en fait pas non plus un fondement nécessaire, laissant une
certaine marge d’appréciation à chaque Etat partie. En la prévsente espèce,
le droit et la pratique de la Belgique sont donc pertinents à cet évgard.
6. La Belgique a établi, en 1993, sa compétence universelle absolue aux
fins de connaître de crimes de droit international humanitaire (lav « loi

de 1993»), y compris au titre de la nationalité passive. Les 23 avril
et 5 août 2003, elle a amendé la loi de 1993, rendant notamment plus
stricte la condition temporelle en matière de nationalité passive,v la natio -
nalité de l’intéressé devant désormais être établiev au moment des faits et
non au moment du dépôt de la plainte (la « loi de 2003 »). La loi de 2003

dispose ainsi que, pour ce qui concerne les crimes relevant du droit intver -
national humanitaire commis à l’étranger, des poursuites pénales ne
peuvent être engagées que si la victime était, au moment des faits, de natio -
nalité belge, ou séjournait effectivement en Belgique depuis au mo▯ins trois
ans. Dans sa décision n o 68/2005 du 13 avril 2005, la Cour d’arbitrage de
Belgique, tout en concluant à la constitutionnalité de la loi de 2003, s’est

référée à l’intention du législateur sous-jacente àv l’amendement susmen -
tionné, et a indiqué ce qui suit :

«quant au critère de rattachement personnel avec le pays, le législva -
teur a jugé nécessaire d’instaurer certaines limites en ce qui conce▯rne le
principe de la personnalité passive : il faut qu’au moment des faits la
victime soit de nationalité belge ou séjourne effectivement, habituelle -
ment et légalement en Belgique depuis au moins trois ans » (les ita -

liques sont de moi).
7. La Cour belge a en outre précisé que ces limites étaient étavblies afin
d’éviter « une utilisation politique manifestement abusive de cette loi »,

étant donné que certaines personnes
«s’installent en Belgique pour la seule raison d’y trouver, comme
sous l’empire de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des

violations graves du droit international humanitaire et de l’ar -
ticle 144ter du Code judiciaire, la possibilité de rendre les juridictions
belges compétentes pour les infractions dont ces personnes se pré -
tendent être victimes » (Cour d’arbitrage de Belgique, arrêt
du 13 avril 2005, communiqué le 13 avril 2012 à la Cour par l’agent

de la République du Sénégal).

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6 CIJ1033.indb 305 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 573

La loi belge de 2003 ne doit en aucune manière être considérée comme

étant incompatible avec l’objet et le but de la convention en ce qvui
concerne la lutte contre la torture, et ce, bien que les limites dont elvle
assortit la nationalité passive restreignent le droit de la Belgique vd’exercer
sa compétence à l’égard dudit crime.
8. De par ses propres actes législatifs et judiciaires, et notamment lesv

limites que sa loi de 2003 a imposées en matière de compétence au titre de
la nationalité passive, la Belgique ne saurait donc, si elle entend evxercer la
compétence personnelle passive, contester l’applicabilité de lav règle de la
nationalité. En tant qu’Etat partie demandant l’extradition en vvertu du
paragraphe 1 de l’article 7 de la convention, elle doit, d’un point de vue

juridique, établir qu’elle a le droit d’exercer sa compétencve.
9. On relèvera que, dans ses écritures, la Belgique a fait valoir que, en
application des dispositions transitoires de la loi de 2003, si des mesures d’ins
truction avaient déjà été prises à la date d’entréev en vigueur de la loi de 2003
et qu’au moins l’un des plaignants était ressortissant belge auv moment où les

poursuites pénales avaient été engagées, les tribunaux belgevs devaient conti -
nuer d’exercer leur compétence. En la présente espèce, M. A. Aganaye, qui
a acquis la nationalité belge le 19 juin 1998, a porté plainte contre M. Habré
devant les tribunaux belges en 2000. De plus, nombre de mesures d’instruction
avaient été prises avant l’entrée en vigueur de la loi de 2003.

10. Il ressort clairement du dossier de l’affaire que, parmi les personvnes
ayant déposé plainte contre M. Habré devant les tribunaux belges, seul
M. A. Aganaye était ressortissant belge ; deux autres avaient la double
nationalité tchadienne et belge ; aucun des plaignants n’était ressortissant
belge au moment des faits et tous ont été naturalisés par la Belgique bien

après la commission des actes de torture au Tchad. Le lien de rattachement
permettant l’exercice de la compétence nationale passive était vdonc, semble-
t-il, ténu. La Belgique n’a présenté aucun élément de vpreuve attestant que
ce lien n’avait pas pour seul objet que les tribunaux belges se dévclarent
compétents et, pour reprendre les termes employés par la Cour d’varbitrage

de Belgique, qu’il constituait «un oien de rattachement évident avec la Bel -
gique» (Cour d’arbitrage, arrêt n 104/2006 du 21 juin 2006, communiqué
le 13 avril 2012 à la Cour par l’agent de la République du Sénégal).v
11. En réponse à une question qui lui était posée par un membre vde la
Cour au sujet de sa qualité pour invoquer la responsabilité du Sénégal

devant la Cour, la Belgique a fait valoir ce qui suit : «ce n’est pas la natio -
nalité des victimes supposées qui fonde le droit d’un Etat à invoquer la
responsabilité d’un autre Etat. Ce qui importe, c’est de savoirv à qui est
due l’obligation qui n’a pas été observée. » (CR 2012/6, p. 52, par. 56
(Wood).) Cet argument a implicitement modifié la demande initialve de la

Belgique; il ne s’agissait plus d’une demande d’extradition mais d’uvne
prétention à un droit général de surveiller l’application d’un traité. Or,
aux termes de la convention, la question de savoir si une obligation d’vex -
trader incombe au Sénégal vis-à-vis de la Belgique dépend avvant tout de
celle de savoir si cette dernière a qualité pour exercer sa compévtence

conformément à l’article 5 de cet instrument.

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6 CIJ1033.indb 307 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 574

12. Cette question cruciale soulevée par le Sénégal n’a pas évté traitée
dans l’arrêt, ce qui est à la fois regrettable et discutable. Pvlutôt que d’in -

terpréter le paragraphe 1 de l’article 5 de la convention, la Cour a fondé
son raisonnement sur la notion d’obligations erga omnes partes, ce qui,
selon moi, va bien au-delà de l’interprétation des traités ; ce faisant, elle
s’est écartée de sa jurisprudence bien établie.
13. En examinant la question de la qualité pour agir de la Belgique, la

Cour s’est attachée au point de savoir « si le seul fait d’être partie à la
convention [était] suffisant pour qu’un Etat soit fondé à la saisir d’une
demande tendant à ce qu’elle ordonne à un autre Etat partie de vmettre fin
à des manquements allégués aux obligations que lui impose cet ivnstru -
ment» (arrêt, par. 67). A cet égard, elle a indiqué ce qui suit :

«En raison des valeurs qu’ils partagent, les Etats parties à cet invs-
trument ont un intérêt commun à assurer la prévention des acvtes de
torture et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leursv auteurs

ne bénéficient pas de l’impunité. Les obligations qui incovmbent à un
Etat partie de procéder à une enquête préliminaire en vue d’vétablir les
faits et de soumettre l’affaire à ses autorités compétentevs pour l’exer -
cice de l’action pénale s’appliquent du fait de la présence vde l’auteur
présumé sur son territoire, quelle que soit la nationalité de l’intéressé

ou celle des victimes, et quel que soit le lieu où les infractions allé -
guées ont été commises. Tous les autres Etats parties à la convention
ont un intérêt commun à ce que l’Etat sur le territoire duquel se
trouve l’auteur présumé respecte ces obligations.» (Ibid., par. 68.)

Se référant à l’obiter dictum énoncé dans l’arrêt qu’elle avait rendu en
l’affaire de la Barcelona Traction (Barcelona Traction, Light and Power
Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33), la Cour a défini les obligations en

cause comme étant des obligations erga omnes partes.
14. De la nature de ces obligations erga omnes partes, la Cour a conclu
que la Belgique avait, en tant qu’Etat partie à la convention contvre la
torture, qualité pour invoquer la responsabilité du Sénégal và raison des
manquements allégués de celui-ci aux obligations qui lui incombent en

application du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7.
Dès lors, les demandes de la Belgique ont été considéréesv comme rece -
vables. Cette conclusion est abrupte, et elle n’est guère convaincvante.
15. Premièrement, c’est à mauvais escient que la Cour s’est révférée à
l’obiter dictum énoncé dans l’arrêt qu’elle avait rendu en l’affairve de la Bar -

celona Traction, et ce, à plusieurs égards. Dans cette affaire, la Cour avait
expressément établi la distinction entre les obligations dues à la commu -
nauté internationale dans son ensemble et celles qui se font jour àv l’égard
d’un seul autre Etat. Elle avait ainsi indiqué que, «[p]ar leur nature même,
les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droitvs en
cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un invtérêt juri -

dique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont
des obligations erga omnes. » (Ibid.) S’agissant de la qualité pour agir, la

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6 CIJ1033.indb 309 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 575

Cour s’était cependant contentée d’énoncer les conditionsv d’un manque-
ment à des obligations contractées dans le cadre de relations bilavtérales,

sans aborder la question en ce qui concerne les obligations erga omnes.
Elle s’était, semble-t-il, attachée au droit matériel et non aux règles procé -
durales, rien n’indiquant un changement de l’état du droit au svens où tout
Etat se verrait reconnaître, d’une manière générale, qualvité pour porter
une affaire devant la Cour en faisant valoir un intérêt commun.

16. Depuis l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour s’est
référée aux obligations erga omnes dans un certain nombre d’autres affaires
(Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102,
par. 29 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du ▯
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions prélimi -
naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31; Conséquences juri-

diques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien▯ occupé,
avis consultatif,C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 155-15;7Activités armées
sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique
du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil 2006,
p. 31-32, par. 64; Application de la convention pour la prévention et la répres -

sion du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 104, par. 147). Dans aucune de ces affaires,
la Cour n’a cependant dit que la seule existence d’un intérêvt commun confé -
rait à un Etat qualité pour porter une demande devant elle.
17. Deuxièmement, la conclusion que la Cour a formulée en la présenvte

espèce concernant les obligationserga omnes partes n’est pas conforme aux
règles régissant la responsabilité des Etats. Même si l’interdiction de la tor -
ture fait désormais partie du jus cogens en droit international, les obliga -
tions telles que celles de procéder immédiatement à une enquête et de
poursuivre ou d’extrader sont, quant à elles, des règles convenvtionnelles et,
partant, régies par les termes de l’instrument en cause. Quoique lves Etats

parties aient un intérêt commun à ce que ces termes soient respvectés, au
regard du droit des traités, le simple fait qu’un Etat soit partiev à la conven -
tion ne lui donne pas, en soi, qualité pour saisir la Cour d’une rvéclamation.
En droit international, dire que chaque Etat partie à un instrument cvonven -
tionnel a un intérêt à ce que les obligations qui y sont énovncées soient res -

pectées est une chose; dire que tout Etat partie a qualité pour saisir la Cour
d’une réclamation contre un autre Etat qui aurait manqué auxditves obliga -
tions en est une autre. Il incombe en effet à un Etat partie de dévmontrer à
quelles obligations qui lui sont dues par un autre Etat au titre de la cvonven -
tion celui-ci a manqué. Pour reprendre les termes employés à l’varticle 42 des

articles de la Commission du droit international sur la responsabilitév de
l’Etat, un «Etat lésé» se distingue des autres Etats parties en ce que le man -
quement en cause l’« atteint spécialement ». Ces règles procédurales ne
diminuent nullement l’importance de l’interdiction de la torture evn tant que
règle de jus cogens. A l’inverse, le jus cogens, de par sa nature même, ne
prime pas automatiquement sur l’applicabilité de ces règles provcédurales

(Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (interve -
nant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 140-141,par. 93-95).

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6 CIJ1033.indb 311 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 576

18. En faisant sienne la notion erga omnes partes pour énoncer un
droit général d’invoquer devant elle la responsabilité intervnationale, la

Cour semble avoir brouillé la distinction entre l’Etat requéranvt et les
autres Etats parties. En tant qu’Etat demandant l’extradition, la vBelgique,
à condition que sa compétence soit dûment établie au regard vde l’article 5,
a qualité pour former une réclamation contre le Sénégal àv raison d’une
violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention. Elle ne

saurait toutefois avoir qualité pour former une réclamation contrev le
Sénégal à raison d’un manquement à l’obligation de provcéder immédiate -
ment à une enquête préliminaire, prescrite au paragraphe 2 de l’article 6,
et à l’obligation de poursuivre, prescrite au paragraphe 1 de l’article 7,
que si cette réclamation est considérée comme étant intrinsèvquement liée
à sa demande d’extradition. De fait, c’est au sujet de l’interprétation et de

l’application du principe aut dedere aut judicare, tel qu’énoncé au para -
graphe 1 de l’article 7, que le différend entre les Parties s’est fait jour.
Autrement dit, la Belgique a fondé sa requête sur le libellé dev la conven -
tion, et non sur l’existence d’un intérêt commun. En examinavnt la ques -
tion de la qualité pour agir, la Cour a néanmoins estimé que

«tout Etat partie à la convention contre la torture p[ouvait] invoquerv
la responsabilité d’un autre Etat partie dans le but de faire consvtater

le manquement allégué de celui-ci à des obligations erga omnes
partes, telles que celles qui lui incombent en application du para -
graphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7, et de mettre
fin à un tel manquement (arrêt, par. 69) ».

Je crains que ce prononcé ne puisse être étayé par la pratique étatique
relative à l’application de la convention.
19. Troisièmement, la conclusion de la Cour sur la question de la rece -
vabilité est contraire au libellé de la convention. Aux fins de vréaliser l’ob-

jet et le but de cet instrument, un système d’information et de covntrôle a
été établi, aux articles 17 à 20, pour en superviser l’application par les
Etats parties. Par ailleurs, l’article 21 prévoit une procédure permettant à
un Etat partie d’adresser des communications au Comité contre la tvorture
en faisant valoir que, selon lui, un autre Etat partie ne s’acquitte vpas de

ses obligations au titre de la convention. Cette procédure a précivsément
pour objet de servir l’intérêt commun des Etats parties à ce que les obli -
gations énoncées par la convention soient respectées. La prévoccupation
de la Cour suivant laquelle, si un intérêt particulier était revquis pour
qu’un Etat partie puisse demander qu’un autre Etat partie mette fivn à un

manquement allégué, aucun Etat ne serait, dans bien des cas, en mevsure
de présenter une telle demande (ibid., par. 69), est donc infondée.
20. Au vu des conditions entourant la mise en œuvre de la procédure
susmentionnée, il ressort de la convention que les Etats parties n’venten -
daient nullement, au paragraphe 2 de l’article 6 et au paragraphe 1 de
l’article 7, créer des obligations erga omnes partes.

21. Aux termes de l’article 22, seul un Etat partie ayant au préalable
déclaré qu’il reconnaissait la compétence du comité peut vprésenter des

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6 CIJ1033.indb 313 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 577

communications au comité ; celles-ci ne peuvent viser que des Etats par -
ties ayant fait la même déclaration. Le comité ne reçoit et vn’examine

aucune communication intéressant un Etat partie qui n’a pas fait uvne telle
déclaration.
22. De plus, en application du paragraphe 2 de l’article 30, chaque
Etat peut, au moment où il signe ou ratifie la convention ou y adhèvre,
déclarer qu’il ne se considère pas comme lié par les disposivtions du para -

graphe 1 de ce même article, notamment en ce qui concerne la compé -
tence de la Cour internationale de Justice.
23. De toute évidence, si les Etats parties avaient eu, comme l’a dit vla Cour,
l’intention de créer des obligations erga omnes partes, ils auraient fait de
l’article 21 et du paragraphe 1 de l’article 30 des dispositions obligatoires, et
non facultatives. Conformément au droit des traités, aucune interpvrétation

et application de l’objet et du but de la convention ne saurait êtvre en contra -
diction avec les termes clairs de cet instrument, ni même prévaloivr sur eux.

2. Le lien entre les obligvations en cause

24. En ce qui concerne la question de la compétence, la Cour a conclu
que le différend entre les Parties quant à l’interprétation ou à l’application
du paragraphe 2 de l’article 5 de la convention avait pris fin au moment du
dépôt de la requête et que, partant, elle n’avait pas compévtence pour se

prononcer sur ce point. Elle a cependant estimé qu’il pourrait luiv falloir
examiner les conséquences du comportement du Sénégal sur le respect
d’autres obligations découlant de la convention, à condition quve sa com -
pétence à cet égard soit établie. L’approche fragmentéve que la Cour a ainsi
suivie en matière d’interprétation et d’application de dispositions conven -
tionnelles est, selon moi, problématique d’un point de vue juridiqvue.

25. Dans ses conclusions, la Belgique avait prié la Cour de dire et jugerv
que le Sénégal n’avait pas satisfait à l’obligation qui lvui incombe aux
termes du paragraphe 2 de l’article 5. La raison pour laquelle il n’existait
pas à cet égard de différend entre les Parties, ainsi que la vCour l’a jugé,
était que le Sénégal avait accepté la décision rendue parv le Comité contre

la torture en 2006 selon laquelle il avait manqué à son obligation au titre
de cette disposition pour n’avoir pas pris en temps utile les mesures néces -
saires afin d’établir sa compétence dans son droit interne. Lve fait que la
Cour se soit déclarée incompétente à l’égard du paragrvaphe 2 de l’article 5
a deux conséquences juridiques : la première est qu’elle évite de devoir se

prononcer au fond sur la question, le manquement du Sénégal à l’obliga -
tion qui lui incombe au titre de ladite disposition ayant cessé d’exister
au moment du dépôt de la requête de la Belgique ; la seconde est que,
suivant le raisonnement de la Cour, l’obligation du Sénégal de vprocéder
à une enquête préliminaire en application du paragraphe 2 de l’article 6 et
l’obligation de poursuivre énoncée au paragraphe 1 de l’article 7 de

la convention se trouvent dissociées de l’obligation contenue au parav -
graphe 1 de l’article 5.

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6 CIJ1033.indb 315 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 578

26. Dans le cadre de l’établissement de la compétence universelle qvue
prescrit la convention, le paragraphe 2 de l’article 5, le paragraphe 2 de

l’article 6 et le paragraphe 1 de l’article 7 sont intrinsèquement liés ; le
paragraphe 2 de l’article 5 est la condition préalable à l’application des
deux autres dispositions aux fins de l’exercice de la compétencev univer -
selle. Autrement dit, faute de base juridictionnelle établie, les autorités
compétentes d’un Etat partie ne seraient pas en mesure de satisfaivre à

l’obligation de poursuivre ou de se prononcer sur une demande d’exvtradi -
tion émanant d’un autre Etat partie. Cette question relève aussvi bien du
droit international que du droit interne ; en la présente espèce, elle ressor -
tit avant tout au droit international.
27. Quoiqu’elle ait reconnu que «le fait que la législation requise ait été
adoptée seulement en 2007 a[vait] nécessairement affecté l’exécution par le

Sénégal de ses obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 6 et du
paragraphe 1 de l’article 7 de la convention » (arrêt, par. 77 ; les italiques
sont de moi), la Cour a néanmoins jugé que le comportement du Sévnégal
antérieur à 2007 était pertinent pour examiner les obligations que lui
imposent lesdits articles. En droit pénal, les poursuites judiciaires doivent

être fondées sur une base de compétence solide. Le Sénégavl n’ayant pas,
comme il l’aurait dû, adopté les mesures nécessaires pour évtablir sa com -
pétence universelle dans son droit interne, ses autorités compévtentes ont
rejeté les plaintes déposées contre M. Habré, au motif qu’elles n’avaient
pas compétence pour en connaître. Sur le plan international, cela signifie

que le Sénégal n’a pas satisfait à son obligation au titre dve l’article 7 de la
convention, conclusion à laquelle est parvenu le Comité contre la vtorture.
Là encore, le Sénégal ne le conteste pas.
28. En la présente espèce, compte tenu du caractère indivisible desv
obligations énoncées dans les trois dispositions précitées, vle manquement
par le Sénégal à ses obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 6 et

du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention n’est pas, contrairement à
ce qu’a dit la Cour, dû à son droit interne (ibid., par. 113), il est dû à son
manquement à l’obligation que lui impose le paragraphe 2 de l’article 5.
Le fait que ce dernier manquement ait pris fin en 2007 a une incidence sur
la mise en œuvre par le Sénégal des obligations que lui imposenvt le para -

graphe 2 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’article 7. Autrement dit, dès
lors qu’il avait établi sa compétence universelle aux fins dev connaître
d’actes de torture, le Sénégal devait immédiatement ouvrir uvne instruc -
tion pénale contre M. Habré pour déterminer s’il convenait d’engager des
poursuites contre l’intéressé ou de l’extrader, conformément au para -

graphe 1 de l’article 7 de la convention. C’est pourquoi la période perti -
nente aux fins de rechercher si le Sénégal a ou non manqué auvx obligations
que lui imposent le paragraphe 2 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’ar -
ticle 7 devait être la période ayant débuté au moment où le Sénégal a
adopté la législation nécessaire en 2007, et non la période qui s’est écoulée
depuis l’année 2000, voire depuis une date antérieure.

29. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 6, la Cour a constaté
que « les autorités sénégalaises n’[avaient] pas immédiatement vengagé une

160

6 CIJ1033.indb 317 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 579

enquête préliminaire dès le moment où elles [avaient] eu desv raisons de soup -

çonner M. Habré, qui se trouvait sur leur territoire, d’être responsable vd’actes
de torture» (arrêt, par.88). Elle a également relevé que le Sénégal n’avait pas
engagé pareille enquête en 2008, lorsqu’une nouvelle plainte avait été dépo -
sée contre M. Habré à Dakar. Selon moi, en 2000, lorsque la première plainte
a été déposée devant les tribunaux sénégalais, les autvorités compétentes du

Sénégal ont bel et bien pris des mesures et inculpé l’intévressé. S’agissant de
la plainte de 2008, le fait est que, à cette date, le Sénégal avait déjàv entamé
la préparation du procès de M. Habré. A cet égard, les faits suivants sont
établis par les éléments de preuve qui ont été versés vau dossier.

30. En juillet 2006, l’assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de
l’Union africaine a, par sa décision 127 (VII), notamment « décid[é] de
considérer le dossier Hissène Habré comme le dossier de l’Union afri -
caine [et] mandat[é] la République du Sénégal de poursuivre et de fairev
juger, au nom de l’Afrique, Hissène Habré par une juridiction svénégalaise

compétente avec les garanties d’un procès juste» (mémoire de la Belgique,
par. 1.68-1.71, annexe F.2 ; contre-mémoire du Sénégal, par. 106).
31. Le 5 octobre 2007, le Sénégal a, par une note verbale adressée au
ministère des affaires étrangères de la Belgique par l’ambvassade sénéga -
laise à Bruxelles, informé la Belgique qu’il avait décidév d’organiser le pro -

cès de M. Habré et l’a invitée à une réunion des donateurs potentievls pour
le financement dudit procès (mémoire de la Belgique, annexe B.15).
32. Le 6 octobre 2008, quelques jours à peine après le dépôt des plaintes
susmentionnées contre M. Habré devant les tribunaux sénégalais, celui-ci

a saisi la Cour de justice de la CEDEAO pour s’opposer à ce que sovn
procès soit mené par le Sénégal.
33. Ces faits révèlent notamment que, en 2008, l’examen de l’affaire
Hissène Habré était bien entamé. Le stade de l’enquête prélimivnaire visant
à déterminer si l’auteur supposé devait ou non être jugév était dépass;élors -

qu’il a décidé d’engager des poursuites contre M. Habré, le Sénégal devait
disposer des éléments nécessaires pour prendre cette décisiovn. Dès lors, le
prononcé de la Cour relatif à l’obligation de procéder à vune enquête préli -
minaire en application du paragraphe 2 de l’article 6 apparaît inutilement

formaliste. D’ailleurs, ainsi que la Cour elle-même l’a précisé, « le choix
des moyens, pour mener l’enquête, reste entre les mains des Etats vparties,
en tenant compte notamment de l’affaire concernée» (arrêt, par. 86). Il est
également vrai que, à ce stade, le Sénégal a compétence pvour déterminer
s’il est toujours nécessaire de mener une enquête préliminaivre.

3. L’obligation aut DeDere aut JuDiCare
énoncée au paragraphev1 de l’article 7

34. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 7,
«[l]’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’autveur

présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’ex -

161

6 CIJ1033.indb 319 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 580

trade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à vl’article 5, à
ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénvale».

35. En ce qui concerne la nature et le sens de l’obligation aut dedere aut

judicare telle qu’énoncée dans cette disposition, la Cour a indiqué que
cette obligation imposait à l’Etat concerné de soumettre l’avffaire à ses
autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale,v qu’une demande
d’extradition ait ou non déjà été présentée. D’uvn point de vue général, ce
prononcé est conforme à l’objet et au but de la convention. En vla présente

espèce, la Cour se réfère ainsi implicitement au comportement dvu Sénégal
antérieur à la première demande d’extradition de la Belgiquev. Ainsi que
cela a été précisé ci-dessus, le fait que le Sénégal n’ait pas jugé M. Habré
au cours de cette période résulte avant tout de ce qu’il n’avvait pas satisfait
à son obligation au titre du paragraphe 2 de l’article 5 de la convention.

Le point de savoir si le Sénégal a manqué à l’obligation vque lui impose le
paragraphe 1 de l’article 7 devait être examiné à partir du moment où il a
adopté la législation nécessaire et établi sa compétence vuniverselle aux fins
de connaître d’actes de torture.
36. En la présente espèce, le point essentiel est que la Belgique a

demandé l’extradition de M. Habré. Je suis d’accord avec la Cour pour
considérer que l’extradition est une option qui s’offre à vl’Etat concerné.
C’est à lui qu’il incombe de décider d’extrader ou non l’vauteur présumé.
Quant au rapport entre les deux options — à savoir l’extraditiovn ou l’en -
gagement des poursuites —, la Cour est d’avis que

«le choix entre l’extradition et l’engagement des poursuites, en vevrtu
de la convention, ne revient pas à mettre les deux éléments de vl’alter -

native sur le même plan. En effet, l’extradition est une option vofferte
par la convention à l’Etat, alors que la poursuite est une obligatvion
internationale, prévue par la convention, dont la violation engage lav
responsabilité de l’Etat pour fait illicite. » (Arrêt, par. 95.)

Je me permets de ne pas souscrire à cette interprétation du paragrvaphe 1
de l’article 7.
37. La convention a pour objet et pour but d’établir la compétence vla

plus étendue possible afin de lutter efficacement contre la torturve partout
dans le monde. L’établissement de bases de compétence universelvle et
d’extradition entre les Etats parties vise à empêcher que l’vauteur des faits
puisse bénéficier d’un « refuge». Si l’Etat sur le territoire duquel se trouve
l’auteur présumé décide d’extrader ce dernier vers l’Etat qui en a fait la

demande, il est libéré de l’obligation de poursuivre. Si cet Etvat décide de
ne pas soumettre l’affaire en question à ses propres autoritévs compétentes
pour l’exercice de l’action pénale, le paragraphe 1 de l’article 7 lui fait
obligation de procéder à l’extradition. En toute logique, si l’Etat concerné
a pris la décision de poursuivre, la demande d’extradition doit, cvonformé -

ment au principe général de la justice pénale suivant lequel une personne
ne peut être poursuivie deux fois pour le même fait, être rejetvée.

162

6 CIJ1033.indb 321 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 581

38. En la présente espèce, et en dépit des assurances répétéves du Séné-
gal selon lesquelles il avait décidé d’engager des poursuites cvontre

M. Habré pour satisfaire à l’obligation que lui impose le paragrapvhe 1 de
l’article 7, la Belgique n’a cessé d’insister sur sa demande d’extradition.
De fait, elle a présenté au Sénégal sa dernière demande tvendant à l’extra -
dition de M. Habré le 17 janvier 2012. Le 15 mai 2012, le Sénégal a fait
connaître à la Cour que, des documents complets lui ayant étév communi -

qués par la Belgique, la question était désormais examinée par les autori -
tés compétentes sénégalaises. Au vu des événements antvérieurs, il apparaît
clairement que, selon la Belgique, le Sénégal n’avait pas encore décidé s’il
convenait de poursuivre ou d’extrader. Tant que le Sénégal n’va pas encore
décidé d’engager des poursuites, la Belgique, en tant qu’Etavt partie à la

convention, a le droit, en vertu du paragraphe 1 de l’article 7, de deman -
der l’extradition de M. Habré, à condition que soit réglée la question de
la recevabilité. En revanche, lorsque la décision relative à l’vextradition est
pendante, le fait que la Belgique affirme que le Sénégal, pour n’vavoir pas
engagé de poursuites, a manqué à l’obligation que lui impose le para -

graphe 1 de l’article 7 est contestable, puisque cette affirmation serait en
contradiction directe avec la propre demande d’extradition de la Belgvique.
A cet égard, il est regrettable que la Cour, plutôt que de s’invtéresser aux
relations conventionnelles que le paragraphe 1 de l’article 7 établit entre
les Parties, se soit attachée à l’obligation de poursuivre du Svénégal.

39. Si l’obligation de poursuivre incombant au Sénégal est présuvmée
ou imposée, la demande d’extradition de la Belgique peut être cvonsidérée
comme jouant un rôle différent, à savoir celui de surveiller vla mise en
œuvre par le Sénégal des obligations que la convention lui impovse. Il est
vrai que la demande d’extradition de la Belgique a accéléré vle processus

d’engagement des poursuites contre M. Habré, mais le fait de conférer à
un Etat partie le droit de surveiller l’application de la convention par tout
autre Etat partie sur la base du principe erga omnes partes dépasse, de
toute évidence, le cadre juridique de cet instrument. Le paragraphe 1 de
l’article 7 ne donne pas à l’Etat qui demande l’extradition le droit d’vex -

horter l’Etat auquel il adresse cette demande à engager des poursuvites.
Cette disposition permet simplement au premier de faire valoir ce droit
dans le cas où le second n’a pas satisfait à son obligation de vpoursuivre ou
d’extrader. Dès lors que la décision d’engager des poursuitevs est prise ou
que la demande d’extradition est examinée selon la procédure révgulière, il

est contestable que la Cour dise que le Sénégal a manqué à lv’obligation
qui lui incombe en application du paragraphe 1 de l’article 7.

4. Autres questions pertvinentes

40. Dans son arrêt, la Cour a estimé que

«les difficultés financières soulevées par le Sénégal nve p[ouvaient] jus -
tifier qu’il n’ait pas engagé de poursuites contre M. Habré … D’autre

163

6 CIJ1033.indb 323 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 582

part, la saisine de l’Union africaine … ne peut justifier le retard pris
dans le respect par [le Sénégal] de ses engagements au titre de lav

convention.» (Arrêt, par. 112.)
41. La Cour a pleinement conscience que l’affaire Hissène Habré est

désormais du ressort de l’Union africaine. Il appert des élévments qui ont
été versés au dossier qu’aucune des décisions prises par cette organisation
ou d’autres organes régionaux, tels que la Cour de justice de la CvEDEAO,
ne peut être considérée comme étant contraire à l’objet et au but de lva
convention; ces décisions ont toutes renforcé l’obligation d’engager dves

poursuites contre M. Habré que la convention impose au Sénégal. A cet
égard, ce ne serait que rendre justice à l’Union africaine que vde préciser
que la décision que celle-ci a adoptée au mois de juillet 2006 demandant
instamment au Sénégal de veiller à ce que M. Habré soit jugé en Afrique
et par les juridictions sénégalaises a, en réalité, accélvéré le processus par

lequel le Sénégal a modifié sa législation nationale pour vla mettre en
conformité avec les dispositions de la convention, et ouvert la voie vau
procès de l’intéressé. Depuis que le Sénégal a, en 2007, adopté les mesures
nécessaires et établi sa compétence universelle aux fins de cvonnaître
d’actes de torture, l’Union africaine, en sa qualité d’organve politique

régional, a en outre joué un rôle de facilitateur du processus.v Aucun élé -
ment versé au dossier ne permet à la Cour de considérer que la vtransmis-
sion par le Sénégal de l’affaire Hissène Habré à l’Union africaine avait
pour objet de retarder la mise en œuvre des obligations incombant àv cet
Etat en application de la convention.

42. Plus important encore, même si l’Union africaine a finalement
décidé d’établir un tribunal spécial pour juger M. Habré, le fait que le
Sénégal remette l’intéressé à ladite juridiction ne savurait être considéré
comme un manquement à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de
l’article 7, étant donné que le tribunal en question est crée précisément

pour réaliser l’objet et le but de la convention ; ni le libellé de cet instru -
ment ni la pratique étatique en la matière n’excluent pareille vsolution.
43. En ce qui concerne les retards pris dans la mise en œuvre par le
Sénégal des obligations qui lui incombent au titre de la convention, je suis
d’avis, pour les raisons énoncées ci-dessus, que la Cour auraitv dû s’inté -

resser au comportement du Sénégal depuis que celui-ci a, en 2007, établi
sa compétence universelle aux fins de connaître d’actes de tovrture. En tant
que membre de la CEDEAO, le Sénégal était tenu de respecter la juridic -
tion de la Cour de justice de cette organisation et d’attendre que cet
organe se prononce sur les demandes de M. Habré. Si cette procédure a

entraîné un retard, celui-ci était justifiable d’un point vde vue juridique.
44. En tant qu’Etat partie à la convention, le Sénégal ne sauraivt justi -
fier de n’avoir pas mis en œuvre ses obligations en invoquant devs difficul-
tés financières. Ce nonobstant, la Cour n’aurait pas dû mivnimiser les
difficultés pratiques auxquelles il se trouve confronté dans le cadre de la

préparation du procès et rejeter catégoriquement toute difficuvlté finan -
cière que ce procès risque de lui causer.

164

6 CIJ1033.indb 325 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 583

45. Dans une affaire ayant fait plus de 40 000 victimes et mettant en
cause plusieurs centaines de témoins, venant le plus souvent de l’vétranger,

le simple fait d’enquêter et de recueillir les éléments de pvreuve peut se révé-
ler une tâche fort lourde pour le Sénégal. L’expérience dve nombreuses ju-ri
dictions pénales internationales ou spéciales montre qu’un tel vprocès risque
de se poursuivre pendant des années, voire des décennies, des sommves
d’argent colossales y étant allouées par des organisations intevrnationales et

faisant l’objet de dons par les Etats. Pour prendre l’exemple du Tvribunal
spécial pour la Sierra Leone (TSSL), cette institution a été vétablie en 2002,
en vertu de la résolution 1315 (2000) du Conseil de sécurité vde l’Organisa -
tion des Nations Unies; il avait été prévu au départ qu’elle exercerait ses
fonctions pendant trois ans, et son budget total avait été estimé à 76 mil -
lions de dollars des Etats-Unis. La durée de son mandat ayant été prolon-

gée à plusieurs reprises, le tribunal est aujourd’hui toujours ven activité, et
ses frais se sont élevés à plus de 200 millions de dollars.
46. L’exemple du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) est, lui aussiv,
éloquent. Le TSL, qui a été établi en 2007 par la résolutvion 1757 du
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, a débuté son

activité en 2009, son budget étant financé à hauteur de 49v% par le Liban
et à 51 % par des contributions. De 2009 à 2012, c’est-à-dire en trois ans
d’activité, son budget total a atteint 172millions de dollars des Etats-Unis.
En février 2012, le mandat du TSL a été renouvelé pour une nouvelle
période de trois ans. L’exemple du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie

est encore plus marquant. Cela fait près de vingt ans que cette juridiction
existe et, au cours de ces dix dernières années, son budget s’evst élevé en
moyenne à 140 millions de dollars par an.
47. Il ressort de ces exemples que le procès de M. Hissène Habré —
cette affaire étant la première du genre au titre de la conventivon — néces -
site un appui politique et financier de la part de la communauté

internationale et, plus particulièrement, de l’Union africaine et vde pays
donateurs. En s’employant à achever la préparation du procèsv avant que
celui-ci ne débute, le Sénégal a en réalité fait preuve dve prudence.
48. Compte tenu de ce qui précède, je me vois dans l’obligation d’vex -
primer mon désaccord avec la décision de la Cour. Bien que ne consvidé -

rant pas, contrairement à celle-ci, que le Sénégal a manqué vaux obligations
que lui imposent le paragraphe 2 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’ar -
ticle 7 de la convention, puisqu’il a, en 2007, adopté la législationv néces -
saire et établi sa compétence universelle aux fins de connaîtvre d’actes de
torture, je tiens à rappeler que, selon moi, le Sénégal devraitv se prononcer

dès que possible sur la demande d’extradition de la Belgique, de svorte à
soumettre, ainsi qu’il l’a déclaré, l’affaire de M. Habré aux autorités com -
pétentes pour l’exercice de l’action pénale.

(Signé) Xue Hanqin.

165

6 CIJ1033.indb 327 28/11/13 12:50

Bilingual Content

571

DISSENTING OPINION OF JUDGE XUE

1. In principle, I agree with the Judgment that Senegal as a party to the
Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment of 1984 (the Convention) should submit with -
out delay the case of Mr. Hissène Habré to the competent authorities for

the purpose of prosecution, if it decides not to extradite him. However,v I
disagree with the majority of the Members of the Court on a number of
important issues in the Judgment. As required by my judicial duty, I shavll
explain my dissent.

1. The Issue of Admissibilivty

2. In the proceedings, Senegal objects to the admissibility of Belgium’sv
claims and maintains that Belgium is not entitled to invoke the interna -

tional responsibility of Senegal for the alleged breach of its obligatiovn to
submit the Hissène Habré case to its competent authorities for the pur -
pose of prosecution, unless it extradites him. In particular, Senegal arvgues
that none of the alleged victims of the acts said to be attributable to v
Mr. Habré was of Belgian nationality at the time when the alleged acts

were committed (Judgment, para. 64). Belgium does not dispute that fact
but contends that the case is not about diplomatic protection, and
“[u]nder the Convention, every State party, irrespective of the natiovnality
of the victims, is entitled to claim performance of the obligation con -
cerned, and, therefore, can invoke the responsibility resulting from thev

failure to perform” (ibid., para. 65). It notes in its Application that “[a]s
the present jurisdiction of the Belgian courts is based on the complaintv
filed by a Belgian national of Chadian origin, the Belgian courts intevnd to
exercise passive personal jurisdiction” (ibid.).

3. This dispute between the Parties with respect to the qualification of v
passive nationality apparently has a direct bearing on the question of
admissibility; should the nationality of the victim be established at the
time of the commission of the alleged acts, Belgium’s claim is obviouvsly
inadmissible.

4. Indeed, this case is different from diplomatic protection where
nationality serves as a nexus between an injured individual and its Statve
so as to give the latter entitlement to invoke international responsibilvity
of the wrongful State for the protection of the individual. Nationality v
principle, however, is not exclusively applicable in diplomatic protectivon

cases in international law. It is also relevant in international criminal law

153

6 CIJ1033.indb 302 28/11/13 12:50 571

OPINION DISSIDENTE DE M me LA JUGE XUE

[Traduction]

1. Sur le plan des principes, je m’associe à l’arrêt pour consivdérer que
le Sénégal, en tant que partie à la convention contre la torturve et autres
peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 (la
«convention»), devrait soumettre sans délai l’affaire Hissène Habré à ses

autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale,v s’il décide de ne
pas extrader l’intéressé. Je suis cependant en désaccord avevc la majorité
des membres de la Cour sur un certain nombre de questions traitées
dans l’arrêt, et il est de mon devoir de juge d’en exposer les raisovns.

1. La question de la recevvabilité

2. En la présente espèce, le Sénégal a contesté la recevabilité des
demandes de la Belgique, et soutenu que celle-ci n’avait pas qualité pour

invoquer la responsabilité internationale du Sénégal en raison vdu man -
quement allégué de ce dernier à son obligation de soumettre l’vaffaire His-
sène Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’vaction pénale,
à moins qu’il ne l’extrade. Le Sénégal a notamment fait vvaloir qu’aucune
des victimes supposées des actes qui seraient attribuables à M. Habré

n’avait la nationalité belge au moment où ceux-ci avaient été commis
(arrêt, par. 64). Si la Belgique n’a pas contesté ce point de fait, elle a
cependant observé que l’affaire n’avait pas trait à la provtection diploma -
tique et que, «[e]n vertu de la convention, tout Etat partie, quelle que soit
la nationalité des victimes, [était] fondé à réclamer l’vexécution de l’obliga-

tion en question, et p[ouvait] donc invoquer la responsabilité résvultant
d’une inexécution» (ibid., par. 65). Dans sa requête, la Belgique a précisé
que, « [l]a compétence actuelle des juridictions belges étant fondée svur la
plainte déposée par un ressortissant belge d’origine tchadiennev, la justice
belge entend[ait] exercer la compétence personnelle passive » (ibid.).

3. Il apparaît que cette divergence de vues entre les Parties quant àv la
détermination de la nationalité passive a une incidence directe suvr la ques -
tion de la recevabilité ; si la nationalité de la victime devait être établie au
moment de la commission des actes allégués, la demande de la Belgivque
serait manifestement irrecevable.

4. Certes, la présente espèce n’entre pas dans le champ de la protvection
diplomatique, domaine dans lequel la nationalité sert de lien juridiqvue
entre l’individu lésé et son Etat, donnant ainsi à ce dernievr qualité pour
invoquer la responsabilité internationale de l’Etat auteur du faitv illicite
afin de protéger l’intéressé. Il n’en demeure pas moinsv que, en droit inter -

national, le principe de la nationalité n’est pas uniquement applivcable

153

6 CIJ1033.indb 303 28/11/13 12:50 572 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

cases where nationality provides one of the bases for jurisdiction. In tvhe
present case, it defines and determines the entitlement of a State party in

the exercise of its jurisdiction to prosecute and the right to request fvor
extradition from another State party.

5. Under Article 5, paragraph 1 (c), of the Convention, it is provided

that jurisdiction can be established over torture offences by a State vparty
“when the victim is a national of that State if that State considers vit
appropriate”. The Convention does not specify whether such passive
nationality should be established at the time of the occurrence of tortuvous
acts, nor does it prescribe it as a necessary ground ; it leaves certain dis -
cretion to each State party to decide. In this case, therefore, Belgium’vs law

and practice have relevance to the issue.
6. Belgium established absolute universal jurisdiction over crimes
under international humanitarian law in 1993 (the 1993 law), includingv
jurisdiction based on passive nationality. On 23 April 2003 and
5 August 2003, Belgium amended the 1993 law, by which it restricted,

among others, the temporal condition of passive nationality, i.e., natiovn -
ality should be established at the time of the events instead of at the vtime
of filing a case (the 2003 law). The 2003 law provides to the extent that on
the count of a crime under international humanitarian law committed
abroad, criminal prosecution can be exercised only when the victim is, at
the time of the events, Belgian, or having been staying effectively in Belgium

for at least three years. In its decision No. 68/2005 of 13 April 2005, the
Belgian Court of Arbitration, while upholding the constitutionality of tvhe
2003 law, referred to the legislative intention of the said amendment and
stated that

“as for the criterion of personal ties with the country, the lawmaker
deemed it was necessary to introduce certain limits as regards the prin -
ciple of the capacity to be a defendant in proceedings ; it is necessary

that at the time of the events, the victim be of Belgian nationality or ▯be
effectively staying in Belgium, in a usual, legal manner for at least th▯ree
years” (emphasis added).

7. It also points out that such limits are imposed in order to avoid “anv
obviously abusive political use of this law”, since there are people

“who settled in Belgium for the sole purpose of obtaining the possi -
bility, as under the auspices of the law of 16 June 1993 governing the
prevention of serious violations of international humanitarian law
and Article 144ter of the Judicial Code, of securing the jurisdiction of
the Belgian courts for violations of which these persons claim they
are the victims” (Court of Arbitration, judgment of 13 April 2005,

communicated by the Agent of the Republic of Senegal to the Court
on 13 April 2012).

154

6 CIJ1033.indb 304 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 572

dans les affaires ayant trait à la protection diplomatique. Il est végalement

pertinent dans les affaires relevant du droit pénal international, vdans les-
quelles la nationalité constitue l’une des bases permettant d’évtablir la
compétence. En l’espèce, c’est ce principe qui définit vet détermine l’exer -
cice, par un Etat partie, de sa compétence en matière de poursuitevs, ainsi
que le droit d’un autre Etat partie de demander l’extradition.

5. Aux termes de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 5 de la conven -
tion, un Etat partie peut établir sa compétence aux fins de connvaître
d’actes de torture « quand la victime est un ressortissant dudit Etat et que
ce dernier le juge approprié ». La convention ne précise pas si cette natio -
nalité passive doit être établie au moment où les actes en qvuestion ont été

commis et n’en fait pas non plus un fondement nécessaire, laissant une
certaine marge d’appréciation à chaque Etat partie. En la prévsente espèce,
le droit et la pratique de la Belgique sont donc pertinents à cet évgard.
6. La Belgique a établi, en 1993, sa compétence universelle absolue aux
fins de connaître de crimes de droit international humanitaire (lav « loi

de 1993»), y compris au titre de la nationalité passive. Les 23 avril
et 5 août 2003, elle a amendé la loi de 1993, rendant notamment plus
stricte la condition temporelle en matière de nationalité passive,v la natio -
nalité de l’intéressé devant désormais être établiev au moment des faits et
non au moment du dépôt de la plainte (la « loi de 2003 »). La loi de 2003

dispose ainsi que, pour ce qui concerne les crimes relevant du droit intver -
national humanitaire commis à l’étranger, des poursuites pénales ne
peuvent être engagées que si la victime était, au moment des faits, de natio -
nalité belge, ou séjournait effectivement en Belgique depuis au mo▯ins trois
ans. Dans sa décision n o 68/2005 du 13 avril 2005, la Cour d’arbitrage de
Belgique, tout en concluant à la constitutionnalité de la loi de 2003, s’est

référée à l’intention du législateur sous-jacente àv l’amendement susmen -
tionné, et a indiqué ce qui suit :

«quant au critère de rattachement personnel avec le pays, le législva -
teur a jugé nécessaire d’instaurer certaines limites en ce qui conce▯rne le
principe de la personnalité passive : il faut qu’au moment des faits la
victime soit de nationalité belge ou séjourne effectivement, habituelle -
ment et légalement en Belgique depuis au moins trois ans » (les ita -

liques sont de moi).
7. La Cour belge a en outre précisé que ces limites étaient étavblies afin
d’éviter « une utilisation politique manifestement abusive de cette loi »,

étant donné que certaines personnes
«s’installent en Belgique pour la seule raison d’y trouver, comme
sous l’empire de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des

violations graves du droit international humanitaire et de l’ar -
ticle 144ter du Code judiciaire, la possibilité de rendre les juridictions
belges compétentes pour les infractions dont ces personnes se pré -
tendent être victimes » (Cour d’arbitrage de Belgique, arrêt
du 13 avril 2005, communiqué le 13 avril 2012 à la Cour par l’agent

de la République du Sénégal).

154

6 CIJ1033.indb 305 28/11/13 12:50 573 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

Belgium’s 2003 law should in no way be regarded as incompatible with v
the object and purpose of the Convention in the struggle against torturev,

although its legislative limits to passive nationality restrain Belgium’vs
right to exercise its jurisdiction over torture.

8. By its own legislative and judicial acts, particularly the jurisdictionavl
limits its 2003 law imposes on passive nationality, Belgium is therefore

precluded from denying the applicability of the nationality rule in case it
wishes to exercise passive personal jurisdiction. As a State party requevst -
ing for extradition under Article 7, paragraph 1, of the Convention, Bel -
gium has to, as a matter of law, establish its entitlement to exercise
jurisdiction.
9. It is noted that during the written pleadings, Belgium claims that the

transitional provisions to the 2003 law provide to the extent that if invves -
tigative measure has already been taken on the date of entry into force vof
the 2003 law and at least one complainant was a Belgian national at the v
time the criminal proceedings were initiated, the Belgian courts shall cvon -
tinue to exercise jurisdiction. In this case, Mr. A. Aganaye, a Belgian

national as of 19 June 1998, filed the case against Mr. Habré in the Bel -
gian courts in 2000. Moreover, numerous investigative measures were
taken before the entry into force of the 2003 law.
10. It is clear to the Court that, among the complainants against
Mr. Habré in the Belgian courts, only Mr. A. Aganaye was a Belgian

national. Two others were with dual nationalities of Chad and Belgium.
None of them was a Belgian national at the time of the events and all
were naturalized in Belgium well after the events of the commission of
torture in Chad. This nexus for passive national jurisdiction was appar -
ently fragile. Belgium does not provide any evidence to show that such
national link is not solely meant to secure the jurisdiction of the Belgvian

courts and, as such, “displayed an ‘obvious link attaching him to Bel -
gium’, to use the words of the Belgian Court of Arbitration” (Couvrt of
Arbitration, judgment No. 104/2006 of 21 June 2006, communicated by
the Agent of the Republic of Senegal to the Court on 13 April 2012).

11. In answering one of the questions put forward by a Member of the
Court in regard to Belgium’s entitlement to invoke Senegal’s respovnsi-
bility in the Court, Belgium argues that “it is not the nationality ovf the
alleged victims which is the basis of the entitlement of a State to invovke
the responsibility of another State. What is relevant is to whom the oblvi -

gation breached is owed.” (CR 2012/6, p. 52, para. 56 (Wood).) This
argument implicitly changes Belgium’s original claim from a request fvor
extradition to a general right to monitor treaty implementation. Under
the Convention, whether Senegal owes an obligation to Belgium to extra -
dite, first and foremost, depends on whether Belgium has entitlement to
exercise jurisdiction in accordance with Article 5 of the Convention.

155

6 CIJ1033.indb 306 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 573

La loi belge de 2003 ne doit en aucune manière être considérée comme

étant incompatible avec l’objet et le but de la convention en ce qvui
concerne la lutte contre la torture, et ce, bien que les limites dont elvle
assortit la nationalité passive restreignent le droit de la Belgique vd’exercer
sa compétence à l’égard dudit crime.
8. De par ses propres actes législatifs et judiciaires, et notamment lesv

limites que sa loi de 2003 a imposées en matière de compétence au titre de
la nationalité passive, la Belgique ne saurait donc, si elle entend evxercer la
compétence personnelle passive, contester l’applicabilité de lav règle de la
nationalité. En tant qu’Etat partie demandant l’extradition en vvertu du
paragraphe 1 de l’article 7 de la convention, elle doit, d’un point de vue

juridique, établir qu’elle a le droit d’exercer sa compétencve.
9. On relèvera que, dans ses écritures, la Belgique a fait valoir que, en
application des dispositions transitoires de la loi de 2003, si des mesures d’ins
truction avaient déjà été prises à la date d’entréev en vigueur de la loi de 2003
et qu’au moins l’un des plaignants était ressortissant belge auv moment où les

poursuites pénales avaient été engagées, les tribunaux belgevs devaient conti -
nuer d’exercer leur compétence. En la présente espèce, M. A. Aganaye, qui
a acquis la nationalité belge le 19 juin 1998, a porté plainte contre M. Habré
devant les tribunaux belges en 2000. De plus, nombre de mesures d’instruction
avaient été prises avant l’entrée en vigueur de la loi de 2003.

10. Il ressort clairement du dossier de l’affaire que, parmi les personvnes
ayant déposé plainte contre M. Habré devant les tribunaux belges, seul
M. A. Aganaye était ressortissant belge ; deux autres avaient la double
nationalité tchadienne et belge ; aucun des plaignants n’était ressortissant
belge au moment des faits et tous ont été naturalisés par la Belgique bien

après la commission des actes de torture au Tchad. Le lien de rattachement
permettant l’exercice de la compétence nationale passive était vdonc, semble-
t-il, ténu. La Belgique n’a présenté aucun élément de vpreuve attestant que
ce lien n’avait pas pour seul objet que les tribunaux belges se dévclarent
compétents et, pour reprendre les termes employés par la Cour d’varbitrage

de Belgique, qu’il constituait «un oien de rattachement évident avec la Bel -
gique» (Cour d’arbitrage, arrêt n 104/2006 du 21 juin 2006, communiqué
le 13 avril 2012 à la Cour par l’agent de la République du Sénégal).v
11. En réponse à une question qui lui était posée par un membre vde la
Cour au sujet de sa qualité pour invoquer la responsabilité du Sénégal

devant la Cour, la Belgique a fait valoir ce qui suit : «ce n’est pas la natio -
nalité des victimes supposées qui fonde le droit d’un Etat à invoquer la
responsabilité d’un autre Etat. Ce qui importe, c’est de savoirv à qui est
due l’obligation qui n’a pas été observée. » (CR 2012/6, p. 52, par. 56
(Wood).) Cet argument a implicitement modifié la demande initialve de la

Belgique; il ne s’agissait plus d’une demande d’extradition mais d’uvne
prétention à un droit général de surveiller l’application d’un traité. Or,
aux termes de la convention, la question de savoir si une obligation d’vex -
trader incombe au Sénégal vis-à-vis de la Belgique dépend avvant tout de
celle de savoir si cette dernière a qualité pour exercer sa compévtence

conformément à l’article 5 de cet instrument.

155

6 CIJ1033.indb 307 28/11/13 12:50 574 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

12. The Court, regrettably and questionably, fails to address this cru -
cial issue presented by Senegal in the Judgment. Instead of interpreting

Article 5, paragraph 1, of the Convention, the Court bases its reasoning
on the notion obligations erga omnes partes, which in my opinion, goes
far beyond treaty interpretation, deviating from the established jurisprvu -
dence of the Court.
13. In examining the issue of Belgium’s standing, the Court focuses on

the question “whether being a party to the Convention is sufficient vfor a
State to be entitled to bring a claim to the Court concerning the cessatvion
of alleged violations by another State party of its obligations under thvat
instrument” (Judgment, para. 67). It states that,

“The States parties to the Convention have a common interest to
ensure, in view of their shared values, that acts of torture are pre -
vented and that, if they occur, their authors do not enjoy impunity.

The obligations of a State party to conduct a preliminary inquiry into
the facts and to submit the case to its competent authorities for
prosecution are triggered by the presence of the alleged offender in
its territory, regardless of the nationality of the offender or the vic -
tims, or of the place where the alleged offences occurred. All the

other States parties have a common interest in compliance with these
obligations by the State in whose territory the alleged offender is
present.” (Ibid., para. 68.)

Taken from the obiter dictum of the Barcelona Traction Judgment (Barce -
lona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgium v. Spain),
Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 32, para. 33), the Court
defines such obligations as obligations erga omnes partes.

14. By virtue of the nature of such erga omnes partes obligations, the
Court concludes that Belgium, as a State party to the Convention againstv
Torture, has standing to invoke Senegal’s responsibility for the allevged
breaches of its obligations under Article 6, paragraph 2, and Article 7,

paragraph 1. Therefore, Belgium’s claims are admissible. This conclusion
is abrupt and unpersuasive.

15. In the first place, the Court’s reference to the Barcelona Traction
case misuses the obiter dictum in that Judgment in several aspects. In that

case the Court specifically drew the distinction between obligations ovwed
to the international community as a whole and those arising vis-à-vis
another State. It stated that “[b]y their very nature the former are vthe
concern of all States. In view of the importance of the rights involved,v all
States can be held to have a legal interest in their protection ; they are
obligations erga omnes.” (Ibid.) In terms of standing, however, the Court

only spelt out the conditions for the breach of obligations in bilateralv
relations and stopped short of the question of standing in respect of obvli -

156

6 CIJ1033.indb 308 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 574

12. Cette question cruciale soulevée par le Sénégal n’a pas évté traitée
dans l’arrêt, ce qui est à la fois regrettable et discutable. Pvlutôt que d’in -

terpréter le paragraphe 1 de l’article 5 de la convention, la Cour a fondé
son raisonnement sur la notion d’obligations erga omnes partes, ce qui,
selon moi, va bien au-delà de l’interprétation des traités ; ce faisant, elle
s’est écartée de sa jurisprudence bien établie.
13. En examinant la question de la qualité pour agir de la Belgique, la

Cour s’est attachée au point de savoir « si le seul fait d’être partie à la
convention [était] suffisant pour qu’un Etat soit fondé à la saisir d’une
demande tendant à ce qu’elle ordonne à un autre Etat partie de vmettre fin
à des manquements allégués aux obligations que lui impose cet ivnstru -
ment» (arrêt, par. 67). A cet égard, elle a indiqué ce qui suit :

«En raison des valeurs qu’ils partagent, les Etats parties à cet invs-
trument ont un intérêt commun à assurer la prévention des acvtes de
torture et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leursv auteurs

ne bénéficient pas de l’impunité. Les obligations qui incovmbent à un
Etat partie de procéder à une enquête préliminaire en vue d’vétablir les
faits et de soumettre l’affaire à ses autorités compétentevs pour l’exer -
cice de l’action pénale s’appliquent du fait de la présence vde l’auteur
présumé sur son territoire, quelle que soit la nationalité de l’intéressé

ou celle des victimes, et quel que soit le lieu où les infractions allé -
guées ont été commises. Tous les autres Etats parties à la convention
ont un intérêt commun à ce que l’Etat sur le territoire duquel se
trouve l’auteur présumé respecte ces obligations.» (Ibid., par. 68.)

Se référant à l’obiter dictum énoncé dans l’arrêt qu’elle avait rendu en
l’affaire de la Barcelona Traction (Barcelona Traction, Light and Power
Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33), la Cour a défini les obligations en

cause comme étant des obligations erga omnes partes.
14. De la nature de ces obligations erga omnes partes, la Cour a conclu
que la Belgique avait, en tant qu’Etat partie à la convention contvre la
torture, qualité pour invoquer la responsabilité du Sénégal và raison des
manquements allégués de celui-ci aux obligations qui lui incombent en

application du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7.
Dès lors, les demandes de la Belgique ont été considéréesv comme rece -
vables. Cette conclusion est abrupte, et elle n’est guère convaincvante.
15. Premièrement, c’est à mauvais escient que la Cour s’est révférée à
l’obiter dictum énoncé dans l’arrêt qu’elle avait rendu en l’affairve de la Bar -

celona Traction, et ce, à plusieurs égards. Dans cette affaire, la Cour avait
expressément établi la distinction entre les obligations dues à la commu -
nauté internationale dans son ensemble et celles qui se font jour àv l’égard
d’un seul autre Etat. Elle avait ainsi indiqué que, «[p]ar leur nature même,
les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droitvs en
cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un invtérêt juri -

dique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont
des obligations erga omnes. » (Ibid.) S’agissant de la qualité pour agir, la

156

6 CIJ1033.indb 309 28/11/13 12:50 575 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

gations erga omnes. The Court apparently referred to substantive law
rather than procedural rules, with no indication to change the state of vthe

law in the sense that there is no general standing resident with each anvd
every State to bring a case in the Court for the vindication of a communval
interest.

16. Since the Barcelona Traction Judgment, the Court has referred to
obligationserga omnes in a number of cases (East Timor (Portugal v. Aus -
tralia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 102, para. 29 ; Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bo ▯ s
nia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II), p. 616, para. 31; Legal Consequences of the Con -

struction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory, Advisory Opini▯ on,
I.C.J. Reports 2004 (I), p. 199, paras. 155-157; Armed Activities on the Ter -
ritory of the Congo (New Application : 2002) (Democratic Republic of the
Congo v. Rwanda), Jurisdiction and Admissibility, Judgment,I.C.J. Reports
2006, pp. 31-32, para. 64 ; Application of the Convention on the Prevention

and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia
and Montenegro), Judgment,I.C.J. Reports 2007 (I), p. 104, para. 147). In
none of them, has it pronounced that the existence of a common interest
alone would give a State entitlement to bring a claim in the Court.
17. Secondly, the Court’s conclusion on obligations erga omnes partes

in this case is not in conformity with the rules of State responsibilityv.
Even though prohibition of torture has become part of jus cogens in inter -
national law, such obligations as to make immediately a preliminary
inquiry and the obligation to prosecute or extradite are treaty rules, svub -
ject to the terms of the Convention. Notwithstanding the fact that the
States parties have a common interest in their observance, by virtue of v

treaty law, the mere fact that a State is a party to the Convention doesv
not, in and by itself, give that State standing to bring a case in the Cvourt.
Under international law, it is one thing that each State party has an inter -
est in the compliance with these obligations, and it is another that evevry
State party has standing to bring a claim against another State for the v

breach of such obligations in the Court. A State party must show what
obligations that another State party owes to it under the Convention havve
been breached. Such “injury”, to use the language in Article 42 of the
International Law Commission’s Articles on State Responsibility, distvin -
guishes the State from other States parties as it is “specially affvected” by

the breach. These procedural rules in no way diminish the importance of v
prohibition of torture as jus cogens. Jus cogens, likewise, by its very
nature, does not automatically trump the applicability of these proce -
dural rules (Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy :
Greece intervening Jurisdictional Immunities of States (Germany v. Italy ;
Greece intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (I), pp. 140-141,

paras. 93-95).

157

6 CIJ1033.indb 310 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 575

Cour s’était cependant contentée d’énoncer les conditionsv d’un manque-
ment à des obligations contractées dans le cadre de relations bilavtérales,

sans aborder la question en ce qui concerne les obligations erga omnes.
Elle s’était, semble-t-il, attachée au droit matériel et non aux règles procé -
durales, rien n’indiquant un changement de l’état du droit au svens où tout
Etat se verrait reconnaître, d’une manière générale, qualvité pour porter
une affaire devant la Cour en faisant valoir un intérêt commun.

16. Depuis l’arrêt rendu en l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour s’est
référée aux obligations erga omnes dans un certain nombre d’autres affaires
(Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102,
par. 29 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du ▯
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions prélimi -
naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31; Conséquences juri-

diques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien▯ occupé,
avis consultatif,C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 155-15;7Activités armées
sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique
du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil 2006,
p. 31-32, par. 64; Application de la convention pour la prévention et la répres -

sion du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 104, par. 147). Dans aucune de ces affaires,
la Cour n’a cependant dit que la seule existence d’un intérêvt commun confé -
rait à un Etat qualité pour porter une demande devant elle.
17. Deuxièmement, la conclusion que la Cour a formulée en la présenvte

espèce concernant les obligationserga omnes partes n’est pas conforme aux
règles régissant la responsabilité des Etats. Même si l’interdiction de la tor -
ture fait désormais partie du jus cogens en droit international, les obliga -
tions telles que celles de procéder immédiatement à une enquête et de
poursuivre ou d’extrader sont, quant à elles, des règles convenvtionnelles et,
partant, régies par les termes de l’instrument en cause. Quoique lves Etats

parties aient un intérêt commun à ce que ces termes soient respvectés, au
regard du droit des traités, le simple fait qu’un Etat soit partiev à la conven -
tion ne lui donne pas, en soi, qualité pour saisir la Cour d’une rvéclamation.
En droit international, dire que chaque Etat partie à un instrument cvonven -
tionnel a un intérêt à ce que les obligations qui y sont énovncées soient res -

pectées est une chose; dire que tout Etat partie a qualité pour saisir la Cour
d’une réclamation contre un autre Etat qui aurait manqué auxditves obliga -
tions en est une autre. Il incombe en effet à un Etat partie de dévmontrer à
quelles obligations qui lui sont dues par un autre Etat au titre de la cvonven -
tion celui-ci a manqué. Pour reprendre les termes employés à l’varticle 42 des

articles de la Commission du droit international sur la responsabilitév de
l’Etat, un «Etat lésé» se distingue des autres Etats parties en ce que le man -
quement en cause l’« atteint spécialement ». Ces règles procédurales ne
diminuent nullement l’importance de l’interdiction de la torture evn tant que
règle de jus cogens. A l’inverse, le jus cogens, de par sa nature même, ne
prime pas automatiquement sur l’applicabilité de ces règles provcédurales

(Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (interve -
nant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 140-141,par. 93-95).

157

6 CIJ1033.indb 311 28/11/13 12:50 576 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

18. By adopting the notion erga omnes partes, it seems that the Court
has blurred the distinction between the claimant State and the other

States parties by prescribing a general right to invoke international
responsibility in the Court. As a requesting State for extradition, Bel -
gium, provided that its jurisdiction is properly established under Articvle 5,
is entitled to bring a claim against Senegal for the alleged breach of Avrti -
cle 7, paragraph 1, of the Convention. Belgium’s entitlement to raise a

claim against Senegal for breach of its obligations to make immediately va
preliminary inquiry under Article 6, paragraph 2, and the obligation to
prosecute under Article 7, paragraph 1, should be tenable only if such
claim is intrinsically connected with its request for extradition. As a vmat -
ter of fact, the dispute between the Parties arose over the interpretativon
and application of the principle aut dedere aut judicare under Article 7,

paragraph 1. In other words, Belgium’s Application rests on the terms of
the Convention rather than the existence of a common interest. When the v
Court, in addressing the issue of standing, states that

“any State party to the Convention may invoke the responsibility of
another State party with a view to ascertaining the alleged failure to

comply with its obligations erga omnes partes, such as those under
Article 6, paragraph 2, and Article7, paragraph 1, of the Convention,
and to bring that failure to an end” (Judgment, para. 69),

I am afraid that its pronouncement can find no support of State practivce
in the application of the Convention.
19. Thirdly, the Court’s conclusion on admissibility is contrary to the
terms of the Convention. In order to achieve the object and purpose of

the Convention, a reporting and monitoring system is established under
Articles 17-20 of the Convention to supervise the implementation of the
Convention by the States parties. Besides, a communication mechanism is v
created under Article 21, by which a State party may send communica -
tions to the Committee against Torture to the effect that it considersv that

another State party is not fulfilling its obligations under this Convevntion.
These mechanisms are designed exactly to serve the common interest of
the States parties in the compliance with the obligations under the Con -
vention. The Court’s concern in the reasoning that, should a special vinte-r
est be required for making a claim concerning the cessation of an allegevd

breach by another State, in many cases no State would be in the positionv
to make such a claim (Judgment, para. 69), is therefore unfounded.
20. Under the Convention, conditions for the operation of these
mechanisms demonstrate that the States parties in no way intended to
create obligations erga omnes partes in Article 6, paragraph 2, and
Article 7, paragraph 1.

21. Under Article 22, communications can be made only upon prior
declaration by a State party recognizing the competence of the Com-

158

6 CIJ1033.indb 312 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 576

18. En faisant sienne la notion erga omnes partes pour énoncer un
droit général d’invoquer devant elle la responsabilité intervnationale, la

Cour semble avoir brouillé la distinction entre l’Etat requéranvt et les
autres Etats parties. En tant qu’Etat demandant l’extradition, la vBelgique,
à condition que sa compétence soit dûment établie au regard vde l’article 5,
a qualité pour former une réclamation contre le Sénégal àv raison d’une
violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention. Elle ne

saurait toutefois avoir qualité pour former une réclamation contrev le
Sénégal à raison d’un manquement à l’obligation de provcéder immédiate -
ment à une enquête préliminaire, prescrite au paragraphe 2 de l’article 6,
et à l’obligation de poursuivre, prescrite au paragraphe 1 de l’article 7,
que si cette réclamation est considérée comme étant intrinsèvquement liée
à sa demande d’extradition. De fait, c’est au sujet de l’interprétation et de

l’application du principe aut dedere aut judicare, tel qu’énoncé au para -
graphe 1 de l’article 7, que le différend entre les Parties s’est fait jour.
Autrement dit, la Belgique a fondé sa requête sur le libellé dev la conven -
tion, et non sur l’existence d’un intérêt commun. En examinavnt la ques -
tion de la qualité pour agir, la Cour a néanmoins estimé que

«tout Etat partie à la convention contre la torture p[ouvait] invoquerv
la responsabilité d’un autre Etat partie dans le but de faire consvtater

le manquement allégué de celui-ci à des obligations erga omnes
partes, telles que celles qui lui incombent en application du para -
graphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7, et de mettre
fin à un tel manquement (arrêt, par. 69) ».

Je crains que ce prononcé ne puisse être étayé par la pratique étatique
relative à l’application de la convention.
19. Troisièmement, la conclusion de la Cour sur la question de la rece -
vabilité est contraire au libellé de la convention. Aux fins de vréaliser l’ob-

jet et le but de cet instrument, un système d’information et de covntrôle a
été établi, aux articles 17 à 20, pour en superviser l’application par les
Etats parties. Par ailleurs, l’article 21 prévoit une procédure permettant à
un Etat partie d’adresser des communications au Comité contre la tvorture
en faisant valoir que, selon lui, un autre Etat partie ne s’acquitte vpas de

ses obligations au titre de la convention. Cette procédure a précivsément
pour objet de servir l’intérêt commun des Etats parties à ce que les obli -
gations énoncées par la convention soient respectées. La prévoccupation
de la Cour suivant laquelle, si un intérêt particulier était revquis pour
qu’un Etat partie puisse demander qu’un autre Etat partie mette fivn à un

manquement allégué, aucun Etat ne serait, dans bien des cas, en mevsure
de présenter une telle demande (ibid., par. 69), est donc infondée.
20. Au vu des conditions entourant la mise en œuvre de la procédure
susmentionnée, il ressort de la convention que les Etats parties n’venten -
daient nullement, au paragraphe 2 de l’article 6 et au paragraphe 1 de
l’article 7, créer des obligations erga omnes partes.

21. Aux termes de l’article 22, seul un Etat partie ayant au préalable
déclaré qu’il reconnaissait la compétence du comité peut vprésenter des

158

6 CIJ1033.indb 313 28/11/13 12:50 577 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

mittee and can be made only against those States parties that have
made a declaration to the same effect. The Committee will not receive v

and consider any communications if such communication concerns a
State party that has not made such a declaration.
22. Furthermore, under Article 30, paragraph 2, each State may, at the
time of signature or ratification of the Convention or accession therevto,
declare that it does not consider itself bound by paragraph 1 of this

Article, particularly with regard to the jurisdiction of the International
Court of Justice.
23. Obviously, if the States parties had intended to create obligations
erga omnes partes, as pronounced by the Court, Articles 21 and
Article 30, paragraph 1, should have been made mandatory rather
than optional for the States parties. In accordance with treaty law, any

interpretation and application of the object and purpose of the Conven -
tion should not contradict, or even override, the clear terms of the treaty.

2. Relationship between tvhe Obligations Concernved

24. On the question of jurisdiction, the Court finds that the dispute
between the Parties with regard to the interpretation or application of
Article 5, paragraph 2, of the Convention had ended by the time the
Application was filed. The Court therefore lacks jurisdiction to rule von

that issue. However, the Court is of the view that it may still have to vcon -
sider the consequences of Senegal’s conduct on the compliance with other
obligations under the Convention, provided its jurisdiction is establishved.
This fragmented approach to the interpretation and application of treatyv
provisions, in my view, is problematic in law.

25. Belgium in its submissions asks the Court to adjudicate and declare
that Senegal breached its obligation under Article 5, paragraph 2. The
reason that the Parties have no dispute over this point, as found by thev
Court, is that Senegal accepts the decision of the Committee against Torv -
ture in 2006 that it breached its obligation under Article 5, paragraph 2,

for failing to take necessary measures to establish jurisdiction in its v
domestic law in due time. The Court’s decision on lack of jurisdictiovn
over Article 5, paragraph 2, has two legal implications : one is that the
Court eschews the need to pronounce on the merits of the issue, namely, v
Senegal’s breach of its obligation under Article 5, paragraph 2, has ceased

to exist by the time of Belgium’s institution of the Application ; secondly,
Senegal’s obligation to make a preliminary inquiry under Article 6, para -
graph 2, and obligation to prosecute under Article 7, paragraph 1, of the
Convention are separated from the obligation under Article 5, para -
graph 1, in the Court’s reasoning.

159

6 CIJ1033.indb 314 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 577

communications au comité ; celles-ci ne peuvent viser que des Etats par -
ties ayant fait la même déclaration. Le comité ne reçoit et vn’examine

aucune communication intéressant un Etat partie qui n’a pas fait uvne telle
déclaration.
22. De plus, en application du paragraphe 2 de l’article 30, chaque
Etat peut, au moment où il signe ou ratifie la convention ou y adhèvre,
déclarer qu’il ne se considère pas comme lié par les disposivtions du para -

graphe 1 de ce même article, notamment en ce qui concerne la compé -
tence de la Cour internationale de Justice.
23. De toute évidence, si les Etats parties avaient eu, comme l’a dit vla Cour,
l’intention de créer des obligations erga omnes partes, ils auraient fait de
l’article 21 et du paragraphe 1 de l’article 30 des dispositions obligatoires, et
non facultatives. Conformément au droit des traités, aucune interpvrétation

et application de l’objet et du but de la convention ne saurait êtvre en contra -
diction avec les termes clairs de cet instrument, ni même prévaloivr sur eux.

2. Le lien entre les obligvations en cause

24. En ce qui concerne la question de la compétence, la Cour a conclu
que le différend entre les Parties quant à l’interprétation ou à l’application
du paragraphe 2 de l’article 5 de la convention avait pris fin au moment du
dépôt de la requête et que, partant, elle n’avait pas compévtence pour se

prononcer sur ce point. Elle a cependant estimé qu’il pourrait luiv falloir
examiner les conséquences du comportement du Sénégal sur le respect
d’autres obligations découlant de la convention, à condition quve sa com -
pétence à cet égard soit établie. L’approche fragmentéve que la Cour a ainsi
suivie en matière d’interprétation et d’application de dispositions conven -
tionnelles est, selon moi, problématique d’un point de vue juridiqvue.

25. Dans ses conclusions, la Belgique avait prié la Cour de dire et jugerv
que le Sénégal n’avait pas satisfait à l’obligation qui lvui incombe aux
termes du paragraphe 2 de l’article 5. La raison pour laquelle il n’existait
pas à cet égard de différend entre les Parties, ainsi que la vCour l’a jugé,
était que le Sénégal avait accepté la décision rendue parv le Comité contre

la torture en 2006 selon laquelle il avait manqué à son obligation au titre
de cette disposition pour n’avoir pas pris en temps utile les mesures néces -
saires afin d’établir sa compétence dans son droit interne. Lve fait que la
Cour se soit déclarée incompétente à l’égard du paragrvaphe 2 de l’article 5
a deux conséquences juridiques : la première est qu’elle évite de devoir se

prononcer au fond sur la question, le manquement du Sénégal à l’obliga -
tion qui lui incombe au titre de ladite disposition ayant cessé d’exister
au moment du dépôt de la requête de la Belgique ; la seconde est que,
suivant le raisonnement de la Cour, l’obligation du Sénégal de vprocéder
à une enquête préliminaire en application du paragraphe 2 de l’article 6 et
l’obligation de poursuivre énoncée au paragraphe 1 de l’article 7 de

la convention se trouvent dissociées de l’obligation contenue au parav -
graphe 1 de l’article 5.

159

6 CIJ1033.indb 315 28/11/13 12:50 578 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

26. In the establishment of universal jurisdiction under the Conven -
tion, Article 5, paragraph 2, Article 6, paragraph 2, and Article 7, para -

graph 1, are intrinsically interrelated ; Article 5, paragraph 2, is the
precondition for the implementation of the other two provisions for the v
exercise of universal jurisdiction. In other words, without established v
jurisdictional ground, the competent authorities of a State party would
not be able to fulfil the obligation to prosecute or take a decision ovn a

request for extradition from another State party. This is a matter of inter -
national law as well as internal law, but first and foremost internativonal
law in this case.

27. In the Judgment, although the Court recognizes “the fact that the
required legislation had been adopted only in 2007 necessarily affected

Senegal’s implementation of the obligations imposed on it by Article 6,
paragraph 2, and Article 7, paragraph 1, of the Convention” (Judgment,
para. 77 ; emphasis added), it has nevertheless found Senegal’s conduct
before 2007 relevant for the consideration of its obligations under thesve
Articles. Under criminal law, legal proceedings for prosecution must be v

based on a sound jurisdictional ground. As Senegal failed to duly adopt v
necessary measures to establish universal jurisdiction in its domestic lvaw,
its competent authorities dismissed the legal proceedings against
Mr. Habré for lack of jurisdiction. At the international level, this meanvs
Senegal did not meet its obligation under Article 7 of the Convention, a

finding by the Committee against Torture. Again, Senegal does not con -
test that point.

28. In the present case, given the indivisible nature of the treaty obliga-
tions under the aforesaid three provisions, Senegal’s failure to fulfivl its
obligations under Article 6, paragraph 2, and Article 7, paragraph 1, of

the Convention, is not, as the Court states, due to its domestic law (ibid.,
para. 113), but due to its failure to fulfil its obligation under Article 5,
paragraph 2. The fact that Senegal’s breach of its obligation under
Article 5, paragraph 2, ceased to exist in 2007 has consequential effect on
Senegal’s implementation of its obligations under Article 6, paragraph 2,

and Article 7, paragraph 1. That is to say, after Senegal established uni -
versal jurisdiction over torture offences, it should immediately conduvct
criminal investigation against Mr. Habré so as to decide whether to sub -
mit him to prosecution or extradite him in accordance with Article 7,
paragraph 1, of the Convention. Therefore, the relevant time for the con -

sideration of whether or not Senegal has breached its obligations under v
Article 6, paragraph 2, and Article 7, paragraph 1, should be the time
since Senegal adopted necessary legislation in 2007 rather than from 200v0,
or even earlier.

29. With regard to Article 6, paragraph 2, the Court finds that “the
Senegalese authorities did not immediately initiate a preliminary inquiry

160

6 CIJ1033.indb 316 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 578

26. Dans le cadre de l’établissement de la compétence universelle qvue
prescrit la convention, le paragraphe 2 de l’article 5, le paragraphe 2 de

l’article 6 et le paragraphe 1 de l’article 7 sont intrinsèquement liés ; le
paragraphe 2 de l’article 5 est la condition préalable à l’application des
deux autres dispositions aux fins de l’exercice de la compétencev univer -
selle. Autrement dit, faute de base juridictionnelle établie, les autorités
compétentes d’un Etat partie ne seraient pas en mesure de satisfaivre à

l’obligation de poursuivre ou de se prononcer sur une demande d’exvtradi -
tion émanant d’un autre Etat partie. Cette question relève aussvi bien du
droit international que du droit interne ; en la présente espèce, elle ressor -
tit avant tout au droit international.
27. Quoiqu’elle ait reconnu que «le fait que la législation requise ait été
adoptée seulement en 2007 a[vait] nécessairement affecté l’exécution par le

Sénégal de ses obligations découlant du paragraphe 2 de l’article 6 et du
paragraphe 1 de l’article 7 de la convention » (arrêt, par. 77 ; les italiques
sont de moi), la Cour a néanmoins jugé que le comportement du Sévnégal
antérieur à 2007 était pertinent pour examiner les obligations que lui
imposent lesdits articles. En droit pénal, les poursuites judiciaires doivent

être fondées sur une base de compétence solide. Le Sénégavl n’ayant pas,
comme il l’aurait dû, adopté les mesures nécessaires pour évtablir sa com -
pétence universelle dans son droit interne, ses autorités compévtentes ont
rejeté les plaintes déposées contre M. Habré, au motif qu’elles n’avaient
pas compétence pour en connaître. Sur le plan international, cela signifie

que le Sénégal n’a pas satisfait à son obligation au titre dve l’article 7 de la
convention, conclusion à laquelle est parvenu le Comité contre la vtorture.
Là encore, le Sénégal ne le conteste pas.
28. En la présente espèce, compte tenu du caractère indivisible desv
obligations énoncées dans les trois dispositions précitées, vle manquement
par le Sénégal à ses obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 6 et

du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention n’est pas, contrairement à
ce qu’a dit la Cour, dû à son droit interne (ibid., par. 113), il est dû à son
manquement à l’obligation que lui impose le paragraphe 2 de l’article 5.
Le fait que ce dernier manquement ait pris fin en 2007 a une incidence sur
la mise en œuvre par le Sénégal des obligations que lui imposenvt le para -

graphe 2 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’article 7. Autrement dit, dès
lors qu’il avait établi sa compétence universelle aux fins dev connaître
d’actes de torture, le Sénégal devait immédiatement ouvrir uvne instruc -
tion pénale contre M. Habré pour déterminer s’il convenait d’engager des
poursuites contre l’intéressé ou de l’extrader, conformément au para -

graphe 1 de l’article 7 de la convention. C’est pourquoi la période perti -
nente aux fins de rechercher si le Sénégal a ou non manqué auvx obligations
que lui imposent le paragraphe 2 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’ar -
ticle 7 devait être la période ayant débuté au moment où le Sénégal a
adopté la législation nécessaire en 2007, et non la période qui s’est écoulée
depuis l’année 2000, voire depuis une date antérieure.

29. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 6, la Cour a constaté
que « les autorités sénégalaises n’[avaient] pas immédiatement vengagé une

160

6 CIJ1033.indb 317 28/11/13 12:50 579 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

as soon as they had reason to suspect Mr. Habré, who was in their terri -
tory, of being responsible for acts of torture” (Judgment, para. 88). It also
considers that Senegal failed to make such an inquiry in 2008 when a
further complaint against Mr. Habré was filed in Dakar. In my view, in
2000 when the first complaint was filed in the Senegalese courts, thve Sen-

egal competent authorities did take legal action and indicted him. As favr
as the complaint in 2008 is concerned, the fact is that by 2008 Senegal vhad
already been in the process of preparing for the trial of Mr. Habré. The
evidence before the Court demonstrates the following facts.

30. In July 2006, the Assembly of the African Union of Heads of State
and Government, by Decision 127 (VII), inter alia, “decides to consider
the Hissène Habré case as falling within the competence of the African

Union . . . mandates Senegal to prosecute and ensure that Hissène Habré
is tried, on behalf of Africa, by a competent Senegalese court with guar -
antees for fair trial” (Memorial of Belgium, paras. 1.68-1.71, Ann. F.2 ;
Counter-Memorial of Senegal, para. 106).
31. On 5 October 2007, in a Note Verbale sent from the Senegalese

Embassy in Brussels to the Ministry of Foreign Affairs of Belgium,
Senegal informed Belgium that it had decided to organize the trial
of Mr. Habré and invited Belgium to a meeting of potential donors to
finance the trial (Memorial of Belgium, Ann. B.15).

32. On 6 October 2008, only days after the filing of the aforesaid com -
plaints against Mr. Habré in the Senegalese courts, Mr. Habré seised the
ECOWAS Court of Justice against the trial over his case to be conducted v
by Senegal.

33. These facts, among others, reveal that by 2008 the Hissène Habré
case was well under way. It had passed the stage of preliminary inquiry v
for the decision whether or not the alleged perpetrator should be broughvt
to trial; when Senegal decided to prosecute Mr. Habré, it must have pos -
sessed the necessary facts for that decision. Under such circumstances, vthe

Court’s pronouncement on the obligation to make a preliminary inquiryv
under Article 6, paragraph 2, seems unnecessarily formalistic. Indeed, as
the Court itself points out, “the choice of means for conducting the v
inquiry remains in the hands of the States parties, taking account of

the case in question” (Judgment, para. 86). It is also true by this stage
Senegal has the competence to decide whether it is still necessary to covn-
duct a preliminary inquiry.

3. Obligation a ut D eDere aut JuDiCare
under Article 7, Paragraph 1

34. Under Article 7, paragraph 1,

“[t]he State Party in the territory under whose jurisdiction a personv

alleged to have committed any offence referred to in Article 4 is found

161

6 CIJ1033.indb 318 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 579

enquête préliminaire dès le moment où elles [avaient] eu desv raisons de soup -

çonner M. Habré, qui se trouvait sur leur territoire, d’être responsable vd’actes
de torture» (arrêt, par.88). Elle a également relevé que le Sénégal n’avait pas
engagé pareille enquête en 2008, lorsqu’une nouvelle plainte avait été dépo -
sée contre M. Habré à Dakar. Selon moi, en 2000, lorsque la première plainte
a été déposée devant les tribunaux sénégalais, les autvorités compétentes du

Sénégal ont bel et bien pris des mesures et inculpé l’intévressé. S’agissant de
la plainte de 2008, le fait est que, à cette date, le Sénégal avait déjàv entamé
la préparation du procès de M. Habré. A cet égard, les faits suivants sont
établis par les éléments de preuve qui ont été versés vau dossier.

30. En juillet 2006, l’assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de
l’Union africaine a, par sa décision 127 (VII), notamment « décid[é] de
considérer le dossier Hissène Habré comme le dossier de l’Union afri -
caine [et] mandat[é] la République du Sénégal de poursuivre et de fairev
juger, au nom de l’Afrique, Hissène Habré par une juridiction svénégalaise

compétente avec les garanties d’un procès juste» (mémoire de la Belgique,
par. 1.68-1.71, annexe F.2 ; contre-mémoire du Sénégal, par. 106).
31. Le 5 octobre 2007, le Sénégal a, par une note verbale adressée au
ministère des affaires étrangères de la Belgique par l’ambvassade sénéga -
laise à Bruxelles, informé la Belgique qu’il avait décidév d’organiser le pro -

cès de M. Habré et l’a invitée à une réunion des donateurs potentievls pour
le financement dudit procès (mémoire de la Belgique, annexe B.15).
32. Le 6 octobre 2008, quelques jours à peine après le dépôt des plaintes
susmentionnées contre M. Habré devant les tribunaux sénégalais, celui-ci

a saisi la Cour de justice de la CEDEAO pour s’opposer à ce que sovn
procès soit mené par le Sénégal.
33. Ces faits révèlent notamment que, en 2008, l’examen de l’affaire
Hissène Habré était bien entamé. Le stade de l’enquête prélimivnaire visant
à déterminer si l’auteur supposé devait ou non être jugév était dépass;élors -

qu’il a décidé d’engager des poursuites contre M. Habré, le Sénégal devait
disposer des éléments nécessaires pour prendre cette décisiovn. Dès lors, le
prononcé de la Cour relatif à l’obligation de procéder à vune enquête préli -
minaire en application du paragraphe 2 de l’article 6 apparaît inutilement

formaliste. D’ailleurs, ainsi que la Cour elle-même l’a précisé, « le choix
des moyens, pour mener l’enquête, reste entre les mains des Etats vparties,
en tenant compte notamment de l’affaire concernée» (arrêt, par. 86). Il est
également vrai que, à ce stade, le Sénégal a compétence pvour déterminer
s’il est toujours nécessaire de mener une enquête préliminaivre.

3. L’obligation aut DeDere aut JuDiCare
énoncée au paragraphev1 de l’article 7

34. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 7,
«[l]’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’autveur

présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’ex -

161

6 CIJ1033.indb 319 28/11/13 12:50 580 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

shall in the cases contemplated in Article 5, if it does not extradite
him, submit the case to its competent authorities for the purpose of

prosecution”.
35. On the nature and meaning of the obligation aut dedere aut judi -

care as laid down in Article 7, paragraph 1, the Court states that the obli -
gation requires the State concerned to submit the case to its competent v
authorities for the purpose of prosecution, irrespective of the existencve of
a prior request for his extradition. On a general ground, this pronouncev -
ment is in line with the object and purpose of the Convention. In the

present case, the Court’s statement by implication refers to Senegal’vs con -
duct before Belgium’s first request for extradition was raised. As vstated
above, Senegal’s failure to bring Mr. Habré to trial during that time was
primarily due to the breach of its obligation under Article 5, paragraph 2,
of the Convention. Whether Senegal has breached its obligation under

Article 7, paragraph 1, should be considered from the time after it adopted
necessary legislation and established universal jurisdiction over torturve.

36. In the present case, the essential question rests on the issue of Bel -

gium’s request for extradition. I agree with the Court that extraditivon is
an option for the State concerned. It is up to that State to decide whether
or not to extradite the alleged suspect. On the relations between the twvo
options, extradition or prosecution, the Court is of the view that

“the choice between extradition or submission for prosecution, pur -
suant to the Convention, does not mean that the two alternatives are

to be given the same weight. Extradition is an option offered to the
State by the Convention, whereas prosecution is an international obli -
gation under the Convention, the violation of which is a wrongful act
engaging the responsibility of the State.” (Judgment, para. 95.)

I beg to disagree with this interpretation of Article 7, paragraph 1.

37. The object and purpose of the Convention is to establish the broad-

est possible jurisdiction in order to effectively fight against tortvure
throughout the world. The establishment of universal jurisdiction and
extradition bases between the States parties aims at preventing “safev
haven” for the perpetrator. If the State where the alleged offender is pres -
ent decides to extradite him to the requesting State, the requested Statve

would be relieved from the obligation to prosecute. Should the State
decide otherwise not to submit the case to its own competent authoritiesv
for prosecution, it is obliged under Article 7, paragraph 1, to submit the
case to the extradition proceedings. Logically, if the State concerned hvas
taken the decision to prosecute, by virtue of general principles of crimvinal

justice that no one should be tried twice for the same offence, the exvtradi -
tion request should be rejected.

162

6 CIJ1033.indb 320 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 580

trade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à vl’article 5, à
ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénvale».

35. En ce qui concerne la nature et le sens de l’obligation aut dedere aut

judicare telle qu’énoncée dans cette disposition, la Cour a indiqué que
cette obligation imposait à l’Etat concerné de soumettre l’avffaire à ses
autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale,v qu’une demande
d’extradition ait ou non déjà été présentée. D’uvn point de vue général, ce
prononcé est conforme à l’objet et au but de la convention. En vla présente

espèce, la Cour se réfère ainsi implicitement au comportement dvu Sénégal
antérieur à la première demande d’extradition de la Belgiquev. Ainsi que
cela a été précisé ci-dessus, le fait que le Sénégal n’ait pas jugé M. Habré
au cours de cette période résulte avant tout de ce qu’il n’avvait pas satisfait
à son obligation au titre du paragraphe 2 de l’article 5 de la convention.

Le point de savoir si le Sénégal a manqué à l’obligation vque lui impose le
paragraphe 1 de l’article 7 devait être examiné à partir du moment où il a
adopté la législation nécessaire et établi sa compétence vuniverselle aux fins
de connaître d’actes de torture.
36. En la présente espèce, le point essentiel est que la Belgique a

demandé l’extradition de M. Habré. Je suis d’accord avec la Cour pour
considérer que l’extradition est une option qui s’offre à vl’Etat concerné.
C’est à lui qu’il incombe de décider d’extrader ou non l’vauteur présumé.
Quant au rapport entre les deux options — à savoir l’extraditiovn ou l’en -
gagement des poursuites —, la Cour est d’avis que

«le choix entre l’extradition et l’engagement des poursuites, en vevrtu
de la convention, ne revient pas à mettre les deux éléments de vl’alter -

native sur le même plan. En effet, l’extradition est une option vofferte
par la convention à l’Etat, alors que la poursuite est une obligatvion
internationale, prévue par la convention, dont la violation engage lav
responsabilité de l’Etat pour fait illicite. » (Arrêt, par. 95.)

Je me permets de ne pas souscrire à cette interprétation du paragrvaphe 1
de l’article 7.
37. La convention a pour objet et pour but d’établir la compétence vla

plus étendue possible afin de lutter efficacement contre la torturve partout
dans le monde. L’établissement de bases de compétence universelvle et
d’extradition entre les Etats parties vise à empêcher que l’vauteur des faits
puisse bénéficier d’un « refuge». Si l’Etat sur le territoire duquel se trouve
l’auteur présumé décide d’extrader ce dernier vers l’Etat qui en a fait la

demande, il est libéré de l’obligation de poursuivre. Si cet Etvat décide de
ne pas soumettre l’affaire en question à ses propres autoritévs compétentes
pour l’exercice de l’action pénale, le paragraphe 1 de l’article 7 lui fait
obligation de procéder à l’extradition. En toute logique, si l’Etat concerné
a pris la décision de poursuivre, la demande d’extradition doit, cvonformé -

ment au principe général de la justice pénale suivant lequel une personne
ne peut être poursuivie deux fois pour le même fait, être rejetvée.

162

6 CIJ1033.indb 321 28/11/13 12:50 581 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

38. In the present case, despite Senegal’s repeated assurance that it has
decided to prosecute Mr. Habré to fulfil its obligation under Article 7,

paragraph 1, Belgium has persistently pressed its request for extradition.
As a matter of fact, it has presented its latest request to Senegal for extra -
dition of Mr. Habré on 17 January 2012. On 15 May 2012, Senegal noti -
fied the Court that with complete documents received from Belgium, thev
matter is now under the consideration of the Senegalese competent

authorities. In light of the foregoing events, it is clear that in Belgivum’s
view Senegal has not yet taken the decision whether to prosecute or extrva -
dite. Before Senegal has yet decided to prosecute, as a State party, Bel -
gium is entitled under Article 7, paragraph 1, to request for extradition of
Mr. Habré, provided the issue of admissibility is settled. While the deciv -

sion on extradition is still pending, however, it is questionable for Bevl -
gium to claim that Senegal has breached its obligation under Article 7,
paragraph 1, for failing to prosecute, because such claim would directly
contradict Belgium’s own request for extradition. Instead of addressing
the treaty relations between the Parties under Article 7, paragraph 1, the

Court, unfortunately, focuses on Senegal’s obligation to prosecute.

39. If Senegal’s obligation to prosecute is presumed or mandated, Bel -
gium’s request for extradition may be deemed playing a different rovle :
monitoring the implementation of Senegal’s obligations under the Con -
vention. It is true that Belgium’s request for extradition has actualvly
pushed the process to bring Mr. Habré to prosecution, but to give a State

party an entitlement to monitor the implementation of any State party onv
the basis of erga omnes partes certainly goes beyond the legal framework
of the Convention. Article 7, paragraph 1, does not provide the State
requesting extradition with a right to urge the requested State to
prosecute. It only allows the requesting State to claim its right to reqvuest

for extradition if the requested State has failed to implement its obligation
to prosecute or extradite. When the decision on prosecution is taken
or the extradition request is being considered under due process, it is
questionable for the Court to pronounce that Senegal has breached its
obligation under Article 7, paragraph 1.

4. Other Relevant Issues

40. The Court states in the Judgment that

“the financial difficulties raised by Senegal cannot justify the fvact that
it failed to initiate proceedings against Mr. Habré . . . Moreover, the

163

6 CIJ1033.indb 322 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 581

38. En la présente espèce, et en dépit des assurances répétéves du Séné-
gal selon lesquelles il avait décidé d’engager des poursuites cvontre

M. Habré pour satisfaire à l’obligation que lui impose le paragrapvhe 1 de
l’article 7, la Belgique n’a cessé d’insister sur sa demande d’extradition.
De fait, elle a présenté au Sénégal sa dernière demande tvendant à l’extra -
dition de M. Habré le 17 janvier 2012. Le 15 mai 2012, le Sénégal a fait
connaître à la Cour que, des documents complets lui ayant étév communi -

qués par la Belgique, la question était désormais examinée par les autori -
tés compétentes sénégalaises. Au vu des événements antvérieurs, il apparaît
clairement que, selon la Belgique, le Sénégal n’avait pas encore décidé s’il
convenait de poursuivre ou d’extrader. Tant que le Sénégal n’va pas encore
décidé d’engager des poursuites, la Belgique, en tant qu’Etavt partie à la

convention, a le droit, en vertu du paragraphe 1 de l’article 7, de deman -
der l’extradition de M. Habré, à condition que soit réglée la question de
la recevabilité. En revanche, lorsque la décision relative à l’vextradition est
pendante, le fait que la Belgique affirme que le Sénégal, pour n’vavoir pas
engagé de poursuites, a manqué à l’obligation que lui impose le para -

graphe 1 de l’article 7 est contestable, puisque cette affirmation serait en
contradiction directe avec la propre demande d’extradition de la Belgvique.
A cet égard, il est regrettable que la Cour, plutôt que de s’invtéresser aux
relations conventionnelles que le paragraphe 1 de l’article 7 établit entre
les Parties, se soit attachée à l’obligation de poursuivre du Svénégal.

39. Si l’obligation de poursuivre incombant au Sénégal est présuvmée
ou imposée, la demande d’extradition de la Belgique peut être cvonsidérée
comme jouant un rôle différent, à savoir celui de surveiller vla mise en
œuvre par le Sénégal des obligations que la convention lui impovse. Il est
vrai que la demande d’extradition de la Belgique a accéléré vle processus

d’engagement des poursuites contre M. Habré, mais le fait de conférer à
un Etat partie le droit de surveiller l’application de la convention par tout
autre Etat partie sur la base du principe erga omnes partes dépasse, de
toute évidence, le cadre juridique de cet instrument. Le paragraphe 1 de
l’article 7 ne donne pas à l’Etat qui demande l’extradition le droit d’vex -

horter l’Etat auquel il adresse cette demande à engager des poursuvites.
Cette disposition permet simplement au premier de faire valoir ce droit
dans le cas où le second n’a pas satisfait à son obligation de vpoursuivre ou
d’extrader. Dès lors que la décision d’engager des poursuitevs est prise ou
que la demande d’extradition est examinée selon la procédure révgulière, il

est contestable que la Cour dise que le Sénégal a manqué à lv’obligation
qui lui incombe en application du paragraphe 1 de l’article 7.

4. Autres questions pertvinentes

40. Dans son arrêt, la Cour a estimé que

«les difficultés financières soulevées par le Sénégal nve p[ouvaient] jus -
tifier qu’il n’ait pas engagé de poursuites contre M. Habré … D’autre

163

6 CIJ1033.indb 323 28/11/13 12:50 582 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

referral of the matter to the African Union . . . cannot justify the
latter’s delays in complying with its obligations under the Conven -

tion.” (Judgment, para. 112.)
41. The Court is fully aware that the Hissène Habré case is now under

the purview of the African Union (AU). Evidence before the Court showsv
that none of the decisions taken by the Organization or other regional
organs, e.g., ECOWAS Court of Justice, can be considered as contrary to v
the object and purpose of the Convention ; all of them reinforce Senegal’s
obligation under the Convention to bring Mr. Habré to prosecution. It

would only do justice to say that the AU’s decision adopted in July 2006
that urged Senegal to ensure that Hissène Habré be tried in Africa and by
the Senegalese courts actually accelerated Senegal’s process to amendv its
national law in accordance with the provisions of the Convention and
paved the way for the trial of Mr. Habré. Since 2007, after Senegal

adopted the necessary measures and established universal jurisdiction
over torture, as the regional political organ, the AU has been a facilitvat -
ing factor in the process. Nowhere can the Court ascertain that Senegal’vs
referral of the Hissène Habré case to the AU was intended to delay the
implementation of its obligations under the Convention.

42. More importantly, even if the AU ultimately decides to establish a
special tribunal for the trial of Mr. Habré, Senegal’s surrender of
Mr. Habré to such a tribunal could not be regarded as a breach of its
obligation under Article 7, paragraph 1, because such a tribunal is created
precisely to fulfil the object and purpose of the Convention ; neither the

terms of the Convention nor the State practice in this regard prohibit
such an option.
43. With respect to the delays in Senegal’s implementation of its obli -
gations under the Convention, for the reasons stated previously, I am ofv
the view that the Court should look at Senegal’s conduct since it estvab -

lished universal jurisdiction over torture in 2007. As a member of
ECOWAS, Senegal has the obligation to respect the jurisdiction of the
ECOWAS Court of Justice and wait for it to pronounce on the case sub -
mitted by Mr. Habré. If this procedure had caused delay, such delay was
legally justifiable.

44. As a State party to the Convention, Senegal cannot justify its fail -
ure to implement its obligations by financial difficulties. The Courtv should
not nevertheless downplay the practical difficulties that Senegal facesv in
the preparation of the trial, categorically disregarding the financialv diffi -

culties that Senegal may face in the trial.

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6 CIJ1033.indb 324 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 582

part, la saisine de l’Union africaine … ne peut justifier le retard pris
dans le respect par [le Sénégal] de ses engagements au titre de lav

convention.» (Arrêt, par. 112.)
41. La Cour a pleinement conscience que l’affaire Hissène Habré est

désormais du ressort de l’Union africaine. Il appert des élévments qui ont
été versés au dossier qu’aucune des décisions prises par cette organisation
ou d’autres organes régionaux, tels que la Cour de justice de la CvEDEAO,
ne peut être considérée comme étant contraire à l’objet et au but de lva
convention; ces décisions ont toutes renforcé l’obligation d’engager dves

poursuites contre M. Habré que la convention impose au Sénégal. A cet
égard, ce ne serait que rendre justice à l’Union africaine que vde préciser
que la décision que celle-ci a adoptée au mois de juillet 2006 demandant
instamment au Sénégal de veiller à ce que M. Habré soit jugé en Afrique
et par les juridictions sénégalaises a, en réalité, accélvéré le processus par

lequel le Sénégal a modifié sa législation nationale pour vla mettre en
conformité avec les dispositions de la convention, et ouvert la voie vau
procès de l’intéressé. Depuis que le Sénégal a, en 2007, adopté les mesures
nécessaires et établi sa compétence universelle aux fins de cvonnaître
d’actes de torture, l’Union africaine, en sa qualité d’organve politique

régional, a en outre joué un rôle de facilitateur du processus.v Aucun élé -
ment versé au dossier ne permet à la Cour de considérer que la vtransmis-
sion par le Sénégal de l’affaire Hissène Habré à l’Union africaine avait
pour objet de retarder la mise en œuvre des obligations incombant àv cet
Etat en application de la convention.

42. Plus important encore, même si l’Union africaine a finalement
décidé d’établir un tribunal spécial pour juger M. Habré, le fait que le
Sénégal remette l’intéressé à ladite juridiction ne savurait être considéré
comme un manquement à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de
l’article 7, étant donné que le tribunal en question est crée précisément

pour réaliser l’objet et le but de la convention ; ni le libellé de cet instru -
ment ni la pratique étatique en la matière n’excluent pareille vsolution.
43. En ce qui concerne les retards pris dans la mise en œuvre par le
Sénégal des obligations qui lui incombent au titre de la convention, je suis
d’avis, pour les raisons énoncées ci-dessus, que la Cour auraitv dû s’inté -

resser au comportement du Sénégal depuis que celui-ci a, en 2007, établi
sa compétence universelle aux fins de connaître d’actes de tovrture. En tant
que membre de la CEDEAO, le Sénégal était tenu de respecter la juridic -
tion de la Cour de justice de cette organisation et d’attendre que cet
organe se prononce sur les demandes de M. Habré. Si cette procédure a

entraîné un retard, celui-ci était justifiable d’un point vde vue juridique.
44. En tant qu’Etat partie à la convention, le Sénégal ne sauraivt justi -
fier de n’avoir pas mis en œuvre ses obligations en invoquant devs difficul-
tés financières. Ce nonobstant, la Cour n’aurait pas dû mivnimiser les
difficultés pratiques auxquelles il se trouve confronté dans le cadre de la

préparation du procès et rejeter catégoriquement toute difficuvlté finan -
cière que ce procès risque de lui causer.

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6 CIJ1033.indb 325 28/11/13 12:50 583 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. xue)

45. With over 40,000 victims and several hundreds of witnesses mainly
from abroad, investigation and collection of evidence alone could be a

heavy task for Senegal. The experiences of many existing international/
special criminal tribunals have proved that a trial on such a large scalve
could go on for years, even decades, with astronomical sums of money
budgeted from international organizations and donated by States. Take
the Special Court for Sierra Leone (SCSL) for example, the institution

was established under the United Nations Security Council resolu -
tion 1315 (2000) in 2002. The original estimate for the lifespan of the
SCSL was three years and the total budget for it was estimated at
US$76 million. After several extensions, the Court still functions today
and its costs have amounted to over US$200 million.

46. The Special Tribunal for Lebanon (STL) also offers an illustrative
example. The STL was established by the United Nations Security Coun -
cil resolution 1757 in 2007 and started to operate in 2009, with 49 per cent

of its budget from Lebanon and 51 per cent from contributions. From
2009 to 2012, in three years’ time of its operation, the total budgetv has
reached US$172 million. In February 2012, the mandate of the STL was
renewed for another three years. The experience of the International
Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (ICTY) is even more tellinvg.

The ICTY has been in existence for nearly 20 years by now. In the past
decade, its annual budget on average has been around US$140 million.

47. These examples explain that, being the first case of its kind under
the Convention, the trial of the Hissène Habré case needs political as well
as financial support from the international community, particularly thve

AU and donor countries. It is only prudent for Senegal to get things
ready before the prosecution starts.

48. In light of the foregoing considerations, I feel obliged to give my
dissent to the decision of the Court. Although I disagree with the Courtv

that Senegal has breached its obligations under Article 6, paragraph 2,
and Article 7, paragraph 1, of the Convention since it adopted the neces -
sary legislation and established universal jurisdiction over torture in v2007,
I wish to reiterate my view that Senegal should take its decision on Belv -
gium’s request for extradition as soon as possible so as to, as it declared,

submit the case of Mr. Habré to the competent authorities for prosecu -
tion.

(Signed) Xue Hanqin.

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6 CIJ1033.indb 326 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. xue) 583

45. Dans une affaire ayant fait plus de 40 000 victimes et mettant en
cause plusieurs centaines de témoins, venant le plus souvent de l’vétranger,

le simple fait d’enquêter et de recueillir les éléments de pvreuve peut se révé-
ler une tâche fort lourde pour le Sénégal. L’expérience dve nombreuses ju-ri
dictions pénales internationales ou spéciales montre qu’un tel vprocès risque
de se poursuivre pendant des années, voire des décennies, des sommves
d’argent colossales y étant allouées par des organisations intevrnationales et

faisant l’objet de dons par les Etats. Pour prendre l’exemple du Tvribunal
spécial pour la Sierra Leone (TSSL), cette institution a été vétablie en 2002,
en vertu de la résolution 1315 (2000) du Conseil de sécurité vde l’Organisa -
tion des Nations Unies; il avait été prévu au départ qu’elle exercerait ses
fonctions pendant trois ans, et son budget total avait été estimé à 76 mil -
lions de dollars des Etats-Unis. La durée de son mandat ayant été prolon-

gée à plusieurs reprises, le tribunal est aujourd’hui toujours ven activité, et
ses frais se sont élevés à plus de 200 millions de dollars.
46. L’exemple du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) est, lui aussiv,
éloquent. Le TSL, qui a été établi en 2007 par la résolutvion 1757 du
Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, a débuté son

activité en 2009, son budget étant financé à hauteur de 49v% par le Liban
et à 51 % par des contributions. De 2009 à 2012, c’est-à-dire en trois ans
d’activité, son budget total a atteint 172millions de dollars des Etats-Unis.
En février 2012, le mandat du TSL a été renouvelé pour une nouvelle
période de trois ans. L’exemple du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie

est encore plus marquant. Cela fait près de vingt ans que cette juridiction
existe et, au cours de ces dix dernières années, son budget s’evst élevé en
moyenne à 140 millions de dollars par an.
47. Il ressort de ces exemples que le procès de M. Hissène Habré —
cette affaire étant la première du genre au titre de la conventivon — néces -
site un appui politique et financier de la part de la communauté

internationale et, plus particulièrement, de l’Union africaine et vde pays
donateurs. En s’employant à achever la préparation du procèsv avant que
celui-ci ne débute, le Sénégal a en réalité fait preuve dve prudence.
48. Compte tenu de ce qui précède, je me vois dans l’obligation d’vex -
primer mon désaccord avec la décision de la Cour. Bien que ne consvidé -

rant pas, contrairement à celle-ci, que le Sénégal a manqué vaux obligations
que lui imposent le paragraphe 2 de l’article 6 et le paragraphe 1 de l’ar -
ticle 7 de la convention, puisqu’il a, en 2007, adopté la législationv néces -
saire et établi sa compétence universelle aux fins de connaîtvre d’actes de
torture, je tiens à rappeler que, selon moi, le Sénégal devraitv se prononcer

dès que possible sur la demande d’extradition de la Belgique, de svorte à
soumettre, ainsi qu’il l’a déclaré, l’affaire de M. Habré aux autorités com -
pétentes pour l’exercice de l’action pénale.

(Signé) Xue Hanqin.

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Opinion dissidente de Mme. la juge Xue

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