Opinion dissidente de M. le juge Owada

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118-20081118-JUD-01-04-EN
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495

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE OWADA

[Traduction]

La portée juridique des arrêts de 2004 et de 2007 — L’applicabilité en
l’espèce du principe dit principe Mavrommatis — La jurisprudence de la Cour
consacrée à celui-ci en tant que principe relatif au consentement à la compé-
tence — Le principe Mavrommatis n’est pas extensible à tout «défaut procé-
dural» entachant une instance portée devant la Cour — La capacité d’ester
devant la Cour, une question à trancher au moment du dépôt de l’acte introduc-

tif d’instance — Le défaut de pertinence de la distinction entre demandeur et
défendeur aux fins de l’accès à la Cour.

1. J’ai voté en l’espèce contre la partie du dispositif de l’arrêt dans
laquelle la Cour rejette la première exception préliminaire présentée par la
République de Serbie dans la mesure où celle-ci porte sur la capacité de
cet Etat de participer à l’instance introduite par la requête de la Républi-

que de Croatie et où la Cour conclut à sa compétence pour en connaître
(arrêt, par. 146, points 1) et 3)). Pour les raisons exposées dans la suite de
la présente opinion, j’estime que la Cour n’a pas compétence pour connaî-
tre de la présente affaire dont la République de Croatie l’a saisie puisque
le défendeur, la République de Serbie, n’avait pas qualité pour ester en

l’espèce à l’époque où le demandeur, la République de Croatie, déposa à
son encontre une requête introductive d’instance devant la Cour.

I. LA PORTÉE JURIDIQUE DES ARRÊTS DE 2004
ET DE 2007

2. Dans les arrêts qu’elle a rendus en 2004 dans les affaires relatives à

la Licéité de l’emploi de la force (dénommées ci-après les affaires de
l’«OTAN»; C.I.J. Recueil 2004 (I, II, III), p. 279-1450), la Cour a
conclu qu’«elle n’a[vait] pas compétence pour connaître des demandes
formulées par la Serbie-et-Monténégro dans sa requête déposée le 29 avril
1999» (ibid., p. 328, par. 129). Cette conclusion était fondée sur celle à

laquelle elle était parvenue au sujet des paragraphes 1 et 2 de l’article 35
de son Statut.
S’agissant du paragraphe 1 de l’article 35, tout d’abord, la Cour a
déclaré que

«au moment où il a[vait] déposé sa requête pour introduire la pré-
sente instance devant [elle], le 29 avril 1999, le demandeur en l’espèce,
la Serbie-et-Monténégro, n’était pas membre de l’Organisation des
Nations Unies ni, dès lors, en cette qualité, partie au Statut de la

Cour internationale de Justice» (ibid., p. 314-315, par. 91).

87 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 496

La Cour en avait conclu qu’«[elle] n’était pas ouverte à la Serbie-et-
Monténégro sur la base du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut»
(Licéité de l’emploi de la force, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 315, par. 91).

Ensuite, en ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 35, la Cour a
également conclu que «la référence faite au paragraphe 2 de l’article 35
du Statut aux «dispositions particulières des traités en vigueur» ne s’appli-
qu[ait] qu’aux traités en vigueur à la date de l’entrée en vigueur du Statut
et non aux traités conclus depuis cette date» (ibid., p. 324, par. 113), et

donc que «le paragraphe 2 de l’article 35 ne ... donn[ait] pas [au deman-
deur] accès à [la Cour] sur la base de l’article IX de cette convention [sur
le génocide]» (ibid., p. 324, par. 114).
3. Dans son arrêt de 2007 en l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-

Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) , dans laquelle se posait à nouveau
la question de la capacité de la Serbie-et-Monténégro d’être partie à l’ins-
tance en application du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut, cette fois-ci
en tant que défendeur, la Cour a

«jug[é] ... nécessaire de souligner que la question de savoir si un Etat

a qualité pour se présenter devant elle conformément aux disposi-
tions du Statut — que l’on y voie une question de capacité à être
partie à la procédure ou un aspect de la compétence ratione perso-
nae — passe avant celle de la compétence ratione materiae, c’est-à-
dire avant celle de savoir si cet Etat a consenti à ce que la Cour règle

le différend particulier porté devant elle. C’est, par ailleurs, une
question que la Cour elle-même est tenue, si besoin est, de soulever
et d’examiner d’office, le cas échéant après notification aux parties. Il
en résulte que si la Cour estime, dans une affaire particulière, que les
conditions relatives à la capacité des parties à se présenter devant elle

ne sont pas remplies, alors que les conditions de sa compétence
ratione materiae le sont, elle doit, quand bien même cette question
n’aurait pas été soulevée par les parties, constater que les premières
conditions font défaut et en déduire qu’elle ne saurait, pour cette rai-

son, avoir compétence pour statuer sur le fond du différend.» (C.I.J.
Recueil 2007 (I), p. 94, par. 122.)

Ayant exposé en ces termes le principe fondamental relatif au caractère
essentiel de la capacité pour les parties d’ester devant elle en application
du paragraphe 1 de l’article 35 de son Statut, la Cour est néanmoins par-
venue dans cette affaire-là à la conclusion suivante:

«La Cour a déclaré [dans son arrêt de 1996 consacré aux excep-

tions préliminaires dans cette même affaire] que «la Yougoslavie
était liée par les dispositions de la convention [sur le génocide] à la
date du dépôt de la requête en la présente affaire» (Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires,

arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17) et a conclu qu’«elle

88 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 497

a[vait] compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, pour statuer sur
le différend» (ibid., p. 623, par. 47, point 2), al. a))... [C]ette conclu-

sion doit nécessairement s’interpréter comme signifiant en toute lo-
gique que la Cour estimait à l’époque que le défendeur avait qualité
pour participer à des affaires portées devant elle. Sur cette base, la
Cour a alors formulé une conclusion sur sa compétence, avec l’auto-
rité de la chose jugée.» (Application de la convention pour la préven-

tion et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) , p. 98-99,
par. 132.)

Quant à la différence entre cette affaire et celles de l’OTAN, voici ce
que la Cour eut à déclarer:

«Que la RFY avait la capacité de se présenter devant [elle] en
vertu du Statut constitue un élément du raisonnement suivi dans
l’arrêt de 1996, qui peut — et même doit — en toute logique être
sous-entendu dans celui-ci. Pour les raisons déjà indiquées, cet élé-
ment ne saurait à tout moment être remis en question et réexaminé.

En ce qui concerne les extraits des arrêts de 2004 sur lesquels
s’appuie le défendeur, il faut tenir compte du fait que la Cour ne se
préoccupait pas alors de la portée de l’autorité de la chose jugée à
attacher à l’arrêt de 1996 puisque, de toute façon, une telle autorité
ne pouvait s’étendre aux affaires dont elle avait alors à connaître,

lesquelles opposaient des parties différentes. En 2004, il convenait
seulement pour la Cour de rechercher s’il existait, dans une autre
affaire, une conclusion expresse susceptible de l’éclairer. L’existence
d’une telle conclusion expresse n’ayant pas été démontrée, la Cour
n’était pas tenue en 2004, comme elle l’est en l’espèce, de poursuivre

l’examen de ce que pouvaient être les fondements informulés d’un
arrêt rendu dans une autre affaire, entre d’autres parties.» (Ibid.,
p. 99-100, par. 135.)

4. Il est clair que, dans la présente affaire entre la Croatie et la Serbie,
il n’existe aucune «conclusion expresse» ainsi revêtue de l’autorité de la

chose jugée, comme celle qui a conduit la Cour en 2007 à s’affirmer com-
pétente pour connaître de l’affaire. Quel qu’ait pu être le raisonnement
précis de la Cour en 1996, lorsqu’elle se déclara «compéten[t]e, sur la
base de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, pour statuer sur le différend» (Application de

la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 623, par. 47, point 2), al. a)), cette décision sur la
compétence avait manifestement force de chose jugée pour l’arrêt de
2007. Voilà pourquoi je m’étais accordé avec la majorité à considérer

dans l’arrêt de 2007 que, en tant que cour de justice tenue de se confor-

89 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 498

mer strictement aux conditions procédurales prescrites par son Statut et
par son Règlement, la Cour devait être réputée en droit, tout au moins par
implication, avoir conclu qu’il était satisfait aux exigences respectives des

articles 34 et 35, y compris du point de vue dulocus standi des parties.
Au beau milieu de la «situation ... indéterminée» qui régnait en 1996
(voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 310,
par. 79; Application de la convention pour la prévention et la répression

du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) , p. 98, par. 131) au sujet du statut juri-
dique exact de la République fédérale de Yougoslavie (dénommée
ci-après la «RFY») envers l’Organisation des Nations Unies, une situa-
tion qui fut ensuite analysée plus amplement dans l’arrêt de 2004, il se

peut fort bien que, à l’époque de son arrêt de 1996, la Cour se soit gar-
dée de pousser plus avant l’analyse du statut juridique du défendeur et
que, dans le cadre de cette affaire, elle se soit satisfaite du fait qu’aucune
des Parties ne contestait la capacité du défendeur d’ester devant elle.

En tout état de cause, l’essentiel est que cette question du locus standi
du défendeur doit donc, pour autant qu’il s’agisse de cette affaire-là,
être considérée en droit comme définitivement réglée, revêtant l’auto-
rité de la chose jugée.
5. Il importe toutefois de noter que, comme l’indique le présent arrêt en

des termes dénués d’ambiguïté, la conclusion ainsi formulée sur ce point
dans l’arrêt de 2007 n’a pas force de chose jugée en l’espèce, pas plus que
ce qui est dit à cet égard dans l’arrêt de 2004, naturellement. Mais ce qui
est fondamental, c’est que la situation juridique indéterminée qui avait été
celle de l’arrêt de 1996 était devenue plus claire lors de l’arrêt de 2004

grâce aux événements intervenus depuis novembre 2000, quand la RFY
fut admise à l’Organisation des Nations Unies en tant que nouveau Mem-
bre conformément aux procédures régissant l’admission d’Etats en cette
qualité. Dans son arrêt de 2004, où elle n’était pas liée par ce qu’elle avait
décidé en 1996 avec l’autorité de la chose jugée, la Cour a examiné cette

situation juridique qui était désormais claire et est parvenue à la seule
conclusion possible du point de vue logique, que j’ai citée au paragraphe 2
de la présente opinion. Cette conclusion, à savoir que la Serbie n’avait pas
accès à la Cour, peut être considérée comme une «conclusion expresse»

au sens du paragraphe 135 de l’arrêt de 2007 qui est cité au paragraphe 3
ci-dessus. Suivant le raisonnement tenu par la Cour dans ce paragraphe,
lorsqu’une conclusion expresse pertinente a effectivement été formulée
dans une autre affaire entre d’autres parties, la Cour doit se livrer à
«l’examen de ce que pouvaient être les fondements informulés d[e l’]arrêt

rendu» (ibid., p. 100, par. 135). Aussi la Cour devait-elle s’interroger dans
la présente affaire sur les fondements informulés qui ont donné lieu à la
conclusion expresse énoncée dans les affaires de l’OTAN, même si cette
dernière n’avait pas force de chose jugée dans la présente affaire. Autre-
ment dit, si elle n’avait pas à tenir compte en 2004 de l’arrêt rendu en 1996

dans une affaire opposant d’autres parties puisque ce dernier ne renfer-

90 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 499

mait aucune «conclusion expresse» au sujet de l’accès (la conclusion sur
l’accès ne découle qu’implicitement de celle sur la compétence), la Cour

devait en revanche examiner en l’espèce les fondations de la conclusion de
2004 relative à l’accès en raison de son caractère exprès.
6. C’est dans ce cadre complexe, avec autant d’éléments à prendre en
considération au sujet du statut juridique de la RFY (aujourd’hui la Ser-
bie en l’instance) à l’égard de l’Organisation des Nations Unies et donc

d’elle-même, que la Cour devait examiner la question du locus standi du
défendeur dans la présente instance, introduite en 1999. Soulignons que
sa conclusion de 2004 portait exactement sur la même question que dans
le cadre de l’instance introduite en 1999, à savoir celle du locus standi de

la RFY, à ceci près que cette dernière estait alors en qualité de deman-
deur. Si l’on s’en tient au raisonnement qui sous-tend cette conclusion, en
l’absence de raisons particulières de s’en écarter, la Cour devait conclure
en l’espèce que la RFY n’avait pas le locus standi voulu pour ester devant
elle, sauf à être déjà liée par une décision contraire revêtant l’autorité de

la chose jugée qu’elle aurait formulée dans un arrêt antérieur en l’affaire,
comme dans le cas de l’arrêt de 2007. Nulle conclusion n’a ainsi force de
chose jugée dans la présente affaire. Voilà la différence cruciale entre
l’arrêt de 2007 en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro et

celle qui nous occupe ici, Croatie c. Serbie.
7. Suivant ce raisonnement, toutefois, la Cour devait répondre à deux
questions supplémentaires avant d’aboutir à sa conclusion finale. La pre-
mière est celle de savoir si l’admission de la RFY à l’Organisation des
Nations Unies à un stade ultérieur, en novembre 2000 — qui, à compter

de cette date, fit d’elle ipso facto un Etat partie au Statut de la Cour en
vertu du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies —,
a modifié le statut juridique de cet Etat en l’espèce, en ce qui concerne son
locus standi, dans le cadre du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut. La

seconde question est celle de savoir si le fait que la RFY/Serbie este en
qualité de défendeur en l’espèce, alors qu’elle était le demandeur dans les
affaires de l’OTAN jugées en 2004, doit faire du point de vue juridique
une différence justifiant qu’une distinction soit faite entre la présente ins-

tance et les affaires de l’OTAN.

II. L’APPLICABILITÉ DU PRINCIPE M AVROMMATIS

8. Sur le premier point, la Cour estime dans le présent arrêt que cette
admission ultérieure de la RFY à l’Organisation des Nations Unies cons-
titue effectivement un facteur juridiquement pertinent à prendre en consi-
dération, ce dont elle conclut que, selon le principe énoncé par la Cour

permanente de Justice internationale en l’affaire des Concessions Mavrom-
matis en Palestine (arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2) (dénommée
ci-après l’affaire «Mavrommatis»), la condition posée au paragraphe 1
de l’article 35 au sujet de la capacité du défendeur d’ester devant elle doit
désormais être considérée comme remplie.

91 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 500

Dans la présente affaire, l’argument du demandeur repose en substance
sur l’idée que

«[l]e principe Mavrommatis est le principe selon lequel ces quatre
éléments de fond [premièrement: saisine; deuxièmement: existence
d’un fondement juridique à la demande; troisièmement: consente-

ment à la juridiction; quatrièmement: accès à la Cour] doivent être
réunis à un moment donné, l’ordre dans lequel cela se produit étant
une pure question de forme et n’ayant aucune incidence sur la com-
pétence de la Cour» (CR 2008/11, p. 34, par. 8).

A cela, la Serbie répond que «la conclusion avancée par le demandeur est
fondée sur l’hypothèse que la Cour a été valablement saisie [mais c]ette
hypothèse n’existe tout simplement pas dans la présente instance» (CR

2008/12, p. 19, par. 34). Plus fondamentalement, toutefois, elle soutient
que les défauts procéduraux ne peuvent pas tous être, à la lumière d’évé-
nements ultérieurs, considérés comme sans conséquence. Le défendeur
affirme, ainsi qu’exposé de manière synthétique dans le présent arrêt, que

«cette jurisprudence [issue de l’affaire Mavrommatis] ne serait pas
applicable dans le cas où la condition qui fait défaut est relative à la

capacité d’une partie à participer à une procédure devant la Cour,
conformément aux articles 34 et 35 du Statut, c’est-à-dire à une
«question fondamentale» qui, comme l’a dit la Cour en 2004, doit
être examinée avant toute autre question de compétence» (arrêt,
par. 84).

Voici ce que la Cour répond dans le présent arrêt à cet argument du
défendeur:

«Sans doute ... la question de l’accès se distingue-t-elle de celles
relatives à l’examen de la compétence au sens étroit. Mais elle n’en

est pas moins étroitement liée à la compétence, en ce sens que, si les
conditions d’accès font défaut, tout comme lorsque ne sont pas rem-
plies les conditions relatives à la compétence ratione materiae ou
ratione temporis, il en découle toujours une seule et même consé-

quence: la Cour n’a pas compétence pour connaître de l’affaire.
C’est toujours dans le cadre d’une exception d’incompétence
— comme c’est le cas en l’espèce — que seront présentés à la Cour
les arguments relatifs à la capacité des parties de participer à la pro-
cédure.» (Ibid., par. 87.)

9. S’agissant de cet argument exprimé dans l’arrêt, deux points sont à
relever. Premièrement, l’arrêt mêle deux questions foncièrement diffé-

rentes, toutes deux liées à la fonction de la Cour concernant «l’exercice de
sa compétence». L’une est celle de savoir si, en tant que cour de justice
investie d’un mandat spécifique pour exercer sa compétence afin de
connaître d’affaires, la Cour est compétente pour examiner l’affaire en
question dans le cadre du mandat qu’elle tient de son instrument consti-

tutif, c’est-à-dire de son Statut. Telle est l’essence de la question du locus

92 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 501

standi des parties. Cette question est distincte en droit et précède logique-
ment la seconde, qui est celle de savoir si, dans telle ou telle situation, les
parties ont donné à la Cour la base juridictionnelle nécessaire pour

connaître de l’affaire — une question de compétence à proprement parler
qui, à l’échelle internationale (par opposition à l’échelle interne), tient
principalement à la volonté des parties d’accorder pareille compétence à
la Cour dans une affaire donnée. Indépendante des parties, la première
question n’a rien à voir avec la seconde, relative à l’existence et à la por-

tée de la compétence, qui est fonction de leur volonté. Partant, la thèse du
demandeur tendant à assimiler en droit l’ensemble de ces différents
éléments constitutifs de la compétence de la Cour, «l’ordre dans lequel
[ils ont été réunis] étant une pure question de forme et n’ayant aucune
incidence sur la compétence de la Cour», ne tient pas (CR 2008/11,

p. 34, par. 8).
10. Certes, dans l’affaire Mavrommatis, la Cour n’a peut-être pas éta-
bli cette distinction de manière suffisamment claire. Il convient cependant
de rappeler que, dans cette affaire-là, la Cour permanente se trouvait

manifestement dans une situation limitée à la seconde question. Ainsi,
dans la partie pertinente de l’arrêt Mavrommatis, indiqua-t-elle ce qui
suit:

«il faut ... examiner ... si la validité de l’introduction d’instance peut
être mise en doute parce qu’elle est antérieure à l’époque où le Pro-
tocole XII est devenu applicable. Tel n’est pas le cas. Même si, avant
cette époque, la juridiction de la Cour n’existait pas pour la raison

que l’obligation internationale visée à l’article II n’était pas encore
en vigueur, il aurait été toujours possible, pour la partie demande-
resse, de présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes termes,
après l’entrée en vigueur du Traité de Lausanne; et alors on n’aurait
pu lui opposer le fait en question. Même si la base de l’introduction

d’instance était défectueuse pour la raison mentionnée, ce ne serait
pas une raison suffisante pour débouter le demandeur de sa requête.
La Cour, exerçant une compétence internationale, n’est pas tenue
d’attacher à des considérations de forme la même importance qu’elles

pourraient avoir dans le droit interne. Dans ces conditions, même si
l’introduction avait été prématurée, parce que le Traité de Lausanne
n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le dépôt ulté-
rieur des ratifications requises.» (Concessions Mavrommatis en Pales-
tine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 34.)

11. Le dictum souvent cité de l’affaire Mavrommatis — à savoir que

«[l]a Cour, exerçant une compétence internationale, n’est pas tenue d’atta-
cher à des considérations de forme la même importance qu’elles pour-
raient avoir dans le droit interne» et que, dans ces conditions, «même si
l’introduction avait été prématurée, parce que le Traité de Lausanne
n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le dépôt ultérieur

des ratifications requises» — a presque acquis une existence propre,

93 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 502

allant au-delà de son champ d’application limité, et passe trop fréquem-
ment pour un principe d’application généralisée. Une lecture attentive de

l’arrêt Mavrommatis et des documents y relatifs tend cependant à révéler
que cette déclaration a été formulée dans le contexte infiniment plus pré-
cis de cette affaire-là, qui portait sur la question bien circonscrite du lien
juridictionnel entre l’instrument en cause (le protocole XII du traité de
Lausanne) et la clause compromissoire invoquée par le demandeur pour

fonder la compétence (art. 26 du mandat).
12. Le différend qui opposait le demandeur (la Grèce, en tant qu’Etat
de la nationalité de M. Mavrommatis, un concessionnaire en Palestine) et
le défendeur (le Royaume-Uni, puissance mandataire chargée d’adminis-

trer la Palestine par la Société des Nations) tenait à la mise en Œuvre de
l’article 11 du mandat en question, imposant du même coup d’interpréter
certaines dispositions du protocole XII du traité de Lausanne régissant la
question des concessions accordées par l’Empire ottoman. Dans son
arrêt, la Cour exprima clairement sa position, à savoir que «[l]e Proto-

cole XII a[vait] été établi afin de fixer les conditions dans lesquelles cer-
taines concessions accordées par les autorités ottomanes avant la conclu-
sion du Protocole de[v]aient être reconnues et traitées par les Parties
contractantes», et constata que «le Protocole garanti[ssai]t les droits

reconnus par lui contre toute violation indépendamment du moment où o
elle aurait lieu» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2,
1924, C.P.J.I. série A n° 2 , p. 34).
13. Il est vrai que, au stade de la procédure écrite, le défendeur en
l’affaire s’était effectivement référé au protocole en pesant soigneusement

ses termes, comme ceci:

«Techniquement parlant, le protocole relatif aux concessions [soit
le protocole XII] ne saurait prendre effet en Palestine avant l’entrée
en vigueur du traité de paix avec la Turquie, c’est-à-dire avant le pre-
mier dépôt de ratifications de cet instrument.
Le gouvernement de Sa Majesté britannique a tâché de se confor-

mer strictement aux obligations contractées par lui dans le cadre de
ce protocole, et il continuera de s’y efforcer, mais il déclare respec-
tueusement que, tant que l’instrument n’aura pas pris effet en Pales-
tine, il serait prématuré de la part d’une juridiction internationale

d’examiner des griefs portant sur un manquement à ses dispositions
ou sur le sens et l’effet de celles-ci . Le gouvernement de Sa Majesté
réserve donc l’ensemble de ses droits quant à la mesure dans laquelle
M. Mavrommatis et ses concessions peuvent bénéficier des disposi-
tions de cet instrument.» (Actes et documents relatifs aux arrêts et
o
aux avis consultatifs de la Cour, C.P.J.I. série C n 5-1, Concessions
Mavrommatis en Palestine, Documents relatifs à l’arrêt n° 2, excep-
tion préliminaire à la compétence de la Cour et contre-mémoire pré-
liminaire déposé par le Gouvernement britannique , p. 446-447; les

italiques sont de moi.)
Au stade de la procédure orale, toutefois, à l’audience publique tenue le

94 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 503

15 juillet 1924 — soit toujours avant l’entrée en vigueur du protocole XII
en question —, le défendeur s’abstint de faire valoir une nouvelle fois que
le protocole n’était pas en vigueur lorsqu’il plaida contre la compétence

de la Cour. Il se borna à déclarer que «le protocole relatif aux conces-
sions [le protocole XII] n’indiqu[ait] nullement quelle juridiction [était]
censée régler les questions découlant de ses dispositions» (C.P.J.I. série C
n° 5-1, p. 77). En fait, l’agent du défendeur alla même jusqu’à dire:

«[d]e mon point de vue, que la Cour partagera certainement, le dif-
férend dont je vous parlais ce matin ne porte pas sur le mandat mais
uniquement sur le protocole relatif aux concessions qui est joint au

traité de Lausanne. Si une véritable divergence de vues était apparue
à cet égard entre les Gouvernements grec et britannique, et si le pre-
mier avait demandé au second: acceptez-vous de vous en remettre à
l’arbitrage, acceptez-vous de soumettre à la Cour permanente de
Justice internationale ce différend qui nous oppose au sujet du sens

de l’engagement contractuel qui nous lie l’un et l’autre? Le Gouver-
nement britannique aurait répondu par l’affirmative. Les deux gou-
vernements sont liés par le protocole, et tous deux ont adhéré à la
disposition qui figure à l’article 13 du Pacte de la Société des

Nations.» (Ibid., p. 42.)

Cela montre non seulement que le défendeur n’avait pas insisté sur la
question de savoir si la requête revêtait un caractère prématuré puisque le
protocole n’était pas encore ratifié, mais qu’il ne l’avait pas non plus
jugée pertinente pour fonder son exception préliminaire dans le cadre de
son argumentation.

14. Il n’est guère aisé de saisir pourquoi, dans son arrêt Mavrommatis,
la Cour formula dans ce contexte-là son fameux dictum qui était pourtant
dénué de pertinence en l’affaire. Ce qui est clair, cependant, c’est que
l’affaire Mavrommatis ne constitue pas un précédent permettant d’affir-
mer, comme il est dit dans le présent arrêt, que «peu importe la condition

qui, à la date d’introduction de l’instance, faisait défaut, empêchant ainsi
la Cour, à ce moment-là, d’exercer sa compétence, dès lors qu’elle a été
remplie par la suite» (arrêt, par. 87). S’il peut certes être concédé que la
capacité des parties d’ester devant la Cour est, pour citer l’arrêt, «étroi-

tement liée à la compétence» (ibid.) en ce sens que, d’une manière géné-
rale, elle en est une condition préalable, d’où le lien entre les deux, cela ne
change toutefois rien au fait que, du point de vue juridique, il s’agit là
d’une question foncièrement distincte par nature de celle de la compé-
tence. La question de la compétence consiste à se demander si et à quel

stade le lien entre les parties, qui est basé sur le consentement exprimé,
prend effet. Celle de la capacité n’a en revanche rien à voir avec le lien
juridique entre les parties. Ainsi qu’il ressortira de l’analyse de la juris-
prudence exposée dans la section suivante, les affaires dans lesquelles
le précédent Mavrommatis a été invoqué avaient uniquement trait à la

question du consentement à la compétence, un domaine dans le cadre

95 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .DISS. OWADA ) 504

duquel il a été fait montre d’une certaine souplesse, ce à juste titre puisque,
au fond, le consentement est toujours à la source de la compétence

de la Cour sur la scène internationale. Aucune de ces affaires ne faisait
intervenir la question de la capacité ou de l’accès, une question fonda-
mentale de statut juridique qui est étrangère au consentement des

parties.

III. E XAMEN DES PRÉCÉDENTS

15. Comme je l’ai déjà indiqué clairement, l’élément qui me semble le
plus fondamental dans ce principe Mavrommatis tient à son champ

d’application. Etant donné la raison d’être reconnue à ce principe — selon
lequel certains défauts procéduraux entachant le consentement des parties
à la compétence au moment du dépôt de la requête peuvent être corrigés

par des actes postérieurs à l’introduction de l’instance —, celui-ci ne peut
s’étendre à la question du locus standi des parties, une question qui est
juridiquement distincte du consentement à la compétence et qui la pré-

cède du point de vue logique. Il est utile à cet égard d’examiner l’ensemble
des instances qui s’inscrivent dans le sillage de l’affaire Mavrommatis
— celle-ci n’ayant en tout état de cause guère de lien avec le principe du
même nom, ainsi qu’exposé plus haut — dans le cadre desquelles ce prin-

cipe a été invoqué, soit eo nomine, soit implicitement, par l’une ou par
l’autre des parties. Je recense huit de ces instances passées en tout, dont
l’affaire Mavrommatis elle-même . Il convient de relever que, dans toutes

ces affaires, il s’agissait de savoir si certains événements ultérieurs pou-
vaient remédier au fait que, à la date du dépôt de la requête, le fondement
juridictionnel nécessaire à l’exercice de la compétence de la Cour était

incomplet.

1) L’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie

polonaise (Allemagne c. Pologne), compétence

16. Dans cette affaire, le défendeur opposa à la compétence de la Cour
une exception fondée sur la clause compromissoire figurant dans le traité

bilatéral qu’il avait conclu avec le demandeur — à l’article 23 de la

1 Les sept autres sont: Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (Alle-
magne c. Pologne), compétence, arrêt n6, 1925, C.P.J.I. série A n° 6; Cameroun sep-
tentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil
1963; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne),
exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1964; Activités militaires et paramilitaires

au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984; Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II); Projeˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997; Activités armées sur le territoire du Congo (nou-
velle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006.

96 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 505

convention de Genève —, soutenant qu’il n’avait pas été satisfait à l’une
des conditions nécessaires pour que la Cour pût exercer sa compétence, à
savoir l’existence de «divergences d’opinions ... résultant de l’interpréta-

tion et de l’application des articles 6 à 22» (oertains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6, 1925, C.P.J.I. série A
n° 6, p. 13). La Cour rejeta cet argument au motif qu’«une diver-
gence d’opinions se manifeste dès qu’un des gouvernements en cause
constate que l’attitude observée par l’autre est contraire à la manière

de voir du premier» (ibid., p. 14). Alors, et seulement alors, elle
ajouta:

«Même si la nécessité d’une contestation formelle ressortait de
l’article 23, cette condition pourrait être à tout moment remplie par
un acte unilatéral de la Partie demanderesse. La Cour ne pourrait
s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de la seule Partie inté-

ressée de faire disparaître.» (Ibid.)

2) L’affaire du Cameroun septentrional
(Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires

17. Dans cette affaire, le défendeur souleva une exception préliminaire
à la compétence de la Cour sur la base, notamment, du paragraphe 2 de

l’article 32 du Règlement de l’époque, qui prévoyait que, lorsqu’une
affaire était portée devant la Cour par voie de requête, celle-ci devait non
seulement indiquer l’objet du différend, mais aussi contenir, autant que
possible, la mention de la disposition par laquelle le requérant prétendait
établir la compétence de la Cour, l’indication précise de l’objet de la

demande ainsi qu’un exposé des motifs par lesquels la demande était pré-
tendue justifiée.
La Cour, non sans exprimer son adhésion avec le point de vue formulé
par la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire Mavrom-

matis — à savoir que, «exerçant une compétence internationale, [elle]
n’est pas tenue d’attacher à des considérations de forme la même impor-
tance qu’elles pourraient avoir dans le droit interne» —, fit tout de même
observer que «l’article 32, paragraphe 2, d[e son] Règlement ... impos[ait]
au demandeur de se conformer «autant que possible» à certaines pres-

criptions», ce dont elle conclut que:
«la requête du demandeur [était] suffisamment conforme aux dis-

positions de l’article 32, paragraphe 2, du Règlement et que
l’exception préliminaire fondée sur leur inobservation [était] par
suite sans fondement» (Cameroun septentrional (Cameroun c.
Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1963,

p. 28).
Ainsi la question de l’applicabilité du principe Mavrommatis à cette

affaire ne s’était-elle pas posée.

97 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 506

3) L’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité

18. Dans sa requête en l’affaire, le demandeur invoquait pour fonder

la compétence les déclarations par lesquelles les Parties avaient accepté la
juridiction obligatoire de la Cour mais, dans son mémoire, il fit égale-
ment valoir à titre complémentaire le traité d’amitié, de commerce et de
navigation qu’il avait conclu en 1956 avec les Etats-Unis. Le défendeur
contesta ce recours à une base de compétence non indiquée dans la

requête introductive d’instance, soutenant que, dans le cadre d’une ins-
tance introduite par requête, ce sont les motifs juridiques exposés dans
celle-ci qui fondent la compétence de la Cour.
Reconnaissant qu’il existait entre les Parties un différend portant,
notamment, sur «l’interprétation ou l’application» du traité, la Cour sta-

tua sur ce point que,
«parce qu’un Etat ne s’[était] pas expressément référé, dans des

négociations avec un autre Etat, à un traité particulier qui a[v]ait été
violé par la conduite de celui-ci, il n’en découl[ait] pas nécessaire-
ment que le premier n[’était] pas admis à invoquer la clause compro-
missoire dudit traité» (Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),

compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 , p. 428, par. 83).
Il est vrai que, dans ce contexte-là, la Cour avait cité un passage de

l’arrêt rendu en l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-
Silésie polonaise, selon lequel «[elle] ne pou[v]ait s’arrêter à un défaut de
forme qu’il dépend[a]it de la seule Partie intéressée de faire disparaître»
(ibid., p. 429, par. 83). Toutefois, il ressort clairement de l’extrait cité ci-
dessus que la Cour n’avait reconnu dans cette affaire l’existence d’aucun

«défaut de forme» dans la requête du demandeur. En outre, il convient
de répéter que dans cette affaire, comme dans les autres, il était question
du consentement des parties à la compétence et non d’une question objec-
tive d’accès à la Cour sans rapport avec le consentement des parties.

4) L’affaire relative à l’ Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires

19. Contrairement aux autres affaires, celle-ci mérite davantage
d’attention car elle pouvait toucher à la question précise qui nous inté-
resse dans la présente affaire. Dans le cadre de cette instance, le défen-

deur avançait entre autres arguments que la convention sur le génocide,
qui était invoquée comme base de compétence, ne pouvait pas être en
vigueur entre les Parties au moment où le demandeur avait déposé sa
requête, en mars 1993, parce que les deux Etats ne se reconnaissaient
alors pas l’un l’autre et que les conditions nécessaires pour fonder la com-

pétence de la Cour n’étaient donc pas réunies. Répondant à cette excep-

98 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 507

tion du défendeur à sa compétence en vertu de la convention sur le géno-
cide, la Cour souligna que

«[t]elle n’[était] cependant plus la situation qui préva[lai]t depuis la
signature et l’entrée en vigueur, le 14 décembre 1995, des accords de
Dayton-Paris, dont l’article X stipul[ait que la RFY et la République
de Bosnie-Herzégovine se reconnaissaient l’une l’autre en tant

qu’Etats souverains indépendants]» (Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 613, par. 25).

La Cour explicita ensuite ce point dans les termes suivants:

«Aux fins de se prononcer sur sa compétence en l’espèce, la Cour
n’a pas à trancher la question de savoir quels peuvent être les effets
d’une situation de non-reconnaissance sur les liens contractuels entre
parties à un traité multilatéral. Il lui suffira de constater qu’à suppo-

ser même que la convention sur le génocide ne soit entrée en vigueur
entre les Parties qu’à la signature des accords de Dayton-Paris,
toutes les conditions sont à présent réunies pour fonder la compé-
tence de la Cour ratione personae.
Certes, la compétence de la Cour doit normalement s’apprécier à

la date du dépôt de l’acte introductif d’instance. Cependant la Cour,
comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale,
a toujours eu recours au principe selon lequel elle ne doit pas sanc-
tionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la
partie requérante pourrait aisément porter remède.» (Ibid., p. 613,

par. 26.)
La Cour appuya cette déclaration sur les passages précités de l’affaire

Mavrommatis et de l’affaire relative à Certains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise (voir, ci-dessus, les paragraphes 10 et 16 respec-
tivement), avant de poursuivre comme ceci:

«La présente Cour a fait application de ce principe dans l’affaire
du Cameroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 28), ainsi que
dans celle des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) lorsqu’elle a

déclaré: «Il n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua
à entamer une nouvelle procédure sur la base du traité — ce qu’il
aurait pleinement le droit de faire.» (C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429,
par. 83.)
En l’occurrence, quand bien même il serait établi que les Parties,

qui étaient liées chacune par la convention au moment du dépôt de
la requête, ne l’auraient été entre elles qu’à compter du 14 décembre
1995, la Cour ne saurait écarter sa compétence sur cette base
dans la mesure où la Bosnie-Herzégovine pourrait à tout moment
déposer une nouvelle requête, identique à la présente, qui serait de ce

point de vue inattaquable.

99 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 508

Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter la troisième
exception préliminaire de la Yougoslavie.» (Application de la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-

Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 613-614, par. 26.)
20. Il échet de relever que la décision rendue par la Cour sur ce point

se limitait à la question de savoir si «les conditions nécessaires pour
conférer une base consensuelle à la juridiction de la Cour fai-
saient ... défaut» (ibid., p. 613, par. 25). Dès lors, cette affaire n’est guère
différente des autres instances examinées ci-dessus. On retiendra à cet

égard que la Cour a déclaré expressément que, «[a]ux fins de se pronon-
cer sur sa compétence en l’espèce, [elle] n’a[vait] pas à trancher la ques-
tion de savoir quels p[ouvaient] être les effets d’une situation de non-
reconnaissance sur les liens contractuels entre parties à un traité multila-
téral» (ibid., p. 613, par. 26). Ainsi, de mon point de vue, il s’en est fallu

de peu que la Cour ne statue sur une question qui était par nature très
proche de celle qui nous intéresse en l’espèce, à savoir la question du sta-
tut juridique de l’une des parties envers l’autre. Toutefois, la Cour s’en est
gardée en déclarant qu’«[elle] n’a[vait] pas à trancher la question» (ibid.).
Elle considérait probablement, dans ce contexte, que le «traité multilaté-

ral» en question était la convention sur le génocide. Cela dit, cette réserve
générale exprimée dans l’arrêt pourrait s’appliquer aussi bien au Statut
de la Cour, en tant que «traité multilatéral [pertinent]».
J’estime par conséquent que l’arrêt rendu dans cette affaire n’est guère
concluant sur la question du statut et qu’il ne peut donc faire autorité

dans la présente espèce.

5) L’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie)

21. La question soulevée dans cette affaire-là ne semble avoir aucun
rapport, pas même lointain, avec le principe dit Mavrommatis, encore

qu’un juge se soit réclamé de ce dictum dans son opinion dissidente pour
justifier un point de droit particulier. Dans cette affaire, la Hongrie s’esti-
mait habilitée à mettre fin à un traité bilatéral qu’elle avait conclu avec la
Tchécoslovaquie aux fins de la construction et du fonctionnement du sys-

tème d’écluses de Gabc ˇíkovo-Nagymaros au motif que celle-ci avait com-
mis une violation substantielle du traité en entreprenant unilatéralement
de détourner le cours du Danube en novembre 1991. La Cour conclut
toutefois que le traité n’avait pas été violé jusqu’à ce que la Tchécoslo-
vaquie eût effectivement commencé à détourner le fleuve dans un canal

de dérivation, en octobre 1992, soit après que la Hongrie eut pris l’initia-
tive de mettre fin au traité.
L’un des juges qui s’inscrivit en faux contre l’arrêt Gabc ˇíkovo-
Nagymaros affirma dans son opinion, en citant l’affaire Mavrommatis
et celle relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise ,

que «[le défendeur] aurait pu procéder au retrait de cet acte [tendant à

100 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 509

mettre fin au traité] et lui substituer plus tard une nouvelle notification de
terminaison au vu des événements d’octobre 1992» (opinion dissidente
du juge Fleischhauer, C.I.J. Recueil 1997, p. 210, par. 2).

S’il est certes possible d’établir une analogie entre la question qui
était considérée et le principe dit Mavrommatis, il est cependant
clair que l’application de ce dernier n’était pas en jeu dans cette affaire-
là, laquelle ne revêt aucune pertinence aux fins de celle qui nous
occupe ici.

6) L’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête: 2002) (République démocratique

du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité

22. Il s’agissait dans cette affaire-là de savoir si le retrait allégué, après
le dépôt de la requête, des réserves du défendeur concernant notamment
l’article IX de la convention sur le génocide, que le demandeur avait invo-
qué comme base de compétence en l’espèce, pouvait être utilisé pour éta-

blir la compétence ratione materiae de la Cour.

Après s’être référée au dictum figurant dans son arrêt de 1996 en
l’affaire relative à la Convention sur le génocide , qui a été examinée plus
haut (voir le paragraphe 19 ci-dessus), à savoir qu’«elle ne doit pas sanc-

tionner un défaut de procédure auquel la partie requérante pourrait aisé-
ment porter remède» (C.I.J. Recueil 2006, p. 29, par. 54), la Cour a
déclaré que

«si la déclaration du ministre rwandai[s] avait, en cours d’instance,
emporté, d’une manière quelconque, retrait de la réserve du Rwanda
à l’article IX de la convention sur le génocide, la RDC aurait pu, de
sa propre initiative, remédier au défaut procédural affectant sa

requête initiale en déposant une nouvelle requête» (ibid.,p .,
par. 54).

Il est clair que, dans cette affaire, la question était de savoir s’il existait
entre les Parties un lien consensuel sur la base de l’article IX de la
convention sur le génocide pour que la Cour pût exercer sa compétence,
lien qui aurait été constaté au stade de l’arrêt si le demandeur avait

démontré le retrait de réserves dont il faisait état. Rappelons que
la conclusion de la Cour constitue de toute façon un obiter dictum,
celle-ci ayant déjà conclu que «le contenu de la déclaration du ministre
de la justice du Rwanda n’[était] pas suffisamment précis» pour emporter
retrait de la réserve du Rwanda à l’article IX de la convention sur le

génocide (ibid., p. 28-29, par. 52). Toujours est-il que l’élément crucial
aux fins de la présente affaire est que la Cour examinait alors le point
de savoir s’il avait été remédié ultérieurement à un défaut de consente-
ment initial, ce qui n’a aucun rapport avec la question qui nous intéresse
ici, à savoir celle des défauts procéduraux échappant au consentement

des Parties.

101 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS.OWADA ) 510

7) L’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires

23. Un argument comparable à celui qui repose sur le principe
Mavrommatis fut avancé dans l’affaire de la Barcelona Traction, Light
and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (exceptions prélimi-
naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964 , p. 6) (dénommée ci-après l’affaire de la
«Barcelona Traction»), sans renvoi spécifique à l’affaire Mavrommatis à

titre de précédent. Le défendeur affirmait dans cette affaire que, puisque
celle-ci était fondée sur une clause compromissoire désignant la Cour per-
manente de Justice internationale et qu’il n’était pas membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies lorsque le Statut de la Cour internationale de

Justice avait été adopté, l’article 37 dudit Statut — selon lequel, en cas de
clause compromissoire «prévo[yant] le renvoi ... à la Cour permanente de
Justice internationale, la Cour internationale de Justice constituera[it]
cette juridiction entre les parties au présent Statut» — ne s’appliquait pas

à son endroit et que la Cour n’était donc pas compétente pour connaître
de l’affaire. Appliquant une logique qui pourrait sembler analogue à celle
du principe Mavrommatis, la Cour avait conclu que

«la disparition de la Cour permanente n’a[vait] jamais éteint l’obliga-
tion fondamentale de se soumettre à un règlement judiciaire mais l’a[vait]
rendue fonctionnellement inapplicable faute d’un tribunal pouvant
assurer sa mise en Œuvre. Ce qui s’est donc produit en 1955, lorsque

cette lacune a été comblée avec l’admission de l’Espagne aux Nations
Unies, c’est que l’obligation est redevenue applicable, puisqu’il existait
de nouveau un moyen de la mettre en Œuvre.» (Ibid., p. 40.)

Toutefois, cette variante du principe Mavrommatis qui, à première vue,
pourrait être rapprochée de la situation qui nous occupe ici — puisque,
comme dans la présente affaire, la Cour a jugé qu’il avait été remédié au

défaut procédural en question par l’admission du défendeur à l’Organisa-
tion des Nations Unies — est en fait foncièrement différente. Dans
l’affaire de la Barcelona Traction, l’admission de l’Espagne à l’Organisa-
tion des Nations Unies donna effet à un consentement préexistant qui

découlait des clauses compromissoires ratifiées plus tôt par cet Etat. Le
défaut en question ne tenait nullement à l’accès de l’Espagne à la Cour ni
à aucune autre question fondamentale touchant à la saisine. Partant, de
même que les autres affaires examinées plus haut, celle de la Barcelona

Traction porte sur le consentement et non sur l’accès. Le principe appli-
qué dans le cadre de cette instance-là ne peut donc avoir aucune inci-
dence sur la présente espèce.

IV. C ONCLUSION SUR LE PRINCIPE M AVROMMATIS

24. Les conclusions auxquelles je suis parvenu après avoir examiné de
près dans la jurisprudence de la Cour (et dans celle de sa devancière) les

102 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 511

précédents où le principe dit Mavrommatis a été invoqué, soit expressé-
ment, soit implicitement, peuvent être résumées de la manière suivante:

a) En dépit de la formule souvent citée qui figure dans l’arrêt rendu en
l’affaire Mavrommatis, formule dont il est fait une généralité, cette
affaire-là avait été jugée sur une base tout à fait différente, la présente

affaire ne faisant intervenir du point de vue juridique aucune situa-
tion analogue dans laquelle le principe dit Mavrommatis pourrait
trouver à s’appliquer.
b) Dans chacune des affaires ultérieures où ce principe a été invoqué, il
était question d’une absence initiale de consentement qui, était-il allé-

gué, avait vicié le fondement de la compétence de la Cour mais à
laquelle un acte ou un événement ultérieur avait remédié. Aucun pré-
cédent ne peut justifier une généralisation du principe, selon laquelle
la jurisprudence issue de l’arrêt Mavrommatis s’appliquerait à toutes
sortes de défauts procéduraux.

c) Les raisons de s’écarter d’une application stricte des règles procédu-
rales varient d’une affaire à une autre, et chacune des affaires dans
lesquelles la Cour a accepté de s’en écarter se caractérise par des
motifs qui lui sont propres et par des limites intrinsèques. Dans toutes

les affaires examinées, cependant, le problème fondamental rési-
dait dans l’absence initiale de consentement en tant qu’obstacle à la
compétence.
d) La jurisprudence de la Cour ne comprend aucune affaire dans le
cadre de laquelle le principe dit Mavrommatis aurait été interprété

comme s’étendant à la totalité des «défauts procéduraux» apparus
dans les affaires portées devant elle. Les «défauts procéduraux» qui
étaient en cause dans les affaires pertinentes tenaient le plus souvent à
des vices techniques allégués concernant d’une manière ou d’une
autre l’élément du consentement à l’époque de l’introduction de l’ins-

tance, sans jamais toucher à des questions telles que celles de la capa-
cité des parties d’ester devant la Cour.
e) Dans toutes les affaires où le principe a été appliqué, il s’agissait de
déterminer si le lien consensuel de compétence établi par la suite était

suffisant pour satisfaire à la condition essentielle à l’exercice par la
Cour de sa juridiction — ce qui va de soi, puisque la juridiction inter-
nationale tient en elle-même au consentement des parties et que
même l’expression de ce consentement à un stade ultérieur de l’ins-
tance a toujours été reconnue comme une exception au principe fon-

damental selon lequel la base juridique de la compétence de la Cour
doit exister à la date de l’introduction de l’instance. L’institution du
forum prorogatum en est la preuve.

25. Cette situation n’a rien d’étonnant. Le principe fondamental qui
sous-tend la compétence d’une juridiction internationale est, comme la
Cour l’a souligné à maintes reprises, que «sa compétence doit s’apprécier

au moment du dépôt de l’acte introductif d’instance» (Mandat d’arrêt du

103 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 512

11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 12-13, par. 26), principe d’autant plus fondamen-
tal que, «si elle est compétente à la date à laquelle une affaire lui est sou-

mise, elle le demeure quels que soient les événements survenus ultérieu-
rement» (ibid.) et que pareils événements «ne sauraient ... priver la Cour
de sa compétence» (ibid.; voir également les affaires citées dans cet
extrait). A titre d’exception légitime à ce principe, il a été reconnu que
l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Ainsi, si le lien consensuel fondant

la compétence peut être établi postérieurement à l’introduction de l’ins-
tance, un acte ou un événement constituant pareil lien peut toujours être
source de compétence puisque, contrairement à la juridiction interne, la
juridiction internationale repose principalement sur le consentement des
parties. Telle est en fait la base juridique sur laquelle la compétence peut

être établie en vertu du paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la
Cour ou sur laquelle l’institution du forum prorogatum est reconnue dans
la jurisprudence de celle-ci.
26. En revanche, il n’existe aucune raison logique, et donc aucun pré-

cédent dans la jurisprudence examinée ci-dessus, qui permette de dire que
la Cour ait été prête à appliquer à titre d’exception à la règle générale
gouvernant sa compétence ce principe à rebours d’une manière si géné-
rale qu’il soit permis d’affirmer de manière catégorique que «[m]ême si la
base de l’introduction d’instance était défectueuse..., ce ne serait pas une

raison suffisante pour débouter le demandeurode sa requête» (Conces-
sions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2,
p. 34). Cette déclaration a été formulée dans un contexte bien précis,
c’est-à-dire dans le cas d’un traité (le protocole XII) qui revêtait une
importance centrale pour déterminer la portée substantielle «des obliga-

tions internationales acceptées par le mandataire» dans le cadre de l’ar-
ticle 11 du mandat — un instrument juridique qui fondait la compétence
de la Cour (ibid., p. 17). C’est dans ce contexte que fut mise en doute
l’applicabilité de l’article 11 du mandat, déclaré en vigueur non pas à la
date du dépôt de la requête mais deux mois et demi plus tard.

27. Pour résumer, il est clair que le principe tenant son nom de la juris-
prudence Mavrommatis ne consiste pas à estimer d’une manière générale
que tout «défaut procédural» faisant obstacle à la saisine de la Cour peut

être corrigé dès lors qu’il «[est] toujours possible, pour la partie deman-
deresse, de présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes termes»
(ibid., p. 34; arrêt, par. 82), mais qu’il se limite à la question précise de
savoir si le «défaut procédural» considéré touche à la question du consen-
tement des parties à la compétence de la Cour et peut donc être corrigé

puisque le consentement des parties peut toujours constituer la base juri-
dique nécessaire pour que la Cour exerce sa compétence. Si j’adhère au
présent arrêt en ce qu’il rappelle que la Cour a «fait preuve de réalisme et
de souplesse dans certaines hypothèses où les conditions de [s]a compé-
tence ... n’étaient pas toutes remplies à la date de l’introduction de l’ins-

tance mais l’avaient été postérieurement» (ibid., par. 81), les raisons de

104 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 513

cette pratique et la jurisprudence consacrée à la question démontrent tou-
tefois clairement que pareilles exceptions sont à appliquer avec parcimo-

nie. Comme il ressort de mon analyse de la jurisprudence de la Cour, la
souplesse dont il a pu être fait preuve à l’égard du consentement juridic-
tionnel n’a jamais été appliquée à la question de l’accès à la Cour, qui
échappe au consentement des parties, et ne devrait pas être ainsi appli-
quée dans le présent arrêt.

V. L E DÉFAUT DE PERTINENCE DE LA DISTINCTION
ENTRE DEMANDEUR ET DÉFENDEUR

28. Ainsi qu’exposé au paragraphe 7 ci-dessus, la seconde question à
examiner est celle de savoir si le fait que la RFY/Serbie este ici en qualité
de défendeur, alors qu’elle était le demandeur dans les affaires de l’OTAN
jugées en 2004, doit en l’espèce faire une différence du point de vue

juridique.
29. Je n’ai pas besoin de m’étendre sur cette question. Etant donné le
sens naturel et ordinaire du paragraphe 1 de l’article 35, il n’est pas néces-
saire de se pencher sur la genèse de cette disposition. En réponse à la

question que leur avait posée le juge Abraham, le demandeur et le défen-
deur ont l’un comme l’autre refusé d’attacher de l’importance à une telle
distinction, encore que la réponse à cette question doive évidemment être
laissée à la Cour.
L’essentiel à mes yeux est que le fait d’établir pareille distinction en

interprétant le paragraphe 1 de l’article 35 donnerait lieu à une inégalité
de traitement entre le demandeur et le défendeur du point de vue de
l’accès à la Cour et de la capacité d’ester devant elle.
30. Comme elle l’a clairement déclaré dans ses arrêts de 2004, la Cour

ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des Etats auxquels elle
est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut. Et seuls les Etats qui ont
accès à elle peuvent lui conférer compétence (Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt ,

C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 298-299, par. 46). La raison de ce principe
tient à ce que la Cour, en tant que cour de justice, ne peut s’acquitter de
sa tâche que lorsque les deux parties au différend ont qualité pour ester
devant elle.
Il convient de rappeler à cet égard que, dans ses arrêts de 2004, la Cour

a considéré qu’«il y a[vait] lieu d’établir une distinction entre une ques-
tion de compétence liée au consentement d’une partie et celle du droit
d’une partie [d’]ester devant [elle] conformément aux prescriptions du
Statut, qui n’implique pas un tel consentement» (ibid., p. 295, par. 36).

C’est sur la base de cette distinction que la Cour releva que «[l]a question
qui se pos[ait était] celle de savoir si, en droit, au moment où elle a[vait]
introduit les présentes instances, la Serbie-et-Monténégro était habilitée
à [la] saisir ... en tant que partie au Statut» (ibid.; les italiques sont dans
l’original). C’est la distinction entre ces deux questions différentes qui

105 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 514

revêt une importance cruciale pour l’examen de la Cour sur ce point. Ce
raisonnement s’applique naturellement aussi bien au défendeur qu’au

demandeur.
31. Il peut en outre être relevé que non seulement cette position expri-
mée dans les arrêts de 2004 s’inscrit dans la logique selon laquelle la Cour
envisage généralement la question de sa compétence, mais qu’elle est éga-
lement celle que presque toutes les parties à ces instances ont adoptée (y

compris, en particulier, les défendeurs) — un fait qui a parfois du mal à
bien s’inscrire dans l’esprit de ceux qui n’y ont pas participé. Ainsi les
Etats de l’OTAN, alors défendeurs, ont-ils tenté de faire valoir à des
degrés divers que la RFY n’avait pas le locus standi voulu pour saisir la

Cour en tant que demandeur, dans la mesure où elle n’était pas partie au
Statut. Les défendeurs n’ont en l’occurrence opéré aucune distinction
dans l’applicabilité de ce principe selon que la partie considérée estait
comme demandeur ou comme défendeur. Rappelons que cet argument a
été formulé bien après novembre 2000, lorsque la Serbie avait été admise

à l’Organisation des Nations Unies et était devenue partie au Statut de la
Cour. La Cour elle-même s’en est tenue strictement au principe général
selon lequel sa compétence devait s’apprécier à la date du dépôt de l’acte
introductif d’instance.

32. L’argument avancé dans le présent arrêt, selon lequel «[i]l était
clair, en effet, que la Serbie-et-Monténégro [en tant que demandeur]
n’avait pas l’intention de maintenir ses demandes sous la forme de nou-
velles requêtes» (arrêt, par. 89), comme s’il s’agissait d’un facteur décisif
dans le raisonnement de la Cour, manque singulièrement de convaincre

étant donné que, contrairement aux autres aspects de la compétence
tenant à leur volonté, la capacité de l’une ou l’autre des parties de saisir
la Cour est un élément dont celle-ci doit s’assurer, si nécessaire de sa
propre initiative, indépendamment de leur volonté ou de leurs motiva-

tions. Le fait que, dans les affaires de l’OTAN, la Cour n’ait pas adopté
«l’élément de souplesse» introduit à d’autres occasions démontre simple-
ment que, pour elle, cette question n’est pas de celles qui permettent de
remédier avec souplesse à un «défaut procédural» mais touche à sa voca-

tion même, en tant que cour de justice chargée de connaître de différends
entre un demandeur et un défendeur qui doivent tous deux avoir le locus
standi exigé pour ester devant elle, que ce soit comme demandeur ou
comme défendeur.

(Signé) Hisashi O WADA .

106

Bilingual Content

495

DISSENTING OPINION OF JUDGE OWADA

The legal significance of the 2004 Judgment and of the 2007 Judgment — The
applicability of the so-called “ Mavrommatis principle” to the present case —
The jurisprudence of the Court on the Mavrommatis principle as a principle
relating to consent to jurisdiction — The scope of the Mavrommatis principle
not covering any and all “procedural defects” in proceedings before the Court —
The capacity to appear before the Court as an issue to be determined at the time
of the act instituting proceedings — The irrelevance of applicant/respondent dis-
tinction for the purposes of access to the Court.

1. I have voted against the part of the operative clause of the Judgment
in the present case in which the Court rejects the first preliminary objection
submitted by the Republic of Serbia in so far as it relates to its capacity to
participate in the proceedings instituted by the Application of the Republic
of Croatia and finds that it has jurisdiction to entertain the Application

(Judgment, para. 146 (1) and (3)). For the reasons set out below, I am of
the view that the Court is not competent to entertain the present case sub-
mitted by the Republic of Croatia, since the Respondent, the Republic of
Serbia, lacked the capacity to participate in the present proceedings at the

time when the Applicant, the Republic of Croatia, filed an Application to
institute the proceedings against the Respondent before the Court.

I. THE L EGAL S IGNIFICANCE OF THE 2004 JUDGMENT AND OF
THE 2007 J UDGMENT

2. In its 2004 Judgments in the cases concerning Legality of Use of
Force (hereinafter referred to as the “NATO” cases; I.C.J. Reports 2004
(I, II, III), pp. 279-1450) the Court held that “it ha[d] no jurisdiction to
entertain the claims made in the Application filed by Serbia and Mon-
tenegro on 29 April 1999” (ibid., p. 328, para. 129). This conclusion of

the Court was based on its finding on Article 35, paragraph 1 and para-
graph 2, of the Statute of the Court.

First, in relation to Article 35, paragraph 1, the Court found that

“at the time of filing of its Application to institute the present pro-

ceedings before the Court on 29 April 1999, the Applicant in the
present case, Serbia and Montenegro, was not a Member of the
United Nations, and, consequently, was not, on that basis, a State
party to the Statute of the International Court of Justice” (ibid.,
pp. 314-315, para. 91).

87 495

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE OWADA

[Traduction]

La portée juridique des arrêts de 2004 et de 2007 — L’applicabilité en
l’espèce du principe dit principe Mavrommatis — La jurisprudence de la Cour
consacrée à celui-ci en tant que principe relatif au consentement à la compé-
tence — Le principe Mavrommatis n’est pas extensible à tout «défaut procé-
dural» entachant une instance portée devant la Cour — La capacité d’ester
devant la Cour, une question à trancher au moment du dépôt de l’acte introduc-

tif d’instance — Le défaut de pertinence de la distinction entre demandeur et
défendeur aux fins de l’accès à la Cour.

1. J’ai voté en l’espèce contre la partie du dispositif de l’arrêt dans
laquelle la Cour rejette la première exception préliminaire présentée par la
République de Serbie dans la mesure où celle-ci porte sur la capacité de
cet Etat de participer à l’instance introduite par la requête de la Républi-

que de Croatie et où la Cour conclut à sa compétence pour en connaître
(arrêt, par. 146, points 1) et 3)). Pour les raisons exposées dans la suite de
la présente opinion, j’estime que la Cour n’a pas compétence pour connaî-
tre de la présente affaire dont la République de Croatie l’a saisie puisque
le défendeur, la République de Serbie, n’avait pas qualité pour ester en

l’espèce à l’époque où le demandeur, la République de Croatie, déposa à
son encontre une requête introductive d’instance devant la Cour.

I. LA PORTÉE JURIDIQUE DES ARRÊTS DE 2004
ET DE 2007

2. Dans les arrêts qu’elle a rendus en 2004 dans les affaires relatives à

la Licéité de l’emploi de la force (dénommées ci-après les affaires de
l’«OTAN»; C.I.J. Recueil 2004 (I, II, III), p. 279-1450), la Cour a
conclu qu’«elle n’a[vait] pas compétence pour connaître des demandes
formulées par la Serbie-et-Monténégro dans sa requête déposée le 29 avril
1999» (ibid., p. 328, par. 129). Cette conclusion était fondée sur celle à

laquelle elle était parvenue au sujet des paragraphes 1 et 2 de l’article 35
de son Statut.
S’agissant du paragraphe 1 de l’article 35, tout d’abord, la Cour a
déclaré que

«au moment où il a[vait] déposé sa requête pour introduire la pré-
sente instance devant [elle], le 29 avril 1999, le demandeur en l’espèce,
la Serbie-et-Monténégro, n’était pas membre de l’Organisation des
Nations Unies ni, dès lors, en cette qualité, partie au Statut de la

Cour internationale de Justice» (ibid., p. 314-315, par. 91).

87496 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP .OWADA )

On that ground, it held that “the Court was not open to Serbia and Mon-
tenegro under Article 35, paragraph 1, of the Statute” (Legality of Use of
Force, I.C.J. Reports 2004 (I) , p. 315, para. 91).

Second, with regard to Article 35, paragraph 2, the Court also found
that “the reference in Article 35, paragraph 2, of the Statute to ‘the spe-
cial provisions contained in treaties in force’ applies only to treaties in
force at the date of the entry into force of the Statute, and not to any
treaties concluded since that date” (ibid., p. 324, para. 113). On that

ground it held that “Article 35, paragraph 2, of the Statute does not pro-
vide [the Applicant] with a basis to have access to the Court, under Arti-
cle IX of [the Genocide] Convention” (ibid., p. 324, para. 114).
3. In its 2007 Judgment in the case concerning the Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide

(Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro) in which the same
question of the capacity of Serbia and Montenegro to be a party to the
proceedings was at issue, this time as respondent, in application of Arti-
cle 35, paragraph 1, of the Statute, the Court stated as follows:

“The Court . . . considers it necessary to emphasize that the ques-

tion whether a State may properly come before the Court, on the
basis of the provisions of the Statute, whether it be classified as a
matter of capacity to be a party to the proceedings or as an aspect of
jurisdiction ratione personae, is a matter which precedes that of
jurisdiction ratione materiae, that is, whether that State has con-

sented to the settlement by the Court of the specific dispute brought
before it. The question is in fact one which the Court is bound to
raise and examine, if necessary, ex officio, and if appropriate after
notification to the parties. Thus if the Court considers that, in a par-
ticular case, the conditions concerning the capacity of the parties to

appear before it are not satisfied, while the conditions of its jurisdic-
tion ratione materiae are, it should, even if the question has not been
raised by the parties, find that the former conditions are not met,
and conclude that, for that reason, it could not have jurisdiction to
decide the merits.” (I.C.J. Reports 2007 (I), p. 94, para. 122.)

Having enunciated in this way the basic principle relating to the essential
nature of the capacity of the parties to participate in the proceedings
before the Court under Article 35, paragraph 1, of the Statute, the Court
in that case nevertheless came to the following conclusion:

“The Court stated [in its 1996 Judgment on the present Geno-

cide Convention case, Preliminary Objections] that ‘Yugoslavia was
bound by the provisions of the [Genocide] Convention on the date
of the filing of the Application in the present case’ ( Application of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary

Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 610, para. 17),

88 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 496

La Cour en avait conclu qu’«[elle] n’était pas ouverte à la Serbie-et-
Monténégro sur la base du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut»
(Licéité de l’emploi de la force, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 315, par. 91).

Ensuite, en ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 35, la Cour a
également conclu que «la référence faite au paragraphe 2 de l’article 35
du Statut aux «dispositions particulières des traités en vigueur» ne s’appli-
qu[ait] qu’aux traités en vigueur à la date de l’entrée en vigueur du Statut
et non aux traités conclus depuis cette date» (ibid., p. 324, par. 113), et

donc que «le paragraphe 2 de l’article 35 ne ... donn[ait] pas [au deman-
deur] accès à [la Cour] sur la base de l’article IX de cette convention [sur
le génocide]» (ibid., p. 324, par. 114).
3. Dans son arrêt de 2007 en l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-

Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) , dans laquelle se posait à nouveau
la question de la capacité de la Serbie-et-Monténégro d’être partie à l’ins-
tance en application du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut, cette fois-ci
en tant que défendeur, la Cour a

«jug[é] ... nécessaire de souligner que la question de savoir si un Etat

a qualité pour se présenter devant elle conformément aux disposi-
tions du Statut — que l’on y voie une question de capacité à être
partie à la procédure ou un aspect de la compétence ratione perso-
nae — passe avant celle de la compétence ratione materiae, c’est-à-
dire avant celle de savoir si cet Etat a consenti à ce que la Cour règle

le différend particulier porté devant elle. C’est, par ailleurs, une
question que la Cour elle-même est tenue, si besoin est, de soulever
et d’examiner d’office, le cas échéant après notification aux parties. Il
en résulte que si la Cour estime, dans une affaire particulière, que les
conditions relatives à la capacité des parties à se présenter devant elle

ne sont pas remplies, alors que les conditions de sa compétence
ratione materiae le sont, elle doit, quand bien même cette question
n’aurait pas été soulevée par les parties, constater que les premières
conditions font défaut et en déduire qu’elle ne saurait, pour cette rai-

son, avoir compétence pour statuer sur le fond du différend.» (C.I.J.
Recueil 2007 (I), p. 94, par. 122.)

Ayant exposé en ces termes le principe fondamental relatif au caractère
essentiel de la capacité pour les parties d’ester devant elle en application
du paragraphe 1 de l’article 35 de son Statut, la Cour est néanmoins par-
venue dans cette affaire-là à la conclusion suivante:

«La Cour a déclaré [dans son arrêt de 1996 consacré aux excep-

tions préliminaires dans cette même affaire] que «la Yougoslavie
était liée par les dispositions de la convention [sur le génocide] à la
date du dépôt de la requête en la présente affaire» (Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires,

arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17) et a conclu qu’«elle

88497 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

and found that ‘on the basis of Article IX of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, it has juris-
diction to adjudicate upon the dispute’ (ibid. , p. 623,
para. 47 (2) (a))...[T]hisfindingmustasamatterofconstruction

be understood, by necessary implication, to mean that the Court at
that time perceived the Respondent as being in a position to par-
ticipate in cases before the Court. On that basis, it proceeded to
make a finding on jurisdiction which would have the force of
res judicata.” (Application of the Convention on the Prevention and

Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v.
Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I) , pp. 98-
99, para. 132.)

With regard to the difference between that case and theNATO cases, the
Court had the following to say:

“That the FRY had the capacity to appear before the Court in
accordance with the Statute was an element in the reasoning of the

1996 Judgment which can — and indeed must — be read into the
Judgment as a matter of logical construction. That element is not
one which can at any time be reopened and re-examined, for the rea-
sons already stated above. As regards the passages in the 2004 Judg-
ments relied on by the Respondent, it should be borne in mind that

the concern of the Court was not then with the scope of res judicata
of the 1996 Judgment, since in any event such res judicata could not
extend to the proceedings in the cases that were then before it,
between different parties. It was simply appropriate in 2004 for the
Court to consider whether there was an expressly stated finding in

another case that would throw light on the matters before it. No
such express finding having been shown to exist, the Court in 2004
did not, as it has in the present case, have to go on to consider what
might be the unstated foundations of a judgment given in another
case, between different parties.” (Ibid., pp. 99-100, para. 135.)

4. It is clear that in the present case between Croatia and Serbia no
such “express finding” constituting res judicata exists, such as that which
led the Court in 2007 to affirm its jurisdiction to entertain the case.
Whatever may have been the precise reasoning of the Court in 1996,
when it decided that “on the basis of Article IX of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, it has jurisdiction

to adjudicate upon the dispute” (Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herze-
govina v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 623, para. 47 (2) (a)), it is clear that this decision on the
point of jurisdiction constituted res judicata for the 2007 Judgment. It is

for this reason that I agreed with the majority in the 2007 Judgment that
the Court, as a court of law which can only function in strict observance

89 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 497

a[vait] compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, pour statuer sur
le différend» (ibid., p. 623, par. 47, point 2), al. a))... [C]ette conclu-

sion doit nécessairement s’interpréter comme signifiant en toute lo-
gique que la Cour estimait à l’époque que le défendeur avait qualité
pour participer à des affaires portées devant elle. Sur cette base, la
Cour a alors formulé une conclusion sur sa compétence, avec l’auto-
rité de la chose jugée.» (Application de la convention pour la préven-

tion et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) , p. 98-99,
par. 132.)

Quant à la différence entre cette affaire et celles de l’OTAN, voici ce
que la Cour eut à déclarer:

«Que la RFY avait la capacité de se présenter devant [elle] en
vertu du Statut constitue un élément du raisonnement suivi dans
l’arrêt de 1996, qui peut — et même doit — en toute logique être
sous-entendu dans celui-ci. Pour les raisons déjà indiquées, cet élé-
ment ne saurait à tout moment être remis en question et réexaminé.

En ce qui concerne les extraits des arrêts de 2004 sur lesquels
s’appuie le défendeur, il faut tenir compte du fait que la Cour ne se
préoccupait pas alors de la portée de l’autorité de la chose jugée à
attacher à l’arrêt de 1996 puisque, de toute façon, une telle autorité
ne pouvait s’étendre aux affaires dont elle avait alors à connaître,

lesquelles opposaient des parties différentes. En 2004, il convenait
seulement pour la Cour de rechercher s’il existait, dans une autre
affaire, une conclusion expresse susceptible de l’éclairer. L’existence
d’une telle conclusion expresse n’ayant pas été démontrée, la Cour
n’était pas tenue en 2004, comme elle l’est en l’espèce, de poursuivre

l’examen de ce que pouvaient être les fondements informulés d’un
arrêt rendu dans une autre affaire, entre d’autres parties.» (Ibid.,
p. 99-100, par. 135.)

4. Il est clair que, dans la présente affaire entre la Croatie et la Serbie,
il n’existe aucune «conclusion expresse» ainsi revêtue de l’autorité de la

chose jugée, comme celle qui a conduit la Cour en 2007 à s’affirmer com-
pétente pour connaître de l’affaire. Quel qu’ait pu être le raisonnement
précis de la Cour en 1996, lorsqu’elle se déclara «compéten[t]e, sur la
base de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, pour statuer sur le différend» (Application de

la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 623, par. 47, point 2), al. a)), cette décision sur la
compétence avait manifestement force de chose jugée pour l’arrêt de
2007. Voilà pourquoi je m’étais accordé avec la majorité à considérer

dans l’arrêt de 2007 que, en tant que cour de justice tenue de se confor-

89498 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

of the procedural requirements prescribed in its Statute and Rules, must
be held in law, at any rate by construction, to have concluded that the
conditions prescribed in Article 34 and Article 35 respectively have been

satisfied, including the locus standi of the parties.
In the midst of the “amorphous . . . situation” that prevailed as of 1996
(see Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Pre-
liminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I) , p. 310, para. 79;
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the

Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro),
Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I) , p. 98, para. 131) regarding the precise
legal status of the Federal Republic of Yugoslavia (hereinafter referred to
as the “FRY”) in relation to the United Nations, which the 2004 Judg-
ment later came to analyse in great detail, it may well be that the Court

at the time of its 1996 Judgment refrained from digging deep into the
analysis of the legal standing of the Respondent and was satisfied, as far
as that case was concerned, with the fact that neither of the Parties dis-
puted the capacity of the Respondent to appear before the Court. Be that

as it may, what is decisive is the fact that, as a result, this issue of
locus standi of the Respondent, as far as that case was concerned, must
be construed in law as finally settled, constituting res judicata.

5. It is important to note, however, as the present Judgment declares

in no ambiguous terms, that this conclusion of the 2007 Judgment on this
point does not constitute res judicata for the present case. Neither of
course does the 2004 Judgment in this respect. What is crucial, however,
is that by the time of the 2004 Judgment, as contrasted to the time of the
1996 Judgment, this amorphous legal situation that prevailed at the time

of the 1996 Judgment had been clarified through the developments
since November 2000, when the FRY was admitted as a new Member
of the United Nations in accordance with the procedures prescribed for
the admission of States as new Members. The 2004 Judgment, which
was not bound by what the Court had decided in 1996 as res judicata,

assessed this legal situation which had by then become clear and came
to the only logical conclusion as cited above in paragraph 2 of this
opinion. This conclusion that Serbia lacked access to the Court can be
considered an “express finding” within the meaning of paragraph 135

of the 2007 Judgment cited above in paragraph 3 of this opinion.
Following the Court’s reasoning expressed therein, when a relevant
express finding does exist in another case with different parties, the
Court must “go on to consider what might be the unstated foundations
of [that] judgment” (ibid., p. 100, para. 135). The Court in the present

case, therefore, must consider the unstated foundations that led to the
express finding in the NATO cases, even though that finding is
not res judicata in the present case. In other words, the Court in
2004 did not have to consider the 1996 Judgment involving different
parties because the 1996 case did not reach an “express finding” as

to access (the finding on access is only implicit from the finding on

90 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 498

mer strictement aux conditions procédurales prescrites par son Statut et
par son Règlement, la Cour devait être réputée en droit, tout au moins par
implication, avoir conclu qu’il était satisfait aux exigences respectives des

articles 34 et 35, y compris du point de vue dulocus standi des parties.
Au beau milieu de la «situation ... indéterminée» qui régnait en 1996
(voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I) , p. 310,
par. 79; Application de la convention pour la prévention et la répression

du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) , p. 98, par. 131) au sujet du statut juri-
dique exact de la République fédérale de Yougoslavie (dénommée
ci-après la «RFY») envers l’Organisation des Nations Unies, une situa-
tion qui fut ensuite analysée plus amplement dans l’arrêt de 2004, il se

peut fort bien que, à l’époque de son arrêt de 1996, la Cour se soit gar-
dée de pousser plus avant l’analyse du statut juridique du défendeur et
que, dans le cadre de cette affaire, elle se soit satisfaite du fait qu’aucune
des Parties ne contestait la capacité du défendeur d’ester devant elle.

En tout état de cause, l’essentiel est que cette question du locus standi
du défendeur doit donc, pour autant qu’il s’agisse de cette affaire-là,
être considérée en droit comme définitivement réglée, revêtant l’auto-
rité de la chose jugée.
5. Il importe toutefois de noter que, comme l’indique le présent arrêt en

des termes dénués d’ambiguïté, la conclusion ainsi formulée sur ce point
dans l’arrêt de 2007 n’a pas force de chose jugée en l’espèce, pas plus que
ce qui est dit à cet égard dans l’arrêt de 2004, naturellement. Mais ce qui
est fondamental, c’est que la situation juridique indéterminée qui avait été
celle de l’arrêt de 1996 était devenue plus claire lors de l’arrêt de 2004

grâce aux événements intervenus depuis novembre 2000, quand la RFY
fut admise à l’Organisation des Nations Unies en tant que nouveau Mem-
bre conformément aux procédures régissant l’admission d’Etats en cette
qualité. Dans son arrêt de 2004, où elle n’était pas liée par ce qu’elle avait
décidé en 1996 avec l’autorité de la chose jugée, la Cour a examiné cette

situation juridique qui était désormais claire et est parvenue à la seule
conclusion possible du point de vue logique, que j’ai citée au paragraphe 2
de la présente opinion. Cette conclusion, à savoir que la Serbie n’avait pas
accès à la Cour, peut être considérée comme une «conclusion expresse»

au sens du paragraphe 135 de l’arrêt de 2007 qui est cité au paragraphe 3
ci-dessus. Suivant le raisonnement tenu par la Cour dans ce paragraphe,
lorsqu’une conclusion expresse pertinente a effectivement été formulée
dans une autre affaire entre d’autres parties, la Cour doit se livrer à
«l’examen de ce que pouvaient être les fondements informulés d[e l’]arrêt

rendu» (ibid., p. 100, par. 135). Aussi la Cour devait-elle s’interroger dans
la présente affaire sur les fondements informulés qui ont donné lieu à la
conclusion expresse énoncée dans les affaires de l’OTAN, même si cette
dernière n’avait pas force de chose jugée dans la présente affaire. Autre-
ment dit, si elle n’avait pas à tenir compte en 2004 de l’arrêt rendu en 1996

dans une affaire opposant d’autres parties puisque ce dernier ne renfer-

90499 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

jurisdiction), but the Court in the present case must consider the
foundations for the 2004 finding as to access because it is express.

6. It is against these complex elements to be taken into account in rela-
tion to the legal status of the FRY (now Serbia in the present proceed-

ings) in relation to the United Nations and consequently to the Court,
that the Court has to look at the issue of locus standi of the Respondent
in the present proceedings which were instituted in 1999. It should be
emphasized that the Court came to its conclusion in 2004 on exactly the

same question of locus standi of the FRY, though as Applicant at that
time, in the proceedings filed in 1999. If the reasoning for that finding is
to be respected in the absence of particular reasons to depart from it, the
Court must conclude in the present proceedings that the FRY did not

have the locus standi to appear before the Court, unless there is a con-
trary prior finding which binds the Court as res judicata emanating from
a judgment in the same case, as it was the case with the 2007 Judgment.
There is no such finding that constitutes res judicata in the present case.

This is the crucial difference between the 2007 Judgment in the Bosnia
and Herzegovina v. Serbia and Montenegro case and the present Croatia v.
Serbia case.
7. On the basis of this reasoning, however, there are two further ques-
tions that the Court has to answer before reaching its final conclusion.

First is the question of whether the subsequent admission in November
2000 of the FRY to the United Nations — which has had the effect of
making the FRY from that time onwards ipso facto a party to the Statute
of the Court in accordance with Article 93, paragraph 1, of the Charter

of the United Nations — has brought about a change in the legal status
of the FRY in the present proceedings with regard to its locus standi in
the context of Article 35, paragraph 1, of the Statute. Second is the ques-
tion of whether the fact that the FRY/Serbia is the Respondent in the

present case, whereas it was the Applicant in the 2004 NATO cases
should make a legal difference that justifies distinguishing the present
case from the NATO cases.

II. THE APPLICABILITY OF THE M AVROMMATIS PRINCIPLE

8. On the first point, the present Judgment takes the position that this

subsequent admission of the FRY to the United Nations is indeed a legally
relevant factor to be considered. On that basis the present Judgment comes
to the conclusion that, in accordance with the principle enunciated by the
Permanent Court of International Justice in the case concerningMavrom-
matis Palestine Concessions (Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A,

No. 2, hereinafter referred to as the “Mavrommatis case”) the requirement
under Article 35, paragraph 1, concerning the capacity of the Respondent
to appear before the Court is now to be regarded as satisfied.

91 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 499

mait aucune «conclusion expresse» au sujet de l’accès (la conclusion sur
l’accès ne découle qu’implicitement de celle sur la compétence), la Cour

devait en revanche examiner en l’espèce les fondations de la conclusion de
2004 relative à l’accès en raison de son caractère exprès.
6. C’est dans ce cadre complexe, avec autant d’éléments à prendre en
considération au sujet du statut juridique de la RFY (aujourd’hui la Ser-
bie en l’instance) à l’égard de l’Organisation des Nations Unies et donc

d’elle-même, que la Cour devait examiner la question du locus standi du
défendeur dans la présente instance, introduite en 1999. Soulignons que
sa conclusion de 2004 portait exactement sur la même question que dans
le cadre de l’instance introduite en 1999, à savoir celle du locus standi de

la RFY, à ceci près que cette dernière estait alors en qualité de deman-
deur. Si l’on s’en tient au raisonnement qui sous-tend cette conclusion, en
l’absence de raisons particulières de s’en écarter, la Cour devait conclure
en l’espèce que la RFY n’avait pas le locus standi voulu pour ester devant
elle, sauf à être déjà liée par une décision contraire revêtant l’autorité de

la chose jugée qu’elle aurait formulée dans un arrêt antérieur en l’affaire,
comme dans le cas de l’arrêt de 2007. Nulle conclusion n’a ainsi force de
chose jugée dans la présente affaire. Voilà la différence cruciale entre
l’arrêt de 2007 en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro et

celle qui nous occupe ici, Croatie c. Serbie.
7. Suivant ce raisonnement, toutefois, la Cour devait répondre à deux
questions supplémentaires avant d’aboutir à sa conclusion finale. La pre-
mière est celle de savoir si l’admission de la RFY à l’Organisation des
Nations Unies à un stade ultérieur, en novembre 2000 — qui, à compter

de cette date, fit d’elle ipso facto un Etat partie au Statut de la Cour en
vertu du paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies —,
a modifié le statut juridique de cet Etat en l’espèce, en ce qui concerne son
locus standi, dans le cadre du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut. La

seconde question est celle de savoir si le fait que la RFY/Serbie este en
qualité de défendeur en l’espèce, alors qu’elle était le demandeur dans les
affaires de l’OTAN jugées en 2004, doit faire du point de vue juridique
une différence justifiant qu’une distinction soit faite entre la présente ins-

tance et les affaires de l’OTAN.

II. L’APPLICABILITÉ DU PRINCIPE M AVROMMATIS

8. Sur le premier point, la Cour estime dans le présent arrêt que cette
admission ultérieure de la RFY à l’Organisation des Nations Unies cons-
titue effectivement un facteur juridiquement pertinent à prendre en consi-
dération, ce dont elle conclut que, selon le principe énoncé par la Cour

permanente de Justice internationale en l’affaire des Concessions Mavrom-
matis en Palestine (arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2) (dénommée
ci-après l’affaire «Mavrommatis»), la condition posée au paragraphe 1
de l’article 35 au sujet de la capacité du défendeur d’ester devant elle doit
désormais être considérée comme remplie.

91500 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP .OWADA )

In the present case, the basic thrust of the Applicant’s argument is
that

“[t]he Mavrommatis principle is the principle that provided that
when four substantial elements [one: seisin; two: basis of claim;
three: consent to jurisdiction; four: access to the Court] are united

at any given time, the order in which this occurred is a pure matter
of form and does not affect [the Court’s] jurisdiction” (CR 2008/11,
p. 34, para. 8).

Against this, Serbia responds by pointing out that “the conclusion sug-
gested by the Applicant is based on the assumption that the Court was
validly seised [but that] this assumption simply does not exist in our case”

(CR 2008/12, p. 19, para. 34). More substantively, however, it argues that
not every procedural shortcoming can be disregarded in the light of later
developments. The Respondent claims, as summarized in the present
Judgment, that

“the jurisprudence [of the Mavrommatis case] cannot be applied
where the unmet condition concerns the capacity of a party to par-

ticipate in proceedings before the Court, in accordance with Arti-
cles 34 and 35 of the Statute, that is to say concerns a ‘fundamental
question’ which, as the Court stated in 2004, must be examined
before any other issue of jurisdiction” (Judgment, para. 84).

The present Judgment, in answer to the argument advanced by the
Respondent, states as follows:

“the question of access is clearly distinct from those relating to the
examination of jurisdiction in the narrow sense. But it is nevertheless

closely related to jurisdiction, inasmuch as the consequence is exactly
the same whether it is the conditions of access or the conditions of
jurisdiction ratione materiae or ratione temporis which are unmet:
the Court lacks jurisdiction to entertain the case. It is always within

the context of an objection to jurisdiction, as in the present case, that
arguments will be raised before the Court regarding the parties’
capacity to participate in the proceedings.” (Ibid., para. 87.)

9. With regard to this argument of the Judgment, two points have to
be raised. The first point is that the Judgment mixes two fundamentally

different issues, both relating to the Court’s function relating to its “exer-
cise of jurisdiction”. One is the issue of whether the Court, as a court of
law given a specific mandate to exercise its competence to entertain cases,
is competent to entertain the case in question within the mandate given to
it by its constitutional instrument, i.e., the Statute of the Court. This is

the essence of the question of locus standi of parties. This question is

92 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 500

Dans la présente affaire, l’argument du demandeur repose en substance
sur l’idée que

«[l]e principe Mavrommatis est le principe selon lequel ces quatre
éléments de fond [premièrement: saisine; deuxièmement: existence
d’un fondement juridique à la demande; troisièmement: consente-

ment à la juridiction; quatrièmement: accès à la Cour] doivent être
réunis à un moment donné, l’ordre dans lequel cela se produit étant
une pure question de forme et n’ayant aucune incidence sur la com-
pétence de la Cour» (CR 2008/11, p. 34, par. 8).

A cela, la Serbie répond que «la conclusion avancée par le demandeur est
fondée sur l’hypothèse que la Cour a été valablement saisie [mais c]ette
hypothèse n’existe tout simplement pas dans la présente instance» (CR

2008/12, p. 19, par. 34). Plus fondamentalement, toutefois, elle soutient
que les défauts procéduraux ne peuvent pas tous être, à la lumière d’évé-
nements ultérieurs, considérés comme sans conséquence. Le défendeur
affirme, ainsi qu’exposé de manière synthétique dans le présent arrêt, que

«cette jurisprudence [issue de l’affaire Mavrommatis] ne serait pas
applicable dans le cas où la condition qui fait défaut est relative à la

capacité d’une partie à participer à une procédure devant la Cour,
conformément aux articles 34 et 35 du Statut, c’est-à-dire à une
«question fondamentale» qui, comme l’a dit la Cour en 2004, doit
être examinée avant toute autre question de compétence» (arrêt,
par. 84).

Voici ce que la Cour répond dans le présent arrêt à cet argument du
défendeur:

«Sans doute ... la question de l’accès se distingue-t-elle de celles
relatives à l’examen de la compétence au sens étroit. Mais elle n’en

est pas moins étroitement liée à la compétence, en ce sens que, si les
conditions d’accès font défaut, tout comme lorsque ne sont pas rem-
plies les conditions relatives à la compétence ratione materiae ou
ratione temporis, il en découle toujours une seule et même consé-

quence: la Cour n’a pas compétence pour connaître de l’affaire.
C’est toujours dans le cadre d’une exception d’incompétence
— comme c’est le cas en l’espèce — que seront présentés à la Cour
les arguments relatifs à la capacité des parties de participer à la pro-
cédure.» (Ibid., par. 87.)

9. S’agissant de cet argument exprimé dans l’arrêt, deux points sont à
relever. Premièrement, l’arrêt mêle deux questions foncièrement diffé-

rentes, toutes deux liées à la fonction de la Cour concernant «l’exercice de
sa compétence». L’une est celle de savoir si, en tant que cour de justice
investie d’un mandat spécifique pour exercer sa compétence afin de
connaître d’affaires, la Cour est compétente pour examiner l’affaire en
question dans le cadre du mandat qu’elle tient de son instrument consti-

tutif, c’est-à-dire de son Statut. Telle est l’essence de la question du locus

92501 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

legally separate from, and logically preceding, the second question of
whether in a given situation the parties have given the Court the jurisdic-
tional basis to entertain the case — a question of jurisdiction properly

so-called which in the case of international jurisdiction, in contrast to
municipal jurisdiction, is primarily determined by the will of the parties
in a particular case to grant such competence to the Court. The first
issue, which is independent of the parties, has nothing to do with the sec-
ond issue relating to the existence and the scope of jurisdiction, which is

dependent on the will of the parties. Therefore the thesis advanced by the
Applicant that all these different elements that constitute jurisdiction of
the Court are of the same legal character and that “the order in which
this occurred is a pure matter of form and does not affect [the Court’s]
jurisdiction” does not hold (CR 2008/11, p. 34, para. 8).

10. It may be true that in the Mavrommatis case, the Court did not
make this fundamental distinction sufficiently clear. It should be pointed
out, however, that in that case the Court was clearly operating in an area

where only the elements relating to the second issue were in issue. Thus
the pertinent part of the Mavrommatis Judgment states:

“[I]t must . . . be considered . . . whether the validity of the institu-
tion of proceedings can be disputed on the ground that the applica-
tion was filed before Protocol XII had become applicable. This is not
the case. Even assuming that before that time the Court had no

jurisdiction because the international obligation referred to in Arti-
cle II was not yet effective, it would always have been possible for
the applicant to re-submit his application in the same terms after the
coming into force of the Treaty of Lausanne, and in that case, the
argument in question could not have been advanced. Even if the

grounds on which the institution of proceedings was based were
defective for the reason stated, this would not be an adequate reason
for the dismissal of the applicant’s suit. The Court, whose jurisdic-
tion is international, is not bound to attach to matters of form the

same degree of importance which they might possess in municipal
law. Even, therefore, if the application were premature because the
Treaty of Lausanne had not yet been ratified, this circumstance
would now be covered by the subsequent deposit of the necessary
ratifications.” (Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2,

1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 , p. 34.)
11. The oft-quoted dictum of the Mavrommatis case that “[t]he Court,

whose jurisdiction is international, is not bound to attach to matters of
form the same degree of importance which they might possess in munici-
pal law” and that therefore, “[e]ven . . . if the application were premature
because the Treaty of Lausanne had not yet been ratified, this circum-
stance would now be covered by the subsequent deposit of the necessary

ratifications” has almost acquired a life of its own, going beyond its lim-

93 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 501

standi des parties. Cette question est distincte en droit et précède logique-
ment la seconde, qui est celle de savoir si, dans telle ou telle situation, les
parties ont donné à la Cour la base juridictionnelle nécessaire pour

connaître de l’affaire — une question de compétence à proprement parler
qui, à l’échelle internationale (par opposition à l’échelle interne), tient
principalement à la volonté des parties d’accorder pareille compétence à
la Cour dans une affaire donnée. Indépendante des parties, la première
question n’a rien à voir avec la seconde, relative à l’existence et à la por-

tée de la compétence, qui est fonction de leur volonté. Partant, la thèse du
demandeur tendant à assimiler en droit l’ensemble de ces différents
éléments constitutifs de la compétence de la Cour, «l’ordre dans lequel
[ils ont été réunis] étant une pure question de forme et n’ayant aucune
incidence sur la compétence de la Cour», ne tient pas (CR 2008/11,

p. 34, par. 8).
10. Certes, dans l’affaire Mavrommatis, la Cour n’a peut-être pas éta-
bli cette distinction de manière suffisamment claire. Il convient cependant
de rappeler que, dans cette affaire-là, la Cour permanente se trouvait

manifestement dans une situation limitée à la seconde question. Ainsi,
dans la partie pertinente de l’arrêt Mavrommatis, indiqua-t-elle ce qui
suit:

«il faut ... examiner ... si la validité de l’introduction d’instance peut
être mise en doute parce qu’elle est antérieure à l’époque où le Pro-
tocole XII est devenu applicable. Tel n’est pas le cas. Même si, avant
cette époque, la juridiction de la Cour n’existait pas pour la raison

que l’obligation internationale visée à l’article II n’était pas encore
en vigueur, il aurait été toujours possible, pour la partie demande-
resse, de présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes termes,
après l’entrée en vigueur du Traité de Lausanne; et alors on n’aurait
pu lui opposer le fait en question. Même si la base de l’introduction

d’instance était défectueuse pour la raison mentionnée, ce ne serait
pas une raison suffisante pour débouter le demandeur de sa requête.
La Cour, exerçant une compétence internationale, n’est pas tenue
d’attacher à des considérations de forme la même importance qu’elles

pourraient avoir dans le droit interne. Dans ces conditions, même si
l’introduction avait été prématurée, parce que le Traité de Lausanne
n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le dépôt ulté-
rieur des ratifications requises.» (Concessions Mavrommatis en Pales-
tine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 34.)

11. Le dictum souvent cité de l’affaire Mavrommatis — à savoir que

«[l]a Cour, exerçant une compétence internationale, n’est pas tenue d’atta-
cher à des considérations de forme la même importance qu’elles pour-
raient avoir dans le droit interne» et que, dans ces conditions, «même si
l’introduction avait été prématurée, parce que le Traité de Lausanne
n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le dépôt ultérieur

des ratifications requises» — a presque acquis une existence propre,

93502 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

ited sphere of application and has come to be understood too often as a
principle of generalized application. A perusal of the Mavrommatis Judg-
ment and its related documents would reveal, however, that the state-
ment was made in the much more specific context of that case, relating to

the very narrow issue of the jurisdictional nexus between the instrument
in dispute (Protocol XII of the Treaty of Lausanne) and the comprom-
issory clause that was invoked by the Applicant as the basis of jurisdic-
tion (Article 26 of the Mandate).
12. The dispute between the Applicant (Greece as the State of nation-

ality of Mr. Mavrommatis, a concessionaire in Palestine) and Respond-
ent (the United Kingdom, the Mandatory Power for Palestine under the
League of Nations) hinged upon the implementation of Article 11 of the
Mandate in question, which in turn was linked to the interpretation of
certain provisions of Protocol XII of the Treaty of Lausanne that dealt

with the issue of concessions that had been granted by the Ottoman
Empire. In the Judgment the Court made its position clear that “Proto-
col XII was drawn up in order to fix the conditions governing the recog-
nition and treatment by the contracting Parties of certain concessions
granted by the Ottoman authorities before the conclusion of the Proto-

col” and accepted that “the Protocol guarantees the rights recognised in
it against any violation regardless of the date at which it may have taken
place” (Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924,
P.C.I.J., Series A, No. 2 , p. 34).
13. It is true that at the stage of the written pleadings, the Respondent

in the case did refer to the Protocol in the following carefully guarded
language:

“The Concessions Protocol [i.e., Protocol XII] cannot technically
come into operation in Palestine until the Treaty of Peace with Tur-
key comes into force, i.e., until the moment of the first deposit of the
ratifications of that instrument.
His Britannic Majesty’s Government have endeavoured and will

continue to endeavour to conform themselves strictly to the obliga-
tions which they undertake in this Protocol, but they respectfully
submit that until the instrument has come into operation in Palestine
it would be premature for an international tribunal to entertain com-
plaints as to its infringement or as to its meaning and effect. His
Majesty’s Government, therefore, reserve all their rights as regards

the extent to which Mr. Mavrommatis and his concessions are enti-
tled to benefit by its provisions.” (Acts and Documents Relating to
Judgments and Advisory Opinions Given by the Court, P.C.I.J.,
Series C, No. 5-I, Documents Relating to Judgment No. 2, The
Mavrommatis Palestine Concessions, Preliminary Objection

to the Jurisdiction of the Court and Preliminary Counter-
Case Filed by the British Government , pp. 446-447; emphasis
added.)

However, at the stage of the oral pleadings in the public sitting held on

94 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 502

allant au-delà de son champ d’application limité, et passe trop fréquem-
ment pour un principe d’application généralisée. Une lecture attentive de

l’arrêt Mavrommatis et des documents y relatifs tend cependant à révéler
que cette déclaration a été formulée dans le contexte infiniment plus pré-
cis de cette affaire-là, qui portait sur la question bien circonscrite du lien
juridictionnel entre l’instrument en cause (le protocole XII du traité de
Lausanne) et la clause compromissoire invoquée par le demandeur pour

fonder la compétence (art. 26 du mandat).
12. Le différend qui opposait le demandeur (la Grèce, en tant qu’Etat
de la nationalité de M. Mavrommatis, un concessionnaire en Palestine) et
le défendeur (le Royaume-Uni, puissance mandataire chargée d’adminis-

trer la Palestine par la Société des Nations) tenait à la mise en Œuvre de
l’article 11 du mandat en question, imposant du même coup d’interpréter
certaines dispositions du protocole XII du traité de Lausanne régissant la
question des concessions accordées par l’Empire ottoman. Dans son
arrêt, la Cour exprima clairement sa position, à savoir que «[l]e Proto-

cole XII a[vait] été établi afin de fixer les conditions dans lesquelles cer-
taines concessions accordées par les autorités ottomanes avant la conclu-
sion du Protocole de[v]aient être reconnues et traitées par les Parties
contractantes», et constata que «le Protocole garanti[ssai]t les droits

reconnus par lui contre toute violation indépendamment du moment où o
elle aurait lieu» (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2,
1924, C.P.J.I. série A n° 2 , p. 34).
13. Il est vrai que, au stade de la procédure écrite, le défendeur en
l’affaire s’était effectivement référé au protocole en pesant soigneusement

ses termes, comme ceci:

«Techniquement parlant, le protocole relatif aux concessions [soit
le protocole XII] ne saurait prendre effet en Palestine avant l’entrée
en vigueur du traité de paix avec la Turquie, c’est-à-dire avant le pre-
mier dépôt de ratifications de cet instrument.
Le gouvernement de Sa Majesté britannique a tâché de se confor-

mer strictement aux obligations contractées par lui dans le cadre de
ce protocole, et il continuera de s’y efforcer, mais il déclare respec-
tueusement que, tant que l’instrument n’aura pas pris effet en Pales-
tine, il serait prématuré de la part d’une juridiction internationale

d’examiner des griefs portant sur un manquement à ses dispositions
ou sur le sens et l’effet de celles-ci . Le gouvernement de Sa Majesté
réserve donc l’ensemble de ses droits quant à la mesure dans laquelle
M. Mavrommatis et ses concessions peuvent bénéficier des disposi-
tions de cet instrument.» (Actes et documents relatifs aux arrêts et
o
aux avis consultatifs de la Cour, C.P.J.I. série C n 5-1, Concessions
Mavrommatis en Palestine, Documents relatifs à l’arrêt n° 2, excep-
tion préliminaire à la compétence de la Cour et contre-mémoire pré-
liminaire déposé par le Gouvernement britannique , p. 446-447; les

italiques sont de moi.)
Au stade de la procédure orale, toutefois, à l’audience publique tenue le

94503 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP .OWADA )

15 July 1924 — a date which was still before the entry into force of the
Protocol XII in question — the Respondent did not raise this point that
the Protocol was not in operation when developing the argument that the

Court had no jurisdiction. It merely stated that “there is nothing in the
Concessions Protocol [XII] . . . which provides any tribunal which is to
decide questions arising under it” (P.C.I.J., Series C, No. 5-I , p. 77). In
fact, the agent for the Respondent even went further and stated that

“The dispute about which I have been addressing you this morn-
ing is, in my opinion, and I trust also in that of the Tribunal, not a
dispute relating to the Mandate, but one relating solely to the Con-

cessions Protocol which is attached to the Treaty of Lausanne. That
is a matter upon which, if there had arisen any genuine difference of
opinion between the Greek and the British Governments and if the
Greek Government has come to the British Government and said:
Will you agree to refer it to arbitration; will you agree to refer to the

Permanent Court of International Justice this dispute between us as
to the meaning of that contractual engagement by which we are both
bound, the answer of the British Government would have been Yes.
Both Governments are bound by the Protocol and both have set

their hand to the provision that figures in Article 13 of the Covenant
of the League.” (Ibid., p. 42.)

This shows not only that the issue of whether the Application had been
premature because of the unratified status of the Protocol was not
insisted upon by the Respondent but also that this issue was regarded by
the Respondent as irrelevant to its argument as the basis of its prelimi-
nary objection.

14. It is not quite clear why the Mavrommatis Judgment made its oft-
quoted dictum in this situation despite its mootness to the case. What is
clear, nevertheless, is that the Mavrommatis case cannot constitute an
authority for holding, as the present Judgment declares, that “it is of no
importance which condition was unmet at the date the proceedings were

instituted, and thereby prevented the Court at that time from exercising
its jurisdiction, once it has been fulfilled subsequently” (Judgment,
para. 87). It may be conceded, as the Judgment states, that the issue of
capacity of the Parties’ access to the Court is “closely related to jurisdic-

tion” (ibid.) in a general sense that the former is the prerequisite
to the latter and thus linked thereto, but this fact cannot alter the legal
situation that it is a question which is essentially distinct in its legal
nature from jurisdiction. The issue of jurisdiction concerns whether
and at what point the legal nexus between the parties on the basis of

consent given comes into operation. By contrast, the issue of capacity
has nothing to do with the legal nexus between the parties. As the
review of jurisprudence in the following section will show, cases
where the Mavrommatis precedent was invoked concerned only the
issue of consent to jurisdiction, an area that has rightfully been

allowed a certain level of flexibility for the basic reason that it is always

95 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 503

15 juillet 1924 — soit toujours avant l’entrée en vigueur du protocole XII
en question —, le défendeur s’abstint de faire valoir une nouvelle fois que
le protocole n’était pas en vigueur lorsqu’il plaida contre la compétence

de la Cour. Il se borna à déclarer que «le protocole relatif aux conces-
sions [le protocole XII] n’indiqu[ait] nullement quelle juridiction [était]
censée régler les questions découlant de ses dispositions» (C.P.J.I. série C
n° 5-1, p. 77). En fait, l’agent du défendeur alla même jusqu’à dire:

«[d]e mon point de vue, que la Cour partagera certainement, le dif-
férend dont je vous parlais ce matin ne porte pas sur le mandat mais
uniquement sur le protocole relatif aux concessions qui est joint au

traité de Lausanne. Si une véritable divergence de vues était apparue
à cet égard entre les Gouvernements grec et britannique, et si le pre-
mier avait demandé au second: acceptez-vous de vous en remettre à
l’arbitrage, acceptez-vous de soumettre à la Cour permanente de
Justice internationale ce différend qui nous oppose au sujet du sens

de l’engagement contractuel qui nous lie l’un et l’autre? Le Gouver-
nement britannique aurait répondu par l’affirmative. Les deux gou-
vernements sont liés par le protocole, et tous deux ont adhéré à la
disposition qui figure à l’article 13 du Pacte de la Société des

Nations.» (Ibid., p. 42.)

Cela montre non seulement que le défendeur n’avait pas insisté sur la
question de savoir si la requête revêtait un caractère prématuré puisque le
protocole n’était pas encore ratifié, mais qu’il ne l’avait pas non plus
jugée pertinente pour fonder son exception préliminaire dans le cadre de
son argumentation.

14. Il n’est guère aisé de saisir pourquoi, dans son arrêt Mavrommatis,
la Cour formula dans ce contexte-là son fameux dictum qui était pourtant
dénué de pertinence en l’affaire. Ce qui est clair, cependant, c’est que
l’affaire Mavrommatis ne constitue pas un précédent permettant d’affir-
mer, comme il est dit dans le présent arrêt, que «peu importe la condition

qui, à la date d’introduction de l’instance, faisait défaut, empêchant ainsi
la Cour, à ce moment-là, d’exercer sa compétence, dès lors qu’elle a été
remplie par la suite» (arrêt, par. 87). S’il peut certes être concédé que la
capacité des parties d’ester devant la Cour est, pour citer l’arrêt, «étroi-

tement liée à la compétence» (ibid.) en ce sens que, d’une manière géné-
rale, elle en est une condition préalable, d’où le lien entre les deux, cela ne
change toutefois rien au fait que, du point de vue juridique, il s’agit là
d’une question foncièrement distincte par nature de celle de la compé-
tence. La question de la compétence consiste à se demander si et à quel

stade le lien entre les parties, qui est basé sur le consentement exprimé,
prend effet. Celle de la capacité n’a en revanche rien à voir avec le lien
juridique entre les parties. Ainsi qu’il ressortira de l’analyse de la juris-
prudence exposée dans la section suivante, les affaires dans lesquelles
le précédent Mavrommatis a été invoqué avaient uniquement trait à la

question du consentement à la compétence, un domaine dans le cadre

95504 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. OWADA )

consent which can create the basis of competence of the Court in inter-

national jurisdiction. None of these cases concerned the issue of capacity or
access, which is a fundamental question of legal status beyond the
consent of the parties.

III. EXAMINATION OF P AST P RECEDENTS

15. As I made clear earlier, it is my view that what is more fundamen-

tal about this so-called “Mavrommatis principle” is the scope of its appli-
cation. In light of the avowed rationale of the principle that certain pro-
cedural defects in the jurisdictional consent of the parties present at the

time of application can be cured by subsequent actions after the institu-
tion of the proceedings, the principle cannot extend to the issue of
locus standi of the parties, an issue which is legally distinct from and logi-

cally precedent to jurisdictional consent. It is useful in this respect to
examine all the cases following the Mavrommatis case — in any event the
Mavrommatis case does not have much relevance to the so-called “Mav-

rommatis principle”, as demonstrated above — in which the principle has
been referred to, either eo nomine or by implication, by one or other of
the parties. There have been altogether eight cases, including the
1
Mavrommatis case, in the past . It should be pointed out that in all
these cases, the point at issue was whether the jurisdictional basis
for the Court’s exercise of jurisdiction that was not complete at the

time of the filing of the Application could be cured through subsequent
developments.

(1) The case concerning Certain German Interests in Polish Upper
Silesia (Germany v. Poland), Jurisdiction

16. In this case the Respondent raised an objection to the Court’s
jurisdiction based on the compromissory clause in the bilateral treaty
between the Applicant and the Respondent — Article 23 of the Conven-

1These other seven cases are: Certain German Interests in Polish Upper Silesia (Ger-
many v. Poland), Jurisdiction, Judgment No. 6, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 6; Northern
Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1963; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgium v.
Spain), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1964; Military and Paramili-
tary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Juris-
diction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984; Application of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegv.ina
Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II)ˇíkovo-
Nagymaros Project (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J. Reports 1997; Armed Activi-

ties on the Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic Republic of the
Congo v. Rwanda), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2006.

96 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .DISS. OWADA ) 504

duquel il a été fait montre d’une certaine souplesse, ce à juste titre puisque,
au fond, le consentement est toujours à la source de la compétence

de la Cour sur la scène internationale. Aucune de ces affaires ne faisait
intervenir la question de la capacité ou de l’accès, une question fonda-
mentale de statut juridique qui est étrangère au consentement des

parties.

III. E XAMEN DES PRÉCÉDENTS

15. Comme je l’ai déjà indiqué clairement, l’élément qui me semble le
plus fondamental dans ce principe Mavrommatis tient à son champ

d’application. Etant donné la raison d’être reconnue à ce principe — selon
lequel certains défauts procéduraux entachant le consentement des parties
à la compétence au moment du dépôt de la requête peuvent être corrigés

par des actes postérieurs à l’introduction de l’instance —, celui-ci ne peut
s’étendre à la question du locus standi des parties, une question qui est
juridiquement distincte du consentement à la compétence et qui la pré-

cède du point de vue logique. Il est utile à cet égard d’examiner l’ensemble
des instances qui s’inscrivent dans le sillage de l’affaire Mavrommatis
— celle-ci n’ayant en tout état de cause guère de lien avec le principe du
même nom, ainsi qu’exposé plus haut — dans le cadre desquelles ce prin-

cipe a été invoqué, soit eo nomine, soit implicitement, par l’une ou par
l’autre des parties. Je recense huit de ces instances passées en tout, dont
l’affaire Mavrommatis elle-même . Il convient de relever que, dans toutes

ces affaires, il s’agissait de savoir si certains événements ultérieurs pou-
vaient remédier au fait que, à la date du dépôt de la requête, le fondement
juridictionnel nécessaire à l’exercice de la compétence de la Cour était

incomplet.

1) L’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie

polonaise (Allemagne c. Pologne), compétence

16. Dans cette affaire, le défendeur opposa à la compétence de la Cour
une exception fondée sur la clause compromissoire figurant dans le traité

bilatéral qu’il avait conclu avec le demandeur — à l’article 23 de la

1 Les sept autres sont: Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (Alle-
magne c. Pologne), compétence, arrêt n6, 1925, C.P.J.I. série A n° 6; Cameroun sep-
tentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil
1963; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne),
exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1964; Activités militaires et paramilitaires

au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984; Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II); Projeˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997; Activités armées sur le territoire du Congo (nou-
velle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006.

96505 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION DISS. OP. OWADA )

tion of Geneva — contending that one of the conditions for the exercise
of jurisdiction by the Court, i.e., “differences of opinion respecting the
construction and application of Articles 6 to 22” had not been fulfilled

(Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment
No. 6, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 6 , p. 13). The Court rejected this
contention on the ground that “[n]ow a difference of opinion does exist
as soon as one of the Governments concerned points out that the attitude
adopted by the other conflicts with its own views” (ibid., p. 14). Then,

and only then, it went on to say:

“Even if, under Article 23, the existence of a definite dispute were
necessary, this condition could at any time be fulfilled by means
of unilateral action on the part of the applicant Party. And the
Court cannot allow itself to be hampered by a mere defect of

form, the removal of which depends solely on the Party concerned.”
(Ibid.)

(2) The case concerning Northern Cameroons
(Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections

17. In this case the Respondent raised a preliminary objection to the
jurisdiction of the Court based, inter alia, on Article 32, paragraph 2, of

the then Rules of Court which provides that when a case is brought
before it by means of an application, the application must not only indi-
cate the subject of the dispute, but it must also as far as possible specify
the provisions on which the applicant founds the jurisdiction of the
Court, and state the precise nature of the claim and the grounds on which

it is based.

The Court, while pronouncing its agreement with the view expressed
by the Permanent Court of International Justice in the Mavrommatis

case that “‘[t]he Court, whose jurisdiction is international, is not bound
to attach to matters of form the same degree of importance which they
might possess in municipal law’”, pointed out that “Article 32 (2) of the
Rules of Court requires the Applicant ‘as far as possible’ to do certain
things” and on that basis came to the conclusion that:

“In the view of the Court the Applicant has sufficiently complied

with the provisions of Article 32 (2) of the Rules and the preliminary
objection based upon non-compliance therewith is accordingly
without substance.” (Northern Cameroons (Cameroon v. United
Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963 ,

p. 28.)
Thus the question of applicability of the principle to this case did not

arise.

97 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 505

convention de Genève —, soutenant qu’il n’avait pas été satisfait à l’une
des conditions nécessaires pour que la Cour pût exercer sa compétence, à
savoir l’existence de «divergences d’opinions ... résultant de l’interpréta-

tion et de l’application des articles 6 à 22» (oertains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6, 1925, C.P.J.I. série A
n° 6, p. 13). La Cour rejeta cet argument au motif qu’«une diver-
gence d’opinions se manifeste dès qu’un des gouvernements en cause
constate que l’attitude observée par l’autre est contraire à la manière

de voir du premier» (ibid., p. 14). Alors, et seulement alors, elle
ajouta:

«Même si la nécessité d’une contestation formelle ressortait de
l’article 23, cette condition pourrait être à tout moment remplie par
un acte unilatéral de la Partie demanderesse. La Cour ne pourrait
s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de la seule Partie inté-

ressée de faire disparaître.» (Ibid.)

2) L’affaire du Cameroun septentrional
(Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires

17. Dans cette affaire, le défendeur souleva une exception préliminaire
à la compétence de la Cour sur la base, notamment, du paragraphe 2 de

l’article 32 du Règlement de l’époque, qui prévoyait que, lorsqu’une
affaire était portée devant la Cour par voie de requête, celle-ci devait non
seulement indiquer l’objet du différend, mais aussi contenir, autant que
possible, la mention de la disposition par laquelle le requérant prétendait
établir la compétence de la Cour, l’indication précise de l’objet de la

demande ainsi qu’un exposé des motifs par lesquels la demande était pré-
tendue justifiée.
La Cour, non sans exprimer son adhésion avec le point de vue formulé
par la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire Mavrom-

matis — à savoir que, «exerçant une compétence internationale, [elle]
n’est pas tenue d’attacher à des considérations de forme la même impor-
tance qu’elles pourraient avoir dans le droit interne» —, fit tout de même
observer que «l’article 32, paragraphe 2, d[e son] Règlement ... impos[ait]
au demandeur de se conformer «autant que possible» à certaines pres-

criptions», ce dont elle conclut que:
«la requête du demandeur [était] suffisamment conforme aux dis-

positions de l’article 32, paragraphe 2, du Règlement et que
l’exception préliminaire fondée sur leur inobservation [était] par
suite sans fondement» (Cameroun septentrional (Cameroun c.
Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt , C.I.J. Recueil 1963,

p. 28).
Ainsi la question de l’applicabilité du principe Mavrommatis à cette

affaire ne s’était-elle pas posée.

97506 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP .OWADA )

(3) The case concerning Military and Paramilitary Activities in and
against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America),
Jurisdiction and Admissibility

18. In this case, the Applicant relied in its Application on the declara-

tions of the parties accepting the compulsory jurisdiction of the Court in
order to found jurisdiction, but in its Memorial it invoked also the 1956
Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between Nicaragua and
the United States as a complementary basis for the Court’s jurisdiction.
The Respondent objected to this invocation of a jurisdictional basis not

specified in the Application instituting proceedings and argued that in
proceedings initiated by means of an application, the jurisdiction of the
Court was founded upon the legal grounds specified in that application.
The Court, accepting that there was a dispute between the Parties,
inter alia, as to the “interpretation or application” of the Treaty, held on

this point that
“it does not necessarily follow that, because a State has not expressly

referred in negotiations with another State to a particular treaty as
having been violated by conduct of that other State, it is debarred
from invoking a compromissory clause in that treaty” (Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judg-

ment, I.C.J. Reports 1984 , p. 428, para. 83).
It is true that the Court in this context quoted a passage from the Cer-

tain German Interests in Polish Upper Silesia case which read that “the
Court cannot allow itself to be hampered by a mere defect of form, the
removal of which depends solely on the party concerned” (ibid., p. 429,
para. 83). However, it is clear from what is quoted above that the Court
in this case did not accept that there had been a “defect of form” in the

Application of the Applicant. Moreover, it should be reiterated that the
issue in this case, like the others, concerns the issue of jurisdictional con-
sent of the parties, not an objective question of access to the Court for
which the parties’ consent is irrelevant.

(4) The case concerning Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia
and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections

19. As distinct from other cases, this case merits our careful examina-
tion, since the issue raised in this case could have touched upon the same
issue as is raised in the present case. In this case, the Respondent argued,

inter alia, that the Genocide Convention, which was invoked as the basis
of jurisdiction, could not have been in force between the Parties, at the
time of the filing of the Application by the Applicant in March 1993,
because the two States did not at that time recognize one another and
the conditions necessary to found the basis of the Court’s jurisdiction

were therefore lacking. On this objection of the Respondent to the juris-

98 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 506

3) L’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité

18. Dans sa requête en l’affaire, le demandeur invoquait pour fonder

la compétence les déclarations par lesquelles les Parties avaient accepté la
juridiction obligatoire de la Cour mais, dans son mémoire, il fit égale-
ment valoir à titre complémentaire le traité d’amitié, de commerce et de
navigation qu’il avait conclu en 1956 avec les Etats-Unis. Le défendeur
contesta ce recours à une base de compétence non indiquée dans la

requête introductive d’instance, soutenant que, dans le cadre d’une ins-
tance introduite par requête, ce sont les motifs juridiques exposés dans
celle-ci qui fondent la compétence de la Cour.
Reconnaissant qu’il existait entre les Parties un différend portant,
notamment, sur «l’interprétation ou l’application» du traité, la Cour sta-

tua sur ce point que,
«parce qu’un Etat ne s’[était] pas expressément référé, dans des

négociations avec un autre Etat, à un traité particulier qui a[v]ait été
violé par la conduite de celui-ci, il n’en découl[ait] pas nécessaire-
ment que le premier n[’était] pas admis à invoquer la clause compro-
missoire dudit traité» (Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),

compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 , p. 428, par. 83).
Il est vrai que, dans ce contexte-là, la Cour avait cité un passage de

l’arrêt rendu en l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-
Silésie polonaise, selon lequel «[elle] ne pou[v]ait s’arrêter à un défaut de
forme qu’il dépend[a]it de la seule Partie intéressée de faire disparaître»
(ibid., p. 429, par. 83). Toutefois, il ressort clairement de l’extrait cité ci-
dessus que la Cour n’avait reconnu dans cette affaire l’existence d’aucun

«défaut de forme» dans la requête du demandeur. En outre, il convient
de répéter que dans cette affaire, comme dans les autres, il était question
du consentement des parties à la compétence et non d’une question objec-
tive d’accès à la Cour sans rapport avec le consentement des parties.

4) L’affaire relative à l’ Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires

19. Contrairement aux autres affaires, celle-ci mérite davantage
d’attention car elle pouvait toucher à la question précise qui nous inté-
resse dans la présente affaire. Dans le cadre de cette instance, le défen-

deur avançait entre autres arguments que la convention sur le génocide,
qui était invoquée comme base de compétence, ne pouvait pas être en
vigueur entre les Parties au moment où le demandeur avait déposé sa
requête, en mars 1993, parce que les deux Etats ne se reconnaissaient
alors pas l’un l’autre et que les conditions nécessaires pour fonder la com-

pétence de la Cour n’étaient donc pas réunies. Répondant à cette excep-

98507 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

diction of the Court under the Genocide Convention, the Court pointed
out that

“this situation no longer obtains since the signature, and the entry
into force on 14 December 1995, of the Dayton-Paris Agreement,
Article X of which stipulates that [the FRY and the Republic of Bos-
nia and Herzegovina recognize each other as sovereign independent

States]” (Application of the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugo-
slavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) ,
p. 613, para. 25).

The Court in this passage went on to elaborate the point as follows:

“For the purposes of determining its jurisdiction in this case, the
Court has no need to settle the question of what the effects of a situ-
ation of non-recognition may be on the contractual ties between
parties to a multilateral treaty. It need only note that, even if it were

to be assumed that the Genocide Convention did not enter into force
between the Parties until the signature of the Dayton-Paris Agree-
ment, all the conditions are now fulfilled to found the jurisdiction of
the Court ratione personae.
It is the case that the jurisdiction of the Court must normally be

assessed on the date of the filing of the act instituting proceedings.
However, the Court, like its predecessor, the Permanent Court of
International Justice, has always had recourse to the principle accord-
ing to which it should not penalize a defect in a procedural act which
the applicant could easily remedy.” (Ibid., p. 613, para. 26.)

As authority for this statement the Court quoted from theMavrommatis

case the passage quoted above (see above at paragraph 10) and from the
Certain German Interests in Polish Upper Silesia case the passage quoted
above (see above at paragraph 16), and went on to state as follows:

“The present Court applied this principle in the case concerning
the Northern Cameroons (I.C.J. Reports 1963, p. 28), as well as
Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nica-
ragua v. United States of America) when it stated: ‘It would make

no sense to require Nicaragua now to institute fresh proceedings
based on the Treaty, which it would be fully entitled to do.’ (I.C.J.
Reports 1984, pp. 428-429, para. 83.)

In the present case, even if it were established that the Parties,

each of which was bound by the Convention when the Application
was filed, had only been bound as between themselves with effect
from 14 December 1995, the Court could not set aside its jurisdic-
tion on this basis, inasmuch as Bosnia and Herzegovina might at any
time file a new application, identical to the present one, which would

be unassailable in this respect.

99 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 507

tion du défendeur à sa compétence en vertu de la convention sur le géno-
cide, la Cour souligna que

«[t]elle n’[était] cependant plus la situation qui préva[lai]t depuis la
signature et l’entrée en vigueur, le 14 décembre 1995, des accords de
Dayton-Paris, dont l’article X stipul[ait que la RFY et la République
de Bosnie-Herzégovine se reconnaissaient l’une l’autre en tant

qu’Etats souverains indépendants]» (Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 613, par. 25).

La Cour explicita ensuite ce point dans les termes suivants:

«Aux fins de se prononcer sur sa compétence en l’espèce, la Cour
n’a pas à trancher la question de savoir quels peuvent être les effets
d’une situation de non-reconnaissance sur les liens contractuels entre
parties à un traité multilatéral. Il lui suffira de constater qu’à suppo-

ser même que la convention sur le génocide ne soit entrée en vigueur
entre les Parties qu’à la signature des accords de Dayton-Paris,
toutes les conditions sont à présent réunies pour fonder la compé-
tence de la Cour ratione personae.
Certes, la compétence de la Cour doit normalement s’apprécier à

la date du dépôt de l’acte introductif d’instance. Cependant la Cour,
comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale,
a toujours eu recours au principe selon lequel elle ne doit pas sanc-
tionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la
partie requérante pourrait aisément porter remède.» (Ibid., p. 613,

par. 26.)
La Cour appuya cette déclaration sur les passages précités de l’affaire

Mavrommatis et de l’affaire relative à Certains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise (voir, ci-dessus, les paragraphes 10 et 16 respec-
tivement), avant de poursuivre comme ceci:

«La présente Cour a fait application de ce principe dans l’affaire
du Cameroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 28), ainsi que
dans celle des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) lorsqu’elle a

déclaré: «Il n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua
à entamer une nouvelle procédure sur la base du traité — ce qu’il
aurait pleinement le droit de faire.» (C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429,
par. 83.)
En l’occurrence, quand bien même il serait établi que les Parties,

qui étaient liées chacune par la convention au moment du dépôt de
la requête, ne l’auraient été entre elles qu’à compter du 14 décembre
1995, la Cour ne saurait écarter sa compétence sur cette base
dans la mesure où la Bosnie-Herzégovine pourrait à tout moment
déposer une nouvelle requête, identique à la présente, qui serait de ce

point de vue inattaquable.

99508 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP .OWADA )

In the light of the foregoing, the Court considers that it must
reject Yugoslavia’s third preliminary objection.” (Application of the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-

cide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , pp. 613-614, para. 26.)
20. It should be pointed out that the judgment of the Court on this

point was confined to the issue of whether “the conditions necessary to
found the consensual basis of the Court’s jurisdiction were . . . lacking”
(ibid., p. 613, para. 25). To that extent, this case is no different from the
other cases examined above. It is noteworthy in this context that the

Court expressly stated that “[f]or the purposes of determining its jurisdic-
tion in this case, the Court has no need to settle the question of what the
effects of a situation of non-recognition may be on the contractual ties
between parties to a multilateral treaty” (ibid., p. 613, para. 26). Thus, in
my view, the Court came close to deciding upon an issue which in its

nature was very similar to the one raised in the present case, i.e., the issue
of the legal status of one of the parties in relation to the other party.
However, the Court avoided that issue by stating that “the Court has no
need to settle the question” (ibid.). Presumably the Court in saying this
had in mind the Genocide Convention as the “multilateral treaty”

in issue. However, this general reservation of the Judgment is equally
applicable to the Statute of the Court as “a [relevant] multilateral
treaty”.
The conclusion I reach out of this case is that the Judgment is incon-
clusive on this point of status and cannot therefore constitute an author-

ity in the present case.

(5) The case concerning Gabc ˇíkovo-Nagymaros Project
(Hungary/Slovakia)

21. The point in issue in this case does not seem even remotely related
to the so-called Mavrommatis principle, although a judge in his dissent-

ing opinion quoted the Mavrommatis dictum as a rationale to justify a
certain point of law involved. In this case Hungary argued that it was
entitled to terminate a bilateral treaty with Czechoslovakia for the con-
struction and operation of the Gabc ˇíkovo-Nagymaros System of Locks

on the ground that Czechoslovakia had materially breached the treaty by
beginning the process of unilaterally diverting the River Danube in
November 1991. The Court, however, found that the treaty was not
breached until Czechoslovakia actually started the diversion of the water
into a bypass canal in October 1992, which came about after Hungary

took the action of terminating the treaty.

One of the judges who dissented from the Gabc ˇíkovo-Nagymaros Judg-
ment argued in his opinion, citing the Mavrommatis and the Certain Ger-
man Interests in Polish Upper Silesia cases, that “it would have been

possible for [the Respondent] to withdraw this act [of termination of the

100 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 508

Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter la troisième
exception préliminaire de la Yougoslavie.» (Application de la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-

Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 613-614, par. 26.)
20. Il échet de relever que la décision rendue par la Cour sur ce point

se limitait à la question de savoir si «les conditions nécessaires pour
conférer une base consensuelle à la juridiction de la Cour fai-
saient ... défaut» (ibid., p. 613, par. 25). Dès lors, cette affaire n’est guère
différente des autres instances examinées ci-dessus. On retiendra à cet

égard que la Cour a déclaré expressément que, «[a]ux fins de se pronon-
cer sur sa compétence en l’espèce, [elle] n’a[vait] pas à trancher la ques-
tion de savoir quels p[ouvaient] être les effets d’une situation de non-
reconnaissance sur les liens contractuels entre parties à un traité multila-
téral» (ibid., p. 613, par. 26). Ainsi, de mon point de vue, il s’en est fallu

de peu que la Cour ne statue sur une question qui était par nature très
proche de celle qui nous intéresse en l’espèce, à savoir la question du sta-
tut juridique de l’une des parties envers l’autre. Toutefois, la Cour s’en est
gardée en déclarant qu’«[elle] n’a[vait] pas à trancher la question» (ibid.).
Elle considérait probablement, dans ce contexte, que le «traité multilaté-

ral» en question était la convention sur le génocide. Cela dit, cette réserve
générale exprimée dans l’arrêt pourrait s’appliquer aussi bien au Statut
de la Cour, en tant que «traité multilatéral [pertinent]».
J’estime par conséquent que l’arrêt rendu dans cette affaire n’est guère
concluant sur la question du statut et qu’il ne peut donc faire autorité

dans la présente espèce.

5) L’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie)

21. La question soulevée dans cette affaire-là ne semble avoir aucun
rapport, pas même lointain, avec le principe dit Mavrommatis, encore

qu’un juge se soit réclamé de ce dictum dans son opinion dissidente pour
justifier un point de droit particulier. Dans cette affaire, la Hongrie s’esti-
mait habilitée à mettre fin à un traité bilatéral qu’elle avait conclu avec la
Tchécoslovaquie aux fins de la construction et du fonctionnement du sys-

tème d’écluses de Gabc ˇíkovo-Nagymaros au motif que celle-ci avait com-
mis une violation substantielle du traité en entreprenant unilatéralement
de détourner le cours du Danube en novembre 1991. La Cour conclut
toutefois que le traité n’avait pas été violé jusqu’à ce que la Tchécoslo-
vaquie eût effectivement commencé à détourner le fleuve dans un canal

de dérivation, en octobre 1992, soit après que la Hongrie eut pris l’initia-
tive de mettre fin au traité.
L’un des juges qui s’inscrivit en faux contre l’arrêt Gabc ˇíkovo-
Nagymaros affirma dans son opinion, en citant l’affaire Mavrommatis
et celle relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise ,

que «[le défendeur] aurait pu procéder au retrait de cet acte [tendant à

100509 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION DISS. OP. OWADA )

treaty] and to substitute it later by a new notification of termination
based on the events of October 1992” (I.C.J. Reports 1997 ; dissenting
opinion of Judge Fleischhauer, p. 210, para. 2).

While it may be possible to draw an analogy between the issue involved
in this case and the so-called Mavrommatis principle, it is clear that this
case does not involve the application of the Mavrommatis principle and
has no relevance to the present case.

(6) The case concerning Armed Activities on the Territory of the Congo
(New Application: 2002) (Democratic Republic of the

Congo v. Rwanda), Jurisdiction and Admissibility

22. In this case, the issue was whether the claimed withdrawal of res-
ervations by the Respondent relating, inter alia, to Article IX of the
Genocide Convention as the jurisdictional basis invoked by the Appli-
cant in the case, which came after the submission of the Application by

the Applicant, could be used to establish the jurisdiction ratione materiae
of the Court.
After referring to the dictum in the 1996 Judgment of the Court in the
Genocide Convention case examined above (see above at para. 19) that
“the Court should not . . . penalize a defect in procedure which the Appli-

cant could easily remedy” (I.C.J. Reports 2006, p. 29, para. 54), the
Court stated that

“if the Rwandan Minister’s statement had somehow entailed the
withdrawal of Rwanda’s reservation to Article IX of the Genocide
Convention in the course of the proceedings, the DRC could on its
own initiative have remedied the procedural defect in its original

Application by filing a new Application” (ibid., p. 29, para. 54).

It is clear that this is a case where the issue was whether there was a
consensual link for jurisdiction between the Parties based on Article IX
of the Genocide Convention, which would be held to exist at the time of
the Judgment, if the claimed withdrawal of reservations were to be estab-

lished by the Applicant. It may be noted that the Court’s conclusion is in
any case obiter dictum, inasmuch as it had already concluded “that the
statement by the Rwandan Minister of Justice was not made in suffi-
ciently specific terms” so as to constitute withdrawal of Rwanda’s reser-
vation to Article IX of the Genocide Convention (ibid., pp. 28-29,

para. 52). Be that as it may, however, what is crucial for the purposes of
the present case is that the Court was dealing here with the question of
whether an initial lack of consent had been subsequently rectified; this
has no bearing on the issue in the present case, i.e., procedural defects
beyond the consensual reach of the Parties.

101 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 509

mettre fin au traité] et lui substituer plus tard une nouvelle notification de
terminaison au vu des événements d’octobre 1992» (opinion dissidente
du juge Fleischhauer, C.I.J. Recueil 1997, p. 210, par. 2).

S’il est certes possible d’établir une analogie entre la question qui
était considérée et le principe dit Mavrommatis, il est cependant
clair que l’application de ce dernier n’était pas en jeu dans cette affaire-
là, laquelle ne revêt aucune pertinence aux fins de celle qui nous
occupe ici.

6) L’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête: 2002) (République démocratique

du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité

22. Il s’agissait dans cette affaire-là de savoir si le retrait allégué, après
le dépôt de la requête, des réserves du défendeur concernant notamment
l’article IX de la convention sur le génocide, que le demandeur avait invo-
qué comme base de compétence en l’espèce, pouvait être utilisé pour éta-

blir la compétence ratione materiae de la Cour.

Après s’être référée au dictum figurant dans son arrêt de 1996 en
l’affaire relative à la Convention sur le génocide , qui a été examinée plus
haut (voir le paragraphe 19 ci-dessus), à savoir qu’«elle ne doit pas sanc-

tionner un défaut de procédure auquel la partie requérante pourrait aisé-
ment porter remède» (C.I.J. Recueil 2006, p. 29, par. 54), la Cour a
déclaré que

«si la déclaration du ministre rwandai[s] avait, en cours d’instance,
emporté, d’une manière quelconque, retrait de la réserve du Rwanda
à l’article IX de la convention sur le génocide, la RDC aurait pu, de
sa propre initiative, remédier au défaut procédural affectant sa

requête initiale en déposant une nouvelle requête» (ibid.,p .,
par. 54).

Il est clair que, dans cette affaire, la question était de savoir s’il existait
entre les Parties un lien consensuel sur la base de l’article IX de la
convention sur le génocide pour que la Cour pût exercer sa compétence,
lien qui aurait été constaté au stade de l’arrêt si le demandeur avait

démontré le retrait de réserves dont il faisait état. Rappelons que
la conclusion de la Cour constitue de toute façon un obiter dictum,
celle-ci ayant déjà conclu que «le contenu de la déclaration du ministre
de la justice du Rwanda n’[était] pas suffisamment précis» pour emporter
retrait de la réserve du Rwanda à l’article IX de la convention sur le

génocide (ibid., p. 28-29, par. 52). Toujours est-il que l’élément crucial
aux fins de la présente affaire est que la Cour examinait alors le point
de savoir s’il avait été remédié ultérieurement à un défaut de consente-
ment initial, ce qui n’a aucun rapport avec la question qui nous intéresse
ici, à savoir celle des défauts procéduraux échappant au consentement

des Parties.

101510 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

(7) The case concerning Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgium v. Spain), Preliminary Objections

23. A similar argument to the Mavrommatis principle was advanced in
the case concerning Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgium v. Spain), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1964, p. 6 (hereinafter referred to as the “Barcelona Traction”
case), without specifically citing Mavrommatis as precedent. In that case,

the Respondent argued that because the case was founded on a compro-
missory clause referring to the Permanent Court of International Justice,
and because the Respondent had not been a party to the United Nations
at the time of the adoption of the Statute of the International Court of

Justice, Article 37 of that Statute — according to which a compromissory
clause which “provides for reference of a matter to . . . the Permanent
Court of International Justice, . . . shall, as between the parties to the
present Statute, be referred to the International Court of Justice” — did

not apply to it, and that therefore the Court lacked jurisdiction to hear
the case. The Court, applying a logic that might appear to be analogous
to that of the Mavrommatis principle, concluded that

“the basic obligation to submit to compulsory adjudication was never
extinguished by the disappearance of the Permanent Court, but was
merely rendered functionally inoperative by the lack of a forum through
which it could be implemented. What therefore happened in 1955,

when this lacuna was made good by Spain’s admission to the United
Nations, was that the operation of the obligation revived, because the
means of implementing it had once more become availablieb ”(., p. 40).

However, this variation of the Mavrommatis principle, which might at
first regard appear similar to the situation in the present case — since like
the present case the procedural defect in question was held to be cured by

the Respondent becoming a Member of the United Nations — is in fact
fundamentally different. In the Barcelona Traction case, Spain’s member-
ship in the United Nations triggered a pre-existing consent arising out of
its previously ratified compromissory clauses. The defect at issue did not

involve any issue of Spain’s access to the Court or other fundamental
issue of seisin. Thus, the Barcelona Traction case, like the other cases dis-
cussed above, deals with consent and not access. The principle applied in
the Barcelona Traction case, therefore, can have no bearing on the

present case.

IV. C ONCLUSION ON THE M AVROMMATIS PRINCIPLE

24. The conclusions I have reached as a result of close examination of
the precedents in the jurisprudence of the Court (including the PCIJ), in

102 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS.OWADA ) 510

7) L’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires

23. Un argument comparable à celui qui repose sur le principe
Mavrommatis fut avancé dans l’affaire de la Barcelona Traction, Light
and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (exceptions prélimi-
naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964 , p. 6) (dénommée ci-après l’affaire de la
«Barcelona Traction»), sans renvoi spécifique à l’affaire Mavrommatis à

titre de précédent. Le défendeur affirmait dans cette affaire que, puisque
celle-ci était fondée sur une clause compromissoire désignant la Cour per-
manente de Justice internationale et qu’il n’était pas membre de l’Orga-
nisation des Nations Unies lorsque le Statut de la Cour internationale de

Justice avait été adopté, l’article 37 dudit Statut — selon lequel, en cas de
clause compromissoire «prévo[yant] le renvoi ... à la Cour permanente de
Justice internationale, la Cour internationale de Justice constituera[it]
cette juridiction entre les parties au présent Statut» — ne s’appliquait pas

à son endroit et que la Cour n’était donc pas compétente pour connaître
de l’affaire. Appliquant une logique qui pourrait sembler analogue à celle
du principe Mavrommatis, la Cour avait conclu que

«la disparition de la Cour permanente n’a[vait] jamais éteint l’obliga-
tion fondamentale de se soumettre à un règlement judiciaire mais l’a[vait]
rendue fonctionnellement inapplicable faute d’un tribunal pouvant
assurer sa mise en Œuvre. Ce qui s’est donc produit en 1955, lorsque

cette lacune a été comblée avec l’admission de l’Espagne aux Nations
Unies, c’est que l’obligation est redevenue applicable, puisqu’il existait
de nouveau un moyen de la mettre en Œuvre.» (Ibid., p. 40.)

Toutefois, cette variante du principe Mavrommatis qui, à première vue,
pourrait être rapprochée de la situation qui nous occupe ici — puisque,
comme dans la présente affaire, la Cour a jugé qu’il avait été remédié au

défaut procédural en question par l’admission du défendeur à l’Organisa-
tion des Nations Unies — est en fait foncièrement différente. Dans
l’affaire de la Barcelona Traction, l’admission de l’Espagne à l’Organisa-
tion des Nations Unies donna effet à un consentement préexistant qui

découlait des clauses compromissoires ratifiées plus tôt par cet Etat. Le
défaut en question ne tenait nullement à l’accès de l’Espagne à la Cour ni
à aucune autre question fondamentale touchant à la saisine. Partant, de
même que les autres affaires examinées plus haut, celle de la Barcelona

Traction porte sur le consentement et non sur l’accès. Le principe appli-
qué dans le cadre de cette instance-là ne peut donc avoir aucune inci-
dence sur la présente espèce.

IV. C ONCLUSION SUR LE PRINCIPE M AVROMMATIS

24. Les conclusions auxquelles je suis parvenu après avoir examiné de
près dans la jurisprudence de la Cour (et dans celle de sa devancière) les

102511 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

which the so-called Mavrommatis principle has been invoked, either
expressly or by implication, can be summarized as follows:

(a) In spite of the generalized formula often quoted from the Judgment
in the Mavrommatis case, the Mavrommatis case was decided on a
totally different basis, and the present case does not present any

legally analogous situation where the so-called Mavrommatis prin-
ciple may have a place of application.

(b) Each of the subsequent cases in which this principle has been
invoked are all related to the issue of the initial absence of consent

to jurisdiction which, allegedly, had vitiated the basis of jurisdiction
of the Court but was cured by a subsequent act or event. There has
been no case that can justify the application of the principle in a
generalized formulation in which it is claimed to have an extended
application to any and all flaws in procedure.

(c) The rationale for deviating from the strict application of procedural
requirements is diverse in each case and each of the cases where such
deviation is accepted by the Court has its own specific rationale and
its intrinsic limitations. However, in all the cases that have been

examined, the basic problem related to the original absence of con-
sent as the vitiating factor for jurisdiction.

(d) There has been no case in the jurisprudence of the Court in which
the so-called Mavrommatis principle has been understood to cover

any and all “procedural defects” in the proceedings before the
Court. The “procedural defects” that have been at issue in those
cases have mostly been alleged technical flaws relating to the ele-
ment of consent in one way or another at the time of the institution
of proceedings, and have never involved such issues as the capacity

of the parties to appear before the Court.

(e) In all the cases where the principle has been applied, what is involved
is the issue of assessing the subsequent coming into existence of the

consensual nexus of jurisdiction as sufficient for the purpose of con-
stituting the essential condition for the exercise of jurisdiction by the
Court. This is only natural, since the very basis of international
jurisdiction lies in the consent of the parties and the arrival of this
element of consent, even at a later stage in the proceedings, has

always been recognized as constituting an exception to the basic
principle that the legal basis for the competence of the Court has to
exist at the time of the institution of the proceedings, as demon-
strated in the institution of forum prorogatum.

25. This situation is not at all surprising. The basic principle under-
lying the jurisdiction of an international court, as the Court has empha-
sized time and again, is that “its jurisdiction must be determined at the

time that the act instituting proceedings was filed” (Arrest Warrant of

103 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 511

précédents où le principe dit Mavrommatis a été invoqué, soit expressé-
ment, soit implicitement, peuvent être résumées de la manière suivante:

a) En dépit de la formule souvent citée qui figure dans l’arrêt rendu en
l’affaire Mavrommatis, formule dont il est fait une généralité, cette
affaire-là avait été jugée sur une base tout à fait différente, la présente

affaire ne faisant intervenir du point de vue juridique aucune situa-
tion analogue dans laquelle le principe dit Mavrommatis pourrait
trouver à s’appliquer.
b) Dans chacune des affaires ultérieures où ce principe a été invoqué, il
était question d’une absence initiale de consentement qui, était-il allé-

gué, avait vicié le fondement de la compétence de la Cour mais à
laquelle un acte ou un événement ultérieur avait remédié. Aucun pré-
cédent ne peut justifier une généralisation du principe, selon laquelle
la jurisprudence issue de l’arrêt Mavrommatis s’appliquerait à toutes
sortes de défauts procéduraux.

c) Les raisons de s’écarter d’une application stricte des règles procédu-
rales varient d’une affaire à une autre, et chacune des affaires dans
lesquelles la Cour a accepté de s’en écarter se caractérise par des
motifs qui lui sont propres et par des limites intrinsèques. Dans toutes

les affaires examinées, cependant, le problème fondamental rési-
dait dans l’absence initiale de consentement en tant qu’obstacle à la
compétence.
d) La jurisprudence de la Cour ne comprend aucune affaire dans le
cadre de laquelle le principe dit Mavrommatis aurait été interprété

comme s’étendant à la totalité des «défauts procéduraux» apparus
dans les affaires portées devant elle. Les «défauts procéduraux» qui
étaient en cause dans les affaires pertinentes tenaient le plus souvent à
des vices techniques allégués concernant d’une manière ou d’une
autre l’élément du consentement à l’époque de l’introduction de l’ins-

tance, sans jamais toucher à des questions telles que celles de la capa-
cité des parties d’ester devant la Cour.
e) Dans toutes les affaires où le principe a été appliqué, il s’agissait de
déterminer si le lien consensuel de compétence établi par la suite était

suffisant pour satisfaire à la condition essentielle à l’exercice par la
Cour de sa juridiction — ce qui va de soi, puisque la juridiction inter-
nationale tient en elle-même au consentement des parties et que
même l’expression de ce consentement à un stade ultérieur de l’ins-
tance a toujours été reconnue comme une exception au principe fon-

damental selon lequel la base juridique de la compétence de la Cour
doit exister à la date de l’introduction de l’instance. L’institution du
forum prorogatum en est la preuve.

25. Cette situation n’a rien d’étonnant. Le principe fondamental qui
sous-tend la compétence d’une juridiction internationale est, comme la
Cour l’a souligné à maintes reprises, que «sa compétence doit s’apprécier

au moment du dépôt de l’acte introductif d’instance» (Mandat d’arrêt du

103512 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION DISS. OP.OWADA )

11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium), Judg-
ment,I.C.J.Reports2002,pp.12-13,para.26).Thisbasicprincipleisfunda-
mental in particular in the sense that “if the Court has jurisdiction on the
date the case is referred to it, it continues to do so regardless of subse-

quent events” (ibid.) and that such events “cannot deprive the Court of
jurisdiction” (ibid.; see also the cases cited therein). It is as a legitimate
exception to this principle that international jurisdiction has recog-
nized that the reverse is not necessarily true. Thus if the consensual nexus
as the basis of jurisdiction can be established subsequent to the institu-

tion of the proceedings, an act or event constituting such a consensual
nexus can always offer the basis of jurisdiction, since international juris-
diction, in contrast to municipal jurisdiction, is based primarily on the
consent of the parties. This indeed is the legal basis on which jurisdiction
can be established under Article 38, paragraph 5, of the Rules of Court

or upon which the institution of forum prorogatum is accepted in the
jurisprudence of the Court.
26. By contrast, no logical ground exists, and therefore no precedent is
to be found in the jurisprudence of the Court as examined above, to hold
that the Court has been ready to apply this reverse principle as an excep-

tion to the general rule relating to the competence of the Court in such a
general way as to justify an unqualified statement that “[e]ven if the
grounds on which the institution of proceedings was based were defec-
ie..iwol oteanaeueeonorheiilfhe
applicant’s suit” (Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2,

1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 , p. 34). This statement was made in a very
specific context, i.e., with regard to a treaty (Protocol XII) which was
central to determining the substantive scope of “any international obli-
gations accepted by the Mandatory” as provided for in Article 11 of the
Mandate — a legal instrument that formed the basis for the Court’s juris-

diction (ibid., p. 17). It was in this context that the applicability of Arti-
cle 11 of the Mandate came to be questioned in the situation where the
article in question was held not to be effective (en vigueur) at the time of
the Application but to have come into effect two and a half months later.
27. In summary, it is clear that the so-called Mavrommatis principle

under the Mavrommatis jurisprudence does not relate to a general propo-
sition of whether any “procedural defect” in seising the Court can be
cured when “it would always have been possible for the applicant to
re-submit his application in the same terms” (ibid., p. 34; Judgment,
para. 82), but rather to a specific question of whether the “procedural
defect” in question concerns the issue of consent of the parties to the

jurisdiction of the Court and thus can be cured on the basis that consent
of the parties can always create the legal basis for the Court to exercise
jurisdiction. While I accept the statement in the present Judgment that
the Court has “shown realism and flexibility in certain situations in which
the conditions governing the Court’s jurisdiction were not fully satisfied

when proceedings were initiated but were subsequently satisfied” (ibid.,
para. 81), it is clear from the rationale of this practice and from the

104 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS.OWADA ) 512

11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 12-13, par. 26), principe d’autant plus fondamen-
tal que, «si elle est compétente à la date à laquelle une affaire lui est sou-

mise, elle le demeure quels que soient les événements survenus ultérieu-
rement» (ibid.) et que pareils événements «ne sauraient ... priver la Cour
de sa compétence» (ibid.; voir également les affaires citées dans cet
extrait). A titre d’exception légitime à ce principe, il a été reconnu que
l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Ainsi, si le lien consensuel fondant

la compétence peut être établi postérieurement à l’introduction de l’ins-
tance, un acte ou un événement constituant pareil lien peut toujours être
source de compétence puisque, contrairement à la juridiction interne, la
juridiction internationale repose principalement sur le consentement des
parties. Telle est en fait la base juridique sur laquelle la compétence peut

être établie en vertu du paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la
Cour ou sur laquelle l’institution du forum prorogatum est reconnue dans
la jurisprudence de celle-ci.
26. En revanche, il n’existe aucune raison logique, et donc aucun pré-

cédent dans la jurisprudence examinée ci-dessus, qui permette de dire que
la Cour ait été prête à appliquer à titre d’exception à la règle générale
gouvernant sa compétence ce principe à rebours d’une manière si géné-
rale qu’il soit permis d’affirmer de manière catégorique que «[m]ême si la
base de l’introduction d’instance était défectueuse..., ce ne serait pas une

raison suffisante pour débouter le demandeurode sa requête» (Conces-
sions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2,
p. 34). Cette déclaration a été formulée dans un contexte bien précis,
c’est-à-dire dans le cas d’un traité (le protocole XII) qui revêtait une
importance centrale pour déterminer la portée substantielle «des obliga-

tions internationales acceptées par le mandataire» dans le cadre de l’ar-
ticle 11 du mandat — un instrument juridique qui fondait la compétence
de la Cour (ibid., p. 17). C’est dans ce contexte que fut mise en doute
l’applicabilité de l’article 11 du mandat, déclaré en vigueur non pas à la
date du dépôt de la requête mais deux mois et demi plus tard.

27. Pour résumer, il est clair que le principe tenant son nom de la juris-
prudence Mavrommatis ne consiste pas à estimer d’une manière générale
que tout «défaut procédural» faisant obstacle à la saisine de la Cour peut

être corrigé dès lors qu’il «[est] toujours possible, pour la partie deman-
deresse, de présenter à nouveau sa requête, dans les mêmes termes»
(ibid., p. 34; arrêt, par. 82), mais qu’il se limite à la question précise de
savoir si le «défaut procédural» considéré touche à la question du consen-
tement des parties à la compétence de la Cour et peut donc être corrigé

puisque le consentement des parties peut toujours constituer la base juri-
dique nécessaire pour que la Cour exerce sa compétence. Si j’adhère au
présent arrêt en ce qu’il rappelle que la Cour a «fait preuve de réalisme et
de souplesse dans certaines hypothèses où les conditions de [s]a compé-
tence ... n’étaient pas toutes remplies à la date de l’introduction de l’ins-

tance mais l’avaient été postérieurement» (ibid., par. 81), les raisons de

104513 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP .OWADA )

case law on this point that such exceptions are to be applied restrictively.
As the review of the Court’s jurisprudence has shown, such flexibility

with regard to jurisdictional consent has never been extended to the issue
of access to the Court beyond the consent of the parties, and it should
not be so extended in the present Judgment.

V. IRRELEVANCE OF THE ISSUE OF A PPLICANT/

R ESPONDENT D ISTINCTION

28. As stated in paragraph 7 above, the second question to be exam-
ined is that of whether the fact that the FRY/Serbia is the Respondent in

the present case whereas it was the Applicant in the 2004 NATO cases
should make a legal difference in the context of the present case.

29. On this I do not have to spend too much ink. The plain and ordi-

nary meaning of the language of Article 35, paragraph 1, makes it un-
necessary to go into the legislative history of the provision. In reply to the
question put to the Parties by Judge Abraham, both the Applicant and
the Respondent have taken a negative position to such a distinction as a
material factor, though clearly this is a matter which belongs to the Court

to decide.
What seems to be decisive to me is the fact that making such a distinc-
tion in interpretation of Article 35, paragraph 1, would create an unequal
treatment between the applicant and the respondent in matters relating to

the access to the Court and the capacity to appear before the Court.
30. As the Court clearly enunciated in its 2004 Judgment, the Court
can exercise its judicial function only in respect of those States which
have access to it under Article 35 of the Statute. And only those States

which have access to the Court can confer jurisdiction upon it (Legality
of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I) , pp. 298-299, para. 46). And the
rationale for this principle lies in the fact that the Court, as a court of

law, can only function when both of the parties to the dispute have the
capacity to appear before the Court.
It is to be recalled in this context that the Court in its 2004 Judgment
expressed the view that “a distinction has to be made between a question

of jurisdiction that relates to the consent of a party and the question of
the right of a party to appear before the Court under the requirements of
the Statute, which is not a matter of consent” (ibid., p. 295, para. 36). It
is on the basis of this distinction that the Court made the point that “[t]he
question is whether as a matter of law Serbia and Montenegro was enti-

tled to seise the Court as a party to the Statute at the time when it insti-
tuted proceedings in these cases” (ibid.; emphasis in the original). It is
this distinction between the two separate questions that is crucial to the

105 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 513

cette pratique et la jurisprudence consacrée à la question démontrent tou-
tefois clairement que pareilles exceptions sont à appliquer avec parcimo-

nie. Comme il ressort de mon analyse de la jurisprudence de la Cour, la
souplesse dont il a pu être fait preuve à l’égard du consentement juridic-
tionnel n’a jamais été appliquée à la question de l’accès à la Cour, qui
échappe au consentement des parties, et ne devrait pas être ainsi appli-
quée dans le présent arrêt.

V. L E DÉFAUT DE PERTINENCE DE LA DISTINCTION
ENTRE DEMANDEUR ET DÉFENDEUR

28. Ainsi qu’exposé au paragraphe 7 ci-dessus, la seconde question à
examiner est celle de savoir si le fait que la RFY/Serbie este ici en qualité
de défendeur, alors qu’elle était le demandeur dans les affaires de l’OTAN
jugées en 2004, doit en l’espèce faire une différence du point de vue

juridique.
29. Je n’ai pas besoin de m’étendre sur cette question. Etant donné le
sens naturel et ordinaire du paragraphe 1 de l’article 35, il n’est pas néces-
saire de se pencher sur la genèse de cette disposition. En réponse à la

question que leur avait posée le juge Abraham, le demandeur et le défen-
deur ont l’un comme l’autre refusé d’attacher de l’importance à une telle
distinction, encore que la réponse à cette question doive évidemment être
laissée à la Cour.
L’essentiel à mes yeux est que le fait d’établir pareille distinction en

interprétant le paragraphe 1 de l’article 35 donnerait lieu à une inégalité
de traitement entre le demandeur et le défendeur du point de vue de
l’accès à la Cour et de la capacité d’ester devant elle.
30. Comme elle l’a clairement déclaré dans ses arrêts de 2004, la Cour

ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des Etats auxquels elle
est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut. Et seuls les Etats qui ont
accès à elle peuvent lui conférer compétence (Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt ,

C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 298-299, par. 46). La raison de ce principe
tient à ce que la Cour, en tant que cour de justice, ne peut s’acquitter de
sa tâche que lorsque les deux parties au différend ont qualité pour ester
devant elle.
Il convient de rappeler à cet égard que, dans ses arrêts de 2004, la Cour

a considéré qu’«il y a[vait] lieu d’établir une distinction entre une ques-
tion de compétence liée au consentement d’une partie et celle du droit
d’une partie [d’]ester devant [elle] conformément aux prescriptions du
Statut, qui n’implique pas un tel consentement» (ibid., p. 295, par. 36).

C’est sur la base de cette distinction que la Cour releva que «[l]a question
qui se pos[ait était] celle de savoir si, en droit, au moment où elle a[vait]
introduit les présentes instances, la Serbie-et-Monténégro était habilitée
à [la] saisir ... en tant que partie au Statut» (ibid.; les italiques sont dans
l’original). C’est la distinction entre ces deux questions différentes qui

105514 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS.OP. OWADA )

consideration of this issue by the Court. This rationale naturally applies
as validly to the respondent as to the applicant.

31. It may be noted in addition that this position of the Court in the
2004 Judgments is not only logically consistent with the general approach
of the Court to the issue of its competence, but is the one which virtually
all the parties in those cases endorsed (including, in particular, the

respondents in the case) — a fact which is not always registered clearly in
the minds of those who did not participate in the case. Thus, the NATO
countries, as Respondents, tried to argue, in varying degrees, that the
FRY did not have the locus standi to seise the Court as applicant, inas-

much as it was not a party to the Statute. The Respondents did not make
a distinction in this regard on the applicability of this principle, on the
basis of whether the party in question was the applicant or the respond-
ent. It should be recalled that this claim was advanced during the period
well after November 2000, when Serbia has been admitted to the United

Nations and had became a party to the Statute of the Court. And the
Court itself abided strictly by the general rule that its jurisdiction was to
be assessed at the date of filing of the act instituting proceedings.

32. The argument that the present Judgment advances that “[i]t was
clear that Serbia and Montenegro [as Applicant] did not have the inten-
tion of pursuing its claims by way of new applications” (Judgment,
para. 89), as if it were a decisive factor in the reasoning of the Court, is
singularly unpersuasive since the issue of the capacity of a party to seise

the Court, contrary to such other aspects of jurisdiction as hinge upon
the will of the parties, is a matter which the Court has to ascertain, if
necessary proprio motu, independently of the will or the motive of one or
the other of the parties. The fact that the Court in the NATO cases did

not pursue the other “more flexible approach” simply testifies to the posi-
tion of the Court that this issue belongs not to an area where a “proce-
dural defect” can be cured in a flexible manner, but to an area which
constitutes the essential structure of the Court as a court of law with

competence to deal with disputes between the applicant and the respon-
dent, both of whom must satisfy the requirement of having locus standi
before the Court, irrespective of whether they are in a position of appli-
cant or of respondent.

(Signed) Hisashi O WADA .

106 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .DISS. OWADA ) 514

revêt une importance cruciale pour l’examen de la Cour sur ce point. Ce
raisonnement s’applique naturellement aussi bien au défendeur qu’au

demandeur.
31. Il peut en outre être relevé que non seulement cette position expri-
mée dans les arrêts de 2004 s’inscrit dans la logique selon laquelle la Cour
envisage généralement la question de sa compétence, mais qu’elle est éga-
lement celle que presque toutes les parties à ces instances ont adoptée (y

compris, en particulier, les défendeurs) — un fait qui a parfois du mal à
bien s’inscrire dans l’esprit de ceux qui n’y ont pas participé. Ainsi les
Etats de l’OTAN, alors défendeurs, ont-ils tenté de faire valoir à des
degrés divers que la RFY n’avait pas le locus standi voulu pour saisir la

Cour en tant que demandeur, dans la mesure où elle n’était pas partie au
Statut. Les défendeurs n’ont en l’occurrence opéré aucune distinction
dans l’applicabilité de ce principe selon que la partie considérée estait
comme demandeur ou comme défendeur. Rappelons que cet argument a
été formulé bien après novembre 2000, lorsque la Serbie avait été admise

à l’Organisation des Nations Unies et était devenue partie au Statut de la
Cour. La Cour elle-même s’en est tenue strictement au principe général
selon lequel sa compétence devait s’apprécier à la date du dépôt de l’acte
introductif d’instance.

32. L’argument avancé dans le présent arrêt, selon lequel «[i]l était
clair, en effet, que la Serbie-et-Monténégro [en tant que demandeur]
n’avait pas l’intention de maintenir ses demandes sous la forme de nou-
velles requêtes» (arrêt, par. 89), comme s’il s’agissait d’un facteur décisif
dans le raisonnement de la Cour, manque singulièrement de convaincre

étant donné que, contrairement aux autres aspects de la compétence
tenant à leur volonté, la capacité de l’une ou l’autre des parties de saisir
la Cour est un élément dont celle-ci doit s’assurer, si nécessaire de sa
propre initiative, indépendamment de leur volonté ou de leurs motiva-

tions. Le fait que, dans les affaires de l’OTAN, la Cour n’ait pas adopté
«l’élément de souplesse» introduit à d’autres occasions démontre simple-
ment que, pour elle, cette question n’est pas de celles qui permettent de
remédier avec souplesse à un «défaut procédural» mais touche à sa voca-

tion même, en tant que cour de justice chargée de connaître de différends
entre un demandeur et un défendeur qui doivent tous deux avoir le locus
standi exigé pour ester devant elle, que ce soit comme demandeur ou
comme défendeur.

(Signé) Hisashi O WADA .

106

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Opinion dissidente de M. le juge Owada

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