Opinion individuelle de M. le juge Skotnikov

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144-20120720-JUD-01-03-EN
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144-20120720-JUD-01-00-EN
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481

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE SKOTNIKOV

[Traduction]

1. Je souscris aux conclusions de la Cour énoncées dans le dispositifv.
Cependant, si je suis d’accord avec sa décision de juger recevablevs les
demandes de la Belgique fondées sur l’article 6, paragraphe 2, et l’ar -
ticle 7, paragraphe 1, de la convention contre la torture (paragraphe 3 du
dispositif), je me permets d’avancer respectueusement que la Cour s’vest
fourvoyée quant aux motifs de cette conclusion.

2. Pour déclarer recevables les demandes de la Belgique relatives au
comportement du Sénégal, la Cour aurait pu se borner à faire obvserver
que la Belgique avait engagé une procédure pénale à l’encvontre de
M. Habré, conformément à sa législation en vigueur, qu’elle vavait
demandé l’extradition de M. Habré du Sénégal vers la Belgique et qu’elle

avait ouvert des négociations diplomatiques avec le Sénégal surv la ques -
tion des poursuites à engager à l’encontre de M. Habré au Sénégal ou de
son extradition vers la Belgique.
3. La Cour a toutefois choisi une autre voie qui l’a amenée à conclure
que tout Etat partie à la convention contre la torture a qualité pour invo -

quer devant elle la responsabilité de tout autre Etat partie « dans le but
de faire constater le manquement allégué de celui-ci à des obligations
erga omnes partes, telles que celles qui lui incombent en application de
l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7, paragraphe 1, et de mettre fin à
un tel manquement » (arrêt, par. 69). La Cour est donc d’avis que la Bel -
gique est en droit d’invoquer la responsabilité du Sénégal dvevant elle sans

avoir nécessairement un intérêt particulier à ce que le Sévnégal se conforme
aux dispositions de la convention.
4. En suivant cette voie, la Cour évite de devoir traiter au fond la quevs -
tion de savoir si la Belgique a établi sa compétence à l’évgard de M. Habré
conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la convention, en dépit du

fait qu’aucune des victimes alléguées ayant porté plainte covntre M. Habré
n’était de nationalité belge au moment de la commission des infvractions
alléguées. Cette question, qui est directement liée à celle vde la recevabilité
de la demande d’extradition de M. Habré, est certes d’autant moins facile
à trancher que la Belgique, après avoir fait cette demande, a abrovgé

une partie de sa législation qui autorisait l’exercice de la compétvence uni -
verselle indépendamment de la nationalité des victimes présumées. La
présente affaire est un vestige de la brève période durant laquelle cette
législation était en vigueur.

5. Pendant la procédure orale, la Belgique a confirmé qu’elle agvissait

en tant qu’Etat lésé. Elle a d’ailleurs engagé la présvente procédure préci -
sément parce qu’elle avait exercé sa compétence à l’évgard de M. Habré et

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6 CIJ1033.indb 123 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )82

avait demandé au Sénégal de l’extrader vers le territoire bevlge. Comme la
requête le fait clairement apparaître, la Belgique craignait que lve « renvoi»

de l’affaire devant l’Union africaine ne réduise les possibilvités d’extradi -
tion de M. Habré vers la Belgique en vertu des dispositions de la conven -
tion contre la torture. Il est clair que la Belgique n’a pas saisi lav Cour
simplement en sa qualité d’Etat partie à la convention.
6. A titre subsidiaire, cependant, la Belgique, en réponse à une quesv -

tion posée par l’un des juges, a invoqué le locus standi en tant que partie
autre qu’un Etat lésé. Il semble qu’il s’agissait là dv’une précaution au cas
où la Cour conclurait, par exemple, que la Belgique ne pouvait se prév -
tendre compétente pour poursuivre M. Habré parce qu’elle avait abrogé
la loi qui l’autorisait à exercer cette compétence lorsque les vvictimes allé -
guées n’avaient pas la nationalité belge au moment de la commisvsion des

infractions alléguées.
7. Quoi qu’il en soit, dans ses conclusions finales, la Belgique se prvé -
sente manifestement comme un Etat lésé, autrement dit comme une pavrtie
ayant un intérêt particulier à ce que le Sénégal se confovrme aux disposi -
tions de la convention. Elle a expressément demandé à la Cour dve dire et

juger, entre autres, que le Sénégal était tenu de mettre fin và ces faits inter -
nationalement illicites :

« a) en soumettant sans délai l’affaire Hissène Habré à ses autorités
compétentes pour l’exercice de l’action pénale ; ou,
b) à défaut, en extradant Hissène Habré vers la Belgique » (les ita
liques sont de moi).

8. A la lumière de ce qui précède, il est surprenant que la Cour avit
décidé de ne pas se prononcer sur la question de savoir si la Belgvique a
un intérêt particulier à ce que le Sénégal se conforme aux dvispositions
pertinentes de la convention dans le cas de M. Habré (voir arrêt, par. 70).

Il en résulte inévitablement que la question de la recevabilité de lav
demande d’extradition de la Belgique demeure non résolue.
9. En vertu de son Statut, la Cour a le devoir de régler les différvends
— lorsqu’elle a compétence pour le faire — à moins que des circonstances
ne l’empêchent de juger une demande en tout ou en partie. Le Sévnégal a

contesté le droit de la Belgique d’exercer la compétence personvnelle pas -
sive dans le cas de M. Habré. En conséquence, lorsque la Cour écarte,
sans explication, une partie de la demande de la Belgique en en ramenantv
le statut dans la présente procédure à celui de tout Etat partive à la conven -
tion contre la torture, elle manque à ce devoir.

10. En outre, il est regrettable que la Cour n’ait pas dûment expliquév,
ni justifié, sa conclusion selon laquelle la Belgique, du simple favit qu’elle
est partie à la convention contre la torture, a qualité pour invoquer la
responsabilité du Sénégal à raison des manquements alléguvés de ce der -
nier à ses obligations au titre de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7,
paragraphe 1, de la convention.

11. La Cour indique dans l’arrêt (voir par. 68) que, l’objet et le but de
la convention étant « d’accroître l’efficacité de la lutte contre la

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6 CIJ1033.indb 125 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )83

torture … dans le monde entier », les Etats parties ont un intérêt commun
à assurer, compte tenu des valeurs qu’ils partagent, la préventvion des

actes de torture et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs
auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. La Cour relèvve que tous les Etats
parties «ont un intérêt juridique » à ce que les droits en cause soient pro -
tégés (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique
c. Espagne), arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Dans le même

contexte, la Cour rappelle que, dans son avis consultatif sur l’affvaire rela -
tive aux Réserves à la convention pour la prévention et la répression▯ du
crime de génocide, elle a fait observer ce qui suit :

«Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’in -
térêts propres; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun,
celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’vêtre de la
convention. » (Réserves à la convention pour la prévention et la répres -

sion du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)

12. Il va de soi que les dicta évoqués par la Cour revêtent une impor -
tance fondamentale. De fait, des obligations indivisibles dues par tout v
Etat partie à tous les autres Etats parties sont énoncées dans vun grand
nombre d’instruments, en particulier dans ceux qui concernent la protvec -
tion des droits de l’homme. Mais faut-il pour autant ne faire aucune vdif-

férence entre un intérêt commun et un droit de tout Etat partiev d’invoquer
la responsabilité de tout autre Etat partie devant la Cour, en vertu de la
convention contre la torture, à raison d’une violation alléguéve d’obliga -
tions erga omnes partes ?
13. Alors qu’il aurait paru naturel que la Cour ait recours à l’intverpré -

tation de la convention pour étayer sa conclusion, elle se borne àv en citer
le préambule et à classer cet instrument dans la même catégovrie que la
convention contre le génocide. Cela ne saurait suffire.

14. Pour appuyer son point de vue, à savoir que l’intérêt communv des

Etats parties à la convention contre la torture — et d’autres instruments
énonçant des obligations erga omnes partes, comme la convention contre
le génocide — est l’équivalent du droit de procédure d’un Etat partiev d’in -
voquer la responsabilité d’un autre Etat partie à raison de viovlations allé-
guées de ces obligations, la Cour devrait expliquer, par exemple, comvment

ces instruments pourraient simultanément envisager le droit d’un Etat
partie de formuler des réserves à sa compétence. Or, elle ne lev fait pas.
15. De plus, en vertu de la convention contre la torture, tout Etat par -
tie a le droit de se préserver non seulement de l’obligation de revndre des
comptes à la Cour, mais aussi de l’examen du Comité contre la tvorture.

Cet examen est fondé sur le principe erga omnes partes mais, et cela est
révélateur, il demeure facultatif :

«Tout Etat partie à la présente convention peut … déclarer à tout
moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoirv et

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6 CIJ1033.indb 127 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )84

examiner des communications dans lesquelles un Etat partie prétend
qu’un autre Etat partie ne s’acquitte pas de ses obligations au tivtre de

la présente convention… Le Comité ne reçoit aucune communica -
tion intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration. »
(Convention contre la torture, art. 21, par. 1.)

L’arrêt ne dit mot sur cette question.
16. Si la logique suivie par la Cour était la bonne, ces formules de par -
ticipation ou d’exemption n’auraient pas été insérées vdans la convention.
La vérité, c’est que la convention ne va pas aussi loin que la vCour le laisse

entendre.
17. Certes, il existe des conventions qui autorisent tout Etat partie à
invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie, par exemple la vconven-
tion européenne des droits de l’homme. Mais ce droit y est expressvément
reconnu. Aux termes de l’article 33 de cette convention : « Toute Haute

Partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux disposi -
tions de la convention et de ses protocoles qu’elle croira pouvoir êvtre
imputé à une autre Haute Partie contractante. » Il est intéressant de rele -
ver, et parfaitement conforme à la logique, que la convention europévenne
n’autorise aucune réserve à la compétence de la Cour europévenne des

droits de l’homme.
18. A l’opposé, la Cour est d’avis que l’intérêt commun devs Etats par-
ties à ce que soient respectées les obligations pertinentes énovncées dans la
convention contre la torture implique que chacun d’eux puisse demander
qu’un autre Etat partie qui aurait manqué auxdites obligations mette fin

à ces manquements (voir arrêt, par. 69). Aucune explication ne vvient
étayer cette déclaration.
19. La Cour ne mentionne ni la convention européenne des droits de
l’homme, ni d’autres instruments analogues. Elle ne se prononce donc pas
sur la question de savoir comment ce qui est expressément prévu davns un

instrument pourrait être simplement implicite dans un autre, alors quv’il
s’agit du même droit et d’un droit important. Si l’on acceptve la logique de
l’arrêt, qu’une convention inclue ou non une disposition aussi vspécifique
ne ferait aucune différence. Ce ne peut être le cas.
20. L’arrêt ne se réfère à aucun précédent dans lequel vun Etat a engagé

une procédure devant la Cour ou toute autre instance judiciaire intervna -
tionale à raison de violations alléguées d’une obligation erga omnes partes
pour la simple raison qu’il est partie à un instrument analogue àv la
convention contre la torture. Il ne mentionne pas non plus le fait, qu’vil y
aurait peut-être eu lieu de relever en tant que reflet de la pratique des

Etats — au plutôt de son absence —, que les mécanismes de plainte
interétatiques (y compris ceux prévus à l’article 21 de la convention contre
la torture) n’ont jamais été utilisés.
21. L’arrêt ne fait pas mention du projet d’articles sur la responsabilité
de l’Etat pour faits internationalement illicites adopté par la Covmmission

du droit international en 2001, qui ne va pas dans le même sens que lva
Cour. Dans son commentaire à l’article 48, qui traite de l’invocation de la

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6 CIJ1033.indb 129 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )85

responsabilité par un Etat autre que l’Etat lésé, la commissvion relève que
«certaines dispositions, figurant par exemple dans des traités relatifs aux

droits de l’homme, permettent à n’importe quel Etat partie d’invoquer la
responsabilité», sans laisser entendre le moins du monde que ce droit est
énoncé dans des instruments qui ne contiennent pas de dispositionsv spéci -
fiques à cet effet (Annuaire de la Commission du droit international, 2001,
vol. II, deuxième partie, p. 127 du texte anglais). Le commentaire sur le

projet d’articles est sans ambiguïté :
«pour prendre de telles mesures, c’est-à-dire pour invoquer la res -

ponsabilité au sens du projet d’articles, il faut un droit plus spéci -
fique. En particulier, pour qu’un Etat invoque la responsabilitév pour
son propre compte, il doit avoir un droit particulier l’y autorisant,v
par exemple un droit d’action spécifiquement établi par un traité, ou
bien il doit être considéré comme un Etat lésé. » (Ibid., p. 117 ; les ita -
liques sont de moi.)

La convention contre la torture ne confère aux Etats parties aucun
droit de ce type.

22. Je suis contraint de conclure à regret que les motifs invoqués parv la
Cour pour étayer sa juste décision sur la recevabilité des demavndes de la
Belgique ne semblent pas être fondés en droit, conventionnel ou covutumier.
23. A titre de remarque finale concernant l’arrêt dans son ensemble,v j’ai -
merais rappeler qu’en 2009, au stade des mesures conservatoires de lav

procédure, la Belgique a résumé comme suit le différend quvi l’oppose au
Sénégal: premièrement, «le Sénégal soutient que la décision de transmettre
le dossier à l’Union africaine … satisfait d’une manière ou d’une autre aux
exigences de l’article 7 [de la convention contre la torture] » (CR 2009/10,
p. 20, par. 13) ; deuxièmement, « sa détermination actuelle [du Sénégal] à
s’engager, fût-ce lentement, sur la voie d’un procès pénavl découle, aux yeux

du Sénégal, du «mandat» que lui a conféré l’Union africaine et non direc -
tement des obligations qu’il tient de la convention contre la tortur» ev(ibid.).
Pour sa part, voici ce que le Sénégal a répondu :

«comme Etat, [le Sénégal] est bien lié par la convention de 1984
[contre la torture]. Le fait que l’organisation du procès Habré puisse
impliquer une organisation comme l’Union africaine n’enlève absvolu -
ment rien des devoirs et droits qui résultent pour elle de la qualité de

partie à cette convention. C’est bien en tant que partie à la convention
que la République du Sénégal exécute ses obligations, et nonv en vertu
d’un mandat de l’Union africaine.» (CR 2009/11, p. 18, par. 11.)

En conséquence, il me semblait en 2009 que les Parties étaient d’vaccord
sur les points soulevés par la Belgique et, partant, que le diffévrend, tel que
présenté par cette dernière, avait cessé d’exister. J’vattendais donc du Séné -
gal qu’il agisse promptement pour s’acquitter de ses obligations en vertu
de la convention contre la torture. Malheureusement, cela n’a pas évté le

cas. Le Sénégal reconnaît qu’un différend persiste au svujet de l’application
de la convention :

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6 CIJ1033.indb 131 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )86

«Il est question devant [la Cour] d’un litige qui oppose deux Etats
sur la manière d’entendre ou de comprendre l’exécution d’vune obli -
gation découlant d’un instrument international auquel ils sont tous
deux parties. Voilà la réalité du contentieux qui s’est nouév devant la
Cour.» (CR 2012/4, p. 28, par. 39.)

La déclaration ci-dessus reflète la véritable nature du diffvérend, qui est
allé de rebondissement en rebondissement depuis le moment où la Bevl -

gique a demandé au Sénégal d’extrader M. Habré. Ce différend a mainte -
nant été réglé par la Cour, qui, à l’unanimité, a décidé que la République
du Sénégal devait, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré
à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pvénale, si elle ne

l’extrade pas.

(Signé) Leonid Skotnikov.

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6 CIJ1033.indb 133 28/11/13 12:50

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481

SEPARATE OPINION OF JUDGE SKOTNIKOV

1. I support the Court’s conclusions set forth in the operative clause. v
However, while I agree with the Court’s ruling that Belgium’s claivms
based on Article 6, paragraph 2, and Article 7, paragraph 1, of the Con -
vention against Torture are admissible (paragraph 3 of the operative
clause), I respectfully submit that the Court has erred as to the grounvds
on which to base this finding.

2. In order to declare admissible Belgium’s claims relating to Senegal’vs
conduct, the Court could have confined itself to observing that Belgiuvm
has instituted criminal proceedings against Mr. Habré, in accordance
with its legislation in force ; that it has requested Mr. Habré’s extradition
from Senegal to Belgium ; and that it has engaged in diplomatic negotia -

tions with Senegal on the subject of Mr. Habré’s prosecution in Senegal
or his extradition to Belgium.

3. The Court has chosen instead to follow the route which leads it to
conclude that any State party to the Convention against Torture has

standing before this Court to invoke the responsibility of any other Stavte
party “with a view to ascertaining the [latter’s] alleged failure vto comply
with its obligations erga omnes partes, such as those under Article 6, para -
graph 2, and Article 7, paragraph 1, of the Convention, and to bring that
failure to an end” (Judgment, para. 69). Accordingly, in the view of the
Court, Belgium is entitled to invoke Senegal’s responsibility before vthis

Court without necessarily having a special interest in Senegal’s compvli -
ance with the Convention.
4. The route thus taken by the Court allows it to avoid dealing at the
merits stage with the question as to whether Belgium has established itsv
jurisdiction in respect of Mr. Habré in accordance with Article 5, para -

graph 1, of the Convention, despite the fact that none of the alleged
victims who have filed complaints against Mr. Habré was of Belgian
nationality at the time of the alleged offences. This question, which v
is directly related to the issue of the validity of Belgium’s request
for Mr. Habré’s extradition, is admittedly not an easy one to answer,

especially given the fact that Belgium, subsequent to its request for
Mr. Habré’s extradition, repealed a part of its legislation which had v
allowed for the exercise of universal jurisdiction irrespective of the nvation-
ality of the alleged victims. The present case is left over from the brivef
period during which this legislation was in force.
5. During the oral phase, Belgium confirmed that it appeared before

this Court as an injured State. Indeed, Belgium instituted the present pro -
ceedings precisely because it had exercised its jurisdiction in respect vof

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6 CIJ1033.indb 122 28/11/13 12:50 481

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE SKOTNIKOV

[Traduction]

1. Je souscris aux conclusions de la Cour énoncées dans le dispositifv.
Cependant, si je suis d’accord avec sa décision de juger recevablevs les
demandes de la Belgique fondées sur l’article 6, paragraphe 2, et l’ar -
ticle 7, paragraphe 1, de la convention contre la torture (paragraphe 3 du
dispositif), je me permets d’avancer respectueusement que la Cour s’vest
fourvoyée quant aux motifs de cette conclusion.

2. Pour déclarer recevables les demandes de la Belgique relatives au
comportement du Sénégal, la Cour aurait pu se borner à faire obvserver
que la Belgique avait engagé une procédure pénale à l’encvontre de
M. Habré, conformément à sa législation en vigueur, qu’elle vavait
demandé l’extradition de M. Habré du Sénégal vers la Belgique et qu’elle

avait ouvert des négociations diplomatiques avec le Sénégal surv la ques -
tion des poursuites à engager à l’encontre de M. Habré au Sénégal ou de
son extradition vers la Belgique.
3. La Cour a toutefois choisi une autre voie qui l’a amenée à conclure
que tout Etat partie à la convention contre la torture a qualité pour invo -

quer devant elle la responsabilité de tout autre Etat partie « dans le but
de faire constater le manquement allégué de celui-ci à des obligations
erga omnes partes, telles que celles qui lui incombent en application de
l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7, paragraphe 1, et de mettre fin à
un tel manquement » (arrêt, par. 69). La Cour est donc d’avis que la Bel -
gique est en droit d’invoquer la responsabilité du Sénégal dvevant elle sans

avoir nécessairement un intérêt particulier à ce que le Sévnégal se conforme
aux dispositions de la convention.
4. En suivant cette voie, la Cour évite de devoir traiter au fond la quevs -
tion de savoir si la Belgique a établi sa compétence à l’évgard de M. Habré
conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la convention, en dépit du

fait qu’aucune des victimes alléguées ayant porté plainte covntre M. Habré
n’était de nationalité belge au moment de la commission des infvractions
alléguées. Cette question, qui est directement liée à celle vde la recevabilité
de la demande d’extradition de M. Habré, est certes d’autant moins facile
à trancher que la Belgique, après avoir fait cette demande, a abrovgé

une partie de sa législation qui autorisait l’exercice de la compétvence uni -
verselle indépendamment de la nationalité des victimes présumées. La
présente affaire est un vestige de la brève période durant laquelle cette
législation était en vigueur.

5. Pendant la procédure orale, la Belgique a confirmé qu’elle agvissait

en tant qu’Etat lésé. Elle a d’ailleurs engagé la présvente procédure préci -
sément parce qu’elle avait exercé sa compétence à l’évgard de M. Habré et

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6 CIJ1033.indb 123 28/11/13 12:50 482 obligation to prosecuvte or extradite (sep. opv. skotnikov)

Mr. Habré and requested his extradition from Senegal to Belgium. As is
clear from the Application, Belgium was concerned that “the referral”v of

Mr. Habré’s case to the African Union could have affected the prospevct
of Mr. Habré being extradited to Belgium under the terms of the Conven-
tion against Torture. Clearly, Belgium did not seise this Court simply avs
a State party to the Convention.
6. In the alternative, however, Belgium, responding to a question

posed by one of the judges, claimed locus standi as a party other than an
injured State. It seems that this contention was made as a precaution, ivn
case the Court were to find, for example, that Belgium was precluded
from claiming jurisdiction to prosecute Mr. Habré on account of the fact
that it had abrogated the law which allowed it to exercise its jurisdictvion
in cases where the alleged victims did not have Belgian nationality at the

time when the alleged offences were committed.
7. In any event, in its final submissions, Belgium clearly positions itself
as an injured State, that is, as a party having a special interest in Senegal’s
compliance with the Convention. It has specifically requested the Courvt
to adjudge and declare inter alia that Senegal is required to cease the

internationally wrongful act :

“(a) by submitting without delay the Hissène Habré case to its com -
petent authorities for prosecution ; or
(b) failing that, by extraditing Hissène Habré to Belgium without fur -
ther ado” (emphasis added).

8. In the light of the above, the Court’s decision not to pronounce on
the question of whether Belgium has a special interest in Senegal’s cvom -
pliance with the relevant provisions of the Convention in the case of
Mr. Habré (see Judgment, para. 70) is surprising. One inevitable implica -

tion of this decision is that the issue of the validity of Belgium’s vrequest
for extradition remains unresolved.
9. The Court has a duty under its Statute to settle disputes — when it
has jurisdiction to do so — unless there are circumstances preventing it
from proceeding with the adjudication of a claim or a part of it. Senegavl

has contested Belgium’s entitlement to exercise passive personal jurivsdic -
tion in Mr. Habré’s case. Accordingly, when the Court discards, without
explanation, a part of Belgium’s claim by reducing its status in the v
present proceedings to that of any State party to the Convention against
Torture, it fails in this duty.

10. Moreover, regrettably, the Court’s conclusion that Belgium, simply
as a State party to the Convention against Torture, has standing to invoke
the responsibility of Senegal for the alleged breaches of its obligations
under Article 6, paragraph 2, and Article 7, paragraph 1, of the Conven -
tion, is not properly explained, nor is it justified.

11. According to the Judgment (see para. 68), since the object and pur-
pose of the Convention is “to make more effective the struggle against

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6 CIJ1033.indb 124 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )82

avait demandé au Sénégal de l’extrader vers le territoire bevlge. Comme la
requête le fait clairement apparaître, la Belgique craignait que lve « renvoi»

de l’affaire devant l’Union africaine ne réduise les possibilvités d’extradi -
tion de M. Habré vers la Belgique en vertu des dispositions de la conven -
tion contre la torture. Il est clair que la Belgique n’a pas saisi lav Cour
simplement en sa qualité d’Etat partie à la convention.
6. A titre subsidiaire, cependant, la Belgique, en réponse à une quesv -

tion posée par l’un des juges, a invoqué le locus standi en tant que partie
autre qu’un Etat lésé. Il semble qu’il s’agissait là dv’une précaution au cas
où la Cour conclurait, par exemple, que la Belgique ne pouvait se prév -
tendre compétente pour poursuivre M. Habré parce qu’elle avait abrogé
la loi qui l’autorisait à exercer cette compétence lorsque les vvictimes allé -
guées n’avaient pas la nationalité belge au moment de la commisvsion des

infractions alléguées.
7. Quoi qu’il en soit, dans ses conclusions finales, la Belgique se prvé -
sente manifestement comme un Etat lésé, autrement dit comme une pavrtie
ayant un intérêt particulier à ce que le Sénégal se confovrme aux disposi -
tions de la convention. Elle a expressément demandé à la Cour dve dire et

juger, entre autres, que le Sénégal était tenu de mettre fin và ces faits inter -
nationalement illicites :

« a) en soumettant sans délai l’affaire Hissène Habré à ses autorités
compétentes pour l’exercice de l’action pénale ; ou,
b) à défaut, en extradant Hissène Habré vers la Belgique » (les ita
liques sont de moi).

8. A la lumière de ce qui précède, il est surprenant que la Cour avit
décidé de ne pas se prononcer sur la question de savoir si la Belgvique a
un intérêt particulier à ce que le Sénégal se conforme aux dvispositions
pertinentes de la convention dans le cas de M. Habré (voir arrêt, par. 70).

Il en résulte inévitablement que la question de la recevabilité de lav
demande d’extradition de la Belgique demeure non résolue.
9. En vertu de son Statut, la Cour a le devoir de régler les différvends
— lorsqu’elle a compétence pour le faire — à moins que des circonstances
ne l’empêchent de juger une demande en tout ou en partie. Le Sévnégal a

contesté le droit de la Belgique d’exercer la compétence personvnelle pas -
sive dans le cas de M. Habré. En conséquence, lorsque la Cour écarte,
sans explication, une partie de la demande de la Belgique en en ramenantv
le statut dans la présente procédure à celui de tout Etat partive à la conven -
tion contre la torture, elle manque à ce devoir.

10. En outre, il est regrettable que la Cour n’ait pas dûment expliquév,
ni justifié, sa conclusion selon laquelle la Belgique, du simple favit qu’elle
est partie à la convention contre la torture, a qualité pour invoquer la
responsabilité du Sénégal à raison des manquements alléguvés de ce der -
nier à ses obligations au titre de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7,
paragraphe 1, de la convention.

11. La Cour indique dans l’arrêt (voir par. 68) que, l’objet et le but de
la convention étant « d’accroître l’efficacité de la lutte contre la

64

6 CIJ1033.indb 125 28/11/13 12:50 483 obligation to prosecuvte or extradite (sep. opv. skotnikov)

torture . . . throughout the world”, the States parties to the Convention
have a common interest to ensure, in view of their shared values, that avcts

of torture are prevented and that, if they occur, their authors do not evnjoy
impunity. The Court observes that all States parties “have a legalinterest”
in the protection of the rights involved (Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgium v. Spain), Judgment, I.C.J. Reports
1970, p. 32, para. 33). In the same context, the Court recalls that, in its

Advisory Opinion in the case concerning Reservations to the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, it pointed out
that :

“[i]n such a convention the contracting States do not have any inter -
ests of their own ; they merely have, one and all, a common interest,
namely, the accomplishment of those high purposes which are the
raison d’être of the convention” (Reservations to the Convention on

the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 1951, p. 23).

12. Needless to say, the dicta referred to by the Court are of funda -
mental importance. Indeed, indivisible obligations which are owed by anyv
State party to all other States parties are contained in numerous instru -
ments, in particular those dealing with the protection of human rights.
But does this lead to a conclusion that a common interest is one and thev

same thing as a right of any State party to invoke the responsibility of
any other State party before this Court, under the Convention against
Torture, for an alleged breach of obligations erga omnes partes ?

13. One would have expected the Court to have recourse to the inter -

pretation of the Convention in order to support its conclusion. Instead,v
it confines itself to quoting from its Preamble and classifying this
instrument as being similar to the Genocide Convention. This is hardly
sufficient.
14. In order to confirm its view that the common interest shared by

States parties to the Convention against Torture — and other instruments
containing erga omnes partes obligations, such as the Genocide Conven -
tion — equates to a procedural right of one State party to invoke the
responsibility of another for any alleged breaches of such obligations, vthe
Court would need to explain, for example, how such treaties could simul -

taneously envisage the right of a State party to make reservations to itvs
jurisdiction. No such explanation is provided.
15. Furthermore, under the Convention against Torture, any State
party has the right to shield itself not only from accountability beforev the
Court but also from the scrutiny of the Committee against Torture. This v

scrutiny is based on the erga omnes partes principle but, tellingly, remains
optional :

“A State Party to this Convention may at any time declare . . . that
it recognizes the competence of the Committee to receive and consider

65

6 CIJ1033.indb 126 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )83

torture … dans le monde entier », les Etats parties ont un intérêt commun
à assurer, compte tenu des valeurs qu’ils partagent, la préventvion des

actes de torture et, si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs
auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. La Cour relèvve que tous les Etats
parties «ont un intérêt juridique » à ce que les droits en cause soient pro -
tégés (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique
c. Espagne), arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Dans le même

contexte, la Cour rappelle que, dans son avis consultatif sur l’affvaire rela -
tive aux Réserves à la convention pour la prévention et la répression▯ du
crime de génocide, elle a fait observer ce qui suit :

«Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’in -
térêts propres; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun,
celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’vêtre de la
convention. » (Réserves à la convention pour la prévention et la répres -

sion du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)

12. Il va de soi que les dicta évoqués par la Cour revêtent une impor -
tance fondamentale. De fait, des obligations indivisibles dues par tout v
Etat partie à tous les autres Etats parties sont énoncées dans vun grand
nombre d’instruments, en particulier dans ceux qui concernent la protvec -
tion des droits de l’homme. Mais faut-il pour autant ne faire aucune vdif-

férence entre un intérêt commun et un droit de tout Etat partiev d’invoquer
la responsabilité de tout autre Etat partie devant la Cour, en vertu de la
convention contre la torture, à raison d’une violation alléguéve d’obliga -
tions erga omnes partes ?
13. Alors qu’il aurait paru naturel que la Cour ait recours à l’intverpré -

tation de la convention pour étayer sa conclusion, elle se borne àv en citer
le préambule et à classer cet instrument dans la même catégovrie que la
convention contre le génocide. Cela ne saurait suffire.

14. Pour appuyer son point de vue, à savoir que l’intérêt communv des

Etats parties à la convention contre la torture — et d’autres instruments
énonçant des obligations erga omnes partes, comme la convention contre
le génocide — est l’équivalent du droit de procédure d’un Etat partiev d’in -
voquer la responsabilité d’un autre Etat partie à raison de viovlations allé-
guées de ces obligations, la Cour devrait expliquer, par exemple, comvment

ces instruments pourraient simultanément envisager le droit d’un Etat
partie de formuler des réserves à sa compétence. Or, elle ne lev fait pas.
15. De plus, en vertu de la convention contre la torture, tout Etat par -
tie a le droit de se préserver non seulement de l’obligation de revndre des
comptes à la Cour, mais aussi de l’examen du Comité contre la tvorture.

Cet examen est fondé sur le principe erga omnes partes mais, et cela est
révélateur, il demeure facultatif :

«Tout Etat partie à la présente convention peut … déclarer à tout
moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoirv et

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6 CIJ1033.indb 127 28/11/13 12:50 484 obligation to prosecuvte or extradite (sep. opv. skotnikov)

communications to the effect that a State Party claims that another
State Party is not fulfilling its obligations under this Convention . . .

No communication shall be dealt with by the Committee under this
article if it concerns a State Party which has not made such a decla -
ration.” (Convention against Torture, Art. 21, para. 1.)

The Judgment does not address this issue.
16. If the logic adopted by the Court were correct, no such opt-out or
opt-in clauses would have been allowed in the Convention. The simple
truth is that the Convention does not go as far as the Court suggests.

17. Admittedly, there are treaties which allow invocation of responsi -
bility by any State party, for example, the European Convention on
Human Rights. However, this entitlement is expressly granted. Article 33
of the European Convention states that : “Any High Contracting Party

may refer to the Court any alleged breach of the provisions of the Con -
vention and the Protocols thereto by another High Contracting Party.”v
Interestingly, and most logically, no reservations to the jurisdiction ovf the
European Court of Human Rights are allowed under the European Con -
vention.

18. By contrast, in the view of the Court, an entitlement of each
State party to the Convention against Torture to make a claim concern -
ing the existence of an alleged breach by another State party is implied
in the common interest of the States parties’ compliance with the rele-

vant obligations under the Convention against Torture (see Judgment,
para. 69). No explanation is offered in support of this statement.
19. The Court does not mention the European Convention on Human
Rights, or any other similar treaty. Accordingly, it does not offer itvs view
as to how that which is expressly provided for in one treaty could simplvy

be implied in another, in respect of the same — and rather important —
entitlement. If one accepts the logic of the Judgment, it would make no v
difference whether such an express provision were included in or excluded
from a treaty by its drafters. This cannot be right.
20. The Judgment cites no precedent in which a State has instituted

proceedings before this Court or any other international judicial body ivn
respect of alleged violations of an erga omnes partes obligation simply on
the basis of it being a party to an instrument similar to the Conventionv
against Torture. Nor does it mention the fact, which might be worth
noting as a reflection of State practice — or rather the absence of it —

that the inter-State human rights complaints mechanisms (including the
one provided for in Article 21 of the Convention against Torture) have
never been used.
21. The Judgment does not refer to the draft Articles on Responsibility
of States for Internationally Wrongful Acts adopted by the Internationalv

Law Commission in 2001, which do not support the Court’s position. Inv
its commentary to Article 48, which deals with invocation of responsi-

66

6 CIJ1033.indb 128 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )84

examiner des communications dans lesquelles un Etat partie prétend
qu’un autre Etat partie ne s’acquitte pas de ses obligations au tivtre de

la présente convention… Le Comité ne reçoit aucune communica -
tion intéressant un Etat partie qui n’a pas fait une telle déclaration. »
(Convention contre la torture, art. 21, par. 1.)

L’arrêt ne dit mot sur cette question.
16. Si la logique suivie par la Cour était la bonne, ces formules de par -
ticipation ou d’exemption n’auraient pas été insérées vdans la convention.
La vérité, c’est que la convention ne va pas aussi loin que la vCour le laisse

entendre.
17. Certes, il existe des conventions qui autorisent tout Etat partie à
invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie, par exemple la vconven-
tion européenne des droits de l’homme. Mais ce droit y est expressvément
reconnu. Aux termes de l’article 33 de cette convention : « Toute Haute

Partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux disposi -
tions de la convention et de ses protocoles qu’elle croira pouvoir êvtre
imputé à une autre Haute Partie contractante. » Il est intéressant de rele -
ver, et parfaitement conforme à la logique, que la convention europévenne
n’autorise aucune réserve à la compétence de la Cour europévenne des

droits de l’homme.
18. A l’opposé, la Cour est d’avis que l’intérêt commun devs Etats par-
ties à ce que soient respectées les obligations pertinentes énovncées dans la
convention contre la torture implique que chacun d’eux puisse demander
qu’un autre Etat partie qui aurait manqué auxdites obligations mette fin

à ces manquements (voir arrêt, par. 69). Aucune explication ne vvient
étayer cette déclaration.
19. La Cour ne mentionne ni la convention européenne des droits de
l’homme, ni d’autres instruments analogues. Elle ne se prononce donc pas
sur la question de savoir comment ce qui est expressément prévu davns un

instrument pourrait être simplement implicite dans un autre, alors quv’il
s’agit du même droit et d’un droit important. Si l’on acceptve la logique de
l’arrêt, qu’une convention inclue ou non une disposition aussi vspécifique
ne ferait aucune différence. Ce ne peut être le cas.
20. L’arrêt ne se réfère à aucun précédent dans lequel vun Etat a engagé

une procédure devant la Cour ou toute autre instance judiciaire intervna -
tionale à raison de violations alléguées d’une obligation erga omnes partes
pour la simple raison qu’il est partie à un instrument analogue àv la
convention contre la torture. Il ne mentionne pas non plus le fait, qu’vil y
aurait peut-être eu lieu de relever en tant que reflet de la pratique des

Etats — au plutôt de son absence —, que les mécanismes de plainte
interétatiques (y compris ceux prévus à l’article 21 de la convention contre
la torture) n’ont jamais été utilisés.
21. L’arrêt ne fait pas mention du projet d’articles sur la responsabilité
de l’Etat pour faits internationalement illicites adopté par la Covmmission

du droit international en 2001, qui ne va pas dans le même sens que lva
Cour. Dans son commentaire à l’article 48, qui traite de l’invocation de la

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6 CIJ1033.indb 129 28/11/13 12:50 485 obligation to prosecuvte or extradite (sep. opv. skotnikov)

bility by a State other than the injured State, the ILC notes that “cvertain
provisions, for example in various human rights treaties, allow invocativon

of responsibility by any State party”, without in any way implying thvat
such an entitlement is allowed in treaties which do not contain a specifivc
provision to that effect (Yearbook of the International Law Commission,
2001, Vol. II, Part Two, p. 127). Moreover, the commentary to the draft
Articles states in no ambiguous terms that :

“[i]n order to take such steps, i.e. to invoke responsibility in the vsense

of the articles, some more specific entitlement is needed. In particulvar,
for a State to invoke responsibility on its own account it should have
a specific right to do so, e.g. a right of action specifically conferred by
a treaty, or it must be considered an injured State.” (Ibid., p. 117 ;
emphasis added.)

No such right of action is conferred on States parties by the Conven -
tion against Torture.

22. I have to conclude with regret that the grounds which are intended
to support the Court’s correct ruling as to the admissibility of Belgvium’s
claims do not seem to be founded in law, be it conventional or customaryv.
23. As a final remark pertaining to the Judgment as a whole, I would
like to recall that in 2009, at the provisional measures stage of the cuvrrent

proceedings, Belgium summarized the dispute between itself and Senegal
in the following way: first, “Senegal considers that its decision to transmit
the case to the African Union . . . somehow fulfils Article 7 [of the
Convention against Torture]” (CR 2009/10, p. 20, para. 13) ; secondly,
“Senegal’s present commitment to move, albeit slowly, towards a crvim inal
trial derives in its view from the African Union ‘mandate’, not divrectly

from its obligations under the Torture Convention” (ibid.).

For its part, Senegal responded that :

“as a State it is bound by the 1984 Convention [against Torture]. The
fact that an organization like the African Union may be involved in
organizing the Habré trial in no way lessens Senegal’s duties and v
rights as a party to the Convention. Indeed, it is as a party to the

Convention, not pursuant to a mandate from the African Union, that
the Republic of Senegal is fulfilling its obligations.” (CR 2009/11,
p. 18, para. 11.)

Accordingly, it seemed to me in 2009 that the Parties were in agreement
on the points raised by Belgium and, therefore, that the dispute, as fravmed
by the latter, had ceased to exist. In the light of this, I was expectinvg that
Senegal would have taken swift action to comply with its obligations
under the Convention against Torture. Unfortunately, this has not

happened. Senegal concedes that there is a continuing dispute about
the application of the Convention :

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6 CIJ1033.indb 130 28/11/13 12:50 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. invd. skotnikov4 )85

responsabilité par un Etat autre que l’Etat lésé, la commissvion relève que
«certaines dispositions, figurant par exemple dans des traités relatifs aux

droits de l’homme, permettent à n’importe quel Etat partie d’invoquer la
responsabilité», sans laisser entendre le moins du monde que ce droit est
énoncé dans des instruments qui ne contiennent pas de dispositionsv spéci -
fiques à cet effet (Annuaire de la Commission du droit international, 2001,
vol. II, deuxième partie, p. 127 du texte anglais). Le commentaire sur le

projet d’articles est sans ambiguïté :
«pour prendre de telles mesures, c’est-à-dire pour invoquer la res -

ponsabilité au sens du projet d’articles, il faut un droit plus spéci -
fique. En particulier, pour qu’un Etat invoque la responsabilitév pour
son propre compte, il doit avoir un droit particulier l’y autorisant,v
par exemple un droit d’action spécifiquement établi par un traité, ou
bien il doit être considéré comme un Etat lésé. » (Ibid., p. 117 ; les ita -
liques sont de moi.)

La convention contre la torture ne confère aux Etats parties aucun
droit de ce type.

22. Je suis contraint de conclure à regret que les motifs invoqués parv la
Cour pour étayer sa juste décision sur la recevabilité des demavndes de la
Belgique ne semblent pas être fondés en droit, conventionnel ou covutumier.
23. A titre de remarque finale concernant l’arrêt dans son ensemble,v j’ai -
merais rappeler qu’en 2009, au stade des mesures conservatoires de lav

procédure, la Belgique a résumé comme suit le différend quvi l’oppose au
Sénégal: premièrement, «le Sénégal soutient que la décision de transmettre
le dossier à l’Union africaine … satisfait d’une manière ou d’une autre aux
exigences de l’article 7 [de la convention contre la torture] » (CR 2009/10,
p. 20, par. 13) ; deuxièmement, « sa détermination actuelle [du Sénégal] à
s’engager, fût-ce lentement, sur la voie d’un procès pénavl découle, aux yeux

du Sénégal, du «mandat» que lui a conféré l’Union africaine et non direc -
tement des obligations qu’il tient de la convention contre la tortur» ev(ibid.).
Pour sa part, voici ce que le Sénégal a répondu :

«comme Etat, [le Sénégal] est bien lié par la convention de 1984
[contre la torture]. Le fait que l’organisation du procès Habré puisse
impliquer une organisation comme l’Union africaine n’enlève absvolu -
ment rien des devoirs et droits qui résultent pour elle de la qualité de

partie à cette convention. C’est bien en tant que partie à la convention
que la République du Sénégal exécute ses obligations, et nonv en vertu
d’un mandat de l’Union africaine.» (CR 2009/11, p. 18, par. 11.)

En conséquence, il me semblait en 2009 que les Parties étaient d’vaccord
sur les points soulevés par la Belgique et, partant, que le diffévrend, tel que
présenté par cette dernière, avait cessé d’exister. J’vattendais donc du Séné -
gal qu’il agisse promptement pour s’acquitter de ses obligations en vertu
de la convention contre la torture. Malheureusement, cela n’a pas évté le

cas. Le Sénégal reconnaît qu’un différend persiste au svujet de l’application
de la convention :

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6 CIJ1033.indb 131 28/11/13 12:50 486 obligation to prosecuvte or extradite (sep. opv. skotnikov)

“At issue before the Court is a difference between two States as tov
how the execution of an obligation arising from an international
instrument to which both States are parties should be understood.
That is the reality of the contentious proceedings that have been
brought before the Court.” (CR 2012/4, p. 28, para. 39.)

The above statement reflects the true nature of the dispute, which hadv
persisted through twists and turns since the time that Belgium requestedv

Mr. Habré’s extradition from Senegal. This dispute has now been settlevd
by the Court with a unanimous ruling to the effect that the Republic ovf
Senegal must, without further delay, submit the case of Mr. Hissène Habré
to its competent authorities for the purpose of prosecution, if it does vnot

extradite him.

(Signed) Leonid Skotnikov.

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«Il est question devant [la Cour] d’un litige qui oppose deux Etats
sur la manière d’entendre ou de comprendre l’exécution d’vune obli -
gation découlant d’un instrument international auquel ils sont tous
deux parties. Voilà la réalité du contentieux qui s’est nouév devant la
Cour.» (CR 2012/4, p. 28, par. 39.)

La déclaration ci-dessus reflète la véritable nature du diffvérend, qui est
allé de rebondissement en rebondissement depuis le moment où la Bevl -

gique a demandé au Sénégal d’extrader M. Habré. Ce différend a mainte -
nant été réglé par la Cour, qui, à l’unanimité, a décidé que la République
du Sénégal devait, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré
à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pvénale, si elle ne

l’extrade pas.

(Signé) Leonid Skotnikov.

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6 CIJ1033.indb 133 28/11/13 12:50

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Skotnikov

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